Dossier Lone Star
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Dossier Lone Star
F FICHE FILM Lone Star de John Sayles Fiche technique USA - 1996 - 2h11 Couleur Réalisateur : John Sayles Scénario : John Sayles Musique : Mason Daring Interprètes : Chris Cooper (Sam deeds) Elizabeth Peña (Pilar Cruz) Clifton James (Hollis, shérif adjoint) Kris Kristofferson (Charlie Wade) Miriam Colon (Pilar) Joe Morton (Delmore Payne, le colonel) Ron Canada (Otis, propriétaire du bar) Mattew McConaughey (Buddy Deeds, père de Sam) L E Résumé C’est l’histoire de Sam Deeds, le shérif de Rio County. Fils de Buddy Deeds, lui-même en son temps shérif de Rio County. Un sacré bonhomme, à ce qu’il paraît, ce Buddy Deeds : «En cas de pépin, on pouvait toujours compter sur Buddy», marmonnent les anciens. Frontera, dernière ville texane avant la frontière mexicaine, va même lui dresser une statue. Mais la légende paternelle fait de l’ombre à Sam et le rend morose. Est-elle sans tache, au fait ? Deux fouineurs du désert viennent de mettre au jour de curieux indices: une balle de revolver, une étoile rouillée... et les os desséchés de Charlie Wade, ancien shérif lui aussi, mort trente-sept ans plus tôt dans des circonstances non éclaircies. Et si Buddy... Le sceptique Sam aux yeux plissés mène l’enquête. En Amérique, I’histoire n’est jamais enfouie très profond. La grande, avec majuscule, est F R A souvent parasitée par la petite, I’anecdotique..., ou maquillée par la légende. A Frontera, comme ailleurs, tout le monde a une histoire. Son histoire à lui, ou une his toire à raconter. La même est différente selon qui la raconte. Avec Sam, sorte de privé calme au pays du western, on écoute ceux qui «y étaient» : Hollis, le maire, ancien shérif adjoint; Otis, propriétaire du Big O, le bar où, semble-t-il, tout s’est joué; Mercedes Cruz, patronne d’un restaurant. Le passé pèse sur le présent, le hante, se mêle à lui, comme l’indiquent ces plans panoramiques où, dans un même lieu, on va de l’un à l’autre. N C E 1 D O C U Critique Peu connu en France. John Sayles fait des films depuis 14 ans, écrit, joue dans les films des autres, réalise des films pour la télé, des clips... Bref, c’est un «indépendant». Lone Star va être pour beaucoup une bonne occasion de faire connaissance avec une personnalité attachante. En effet il est toujours passionnant de voir comment un cinéaste indépendant s’attaque à des genres aussi codifiés que le western et le polar. Ici le point de départ est bien «polar» : de nos jours, dans une campagne texane, non loin de la frontière mexicaine, deux «chercheurs de trésors», dont l’un est équipé d’un détecteur, trouvent un squelette, dont le médecin légiste dira qu’il est bien là depuis quelques dizaines d’années. L’enquête, et autour de l’enquête, le croquis de différents personnages, différents évènements de cette communauté frontalière, voilà le thème (un peu choral - altmanien, ai-je envie de dire -, mais le dossier de presse semble bien témoigner que ce n’est pas la première fois que Sayles utilise cette structure). Et aussi le passé, I’histoire, sa présence : pour les individus comme pour les communautés. «Le Texas, dit Sayles, est unique aux ÉtatsUnis, dans le sens où il était jadis un pays en soi. C’était une République constituée de façon controversée et sanglante. Sa lutte s ‘est terminée par une guerre civile,impliquant une sorte de guerre raciale et ethnique.» Sam, le shérif actuel est confronté au souvenir de son père Buddy, shérif avant lui, et dont se souviennent Otis et Hollis: est-ce que le squelette découvert ne pourrait pas être celui de Charlie Wade, qui fut un shérif pourri et tyrannique, et est-ce que Buddy ne serait pas pour quelque chose dans cette mort, lui qui remplaça Charlie ? Parallèlement, comment les différents groupes ethniques qui vivent sur ce bout de territoire vivent-ils cette affaire ? L E F M E Comment conservent-ils leurs souvenirs ? Il y a ceux pour qui seule existe l’histoire officielle, I’héroïsme d’Alamo, et ceux qui se souviennent des luttes des Indiens, des Mexicains, des Noirs, de cette patrouille de «Séminoles noirs», issus de croisements entre esclaves enfuis et Indiens locaux, toute une histoire souterraine occultée (comme chez nous, par exemple, celle de la Commune de Paris...). Ce passé officiel, c’est celui que Delmore Payne, le colonel noir, essaie d’inculquer