la prevention specialisee et la lutte contre l`insecurite
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la prevention specialisee et la lutte contre l`insecurite
LA PREVENTION SPECIALISEE ET LA LUTTE CONTRE L’INSECURITE Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme Supérieur du Travail Social 2001 - 2005 Par Charles Nécol Directeur de mémoire : Arsène Amen LA PREVENTION SPECIALISEE ET LA LUTTE CONTRE L’INSECURITE 2 INTRODUCTION __________________________________________________________ 5 PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA RECHERCHE _____________________________________________________________ 8 1 Prévention spécialisée et dispositifs de sécurité ___________________________________9 2 Coopérations et « arrangements pratiques » ____________________________________10 3 4 5 2.1 Concept de Transaction sociale _____________________________________________________11 2.2 Définition du concept de transaction sociale ___________________________________________12 2.3 Double registre de la transaction ____________________________________________________12 2.4 Problématique __________________________________________________________________13 2.5 Méthodologie ___________________________________________________________________15 Traitement spécifique de la délinquance _______________________________________17 3.1 Notion de délinquance ____________________________________________________________17 3.2 Les théories explicatives __________________________________________________________19 3.3 La déviance ____________________________________________________________________21 3.4 La jeunesse comme problème social _________________________________________________22 3.5 La délinquance juvénile ___________________________________________________________23 3.6 Les caractéristiques ______________________________________________________________25 3.7 L’interprétation par les théories du contrôle social ______________________________________26 3.8 Les incivilités ___________________________________________________________________26 Prévention spécifique _______________________________________________________29 4.1 Les premières expériences de prévention _____________________________________________29 4.2 Prévention spécialisée et politiques de prévention de la délinquance ________________________36 4.3 Les émeutes urbaines _____________________________________________________________36 4.4 Les politiques de la ville __________________________________________________________37 Les formes spécifiques de prévention __________________________________________39 5.1 La prévention ___________________________________________________________________40 5.2 Discussion autour des préventions___________________________________________________41 DEUXIEME PARTIE : 1 2 ANALYSE DU CORPUS _________________ 49 Présentation des expériences _________________________________________________50 1.1 Présentation des terrains d’expérimentation ___________________________________________51 1.2 INTERVENTION AUPRES DE JEUNES EN « MARGE » ______________________________55 Analyse du discours ________________________________________________________57 2.1 Changement dans la démarche______________________________________________________57 3 3 4 2.2 Nature des coopérations avec les partenaires___________________________________________63 2.3 Identification des problèmes _______________________________________________________69 2.4 Mode d’intervention _____________________________________________________________75 Oppositions et compromis ___________________________________________________82 3.1 Les arguments développés par les acteurs _____________________________________________83 3.2 Arguments des élus. ______________________________________________________________85 3.3 La place de la prévention __________________________________________________________89 La recherche de transactions_________________________________________________91 TROISIEME PARTIE : TRAVAIL DE RUE ET PREVENTION DES SEGREGATIONS DES GROUPES D’ADOLESCENTS ______________________ 94 1 Portée et limites des projets __________________________________________________95 2 Interprétation des conduites ________________________________________________101 3 2.1 Les phénomènes de bandes _______________________________________________________102 2.2 La ségrégation des bandes de jeunes ________________________________________________103 2.3 Le groupe bouc émissaire ________________________________________________________104 Perspectives______________________________________________________________104 3.1 Réduire la distance sociale entre certains groupes______________________________________104 3.2 La dimension de groupe__________________________________________________________106 3.3 Le travail de terrain _____________________________________________________________107 3.4 Coopérer sans entrer en guerre contre les jeunes_______________________________________108 3.5 Anonymat et échange d’informations _______________________________________________109 CONCLUSION ___________________________________________________________ 112 BIBLIOGRAPHIE ________________________________________________________ 117 4 INTRODUCTION La question de la coopération entre les éducateurs de prévention spécialisée et les différents partenaires autour du thème de l’insécurité urbaine a été soulevée à de nombreuses reprises ces dernières années. De nouveaux dispositifs sont à l’œuvre : CLS, GLTD, CISPD1 qui proposent de lutter contre la délinquance en affirmant le principe de partenariat entre le judiciaire, le social et l’éducatif. A ces dispositifs, s’ajoutent le projet de loi sur la prévention de la délinquance et le projet de loi de gouvernance locale qui affirment tous deux la volonté de doter les Maires d’un pouvoir de pilotage et de coordination accru en matière de prévention de la délinquance. Parallèlement, la majorité des Maires fait savoir, à travers l’Assemblée des Maires de France (AMF), sa volonté de disposer de moyens supplémentaires en faveur de la lutte contre l’insécurité. Dans cette optique, il est envisagé diverses évolutions : une police municipale plus efficace, voire une police nationale sous l’autorité du maire, ou encore une police municipale armée. Mais il est également proposé un transfert de compétences de la Prévention spécialisée du département aux communes. En attendant, des dispositions concrètes sont prises dans certains territoires en matière de Prévention spécialisée. Des conventions tripartites sont signées entre les équipes de prévention spécialisée, les départements et les communes. La marge d’autonomie des équipes de prévention s’amenuise donc et leurs liens de dépendance par rapport aux Maires s’accroissent. Dans ce contexte, elles sont tenues de prendre en compte, plus que par le passé, les attentes municipales, au premier rang desquelles figurent les préoccupations sécuritaires. L’éducateur est d’autant plus tenu de coopérer que depuis quelques années sa mission n’apparaît pas clairement aux partenaires. D’après Gilbert 1 CLS : Contrats Locaux de Sécurité, GLTD : Groupe Local de Traitement de la Délinquance, CISPD : Contrats Intercommunaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance. 5 Berlioz2, la période critique de la Prévention spécialisée débute après les années 80 dans le contexte des émeutes urbaines. Au cours de ces événements, la population et les acteurs institutionnels n’ont pas compris le rôle joué par les éducateurs de rue et ont constaté leur impuissance à contenir les jeunes dont ils avaient la charge. Mais l’éducateur est également tenu de coopérer dans la mesure où, constatant une baisse des subventions de l’Etat, il est obligé de compter de plus en plus sur les subventions municipales. Dans ces conditions, la question se pose de savoir comment les équipes réagissent aujourd’hui et comment font-elles face à ces attentes, tant internes qu’externes ? Sébastian Roché et Gilbert Berlioz partagent à ce propos un certain point de vue. Ils considèrent que les éducateurs de rue sont les grands absents des débats actuels sur l’insécurité ; que, réfugiés derrière leurs principes, ils sont incapables de répondre aux différentes sollicitations en faveur d’actions concrètes contre l’insécurité. C’est à cette question que ce mémoire tente d’apporter un éclairage, notamment en posant ainsi la question de départ : comment les éducateurs de Prévention spécialisée répondent aux attentes de sécurité et intègrent les préoccupations liées à ce thème dans leurs pratiques ? La première partie consistera à présenter la recherche. Elle s’attachera d’abord à présenter l’outil analytique sur lequel je m’appuierai pour rendre compte des évolutions à l’œuvre dans le champ de la prévention spécialisée quant à l’insécurité. Ensuite, elle abordera, à travers quelques éléments historiques, l’évolution de la prévention spécialisée dans le champ de la prévention de la délinquance, notamment en montrant le rôle progressivement croissant des élus locaux dans ce champ et leur emprise sur la prévention spécialisée. Enfin, cette partie tentera, en partant de la sociologie de la déviance, d’expliquer en quoi le phénomène, dit des incivilités, est central dans le sentiment d’insécurité, et en quoi il concerne la jeunesse. La seconde partie présentera les expériences sur lesquelles je me suis appuyé pour rendre compte de l’évolution des pratiques de la prévention spécialisée dans le domaine de la prévention de la délinquance. 2 Berlioz Gilbert, La prévention dans tous ses états, histoire critique des éducateurs de rue. L’Harmattan, éducateurs et préventions, 2002 6 Enfin, après avoir questionné la portée et les limites des expériences étudiées, j’envisagerai des évolutions possibles et souhaitables en réponse à la question de départ. 7 PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA RECHERCHE 8 1 Prévention spécialisée et dispositifs de sécurité Au premier abord, on est tenté de croire que les voies de la coopération ne peuvent s’envisager qu’au travers des dispositifs formels de sécurité. La Prévention spécialisée est d’ailleurs depuis de nombreuses années un partenaire assidu des CCPD3. Et dès le lancement des CLS, la PS y figurait également. Mais on ne peut pas vraiment considérer qu’il y avait là réelle coopération sur la sécurité. Les CCPD étaient en fait de simples antichambres d’enregistrement de projets pour les contrats de ville. Certes, la police et la gendarmerie étaient associées aux CCPD, mais leur intervention se limitait à un bilan général sur les évolutions de la délinquance. Au bout du compte, les CCPD n’ont pas impulsé de véritables actions dirigées vers la sécurité d’un territoire. Quant aux CLS, ils traitent un territoire large en associant autour de la table des représentants d’associations ou d’institutions qui n’ont pas de véritable ancrage au niveau local. On ne peut donc pas dire qu’il y ait eu jusqu'à présent une réelle culture de collaboration sur la sécurité. Mais d’autres dispositifs se font jour qui ont pour caractéristique de vouloir traiter efficacement la délinquance sur un territoire géographique parfaitement circonscrit à l’échelle du quartier en associant des partenaires directement en prise avec cet échelon. Deux dispositifs existent : le CISPD et le GLTD. De création plus récente, les CISPD ne permettent pas encore de pouvoir juger de leur efficacité. Mais d’emblée, le CISPD ne semble pas être aussi bien doté que son grand frère le GLTD pour lutter contre l’insécurité. En effet, le CSIPD apparaît plutôt comme l’homologue du CLS mais sur le territoire rural. Dans ce cadre, l’intervention de la PS ne semble pas poser trop de problème. Quant au GLTD, il est sous l’autorité du Procureur de la République, lequel réunit un certain nombre d’acteurs de terrain (éducation nationale, bailleur social, social et médico-social et le judiciaire) et lève, le temps de la réunion, le principe du secret professionnel. A ce titre, selon les GLTD, les EPS (Equipes de Prévention Spécialisée) sont invitées ou non, partiellement ou totalement, à venir échanger des informations nominatives, à l’exclusion de celles qui concernent les mineurs. 3 CCPD : Conseils Communaux de Prévention de la Délinquance 9 La coopération autour de la sécurité entre les EPS et les autres partenaires dans les GLTD aurait pu donc constituer l’objet d’une recherche sur la participation des EPS aux préoccupations sécuritaires. Mais il semble qu’une telle entreprise resterait vaine. Quand elles sont invitées, les EPS ne souhaitent généralement pas participer aux GLTD. Quand elles y sont invitées et qu’elles y participent, c’est généralement à une seule partie de la réunion, celle où l’on traite des généralités. Bref, les dispositifs formels de sécurité ne paraissent pas être les lieux pertinents où peut s’analyser la participation des éducateurs de prévention spécialisée à la lutte contre l’insécurité. Dès lors, il apparaît qu’effectivement la Prévention spécialisée peut sembler absente du débat sur les questions autour de la sécurité. A ce stade, il s’agit donc de repérer comment, en dehors des dispositifs formels de sécurité, les éducateurs de prévention spécialisée intègrent les préoccupations sécuritaires et comment cela transforme leurs pratiques éducatives. 2 Coopérations et « arrangements pratiques » Le concept de transaction sociale est un outil analytique qui permet de comprendre comment les différents acteurs en situation de coopération conflictuelle arrivent par ajustements successifs à élaborer des compromis. C’est à travers un tel concept qu’il apparaît opportun de tenter de comprendre comment les éducateurs de prévention parviennent à gérer l’injonction paradoxale qu’ils doivent surmonter : concilier les attentes sécuritaires provenant d’acteurs devenus incontournables et affirmer les valeurs fondamentales de la Prévention spécialisée. Il s’agit bien là de deux logiques contradictoires et opposées. Les attentes sécuritaires imposent un partenariat avec la Justice et la Police, des actions concrètes, visibles, efficaces et à court terme, tandis que la mission éducative et préventive, au sein d’un milieu, suggère une lente imprégnation dans ce milieu, une approche prudente et bienveillante des jeunes qui le composent, des actions discrètes, voire confidentielles, et sur le long terme. Là, apparaît clairement la difficulté que doivent surmonter les EPS : concilier deux logiques contradictoires. 10 L’hypothèse de recherche de ce mémoire est liée à cette question ; elle suggère que les éducateurs de prévention élaborent des arrangements successifs leur permettant de prendre en compte les aspirations de sécurité tout en ne compromettant pas leurs valeurs fondamentales. Avant de voir comment les éducateurs procèdent exactement pour élaborer ces processus, intéressons-nous plus particulièrement au concept de Transaction sociale. 2.1 Concept de Transaction sociale On doit ce concept à Jean Rémy qui l’expose dès 1978 dans un ouvrage intitulé « Produire ou Reproduire ? »2. Comme le titre l’indique, la première question posée est celle du poids des déterminants sociaux sur les individus. Le parti de Jean Rémy est de rompre avec les thèses fondées sur le principe que les structures sociales agissent sur l’individu et déterminent ses comportements. Mais Jean Rémy est également en rupture avec les thèses qui prônent que l’individu jouit d’une liberté lui permettant d’effectuer des choix rationnels, lesquels, agrégés, formeraient la société. Entre individualisme méthodologique et holisme méthodologique, le concept de transaction sociale considère, qu’effectivement, l’individu est le produit de structures sociales tout en agissant sur ses structures, les modifiant, en produisant d’autres. En cela, le concept de transaction sociale rejoint sensiblement celui de la sociologie des organisations de Michel Crozier qui articule également l’acteur et le système en accordant à l’acteur une « marge de liberté », « une rationalité limitée ». Mais la sociologie des organisations s’impose surtout quand il s’agit d’analyser des coopérations dans un cadre formel avec des règles du jeu préétablies. Or, comme on l’a vu, les relations conflictuelles à propos de la lutte contre l’insécurité qu’entretiennent les EPS vis à vis des autres acteurs n’ont pas nécessairement lieu dans le cadre de structures formelles. Il apparaît donc plus opportun d’analyser les rapports EPS - institutions en termes de transactions sociales dans la mesure où ceux-ci s’exercent quotidiennement dans le champ large de la vie quotidienne, de la vie sociale. C’est précisément l’objet du concept de transaction sociale : les arrangements, les négociations, bref les transactions de la vie quotidienne, de la vie sociale. 11 2.2 Définition du concept de transaction sociale Le concept de transaction sociale est un outil analytique permettant d’analyser les processus d’élaboration des arrangements pratiques ou « compromis pratiques » dans les situations de coopération conflictuelle. Le terme de transaction évoque généralement un acte par lequel on transige, par exemple en droit, ou en économie, un contrat dans le cadre d’un marché entre un acheteur et un vendeur. Il évoque aussi généralement l’arrangement et le compromis, ce qui laisse en suspens la question des conflits. La transaction sociale se propose en effet d’analyser comment des acteurs sortent d’un conflit par un arrangement ou un compromis. Cette proposition suggère quelque interrogation, étant donnée qu’elle peut laisser sous-entendre qu’il y a toujours un consensus possible, ou mieux encore, un juste milieu dans tout conflit. Or, ce n’est pas ce que prétend le concept de transaction sociale. Ce concept n’ignore pas l’inégalité des positions et des ressources des acteurs en lutte ni donc les inégalités dans leurs rapports de force. Mais il sous-entend qu’il existe toujours une marge de liberté suffisante aux acteurs, y compris concernant les plus subordonnés d’entre eux, pour élaborer des compromis leur permettant de trouver une solution acceptable. Plus précisément, le concept de transaction sociale suggère qu’il peut y avoir compromis et arrangements sur bien des objets mais qu’en revanche on ne transige pas sur les valeurs fondamentales. Ainsi, compromis ne veut pas dire compromission. 2.3 Double registre de la transaction Claude Dubar4 propose d’ajouter au concept de transaction sociale une double dimension. Il conçoit tout d’abord la dimension externe proposée par Jean Rémy et Alii selon laquelle une pluralité d’acteurs en situation conflictuelle cherchent à déterminer des zones d’accords. Mais il y ajoute un second élément : la dimension interne. Alors que la dimension externe est constituée des relations objectives entre les différents acteurs qui confrontent leurs valeurs, la 4 Claude Dubar, Double transaction et différenciation sexuelle : l’interprétation de deux biographies professionnelles, in Vie quotidienne et Démocratie, (Maurice Blanc, Marc Mormont, Jean Rémy et Tom Storrie, Paris, L’Harmattan, 1994 12 dimension interne et subjective concerne les doutes et remises en question propres à chaque acteur. Pour en revenir à la situation concrète des éducateurs de prévention spécialisée, on peut relever le constat évident que, comme tout un chacun, ils font partie de la société, et, de ce fait sont concernés, non plus à titre professionnel, mais en tant que citoyen, par les débats sur l’insécurité urbaine. Dès lors, ils n’ont pas le regard extérieur s’appuyant sur le recul pour analyser les faits, mais sont en situation d’usagers concernés par leur propre sécurité. Ces tensions se constatent également au sein des équipes éducatives. Des débats divisent en effet les éducateurs entre eux sur les questions sur l’insécurité. Il faut ajouter à cela que les éducateurs se trouvent aussi, dans le cadre professionnel, confrontés à de la violence. C’est particulièrement vrai depuis quelques années. En effet, l’aura des éducateurs auprès des populations est considérablement moins importante si on l’a compare à ce quelle était dans les années 70 et 80. Aujourd’hui, les éducateurs deviennent également impopulaires aux yeux de la population dont ils s’occupent. Cette impopularité, ressentie ou réelle, se concrétise par des tensions entre ces deux acteurs. Mon expérience professionnelle m’a permis de constater que la prévention spécialisée n’attire pas de nombreux candidats, précisément en raison des risques d’agressions auxquels ils sont actuellement confrontés. Concrètement, l’acteur subit des contraintes externes objectives de la part de son environnement proche, mais il subit également ses propres contraintes intérieures caractérisées par ses doutes et questionnements. Il s’agit donc d’appréhender le phénomène de transaction sociale comme un processus dynamique impliquant des contraintes à la fois externes et internes en interrelation. 2.4 Problématique Les débats sur l’insécurité occupent actuellement une place considérable. Les médias ont largement traité de ce sujet, sans toujours prendre les précautions nécessaires. Les émissions sur les quartiers dits dangereux se multiplient. Les hommes politiques se sont également emparés de ce thème dans leurs campagnes électorales, au point que ce sujet arrivait, lors des dernières élections présidentielles, en deuxième place dans les préoccupations des français, après le chômage. 13 L’état des lieux général qui est brossé tend donc à laisser penser que la société est de plus en plus violente, que la délinquance ne cesse de rajeunir et de se durcir. Et qu’il y a une nécessité impérieuse à y remédier. La problématique principale de ce mémoire repose sur l’hypothèse centrale selon laquelle les éducateurs de prévention spécialisée subissent différentes injonctions les poussant à se recentrer sur les questions de sécurité et sont ainsi amenés à transformer leurs pratiques éducatives. Il faut tout d’abord évoquer les limites concernant la portée de ce mémoire. Le postulat de départ pose que le débat sécuritaire prend progressivement une ampleur considérable et suscite des attentes particulières que les éducateurs de prévention spécialisée sont obligés de prendre en compte. Le postulat pose également que les sources de tensions sont à la fois internes et externes. Internes, parce que chaque éducateur est, en tant que citoyen, confronté aux débats sur l’insécurité. Et qu’à ce titre, il est amené à changer sa propre perception des problèmes. Externes, parce que le contexte institutionnel qui pèse sur la prévention spécialisée lui intime également de se préoccuper de façon différente des problèmes d’insécurité. On touche là à une problématique que ce mémoire ne s’est pas attaché à répondre. En effet, la posture choisie n’est pas d’ordre hypothético-déductive. Elle ne cherche pas les éléments de causalité entre un contexte particulier et une situation qui change. Autrement dit, elle ne cherche pas à vérifier les facteurs de changement dans une démarche de lien de causes à effets. Ne pas vérifier les causes qui induisent le changement n’interdit cependant pas de les évoquer très brièvement. En ce qui concernent les contraintes institutionnelles, elles ont déjà été évoquées précédemment quand il a été question de rappeler dans l’introduction l’évolution des lois sur la délinquance et celles octroyant une place centrale aux Maires dans le champ de la prévention de la délinquance. C’est également, de manière générale, la dépendance financière accrue des équipes de prévention spécialisée vis à vis de nouveaux prescripteurs plus pragmatiques, mais aussi plus regardants, tels que les communes, qui va obliger ces équipes de prévention à faire de nouveau la preuve de leur utilité sociale et professionnelle. 14 Or, comme cela a été dit, cette preuve de la compétence va largement devoir être faite dans le domaine de la lutte contre l’insécurité. Intéressons-nous à présent à l’aspect des contraintes internes. Rapidement, disons qu’un certain nombre de changements dans la perception des éducateurs quant aux problèmes de sécurité sont à noter. Il semble qu’aujourd’hui, les éducateurs sont plus que par le passé confrontés eux-mêmes à la violence des jeunes. Cela ne veut pas dire que les jeunes sont plus violents qu’auparavant mais seulement que les relations entre éducateurs et jeunes ont changé. Plus exactement ces tensions internes se perçoivent dans les problèmes de cohabitation de générations différentes au sein des professionnels de la prévention spécialisée. En effet, se côtoient en prévention spécialisée des éducateurs de générations, d’expériences et de sensibilités différentes. Les générations plus anciennes, originaires d’un passé plus militant ont entretenu avec les jeunes des rapports basés sur une certaine connivence idéologique : il s’agissait de promouvoir les populations les plus défavorisées en réduisant les inégalités de tous ordres, de différents domaines : loisirs, culture, santé, emploi, formation,… et ce, à grâce à des moyens considérables provenant de la puissance publique. La jeune génération incarne des valeurs promouvant la citoyenneté, la parentalité ou le respect de la loi qui ne rencontrent pas aussi facilement l’adhésion des principaux intéressés, et ce, dans un contexte de pénurie financière. Mais surtout, la jeune génération subit ellemême les phénomènes de violence. Moins attractive, la profession d’éducateur de prévention spécialisée attire de moins en moins de candidats. Parmi les récents embauchés, se retrouvent alors des candidats qui sont dans ce secteur moins par idéal que par nécessité. Ceux-là sont moins préparés à subir les violences inhérentes à ce métier et s’ouvrent plus volontiers aux discours sur l’insécurité et aux dispositifs de sécurité. La question posée n’est donc pas de savoir ce qui amène les éducateurs à évoluer dans leurs pratiques mais comment ceux-ci s’y prennent-ils. 2.5 Méthodologie La méthodologie retenue va consister à s’appuyer sur le concept de transaction sociale pour repérer comment les éducateurs perçoivent les enjeux liés à la problématique de la place de la prévention de la délinquance dans la prévention spécialisée. Autrement dit, il s’agit de 15 comprendre comment les équipes opèrent les transformations nécessaires en vue de se positionner par rapport à ce problème. En particulier, il s’agit de repérer ces changements à travers l’observation d’actions menées par différentes équipes. Le choix s’est porté sur des actions passées mais également en cours. En tant qu’éducateur de prévention spécialisée, j’ai souhaité m’appuyer, entre autres, sur les propres expériences menées au sein de l’association qui m’emploie. J’ai donc retenu un premier projet en cours de réalisation au sein de l’association, mais au sein duquel projet je n’interviens pas directement. Pour l’équipe qui le porte, ce projet consiste essentiellement à réintroduire dans les pratiques professionnelles de la prévention spécialisée le travail de rue. D’après elle, ce terme est actuellement galvaudé. Les équipes sont en fait le plus souvent retranchées dans leurs équipements en attendant que les jeunes y viennent. Ce projet réaffirme donc surtout la volonté de situer l’éducateur de prévention spécialisée à sa place d’éducateur de rue. Mais derrière cette affirmation il y a aussi la volonté d’une équipe de se retrouver au contact des jeunes repérés comme nuisibles à la tranquillité publique et de leur proposer des actions visant à réduire cette nuisance. A cela, j’ajouterai également mon témoignage sur des actions dans lesquelles je me suis engagé personnellement. Si s’appuyer sur son expérience personnelle et sur son environnement proche semblait un point de vue intéressant, il apparaissait néanmoins insuffisant. Aussi, a-t-il fallu enrichir ce regard par une observation sur l’extérieur. Mon choix s’est porté sur une expérience menée par une association nancéienne qui a tenté de répondre à des problèmes de nuisances occasionnés par des groupes de jeunes. Mais ces deux supports paraissaient encore insuffisants. Choisies par moi-même, ces expériences pouvaient souffrir d’un manque d’objectivité. Il a donc été décidé de demander aux personnes interviewées dans le cadre des deux premières expériences retenues si à leur connaissance il y avait un projet en Meurthe et Moselle qui s’était attaché à résoudre les problèmes de nuisances dans les espaces collectifs. C’est ainsi que le projet de l’équipe du Conseil Général basée sur le Lunévillois a été retenu. Le mode de recueil de données a consisté à obtenir le maximum de renseignements écrits et oraux sur les projets. 16 Comme on le verra par la suite, les sources écrites ont été relativement pauvres, parfois inexistantes. En ce qui concerne les entretiens oraux, il a été convenu de démarrer les entretiens sur une question simple : comment votre projet a démarré ? Pour guider l’entretien, je me suis appuyé sur une grille qui me permettait de relancer l’interviewé, ou de recentrer l’entretien quand cela paraissait nécessaire. Cette grille a été élaborée à partir des entretiens exploratoires. Un certain nombre seulement des entretiens ont été retranscrits par écrits et présentés en annexe. Je me suis servi pour analyser les entretiens d’un logiciel ayant des fonctions avancées de Dictaphone. Une fois pris par Dictaphone numérique, les entretiens ont été transférés sur le logiciel. Des fonctions permettent ensuite d’écouter confortablement et de compartimenter à volonté les séquences en fonction des questionnements choisis. Enfin, j’ai également utilisé quelques possibilités offerte par Internet pour obtenir des informations relatives aux débats actuels autour de l’insécurité. 3 Traitement spécifique de la délinquance Les débats actuels sur l’insécurité urbaine font largement et confusément état de délinquance. Cette confusion se retrouve jusque dans la profession d’éducateur de prévention spécialisée. Insuffisamment précis, le terme « prévention spécialisée » ne permet pas, en effet, la compréhension de ce métier. Aussi, il n’est pas rare que les termes de prévention spécialisée et de prévention de la délinquance se confondent. Il fallait donc, pour démarrer cette recherche, partir de la notion de délinquance afin de faire ultérieurement la part des choses entre insécurité, incivilité et délinquance. 3.1 Notion de délinquance5 La société est constituée de groupes humains qui véhiculent des valeurs, des règles et des normes. En retour, chaque individu est soumis à ces valeurs, ces règles et ces normes. Grâce à cela, la société trouve son équilibre par un processus de régulation. Ainsi, chaque type de 5 Les éléments de ce paragraphe sont issus de l’ouvrage de Jean Pierre Durand et Rober Weil, Sociologie contemporaine, Editions Vigot, 1990. 17 société sécrète et fait appliquer ses propres valeurs. Dès qu’il y a transgression d’une règle en vigueur dans une société donnée par un de ses membres, alors il peut se produire une réaction collective entraînant une sanction. Si l’étude de ces phénomènes en termes sociologiques remonte à la deuxième moitié du 19ème siècle, cette question est bien plus ancienne. Platon et Aristote tentaient déjà d’étudier les causes du crime et liaient le dénuement et le crime. Emile Durkheim propose de considérer le crime comme une chose. Il applique en cela les principes élaborés dans « Les règles de la méthode sociologique ». Pour lui, le crime est normal. Dans ce même ouvrage il dit : « Contrairement aux idées courantes, le criminel n’apparaît plus comme un être radicalement insociable, comme une sorte d’élément parasitaire, de corps étranger à la société ; c’est un agent régulier de la vie sociale »6. Considérer les faits sociaux comme des choses suppose de définir le crime en tant qu’objet. Le crime correspond donc à un certain nombre d’actes qui entraînent de la part de la société une réaction qu’on appelle la peine. Ce qui va donc intéresser la sociologie criminelle, c’est l’action qui entraîne la réaction sociale. Trois types de criminalités sont distinguées : 1. La criminalité réelle qui est constituée de toutes les infractions commises dans une société et dans un espace donné. Mesurer cette criminalité est impossible. Toute infraction n’est pas forcément connue, toute infraction ne fait pas obligatoirement l’objet d’une plainte, et toute plainte n’entraîne pas automatiquement une peine. 2. La criminalité apparente est formée par l’ensemble des infractions connues ayant débouché au niveau du judiciaire (police, justice). Elle est qualifiée d’apparente parce qu’elle ne constitue pas encore forcément un motif de jugement par les tribunaux. 3. La criminalité légale correspond en tout point à la définition du crime puisqu’elle contient tout acte légalement sanctionné. 6 « Les règles de la méthode sociologique » (Chap. III), Paris, Puf, 21ème édition, 1983 (1897) 18 3.2 Les théories explicatives7 Une des questions fondamentales que les sociologues vont se poser par rapport à la compréhension de la criminalité est de savoir quelles sont les conditions sociales qui facilitent le passage à l’acte ? a) L’anomie. Pour Durkheim, l’anomie est l’absence de loi, de règle, de norme, de régulation... En principe, la société permet à chacun de ses membres de vivre en équilibre grâce aux règles et aux valeurs. Cette harmonie dans une collectivité est atteinte si chacun vit avec des besoins en rapport avec ses moyens. Or, en tant qu’individu, l’homme n’a pas forcément de limites quant à ses besoins. Ainsi, est-il nécessaire qu’intervienne une puissance transcendante qui fixe les limites. Mais en période de crise, les valeurs de toute une société sont remises en question. Dans ce contexte le dérèglement des valeurs au niveau de la société agit sur les consciences individuelles. b) Les conflits de culture. Pour T. Sellin, plus une société se complexifie, plus elle réunit des groupes différents, aux cultures, aux valeurs et donc aux règles différentes. Ainsi, les producteurs de normes (famille, politique, religion...) qui guident l’individu, se heurtent entre eux et font apparaître des divergences. Il se peut ainsi que l’individu se trouve, à un moment donné, en position d’être face à plusieurs règles différentes appartenant à des groupes différents dont il fait partie. c) L’explication fonctionnaliste. Longtemps, les comportements de déviance ont été attachés à la notion d’anormalité. L’explication biologique, génétique a également été largement explorée par les premiers à avoir tenté d’étudier les phénomènes criminels. 