à sa famille, à ses jeunes recrues, mais sans grand succès. Et puis, comme nous le savons bien d’après de nombreux films hollywoodiens, il y a cette frontière, ce fleuve que traversent en fraude les «dos mouillés», les wetbacks, de nos jours comme par le passé; et la vieille Pilar maintenant bien installée, américaine, qui s’efforce de «speak english», de bannir l’espagnol - fut, il y a longtemps, une wetback régularisée, et s’en souvient devant de modernes clandestins en détresse. Il y a aussi (comme dans les romans californiens de Ross MacDonald) un côté Atrides, où le passé, c’est le destin qui vient bouleverser les vies des acteurs, même si la révélation de secrets familiaux reste toujours inextricablement liée aux éléments historiques et ethniques. La conclusion du film, fort élégamment, conjure la malédiction du fatum, et garde le happy end pour le couple PilarChris. Le chassé-croisé avec le passé est pratiqué de façon très simple, par déplacement dans le même plan (I’un des premiers à utiliser ce procédé fut Alf Sjoberg avec Mademoiselle Julie, disait-on à l’époque, mais je parierais bien qu’une meilleure connaissance de l‘histoire du cinéma trouverait des précédents), et par la très grande virtuosité dans l’écriture du scénario, aussi savante que, mettons, dans Usual Suspects. L’on voit combien le film est passionnant, et mérite le détour ; la dernière fois qu’un outsider, un indépendant, R A N T S s’attaqua avec autant de bonheur au genre codé du western, ce fut, je crois, le Dead Man de Jim Jarmusch. Cela ne signifie pas que le film soit exempt de défauts mineurs. Il garde un côté austère dans le récit, qui prive le spectateur des quelques ingrédients, certes secondaires, du western : disons, pour aller vite, que les scènes d’action ne sont pas les plus nombreuses ni les mieux menées, qu’un certain resserrement (le film fait deux heures onze) pourrait être le bienvenu, que Chris Cooper (vedette de télé, nous dit-on, dans les séries Lonesone Dove et Return to Lonesome Dove) m’a paru bien pâlot, surtout face aux excellents Kris Kristofferson et Clifton James. Critiques secondaires, devant une œuvre qui reste d’une nouveauté et d’une séduction inattendues. Paul Louis Thirard Positif n° 428 - Octobre 1996 Le meurtre du père, dans tous les sens du terme. Le comté de Rio, aride cul du Texas, frontalier du Mexique, n’a pas besoin d’une nouvelle prison. Sam, le shérif, se considère d’ailleurs comme un hôtelier à la tête de 50 chambres munies de barreaux. Le fretin des immigrés clandestins étant menu, il a tout loisir d’enquêter sur un meurtre, vieux de quarante ans. La victime en serait le shérif d’alors - une pourriture notoire -, le principal suspect le shérif d’après, une légende locale et, incidemment, papa du shérif d’aujourd’hui... Tel père, tel fils, d’accord; mais tel shérif, tel shérif ? Une leçon d’histoires sous une très bonne étoile. John Sayles est un merveilleux bâtard, son film est à son image. Romancier puis scénariste, réalisateur, comédien à l’occasion, mais aussi rewriter pour «grosses machines hollywoodiennes (comme Apollo 13 ou Mort ou vif), il est rompu au mélange des genres. Ce qui explique peut-être qu’il ne se réfugie pas dans les solitudes N C E SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.25.11.83 2 D O C U intégristes du cinéma d’auteur (aux États-Unis, on dit «indépendant»), de ces «auteurs» autoproclamés qui caressent l’indépendance dans le sens du martyr, portent en étendard leurs petits budgets et dont la tonitruante «absence de concessions» masque souvent une forêt d’œillères. Pas de ça chez Sayles. Pas une seconde on ne songe à Ia minusculité de son budget. Et s’il ne craint pas d’aborder des sujets de société «sensibles» (ici, le mélange des populations à la frontière tex-mex), il le fait avec cette qualité première de la littérature américaine : montrer plutôt que dire. Il traite ainsi beaufs texans, Mexicains clandestins, escrocs, minables, brocanteurs indiens, victimes, bourreaux, pères, fils, shérifs ou voleurs avec la même douceur enjouée, se moquant gentiment au passage de tout ce monde. Personnages tous excellemment servis, de surcroît, par des comédiens qu’on croirait tout droit sortis de ce bled texan, au premier rang desquels Chris Cooper, sorte de Mickey Rourke authentique et marqué, dont c’est le troisième film avec Sayles (après City of Hope et Matewan). Mélange de populations donc, mélange d’intrigues aussi. Au menu de Lone Star : suspense policier, amoureux, familial et même historique... Avec autant d’histoires que de personnages, dont il dépeint les ambiguïtés avec une lucidité calme qui vaut toutes les outrances pseudo-provocatrices en vogue - et qu’il emmène moelleusement vers une fin délicieusement amorale... Une telle inspiration, une telle maîtrise dans la narration, on serait tenté de croire que Sayles a fait le film de sa vie, qu’il y a «tout mis». Mais non, Lone Star est son dixième film pour le cinéma. Du coup, on parlerait volontiers de génie. Mais le mot est galvaudé, alors pour mettre un mot plus précis sur I’admiration qu’il suscite, on peut parler de patience : Sayles ose prendre son temps, sans jamais nous faire perdre le nôtre. Témoin ces flash-back; dans la L E F M E continuité, modèles de simplicité et d’efficacité souriantes. Un quart de tour de caméra, un pont enjambé et nous nous retrouvons quarante ans en arrière. Si la recette de la perfection existait, Lone Star pourrait servir de moule. Jean-Yves Katelan Première n° 235 - Octobre 1996 Entretien avec le réalisateur Première / Comme dans City of Hope, Lone Star parle de gens différents qui essaient de vivre ensemble au même endroit. Sauf que City of Hope était une ville fictive. Ici, on est au Texas. John Sayles / Dans City of Hope, je voulais montrer une ville qui ressemble à beaucoup de villes américaines du Nord, où la base industrielle est morte et où les gens se battent pour des miettes. Avec Lone Star, la structure est assez similaire mais, en plus, il y a des incursions dans le passé. Le sujet du film tourne autour de l’histoire du Texas et du Mexique. A une époque, le Texas faisait partie du Mexique et il en a été arraché. La déchirure, symbolisée par la frontière, a donné lieu à une histoire incroyablement violente et émouvante. J’ai trouvé cet endroit propice à prouver que le passé nous affecte tous au niveau social comme au niveau familial. La frontière marque une coupure importante : géographique, temporelle, ethnique, culturelle. A l’époque, la frontière a été établie d’une façon très arbitraire. Ce qui m’a intéressé, c’est que la plupart des gens qui habitaient de part et d’autre de cette frontière parlaient espagnol. Cette ligne a établi la différence entre I’histoire et la culture, entre ce que les gens du gouvernement avaient décrété et ce que les gens vivaient au quotidien. A la fin, il y a une différence entre un Mexicain du Mexique et un Mexicain-Américain. Même si tous deux parlent espagnol et R A N T S mangent la même cuisine, ils ont une idée très claire de leurs origines. Vous connaissiez le Texas avant ? J’y suis allé souvent. J’y ai beaucoup voyagé et j’ai quelques amis là-bas. Le Texas est un endroit très particulier aux États-Unis. Pendant un peu moins de dix ans, c’était un État indépendant, la république du Texas. Cet esprit a marqué profondément la mentalité des Texans. D’autre part, ils ont connu deux révolutions contre les pouvoirs coloniaux, I’une contre l’Espagne, I’autre contre le Mexique. Puis, après la guerre civile. il y a eu cette guérilla de plusieurs années sur la frontière entre la minorité anglophone et la majorité mexicaine. En quelques décennies, I’histoire du Texas est devenue un concentré intéressant de l’histoire des États-Unis. Vous n’avez pas eu de problèmes pour tourner ? Pas vraiment. On a tourné dans un endroit appelé Eagle Pass et de l’autre côté de la frontière, dans une ville appelée Piedras Negras. Il faisait très chaud, 38° C mais ça s’est très bien passé. On a choisi pas mal de figurants parmi la population : ils avaient déjà l’accent et savaient très bien qui ils incarnaient. Ça donne beaucoup de caractère au film. Je veux dire que Lone Star n’est pas Alamo. Vous parlez de réalité, pas de mythologie. Et les Texans ont la réputation d’être pointilleux dès qu’on touche à ce qui, pour eux, est sacré. Ça a été probablement plus facile pour nous de tourner à la frontière que dans le Texas profond où les gens sont effectivement plus sensibles à l’histoire officielle d’Alamo. A la frontière, la culture est mexicaine des deux côtés : les gens sont donc très au courant de ce que nous traitions dans le film. Il y a une scène où des parents d’élèves se rassemblent pour parler tout particulièrement de la façon