7 Jean Pierre Durand et Robert Weil, Sociologie contemporaine, Editions Vigot, 1990. 19 Merton tâche de démontrer qu’un comportement déviant est, du point de vue psychologique, tout aussi normal qu’un comportement conformiste. Pour lui, l’organisation de la structure sociale est un facteur déterminant des comportements conformistes ou déviants. En particulier, il distingue deux niveaux de la structure sociale. 1. Les objectifs légitimes. Ils sont constitués de buts, d’intentions définis par la société. 2. Les moyens légitimes. Ils sont constitués des ressources disponibles pour chacun (rémunération, diplômes, héritages...) Tant qu’il n’y a pas inadéquation entre les buts et les moyens, l’équilibre de la structure sociale est maintenue. Dans la négative, et si aucun frein moral ne l’en empêche, l’individu aura tendance à recourir aux moyens illégitimes pour y parvenir. Il ajoute enfin que ceux qui y sont le plus exposés se trouvent être ceux qui sont en plus mauvaise position sociale. d) Les classes sociales. Cette inadéquation entre les buts et les moyens peut aussi être avancée pour une explication en termes de classes sociales. Il se trouve que les statistiques font largement part du fait que se retrouvent devant les tribunaux essentiellement des individus provenant de classes défavorisées. L’analyse marxiste propose que ceux qui sont poussés à transgresser les règles pour atteindre les buts proposés par la société sont ceux qui n’ont pas les moyens légitimes de le faire. Dans cette perspective, la déviance peut être analysée en termes de conflits de lutte de classe. Car c’est l’Etat qui régit la norme et définit la transgression. Or, l’Etat est l’instrument de la classe dominante. Engels parle de l’Etat comme une « expression institutionnelle de la classe dominante ». Max Weber parle de « violence légitime ». 20 3.3 La déviance La sociologie de la déviance s’inscrit dans la continuité de la sociologie criminelle et en devient son prolongement. Pour qu’il y ait déviance, il faut qu’il y ait norme. La déviance devient alors la transgression de cette norme. Par conséquent, la sociologie criminelle devient une partie de la sociologie de la déviance. Car la déviance dépasse largement le cadre de la criminalité et du pénal. Elle s’applique en fait à tout phénomène correspondant à une transgression d’une norme collectivement établie. C’est donc la société qui, par les règles qu’elle institue, créée la déviance. De ce fait, il n’y a pas de déviance en soi. Il y a déviance parce qu’il y a interaction entre une transgression d’une norme et une stigmatisation de cette transgression. Il y a donc interaction entre des individus ou des groupes. Les uns élaborent des normes, et ce par le biais « d’appareils idéologiques » et par divers agents : « entrepreneurs de morales » et « grands stigmatisateurs » dans le but de satisfaire à leurs propres intérêts. Parallèlement, les autres poursuivent également leurs propres intérêts en commettant des actes qualifiés de déviants, le stigmatisé ayant tendance à conforter, en s’y conformant, l’image qu’on lui renvoie et qu’on attend de lui. C’est qu’en fait « l’étiqueté » remplit une fonction sociale. Il assure un rôle de bouc émissaire (nous verrons plus loin ce que signifie cette notion). Ainsi, l’affirmation de l’identité des uns s’entretient dans la mise en évidence de la différence des autres. Analyser les phénomènes de déviance c’est mettre en évidence « la lutte d’influence » pour la définition des règles, des valeurs, des normes. Lutte d’influence qui oppose les tenants d’une « violence légitime » aux tenants d’une « violence illégitime ». « De fait, l’homme social n’est il pas, tout à la fois, producteurs de normes, mais aussi de différences ? »8. Pour conclure, on peut dire que l’approche de la déviance d’un point de vue interactionniste se distingue de l’approche fonctionnaliste. En effet, la déviance n’est plus considérée comme la simple transgression d’une norme car elle suppose que la déviance est également le produit d’un étiquetage de la part d’un groupe sur le déviant. 8 Jean Pierre Durand et Robert Weil, id. 21 3.4 La jeunesse comme problème social Le terme de jeunes ou de jeunesse est très largement employé de nos jours, à tel point qu’il est devenu un lieu commun. Plus généralement, la jeunesse est devenue un enjeu important des sociétés modernes, sur les plans économique et politique notamment. Mais la jeunesse apparaît également en certains cas comme un problème qui requière des politiques et dispositifs spécifiques. Ainsi, parle-t-on de délinquance juvénile, ainsi y a-t-il également un ministère de la jeunesse. Comprendre cela suppose que soit préalablement définie cette notion de la jeunesse. Le phénomène « jeunesse » est apparu pendant la période des « trente glorieuses ». Sous l’effet de l’explosion démographique et de la prospérité économique, mais aussi des nouveaux modes de vie inhérents des jeunes, une fracture entre ces derniers et le monde des adultes s’est creusée9. Ainsi, les jeunes deviennent peu à peu une préoccupation. Dans les sociétés décrites par Alain Touraine comme ayant un faible niveau « d’historicité », le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait par le biais des rites d’interaction. L’adolescence n’existait pas. Il n’y avait donc pas de phénomène jeunesse. Ensuite, du fait des besoins industriels en plein essor, de nombreux jeunes paysans viennent à proximité des villes travailler et, ce faisant, viennent accentuer encore le phénomène. Par la suite, les médias s’emparent de ce phénomène, conscients du marché économique que cette catégorie de la population représente. En 1963, il se vend plus de guitares que de voitures d’occasion10. Enfin, la généralisation de la scolarité et son obligation jusqu'à 16 ans amplifient le phénomène de l’adolescence. Le taux de scolarisation augmente considérablement : il double de 1946 à 1970. De plus, à partir des années 1950, sous l’effet du « baby-boom » également, la jeunesse constitue une nouvelle catégorie sociale11. 9 Gilbert Berlioz, La prévention dans tous ses états » L’Harmattan, 2002 10 Le Monde, 4 octobre 1999 in Berlioz, 2002 11 O. Galand, Les jeunes, La découverte, Paris, 1984 22 Mais cette démocratisation scolaire s’accompagne d’une élévation du niveau des attentes en matière de scolarité et d’emploi, si bien que beaucoup d’étudiants se demandent si leur formation leur permettra de trouver du travail. Par conséquent, le travail n’est plus une valeur positive en soi. Mais c’est le salaire, à travers ce qu’il procure, qui le devient12. Ainsi, la jeunesse remet-elle en question un certain nombre de valeurs, au premier rang desquelles : le travail. La jeunesse devient par là même une source de problèmes et de contestations. Mais plus généralement, la jeunesse est porteuse de menace pour la société dans la mesure où elle est force de changement. 3.5 La délinquance juvénile 3.5.1 Les chiffres La question des chiffres de la délinquance juvénile importe peu dans ce mémoire. Toutefois, il faut l’évoquer car bien souvent elle est mise en avant pour expliquer le sentiment d’insécurité. Les chiffres évoqués dans de nombreuses publications sont assez peu fiables pour refléter la réalité. Comme nous l’avons vu précédemment, trois formes de criminalité existe : la criminalité réelle qui est une éternelle inconnue, la criminalité apparente qui se mesure à travers les plaintes et la criminalité légale qui est constituée d’infractions ayant donné lieu à un jugement. Les chiffres en matière de délinquance ont comme particularité, par rapport au champ général des enquêtes statistiques empiriques, qu’ils émanent d’institutions judiciaires, c’est à dire que ces chiffres proviennent d’agences qui ne travaillent pas en toute indépendance, comme cela devrait être le cas dans toute recherche d’objectivité. De plus, ces chiffres varient en fonction des injonctions ministérielles de « faire du chiffre » ou au contraire de minimiser les plaintes. Certes, les statistiques constatent, comme on l’a vu, de façon subjective, des augmentations importantes de délinquance. Comme le fait remarquer Laurent Mucchielli13, les statistiques de 12 O. Galand, L’esprit de fuite in Esprit, mars 1981 23 police évoquent une augmentation de 400 % de la délinquance dans les quartiers sensibles entre 1992 et 1997. Mais, le nombre de ces quartiers sensibles est passé durant la même période de 400 à 1171. Au delà des chiffres, intéressons-nous aux grandes tendances générales concernant la délinquance dans les quartiers (on ne peut pas retenir que la délinquance juvénile, la jeunesse dépasse la frontière minorité / majorité). Depuis 40 ans, les vols et cambriolages sont en augmentation continue, autant que le développement de la société de consommation. Mais la thèse de la lutte des classes comme interprétation est relativement mise à mal dans la mesure où les classes les plus favorisées sont les moins victimes de la « redistribution violente ». Et ce, du fait de l’éloignement entre quartiers riches et pauvres et des moyens de surveillance et de protection dont disposent les classes les plus aisées. Les violences ne sont pas de plus en plus graves. « on ne tue pas plus aujourd’hui qu’il y a trente ans ». Les formes moins graves de violence augmentent, mais concernent des populations semblables entre elles, plutôt parmi les moins favorisées. Depuis la fin des années 80, les populations des quartiers défavorisés s’en prennent de plus en plus aux institutions ou à leurs représentants. La nouveauté des vingt dernières années est liée aux trafics de drogue. En ce qui concerne le lien délinquance - étranger, les thèses les plus alarmistes et les plus sécuritaires rapportent que 31% de la population carcérale est étrangère, alors que la part des étrangers en France ne représente que 7%. Il est ajouté que si l’on considère les « binationaux », c’est à dire les français d’origine étrangère, le taux en milieu carcéral passe à 60%. 13 Laurent Mucchielli, Violences et insécurité, Fantasmes et réalités dans le débat français, La Découverte et Syros, Paris, 2001, 2002. 24 Mais ce qu’il faut souligner c’est que la majorité des étrangers en prison le sont suite à une interpellation par la police des frontières (90% d’entre eux). Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, de délinquants. Pour ce qui est de la population carcérale française d’origine étrangère, aucune statistique n’en réfère dans la mesure où le critère binational n’est pas retenu. Toutefois, d’après les sources policières, les jeunes issus de l’immigration sont, à la fois, souvent arrêtés et font souvent partie de bandes. Sur le premier point, il est probable que la population issue de l’immigration soit la plus souvent interpellée. Mais si l’on considère les phénomènes des « contrôles au faciès », cela est moins étonnant. Cette population représente en effet une clientèle privilégiée de la police14. Ensuite, par effet de spirale, « la pratique ne peut que renforcer le préjugé qui la sous-tend » (Laurent Mucchielli). Cela rejoint le phénomène de déviance et de conformité à l’étiquette, expliqué plus haut. 3.6 Les caractéristiques Il s’agit de repérer deux tendances générales et fondamentales des comportements délinquants des jeunes. On peut, en effet, distinguer deux catégories de délits. Les délits dits expressifs qui regroupent les violences physiques, verbales, les dégradations de biens, regroupement dans les entrées, bagarres collectives ... il arrive que ces délits supposent un vol. Par exemple, le vol qui précède un rodéo en voiture. Mais, la plupart du temps, ces délits ne sont pas motivés par le gain. Il s’agit donc de délits sans gain à caractère expressif. C’est ce qui fait dire à Sébastian Roché qu’il s’agit de « troubles de l’ordre en public ». Quant au second type de comportements, ils sont dits acquisitifs en ce sens qu’ils visent un but précis : l’appropriation. 14 R. Lévy, Du suspect au coupable, le travail de la police judiciaire, Médecine et hygiène, Paris-Genève, 1987, p.17-37, 119-123, in Laurent Mucchielli, Violences et insécurité, Fantasmes et réalités dans le débat français, La Découverte et Syros, Paris, 2001, 2002. 25 Dans les deux cas, le degré de violence est semblable. 3.7 L’interprétation par les théories du contrôle social Les éléments qui suivent sont tirés de « Crimes et sécurité », Hugues Lagrange15. Nous avons précédemment vu les principales interprétations sociologiques (fonctionnalistes, interactionniste, par le conflit des cultures, par le conflit de classe) de la délinquance. Nous y reviendrons plus particulièrement dans ce chapitre en développant en particulier l’interprétation de la délinquance juvénile par le contrôle social. Dès la fin du XX° siècle, la délinquance est expliquée par l’affaiblissement du pouvoir coercitif des institutions. La délinquance menace l’ordre social qu’il faut défendre. La question est alors : qu’est-ce qui fait qu’on obéit ou pas à une règle (Hobbes)16. C’est la nature mauvaise de l’individu qui l’y conduit. En conséquence, il est nécessaire de le contraindre à plus de discipline. D’après Lagrange, c’est ce discours qui réapparaît à la fin des années 1990. Les causes de la délinquance sont morales. Est mis en exergue l’absence de discipline des parents, de l’école... Et cela est la conséquence d’un lien social qui s’est dissous, lequel a provoqué la crise de la famille et des valeurs fondatrices. 3.8 Les incivilités Ce qui est visé lorsque que l’on parle de politique de sécurité ou de prévention de la délinquance s’agissant de l’insécurité urbaine, exclut en fait tout phénomène relevant du domaine de la criminalité, des crimes de sang, du grand banditisme et, en règle générale, tout autre sorte de délinquance organisée de grande ampleur. Ce qui est visé est la petite délinquance quotidienne et visible. C’est sur ce type de petites délinquances que se forge aujourd’hui le sentiment d’insécurité, lequel hante médias et politiques. 15 Hugues Lagrange, Crimes et sentiments d’insécurité, Puf, 1995, Paris. 16 Cité dans : Jean-Pierre Durand et Robert Weil, , Sociologie contemporaine, Editions Vigot, 1990. 26 D’après Sébastian Roché17, le sentiment d’insécurité se nourrit des « incivilités » qui sont perpétrées dans les quartiers. L’usage du terme « incivilité » provoque de nombreuses réactions et suscite également de nombreuses définitions. Pour certains, son emploi a une connotation péjorative et discriminatoire. Pour d’autres, l’incivilité est un acte délinquant répréhensible mais qui échappe à la justice : petits actes bénins et répétitifs qui ne justifient pas, faute de moyens par exemple, d’intervention de la justice. A la notion d’incivilité s’attacherait donc celle d’impunité. Sébastien Roché définit les incivilités comme un « trouble de l’ordre en public », en ce sens que ces petites infractions se caractérisent par leur caractère ostentatoire. Il ne s’agit pas d’infractions acquisitives, mais de comportements de provocation, de défis (rodéos, insultes, etc.). Pour Hugues Lagrange, il y a une polémique depuis une décennie à propos d’ensembles de conduites de jeunes sous le vocable : « incivilités ». Il s’agit d’actes et conduites visibles dans les espaces ouverts au public perçus comme des nuisances, mais ne qui font pas l’objet de poursuites, bien que ce soient des infractions, à l’exception de quelques unes. Les incivilités désignent un ensemble de conduites et une catégorie de jeunes qu’on ne juge pas ou pas assez. Dans ce cas, ce qui est attendu, c’est le zèle du policier face à l’insuffisance des plaintes. Depuis les années 1990, en Europe, l’engouement pour la notion d’incivilité est un bon indice de la tentative d’élargissement du spectre de la délinquance réprimée, suscitée pour partie par la baisse d’efficacité des politiques publiques, mais aussi sous la pression de la panique sociale. Qu’arrive-t-il alors ? Les politiques publiques sont tentées de traiter par le pénal ce qui relève en fait de l’autorité parentale. 17 Sébastian Roché, Tolérance zéro ? incivilités et insécurité : Odile Jacob, avril 2002 27 Or, à mesure que l’on s’éloigne du cœur de la criminalité, on rencontre des phénomènes qui sont de plus en plus nettement des constructions où s'affirme fortement la part des réactions institutionnelles aux pressions de l'opinion. * * * Nous avons choisi pour démarrer ce mémoire l’approche de la délinquance. En partant de phénomènes de criminalité, nous en sommes arrivés progressivement aux questions des incivilités et du sentiment d’insécurité. En effet, ce qui fait débat actuellement et qui pose la question de la place de la PS est largement lié à ces deux thèmes. Nous avons vu que sentiments d’insécurité et incivilités sont intimement liés. Le sentiment d’insécurité se nourrit en effet de divers comportements qui ne sont pas forcement des infractions. Quand il s’agit d’infractions, elles ne font pas l’objet de plaintes auprès de la police, et quand c’est le cas, elles ne font pas l’objet de poursuites, encore moins de sanctions. A partir de l’interprétation de ces comportements en termes de déviance, nous avons vu comment s’opèrent les constructions sociales qui conduisent à étiqueter des groupes comme déviants, puis qui conduisent à la ségrégation de ces groupes. Il fallait recourir à cette présentation pour comprendre comment sont nées les premières expériences de prévention. C’est en effet à partir d’une prise en considération des phénomènes de bandes et de l’effet de ségrégation que les premières expériences ont vu le jour. 28 4 Prévention spécifique 4.1 Les premières expériences de prévention18 Après la guerre de 39-45, la société française prend conscience des difficultés d’une partie de la jeunesse, dont elle a besoin pour la reconstruction de la France. A cette époque, en effet, émerge une « flambée de bandes »19. La première initiative date de 1943, à LILLE , initiée par TIRELOY et ASSATHIANY. En 1948, se crée « la cordée de DELIGNY » (psychiatre qui veut trouver une alternative à l’éducation fermée). En 1949, à Nancy, le juge des enfants M.PUZIN et son délégué à la liberté surveillée, J.BREUVART créent également un Club. On peut dire qu’à cette époque, les formes de prévention s’inspirent et font suite aux formes d’intervention de la liberté surveillée. Les premières distinctions terminologiques se font jour en 1951. H. RICHARD distingue prévention de prévention rééducative et rééducation. J. CHAZAL parlera le premier de prévention curative. Finalement, deux formes de prévention sont retenues : la prévention générale et la prévention curative. Derrière ces distinctions terminologiques, l’enjeu est de préciser en direction de qui s’adresse l’intervention. Par prévention curative, sont en fait visés les jeunes inadaptés : ceux qui ne s’insèrent dans aucune formule éducative. C’est ce qui fait dire à P. LASCOUMES que la prévention curative a une fonction « reliquataire ». 18 Les informations contenues dans ce chapitre sont principalement tirées de : Pierre Lascoumes et Philippe Robert, Les bandes d’adolescents, une théorie de la ségrégation, Les éditions ouvrières, Paris, 1974 Gilbert Berlioz, La prévention dans tous ses états, histoire critique des éducateurs de rue, l’Harmattan, éducateurs et préventions, 2002. 19 Pierre Lascoumes et Philippe Robert, Op., cit. 29 Les initiateurs « pionniers » se partagent entre une intervention plutôt centrée sur des jeunes dits « inorganisables » ou sur des jeunes dits « inorganisés, mais organisables ». Ceux portés sur la deuxième option considèrent que les jeunes « inorganisés, mais organisables » constituent un intermédiaire entre jeunes « inorganisables » et « organisés ». Cette dernière catégorie, étant unanimement refusée par la prévention, est reléguée aux maisons de jeunes et de la culture. Les divergences posent une autre question : doit-on proposer des loisirs ou des activités aux scolaires ou aux adolescents ou bien se limiter au rôle « d’accrochage » des bandes ? Cette distinction va se résumer en termes sémantiques en deux propositions : une prévention simple et une prévention curative. Ainsi, pour certaines équipes, la prévention se situe en amont et « ne doit pas concerner des faits antérieurs »20. En cela, ils se conforment à l’acception stricte du terme prévention. Par conséquent, dans ce cas c’est aux scolaires qu’ils s’adressent et non aux adolescents ou bandes. La place du loisirs y est prépondérante. A l’inverse, ceux privilégiant les grands adolescents asociaux en bande ne considèrent le loisirs que comme un moyen. Ce débat est toujours d’actualité. Quoi qu’il en soit, ces formes d’intervention originales avaient toutes pour point commun de rompre avec les formes de prises en charge classique, dites de rééducation qui consistaient en un déconditionnement et reconditionnement. L’originalité des C.E.P. (Club et Equipe de Prévention) tient également au fait qu’une nouvelle dimension va être donnée à la notion de délinquance : celle d’inadaptation. La protection de la société contre les troubles de l’ordre public n’est plus le seul leitmotiv. Il s’agit de protéger l’enfance et la jeunesse et les prémunir contre les risques de l’inadaptation. Cette distinction majeure aura pour conséquence de ne plus considérer l’enfant ou l’adolescent comme « coupable » mais comme une « victime ». Ainsi, parle-t-on quasi indifféremment de prévention de la délinquance et de prévention de l’inadaptation. 20 Id. 30 Parallèlement, il faut rappeler le rôle de l’Etat dans les politiques de la jeunesse. Comme il a été vu, au sortir de la deuxième guerre mondiale, la France a besoin de mobiliser la jeunesse. C’est tout d’abord au Ministère de la Santé qu’incombe cette tâche. Par le décret de décembre 1945, il lui revient la charge de « coordonner l’activité des administrations publiques et des oeuvres ou entreprises privées assurant la protection des mineurs en danger moral, déficients ou délinquants et victimes de guerres ». Pour cela, le Ministère de la Santé s’appuie sur les Associations Régionales de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence (ARSRA). Les associations gèrent des écoles d’éducateurs et assurent la promotion de la technique éducative de la « réeducation » qui consiste en un double processus de réinsertion - réadaptation. Le Ministère de la Justice se charge également de promouvoir cette politique en direction de la jeunesse, principalement par l’ordonnance du 2 février 1945 qui précise la prise en charge de l’enfance délinquante21. Le Ministère de la Justice se dote donc d’un arsenal législatif lui permettant de concurrencer l’action du Ministère de la Santé. Enfin, le Ministère de l’Education nationale se dote également d’outils permettant d’oeuvrer en direction de la jeunesse inadaptée : « intensification de la scolarisation », commissions médico-pédagogiques pour l’orientation des élèves en voie d’inadaptation... Comment s’opère l’apparition des CEP dans le paysage institutionnel ? D’abord à travers la publication des premières expériences de prévention dans les publications des ARSEA. C’est aussi au travers de la participation de certaines personnalités à ces expériences, à commencer par des représentants de l’éducation surveillée. Mais c’est principalement l’émergence du phénomène des blousons noirs au cours des années 60 qui va permettre aux CEP de se structurer et de sortir de l’anonymat. Les incidents que commettent ces blousons noirs attirent sur eux l’attention des médias et par conséquent du grand public. Ce qui caractérise doublement ces blousons noirs, c’est qu’ils sont en opposition par rapport aux adultes parce qu’ils sont jeunes et qu’ils sont en opposition aux autres jeunes parce qu’issus de classes défavorisées. Leurs comportements sont caractérisés par le fait qu’ils sont « bruyants », parfois dans l’illégalité et dans l’agressivité. 21 Françoise Tétard, Sauver notre jeunesse, in politique de prévention et action sociale, annales de VAUCRESSON N° 24, 1986. 31 Cette identification va dépasser le groupe restreint des blousons noirs, et va conduire à forger une nouvelle représentation sociale de la jeunesse globale. D’après J. MONOD : « l’un après l’autre, presque tous les pays d’Europe découvrent le nouveau visage de la jeunesse : violente, immorale, désabusée ». Par le fait qu’ils ont pu accrocher avec ces bandes dans leur milieu naturel, les CEP vont occuper une place centrale dans la recherche de solutions de traitement de ces bandes. Maurice HERZOG, Haut commissaire à la jeunesse et aux sports écrira : « les clubs de quartier sont la meilleure mesure préventive pour l’élimination des blousons noirs »22. Entre 58 et 68, on constate déjà une diversité d’approches et de pratiques selon les CEP. Avant d’en faire l’inventaire, il faut préciser, qu’à cette époque, les « éducateurs de rue » sont essentiellement des travailleurs sociaux qui font appel à cette forme d’intervention quand leurs outils traditionnels ne leur permettent plus d’appréhender certains problèmes. Les « éducateurs de rue » sont aussi des militants de quartier. C’est le « Club » qui caractérise fondamentalement les CEP. Même s’ils opèrent un « accrochage » sur le milieu naturel, l’activité au sein du « club » demeure le lieu de socialisation et l’objectif de la démarche est une forme dominante mais pas exclusive. Quoi qu’il en soit, les CEP entreprennent en même temps différentes actions : anticipatives : en amont, en direction des enfants en leur évitant de se marginaliser, globalisantes : en favorisant les « interactions bénéfiques » au sein du quartier, personnalisées : par l’accompagnement individualisé de la personne, animatives : en reposant sur des activités à caractère attractif, ciblées : sur des phénomènes liés au quartier, à la qualité de vie... ambulatoires : destinées aux « inorganisés »et « inorganisables » avec pour objectif de les réinsérer. 22 Gilbert Berlioz, Op., cit. 32 De cette diversité, une certaine illisibilité de l’intervention va déjà se faire jour. Cette diversité va également pointer des manifestations de tendance opposée entre les différentes interventions éducatives23. Ce qui fait dire à V.PEYRE, que « son efficacité sociale provient de son imprécision même »24 Le IV plan correspondant à la période 1962-1965 va permettre également l’émergence des CEP, en ce sens que la solidarité y est fortement développé. Parallèlement, apparaissent les structures et équipements de loisirs et de sport. Le leitmotiv est d’occuper le temps et l’espace. Toute cette politique repose sur un Etat providence qui permet des dépenses publiques importantes. Dans les années 60, l’Etat entend étatiser progressivement le secteur privé. C’est à la faveur de la constitution de la V république (58) et d’un arsenal législatif que les CEP se verront soutenus financièrement par le Ministère des Affaires Sociales. Le 23 décembre 1958 paraît l’ordonnance sur la « Protection judiciaire de l’enfance en danger moral ». Le 7 janvier 1959 sort le décret relatif à la « protection sociale de l’enfance en danger » . C’est, enfin, la circulaire du 20 avril 1959 par laquelle le Ministère des affaires sociales soutient financièrement les CEP. Dès lors, les CEP se trouvent face à un dilemme. Par cette reconnaissance officielle et financière, ils se trouvent intégrés dans un champ institutionnel, celui là même qui constituait la critique sur laquelle était fondée leur initiative. Par le fait, les CEP vont perdre par la suite de leur autonomie de pensée : la circulaire du 3 septembre 1960 lui définit une population cible : les « éléments asociaux ou antisociaux qui vivent isolés ou en petits groupes ». Mais une marge de manoeuvre leur est laissée quant à leurs modalités d’intervention. 23 24 PEYRE, SAGAN, SELOSSE , annales de Vaucresson, 1969 Vincent Peyre, Conférence introductive aux actes des cinquièmes journées internationales, in volume 2, Délinquance de jeunes, CRIV , 1986 33 Parallèlement, le Haut Commissariat à la jeunesse sortira une circulaire le 1er juin 1960 prévoyant la constitution d’une fédération des CEP, interlocutrice de l’Etat et permettant l’assurance d’un financement régulier. En réaction aux nombreux débat sur les formes possibles de la prévention, le Ministère de la Santé prend des dispositions. Il estime que le terme de prévention est trop large pour être explicite. Et il décide de considérer que les activités des CEP correspondent à une action spécialisée, et ce, dans la mesure où cette action se destine aux éléments repérés comme asociaux ou antisociaux25. Le tournant historique et institutionnel des CEP est marqué par l’Arrêté du 4 juillet 1972. Signé par 5 ministères (Santé, Intérieur, Justice, Economie et Finances et Education Nationale) et 3 Secrétariats d’Etat (Jeunesse et sport, Education nationale et Action sociale et Réadaptation), cet arrêté marque la volonté de l’Etat de préparer une action sociale globale. Est alors institué un Conseil technique de Clubs et Equipes de Prévention (CTP). Il est constitué de personnes qualifiées en matière de prévention, et donc reconnues par les CEP. Mais à ces personnes s’ajoutent des représentants des Ministères cosignataires. Le CTP permet ainsi un contrôle plus rigoureux des CEP. Parallèlement, les DDASS occupent une place centrale dans l’action sociale et disposent du budget de l’ASE permettant le financement des CEP (M.TACHON : jeux et enjeux de la notion de travail social in lectures sociologiques du travail social). La DDASS devient l’instance compétente pour l’agrément et le financement des CEP. Mais son pouvoir ne se limite pas à l’agrément et au financement. Les DDASS vont également donner leur avis sur les modalités d’intervention des CEP. Que dit l’arrêté de 1972 ? Il est assez précis sur deux notions : celle d’inadaptation sociale et celle de partenariat avec les autres organismes sociaux. Il en découlera des pratiques différentes marquées par leur autonomie. Autonomie, notamment due à l’imprécision même des textes. 25 F. Tétard « sauver notre jeunesse » in politique de prévention et actions sociale, Annales de Vaucresson, N°24, 1986 34 L’arrêté de 1972 s’accompagne d’autres textes dont la circulaire N°26 du 17 octobre 1972. Cette circulaire précise le caractère spécifique des CEP. Notamment, elle reprend l’idée initiale que l’approche individuelle des personnes est insuffisante et qu’elle doit se compléter par une action dirigée vers le groupe, les bandes. De plus, en affirmant que les phénomènes de bandes sont constitutifs de la société, il est naturel que l’on puise au sein de cette société les forces à mobiliser pour établir l’ordre social. Ceci confirme les CEP dans leur rôle de promotion, de socialisation et de mobilisation du milieu naturel. La rupture initiale avec les autres formes d’intervention éducative va donc être confortée par cette circulaire. Cette rupture se situe à deux niveaux. Elle distingue, d’une part, la prévention spécialisée de la prévention naturelle (MJC...) par la nature de la clientèle, comme cela à été vu précédemment ; d’autre part, elle se distingue des services éducatifs traditionnels (AEMO, Justice...) par l’approche collective plutôt qu’individualisée. La décentralisation de l’action sanitaire et sociale est organisée par la loi du 22 juillet 1983. Mais c’est plus particulièrement la loi N°86-17 du 6 janvier 1986 « adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d’aide sociale et de santé » qui va transformer la compétence qui va bouleverser de la façon la plus radicale les équipes de prévention. A présent et à titre d’exemple, la Prévention Spécialisée en Meurthe et Moselle fait partie des Unités Territoriales (UAMSD : Unité administrative médico sociale départementale). A ce titre, les Clubs et équipes de prévention : participent à la réflexion collective, reçoivent des indications sur les préoccupations locales de l’ensemble des services sociaux départementaux, et présentent leurs projets dans le cadre de l’UAMSD.26 En particulier, les départements pourront créer leurs propres postes publics départementaux, ou bien confier la mission de prévention à des associations en prenant en charge le salaire des postes permanents et en octroyant une subvention de fonctionnement général. 35 Quoi qu’il en soit, le contrôle de la prévention spécialisée est organisé à un échelon de proximité qui autorise moins de marge de manoeuvre aux équipes de prévention. 