dont l’histoire est enseignée dans l’État. C’est une bataille N C E SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.25.11.83 3 D O C U qui se livre en permanence au Texas. Presque tous les cinq ans, on célèbre la bataille d’Alamo à San Antonio, qui est une ville à majorité mexicaine-américaine. Et à chaque fois, les gens disent : «Attendez une minute, il y a deux points de vue dans cette histoire et vous donnez toujours la même version.» Donc, on était au bon endroit pour raconter notre histoire. Il sera intéressant de voir comment les autres habitants du Texas réagissent. C’est un pays immense : il a trois climats et trois ou quatre traditions culturelles. Comme vos autres films, Lone Star est pessimiste mais porteur d’espoir. Je crois malheureusement que, dans Lone Star, l’espoir se situe principalement à un niveau individuel. A la fin, des individus sont capables de faire un choix qui correspond à une attitude antisociale : devenir amis. Aux Etats-Unis, il n’est pas exceptionnel qu’un Blanc soit ami avec un Noir. Ça ne veut pas dire que toutes les relations interraciales soient bonnes. De même, il est possible qu’à la frontière des anglophones et des hispaniques soient amis. Les rapports entre les deux communautés ne sont pas sains pour autant. Le cinéma indépendant est devenu un label. Pourtant, vous continuez à réaliser des films d’une façon réellement indépendante. C’est difficile ou confortable ? Lone Star est mon dixième film. Mais malgré mon expérience, c’est toujours aussi difficile de trouver de l’argent. Il y a tant de projets qui ne sont pas commerciaux à première vue. Ce qui a changé, c’est qu’on répond très vite à mes demandes, même si c’est pour dire non. Malgré mes budgets très réduits et mes délais très serrés, je peux avoir des acteurs du calibre de Kris Kristofferson ou des directeurs de la photo comme Haskel Wexler, Roger Deakins ou Bob Richardson. Vous vous êtes attaché des acteurs L E F M E N T S fidèles comme Joe Morton ou Chris Cooper. Ça aide quand vous avez ce genre de film avec plus de cinquante rôles parlants, ce qui multiplie les variables. Et quand vous avez déjà dirigé quelqu’un, c’est toujours un tracas en moins : vous savez comment travailler avec lui. Alors qu’avec un nouvel acteur, vous ne savez pas si c’est quelqu’un qui a besoin de beaucoup répéter, s’il attend de vous que vous lui parliez beaucoup ou, au contraire, s’il veut être laissé à luimême. Est-il bon le matin, est- il bon jusqu’aux trois premières prises ou a-t-il besoin d’au moins cinq ou six prises pour se chauffer ? Tout ça, il faut le trouver dans les deux premiers jours de travail avec l’acteur. S’il n’est là que pour un jour, il faut le découvrir dans les deux premières heures. Quand un acteur est nouveau, il faut redoubler d’attention avec lui pour l’aider à donner la meilleure performance. traite de la responsabilité politique. J’aurai un très petit budget. Il est écrit mais je ne sais pas encore dans quel pays je vais le tourner. Première n° 235 - Octobre 1996 City of Hope 1991 Un des secrets de City of Hope était de faire en sorte que chacun des nombreux personnages devait avoir avoir plus d’un lien avec les autres. Avez-vous appliqué la même recette à Lone Star ? Dans une moindre mesure, oui. Mais il faut tenir compte de la dimension supplémentaire du temps. Parfois, le lien existe avec quelqu’un qui ne vit plus dans le présent, qu’on ne voit que dans les flash-back. La plupart des personnages ont des liens avec plus d’un personnage. Une des différences, stylistiquement, c’est que nous avons essayé de rendre les transitions avec le passé aussi invisibles que possible. On n’utilise pas de fondu enchaîné. Très souvent nous faisons un panoramique, de droite à gauche, et on passe de 1996 à 1957. Je voulais ainsi faire ressentir que le passé est toujours avec nous et qu’il affecte ce que nous faisons. Votre prochain film ? Hombres Armados, que je compte tourner en Amérique latine. Ce sera une sorte de road-movie très sombre qui Lone Star 1996 Limbo 1999 R A Filmographie Return of the Seacaucus 7 1980 Lianna 1981 Baby It’s you 1982 Brother from another planet 1987 Eight men out Documents disponibles au France Articles de presse Première n°235 N C E SALLE D'ART ET D'ESSAI CLASSÉE RECHERCHE 8, RUE DE LA VALSE 42100 SAINT-ETIENNE 04.77.32.76.96 RÉPONDEUR : 04.77.32.71.71 Fax : 04.77.25.11.83 4