4.2 Prévention spécialisée et politiques de prévention de la délinquance Puisque la jeunesse est devenue un problème social spécifique, il faut alors une politique spécifique du traitement de ce problème. Mais ces problèmes sont généraux et les traiter de façon générale ici constituerait un hors sujet. Ainsi, les paragraphes qui suivent portent en particulier sur le traitement spécifique de la délinquance juvénile. Si nombre de dispositifs emploient le terme de délinquance, c’est en fait d’une petite délinquance qu’il s’agit. Nous avons vu tout au long du développement que les infractions qui retiennent particulièrement l’attention sont en fait peu ou pas poursuivies par la justice, dans la mesure où elles ne lui remontent généralement pas. Comme nous l’avons vu également, d’autres aspects de la délinquance juvénile invitent à traiter le problème autrement que par l’angle exclusif du judiciaire. Pour cette raison, les différentes politiques vont mêler alternativement des programmes de prévention et de répression. 4.3 Les émeutes urbaines La documentation générale sur le sujet permet de dire que la préoccupation concernant la sécurité comme problème politique date des années 1980. En fait, le premier dispositif politique public date de 1978 avec la création du Comité National de Prévention de la Violence et de la Criminalité. Mais le déclencheur déterminant de la vague de politiques en direction de la délinquance, se sont les émeutes de la banlieue lyonnaise. 26 Compte rendu de la réunion du 18 février 1985 de la section Spécialisée du conseil départemental de protection de l’enfance . Mémoire de Joël JORTY, annexe N°11 36 4.4 Les politiques de la ville27 Faire l’historique des dispositifs de prévention de la délinquance suppose de l’articuler au contexte général de la Politique de la Ville. On peut situer le démarrage des politiques de la ville dès le début des années 70. Dans ces années là, on fait le bilan plutôt négatif d’une politique d’urbanisation qui commence au début des années 60. Politique d’urbanisation qui fait suite à la crise du logement, celle-là même qui fut mise au grand jour par l’Abbé Pierre en février 1954. Entre 1960 et 1970, trois français sur quatre vivent en ville et un français sur trois en banlieue. Le rythme de croissance durant cette période s’accroît au rythme de 500 000 habitants nouveaux par an. C’est donc dans les années 70 que la prise de conscience de la crise urbaine se réalise. Emergent alors, dans un contexte de choc pétrolier et de crise, les premières expériences. La première d’entre elles sera une circulaire portant le nom de circulaire « arts et tours », dont le père est le ministre de l’Equipement, Olivier Guichard. Son objectif est de stopper la prolifération des constructions massives dans les ZUP (Zones Urbaines Prioritaires). En 1977, le programme HVS (Habitat et Vie Sociale) s’attaque à la réhabilitation des grands ensembles. Hubert Dubedou, Maire de Grenoble, en dresse le bilan dans un rapport intitulé « Ensemble, refaire la vie ». Deux commissions vont véritablement installer la Politique de la Ville. La première d’entre elles est la CNDSQ (Commission Nationale pour le Développement Sociale des Quartiers). Elle a pour objectif de prévenir les dégradations physiques et sociales des quartiers. En cela, elle poursuit les objectifs des HVS. C’est Hubert Dubedou qui préside la commission. La seconde se nomme CNPD (Conseil National de Prévention de la Délinquance). Elle est dotée d’instruments départementaux et locaux : CDPD et CCPD. Le conseil est présidé par Gilbert Bonnemaison. Le fait nouveau dans ces dispositifs, et qui nous intéresse au premier plan dans ce mémoire, c’est la présence de deux Maires à la tête de ces dispositifs. C’est qu’en fait s’amorce 27 Les informations contenues dans ce chapitre proviennent particulièrement de la revue Epsos, l’Espace Social en Mouvement, Politique de la Ville, N° 74, février 2001 37 progressivement la mise en place du rôle du Maire comme acteur central des politiques de sécurité. Cela préfigure le processus de décentralisation à venir. Parallèlement, le rapport de Bertrand Schwartz permettra aux PAIO et Missions locales de voir le jour. Afin d’accentuer sa politique en faveur des villes, l’Etat en 1984 se dote d’un outil destiné à coordonner l’ensemble des actions : le CIV (Comité Interministériel pour les Villes). Au même moment, et sous cette impulsion, se signent les conventions DSQ (Développement Social des Quartiers). En 1998, les deux instances CNDSQ et CNPD sont remplacées par le CNV (Conseil National des Villes) et par le DSU (Développement Social Urbain). Enfin, est crée l’organe central de la Politique de la Ville, la DIV (Délégation Interministérielle à la Ville et au développement social urbain). Suivent alors un certain nombre de lois concernant les villes qui n’entrent pas dans le sujet de ce mémoire. On voit à travers ce bref rappel comment, petit à petit, le local devient l’échelon pertinent et central des politiques de la ville, avec à sa tête le Maire. Les dispositifs locaux sont préférés à ceux nationaux qui sont moins souples dans les normes et dans les modalités d’application. De plus, le Maire est au centre des préoccupations de ses administrés. Cette décentralisation au niveau local a pour effet de développer l’initiative des acteurs locaux. * * * Nous avons vu au cours de ce chapitre que les premières formes de prévention trouvent leurs origines à partir du problème qu’éprouve le pénal à traiter les phénomènes de délinquance générées par les groupes de jeunes. Ainsi, la prévention spécialisée a tout d’abord eu comme mission d’accrocher ces jeunes, là où ils se trouvent et de comprendre leurs comportements. 38 Nous avons vu également que les équipes de prévention bénéficiaient, tant qu’ils étaient sous la tutelle de l’Etat, d’une grande marge d’autonomie et que cette liberté d’action s’est largement restreinte dès lors que le transfert de compétences de la prévention spécialisée s’est opérée. Sous l’autorité du département, les équipes se trouvent alors en position de proximité par rapport à leur commanditaire, lequel, plus pragmatique, du fait de sa proximité avec les populations, se montre plus exigeant vis à vis des éducateurs de prévention que ne l’étaient auparavant les fonctionnaires d’Etat. Parallèlement, les éducateurs de prévention vont, lors des émeutes urbaines des années 90, subir de nombreuses pressions de la part de l’opinion publique et des institutionnels pour plus d’efficacité dans le contrôle des jeunes des quartiers. C’est dans ce contexte que se développent fortement les dispositifs de prévention de la délinquance, et qu’émerge le débat sur la place de la prévention spécialisée dans la prévention de la délinquance. En ayant dresser ce panorama, on comprend que la prévention spécialisée se trouve actuellement à un tournant. Depuis quelques années, la prévention spécialisée, sous le coup des nombreuses pressions et injonctions, cherche à définir précisément la nature de sa mission, en tenant compte, à la fois de son histoire, de ses convictions mais aussi des attentes dont elle fait l’objet. Avant de passer à l’analyse des contenus afin d’observer comment certaines équipes de prévention s’y prennent pour gérer ces contradictions, il convient de repérer quelques modèles permettant d’analyser les formes d’intervention de la prévention spécialisée. 5 Les formes spécifiques de prévention Aborder l’aspect plus particulier des pratiques professionnelles amène à circonscrire précisément le champ de la prévention. Or, c’est un exercice délicat tant les formes de prévention sont diversifiées et les définitions variées. Nous allons donc tenter de partir d’une définition générale pour arriver à une approche utile à cette recherche. 39 5.1 La prévention Là encore, les définitions varient en fonction des auteurs, car il ne s’agit bien souvent pas d’un terme générique, telle que « prévention spécialisée », qui ne souffre pas de discussion, même si diverses interprétations de sa signification concrète sont possibles. Il s’agit en fait d’un terme général dont nombres d’acteurs se réclament. Il convient donc de partir de la prévention au sens strict et général du terme pour distinguer les diverses formes possibles de prévention. Retenons la définition apportée par Renaud Fillieule28. La prévention y est vue dans son acception la plus large. Elle signifie le fait de prévenir un acte de délinquance, c’est à dire d’en éviter sa survenance. Comprise ainsi, elle se distingue par trois niveaux. 1. La dissuasion. Qui consiste à détourner les individus des actions de délinquance par la menace d’une sanction pénale. 2. La neutralisation. Qui consiste en l’emprisonnement d’un individu afin de le neutraliser, c’est à dire l’empêcher de commettre des actes délinquants, au moins pendant la durée de sa peine. 3. La réhabilitation. Qui concerne les actions destinées à aider les individus à ne plus passer à l’acte, en les changeant, en modifiant leurs comportements, en intervenant sur leur contexte environnemental. 28 Fillieule Renaud, Sociologie de la délinquance, Puf, Paris, 2001 40 Pris dans ce sens, la prévention mêle des actions à degré de coercition variable, et comprend à la fois des actes totalement répressifs et à la fois des actes absolument pas coercitifs. Cette définition correspond à un parti pris particulier, celui de considérer tout individu comme un délinquant potentiel. C’est en fait sous-tendu par la théorie du contrôle social qui considère que tout un chacun peut potentiellement passer à l’acte si les conditions sont favorables. Ainsi, dans cette optique, il est souhaitable de rechercher ce qui retient un individu de passer à l’acte afin de modifier, par le contrôle, les comportements déviants. Mais le terme de réhabilitation exprime également qu’on s’adresse à quelqu’un déjà délinquant : « la réhabilitation est l’idée que l’on peut « traiter » le délinquant pour le transformer en individu honnête et responsable »29. Il faut donc, pour retenir une approche pertinente pour le mémoire, préciser encore les formes de préventions. Les concepts de « prévention développementale » / « réhabilitation » le permettent. Ces concepts sont nés de l’idée que la réhabilitation des personnes est d’autant plus difficile que celles-ci sont d’autant plus âgées. Et ce en raison de la plus grande rigidité de caractère à mesure que l’on vieillit. Dès lors, une forme de prévention développementale est nécessaire ; elle s’adresserait aux préadolescents dits à risques sur qui on diminuerait les probabilités de survenance des actes délinquants. Ainsi, deux niveaux principaux de prévention peuvent être retenus. L’un, appelé « prévention développementale », qui concerne des situations antérieures aux actes délinquants, l’autre, la « réhabilitation », qui concerne des situations postérieures aux passages à l’acte. 5.2 Discussion autour des préventions Cette distinction avant / après se retrouve dans d’autres tentatives de définitions de la Prévention spécialisée. 29 Id., p. 254 41 Comme nous l’avons vu plus haut, parmi les pionniers, certains considèrent que l’action doit concerner les personnes avant les passages à l’acte, tandis que d’autres estiment que l’action doit viser des individus déjà en rupture - Le clivage aval / amont est toujours en vigueur dans les débats actuels. Le CTP a tenté de définir les dimensions d’intervention possibles de la prévention spécialisée, grâce à un modèle empruntant au secteur médical. Trois niveaux sont représentés : 1. La prévention primaire. Par prévention primaire il faut entendre toute action d’ordre général, concernant une population globale, dans son milieu. En particulier, la clientèle cible est constituée des enfants et de leur environnement. 2. La prévention secondaire. La prévention secondaire introduit l’élément de population à « risques ». Les actions, dans ce cas là, concernent des préadolescents et adolescents. 3. La prévention tertiaire. La prévention tertiaire s’adresse à une population dite multirécidiviste. Ce modèle présente trois typologies dont les cloisons ne sont pas étanches et qu’il faut prendre comme un repère. Par simplicité, on peut considérer que les deux premières formes de prévention : primaire et secondaire correspondent plutôt au modèle de prévention développementale, tandis que la prévention tertiaire correspond à la réhabilitation. Dans le champ des définitions, la « prévention sociale » et la « prévention situationnelle » sont également évoquées. En fonction des auteurs, la distinction entre ces deux formes de prévention diffère. Mais il est couramment admis que, par prévention sociale, on entende des actions sur un territoire global, en amont des situations, dans le but de modifier l’environnement, et que par prévention situationnelle on entende des actions en aval, sur des situations précises concernant des populations ciblées. 42 Pour Pascal Lerest, la prévention situationnelle correspond aux exigences des attentes sécuritaires. Si l’on s’en tient à la définition de Renaud Fillieule, la prévention situationnelle ne devrait pas figurer dans ce chapitre, étant donnée qu’elle est située au niveau de la « dissuasion », comme cela a été vu plus haut. En effet, la prévention situationnelle est proprement dite dissuasive. Elle repose sur le constat relevé par le Homme Office30 (Ministère de l’intérieur Britannique) selon lequel les cambrioleurs choisissent leur cible en fonction du degré moindre de difficulté pour l’atteindre. De ce constat découlent les principes et objectifs de la prévention situationnelle : • « Durcir les cibles », c’est à dire accroître l’effort à fournir par le délinquant pour obtenir son gain : par exemple, mettre des barrières ou des digicodes aux portes d’entrée. • « Augmenter le risque » pour le délinquant de se faire prendre, en augmentant par exemple les surveillances. • « Réduire les gains ». Pour commencer, on cherche à faire disparaître les gains. Exemple avec les cabines téléphoniques à carte. Ensuite, on cherche à minimiser les gains, en développant par exemple l’identification de la propriété qui permet de réduire les vols. En particulier, une des techniques, la dernière en date, consiste à instaurer des règlements intérieurs, partant du principe que l’absence de règles dans une organisation permet aux usagers par exemple d’en tirer profit. On voit que par certains aspects la prévention situationnelle (durcir les cibles, réduire les gains en instaurant des règlements intérieurs), bien que du niveau de la dissuasion, peut néanmoins concerner des approches expérimentées en prévention spécialisée. 30 Clarke R. V., Situational crime of prévention, in M. Tonry D. P. Farrington éd. Building of safer society, 1995 (Fillieule Renaud, op. cit., p. 237) 43 Gilbert Berlioz31 propose un modèle de typologie permettant de repérer concrètement les actions des éducateurs de rue. Il conçoit un modèle sur trois niveaux : 1. Le premier niveau est nommé « prévention sociale ». Il se caractérise par le fait qu’il intervient en amont des risques. Il se situe à un niveau global, général. L’échelon pertinent est le milieu, c’est à dire un territoire donnée, lieu de vie. C’est donc sur le contexte de vie que cette intervention se situe. L’objectif est de transformer les relations entre habitants et entre eux et leur environnement. Ce n’est pas la délinquance proprement dite qui est visée mais l’environnement sociale où elle s’exerce. Le principal levier de l’action est la participation d’acteurs locaux. Le principe en est la citoyenneté. Il s’agit donc de repérer les facteurs de sociabilité et de les favoriser. En ce sens, l’éducation du milieu et sa régulation sont des axes pertinents. 2. Le deuxième niveau est la « prévention éducative ». Ce mode d’intervention vise plus spécifiquement des populations ciblées, notamment les jeunes. Ceux-ci sont en prise ou exposés à des risques, dont on retiendra que parmi eux la délinquance tient une bonne place. La constitution d’une clientèle spécifique entraîne donc une action spécifique envers et avec elle. Le critère principal sur lequel doivent converger les actions est la personnalité de l’individu qui doit être modifiée. Pour ce faire, sont entrepris des activités diverses, des ateliers, des expériences de mise au travail, des voyages, etc. 3. Le dernier niveau est la prévention situationnelle que l’on a vue précédemment. Son objectif n’est pas de modifier les comportements des individus ni même d’améliorer la qualité de vie de l’environnement. Elle se cantonne à éviter les passages à l’acte. Comme on l’a vu, les leviers principaux sont la dissuasion, le durcissement des cibles, l’accroissement des efforts, la réduction des gains. Bref, la prévention situationnelle se situe au niveau des effets plutôt qu’à celui des causes. L’auteur ajoute qu’à chaque niveau de prévention correspond les aspirations des différentes compétences. 31 Article paru dans la revue LIEN SOCIAL - N°641 - 07 novembre 2002. 44 Pour lui, l’inclination naturelle de la prévention spécialisée irait vers une action plutôt centrée sur le milieu avec, par conséquent une intervention assez générale, située en amont de la délinquance. Quant aux collectivités départementales, elles pousseraient plutôt les éducateurs vers une prévention éducative dirigée vers des individus ou groupes à risques. D’après Gilbert Berlioz, les éducateurs n’y seraient pas opposés à la condition que soient respectés leur capacité propre de diagnostic et les principes de la prévention (non mandat, libre adhésion, confidentialité, non institutionnalisation). Enfin, les communes attendraient une action de type prévention situationnelle. Ces communes comprennent mal que les éducateurs ne contribuent pas plus à leurs efforts d’encadrement de la jeunesse qui échappe. Et il leur est demandé de participer à l’effort de régulation des espaces publics. Les éducateurs ressentent cela comme une « annexion » de leur mission. Ils craignent de voir leur intervention se réduire à une action unidimensionnelle axée sur les situations et non les individus. Le tableau qui suit montre en vis à vis les trois formes de prévention telles qu’elles sont présentées au dessus. Certains éléments sont ajoutés. Ils sont puisés dans les résultats d’une recherche menée par Joséfina Alvarez32. Pour elle, la « prévention dite sociale » et la « prévention dite situationnelle » ont été au cœur des débats sur la prévention au niveau international. La prévention situationnelle apparaît aux Etats-Unis à la fin des années 70, et se développe essentiellement en Angleterre, aux Pays-Bas et dans les pays Scandinaves. De son côté, la France initie, développe puis exporte le modèle de prévention sociale. Le point commun à ces deux approches est la dimension locale sur laquelle les deux modèles s’appuient. L’auteur fait remarquer, que si, dans les années 90, nombre de programmes ont combiné les deux approches, il semble que la prévention sociale ait décliné quelque peu en raison de son caractère trop généraliste. Alors que la prévention situationnelle rencontre un succès de plus en plus franc, surtout dans la mesure où, plus visible, elle a un impact plus efficace sur le sentiment d’insécurité. 32 Alvarez Joséfina, La prévention de la criminalité, panorama de la recherche en France, Association pour la recherche en politique criminelle (ARPC), Université de Montpellier I, Décembre 2001 45 Toutefois, la prévention situationnelle fait tout de même l’objet de critiques : absence de prise en compte du social, difficulté de partenariat, violation des libertés individuelle (la vidéo surveillance en est issue). Le tableau qui suit combine à la fois prévention situationnelle, sociale et éducative. Si l’on devait classer des actions, et à plus forte raison des équipes à partir de cette présentation, on ne rendrait compte d’aucune réalité. Comme on l’a vu, les programmes combinent les modèles. Les équipes en font certainement de même. Au mieux, cette modélisation vaut si on la considère comme dynamique et non statique. Les équipes sont en tension entre ces différentes approches. Pour reprendre Gilbert Berlioz33, la prévention, en position triviale au sens étymologique du terme, doit trouver une position à l’intersection de ces « trois voies ». 33 Id., 46 TABLEAU N° 1 Prévention sociale Prévention éducative Prévention situationnelle • Amont des risques • En aval • En aval • Concerne un public global • Concerne public cible • Concerne les situations Diagnostic • Diagnostic global • Diagnostic du public • Diagnostic de situation Empathie • Empathie envers la population • Empathie envers le • Empathie envers les Positionnement public cible Cible • Population globale victimes • Individus ou groupes • S’adresse aux victimes ciblés Temporalité • Long terme • Moyen terme • Court terme Engagement • Politique, militant • Stratégique • Opérationnel Démarche participative • Démarche • Démarche de Pédagogie d’accompagnement • Transformer relation • Infléchir la trajectoire. • Eviter les événements habitant/environnement • Renforcer le lien social, Objectifs la prise les facteurs l’acte. potentielles. • Modifier les de circonstances de responsabilité citoyenne • Améliorer • Eviter les passages à • Durcir des cibles • Renforcer la vie collective • Augmenter persuasion passage à l’acte. de sociabilité • Réguler un territoire déterminé. • Actions participatives • Actions incitatives • Actions dissuasives • S’appuie sur contexte de vie • S’appuie sur activités • S’appuie sur action • Action de partenariat large • Action de partenariat • Action de partenariat recentré sur la jeunesse recentré sur situation • Actions anticipatrices Modes d’actions • Va de pair avec des actions policières, • Agit en sous-traitance d’actions de police, • Obligation (souple) de moyen Evaluation • Obligation (affirmée) • Obligation de résultat de moyen 47 Encore une fois, malgré trois niveaux présentés, c’est bien de deux formes de prévention générale qu’il s’agit : l’une en amont (prévention développementale), à laquelle correspond la prévention sociale et l’autre en aval (réhabilitation) qui correspond aux préventions éducative et situationnelle. * * * Nous venons de voir le contexte général dans lequel se situe la prévention spécialisée, notamment en observant son évolution depuis sa création. Nous avons également vu les modèles théoriques permettant de catégoriser de façon statique les pratiques en prévention spécialisée. Nous pouvons à présent nous tourner sur l’observation d’actions concrètes afin d’observer comment les différentes injonctions induisent des changements dans les pratiques professionnelles des éducateurs de prévention spécialisée. 48 DEUXIEME PARTIE : ANALYSE DU CORPUS 49 1 Présentation des expériences Il faut rappeler que la problématique de ce mémoire pose la question de savoir comment les équipes de prévention spécialisée intègrent les préoccupations actuelles de sécurité. Cette question est problématique dans la mesure où les logiques sécuritaires sont à priori en contradiction avec les approches éducatives des éducateurs de rue. Les aspirations à la tranquillité incriminent et stigmatisent généralement un public particulier, celui-là même qui constitue la clientèle de la Prévention spécialisée avec lequel elle tente d’établir des relations de confiance. Ces approches, l’une discriminante et l’autre basée sur l’empathie semblent en effet contradictoires. Pourtant, la Prévention spécialisée doit compter de plus en plus sur de nouveaux partenaires, au premier rang desquels figure le Maire, pivot du partenariat en matière de prévention de la délinquance et principal demandeur de tranquillité sociale. Elle fait également face à de nombreuses sollicitations quant à sa participation à la lutte contre l’insécurité. Ainsi, la Prévention spécialisée ne peut ignorer que sa marge d’autonomie quant à sa mission se trouve de plus en plus limitée. Comment la Prévention spécialisée intègre-t-elle ces préoccupations est donc une question qui pose d’emblée un postulat. Celui qui, contrairement à ce que l’on peut affirmer, pose que la prévention spécialisée n’est pas absente du débat sur la sécurité, ni n’est une institution fermée sur elle-même, retranchée derrière ses principes. Restait à s’appuyer sur un cadre conceptuel permettant de comprendre comment les équipes de prévention font usage d’une certaine marge de liberté pour s’adapter et peser sur leur environnement. Cela suppose que les éducateurs sont des acteurs qui, tout en subissant le poids des contraintes les plus diverses, sont tout de même capables d’influencer leur environnement. Le cadre conceptuel de la Transaction sociale permet une telle compréhension. Il postule en effet que les acteurs, dans le cadre de situations conflictuelles, sont à même, par des séquences successives, de sortir du conflit par des arrangements pratiques et non par la compromission. Tel est l’enjeu de la Prévention spécialisée tel que j’ai souhaité le traiter. La 50 suite consiste donc à tenter de repérer ces divers arrangements. Pour cela, j’ai souhaité prendre pour cadre des actions concrètes entreprises par des équipes de prévention. Trois expériences ont, entre autres, été retenues, auxquelles s’ajoutent des expériences que j’ai personnellement entreprises. 1.1 Présentation des terrains d’expérimentation Tous les projets qui vont être traités sont localisés sur le département de Meurthe et Moselle. Trois institutions ont été retenues : • L’Association Vivre dans la Ville à Vandoeuvre pour son projet « LA BASE ». • L’Association Jeunes et Cité sur l’agglomération nancéienne avec plusieurs projets. • L’Equipe du Conseil Général de Meurthe et Moselle de prévention spécialisée du Lunévillois. 1.1.1 Nature des projets Les différents projets vont être présentés sous forme de fiche action. Les divers éléments permettant de les présenter ont été recueillis grâce aux écrits émanant des équipes et aux informations obtenues lors des entretiens. Les présentations qui sont faites de ces actions dans ce mémoire restituent, dans un premier temps, essentiellement les communications telles qu’elles sont faites par les équipes porteuses des projets, que ce soit sous la forme écrite ou orale. Il s’agit donc de présentations officielles de type « communication à l’externe ». Au cours des entretiens, les présentations selon les personnes diffèrent quelque peu. Lorsqu’on interroge des personnes extérieures au projet ou à l’institution, les informations sont parfois contradictoires. Dans un second temps, le travail consiste à analyser les discours au regard des questions posées précédemment. LA BASE : LOCAL D’ACCUEIL à BAS SEUIL D’EXIGENCE Le projet est à l’initiative de l’Association Vivre Dans le Ville implantée dans la ville de Vandoeuvre (Meurthe et Moselle). L’action débute en 2000 et dure deux ans. Les partenaires associés au projet sont le bailleur social l’OPAC, la mairie de Vandoeuvre et le procureur de 51 la République. Le quartier sur lequel intervient l’équipe est classé ZUP (Zone Urbaine Prioritaire). La ville compte 5300 logements sociaux sur 8000 logements. Descriptif du projet De tous les projets qui vont être présentés, LA BASE est celui qui a engendré le plus de littérature, avant, pendant et après le projet. Ce projet est explicitement présenté comme une « expérimentation ». A ce titre, il est circonscrit dans le temps. Les constats qui sont à l’origine de ce projet se fondent sur l’observation d’une vingtaine de jeunes qui se regroupent et se réfugient dans certaines entrées, se les appropriant et les squattant, occasionnant ainsi des gênes multiples et le ras le bol des habitants. Il est également noté qu’il n’y a aucune réponse proposée au besoin exprimé par les jeunes de pouvoir se rencontrer entre eux les soirs. Les jeunes sont peu connus des éducateurs de Vivre dans la Ville, même si ces derniers en ont approché certains par le biais du travail éducatif entrepris dans la rue ou encore dans le cadre de leur temps de présence à la MJC. Dans le cadre du GLTD de Vandoeuvre, l’équipe de prévention fait part de son souhait de vouloir entretenir des relations plus soutenues avec « des jeunes qui posent problème ». Est évoquée alors l’idée de créer un lieu spécifique destiné à accueillir ces jeunes, selon certaines modalités. L’idée retenue est « de partir de ce qu’ils sont » et ce qu’ils font dans les entrées et de les transposer dans un local. Il s’en suit alors une série de rencontres. Notamment, en novembre 1999, Vivre dans la Ville, l’OPAC et la Mairie échangent sur un lieu possible. Les contraintes sont les suivantes : il faut un lieu à la fois central et attractif et à la fois suffisamment éloigné des immeubles afin d’éviter les nuisances aux habitants. Un local technique au cœur du quartier, mais au pied d’immeubles va répondre à ces exigences. Le lieu doit être totalement vide. L’aménagement qui pourrait faire suite le sera à la discrétion et à l’initiative des jeunes eux-mêmes. Une convention tripartite est signée entre Vivre dans la Ville, l’OPAC et la Mairie de Vandoeuvre. Elle stipule les conditions d’ouverture. Notamment, y figure le principe de « bas seuil d’exigence » comme condition éducative. Il faut dire ici quelques mots sur cette notion. Elle signifie que le règlement intérieur du local sera basé sur le stricte minimum. Le Slogan qui définirait à peu près cette notion pourrait être : il est interdit d’interdire. Les jeunes posséderont donc armes ou stupéfiants, ou pourront consommer alcools ou drogues (En ce qui 52 concerne les stupéfiants, il s’agit surtout de consommation de cannabis). Toutefois, les éducateurs conviennent qu’il y a une limite infranchissable telles que l’agression physique ou l’impossibilité pour les éducateurs de garantir la sécurité du matériel. Ainsi, un seuil limite de tolérance est fixé au delà duquel la fermeture temporaire ou définitive du local se justifierait. Ce seuil se décline différemment selon les acteurs. Vivre dans la Ville fixe ses propres limites : trop de jeunes présents entraînerait une impossibilité de gérer le groupe. La survenance de difficultés liées à la mixité sexuelle, la survenance de difficultés liées à la consommation d’alcool ou de produits illicites, les difficultés de gestion de fermeture du local ou encore l’impossibilité de maintenir des règles minimales de sécurité, constitueraient des motifs de remise en question du projet. Pour la ville de Vandoeuvre : idem que Vivre dans la Ville, à quoi s’ajoute : « production de nuisances, objet de pétition des locataires : bruits, salissures, provocations, etc. » Pour L’OPAC : idem que la ville de Vandoeuvre, à quoi s’ajoute : « dégradation du bâti mis à disposition ou des sites environnants ». Les modalités de départ concernant les horaires et conditions d’ouverture précisent que le local sera mis à disposition des jeunes les jeudi et vendredi de 20 heures à minuit et les samedis de 20 heures à 2 heures du matin. L’ouverture du local est conditionnée à la présence des éducateurs. Toutefois, les jeunes possèdent les clés avec interdiction de s’en servir sans les éducateurs. INTERVENTION AUPRES DE JEUNES DANS LES ENTREES D’IMMEUBLE L’Association Jeunes et Cité, à travers l’équipe implantée sur le quartier de Champ le Boeuf à Maxéville (Meurthe et Moselle). Le quartier est classé en ZUS (Zone Urbaine Sensible) et ZRU (Zone de Re dynamisation Urbaine). Le quartier compte 1700 logements dont 2/3 en logements sociaux. L’action comporte deux volets principaux. Le premier volet n’est pas un projet à proprement parler. Il s’agit d’une méthodologie d’intervention que l’équipe souhaite développer. Cette méthodologie n’a rien d’original en soi, puisqu’il s’agit de travail de rue et que la majorité des clubs de prévention prétendent s’appuyer sur cette pratique. Mais pour l’équipe, l’évolution 53 de son intervention se situe dans l’intensité de la pratique du travail de rue. En effet, l’équipe souhaite systématiser cet outil de travail en planifiant des horaires quotidiens précis. Puis, il y a un second volet qui correspond à un projet concret, puisqu’il s’agit, suite aux rencontres faites avec les jeunes, de réaliser pour eux un abri jeune. L’action, démarrée en janvier 2004 est en cours encore actuellement. Les partenaires sont l’OPAC et la ville de Maxéville (en ce qui concerne le projet abri jeunes) Parmi toutes les actions sur lesquelles je vais m’appuyer, cette dernière est la plus récente. Démarré en janvier 2004, ce projet n’a pas encore fait l’objet d’écrits. A l’heure où je rédige, les bilans ne sont pas encore écrits. Par conséquent, la présentation de l’action que j’en fais s’appuie sur les différents discours des cinq éducateurs interviewés Mais, les réponses divergent quelque peu selon les éducateurs. Aussi la description qui va suivre sera une tentative de synthèse du recueil des données. Il ne m’a été pas permis de dater exactement le début de la réflexion qui a conduit l’équipe à aller rencontrer des jeunes repérés dans la rue et dans les entrées de façon systématique. Mais on peut considérer que l’action coïncide avec l’arrivée de l’hiver 2003. A cette époque, l’équipe constate un certain nombre de faits : de nombreuses nouvelles familles arrivent sur le quartier, un phénomène de paupérisation du quartier se produit et enfin des jeunes de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes sont en errance, notamment les soirs et ce, dans la rue et dans certaines entrées. Parallèlement, des sollicitations, tant de la part de la population que de la part de la municipalité, parviennent aux éducateurs. En particulier, le Maire sollicite un entretien avec l’équipe pour leur faire part de ses préoccupations quant aux problèmes de délinquance et de nuisances qu’il observe et qui lui remontent. Deux arguments essentiels apparaissent dans les discours : 1. L’arrivée de nouveaux publics nécessite une nouvelle appropriation du quartier, de la rue, des entrées par les éducateurs dans le but de conquérir ce public. 2. Le durcissement des problèmes engendrés par certains jeunes a suggéré à l’équipe de réinvestir plus systématiquement le travail de rue en soirée, en particulier dans les entrées, 54 lieu où se manifestent le plus significativement les phénomènes de nuisance et de confrontation adultes / jeunes. Le déroulement de l’action se concrétise de la manière suivante : les éducateurs, par équipe de deux, arpentent deux fois par semaine les rues du quartier, en accentuant leur présence sur quelques entrées sensibles. Une fois par semaine, le vendredi, la présence sociale, laquelle fait partie du travail de rue, se fait au sein de leur local durant la soirée. Les horaires de présence varient en fonction des rencontres qu’ils font au cours de leur démarche ou de leur accueil au local. Leur méthode consiste à se faire introduire au sein des différents groupes en s’appuyant sur un noyau de jeunes qu’ils connaissent. 1.2 INTERVENTION AUPRES DE JEUNES EN « MARGE » Des trois projets, le dernier présenté est le seul qui m’était inconnu. Il m’a été présenté par les personnes interviewées précédemment. Je leur avais demandé si à leur connaissance il existait des actions menées auprès de bandes de jeunes ayant « posé des problèmes », dans le cadre ou non d’un dispositif de sécurité. Le projet a consisté à rentrer en contact avec un groupe de jeunes ayant commis un certain nombres d’actes délictueux et de monter avec eux une série d’actions. Ce projet a été porté par deux éducatrices que j’ai rencontrées et avec lesquelles j’ai totalisé 5 heures d’entretiens (dont 2 heures retranscrites). Ces éducatrices dépendent du Service de Prévention Spécialisée du Conseil Général de Meurthe et Moselle. Leur service couvre le Territoire d’Actions Médico Social n°5 qui correspond au Lunévillois. Le projet a démarré en septembre 2002 et trouve encore actuellement des prolongements sous forme de projets. Les partenaires ayant participé au projet sont regroupés au sein de la Communauté de Communes de la Vezouze. Plus particulièrement, le projet a été piloté par le Groupe Prévention de la Communauté de Communes. En septembre 2002, un élu chargé de mission de la Communauté de Communes signale au Service de prévention qu’un groupe d’adolescents pose des problèmes de nuisances sur la commune de Blamont. Il s’agit d’actes de pré-délinquance, voire de délinquance, allant de « l’incivilité » à la détérioration de biens matériels. En particulier, ce sont des incidents avec tirs au fusil qui ont marqué les esprits. « Donc ça c’est important pour resituer un peu sur Blamont ce qui s’est, ce qui s’est passé. Donc sur Blamont, on est interpellés au mois de 55 septembre de l’année dernière par un élu, par le chargé de mission de la Communauté de Communes sur un groupe de jeunes qui ont posé des actes forts de prédélinquance, délinquance pour certains, puisqu’il s’agissait de... bon... ils ont tiré au fusil sur... pas sur des personnes mais sur des biens... ». Parmi ces jeunes, certains fréquentent la Maison des Jeunes. Mais les bénévoles locaux signalent qu’ils rencontrent avec eux des difficultés d’encadrement. Par contre, d’autres jeunes ne fréquentent pas les structures d’animation et échappent aux adultes. Il est dit de ces jeunes qu’ils sont en souffrance et en proie aux risques de délinquance et de toxicomanie. Au cours d’une réunion, un élu représentant la commune de Blamont évoque les multiples actes délictueux commis et précise que la commune a communiqué les faits à la gendarmerie, à la suite de quoi jeunes et parents ont été convoqués. La commune prétend donc assumer son rôle en initiant la voie de la « répression préventive ». Toutefois, elle cherche à comprendre les événements et s’en remet aux éducateurs de rue pour imaginer une solution en termes de prévention éducative. Jusqu'à présent, l’équipe éducative refusait d’intervenir suite à des sollicitations ou plainte concernant des actes de délinquance ou d’incivilité. L’équipe estimait qu’elle n’avait pas pour fonction d’être des « pompiers sociaux » ou des « pompiers de service ». A ce sujet, l’équipe était en conflit avec de nombreuses communes. Mais dans le cas présent, les éducateurs du service ont tout de même répondu aux appels. Ne connaissant pas ces jeunes et n’ayant d’autres descriptions que celles précisant les lieux où se regroupent ces jeunes, les éducateurs se sont contentés, dans un premier temps, d’arpenter ces lieux. Les premières tentatives ont été infructueuses. Les jeunes les fuyaient. 56 2 Analyse du discours Cette partie est consacrée à repérer, dans le discours des éducateurs interviewés, les éléments susceptibles d’accorder du crédit à l’hypothèse selon laquelle les équipes de prévention opèrent des transactions sociales à travers les projets qui sont décrits plus haut, et se positionnent en tant qu’acteurs compétents face aux problèmes liés à l’insécurité. 2.1 Changement dans la démarche L’intérêt de cette question est de montrer, dans chaque situation, les éléments significatifs et déclenchants qui ont présidé aux projets. Il s’agit de montrer que ces projets marquent effectivement une rupture par rapport aux modalités d’intervention antérieures des équipes. En particulier, il s’agit de mettre l’accent sur la préoccupation des éducateurs par rapport aux problèmes de l’insécurité. 2.1.1 Expérience du Lunévillois Sur la question des conditions ayant favorisé le projet, les deux éducateurs du Lunévillois sont quelque peu en désaccord. Mais les deux donnent néanmoins les éléments de rupture que porte leur projet. « Jusqu’alors on disait que lorsque les élus nous interpellaient par rapport à des jeunes qui commettaient des actes violence, d’incivilité, etc., jusqu’alors on essayait de travailler avec eux sur quelle intervention ils donnaient eux ! de leur part, mais en aucun cas on travaillerait spécifiquement avec des jeunes nominativement repérés comme étant des prédélinquants ou des délinquants, d’accord ?... » L’expression « jusqu’alors » marquant une rupture possible, je lui demande ce que cela veut dire exactement. « Ce qui déclenche c’est le fait qu’on a en face de nous : pas qu’un élu, un conseiller municipal, puisqu’on a... on était... enfin, il y avait le maire plus trois adjoints qui, qui nous semblaient ne pas vouloir se dédouaner de leurs responsabilités en tant qu’élus pour travailler avec les jeunes et leurs familles sur, et bien, une amélioration de la sécurité de..., voilà, qui étaient prêts à les rencontrer qui étaient prêts à rencontrer les familles, qui étaient prêts à réfléchir avec les jeunes et avec leurs familles sur qu’est-ce que, bon, comment ils pouvaient améliorer la sécurité au sein d’une, de la commune. Alors que souvent ce qu’on nous demande à nous éducateurs de prévention, c’est qu’on aille rencontrer les jeunes pour 57 assurer la sécurité au sein de la commune. Là il nous semblait que c’était des élus qui étaient prêts à s’engager la dedans.... ». « C’est ça qui a changé, qui change un peu dans la commande je dirais on a commande, la commande publique pour qu’on intervienne c’est un peu un rapport de confiance qui s’établit quasiment d’emblée avec, avec les élus sur où est le rôle du politique, et d’une municipalité et puis de la gendarmerie, enfin tout ce qui, et puis où pourrait se situer le rôle d’une équipe de prévention dans le rapport enfin dans le contact avec les jeunes et qu’on n’attende pas de nous qu’on règle les problèmes de délinquance quoi. » « C’est ce qui était fait auparavant. Pas forcément sur cette commune mais sur les autres communes sur lesquelles on intervient, ce qui est souvent de l’ordre de la commande qu’on nous fait. Sur d’autres territoires, on nous fait la commande d’aller rencontrer les jeunes qui gravitent autour d’un foyer pour, pour faire en sorte que ces jeunes, soit aillent ailleurs, soit arrêtent leurs nuisances pour dire les choses de façon un peu basique comme ça ». « Sur l’aspect de la commande et puis de la collabo... de la coopération, on pouvait envisager nous une coopération possible ». « On pouvait l’envisager, alors que jusqu’alors on n’arrivait pas à l’envisager, c’est ça qui a changé. C’est à dire que la commande reste grosso modo la même quand même, on a affaire à des jeunes qui posent des actes de délinquance, et on ne sait pas comment réagir, aidez-nous. Voilà ça, ça reste la même chose mais ce qui a changé c’est qu’on sentait, on a, on a ouais, on a sentit une équipe prête à se mobiliser et à pas demander à ce que l’équipe de prévention fasse leur boulot quoi. Ça c’est vraiment du ressenti, on l’a vérifié après mais à l’origine, qu’est-ce qui fait que ça a changé au niveau de... c’est parce que, enfin, on pouvait... bon les élus, enfin, ont pu dire : voilà quelle est notre responsabilité sur ce que les jeunes commettent sur notre territoire : un certain nombre d’actes délictueux. Et une mairie qui avait un vrai souci, d’interroger l’axe répressif pour essayer d’imaginer quelle pouvait être leur fonction aussi dans la prévention et dans un travail d’avantage en lien avec les jeunes et leurs familles, donc c’est ainsi que les choses se sont modifiées ». Ou encore : « ... alors que sur Blamont, cet événement a donné lieu à des rencontres entre des élus, enfin entre le maire et les parents, avec les enfants, etc. et avec une réflexion en plus avec les jeunes là », « ... et ils s’engagent eux, ils ne nous envoient pas au charbon... » Pour l’autre éducatrice, la rupture ne se traduit pas de la même manière. Pour elle, la démarche de prévention doit toujours correspondre à un même principe, celui de favoriser l’émergence d’une démarche participative dans la prise en compte des besoins et des solutions aux problèmes de la jeunesse. « Projet jeunesse ça veut dire projet construit avec les gens, les 58 habitants, les associations, les élus... je vais faire en sorte d’aider les gens parce qu’on est que des techniciens : aider les gens, les associations, les élus, les parents... à se préoccuper de l’avenir des jeunes sur leur territoire ». Cette dimension de « technicien » est omniprésente dans son discours. A de nombreuses reprises elle apparaît : « on a pu se faire repérer comme des gens susceptibles d’aller voir les jeunes en difficultés, de faire des choses avec et de faire remonter ces besoins et de faire le lien un petit peu entre adultes et jeunes ». « ... pour permettre de mouiller le tissu local aussi dans les actions jeunesse ». Pour cette éducatrice, la rupture se situe donc au niveau de la démarche : « Parce que jusque là on essaie de faire avancer les idées de prévention, on a mis en place des conférences, on a aidé à mettre en place, on a participé, mais maintenant c’est vrai qu’il faut aussi qu’on travaille avec les jeunes parce que là il y a une demande de prévention ». Chez les deux éducatrices leur discours fait apparaître les éléments de changement. Pour l’une, ce qui change c’est que l’équipe intervient sur des problèmes de délinquance suite à une interpellation, alors qu’auparavant il n’en était pas question. Pour elle, ce qui justifie ce changement c’est que les demandeurs ne font pas appel à des « pompiers de service » mais à des éducateurs de prévention aptes à proposer des solutions éducatives aux problèmes de délinquance. Pour l’autre éducatrice, le changement concerne le mode d’intervention qui se situait auparavant à un niveau d’expertise, de conseil, de médiation ou de développement. A présent elle considère qu’il faut travailler directement auprès des jeunes. Ces changements correspondent à la double demande faite actuellement à la prévention spécialisée d’être plus auprès des jeunes les plus en marge et de tenir plus compte du sentiment d’insécurité ressenti par les populations. 2.1.2 Expérience à Maxéville Pour cette équipe, l’action consiste surtout à renouer avec les « fondamentaux » de la prévention spécialisée, au premier rang desquels figure le travail de rue. Il s’agit de restaurer une pratique que l’équipe avait quelque peu délaissée et qui l’avait déroutée des jeunes les plus en marge. « là on commence à refaire du travail de rue... il y a eu un travail de rue qui a été mené, mais à partir de 2000 le travail de rue n’a pas été fait... » « Il n’a pas été fait convenablement, il n’y avait plus la présence dans la rue. Il y avait la présence dans les 59 locaux, il y avait de la présence dans les salles, mais on était pas présents dans la rue » « Et on a remarqué que depuis qu’on a repris réellement , je dis bien réellement , et pas en faisant semblant de faire du travail dans la rue... » « effectivement, on redescend dans la rue... » « Sauf qu’effectivement il y avait une certaine catégorie de jeunes là qui ne venait plus et le fait qu’on soit redescendus dans la rue pour... » Un autre éducateur : « C’est vrai que si on n’avait pas tout de suite saisi le moment d’urgence et si on était pas retourné dans la rue , ces jeunes là ils ne seraient pas venus en chantier... » « le travail de rue c’est aussi reprendre le contact... » Ces discours montrent que la nécessité de refaire du travail de rue, de redescendre dans la rue, etc. est motivée par une remise en question de leur propre pratique. Les extraits qui suivent évoquent deux éléments essentiels : accrocher à nouveau un public perdu de vue et intervenir avec plus de cohérence. « Il faut aussi que ce qu’on propose soit en cohérence avec les besoins d’un quartier... » « En prévention spécialisée on a tendance à faire les choses spontanément, au ressenti. Jusqu'à présent c’est des choses qu’on fait, on fait du lien social permanent sans en faire une théorie extérieure bien repérable. Ce qu’on fait c’est assez informel. On fait toujours de la médiation entre des parents des enfants, des jeunes, des groupes, tu vois. Il se trouve que dans la période, on est dans une période où nous mêmes, la prévention spécialisée on doit communiquer pour faire comprendre ce que l’on fait et réexpliquer en permanence. Parce que même les élus avant ils se contentaient, ils ne savaient pas très bien ce qu’on faisait, ils s’en contentaient. » « Maintenant les élus ont besoin qu’on dise clairement de façon à ce qu’ils puissent l’afficher clairement à leurs concitoyens... » « il faudrait déjà qu’on soit en cohérence avec les besoins du quartier... » « c’est sur la base de ce double constat que l’équipe a décidé de re-visiter ou de refaire un peu plus, de manière plus systématique du travail de rue, c’est-à-dire sur la base d’un constat critique qui est venu de l’extérieur mais aussi sur la base du constat qu’ils faisaient eux-mêmes sur la nécessité d’accrocher à nouveau le public » « c’est parce qu’on s’est coupés d’une partie du public pour lequel on est mandatés ». Mais c’est aussi un changement dans le contexte sociologique du quartier qui d’après eux légitime leur retour plus systématique dans la rue : « ... on s’est rendu compte que ce quartier est un quartier qui est en évolution. Il y a des déplacements de population qui sont en train de s’opérer, c’est que c’était un des quartiers les moins sensibles de l’agglomération nancéienne, mais on se rend compte que depuis un certain temps, lié aussi au déplacement 60 des populations des quartiers autour, que les choses sont en train de changer progressivement. Le nouveau public qui arrive sur ce quartier là... effectivement, il y a des phénomènes qu’on voit apparaître. Ils existaient avant mais pas aussi flagrants que maintenant. Et c’est vrai qu’on se rend compte qu’avant des squats existaient, des squats d’entrées traditionnels et là on se rend compte que le phénomène est en train de s’accentuer. C’est à dire qu’on est plus sur le quartier du haut, on se rend compte que le squat dans les entrées c’est plus seulement dans deux ou trois entrées mais sur plusieurs. » IL y a également dans le discours d’un des éducateurs un signe possible de changement : « En prévention spécialisée on a tendance à faire les choses spontanément, au ressenti, jusqu'à présent c’est des choses qu’on fait, on fait du lien social permanent sans en faire une théorie extérieure bien repérable » Il y a ici, à la fois les indicateurs d’une remise en question : « sans en faire une théorie extérieure bien repérable », et à la fois les indicateurs de la rupture : « jusqu'à présent (...) » Là aussi, les changements correspondent à l’attente exprimée à l’égard de la prévention spécialisée de clarifier sa mission auprès des jeunes les plus en marge et de l’expliciter. L’idée de faire une « théorie extérieure bien repérable » indique le souci de l’équipe de faire la preuve de son utilité et de sa compétence éducative. Et ce, de telle sorte que cela soit visible de l’extérieure. 2.1.3 LA BASE La question de découvrir les éléments de changement dans les pratiques se pose moins pour cette action dans la mesure où elle est présentée, y compris officiellement, comme une expérimentation, même si, parmi les éducateurs, certains préfèrent parler de tentative ou d’essai. Cependant, certains changements sont tout de même notoires. Par exemple l’équipe a été représentée au GLTD par son directeur, ce qui n’est pas un fait évident ni courant pour la prévention spécialisée. On en prend d’autant plus conscience quand on constate que certains GLTD refusent la présence de la prévention spécialisée considérant que cela la mettrait dans une situation délicate vis à vis des jeunes dont elle s’occupe. Jacques Donzelot et Anne 61 Wyvekens34 soulignent également à ce sujet que la présence de la prévention spécialisée est à éviter afin de ne pas lui faire courir de risques. On peut donc considérer que la démarche volontaire de cette équipe constitue une évolution déterminante que la municipalité a d’ailleurs appréciée. Une autre évolution est notable, comme en témoigne cet extrait d’un éducateur : « Bon, les attroupements dans les entrées ne dataient pas de ce moment là, c’est un fait et il n’y en avait pas que dans ces entrées là ou dans ce quartier là, c’est un élément. Il y a quand même eu à ce moment là, et pas qu’à Vandoeuvre, la question des entrées est devenue quelque chose de chaud... ». Cet extrait montre que ce qui est nouveau ce ne sont pas les regroupements dans les entrées, mais le fait que « la question des entrées (soit) devenue quelque chose de chaud ». Il n’est donc pas fait référence au fait que la situation dans les entrées soit devenue plus difficile qu’avant. Mais seulement que c’est la question des entrées qui est devenue un problème. Et d’après les entretiens, cette question est devenue celle des éducateurs qui l’ont prise en compte à ce moment là et pas avant. Et ce en raison du fait que ces éducateurs ont perçu de nombreuses sollicitations de la part de la municipalité, des partenaires et des habitants pour qu’ils interviennent sur cette question. Pour conclure sur cette question, on peut dire que les trois expériences ont effectivement opéré un changement dans leurs approches éducatives. On peut remarquer à travers ces trois projets des similitudes : toutes ces actions permettent aux équipes de renouer ou de rencontrer une catégorie de jeunes. En particulier, c’est le cas pour l’expérience de LA BASE et de Champ-le-Bœuf qui vont à la rencontre d’un public qu’ils ne touchaient pas, voire qu’ils n’osaient pas approcher, par exemple dans les entrées : « ... mon collègue et moi, éducateurs hommes, il y a des moments où on aurait pas osé ( les 34 Jacques Donzelot et Anne Wyvekens, La politique judiciaire de la ville : de la « prévention » au « traitement », les groupes locaux de traitement de la délinquance, CEPS, Centre d’Etude des Politiques Sociales, Mission de Recherche « Droit et justice », Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, décembre 1998. 62 rencontrer). Il faut ajouter que dans les trois cas, il s’agit de viser, directement ou indirectement, des jeunes repérés comme nuisibles ou posant problèmes. En ce qui concerne l’action du Lunévillois, le changement se situe surtout sur le mode d’approche des jeunes. Auparavant, leur intervention consistait surtout en la mise en relation des jeunes et des partenaires ou se cantonnait à accompagner, conseiller ces partenaires. Dans ce projet, il y a une volonté de mener une action directement auprès des jeunes. Cette partie a tenté de mettre en lumière les aspects du changement que contenaient ces différents projets, il convient à présent de montrer les conditions de ces changements. 2.2 Nature des coopérations avec les partenaires Bien que la prévention spécialisée soit une compétence du Conseil Général qui est son principal financeur, les partenariats établis et relatés par les éducateurs interviewés concernent quasi exclusivement les municipalités qui apparaissent comme les principaux interlocuteurs des équipes et aussi celles qui expriment le plus de sollicitations par rapport aux nuisances causées par les jeunes. 2.2.1 L’équipe de Maxéville L’équipe de Maxéville est celle qui évoque le plus explicitement les conflits relationnels qu’elle entretient avec la mairie. Pour autant, ces conflits qui engendrent sollicitations et pressions ne sont pas, d’après l’équipe, ce qui a motivé l’action entreprise de travail de rue et dans les entrées. Pour l’équipe, le point de départ du projet c’est quelques constats particulier : « on s’est rendu compte que ce quartier est un quartier qui est en évolution. Il y a des déplacements de population qui sont en train de s’opérer ; c’est que c’était un des quartiers les moins sensibles de l’agglomération nancéienne, mais on se rend compte depuis un certain temps, lié aussi au déplacement des populations des quartiers autour, que les choses sont en train de changer progressivement. Le nouveau public qui arrive sur ce quartier là... effectivement, il y a des phénomènes qu’on voit apparaître. Ils existaient avant mais pas de façon aussi flagrante que maintenant... ». Pour un autre éducateur, l’autre raison, qui est liée à la précédente, c’est que l’arrivée d’un nouveau public sur le quartier justifie des efforts supplémentaires pour aller à leur rencontre. Par ailleurs, il souligne que l’équipe constatait, indépendamment de l’arrivée du nouveau 63 public, une baisse de fréquentation de sa clientèle traditionnelle. Retourner dans la rue permettait d’aller de nouveau à sa rencontre. Ainsi, les choses sont présentées de telle sorte que l’initiative de l’action revient à l’équipe. Pourtant, la suite des discours évoque les pressions et les critiques sur leur mode d’intervention antérieure : « ... on s’est fait critiquer et c’est là à mon avis le point de départ effectif, objectif de notre positionnement sur le travail de rue. On a été assez vertement critiqués, notamment par la municipalité de Maxéville, directement, qui nous interpellait directement et aussi indirectement par le biais du conseil d’administration de Jeunes et Cité qui faisait le constat suivant : à savoir que les jeunes, les jeunes qui étaient livrés à euxmêmes, n’étaient pas un certain nombre de jeunes en bande sur certains secteurs du quartier qui étaient bien repérés par d’autres intervenants mais n’étaient pas touchés par l’équipe ». Un autre éducateur : «... l’imaginaire, enfin, l’imaginaire oui, les attentes implicites voire explicites des élus c’est une prévention spécialisée qui ne viserait exclusivement ou principalement que le seul public de délinquants et dans un souci de ramener, de participer à la paix, à la paix sociale. » «... qui attendent de la prévention spécialisée que les éducateurs soient dans la rue, soient dans la rue près des jeunes dans les lieux publics, les squats, les entrées d’immeuble, etc. » « ... il nous a clairement dit (le maire) qu’il ne comprenait pas pourquoi les éducateurs n’étaient pas suffisamment, n’étaient pas dans les entrées d’immeubles alors que être dans les entrées d’immeuble c’était devenu un délit avec les nouvelles normes ou les nouvelles lois depuis que Sarkosy les a mis en place et que le rôle des éducateurs ça devait être aussi d’être dans les entrées pour expliquer que d’être dans les entrées c’était un délit ». « ... la mairie est dans un fonctionnement avec nous et il ne faut pas se leurrer, c’est à dire qu’elle veut nous faire des injonctions, c’est à dire très concrètement elle nous dit il y a un problème de délinquance sur ce secteur, donc là on aimerait bien vous voir intervenir... ». « ...c’est clair, il y a une chose qu’on a remarquée c’est que la mairie paye. Donc si elle paye elle veut voir des résultats. Elle le dit elle-même, je mets tant d’argent sur la table, je souhaite avoir des résultats. L’introduction qu’a eu le maire la dernière fois en réunion c’est de dire : je souhaiterais qu’on travaille sur du pourcentage de baisse de délinquance ». En règle générale, les éducateurs interviewés de cette équipe font part de sollicitations concrètes de la part des élus locaux en faveur de résultats concrets de baisse de délinquance, 64 de résolution de problèmes dans les entrées et, plus généralement, de toute nuisance provoquée par les jeunes. De son côté, l’élu interviewé corrobore le sentiment des éducateurs. Il rappelle tout d’abord qu’un double subventionnement lie Jeunes et Cité et la commune : une subvention dans le cadre des Contrats de Ville, mais aussi une subvention contractuelle sur une mission de prévention spécialisée. Or, la constatation de la part des élus de l’augmentation des nuisances a eu pour conséquence de s’interroger sur les « modalités d’intervention de Jeunes et Cité ». Pour l’élu, une intervention répressive est nécessaire, mais préalablement un dialogue doit s’engager avec les jeunes concernés. Et c’est à Jeunes et Cité que revient la mission de ce dialogue. Devant l’inefficacité de l’intervention, la mairie a décidé de signer une convention avec Jeunes et Cité censée préciser plus concrètement les modalités d’intervention. De plus, un des extraits d’un entretien est assez révélateur. L’éducateur parle d’une anecdote : « Et je me souviens d’un exemple. Une fois, il y avait un problème d’entrée, une nuisance antérieure, il y a cinq, six ans. Il y avait un groupe de jeunes qui dérangeait sur une entrée, et sans qu’on nous le demande on a essayé de discuter avec eux... » Préciser « sans qu’on nous le demande » permet de penser que ce n’est pas toujours le cas. 2.2.2 LA BASE Pour l’équipe de Vandoeuvre, cette action entre dans le cadre de coopérations entreprises avec les partenaires présents au GLTD. C’est en particulier un groupe précis qui pose problème : « Donc, fin 99, au cours d’un GLTD auquel assistait notre directeur, il a été question d’un groupe de jeunes particulièrement stigmatisés, donc, qui mettait fortement la pression dans une ou deux entrées du quartier... ». « ... effectivement, on faisait le constat qu’il y avait sur un des quartiers un groupe de jeunes, jeunes et jeunes adultes, avec lesquels, à priori, à peu près personne n’arrivait à nouer des relations relativement longues. Des jeunes qui se mettaient en position d’exclusion et qui étaient sérieusement repérés comme fauteur de troubles... » Il est également dit que de nombreux habitants de ces entrées et du quartier se plaignaient aux éducateurs des nuisances. Ici la démarche est différente. L’association de prévention semble être à l’initiative. Elle propose aux différents partenaires un projet expérimental auquel ces derniers adhèrent. 65 Pourtant, en suivant le discours des éducateurs on ne comprend pas pourquoi le projet arrive en ce moment. La question des nuisances dans les entrées est récurrente, et les plaintes ne datent pas d’aujourd’hui. Au cours de l’entretien je lui pose la question : (interviewer : « ... pourquoi cette action est arrivée à ce moment là ? je te pose cette question car je pense que le regroupement dans les entrées ne datait pas de ce moment là. J’ai l’impression que ça à toujours été. Qu’est-ce qui aurait déclenché... » (interviewé : Bon les attroupements dans les entrées ne dataient pas de ce moment là c’est un fait et il n’y en avait pas que dans ces entrées là ou dans ce quartier là, c’est un élément. Il y a quand même eu à ce moment là, et pas qu’à Vandoeuvre, la question des entrées est devenue vraiment quelque chose de chaud. Deuxième élément, je pense, que la question de trafic et de consommation de produits stupéfiants est également devenue très très prégnante. Troisième explication, ça a été une période, je pense, ce n’était pas non plus la première fois, c’est quelque chose de récurrent, qui revient avec une certaine périodicité, ça a été aussi une période où il y a eu, à la fois une demande sociale et une pression politique fortes pour que la prévention spécialisée fasse preuve de son utilité, particulièrement par rapport à ces problématiques là, par rapport à ce public là, à savoir de jeunes adultes inactifs et inscrits dans la consommation, le trafic, la violence, un peu à un moment où si on n’ arrivait pas à faire ça, c’est qu’on servait à rien et qu’on était vraiment... ce n’était plus la peine de continuer à donner des subventions publiques à des structures comme les nôtres... » Un autre éducateur fait approximativement la même analyse, mais en termes de reconnaissance sociale que l’équipe recherchait à travers ce type d’action. Malgré le contexte et la pression qui s’exerce sur l’équipe, celle-ci entend rester maître de l’initiative des projets. Les éducateurs décrivent LA BASE comme une initiative personnelle en réponse à un certain nombres de constats faits de leur part. Mais l’équipe a tendance à minimiser les conflits avec la mairie et les moyens de pression de cette dernière. Un entretien avec le chef de projet, employé par la mairie, apporte quelques précisions sur la nature de leur relation. Le chef de projet rappelle tout d’abord que, bien que l’association se réclame indépendante, y compris financièrement, elle touche néanmoins 15 000 euros par an de subvention. Par ailleurs, devant le manque de transparence des actions, la mairie va conditionner l’attribution de la subvention à la signature d’une convention. Enfin, il faut aussi souligner qu’il est arrivé que la municipalité refuse de subventionner certaines actions. Par exemple, c’est le cas d’une action que devait mener l’équipe auprès d’une école 66 maternelle du quartier. La mairie a considérée que le public n’était pas du ressort de l’équipe de prévention. 2.2.3 L’équipe du Lunévillois Bien que service public de prévention spécialisée dépendant directement du Conseil Général, cette équipe, à quelques exceptions près, évoque surtout les liens de partenariat avec les communes. En particulier, elle traite avec des communautés de communes, dont celle de la Vezouze. Si l’équipe n’évoque pas de relations conflictuelles en particulier, son discours laisse transparaître des éléments de rapports conflictuels. Sur une simple question consistant à lui demander comment l’opération avait démarré, la première éducatrice va préciser le mode relationnel que l’équipe entretient avec les partenaires : « On travaille avec quelques conditions aussi. Je dirais, on participe aux instances de réflexions et on avance toujours en disant : voilà on mettra en place des choses avec vous si vous êtes partants, si vous mettez des moyens. Mais pas question que... parce que nous on n’est pas d’ici et on ne sera là que ponctuellement ». « On a été sollicités pour participer à des projets avec le collège. Alors, moi je n’étais pas d’accord pour... avec les délégués de classe du collège... Donc, je ne suis pas rentrée dans ce projet là parce qui il y avait des animateurs et qu’il n’y avait pas besoin d’éducateurs pour faire de l’animation. Je pense que là c’est très différent (elle évoque le projet pour laquelle je l’interviewe). « dans ce groupe là (communauté de commune : groupe prévention) on a abordé la définition de ce qu’on entendait par prévention parce que c’est pas parce que ça s’appelle prévention que c’est notre propriété quoi, c’est un travail collectif, on va ensemble donc, donc voilà ». « moi j’y allais et je ramais toujours dans le même sens et j’essayais d’aller voir les gens un petit peu en leur expliquant comment on travaille et j’ai fait un petit peu un travail de sensibilisation à ce niveau là quoi, au sein de ce groupe ». Puis, plus tard dans l’entretien la question suivante lui est posée : « D’accord, il y a un aspect qui m’intéresse plus particulièrement au vu de ce que tu me dis. Il s’agit des coopérations que vous avez établies dans le cadre de ce groupe parce que j’imagine qu’étant donné que, comme tu le dis à un moment, il y a des dégradations et puis des difficultés et des interrogations, il doit y avoir des points de vue différents sur les problèmes de la jeunesse et puis sur les manières de les traiter. Est-ce que tu peux me dire comment tout ça s’est organisé ? Réponse : « moi je crois que j’essaie d’être au plus clair. Quand on parle de 67 jeunes qui ont des difficultés on dit on veut bien être payés, mais nous on ne bradera pas notre mandat, on ne bradera pas la prévention » Les réponses qui sont faites par cette éducatrice semblent sur le mode de la défensive et peuvent suggérer, bien qu’elle ne l’évoque pas, des relations conflictuelles. D’autres réponses vont dans ce sens : « ... et donc dans le groupe prévention on va se ressaisir de ça pour dire que c’est vrai que dans un premier temps ça serait bien que le Maire rencontre ces jeunes et puis les fasse réparer ce qu’ils ont fait, rencontre les parents pour les mettre en face de leurs responsabilités, et voilà. Et ça c’est aussi de la prévention mais c’est pas de notre ressort, chacun son boulot quoi, chacun son boulot » La seconde éducatrice est plus explicite sur les modes relationnels que l’équipe entretient avec les partenaires. Tout d’abord elle précise bien que s’agissant de ce projet c’est un élu qui les interpelle par rapport à un problème de jeunes qui commettent des nuisances. Ensuite, elle avance que les Maires les sollicitent régulièrement « pour qu’on règle les problèmes de délinquance » « on nous fait la commande d’aller rencontrer les jeunes qui gravitent autour d’un foyer pour faire en sorte que ces jeunes aillent ailleurs ou arrêtent leurs nuisances pour dire les choses de façon un peu basique comme ça ». _______________________ Sans être entré dans le détail des coopérations ni des conflits, on voit qu’il existe une tension entre les équipes et leur environnement. En particulier, ce sont les municipalités qui sont avancées par les éducateurs comme interlocutrices privilégiées. Ces différents acteurs que sont les équipes et les municipalités coopèrent effectivement. Dans le cas des associations privées (Jeunes et Cité et Vivre dans la Ville) leur lien avec les mairies sont essentiellement financiers. Il n’en est pas de même pour l’équipe du Conseil Général qui est de ce point de vue plus indépendante. Toutefois, pour l’organisation d’actions concrètes, elle a besoin de financement supplémentaire que leur octroient notamment les communes. Pour les trois expériences, les quelques extraits des entretiens expriment bien la volonté des éducateurs de rappeler leur part importante dans l’initiative des projets. Rien ne permet d’ailleurs de les contredire. Toutefois, il ne faut pas négliger la pression sociale qui s’exerce sur eux et que l’on retrouve dans chacun des discours. En ce qui concerne les associations, elles vivent un contexte particulier où elles vont devoir signer des conventions tripartites 68 (association, municipalité, département) où les objectifs seront plus explicites et les résultats plus tangibles. De plus, même si cela n’a pas été abordé dans les entretiens, le climat actuel est tendu entre les associations et les Maires du fait de la parution des avant-projets de loi sur la délinquance et les éventuels nouveaux pouvoirs du Maire en matière de coordination de la prévention de la délinquance. On peut donc aisément faire l’hypothèse que les équipes de prévention se trouvent dans une position instable et insécurisante qui les pousse à trouver des solutions leur permettant d’acquérir une nouvelle légitimité et utilité au sein de leur environnement. Il reste à présent à montrer comment les questions de sécurité entrent en jeu dans leurs projets. 2.3 Identification des problèmes Il va être ici question de repérer dans les interviews comment les éducateurs identifient les problèmes et définissent le public sur lequel portera l’action. Cela permettra de comprendre ce qui justifie à leurs yeux l’action entreprise et de prendre la mesure des préoccupations de sécurité ou de lutte contre la délinquance dans leurs projets 2.3.1 L’Equipe de Maxéville Pour cette équipe, le travail de rue est justifié par la nécessité de rencontrer de nouveaux publics mais aussi de renouer avec un public perdu de vue. C’est ainsi que le projet est présenté. Mais l’équipe ne se contente pas de rencontrer le public, elle intervient auprès d’eux pour tenter de solutionner les problèmes qui sont occasionnés du fait de leur présence. Le soir, elle encourage les plus jeunes à rentrer chez eux, en intervenant le cas échéant auprès des parents pour les convaincre de ne pas laisser leurs enfants trop tard dehors. Aux plus grands, elle propose la construction d’un abri afin qu’ils se regroupent ailleurs que dans les entrées. Ce qui va nous intéresser à présent c’est la manière dont l’équipe perçoit le phénomène de regroupements de jeunes dans les espaces collectifs : « C’est un gros problème, et quand ça ne va pas, les habitants appellent la mairie dix fois, vingt fois et en plus ça s’envenime, les jeunes insultent les familles qui... et ça peut devenir très violent (...) » « il y a des pôles de quelques jeunes, alors, en général, on va trouver des jeunes qui sont là pour squatter, pour fumer des pétards, point à la ligne » « (...) c’est vrai que ça pose problème. A tel point que 69 les habitants se plaignent. Les secteurs touchés par une trentaine de jeunes ça pose des problèmes de nuisance, c’est un truc de fous. On arrive à des nuisances très fortes, de petites violences qui montent, des petits trafics. Après, il y a une logique où les habitants qui ne peuvent pas dormir, derrière là, dans cet immeuble là, les habitants répondaient, et on arrive à des points de non retour. » «( ...) dans le sens où quand on arrive dans des problèmes d’entrée, on a l’impression qu’on arrive dans leur territoire, parce qu’ils se sont appropriés un territoire qui ne leur appartient pas » La question des trafics est également évoqué : « Il y avait aussi par rapport aux problèmes de nuisances dans ce groupe là quelques jeunes d’un autre quartier qui venaient là faire du trafic de bagnoles, du trafic de shit. La Police est intervenue plusieurs fois sur ces problèmes de délinquance avec des interpellations de jeunes qui venaient faire du trafic avec bagnoles qui arrivaient à toute allure dans l’entrée » A travers l’extrait suivant on peut voire que l’appréhension professionnelle peut laisser place à une perception personnelle du problème au point que ce n’est plus l’éducateur qui analyse mais une personne qui se met à la place d’un habitant : « Ecoute, alors moi je vais te parler en tant que personne. Je sors de la fonction d’éducateur. Moi je serais habitant, je travaille le lendemain à six heures du matin, je te jure je craque. Je peux comprendre que les gens ne supportent pas. On arrive même... les habitants peuvent comprendre un certain nombre de choses, moi je pourrais comprendre un certain nombre de choses parce que les jeunes s’emmerdent. Chez eux c’est pas le top. Ils sont mieux à squatter avec des copains, etc. sauf que quand tu discutes avec eux de ça, ils le prennent mal et on en arrive toujours à des rapports de force, et ils sont en nombre, et ça se passe toujours mal. Moi je suis citoyen, je vis dans un immeuble, etc. Je pense qu’au bout d’un moment, je pense que je les... je pense que je péterais une durite. Après, si je reprends sur la fonction d’éducateur, effectivement... mais ça c’est des choses qui sont dites de manière récurrente, ça fait dix sept ans que je suis dans le social, ça fait dix sept ans que j’entends ça : il manque des lieux où les jeunes peuvent se retrouver... » Il ne donne pas de point de vue professionnel sur la question, mais se met dans une situation d’empathie par rapport aux habitants victimes, sans aucunement analyser le problème. En se mettant à la place des habitants, cet éducateur corrobore une des hypothèses de ce mémoire selon laquelle les éducateurs intègrent les questions liées à la sécurité comme tout un chacun, en tant que personne civile. 70 De même que l’équipe du Lunévillois, celle de Maxéville analyse la venue de nouvelles familles sur le quartier comme une source de problèmes : « On le voit très bien, il y a des petits jeunes du Haut du Lièvre qui viennent là bidouiller, trafiquer, il y a toute une culture d’appropriation sur les quartiers extérieurs par le biais de familles nouvelles qui sont arrivées ou de jeunes qui sont arrivés au collège et qui...On le sait ça des jeunes qui viennent trafiquer. Donc ça peut faire basculer un quartier sur une autre culture » Il y a enfin un autre problème identifié à propos de la responsabilité parentale : « ... certains jeunes sont en errance, on les voit dans la relation père / mère / enfant c’est parfois bloqué, il n’y a plus de communication. On le voit qu’il n’y a plus communication. Qu’il n’y a pas de cadre, de repère, et ils ont l’habitude, dès petit... Combien de fois quand on se ballade dans la rue le soir, la nuit, combien de fois on voit des gamins de huit, neuf ans. Tu te dis : mais attends, c’est de la responsabilité de qui ça ? c’est bien de la responsabilité des parents ça » Ce thème est très présent dans cette équipe. De nombreuses références y sont faites parmi tous les éducateurs rencontrés. D’ailleurs, l’équipe mène depuis plusieurs années une action qui s’est d’abord appelée autorité parentale et qui s’intitule aujourd’hui projet sur la parentalité. 2.3.2 LA BASE L’équipe propose une identification du problème relativement simple : extrait d’une note d’opportunité : « Puisque des jeunes de Vand’Est se regroupent, se réfugient dans certaines entrées, se les approprient sous forme de squats et occasionnent des gênes multiples (bruits, dégradations) provoquant un ras le bol des habitants » ; « Puisqu’il n’y a aucune réponse en équipement à ce besoin exprimé par le comportement de ces jeunes quant à se retrouver entre eux le soir » ; « Puisque notre mission d’éducateur est de travailler à la prévention de la marginalisation sur ce secteur » ; « Puisque les locaux techniques de l’OPAC, au cœur de ce quartier sont voués à la démolition ou au changement d’affectation », « Nous proposons d’expérimenter une forme d’accueil à bas seuil d’exigence dans les locaux sus nommés » 71 Ce texte montre que le constat premier est la gêne occasionnée aux habitants par les jeunes. Un éducateur ajoutera pour résumer que leur discours auprès des jeunes consistait en substance à leur dire : faites ce que vous voulez (alcool, drogue, bruits) mais sans gêner les habitants. Un éducateur donne une interprétation des confrontations entre jeunes et habitants : « C’était à un moment où on parlait beaucoup des chiens, des jeunes qui avaient des chiens comme des pittbulls des rotwaller et c’est vrai que dans cette entrée, qui était dans un immeuble de 8 ou 9 étages, ils restaient une dizaine de familles logées verticalement dans cette entrée et les jeunes mettaient la pression, renvoyaient l’image que publiquement on donnait d’eux. dans la presse, on parlait de groupes de jeunes avec des chiens, qui faisaient peur aux habitants, et eux notre groupe de jeunes adultes garçons renvoyait l’image… Ils voyaient quand les gens rentraient chez eux, ils baissaient les yeux, les gens craignaient le passage dans l’entrée au milieu de ce groupe de jeunes et ce groupe de jeunes en jouait. Ils voyaient qu’ils étaient craints et on voyaient pertinemment qu’ils jouent de ce fait. Et donc la situation était vraiment… Il y avait des gens qui le vivait très très très mal, qui n’osaient plus, après une journée de travail, rentrer à la maison en sachant que tous les soirs, tous les soirs, l’entrée de leur immeuble ou le devant de l’entrée serait occupé par une dizaine, une quinzaine de jeunes hommes, car c’était uniquement masculin et comme je le disais au départ, les seuls contacts qu'ils avaient avec les adultes étaient des rapports conflictuels avec des services de Police qui plus que régulièrement venaient faire des contrôles d’identité de manière plus ou moins musclé mais qui ne géraient absolument pas le problème, qui persistait ». Cette interprétation rejoint l’hypothèse du stigmate et de l’étiquetage qui postule que le déviant (étiqueté, stigmatisé) conforte l’image qu’on a de lui en s’y conformant. Les habitants s’attendent à voir des jeunes agressifs, alors les jeunes s’y conforment en étant agressifs. Le même éducateur ajoute plus loin : « J’ai vraiment l’impression que c’était des gens qui lisaient la presse, qui lisaient que dans les banlieues il y avaient des jeunes qui avaient des chiens qui faisaient peur et donc ils jouaient leur rôle qu’on leur donnait dans la presse. Donc les jeunes dans les cités à Paris ils ont des chiens, ils ont des rottwallers et on dit que les hommes politiques parlent de nous de nos droits et bien nous on va montrer qu’il n’y a pas qu’à Paris les Vand’est aussi, on peut faire la même chose, on peut faire peur sans que à notre connaissance, il y ait eu aucune agression. C’est juste en terme de statures. Il n’y a pas eu de dérapage, personne n’a dit : il y aurait pu y avoir un voisin qui, trouvant insupportable la présence quotidienne de groupes , il y aurait pu y avoir des réactions incontrôlées. C’était juste en termes de 72 stature, de posture, mais qui fonctionnait » Il insiste par là sur la théâtralité du comportement des jeunes. Ils se conforment à l’image qu’on attend d’eux, ils agissent par mimétisme par rapport aux parisiens dont les médias parlent beaucoup, ils veulent montrer qu’ils sont capables. Mais, cela en reste là. Il n’y a pas (à la connaissance de l’éducateur) de passage à l’acte, de violence physique... Toutefois, ce même éducateur ajoute plus loin que lui-même et un autre éducateur homme n’auraient pas osé, à certains moments, pénétrer dans l’entrée où étaient ces jeunes, évoquant des peurs « plus ou moins objectives, plus ou moins subjectives ». Ce qui vient peut-être nuancer l’aspect uniquement théâtrale du comportement des jeunes développé plus haut. 2.3.3 L’équipe du Lunévillois Les deux éducatrices interviewées ont des avis divergeants sur ce point. Pour la première, le problème de départ c’est la difficulté qu’éprouve une équipe de bénévoles d’un foyer avec des jeunes. Cette équipe se serait adressée au service de prévention pour les informer que certains jeunes ne « ...vont pas bien, qui, d’ici quelques années, vont vraiment poser des problèmes » Pour l’éducatrice, l’objectif du service est de repérer les jeunes en marge et en difficulté : « j’essayais de savoir s’il y avait des jeunes qui étaient en marge... », des jeunes « en marge », « des jeunes qui vont pas bien ». Les jeunes ciblés sont « des jeunes qui tournaient autour des foyers, qui étaient dehors... » Mais par la suite, en se faisant échos des propos d’un Maire, elle parle également de jeunes qui dégradent, font des bêtises, qui zonent ou qui tournent. Elle fait également allusion à des jeunes filles qui ne vont pas bien, et aussi aux parents qui ne donnent pas de cadre, tout en résumant régulièrement la problématique des jeunes à celle de public en marge. La seconde éducatrice est plus précise. Pour elle, le service intervient à partir d’un point d’ancrage : « un point d’ancrage, ça peut être quoi ? ça peut être une réflexion, une réflexion qui est menée sur des jeunes en marge, des jeunes en difficulté, des jeunes qui posent des actes d’incivilité, etc., ça peut être un événement qui concerne des jeunes... » A propos des incivilités : « incivilités c’est des injures, crachats... sur des personnes pour le coup... ». D’après elle, le service est intervenu suite à l’interpellation d’un élu à propos « d’un groupe de jeunes qui ont posé des actes forts de prédélinquance, délinquance pour certains, puisqu’il s’agissait de... bon, ils ont tiré au fusil sur... pas sur des personnes mais sur des biens, bon ils 73 ont manifesté comme ça, bon, à la fois des actes de délinquance mais aussi c’est des actes qu’on pourrait nommer d’incivilité plutôt. Certains ont été entendus par la gendarmerie avec leurs parents. Elle évoque également un contexte particulier lié au milieu rural du fait de la venue de nouvelles populations issues des quartiers de l’agglomération nancéienne. Je lui demande ce que ces familles ont de caractéristique et quels problèmes cela pose, mais elle reste très floue. Toutefois, elle explique que la commune en question « est très ouverte » et de ce fait elle accueille « des grandes familles ». Plus loin dans l’entretien, toujours à propos des nouvelles populations, elle parlera d’un des enfants de ces familles qui s’appelle Karim (« dont le frère est dealer et qui lui deal aussi un peu aux alentours du collège). Elle évoquera également le fait que dans ces communes il y a eu aux dernières élections un fort taux de vote pour l’extrême droite. Enfin, toujours sur le même sujet, elle relatera une situation « mais tu verrais comme cette famille est aujourd’hui intégrée, acceptée, les jeunes qui disent enfin... on préparait une sandwicherie et ce sont les jeunes qui ont proposé qu’on ne mange pas de porc... donc voilà... » On voit là qu’une des données problématiques du contexte actuel dans le milieu rural est pour elle l’arrivée de nouvelles populations issues de l’immigration. Elle fait également allusion au fait que les nouvelles problématiques attachées à ces nouvelles populations sont liées au trafic de drogue. Dans l’extrait qui suit, elle ne parle pas en son propre nom mais rapporte ce qu’elle a entendu. Toutefois elle marquera son accord partiel avec les propos : « mais ça on le retrouve très très fréquemment dans le rural, c’est, je te le disais tout à l’heure, ils ont des vraies politiques d’intégration des nouvelles populations ; la contrepartie c’est qu’ils sont persuadés que les problèmes qui apparaissent viennent de ces nouvelles populations. Alors pour partie ils n’ont pas totalement tort. Là il y a une famille par exemple, deux familles même, qui sont venues de Vandoeuvre et qui... et dont les fils aînés sont complètement engagés dans des réseaux, trafics, etc. dont les plus jeunes se font dérober des frères aînés, enfin tu vois, donc. Alors, ça veut pas dire que le problème de drogue vient uniquement d’eux, ça serait trop facile mais, pour eux, l’ouverture du village a comme conséquence le fait d’attirer des populations avec tous les travers que ça peut représenter... » Par la suite, elle confirmera ce qui est avancé en précisant qu’auparavant la particularité du rural, concernant les jeunes, était liée à la consommation d’alcool, tandis qu’à présent il s’agit également de consommation de drogue : « (la nouvelle population) ne diffère pas totalement de, d’une autre qui est installée sur Blamont depuis bon...et qui présente un échec scolaire 74 hyper important, il y a des problèmes d’alcoolisme parce que c’est ça aussi : la nouvelle population arrive avec la drogue, les anciennes populations il y a un problème d’alcoolisme sur ce territoire faramineux... » On voit là comment est identifié un des problèmes : des nouvelles populations de familles nombreuses (maghrébines) arrivent des quartiers pauvres des grandes villes en apportant et en trafiquant de la drogue. On peut tirer de ces quelques extraits quelques points dominants et communs entre eux. Pour les trois équipes, le problème des nuisances causées par les jeunes aux habitants leur est commun. Exception faite d’une des éducatrices du service du Lunévillois qui ne fait que très peu allusion aux nuisances causées. En revanche, il y a unanimité sur le constat de l’absence de propositions faites aux jeunes. Ceci expliquerait en partie l’errance et les comportements des jeunes. Et un des éducateurs fait allusion au processus d’étiquetage et d’interaction entre l’image attendue par les uns et la conformité à cette image par les autres. Enfin, l’arrivée de nouvelles populations avec de nouveaux problèmes est un constat fait communément par l’équipe de Maxéville et du Lunévillois. Globalement, on voit que les préoccupations par rapport à la sécurité des habitants sont présentes à l’esprit des éducateurs. Dans leur discours, ce n’est certes pas cette question qui motive directement leurs projets, néanmoins, le retentissement de leurs projets sur la tranquillité des habitants semble indéniable. Rien n’interdit donc de penser que l’objectif principal est la tranquillité des habitants, objectif au regard duquel tous les autres sont accessoires, c’est à dire secondaires. Afin de continuer à vérifier cette hypothèse le prochain point s’intéressera aux modes d’intervention à l’œuvre des éducateurs dans les projets en question. 2.4 Mode d’intervention 2.4.1 L’équipe de Maxéville On peut considérer que l’intervention de cette équipe comporte deux volets. Premièrement, l’équipe décide de restaurer le travail de rue. Non pas qu’elle ne le faisait pas auparavant, 75 mais le travail de rue tel qu’il était réalisé manquait de rigueur, de visibilité, tant pour le public que pour les commanditaires. L’équipe décide donc de systématiser le travail de rue et de lui donner un contenu formel (horaires, jours précis, détermination d’équipes tournantes, etc.). Elle s’attache également à approcher des jeunes en particulier posant problème dans certaines entrées. Deuxièmement, elle entreprend des actions concrètes auprès du public, en s’adressant aux jeunes eux-mêmes, mais également en interpellant les parents de ces jeunes. Au cours du travail de rue, qui a lieu en soirée, car c’est à ce moment que les jeunes errent, l’équipe poursuit plusieurs objectifs. Elle tente de raccrocher ces jeunes à ses activités traditionnelles : animation, chantier, démarche d’insertion sociale et professionnelle. Mais elle profite également du travail de rue pour se rendre disponible vis à vis des jeunes, en pariant que sa présence régulière deviendra familière pour les jeunes, et que par conséquent cela les incitera à se rapprocher des éducateurs, à se confier et à les solliciter pour des problèmes de fond. Mais au cours de ce travail de rue, les éducateurs tentent également de dissuader les jeunes d’incommoder les habitants, en rappelant la loi sur le regroupement dans les entrées, sur l’usage de stupéfiants, sur les nuisances... Bref, c’est ce que l’équipe appelle le rappel à la loi. Pour les plus jeunes, l’équipe s’adresse aux parents, dont elle estime qu’ils sont responsables des comportements de leurs enfants, pour les sensibiliser aux risques qu’encourent leurs enfants à rester tard le soir sur le quartier. Par risques, les éducateurs entendent les problèmes liés aux fréquentations que peuvent avoir les enfants et les conséquences de celles-ci : drogue, délinquance, trafics, etc. Par ailleurs, l’équipe met en œuvre des actions spécifiques. En partenariat avec la mairie, elle a sollicité des jeunes posant problème et qui se regroupaient dans une entrée pour les amener à construire un « abri ». Ils n’ont pas le recul suffisant pour analyser l’action puisque l’abri n’a été achevé qu’au printemps dernier, et il se trouve qu’à cette période les jeunes ne se regroupent plus dans les entrées mais en différents endroits à l’extérieur. « et c’est vrai que tout le travail qu’on a mené avec la mairie, a fait que progressivement on a fait sortir ce groupe de jeune. On les a fait sortir pour les amener à construire un abri qui s’appelle... qui est censé être un abri pour les jeunes... » 76 En ce qui concerne les méthodes d’approches, les éducateurs s’appuient sur leurs connaissances pour approcher d’autres jeunes. Ils n’oseraient pas pénétrer dans les entrées s’ils ne connaissent pas au moins un jeune. « Effectivement, alors on essaye de prendre les entrées par un ou deux jeunes, ce qui fait qu’on arrive à s’immiscer dans le groupe. Mais c’est pas quelque chose de flagrant dès le démarrage, ça vient bout par bout » 2.4.2 LA BASE L’idée de LA BASE est donc d’amener un groupe de jeunes, qui posait des problèmes dans une entrée, dans un local appelé LA BASE. L’équipe éducative disposait à l’époque du projet d’un bus avec lequel elle sillonnait le quartier. C’est à l’occasion d’un échange à l’intérieur de ce bus avec un jeune que la proposition a été faite d’ouvrir un local. Charge au jeune de répercuter la proposition aux autres membres. Dans ses communications, l’équipe insiste sur le fait éducatif qui réside dans son action. En particulier, elle tient à éviter tout amalgame avec une action d’animation. En effet, le local est régulièrement la réponse apportée aux jeunes à qui on demande ce dont ils ont besoin. Dans le local on trouve alors un baby-foot, une table de ping-pong, une télévision, etc. Précisément, l’équipe de Vandoeuvre à voulu situer son action sur ce point. Le local doit être vide. Il se remplira par la suite à l’initiative et sous la responsabilité des jeunes. Il doit être vide pour deux raisons. La première est issue d’une réflexion. La question posée est celle de savoir si « le local c’est d’abord une demande de jeunes ou une réponse des adultes ? » Ils veulent dire par là que le local ne doit pas ressembler à la projection que se font les adultes sur les besoins des jeunes. La seconde raison permet « de travailler la relation avec les jeunes sans la médiation du matériel et des activités constitue peut-être une réponse » C’est ainsi qu’ils se différencient de l’approche des animateurs. Nous avons peu abordé la phase du déroulement de l’action proprement dite dans le local, au cours des entretiens. En revanche, les écrits sur le sujet m’ont été communiqués. Ces documents font part des échanges quotidiens entre éducateurs et jeunes, de la fréquentation qualitative et quantitative des usagers, de quelques événements marquants et des méthodes 77 éducatives employées. Voici ce que l’on peut en déduire. Les éducateurs sont présents par deux dans le local, par équipe tournante. Tous les éducateurs sont concernés, même ceux qui ne relèvent pas du quartier en question. Les éducateurs se contentent d’être présents et laissent venir à eux les jeunes. A ce propos, seuls les jeunes ciblés initialement, c’est à dire ceux qui se regroupaient dans les entrées, ont l’autorisation d’entrer dans la salle. Cette règle a été conservée malgré les remarques externes sur les risques de ghetto que cela pouvait constituer. L’entretien, l’aménagement et tous travaux sont sous la responsabilités des jeunes euxmêmes. Petit à petit, les jeunes emménagent un peu le local (chaise, télévision, punchingball...). Les jeunes « consomment de la musique, de l’alcool, du soda, du hachisch, tabac qu’ils apportent et se partagent... ils chahutent et vont se battre ailleurs contre d’autres groupes... ils explosent littéralement et physiquement... ils nous a été possible de constater que quelques uns étaient armés de chiens, de couteaux... et de fantasmes aussi violents que récurrents... » Les entretiens oraux relatent d’autres comportements tout aussi illégaux. Le principe éducatif de bas seuil d’exigence le permettait. Toutefois, des règles sont instaurées, comme on l’a noté précédemment, dont il faut retenir principalement que le seuil de tolérance des éducateurs se limitent aux agressions verbales. Ainsi, pour eux, le seuil de rupture est dépassé quand il y a violence physique. Ils précisent de plus qu’il s’agit de violence physique à leur égard comme à l’égard des jeunes entre eux. Concrètement, les éducateurs ne mettent rien de particulier en place, si ce n’est qu’il est prévu ponctuellement de faire intervenir une personne extérieure qualifiée pour traiter d’un point particulier. Ils se contentent d’accueillir les jeunes dans le local, et se tenir disponibles pour tout échange. Ils font état de discussions - débats qui ont eu lieu sur des thèmes aussi divers que la justice, la religion, la famille, le travail, le groupe, etc. Les échanges sont parfois musclés. Une des rares scènes relatées par un éducateur en entretien, à propos d’un échange entre jeune et éducateur, l’atteste. « dès fois il y a eu des menaces certaines fois. Il y a eu un soir où un jeune homme m’a dit : j’ai envie de te casser la gueule et pendant les deux heures d’affilées, j’ai envie de te casser la gueule, j’ai envie de te casser la gueule. Il était à deux centimètres de moi. Un jeune qui, deux semaines avant, me disait qu’il avait des envies de meurtre, qu’il s’était fait agresser dans une boite de nuit et vraiment après, pendant deux heures : j’ai envie de te défoncer la gueule. Et moi j’étais là, je 78 balisais en essayant de ne pas trop le montrer et pfu... mais ceci dit, à aucun moment il n’y a eu d’agression physique. Ils ne sont pas passés à l’acte » D’après cet éducateur, il n’y a pas eu de violence physique, mais au dire d’un autre éducateur, il y a bien eu des empoignades physiques violentes à l’encontre d’éducateurs. Si l’on revient à la note d’opportunité, on peut s’interroger sur la cohérence de l’action sur au moins un point. Il est en effet rappelé la mission de prévention des marginalisation à laquelle s’attache cette équipe : « Puisque notre mission d’éducateur est de travailler à la prévention de la marginalisation sur ce secteur... » L’action telle qu’elle est élaborée se propose de permettre aux jeunes de répondre à un de leurs besoins : celui de se retrouver ensemble. Or, les jeunes avaient déjà cette opportunité. Et rien ne fait mention du fait que les jeunes souhaitaient particulièrement se retrouver ailleurs. Le problème de départ c’est uniquement celui de la gêne occasionnée aux habitants. La solution du problème, telle qu’elle est exposée dans ce texte c’est de proposer un autre lieu aux jeunes. Mais il n’est pas dit que ce lieu sera plus socialisant. Au contraire, il est prévu que, grâce au principe de bas seuil d’exigence, les jeunes pourront continuer à tenir des conduites illégales (drogue, arme). Ceci amène à penser que, du point de vue de l’équipe, ce qui marginalise ce groupe ce sont les conflits avec la population, puisque le seul élément qui va varier dans la situation des jeunes c’est que leurs comportements n’occasionneront plus de nuisances. Du coup, on peut se poser la question des possibilités qu’a un tel projet d’atteindre ces objectifs. L’ouverture de la salle ne se faisant qu’au maximum trois soirs par semaine, et ce sur une période limitée de l’année, le problème des regroupements se posera obligatoirement. D’ailleurs, cette remarque leur sera adressée par certains partenaires. Certes, les éducateurs comptent sur ce lieu pour échanger avec les jeunes et avancer sur leur socialisation. Mais dans la mesure où le problème, tel qu’il est exposé, concerne les relations jeunes et habitants, tant que cette question ne sera pas abordée directement, on risque de ne jamais voir d’amélioration sur ce terrain. Etant donné les faibles chances d’aboutir à une solution concernant le problème de cohabitation dans les entrées d’immeuble, et plus généralement dans les espaces publics entre les jeunes et les habitants, on peut considérer que l’objectif premier de ce projet est, par conséquent, de désenclaver l’entrée d’immeuble. Les autres objectifs sont, par rapport à celuilà, tout à fait accessoires. 79 2.4.3 L’équipe du Lunévillois Deux versions émergent des entretiens avec l’équipe. L’une des éducatrices reste sur ses positions et considère que le projet a consisté à apporter un soutien méthodologique à la MJC de Blamont qui constatait que des jeunes rencontraient des difficultés face auxquelles les bénévoles de l’association étaient désarmés. Les documents rédigés par cette même éducatrice vont dans le même sens : « La mise en place d’un groupe de prévention... a permis d’aborder et de réfléchir avec les partenaires locaux aux préoccupations concernant les difficultés rencontrées par les jeunes du territoire » Il n’est pas fait référence ici à des jeunes posant des problèmes mais à des jeunes ayant des difficultés. L’autre éducatrice, au contraire insiste sur les problèmes posés par les jeunes en les repérant clairement comme des nuisances auxquelles il faut mettre un terme. Le second point de discordance concerne la méthode d’intervention. Pour la première, il s’agit d’apporter un soutien technique aux associations en difficulté. Pour l’autre, comme on l’a noté précédemment, il s’agissait de rompre avec ce mode d’intervention habituel à l’équipe et de prendre en charge directement la population. Toujours est-il qu’en définitive le service de prévention va effectivement prendre en charge le groupe en direct. La méthodologie consiste à développer la démarche de projet et l’autonomie des jeunes. Mais préalablement, l’équipe est allée régulièrement là où les jeunes étaient censés se rassembler afin de les rencontrer. Ces démarches ont eu plus ou moins de succès. Selon leurs passages, ils rencontraient plus ou moins de jeunes. Parfois, ces derniers les fuyaient ou les éconduisaient. Des approches particulières ont été néanmoins possibles par le biais de petits groupes spécifiques. Il faut dire qu’à la base, quelques jeunes avaient un local qui a été finalement fermé en raison de problèmes survenus dans la salle. Suite à cette fermeture, les jeunes se sont révoltés et ont commis quelques dégradations. Ce groupe constitué a donc été approché grâce à des contacts et il a été possible d’échanger avec eux au cours de réunions sur ce qui s’était passé suite à la fermeture de la salle, d’une part, et sur les suites possibles à donner, d’autre part. Ainsi les jeunes ont pu faire part aux éducateurs de leurs projets (Week-end à Paris, activité karting...). Finalement les projets retenus seront une visite de Paris et du Futuroscope. Le 80 groupe s’avérant plus nombreux que prévu, c’est en fait deux groupes différents qui ont dû être constitués. Concrètement, les éducateurs étaient présents et secondés par les bénévoles de l’association de quartier. ___________________________ Il y a entre ces trois expériences une démarche commune : celle d’aller à la rencontre des groupes identifiés comme posant problème. Celle ensuite de leur faire des propositions concrètes : abri pour squatter, local ou mise à disposition du catalogue des activités et services de prévention spécialisée (activités, chantiers, accompagnement dans les démarches, sensibilisation et prévention des risques...). Par la suite, la prise en charge des jeunes est plus concrète en ce qui concerne l’équipe de Vandoeuvre et celle du Lunévillois. Pour ce qui est de l’équipe de Maxéville, son action concrète se résume au travail de rue. En effet, rien n’est prévu en matière d’animation de l’abri. Il s’agit, dans l’esprit des promoteurs de ce projet, d’un lieu autogéré. Quoi qu’il en soit, à travers ces projets, les trois équipes se retrouvent en prise avec le public dit à problème. Et cela correspond pour elles à un changement significatif. Pour l’équipe de Maxéville, le projet fait suite à une remise en question et lui permet de reprendre contact avec les jeunes dits difficiles. Et pour le service du Lunévillois, le projet lui permet de prendre en charge directement le public également dit difficile. Si l’on reprend les modèles de prévention présentés précédemment, on peut faire quelques remarques. Tout d’abord, les différentes expériences observées semblent prendre en compte le sort des victimes. C’est surtout vrai pour l’équipe de Vandoeuvre et de Champ-le-Bœuf. Ca l’est moins pour l’équipe du Lunévillois, bien que le départ de l’action provienne bien de diverses plaintes d’habitants relayées par le Maire. Indirectement, il s’agit surtout d’une prise en compte d’une situation difficile vécue par des populations victimes de nuisances. En cela, on observe un glissement vers ce qui est nommé dans le tableau n°1 : l’empathie pour les victimes et qui correspond à une forme de prévention situationnelle. Cela n’est pas étonnant dans la mesure où l’on a évoqué qu’une forte pression des populations s’exerçaient sur les 81 éducateurs. On retrouve d’autres aspects également conformes au modèle de prévention situationnelle. Tout d’abord, en ce qui concerne la temporalité. En effet, l’on voit dans toutes les expériences que les effets produits sont inscrits dans le court terme. Le projet de LA BASE, l’abri jeunes à Champ-le-Bœuf permettent d’obtenir des résultats immédiats sur les regroupements dans les halls d’immeubles. En ce qui concerne le projet du Lunévillois, le temps d’accroche des jeunes est relativement court et les projets démarrent tôt. Le dernier aspect concerne le champ de l’évaluation. Le problème étant identifié comme celui des nuisances, l’évaluation se mesure donc en référence à ces nuisances. En cela, il s’agit bien d’un glissement vers une évaluation portée sur une obligation de résultats. Les projets ont ceci en commun qu’ils rompent quelque peu avec un mode d’intervention de type prévention développementale ou prévention sociale. Ce n’est pas un public global qui est visé mais bien un public en particulier, repéré par leur capacité à nuire. C’est donc en même temps une situation qui est repérée. Bien entendue, cette présentation ne représente pas la situation complexe des modes d’intervention des différentes équipes. L’observation ne rend pas compte, par exemple, de la part que représente ces projets par rapport à l’ensemble des actions menées par les équipes. De telle sorte qu’il est impossible de prétendre que les équipes sont plutôt dans le versant de la prévention sociale, éducative ou situationnelle, ni qu’elles sont plutôt axées sur un mode développemental ou de réhabilitation. Il aurait fallu pour cela observer l’ensemble de leurs actions. En revanche, ce que l’on peut souligner, c’est qu’à travers ce type d’intervention, les équipes prennent bel et bien en compte certaines préoccupations liées au sentiment d’insécurité des populations et certaines aspirations des politiques à leur égard. 3 Oppositions et compromis Cette question va être traitée différemment par rapport aux précédentes. Plutôt que de prendre l’une après l’autre les différentes expériences, le problème sera abordé plus globalement, de manière à tenter de tirer quelques généralités. De plus, il n’est pas nécessaire de revenir dans le détail sur les entretiens. La plupart des éléments permettant de comprendre ce qui oppose les équipes avec leur partenaire principal, le maire, sont contenus dans les extraits présentés 82 précédemment. Nous nous contenterons d’en ajouter quelques uns. Enfin, nous nous référerons également à d’autres sources pour analyser certains discours. Avant d’aborder ce paragraphe, il est utile de rappeler ce que contient le terme d’opposition dans la théorie de la transaction sociale. Les oppositions dans le concept de transaction sociale correspondent aux valeurs sur lesquelles les différents acteurs ne transigent pas. C’est donc à partir d’oppositions idéologiques fortes, sur lesquelles il ne peut être question de revenir sous peine de compromission que vont s’élaborer les formes d’arrangement : les compromis pratiques. Si l’on s’en tient aux discours idéologiques en œuvre dans les débats opposant les éducateurs et les maires sur la question de la prévention de la délinquance, on constate des divergences nettes entre ces deux acteurs. Quelques sources principales permettent d’en rendre compte. Internet a été une tribune importante permettant aux éducateurs de s’exprimer sur ces questions, surtout à l’occasion de l’avant projet de texte de loi sur la prévention de la délinquance. Les textes trouvés sur Internet sont systématiquement en opposition avec l’idéologie sécuritaire et dénoncent les risques de municipalisation et, par conséquent d’instrumentalisation, de la prévention spécialisée. Les textes se faisant échos des opinions des maires sur la question sont plutôt favorables à une coordination plus intense entre services sociaux et collectivités locales sur l’amélioration de la sécurité par la prévention de la délinquance35. 3.1 Les arguments développés par les acteurs Ce qui va suivre dépasse les arguments idéologiques, et concerne également les tensions et reproches que se font mutuellement les deux acteurs que sont les éducateurs de prévention spécialisée d’un côté et les élus de l’autre (principalement les élus locaux). 35 les sources qui vont être exploitées proviennent de deux magazines spécialisés : La lettre du cadre, Quelles politiques de sécurité ?, numéro 1, hors série, mars 2002 et La Gazette des communes, des départements, des régions, Spécial sécurité, Un nouveau champ d’action pour les collectivités, novembre 2002 83 Il n’est pas question ici de reprendre le détail des arguments et idées défendues de part et d’autres, mais seulement d’en donner un bref aperçu. 3.1.1 Les arguments des éducateurs Les textes font souvent état du fait que la prévention spécialisée est une mission de protection de l’enfance dépendant de l’Aide Sociale à l’Enfance. De ce fait, la prévention doit se situer au niveau des causes des difficultés des quartiers et non des effets telle que la délinquance. A ce titre, la prévention n’a pas à intervenir sur le champ de « l’ordre public » ou « l’ordre social ». Dit autrement et fréquemment par les éducateurs, l’intervention se situe en amont des difficultés. Les logiques économiques (libérales) sont une des causes des fractures sociales. Les logiques répressives, quant à elles, exacerbent les tensions et inégalités, « (la logique sécuritaire) criminalise la misère et la jeunesse ». Autres éléments importants et souvent évoqués simultanément : la souffrance des jeunes (quelque soit le symptôme) et le temps nécessaire de sa prise en compte. Il est en effet mis en avant que le temps nécessaire pour la prise en charge de ces souffrances est le long terme. Tandis que le temps de la sécurité est le court terme. C’est également un des arguments majeurs en faveur de l’autonomie de la prévention spécialisée. Municipalisée, elle se heurterait aux exigences temporelles des élections. Le court terme serait ainsi privilégié, faisant place à des actions courtes et visibles, incompatibles avec les missions de prévention. De ce fait, il ne peut y avoir de prévention spécialisée qui dépende directement des municipalités. Ce dernier point est notamment au cœur de l’avant projet de loi sur la prévention de la délinquance. Les pouvoirs de coordination du maire et sa capacité de lever le secret professionnel en certaines circonstances constituent deux points qui ont engendré une levée de boucliers de la part des professionnels du social, et ce même au delà du champ de la prévention spécialisée. Il n’est pas utile de prolonger ici l’argumentaire de la communauté éducative de prévention spécialisée. Il faut seulement ajouter que la prévention spécialisée estime contribuer à réduire l’insécurité et le sentiment d’insécurité à travers les actions globales qu’elle mène. La spécificité du public qu’elle côtoie interdit tout amalgame entre les missions du maire, de la police et de la justice et celles de la prévention spécialisée. 84 3.2 Arguments des élus36. L’argumentaire des élus consiste à montrer d’une part l’augmentation des phénomènes de violences dans les quartiers et, d’autre part, à montrer la place centrale que les maires occupent par rapport à ce problème. Voici quelques exemples d’arguments allant dans ce sens. Il est rappelé par certains que le domaine de la sécurité est celui où persiste le plus grand écart entre les attentes de la population et l’action publique. Il est régulièrement mis en avant une augmentation de la délinquance, son rajeunissement et sa plus grande dureté. De 1972 à nos jours on passe de 10 % à 22 % des mineurs mis en cause dans des actes de délinquance de voie publique alors que dans la même période la proportion des mineurs est en baisse. L’incivilité est un obstacle aux règles habituelles de la sociabilité, constituée d’actes pénalement punissables mais généralement pas poursuivis. Un sentiment est globalement partagé par l’ensemble des élus locaux, lesquels estiment être au cœur des préoccupations des populations (« il sont les premiers alertés ») et donc les plus à même de coordonner les dispositifs (L’idée d’une police territoriale est également évoquée. C’est pour cette raison que des élus souhaitent la réforme de la loi de Vichy (1941) qui a étatisé la police). On reproche également à la communauté éducative d’appréhender les problèmes de violence dans les quartiers sous un angle trop politique. On reproche donc aux éducateurs de politiser le débat. D’après Laurent Mucchielli37, la volonté de dépolitiser les phénomènes de violence est apparue à partir des années 95. Cela s’est même très concrètement illustrée dans le traitement médiatique des événements survenants dans les quartiers. Jusqu’alors, dans la presse écrite ou télévisée, ces événements paraissaient dans la rubrique politique, mais après les années 95, ils apparaissaient dans celle des faits divers. En fait, ce qui est reproché aux éducateurs ainsi qu’à certains sociologues c’est de vouloir déceler dans les troubles de l’ordre public des significations d’expression de révolte. A ce type de perceptions dites trop 36 Les informations contenues dans ce paragraphe proviennent de différents documents trouvés sur internet (présentés en annexe) et de l’Etude-enquête CNLAPS / DIV (1990 / 1991), in Gilbert Berlioz, opus cit 37 Laurent Mucchielli, op. cit. 85 angéliques, certains opposent une vision plus réaliste des phénomènes et prennent les violences urbaines pour ce qu’elles sont et rien d’autre. En revanche, les écrits ne font pas cas de velléités de la part des élus pour s’emparer de la prévention spécialisée. Les maires créaient jusqu’alors leurs propres services. En particulier le dispositif d’emploi jeunes a permis aux municipalités de mettre en place ou renforcer une catégorie de nouveaux métiers dans le domaine de la tranquillité sociale : médiateurs de quartiers, correspondants de nuits et autres agents locaux de médiation sociale. Il faut compléter ce panorama par un travail plus objectif. Notamment en citant l’étudeenquête du CNLAPS / DIV38. Il y est question des représentations de la prévention spécialisée dans les sphères politico-adminsitratives locales (la très grande partie des réponses émane des élus locaux, le reste provient d’élus territoriaux en très faible proportion, de directeurs d’action sociale et de Sous-préfets). L’enquête fait part des critiques mais aussi des appréciations positives à l’égard de la prévention spécialisée. L’enquête rappelle quelques critiques principales : • « la prévention spécialisée n’est pas assez présente, ou visible, sur les territoires d’intervention, et particulièrement au sein des coordinations qui structurent le travail interinstitutionnel ». • « elle s’apparente trop à de la prévention générale ou de l’animation, dont l’attraction est trop faible pour les marginaux » • « elle s’exerce à des heures et dans des lieux qui ne correspondent plus à ceux des jeunes auxquels elle devrait s’adresser ».Cette dernière critique est aussi notée comme la conséquence d’une fonctionnarisation de la profession. • « elle est trop rigide, conserve les informations qu’elle possède, est illisible, à tendance à se tourner vers des publics de plus en plus jeunes » • « elle est incohérente par rapport à l’ensemble de l’action sociale » 38 Etude-enquête CNLAPS / DIV (1990 / 1991), in Gilbert Berlioz, Op., cit 86 • « elle est inefficace au regard du rapport temps passé avec le jeune - résultats obtenus ; est défaillante du point de vue de la communication externe ; est en repli sur elle-même, revendicarde, absente des dispositifs ; s’investit trop dans le domaine de l’animation » (conception trop désuète de la prévention ; fonctionnement trop classique et qui se centrerait excessivement sur les actions d’animation) • « elle perd sa crédibilité en ne voulant pas se rapprocher de la police » (c’est une appréciation recoupée dans le discours des sous-préfets). Appréciations positives39 • Il est reconnue à la prévention spécialisée son effort de formation constant. • Son travail est très structuré, notamment par rapport à celui des animateurs. • Est apprécié sa capacité d’intégration au sein des familles et dans le territoire. • Elle est perçue comme un mode d’action qui évolue constamment et qui est capable d’adaptabilité et de pragmatisme. • Elle a une bonne connaissance du terrain ; elle a une capacité d’innovation et s’intègre aisément au sein des dispositifs transversaux. 3.2.1 Les arguments présentés lors des entretiens Il faut ajouter à cette liste ce qu’il a été permis d’extraire des deux entretiens passés avec les représentants municipaux (un adjoint et un chef de projet). Présence inappropriée de la prévention spécialisée Les critiques de l’adjoint sont directes et précises. Comme je l’ai déjà indiqué antérieurement, la présence des éducateurs auprès des jeunes est ressentie comme trop insuffisante. A ce sujet, le confort personnel des éducateurs est invoqué comme la raison principale. En particulier, ce 39 Gilbert Berlioz, ibid 87 qui est reproché c’est l’absence des éducateurs aux moments cruciaux et auprès de jeunes spécifiques. Par exemple, pour cet adjoint, l’animation est le principal moyen d’occupation de ces jeunes. Et cette animation doit être en œuvre pendant une plage horaire suffisamment importante et ce, quotidiennement. Cette présence ne doit pas être calée sur des horaires conventionnels mais bien aux heures et jours où les problèmes se posent. Le travail en soirée est par exemple prôné, ainsi que la présence des éducateurs le samedi et le dimanche. Repli sur soi-même et inefficacité Quant au chef de projet, il souligne l’avancée importante accomplie par l’association Vivre Dans la Ville. D’abord elle a participé au GLTD malgré les réticences du personnel. Ensuite, le projet de LA BASE a été particulièrement innovant par rapport aux problèmes de nuisances causées par les jeunes. Globalement, le chef de projet estime que l’équipe a fait de réels efforts de coopération et de compréhension des problèmes. Cependant, l’interviewé considère que ce projet reste exceptionnel et ne reflète pas l’intervention traditionnelle de la prévention spécialisée. Pour lui, la prévention spécialisée demeure une branche repliée sur elle-même, « qui réfléchit seule » en s’arc-boutant par exemple aux principes de l’anonymat. Il soulève également la difficulté de la prévention spécialisée à prendre des décisions qui engagent des changements. Pour lui, les cadres de la prévention sont obligés d’associer tout le personnel éducatif à de longues réflexions pour pouvoir faire des choix. Il considère que les éducateurs ont un poids considérable dans les décisions de l’équipe. Mais de ce fait, la prévention spécialisée est peu réactive. Or, d’après lui un cadre doit être en mesure de représenter au sein des réunions sa structure et prendre des décisions qui engagent l’ensemble du personnel. 3.2.2 Discours et contradictions Défendues par les différents acteurs, les diverses positions qui viennent d’être présentées sont essentiellement tirées du discours. Ce que je voudrais montrer à présent, à travers un exemple, c’est les contradictions qui peuvent exister entre les opinions défendues et les pratiques. A ce titre, un exemple paraît particulièrement significatif. Il concerne un des aspects les plus sensibles des débats qui ont lieu actuellement : l’anonymat des personnes. Une des batailles livrée par la prévention spécialisée consiste à refuser de donner au maire le nom des jeunes qui participent aux activités de la prévention spécialisée. Or, afin de 88 promouvoir leurs actions et les jeunes qui y participent, les équipes de prévention spécialisée recourent majoritairement à la promotion de ces activités dans la presse. A de nombreuses occasions, les jeunes paraissent donc en photo au vu et au su de tout le monde. Alors que dans le même temps les équipes s’obstinent encore à refuser de donner les noms des jeunes. * * * 3.3 La place de la prévention Nous venons de voir les principales critiques que s’adressent mutuellement les différents acteurs et les lignes d’oppositions qui apparaissent dans les discours. Nous y avons relevé quelques contradictions entre discours et actes qui nous permettent de penser qu’il faut creuser un peu plus si l’on souhaite entrevoir les réelles tensions qui opposent élus et éducateurs. L’analyse des expériences présentées dans ce mémoire peut nous le permettre. Accords et désaccords Les différents entretiens ne font pas apparaître de tensions en ce qui concerne les modes d’intervention. Educateurs et élus sont relativement d’accord sur le fait que quelques jeunes occasionnent des nuisances aux habitants et qu’il faut essayer d’y mettre un terme. Le problème central semble donc être l’existence de certains groupes de jeunes qu’il faut essayer de détourner des entrées. Les équipes s’y emploient de différentes manières. Soit en proposant des lieux de substitution comme pour l’équipe de Vivre Dans la Ville et de Jeunes et Cité, soit en les occupant comme le fait l’équipe du Lunévillois. En revanche, le rôle et la place de chacun des acteurs est problématique. Les équipes s’efforcent régulièrement d’expliciter le sens de leur action et la place qu’elles doivent avoir sur l’échiquier social. Car elles perçoivent une menace concrète qu’elles appellent le risque d’instrumentalisation ou de municipalisation de la prévention spécialisée. Menace qui s’est quelque peu concrétisée lors de leurs expériences dans la mesure où les maires ont joué un rôle prépondérant en donnant l’alerte et en interpellant les équipes de prévention. Pour leur part, les maires ne cachent pas leur souhait d’occuper une place plus centrale dans le dispositif général de prévention de la délinquance où ils pourraient disposer des éducateurs 89 de prévention comme ils le font avec les différents agents de médiation. Avec cette différence près que la prévention spécialisée ne devrait pas leur coûter d’argent. Les oppositions principales et les tensions portent donc sur la question centrale de la place de la prévention spécialisée. Cette question pose également la question général qui fait tant problème à la prévention spécialisée, sa reconnaissance professionnelle. On peut ici donner trois grands éléments qui fondent la compétence professionnelle de la prévention spécialisée : sa capacité d’approche des jeunes les plus en marge, sa capacité d’identification des problèmes, sa capacité d’intervention et de résolution de ces problèmes. Eléments de la compétence de la prévention spécialisée qui sont actuellement mis à mal. Capacité de diagnostic Voici quelques exemples illustrant la mise à mal de la compétence professionnelle de la prévention spécialisée dans le rôle d’expertise et de diagnostic. On voit apparaître depuis quelques années des chargés de mission (chef de projet) qui maîtrisent de plus en plus le domaine de l’expertise, tels les sociologues qui sont appelés à établir des diagnostics pour les maires ou les départements. Par exemple, au quartier des Provinces, où j’intervenais, un cabinet dirigé par un sociologue a établi un état des lieux sociologique et a coordonné les actions des différents partenaires durant une année. Toujours dans ce quartier, le dispositif d’emploi jeunes a permis à la commune d’embaucher des animateurs, dont deux étaient en formation de sociologie (doctorat et DESS). Le chef de projet est également détenteur d’un DESS de développement local. Le chef de projet interviewé à Vandoeuvre est également sociologue de formation. Il a mené une enquête considérable avec l’Observatoire Social et Economique. Les Contrats Locaux de Sécurité ont par ailleurs largement fait appel à de célèbres cabinets de consultants pour élaborer les diagnostics locaux. Il en va de même pour les communautés de communes et autres communautés de pays. Bref, ces collectivités se dotent de plus en plus d’outils efficaces pour établir leurs propres constats. Le domaine de l’expertise échappe donc de plus en plus aux éducateurs. Capacité d’intervention auprès des jeunes 90 Les nouveaux métiers qui ont fait leur apparition dans le cadre des emplois jeunes ont permis aux municipalités d’embaucher à moindre coût des nouveaux intervenants. Ceux-ci, souvent reconnus et issus des quartiers, ont pu établir des contacts avec les populations dites à risque et mener auprès d’elles des actions de prévention en dépossédant ainsi la prévention spécialisée d’un de ses champs de compétence. 4 La recherche de transactions Après avoir vu à l’instant ce qui pourrait constituer l’enjeu des projets qui ont été présentés, nous allons tenter de voir concrètement comment et en quoi ces projets constituent des formes de compromis pratiques. C’est à dire comment et en quoi ces projets constituent des tentatives de se réapproprier une légitimité professionnelle dans les domaines que l’on vient d’aborder. L’équipe de Maxéville : elle insiste largement sur l’importance du diagnostic comme préalable à toute action, et l’oppose aux attentes concrètes et immédiates du Maire : « je trouvais ça très bien une formation-action, mais que sur la laïcité, alors qu’il y avait d’autres thèmes importants qu’il fallait traiter avec le même sérieux, c’est à dire les entrées tout ça, j’aimerais qu’il y ait le même travail d’analyse et de réflexion. Et c’est pour ça que ça se rejoint, et que cet état des lieux que l’on fait sur un quartier après il faut qu’on en débatte avec tous les gens concernés... il ne suffit pas de demander aux éducateurs d’intervenir, il faut mettre en place un dispositif avec tous les gens concernés ». Le discours souhaite ici rappeler la nécessité de poser un diagnostic préalablement à toute action. De fait, l’action principale qui est mise en avant par l’équipe est le travail de rue afin de rencontrer les jeunes. En posant le travail de rue et la rencontre avec les jeunes comme la base de son travail, l’équipe renoue avec un outil fondamental de la prévention spécialisée, le travail de rue, seul mode d’approche des jeunes les plus en marge. Ce faisant, elle situe à nouveau la prévention spécialisée à une place qui lui est incontestable. Les travailleurs sociaux de prévention spécialisée redeviennent ainsi ce que les pionniers étaient à l’origine des clubs de prévention, à savoir des éducateurs de rue. Autre exemple avec la même commune : le projet d’intervention méthodologique. A l’origine le Maire sollicitait l’association pour qu’elle demande à quelques éducateurs d’intervenir sur un quartier précis où l’équipe n’était pas présente. La demande a été réfléchie en interne et a débouché sur une proposition précise mais différente de la demande initiale. Plutôt que 91 d’envoyer des éducateurs sur cette partie de la commune, l’association a choisi d’analyser le problème en d’autres termes. Comme les problèmes concernaient, entre autres, les animateurs au sein de certaines structures et des gardiens de gymnase, l’association a proposé d’intervenir auprès de ce personnel pour une action de soutien à la mise en place et l’encadrement d’activités avec des adolescents. En mairie, l’accueil de cette proposition a été globalement positif. En retour, ils ont précisé leurs attentes en nous sollicitant sur une action de formation sur l’encadrement des publics difficiles. Le contenu de la formation devait permettre aux gardiens et aux animateurs de s’appuyer à terme sur un guide pour l’organisation des activités et sur les réponses adaptées à certaines situations, notamment de violence. Au sein de l’association, un groupe, dont je faisais partie, s’est emparé du projet et a rédigé une proposition concrète. Pour ce groupe, il paraissait peu opportun d’axer la formation sur la réalisation d’un guide formel, comme cela avait été demandé. Il a proposé une grille de projet méthodologique dont l’objectif est d’apporter un soutien méthodologique aux différents encadrants pour qu’ils réalisent leur propre diagnostic et réfléchissent euxmêmes à leurs propres solutions. Le projet est actuellement en cours et semble donner satisfaction aux différentes parties. On peut y voir là l’illustration d’une forme de transaction. Chaque partie a trouvé une solution partielle à son problème. Le Maire voulait que l’association prenne en compte un quartier où la prévention spécialisée n’intervient pas. En constatant un accueil favorable de la part de l’association de prévention à ses sollicitations, le Maire voit en elle une solution parmi d’autres aux problèmes qu’il constate. Ainsi, en tant que comptable des deniers publics, il peut justifier pleinement les subventions qu’il attribue à la prévention. Quant à elle, l’association de prévention, prend en compte certes les sollicitations du Maire, mais en gardant la maîtrise de son cadre professionnel. Dans ces conditions, la prévention n’est pas le « pompier social », elle intervient au sein d’un milieu où existent d’autres réponses. Le compromis à réaliser par les équipes de prévention risque donc de se trouver là. Pour l’équipe du Lunévillois, l’effort consenti s’est précisément situé à ce niveau. Alors qu’elle se plaçait plutôt sur le versant du soutien méthodologique, de l’expertise dans une action globale de développement local, elle a évolué vers une action plus concrète, plus participante au niveau du contact direct avec le public. 92 L’équipe de Maxéville a également entamée une action directement auprès des publics dits difficiles, tout en restant conforme au cadre professionnel en question : l’abri jeunes a été réalisé en partenariat avec la mairie et le lieu sera autogéré et ne nécessitera donc pas la présence systématique des éducateurs. Par ailleurs, le travail de rue constitue pour l’équipe un moyen d’approche et de diagnostic, sans viser particulièrement la tranquillité sociale des habitants. Ce faisant, elle donne satisfaction en étant visible dans les lieux qui cristallisent les problèmes. L’équipe de Vandoeuvre sollicite ses partenaires pour les alerter sur les difficultés que rencontre une catégorie de jeunes et les problèmes que cela pose pour le voisinage (la mairie, le bailleur social et la justice dans le cadre du GLTD). Elle conserve également la maîtrise du projet. Elle parvient même à réunir des partenaires telle que la justice autour d’un projet qui prône pourtant le bas seuil d’exigence comme principe éducatif. L’équipe a donc pu conserver la maîtrise de son outil éducatif tout en admettant et en prenant en compte le problème des nuisances causées par les jeunes. * * * On peut résumer en disant que ces équipes ont transigé sur certains points mais pas sur d’autres. Il apparaît en effet que ces équipes ont perdu du terrain au niveau de leur autonomie et leur indépendance par rapport aux élus locaux. Elles se sont effectivement relativement conformées aux attentes du Maire en se préoccupant des phénomènes d’insécurité et en intervenant directement auprès des fauteurs de troubles. De fait, elles coopèrent indiscutablement au dispositif de prévention de la délinquance et contribuent à la lutte contre l’insécurité. Mais elles le font en s’imposant comme compétence ressource dans le domaine du diagnostic et de l’intervention auprès des jeunes les plus en marge. D’un point de vue stratégique, ces équipes ont donc avancé sur le terrain de la reconquête de leur reconnaissance professionnelle. 93 TROISIEME PARTIE : TRAVAIL DE RUE ET PREVENTION DES SEGREGATIONS DES GROUPES D’ADOLESCENTS 94 1 Portée et limites des projets Tenter de comprendre la portée et les limites de tels projets revient à se poser la question pragmatique de leur pertinence. On l’a vu, ces projets se veulent une réponse à des contraintes environnementales nouvelles. La prévention spécialisée se voit tenue d’apporter des solutions spécifiques aux problèmes très médiatisés de sécurité dans les quartiers qui doivent se traduire par des actions significativement différentes des actions traditionnelles qu’elle menait auparavant. Aujourd’hui, l’injonction qui lui est faite est plus précise. La prévention est sommée d’intervenir directement sur des problèmes clairement identifiés grâce à des projets lisibles et sans ambiguïté. L’objectif de ce mémoire a été de montrer que ces projets répondaient précisément à cette attente. Les nuisances des jeunes ont été réellement au cœur des préoccupations des éducateurs, même si ces derniers ne l’ont pas explicitement formulé. Deux questions subsistent donc. Quels effets cela a-t-il produit du point de vue de la coopération avec les différents partenaires ? Et quels changements cela a-t-il engendré en termes de relations avec les jeunes ? Portée des projets Concernant les relations avec les partenaires, il ne faut y revenir que de manière brève dans la mesure où cela a déjà été abordé précédemment et où il a été montré que les municipalités ont positivement accueilli les projets présentés précédemment. Mais reprenons tout de même un exemple à travers un extrait qui illustre ce que pense une éducatrice de la coopération que l’équipe a mené avec les partenaires : « c’est la première fois qu’on fait aussi bien »... « parce que les partenaires étaient acteurs »... « il y avait des conditions favorables... les acteurs locaux étaient sensibles, les associations aussi étaient sensibles... on avait repéré les jeunes qui vont pas bien... » « sinon, les EPS traînent les choses... et on ne peut pas faire que ça change »... « avant on nous demandait d’aller partout... je ne dis pas qu’on nous demandait d’aller voir tel ou tel jeune, mais... », «je clarifiais les choses parce que sinon on était happés... on fait tout, donc je rappelle nos missions... ». Pour cette recherche, cette appréciation est importante : pour elle c’était la première fois que le partenariat se faisait aussi 95 bien. Il faut donc tenter de comprendre ce qui s’est produit comme changement. Pour ça, on peut se rapporter au paragraphe traité antérieurement sur le changement où l’on voit en quoi les projets ont constitué une évolution. Rappelons ces marques du changement : l’équipe a, tout d’abord, participé à une réflexion sur la prise en compte de problèmes causés par un groupe de jeunes ; elle est ensuite intervenue de manière différente en prenant en charge directement les jeunes. Voilà donc deux changements remarquables qu’il nous a été permis d’observer, mais qui ne correspondent pas à l’analyse qu’en fait l’éducatrice. Revenons donc à l’extrait d’entretien. Tout de suite après avoir reconnu que c’était la première fois que cela se passait aussi bien, l’éducatrice donne les deux conditions favorables pour une telle réussite. Premièrement, elle indique qu’ils avaient repéré les jeunes qui n’allaient pas bien et ensuite elle précise que les acteurs locaux étaient sensibles, mais sans dire pourquoi. On peut se hasarder ici à formuler une interprétation. Cette éducatrice nous dit que pour la première fois l’équipe a pris en charge directement le groupe de jeunes et que parallèlement les acteurs ont été sensibles au projet. Et elle nous dit aussi que c’était la première fois que cela se passait aussi bien. La question qui se pose est alors de savoir comment cela se passait auparavant. De ce que l’on peut en savoir d’après les entretiens, l’équipe intervenait essentiellement auprès des acteurs locaux pour qu’ils interviennent par eux-mêmes, en leur proposant des conseils et des moyens. Dans leur ouvrage, Les bandes d’adolescents, Pierre Lascoumes et Philippe Robert, citent Polk K. : « Si le pouvoir communautaire est conçu comme un jeu à somme nulle dans lequel les gains d’un groupe se font au dépend d’un autre, un conflit entre les possédants et les nonpossédants autour de nouvelles opportunités offertes dans l’engagement communautaire sera inévitable »40 et « La leçon la plus importante réside dans le fait que les gens ne peuvent saisir les opportunités de liberté et de dignité quand il s’agit de cadeaux ou d’actes charitables. Ils ne peuvent y adhérer que s’ils s’en emparent eux-mêmes par le jeu de leurs propres efforts »41. 40 Polk K., Délinquancy and community action in non metropolitan areas, in Pierre Lascoumes et Philippe Robert, op. cit. 41 Alinsky S. in Pierre Lascoumes et Philippe Robert, Id. 96 Outre le fait que cette équipe s’est emparée d’un problème d’insécurité - ce à quoi répugnait généralement la prévention spécialisée - elle s’est également comportée, non comme un « cabinet conseil », mais comme un partenaire auprès duquel d’autres acteurs pouvaient jouer une place. Le projet LA BASE a également suscité de nouvelles coopérations. Au cours de l’entretien, le chef de projet de la ville reconnaît un certain courage à l’équipe pour deux raisons. La première tient au fait que l’équipe, à travers le directeur, a collaboré au GLTD, ce qui constituait à ses yeux une avancée considérable. Dans ce cadre, la prévention spécialisée a pris en compte les problèmes de sécurité que posent les groupes de jeunes. La seconde raison tient au fait que cette prise en compte des problèmes s’est traduite par des actes concrets qui ont eu pour conséquence de libérer, au moins partiellement, certaines entrées. Par ailleurs, les éducateurs se sont rapprochés de groupes spécifiques avec qui les relations étaient auparavant inexistantes. Ils ont réussi, entre autres, à mener à bien durant deux ans un projet ambitieux qui a retenu l’attention des partenaires. Dès lors, sa compétence dans le domaine de la prise en charge des jeunes les plus en marge a été reconnue (compétence ne veut pas dire efficacité, mais seulement que les jeunes les plus en marge sont bien de la compétence de la prévention). En ce qui concerne l’opération de travail de rue et dans les entrées (à Maxéville), l’adjoint interviewé a surtout retenu et apprécié le caractère systématique de l’action. Car si la prévention spécialisée prétend habituellement faire du travail de rue, ce mode particulier de travail est plus souvent une vue de l’esprit. La majorité des équipes de prévention travaillent à partir de structures d’accueil des jeunes, mais ne donnent pas de réels contenus au travail de rue. C’est donc le fait que le travail de rue soit systématique qui est ici salué par l’élu municipal. Ce travail systématique permet, en outre, une lisibilité fort appréciée. C’est, enfin, la prise en compte des nuisances constatées dans les entrées et causées par les jeunes qui satisfait l’élu local. En ce qui concerne le projet d’intervention méthodologique auprès de la ville de Maxéville, il ne m’est pas possible de donner le sentiment de la mairie à ce sujet, mais la nature des relations et leur fréquence inhabituelle peut être un indicateur du bon accueil fait à ce projet. Ces rencontres régulières permettent d’aborder les différents problèmes avec plus de sérénité. 97 Au vu de ce qui vient d’être dit, on peut considérer que les projets ont eu un bon impact et permettent à la prévention spécialisée d’être reconnue sur le terrain particulier de la prévention de la délinquance. En outre, le fait qu’elle soit plus ouverte qu’auparavant, lui permet d’occuper une place mieux acceptée au sein des partenaires coopérant à la prévention de la délinquance. Limites des projets Nous voyons que ces projets ouvrent à de nouvelles modalités de partenariat permettant d’intégrer la prévention spécialisée dans les dispositifs de prévention de la délinquance. Cela n’est pas sans poser de questions. On sait que la prévention spécialisée trouve son originalité et sa spécificité dans le fait que c’est une action ayant le moins de marquage institutionnelle. C’est une des conditions pour approcher les jeunes les plus en marge. Or, non seulement les perspectives qui s’ouvrent, au vu de ce qu’on vient de dire, vont vers un renforcement du partenariat institutionnel de la prévention spécialisée, mais en plus ce partenariat est placé sous le signe de la sécurité, c’est à dire tourné contre les jeunes. Puisque nous avons vu que, d’un point de vue stratégique, les équipes ont répondu quelque peu aux attentes en matière de prévention de la délinquance, il faut à présent envisager comment les relations entre les éducateurs et le public, dit en marge, peuvent évoluer à partir de l’observation de ces projets. Pour ce qui est de l’opération de travail de rue et dans les entrées (à Maxéville), le projet suit actuellement son cours. Les entretiens ont néanmoins laissé transparaître un climat tendu entre les éducateurs et les jeunes : ils sont perçus parfois comme des agents de police qui font des rondes, ce qui n’est pas de nature à engager des relations de confiance. L’équipe constate que les relations avec les jeunes sont difficiles. Si le contact avec eux, le jour, ne pose pas de problème, en revanche, il n’en est pas de même en soirée, car alors les jeunes ont tendance à considérer que les éducateurs font leur ronde. Les éducateurs ont le sentiment qu’ils ne sont pas toujours les bienvenus. Et, de fait, il arrive que parfois les jeunes les molestent. « Donc, le travail de rue c’est difficile dans le sens où on est sur des relations très précaires. Avec les jeunes, je veux dire. Dans le sens où quand on arrive dans des problèmes d’entrée, on a l’impression qu’on arrive dans leur territoire, parce qu’ils se sont appropriés un territoire qui ne leur appartient pas ». 98 L’idée d’abri (réalisé à Maxéville) est relativement mal perçue par les jeunes qui la considère surtout comme une solution à leur regroupement sur les lieux publics. De fait, l’enjeu de l’abri est de créer une structure « en dur » qui ne soit pas soumise à une réglementation : pas de personnel d’encadrement, pas d’entretien ni de personnel d’entretien, pas de portes ni de fenêtres. C’est un lieu sans en être un. Il est commode et peu coûteux. Mais les jeunes ne sont pas dupes. Ils comprennent relativement bien que l’enjeu lié à ce type de projet est d’apporter une offre de tranquillité publique aux habitants. Sur le quartier des Provinces, un tel projet, à l’initiative du bailleur social, devait voir le jour. Des jeunes entravaient la bonne marche des travaux de réfection sur une des entrées d’immeubles. Celle-ci était dédiée principalement aux associations. Il se trouve que s’y trouvait également le club de prévention et que les jeunes faisaient dans cette entrée de nombreux allers et venues ou bien y stationnaient, notamment en soirée et une partie de la nuit. Pour la société HLM, la présence de ces jeunes démobilisait les associations candidates pour occuper les locaux vacants de cet immeuble. Elle a donc décidé de réaménager complètement l’entrée d’immeuble avec de nouveaux modes d’accès plus contraignants, et de condamner le hall qui servait aux jeunes pour le remplacer par un local de gardien. Il en a résulté que les jeunes ont régulièrement saboté les travaux (vol ou détérioration du matériel, gêne aux travailleurs, etc.). Le Bailleur social a alors pris deux mesures. Premièrement, les locaux qu’il attribuait gracieusement à l’association de prévention ne devait plus, désormais servir à l’accueil des jeunes, mais devait se limiter à un usage administratif. Deuxièmement, le bailleur a proposé aux jeunes de leur construire un abri, avec leur aide. Malgré les plans réalisés avec l’aide des jeunes et quelques avancées prometteuses, le projet n’a jamais vu le jour. Les jeunes ont finalement été déçus des plans de l’abri, lequel leur paraissait être un « abri pour chiens », et ont refusé de collaborer. On peut donc être septique quant à l’avenir de l’abri réalisé par l’équipe de Maxéville. Alors qu’il ne devrait réellement être utilisé qu’en automne - hiver 2005, on déplore déjà de nombreuses détériorations. Or, il est assez rare que des réalisations destinées aux groupes leader d’un quartier soient détériorées par d’autres jeunes qu’eux-mêmes. Tous les acteurs sociaux ont bien compris ce principe. Quand une réalisation est l’œuvre de leaders (caïds) d’un quartier, la réalisation en question reste intacte, jusqu'à ce que les dits leaders s’en désintéressent. 99 En ce qui concerne le local de LA BASE, l’équipe éducative a pris en charge directement le public dans un local spécifiquement aménagé à cette occasion. Les relations avec les jeunes ont fluctué entre des moments d’échanges et des moments de fortes tensions, allant de l’intimidation verbale de la part de certains jeunes jusqu'à des confrontations physiques. Le local a régulièrement subi des dégâts et finalement a été entièrement saccagé. Le projet a pris fin suite à la détérioration intérieure complète du local. On constate dans ce projet une grande distance et une méconnaissance mutuelles entre les jeunes et les éducateurs. Ils paraissent étrangers les uns vis à vis des autres. Le projet donne le sentiment que jeunes et éducateurs se sont retrouvés ensembles malgré eux, sans désir commun et sans projet. En ce qui concerne l’expérience du Lunévillois, il est difficile d’en tirer des conclusions. Les relations avec les jeunes semblent durer encore aujourd’hui. Des projets sont encore proposés à ces jeunes. Et les situations sont moins tendues entre les jeunes et le voisinage. Il faut cependant relativiser la portée de cette initiative. Le mode d’intervention choisi par l’équipe est la promotion des loisirs des jeunes, ce qui occasionne un coût considérable (voyages à Paris, au Futuroscope, séances de Karting, dont les 10 minutes coûtent entre 10 et 15 euros) qui est pour l’instant supporté par la communauté de communes, qui finance les petits chantiers exécutés par les jeunes. Ce système ne peut pas durer indéfiniment. D’autant plus que les jeunes peuvent percevoir qu’on achète la tranquillité par le biais de ces projets. Il faut également ajouter que ces projets ne possèdent pas de vertus éducatives : visiter des régions ou faire du Karting ne traite pas le problème initial. Enfin, l’équipe considère ne pas toucher tous les jeunes. Il y a pour elle une catégorie de jeunes gens pour laquelle la prévention spécialisée ne peut plus rien. Sa prise en charge relève, d’après l’équipe, d’autres institutions plus spécifiquement chargées des questions de la délinquance. On peut imaginer les difficultés supplémentaires que ce type de démarches aurait engendré s’il s’était agi de jeunes « moins organisables ». Que peut-on alors conclure sur la portée et sur les limites de ce type d’expérience ? Les relations entretenues entre les jeunes et les équipes sont relativement distantes. Le mode de communication entre ces deux acteurs est basé sur un système d’échange : en contrepartie de la tranquillité, les éducateurs s’engagent à proposer aux jeunes des projets divers (voyages, 100 local jeunes, abri jeunes). Dans ces conditions, on voit mal comment pourraient s’établir des relations de confiance durables. L’ensemble des entretiens ne permet pas de dégager de principes éducatifs précis à opposer aux discours dominants sur la sécurité. Au contraire, le discours des éducateurs paraît relativement en phase avec ces discours dominants. Le risque que cela comporte est de voir perdre la capacité des éducateurs de rue de pouvoir rendre compte d’une observation de très grande proximité. Une prévention spécialisée qui n’est plus capable d’enrichir le diagnostic, et qui se contente de valider les thèses dominantes risque de ne devenir, à terme, qu’un instrument susceptible d’intervenir auprès des jeunes seulement quand ça va mal, c’est à dire trop tard. Un nouveau défi se pose donc pour ces équipes et pour la prévention spécialisée en général. Puisqu’elle est amenée à réfléchir avec ses partenaires aux questions de l’insécurité, notamment au sein de certains dispositifs de sécurité et de prévention de la délinquance, la prévention spécialisée doit donc construire ses théories éducatives, les défendre et les confronter aux autres. Elle ne peut se contenter à présent de répondre exclusivement aux sollicitations diverses. Elle doit faire ses propres propositions. 2 Interprétation des conduites Il est important de retenir des entretiens passés avec les éducateurs que ce qui fait défaut dans la prise en compte des problématiques liées à la jeunesse c’est l’interprétation des conduites. Certes, il est dit que l’oisiveté ou l’errance des jeunes sont facteurs de marginalité, mais ces interprétations sont insuffisantes. De plus, cet argument est utilisé afin de mettre en cause les partenaires, notamment ceux du versant de l’animation, au premier rang desquels figure la mairie, qui a une responsabilité en matière de politique jeunesse. Pourtant, les éducateurs le savent bien, les quartiers fortement dotés en équipement et en offre de loisirs ne sont pas pour autant épargnés par le sentiment d’insécurité ressenti par les habitants. Lors des entretiens, quand la question s’est posée, les éducateurs en ont volontiers convenu. Si l’oisiveté, l’errance peuvent être des éléments de réponse, ils demeurent insuffisants. Par conséquent, la réponse ne peut se limiter à l’occupation du temps de loisirs, démarche qui occasionnerait de nombreux problèmes que ce mémoire a déjà abordés (coût et moyens nécessaires, surenchère d’activités, marchandisation des rapports, etc.). 101 Il convient donc d’apporter quelques éléments de compréhension des phénomènes, permettant d’affiner l’interprétation des conduites. 2.1 Les phénomènes de bandes Interpréter les conduites des jeunes suppose d’identifier le problème. On a déjà dit que la délinquance n’était pas proprement dit le problème central. Les études montrent que le sentiment d’insécurité se fonde, non pas sur la grande délinquance, mais sur les petits troubles de l’ordre se manifestant au quotidien. On a vu également que le phénomène de jeunesse pouvait représenter une menace en ce sens que cette jeunesse est porteuse de changements et donc de bouleversements de l’ordre établi (cf. : La jeunesse comme problème social, page 20). Dès qu’il existe un regroupement de jeunes, il y a donc une certaine suspicion à son égard qui engendre de nouveaux phénomènes. Notamment, nous allons voir comment, par ce processus, un groupe devient une bande. Les bandes sont ici considérées comme un phénomène de déviance, mais pas n’importe quelle déviance. Pour appréhender le phénomène particulier de déviance que constitue les bandes, il faut préalablement distinguer quelques formes générales possibles. On en retiendra trois principales42. 1. La première est la déviance correspondant à la différenciation perçue entre un individu ou un groupe d’individu par rapport à un autre. Dans ce cas, la norme est considérée comme une « moyenne » ou une « valeur morale ». Exemple : un aveugle dans un groupe de voyants, où le non voyant peut être perçu comme « atypique ». 2. La seconde forme de déviance correspond à une norme qui concerne un comportement caractéristique d’un groupe que le déviant n’adopte pas. Exemple : 42 Pierre Lascoumes et Philippe Robert, Les bandes d’adolescents, une théorie de la ségrégation, Les éditions ouvrières, Paris, 1974 102 un non croyant parmi un groupe de croyants. Le comportement peut alors être considéré comme une déviance et être « désapprouvée ». 3. La dernière forme se rencontre lorsque le déviant enfreint une règle, transgresse une norme. Il est alors considéré comme un déviant « punissable ». D’après Pierre Lascoumes, les bandes de jeunes qui constituent la clientèle de la PS se situent généralement à la frontière entre comportements punissables et désapprouvés. Souvent les bandes sont associées à la délinquance juvénile. C’est donc par la dangerosité et la criminalité que sont appréhendés ces groupes particuliers. Autrement dit, ces bandes sont caractérisées par la forme « associationnelle de la délinquance ». 2.2 La ségrégation des bandes de jeunes Pour Pierre Lascoumes, la bande a une autre signification, qui fait sa spécificité. La bande naît généralement d’une hostilité éprouvée par une catégorie d’acteurs, tels que des habitants ou des commerçants, à l’égard d’un groupe de jeunes. Ensuite, c’est souvent un incident qui vient conforter cette hostilité et développer une certaine tension. C’est autour d’un incident critique que le rassemblement va prendre forme et solidariser le groupe. Cette expérience commune va créer sa cohésion. La bande naît donc d’une démarche de ségrégation. Ce sentiment est perçu par les membres du groupe comme un rejet de la part de la société et donc comme une injustice. Ce qui se passe ensuite relève de la dynamique qui est à l’œuvre au sein de ces groupes. En particulier, ce qui importe c’est la dualité entre l’in groupe et l’environnement extérieur au groupe (out groupe). Il se produit en fait de la part des membres du groupe un phénomène de valorisation de l’in groupe et de dévalorisation de l’out groupe. Cela conduit à accroître la distance sociale et la ségrégation entre le groupe et son environnement, et ce, par le processus dynamique de l’interaction. Ce faisant, la bande, tout en apportant refuge a chacun des individus, apporte également la possibilité pour ses membres d’être conformes et fidèles à une morale. Car le groupe est loin d’être amoral. Au contraire, il possède codes et règles strictes auxquels les membres ne dérogent pas. Pour le comprendre, il faut également considérer qu’à l’âge de l’adolescence, 103 alors que le regard de l’adulte est plutôt désapprobateur, l’adolescent perçoit un sentiment de considération au sein de son groupe, sentiment dont il a besoin. 2.3 Le groupe bouc émissaire Le phénomène de ségrégation s’explique également en termes de besoins. En effet, l’homme social produit des normes et des différences. Il a donc besoin que certains portent ces différences. Ainsi, les bandes de jeunes servent-elles à véhiculer des comportements jugés déviants. En cela, ils sont des bouc émissaires. Dans la même lignée, Laurent Mucchielli43 pense que la stigmatisation que subissent les jeunes des quartiers populaires sert à masquer la délinquance des jeunes des milieux plus aisées. Mauger et Fossé-Pauliak44 considèrent également que la délinquance juvénile existe autant dans les milieux plus favorisés. Mais ce phénomène n’est pas propre au groupe d’adolescents. Tout groupe qui représente une rupture par rapport à un comportement conformiste constitue une menace. Ces groupes transcendent les classes d’âge. Néanmoins, la classe d’âge correspondant à l’adolescence est particulièrement sensible à ces phénomènes, dans la mesure où elle est naturellement porteuse de changements sociaux auxquels elle aspire. En cela, elle est, plus que tout autre classe, une source insécurisante. 3 Perspectives 3.1 Réduire la distance sociale entre certains groupes Au cours des entretiens, les éducateurs conviennent généralement (mais pas spontanément) que les jeunes n’ont pas le monopole de l’incivilité. Ils reconnaissent également, y compris l’adjoint municipal, que les jeunes dans les entrées ou dans les espaces publics ne se comportent généralement pas comme des délinquants. Mais ils ajoutent que ce qui pose problème, c’est la cohabitation entre deux groupes sociaux qui ne partagent pas les mêmes 43 Laurent o.p. cit. 44 G. Mauger et C. Fossé-Pauliak, Les loubards, Actes de la recherche en sciences sociales, 1983 104 aspirations. (Cette analyse ne veut pas dire qu’il en va ainsi dans tous les quartiers, mais seulement que c’est ce qui est perçu dans les quartiers présentés). A ce stade du mémoire, il s’agit de se poser des questions pragmatiques sur les problèmes et réfléchir aux pistes à dégager. La problématique qui vient d’être posée suppose que la distance qui sépare les groupes de jeunes et les habitants soit de nature à empêcher toute communication constructive entre ces deux acteurs. C’est donc à partir de cette question que des pistes peuvent être préconisées. 3.1.1 Améliorer la cohabitation dans les espaces collectifs Avoir le projet de transformation des pratiques professionnelles ne veut pas nécessairement dire inventer de nouvelles pratiques. Il faut savoir tirer parti des projets antérieurs qui ont donné satisfaction. Il en est un en particulier qu’il me paraît intéressant de présenter succinctement ici. C’est un projet réalisée par l’équipe au sein de laquelle je travaillais en 1999. Le projet, à l’époque, ne répondait à aucune philosophie consciente en particulier. C’était un projet qui s’était réalisé opportunément pour répondre à un problème dans une entrée d’immeuble. Sur le quartier des Provinces à Laxou, quelques habitants se plaignaient de l’état de vétusté de leur entrée où des jeunes se regroupaient. L’entrée était effectivement sale et quelque peu dégradée (boites aux lettres détériorées, inscription sur les murs, etc.). Parfois, de fortes tensions existaient entre les habitants et les jeunes. Le groupe de jeunes était bien connu de l’équipe qui avait l’habitude de les rencontrer, y compris dans cette entrée. Avec l’aide du bailleur social, nous avons proposé de réhabiliter cette entrée. Nous avons cherché à y associer quelques jeunes mais aussi les habitants de l’immeuble. Il se trouve qu’un des habitants était maçon, à ce moment là sans emploi. Nous avons donc proposé à cet habitant et au groupe de jeunes de s’employer à la rénovation de l’entrée. Cela a été fait ainsi : l’entrée a été entièrement carrelée à l’intérieur comme à l’extérieur avec, en élément décoratif, des mosaïques de couleurs. En voyant les jeunes travailler avec un de leur voisin et des éducateurs, les locataires ont été quelque peu décontenancés. Durant les dix jours qu’a duré le chantier, beaucoup d’habitants ont été amenés à rencontrer les jeunes et parfois à dialoguer ensemble. Encore aujourd’hui, l’entrée est intacte. Depuis, d’autres chantiers de ce type ont été renouvelés. 105 Malheureusement, cela est devenu quelque peu institutionnalisé, et la participation des habitants ne s’est pas reproduite dans les mêmes conditions. Bien entendu, il n’y a pas un maçon au chômage dans chaque entrée, prêt à accepter un tel projet, mais cela n’est pas une condition sine qua non. Ce projet a seulement démontré la capacité d’une équipe à se saisir d’une opportunité. Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut retenir est que l’idée de distance sociale et de cohabitation doit être une des préoccupations au cœur des projets éducatifs. 3.2 La dimension de groupe La prise en compte du groupe doit également être une préoccupation centrale dans le projet éducatif des équipes. Les années 90 ont été marquées par le souci des éducateurs d’une prise en charge individuelle de la personne. C’est ainsi que la notion de projet individuel a fait son apparition en prévention spécialisée, notamment dans le champ de l’insertion sociale et professionnelle. Cette approche particulière et nouvelle a également émergé en raison du fait qu’elle permettait à l’éducateur de transformer ses pratiques professionnelles et d’améliorer ses conditions de travail. Le projet individuel permet en effet de transformer la relation éducateur - groupe en une relation de face à face avec le jeune. Comme chacun le sait un jeune ne se comporte pas de la même manière quand il est seul ou quand il est dans un groupe. De fait, il est bien plus facile pour l’éducateur d’assurer un face à face avec un jeune qu’avec un groupe entier. Par la suite, la dislocation du groupe devient un objectif éducatif. En cassant les groupes, les comportements sont plus facilement contrôlables. Cela devient un enjeu important pour des équipes qui sont de plus en plus tenues aux obligations de résultats. Les activités qu’elles mettent en place ou les chantiers qu’elles réalisent répondant à un cahier des charges précis, les équipes ne peuvent donc se permettre de mettre à mal leur outil de travail par le débordement de groupe de jeunes. Or, la problématique de l’insécurité est précisément liée à ces phénomènes de bandes. Par conséquent, plutôt que de chercher à éclater les groupes, il s’agit au contraire de les appréhender en tant que tels. Il s’agit donc pour l’éducateur de se faire entendre du groupe et non des personnes prises individuellement. Si le groupe est une entité à part entière, alors il faut le considérer comme tel et aller au devant de lui là où il se forme. Les réponses à apporter 106 doivent d’abord concerner le groupe. Par la suite, cette accroche permettra de traiter des problèmes de dimension individuelle. 3.3 Le travail de terrain L’enseignement que nous ont apporté les expériences relatées dans ce mémoire est, entre autres, de rappeler la nécessité d’être au contact direct avec les jeunes, là où ils sont. Tel que cela nous a été présenté, retourner au contact de ces jeunes présentait un double intérêt : celui de rassurer les partenaires par rapport à l’ancrage effectif de la prévention spécialisée avec les jeunes en difficulté, mais aussi et surtout de réapprendre à connaître ces jeunes avec lesquels se créait une certaine distance. Mais ces expériences ont aussi montré leurs limites. En prise avec les attentes sécuritaires, les équipes de prévention ont focalisé, à l’excès, leur attention sur le problème des entrées ou des nuisances dans les espaces publics. Or, le travail de rue doit être pris dans un sens plus large, d’où la terminologie du titre de cette partie : le travail de terrain. Renouer avec le travail de rue, ce n’est pas retourner dans la rue quand ça va mal, car alors il est déjà trop tard. A ce moment là, quand les éducateurs interviennent, ils sont des étrangers pour les jeunes, qui les prennent pour la police, qui les fuient ou les rejettent. 3.3.1 Distance entre éducateurs et jeunes C’est que le travail de terrain et de contact direct est quelque peu devenu, en prévention spécialisée, un travail délaissé. Pour s’en convaincre, il faut constater que les tâches au contact direct avec le public sont d’abord confiées aux personnels les moins qualifiés (animateurs BEATEP, CES, Emploi jeunes, etc.), charge aux personnels plus qualifiés d’élaborer les diagnostics, de rédiger les projets éducatifs, d’effectuer les montages financiers, de coordonner les actions et de remettre les bilans. Souvent, le travail au contact direct du personnel le plus qualifié se résume à la prise en charge individualisée des jeunes. Un directeur d’un CEF (Centre Educatif Fermé) confiait récemment que parmi le personnel, les intervenants les moins qualifiés étaient ceux le plus au contact direct avec le public. Ils étaient aussi les plus participatifs. Un exemple : un jeune du CEF fête son anniversaire dans le centre un samedi. Ce jour là, seul un tiers du personnel est présent par obligation. Le jeune avait invité l’ensemble du personnel à son anniversaire, mais seuls certains ont honoré l’invitation 107 en venant au centre ce jour là. Il se trouve que ces personnels faisaient parti de ceux qui étaient les moins qualifiés et les plus jeunes, et étaient majoritairement issus eux-mêmes des quartiers. De même, le directeur rapporte que c’est de la part de ce personnel que proviennent les initiatives hors du cadre institutionnel. Ainsi, ce personnel se retrouve souvent à jouer spontanément au foot avec les jeunes. Et il se trouve qu’après quelques mois de fonctionnement, c’est parmi le personnel le plus qualifié et diplômé qu’on trouve les demandes de mutations et les absences pour maladie. Cela permet de rappeler que le travail de terrain ou de rue doit surtout permettre aux éducateurs de connaître et de se faire connaître des jeunes qu’ils rencontrent. C’est cette reconnaissance mutuelle qui est le gage d’un possible travail ultérieur, de médiation, d’accompagnement ou de réalisation de projet. Cela suppose donc que le travail de rue s’effectue sans arrière pensée autre que celle de rencontrer les jeunes. La gêne des habitants ne peut être un motif valable de l’intervention des éducateurs dans les entrées. L’éducateur ne doit pas non plus être un marchand de projets. Le travail de terrain est la possibilité de rencontrer les jeunes là où ils sont et montrer qu’ils ne sont pas à la marge, que le lien social n’est pas totalement distendu. 3.4 Coopérer sans entrer en guerre contre les jeunes Il est nécessaire de revenir à la question qui nous préoccupe dans ce mémoire : quelles sont les coopérations possibles entre la prévention et les autres institutions. Nous ne reviendrons pas sur le partenariat au sein des dispositifs de prévention de la délinquance ou de sécurité. Pour certains, ils sont des antichambres destinées à valider les projets (comme l’ont été les CCPD). Auquel cas, la participation de la prévention spécialisée ne pose pas de problème. Dans d’autres cas, les dispositifs sont plus durs et la présence de la prévention spécialisée pose des problèmes aux partenaires ou aux équipes de prévention elles-mêmes. Nous nous cantonnerons donc à évoquer les coopérations au sens large du terme, telles qu’elles se pratiquent dans les instances ou réunions ordinaires ou au cours des projets en partenariat auxquels la prévention a l’habitude de participer. Préalablement, les équipes doivent garder à l’esprit que leur coopération doit se cantonner à la problématique de la prévention des inadaptations et non se focaliser sur les aspirations sécuritaires. Comme on l’a vu, l’insécurité est une appréciation subjective, certes ressentie 108 réellement par certains, mais ancrées à des représentations sociales au centre desquelles le rôle de jeune occupe une place particulièrement exposée. Ces représentations ne doivent pas faire non plus oublier qu’elles sont une manière détournée de dire les peurs qu’on éprouve à l’égard de la jeunesse porteuse de changements. Il revient à la prévention spécialisée de faire part de sa connaissance du problème pour amener à relativiser cette menace sociale afin que les jeunes qui en subissent les conséquences puissent se construire une place acceptable de citoyen. Dans ce cadre, la prévention spécialisée doit enrichir le diagnostic local en apportant à ses partenaires l’interprétation qu’elle fait des conduites des jeunes. Nous en arrivons là au cœur de la problématique de ce mémoire. Entretenir des relations de coopérations institutionnelles tout en conservant un contact privilégié avec les jeunes dits en marge semble en effet le défi qui est posée actuellement à la prévention spécialisée. C’est aussi la critique principale qui lui est faite (elle est à la fois distante vis à vis des jeunes mais aussi vis à vis des partenaires institutionnels). Très concrètement, ce problème est posé dans le cadre de l’avant projet de loi sur la prévention de la délinquance qui pose comme règle la coopération entre la prévention spécialisée entre autres et le maire. En particulier, c’est l’échange d’informations qui fait problème puisqu’il remettrait en cause un des principes cardinaux de la prévention spécialisée : l’anonymat. Comme nous l’avons vu, cela constitue apparemment un obstacle infranchissable pour la communauté de prévention spécialisée. Or les préconisations qui sont faites précédemment le permettent. Pour le comprendre, il faut prendre un des points centraux du texte : le partage d’informations. Les éducateurs y sont farouchement opposés et c’est l’un des principaux griefs qui est fait à la prévention spécialisée. Il existe même en Meurthe et Moselle un comité qui vient de se créer suite au texte de loi qui se dénomme comité anti délation. 3.5 Anonymat et échange d’informations Il faut donc faire un détour du côté du principe de l’anonymat. La circulaire n°31 du 13 juillet 1973 précise « Nous vous rappelons à ce propos l’obligation déjà soulignée de respecter l’anonymat des jeunes qui fréquentent ces Clubs et Equipes de Prévention ». Afin de protéger ce principe, il est prévu un financement par enveloppe globale et ce quelque soit le nombre de personnes rencontrées. 109 Mais à trop conserver l’information, cela suscite la méfiance des partenaires. Concilier une relation de confiance avec les jeunes en marge et une coopération possible avec les partenaires institutionnels consiste précisément à renforcer notre connaissance des jeunes et de son milieu et d’être capable de le restituer dans le cadre de réflexions en partenariat. La connaissance des jeunes en marge comme atout principal de la prévention Rappelons ce que l’enquête CNLAPS / DIV rapportait sur les éléments positifs en faveur de la prévention spécialisée vus par les élus : « très bonne connaissance du terrain », « thermomètre d’alerte, un phare dans le brouillard, un véritable aiguillon... » « lecture particulière du terrain » « porteurs d’une connaissance du terrain » ou en encore « bonne connaissance du terrain ». Cadrer le principe de l’anonymat et l’échange d’informations Mais ce respect de l’anonymat ne doit pas être compris au pied de la lettre. Quand c’est le cas, la prévention spécialisée donne le sentiment aux partenaires qu’elle est dans une relation de complicité avec le jeune. Ce n’est pas le nom de la personne qu’il faut garder secret mais le contenu de la relation avec cette personne. Garder le secret sur une rencontre avec une personne est par ailleurs discriminatoire. C’est reconnaître que cette personne possède un handicap social qu’il est nécessaire de cacher. Les centres de toxicomanies s’y prennent de cette manière. On cache également le passé carcéral d’un mineur, y compris au casier judiciaire, de peur que cela ne lui soit préjudiciable dans son insertion sociale et professionnelle. Mais en prévention spécialisée, doit-on cacher que l’on a rencontré un jeune par crainte que son insertion n’en pâtisse ? L’exemple cité dans ce mémoire montre que le débat sur l’anonymat est parfois un combat d’arrière garde (les équipes refusent de donner le nom des participants à leurs activités, mais font paraître les photos des jeunes dans la presse). Bien entendu, le cadre dans lequel l’échange d’informations se fera devrait être parfaitement défini sous peine de réduire à néant les efforts produits quotidiennement par les éducateurs auprès des jeunes en question. L’échange d’informations nominatives, par exemple, ne présente aucun intérêt. La problématique de la prévention se situe à l’échelle globale d’un quartier dans une dimension d’interaction. Retranscrire en réunion un ressenti sur une situation globale ne veut pas dire informer le maire qu’untel se trouvait à telle heure à tel endroit et faisait ceci ou cela. L’enjeu 110 de la coopération c’est d’apporter un regard particulier au milieu d’autres, avec le souci de la compréhension et de la confrontation des différents points de vue. Cependant, il semble impossible que la prévention se situe dans un dispositif d’échange d’informations destiné à une répression policière. Cela n’est pas de la compétence de la prévention spécialisée et il en résulterait que les éducateurs soient perçus comme des auxiliaires de police, ce qui aurait un effet désastreux sur le devenir de la profession. 111 CONCLUSION Nous avons tenté, au cours de ce mémoire, de présenter les tendances dominantes actuelles à l’œuvre dans le domaine de la prévention de la délinquance, en montrant que celles-ci évoluaient en faveur d’un durcissement du discours sécuritaire susceptible de modifier les pratiques éducatives en prévention spécialisée. Nous avons distingué deux processus possibles pouvant favoriser ces modifications : un processus externe et un autre interne. Par processus externe nous entendions principalement les cadres politiques qui contraignent la prévention spécialisée, notamment les dispositifs sociaux de la politique de la ville qui constituent le cadre institutionnel permettant à la prévention spécialisée d’intégrer ses actions dans le tissu partenarial. Ces dispositifs évoluent constamment et l’on peut noter que depuis la création en 1978 du Comité National de Prévention de la violence et de la criminalité, les politiques publiques de gestion de la sécurité n’ont cessé de se développer et de s’intensifier sous la pression d’une opinion publique soucieuse de sécurité, confortée par une surmédiatisation des phénomènes de violence dans les quartiers sensibles. D’abord attachés à la prévention de la délinquance et essentiellement pilotés au niveau départemental, les derniers dispositifs mis en place (CLS, GLTD, CISPD) se proposent de traiter directement la délinquance et s’installent et se pilotent au niveau local, échelon le plus sensible aux attentes sécuritaires. Le Maire devient ainsi un pivot incontournable de l’action coordonnée en faveur de la prévention de la délinquance. Jusque là, la prévention spécialisée, relativement autonome, tant financièrement qu’idéologiquement, se trouve, par le jeu de la décentralisation et de la baisse de l’aide financière de l’Etat, en position de devoir dépendre financièrement plus fortement des municipalités. Actuellement, les projets de lois en matière de gouvernance locale et de prévention de la délinquance devraient accentuer cette tendance. Par contraintes internes, nous entendions que les acteurs de prévention spécialisée font bien évidemment partie de la société et sont à ce titre concernés en tant que citoyens par les débats sur l’insécurité. Ils ont donc leurs propres peurs, doutes et incertitudes à propos de ce problème. C’est d’autant plus compliqué pour eux, qu’ils sont eux-mêmes, dans leur cadre professionnel, exposés à la violence et aux agressions. Par conséquent, l’éducateur exposé à ces risques ne peut être tout à fait objectif par rapport aux questions sur l’insécurité. 112 On peut donc faire l’hypothèse que, par le jeu de ces contraintes tant internes qu’externes, les éducateurs vont être amenés à modifier leurs pratiques éducatives en matière de prévention de la délinquance. Plus particulièrement, la prévention spécialisée se trouve dans la situation de devoir faire la démonstration de son utilité professionnelle en ce qui concerne la coopération en matière de sécurité. Ce faisant, elle se confronte à la difficulté de devoir gérer un paradoxe. D’un côté, elle doit mener une action éducative et préventive inscrite dans le long terme. De l’autre, elle doit répondre aux exigences sécuritaires par des actions concrètes aux résultats immédiats. Plus concrètement, la prévention spécialisée se retrouve dans la situation de devoir tisser simultanément des alliances contradictoires. Car en matière de prévention de la délinquance, mais surtout de traitement de la délinquance, le Maire, dans ses nouvelles attributions devient un adversaire des jeunes visés par les lois sur la délinquance. Or, ces mêmes jeunes sont ceux ciblés par l’action éducative de la prévention spécialisée. Action éducative qui, rappelons-le, est bâtie sur le principe de la libre adhésion et l’absence de mandat judiciaire. En quelque sorte, partant de l’adage selon lequel les amis de mes ennemis sont mes ennemis, les éducateurs en situation de coopérer à la sécurité perdraient non seulement toute crédibilité auprès des jeunes qui n’adhéreraient plus à la relation, mais deviendraient en plus leurs ennemis. On peut admettre cela d’autant plus facilement si l’on considère que l’éducateur de rue est parfois le dernier lien qui rattache ces jeunes à une institution officielle. Dans ces conditions, la collaboration policière, puisque c’est comme cela que ça sera interprété, de la part d’éducateurs en lesquels les jeunes auraient nourri des espoirs, constituerait pour ces derniers une terrible trahison. Dans ce contexte la prévention spécialisée est régulièrement, y compris en interne, suspectée d’être absente de la lutte contre l’insécurité, voire d’y être réfractaire. Ou à l’opposé, on accuse certaines équipes de collaborer avec trop de zèle aux différents dispositifs. Ce mémoire a tenté d’infirmer ces deux tendances en proposant une voie alternative qui consiste à considérer qu’à travers les actions qu’elles mènent, les équipes de prévention élaborent des stratégies leur permettant de démontrer leur utilité auprès des partenaires institutionnels tout en conservant les liens de confiance avec les jeunes. Dès lors, le concept de transaction sociale paraissait un outil pertinent pour analyser les formes de coopérations en 113 jeu dans certaines actions à l’initiative des équipes de prévention. Le concept de transaction sociale permet en effet d’analyser les processus d’élaboration des compromis pratiques dans les situations de coopération conflictuelle. Ces formes de transactions sociales permettent de sortir provisoirement d’un conflit par l’élaboration de compromis pratiques et non par la compromission. En effet, compromis ne veut pas dire compromission. Sous le jeu des différentes contraintes, et dans un contexte où, comme on l’a vu, la prévention spécialisée a perdu de sa marge de manoeuvre et d’indépendance financière, la compromission signifierait que la prévention spécialisée ait renoncé à ses valeurs. Bien entendu, cette recherche n’a pas la prétention d’avoir une portée générale. La prévention spécialisée est actuellement poly forme. Elle intervient dans des contextes très différents ayant des degrés de difficulté variables. Les équipes rencontrées sont installées dans des quartiers, certes classés comme zone à risque, mais ils ne peuvent être comparés aux grands quartiers de grandes périphéries où les problématiques sont plus importantes. Néanmoins, il paraissait opportun de montrer comment ces équipes rencontrées ont répondu aux différentes injonctions de s’occuper du problème du traitement de la délinquance. Cela était d’autant plus intéressant que ces équipes se positionnaient historiquement en opposition à toute forme d’intervention sécuritaire et au traitement de la délinquance. En effet, leur positionnement se situait plutôt sur le versant de la prévention dite des inadaptations. Concrètement, il s’agissait, au cours de cette recherche, de montrer comment ces équipes de prévention parviennent à élaborer des projets susceptibles de modifier les règles du jeu en vigueur dans les coopérations avec ses partenaires. L’analyse des entretiens a permis d’envisager que l’enjeu de ces transactions portait principalement sur la conservation d’une valeur fondamentale aux yeux de la prévention spécialisée : sa capacité d’initiative et sa maîtrise des projets par les éducateurs. En effet, les expériences tendent à montrer que les débats et conflits n’ont pas porté sur l’opposition idéologique entre prévention et répression, mais sur le problème pragmatique de la place de la prévention spécialisée dans le dispositif global de la lutte contre l’insécurité. En effet, on peut comprendre que les équipes rencontrées ont perçu la nécessité de prendre en compte les diverses injonctions en faveur de sa contribution à la politique de prévention de la délinquance. 114 Ce faisant, elles ont pu se positionner sur le terrain de la prévention de la délinquance avant que des intervenants extérieurs s’en chargent à leur place. En lisant cela par le prisme du concept de transaction sociale, on peut comprendre que ces équipes ont transigé sur certains points sans se compromettre. La principale compromission aurait été de se laisser instrumentaliser par les décideurs politiques. En proposant leurs propres analyses et leurs solutions, les équipes ont conservé leur pouvoir d’expertise et leur autonomie d’intervention. En revanche, ils ont transigé sur les positions historiques de la prévention spécialisée. En effet, ces équipes ont intégré l’idée que les jeunes occasionnaient des nuisances contre lesquelles il fallait lutter. En quelque sorte, ils ont admis le discours dominant des élus locaux politiques selon lequel l’incivilité des jeunes cause un trouble à la tranquillité des habitants. Trouble qu’il convient de faire cesser. En ce sens, la prévention spécialisée devient un instrument parmi d’autres au service de cet objectif. On peut raisonnablement estimer que ceci constitue un changement notoire dans le positionnement des éducateurs de prévention, étant entendu qu’historiquement et idéologiquement, ils étaient plutôt enclins à considérer que les comportements déviants ou marginaux des jeunes étaient les effets d’une société qui dysfonctionne et non les causes d’un dysfonctionnement. Pour conclure ce mémoire, il faut enfin se poser la question pragmatique de savoir ce qu’induit ce type de changement et sa pertinence. On a vu que d’un point de vue stratégique les équipes ont occupé, avant qu’on ne leur demande, le terrain de la prévention de la délinquance et ont fait la démonstration de leur utilité professionnelle et de leur compétence. Ainsi, elles conservent l’initiative de l’expertise et de l’action et devancent les commandes externes. Mais pour ce faire les éducateurs se sont mis dans une posture particulière vis à vis des jeunes concernés. En effet, tels qu’ils sont présentés, les projets se conforment à l’idée trop répandue selon laquelle les jeunes sont la source du problème. Dès lors, les projets s’apparentent à une entreprise de rétablissement de la tranquillité publique de certains espaces. Et ce, au détriment d’une réelle prise en compte des problèmes mis en scène dans ces espaces collectifs. En demandant aux jeunes de se regrouper ailleurs, ou en leur proposant des projets de substitution les éducateurs identifient formellement les jeunes comme les fauteurs de troubles. 115 On a vu que les projets n’ont pas abouti à une réelle assise relationnelle entre les éducateurs et les groupes de jeunes. Les projets tiennent tant qu’une offre concrète et substantielle est proposée aux jeunes (local, abri jeunes, projets de loisirs). Cette démarche qui peut donner satisfaction du point de vue du positionnement stratégique des associations de prévention ne doit néanmoins pas occulter la dimension politique et éducative de sa mission. Or, c’est là que se situe le défi à venir pour la prévention spécialisée. Les associations doivent être en capacité de donner leurs propres interprétations concernant les conduites marginales. C’est seulement à partir de là, en vertu de la notion d’incomplétude, qu’elle doit partager son diagnostic et le confronter aux autres. Les projets nous ont montré la capacité des équipes à comprendre la nécessité de réagir face aux sollicitations pressantes. Yves Barel45 explique cette nécessité « Il existe un consensus socio-politique très large sur la nécessité du travail social, un consensus qui ne suit pas les clivages idéologiques et politiques classiques, et qui s’accompagne, notons-le, d’une totale absence d’accord sur ce qu’est ou ce que doit être le travail social. Cela signifie que le consensus porte sur la nécessité d’agir, non sur le contenu de l’action (...) » La prévention spécialisée n’a pas échappé à cette règle. Mais il y a encore du chemin à parcourir. Il reste donc à la prévention à définir clairement ses interprétations et ses objectifs au risque de ne plus pouvoir peser sur les futures orientations dans le cadre des coopérations. Notamment, en matière de phénomène d’insécurité, elle doit situer son action dans un cadre différent de celui de la prévention de la délinquance. En élargissant le problème des incivilités et autres troubles « de l’ordre en public », elle doit décliner sa propre politique d’action en tenant compte des significations à l’œuvre dans des phénomènes telle que la cohabitation des groupes dans les espaces collectifs. 45 Yves Barel, Qu’est-ce que le social ? « les enjeux du travail social » Actions et recherches, novembre 1982, N°3. 116 BIBLIOGRAPHIE Alvarez Joséfina, La prévention de la criminalité, panorama de la recherche en France, Association pour la recherche en politique criminelle (ARPC), Université de Montpellier I, Décembre 2001Barel Yves, Qu’est-ce que le social ? « les enjeux du travail social » Actions et recherches, novembre 1982, N°3. Berlioz Gilbert, La prévention dans tous ses états, histoire critique des éducateurs de rue. L’Harmattan, éducateurs et préventions, 2002 Clarke R. V., Situational crime of prévention, in M. Tonry D. P. Farrington éd. Building of safer society, 1995 Donzelot Jacques et Anne Wyvekens, La politique judiciaire de la ville : de la « prévention » au « traitement », les groupes locaux de traitement de la délinquance, CEPS, Centre d’Etude des Politiques Sociales, Mission de Recherche « Droit et justice », Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure, décembre 1998. Dubar Claude, Double transaction et différenciation sexuelle : l’interprétation de deux biographies professionnelles, in Vie quotidienne et Démocratie, (Maurice Blanc, Marc Mormont, Jean Rémy et Tom Storrie, Paris, L’Harmattan, 1994 Durand Jean Pierre et Robert Weil, Sociologie contemporaine, Editions Vigot, 1990. Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique (Chap. 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Peyre Vincent, Conférence introductive aux actes des cinquièmes journées internationales, in volume 2, Délinquance de jeunes, CRIV , 1986 Roché Sébastian, Tolérance zéro ? incivilités et insécurité : Odile Jacob, avril 2002 Tétard Françoise, Sauver notre jeunesse, in politique de prévention et action sociale, annales de VAUCRESSON N° 24, 1986. REVUES LIEN SOCIAL - N°641 - 07 novembre 2002. 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Alors effectivement lors du travail de rue dans les entrées on s’est rendu compte que ce quartier est un quartier qui est en évolution. Il y a des déplacements de population qui sont en train de s’opérer ; c’est que c’était un des quartiers les moins sensibles de l’agglomération nancéienne, mais on se rend compte depuis un certain temps, lié aussi au déplacement des populations des quartiers autour, que les choses sont en train de changer progressivement. Le nouveau public qui arrive sur ce quartier là… effectivement, il y a des phénomènes qu’on voit apparaître. Ils existaient avant mais pas aussi flagrant que maintenant. Et c’est vrai qu’on se rend compte qu’avant des squats existaient, des squats d’entrée traditionnels et là on se rend compte que le phénomène est en train de s’accentuer. C’est à dire qu’on est plus sur le quartier du haut, on se rend compte que le squat dans les entrées c’est plus seulement dans deux ou trois entrées mais sur plusieurs. Premièrement. Deuxièmement, c’est vrai que ça pose problème. A tel point que les habitants se plaignent. Les secteurs touchés par une trentaine de jeunes ça pose des problèmes de nuisance, c’est un truc de fous. On arrive à des nuisances très forte, de petites violences qui montent, des petits trafics. Après, il y a une logique ou les habitants qui ne peuvent pas dormir, derrière là , dans cet immeuble là, les habitants répondaient, et on arrive à des points de non retour. Mais on a fait une erreur stratégique. Il faut dire que nous on est là pour essayer quand même… pour analyser tous ces phénomènes là et on a pas été à l’origine de ça. On a pas vu arriver le phénomène. On est venus après, ca faisait longtemps que c’était installé. C’est clair qu’on l’a pas vu, donc c’est la mairie qui l’a signalé. Là, on commence à refaire un travail de rue, surtout sur ce secteur là, on fait un travail avec la ville. Donc, le travail de rue c’est difficile dans le sens où on est sur des relations très précaires. Avec les jeunes, je veux dire. Dans le sens où quand on arrive dans des problèmes d’entrée, on a l’impression qu’on arrive dans leur territoire, parce qu’ ils se sont approprié un territoire qui ne leur appartient pas. Effectivement, alors on essai de prendre les entrées par un ou deux jeunes, ce qui fait qu’on arrive à 3 s’immiscer dans le groupe. Mais c’est pas quelque chose qui est flagrant dès le démarrage, ça vient bout par bout, et c’est vrai que tout le travail qu’on a mené avec la mairie, et fait que progressivement on a fait sortir ce groupe de jeune. On les a fait sortir pour les amener à construire un abris qui s’appelle… qui est sensé être un abri pour les jeunes, alors je ne sais pas ce que ça va donner, parce que là, on arrive en période de printemps et d’été, mais c’est sensé les amener à venir squatter dans cet abri. Alors, actuellement, au jour d’aujourd’hui, on a plus ces problèmes d’entrées parce qu’on vient de quitter le froid. Maintenant, on ne sait pas parce que c’est cyclique, le problème qui était centralisé là, c’est n’est plus aussi flagrant qu’au démarrage. Après, dans les autres entrées, c’est en fonction des jeunes qui sont dans les immeubles. Il y a des pôles de quelques jeunes, alors, en général, on va trouver des jeunes qui sont là pour squatter, pour fumer des « pet » point à la ligne. Nous, on est là pour… nous, on vient presque au milieu de là-dedans, c’est pas évident parce qu’en plus, en tant qu’éducateur, on est censé, soit disant, je dis bien soit disant, pour poser des cadres, des règles. Comme on a toujours l’impression de rentrer dans leur territoire, et qu’en plus il fument tranquillement leur « pet » nous, on est sensé ne pas accepter, on est, on se sent dans un fonctionnement où on se demande comment on se positionne. Alors, certains jeunes écrasent leur « pet » parce qu’ils nous voient arriver, d’autres ne le feront pas, nous, là-dessus, ça nous est déjà arrivé d’essayer, d’arriver, entre guillemet, en leur disant, comme si on était, entre guillemet, là pour donner une règle une morale. Et les jeunes nous envoient « bouler ». Ça, c’est déjà arrivé une paire de fois. Voilà en gros, pour l’instant, ce que je peux te dire… je ne sais pas si ça répond à ta question. Si, si, très bien. Mais on peut revenir sur le travail avec la mairie, qu’est-ce que tu peux en dire ? Compliqué, très compliqué, parce que la mairie est dans un fonctionnement avec nous et il faut pas se leurrer, c’est à dire qu’elle veut nous faire des injonctions, c’est à dire, très concrètement, elle nous dit, il y a un problème de délinquance sur ce secteur, donc, là on aimerait bien vous voir intervenir. C'est ce type de rapport qu’on a actuellement, ca veut dire que les choses ont vraiment évolué, surtout depuis la loi Borlo, la fameuse loi Borlo qui… ou effectivement,… on a eu une réunion avec le maire où on est tombés des nues, le maire nous disait concrètement, vous êtes là pour faire baisser la délinquance, votre travail c’est faire baisser la délinquance, donc maintenant on a ce type d’injonction avec la mairie, qu’on avait pas avant. Donc, c’est vrai que ça créé des espèces de conflits qui sont des conflits dans le cadre des missions qu’on a, nous. C’est à dire, que nous, effectivement, on dit : notre travail 4 c’est effectivement de prévenir les risques de marginalisation, mais on est pas là pour, effectivement, s’occuper des délinquants, on est là, effectivement, pour essayer de les amener, entre guillemet, de les amener à trouver des solutions. Mais il y a un certain public pour lequel il ne faut pas se leurrer, c’est du domaine de la police, c’est un public pour lequel on ne peut plus rien faire pour eux. Il faut le dire très concrètement, il ne faut pas se voiler la face. C’est à dire que, à un moment donné, il y a une frange de jeunes avec qui on ne peut plus travailler, c’est d’ailleurs ce qu’on avait déjà dit lors de la réunion qui avait eu lieu sur le projet associatif. Les différentes rencontres qui avaient eu lieu où effectivement on va dire qu’on a fait cette fameuse typologie de public. Il y a le premier niveau de délinquants qui sont vraiment dans une accroche très forte. Là ils peuvent effectivement nous solliciter, mais ça s’arrête là. On va pas au delà parce qu’ils sont vraiment dans des phénomènes… et on sait qu’ils trafiquent, mais il ne viennent pas nous voir, ou alors c'est pour des trucs vraiment très précis. Et après, on avait deux autres types de public : le public qui sont dans la tangente et qui trafiquent en tout petit, à tout petit niveau, qui sont vraiment à la tangente. C’est eux notre public. Le voilà notre public. Et il y a la troisième frange du public qui sont les jeunes qui n’ont pas forcément des problèmes de délinquance, mais qui sont sur des problèmes psychologiques, d’échecs scolaires mais qui ne sont pas dans des phénomènes de délinquances, de violences. Donc ce sont ces deux publics-là qu’on cible dans notre travail, et on le dit très concrètement à la mairie. Et quelle est la réponse du maire ? Et bien le maire… de toute façon le maire actuellement… on est dans un rapport qui n’est pas forcément… parce que le maire, actuellement, il sait très pertinemment… parce que, en plus, on est dans des enjeux politiques, on est tout le temps dans des stratégies à court terme. Les maires se situent toujours dans des stratégies à court terme. Eux, ce qu’ils veulent très concrètement c’est que les choses évoluent très vite. Tandis que sur un travail de prévention on est sur un travail de long terme. Donc, en fait, on n’est pas dans les mêmes objectifs, entre court et moyen terme. Donc, ça c’est la première chose. La deuxième chose : le maire sait pertinemment qu’il a actuellement… qu’il prend actuellement des positions qui vont lui coûter cher. Je le dis très ouvertement, mais je ne suis pas le seul à le dire, mais dans l’équipe on le pense fortement… et donc le travailleur du quartier le pense : il le paiera cash aux prochaines élections. C’est à dire qu’il supprime le pôle emploi, il vient de supprimer le service animation, le service culture est vraiment réduit, il est en train de rapprocher les deux écoles, c’est à dire remettre les écoles ensembles. Tout ça fait, qu’à un moment donnée, il y a 5 des tension qui sont en train de monter contre lui. Et lui… alors je ne suis pas en train de dire que c’est après nous qu’il en veut , c’est pas ça que je suis en train de dire, mais c’est vrai qu’effectivement… il voit qu’il y a des phénomènes de délinquance qui s’opèrent, donc de fait, il y a des équipes de prévention. Ils sont là pour régler les problèmes de délinquance. Donc, on est dans des rapports qui ne sont pas des rapports, comment dirais-je… il n’arrive plus à voir… c’est pas clair avec les missions. Et ça se sent. Par exemple, il est hors de question… au départ il voulait mettre un groupe de veille sociale, il est hors de question… par ce que nous, c’est la position qu’on défend, bon après on peut en discuter sur le concepts, etc., nous, il est hors de question de travailler sur liste nominative, on fera jamais des listes nominatives. Il en est hors de question. Mais après on peut en discuter. On est ouvert à toute discussion… parce que c’est vrai qu’on en donne pour la CAF, etc. il n’y a pas de problème. Mais il ne faut pas se leurrer, on est pas idiots non plus, quand il cherche les listes nominatives il cherche les jeunes qui sont un petit peu dans la tangente. Faut pas se leurrer. Faut pas nous prendre pour des idiots. Tu dis qu’il n’est pas clair avec vos missions… On va dire que c’est à deux niveaux. Je ne sais pas les rapports que l’association a avec la ville. Donc, ça c’est la première chose. La deuxième chose, c’est nous, dans l’implantation, avec la mairie directement. C’est clair que… il y a une chose qu’on a remarquée c’est que la mairie paye. Donc, si elle paye elle veut voir des résultats. Elle le dit elle-même, je mets tant d’argent sur la table, je souhaite avoir des résultats. L’introduction qu’a eu le maire la dernière fois en réunion c’est de dire : « je souhaiterai qu’on travaille sur du pourcentage de baisse de délinquance ». C’est l’introduction qu’il a faite. Obligation de résultat ? Obligation de résultat. Et moi, ça m’a un petit peu embêté dans le sens où le directeur (de l’association) dit : vos missions ne sont pas claires … A vous ? Non, non, à la mairie. Je ne sais pas ce que vous cherchez parce qu’elles ne sont pas claires. Et bien on l’a payé cash, parce que derrière il l’a clarifié par un écrit. Il a clarifié ce qu’il voulait. On savait très bien ce qu’il voulait. D’accord. Est-ce qu’il donne des indicateurs quand il parle de baisse de la délinquance ? Non, il ne donne pas d’indicateurs. on n’est pas dans des pourcentages. 6 Non mais… comment il va le mesurer, est-ce qu’il en dit quelque chose ? Non. C’est ça qui n’est pas clair. Et ça serait intéressant d’ailleurs de voir un peu quelles sont les visions de mes collègues. Mais ce qui est intéressant c’est qu’à chaque fois qu’on voit le maire… et stratégiquement je ne sais pas à quoi il joue avec nous. C’est que, en général, c’est toujours le premier adjoint qui… quand le maire vient, il vient toujours pour l’introduction. il repart et il revient un quart d’heure avant la fin pour la conclusion. Je ne sais pas ce qu’il sait des réunions. Et ça, je pense que pour nous, c’est déstabilisant parce que, en fin de compte, il fait passer ses consignes, mais quand on lui donne les retours c’est pas lui qui les a directement. Donc, est-ce que c’est une stratégie, je ne sais pas ? Très complexe, très complexe, parce qu’en plus on est vraiment aussi dans des enjeux politiques, dans le sens où la mairie est de droite et le conseil général est à gauche. C’est le conseil général qui contrôle la prévention dans le département. Bon on est bien, d’accord, c’est une mission du conseil général. Il ne l’a pas dit de manière directe, c’était de manière indirecte, mais son souhait c’est que la prévention spécialisée soit conventionnée avec la mairie. Et on en parle beaucoup. On a qu’a prendre dans l’assemblée des maires, ça été préconisé dans un écrit. Pour lui ça serait un bon moyen de contrôle. Ça serait pour lui la possibilité de dire : je veux que ça soit comme ça et pas autrement. Alors qu’est-ce qu’il attend ? Je ne sais pas. Est-ce qu’il demande des choses explicitement ? Alors je vais être très clair, très clair. On a fait une erreur stratégique qu’on paye encore. C’est à dire que si on prend la genèse de cette équipe-là, l’équipe a fait un bon boulot. Il y a des gens qui sont passés ici qui ont fait un bon boulot. Il y a du travail de rue qui a été mené, mais à partir de 2000 le travail de rue n’a pas été fait. Il n’a pas été fait convenablement, il n’y avait plus la présence dans la rue, il y avait de la présence dans les locaux, il y avait de la présence dans les salles mais on était pas présents dans la rue, on était pas visibles dans la rue. Donc, ça a duré. En plus, on a eu ce phénomène de, malheureusement, d’équipier qui nous manquait, ce qui fait qu’on a pas fait ce travail de rue, et alors, en sachant qu’il n’y a pas d’institution de travail de rue, on est pas dans l’institutionnalisation du travail de rue. C’est vrai qu’il n’y a pas eu ce travail. Et on a remarqué que depuis qu’on a repris réellement, je dis bien réellement, et pas en faisant semblant de faire du travail de rue, on se rend compte, qu’effectivement, le fait de nous voir dans la rue, le maire commence à avoir des retours en nous voyant dans la rue. 7 Donc, je pense que c’est ça qu’il voulait le maire. C’était de nous voir réellement dans la rue. Ca, c’est ma vision à moi. Peut-être que je me trompe. Peut-être que je suis complètement à côté de la plaque. Mais moi j’ai l’impression que c’est ça qu’il voulait le maire. Il voulait nous voir dans les entrées. Qu’est-ce que ça a changé, en termes de relation avec lui… ? Non, mais les relations sont très difficiles. Elles sont très difficiles parce que, par exemple, il faut savoir que stratégiquement l’équipe est conventionnée… la mission elle n’est pas que sur le quartier… je ne sais pas si tu es au courant mais elle est étendue. Donc, on nous demande d’intervenir sur l’ensemble de la commune parce qu’ils ont repéré des phénomènes de délinquance. La demande c’est de dire : voilà, on a des jeunes qui posent vraiment problème au niveau de la délinquance. Vous, vous êtes des spécialistes, on voudrait que vous nous donniez des conseils par de la formation, que vous donniez les pistes à explorer pour essayer de sortir de cette spirale de délinquance. Voilà, ça c’est des demandes précises qu’on a actuellement. Donc, nous on a répondu, on est prêts à venir donner des conseils, c’est à dire parler des dispositifs qui existent, etc., mais mener une mission là-haut c’est hors de question, hors de question, sauf si on a une injonction là-dessus. Une injonction de qui ? Et bien je suppose que l’injonction ne peut venir que de la mairie. Parce qu’on a une mission sur le territoire. Ca veut dire que la mairie peut demander au conseil général qu’elle souhaite qu’un éducateur descende vers le bas. Il pourrait le faire si on était conventionnés pour ça. Pour l’instant on ne nous le demande pas. Le directeur a répondu à un truc où il a dit que des éducateurs descendraient pour intervenir sur la méthodologie de projet auprès des animateurs de la ville. Après, quels ont été les rapports ? ils ont été très difficiles parce que… (interruption) Il y a d’autres soucis qui entrent en ligne de compte, il n’y a pas que le travail de rue, il y a un travail ici qui a été fait et qui indéniablement a été important, exemple au niveau de la parentalité. Et, par exemple, la mairie est en train de nous demander, comme ils sont en train de construire un pôle enfance, elle nous demande de piloter ça. Le maire nous demande : comment vous aller faire pour piloter ça. Tu vois, c’est une injonction, comment vous allez faire ça. On lui dit : non, on a un groupe, on réfléchit dessus avec des partenaires du quartier, tu vois c’est ce type de demande-là qu’on a. et pas il y a quelques temps. 8 Est-ce que les choses sont dites ? Oui, les choses sont dites. Elles sont dites. Quand il dit je souhaiterai parler d’indicateurs de baisse de la délinquance avec des pourcentages, bon il ne dit pas le nombre de pourcentage, mais il l’introduit, tu vois. Quand il parle de délinquance sur le quartier et qu’on souhaiterait que les éducateurs viennent à ce niveau, moi je ne sais pas si c’est de l’analyse, de l’interprétation ou si c’est lui qui le dit. Je ne suis pas le seul à l’entendre, si j’étais le seul à l’entendre on pourrait dire que je me fais mon film dans mon coin. Mais est-ce que vous avez déjà échangé sur les causes de la délinquance, parce qu’ admettons qu’il vous dise : soyez présents, vous allez les occuper, ça suppose une chose : c’est que la délinquance est liée directement à l’oisiveté, est-ce que vous échangez làdessus ? Combien d’années ça fait que sur ce quartier il manque une chose soit une MJC ou un centre social. Il manque un pôle d’activités, parce que la prévention ne peut gérer un pôle animation, elle peut le gérer comme action support pour notre boulot éducatif, mais elle ne peut pas mettre en place des actions d’animation proprement dites. Donc, effectivement, il y a des tentatives qui ont été mises en place, le pôle animation en interne, ça été un vrai bordel, parce que ça aurait pu fonctionner, mais il y a avait trop de problème, mais j’ai pas connu cette époque, mais c’était pas clair pour les jeunes : qui faisait quoi, etc. Bon, il y avait ce pôle. Après, quand ce pôle a arrêté il y a eu le service animation. Donc, il y a eu des animations de la mairie. C’était insuffisant, mais ça existait. Depuis l’année dernière il n’y a plus d’activités. Ils ont arrêté complètement. Maintenant, il souhaitent que ça soit les associations qui prennent en charge les animations, sauf que les associations ne sont pas dupes. Donc, il manque réellement un vrai pôle, c’est vrai il manque réellement un vrai pôle. Mais elles ne sont pas dupes de quoi ? Elles ne sont pas dupes parce que elles savent très bien qu’elles vont pouvoir faire un stage, deux stages d’animation… je pense au club de sport qu’ils ont fait au démarrage. On leur a demandé d’encadrer des stages de sport, ils l’ont fait une fois, deux fois, etc., après, stop, on ne peut pas assumer. C’est des bénévoles qui gèrent ça, pas des permanents, on ne peut pas assumer. Après, il y a forcément des problèmes de fonctionnement qui se posent. Et sur le service animation il y a vraiment un vrai problème d’animation sur ce quartier. 9 On va revenir sur un point… Mais il y a des salles aussi. Heureusement qu’il y a des salles qui existent car les jeunes y viennent. Donc, pour nous, on peut construire derrière, mais on ne peut pas ouvrir tous les soirs, mais si on ouvrait il y aurait des jeunes tous les soirs, on n’est que quatre. On peut aborder les relations avec les jeunes : tu dis que les entrées c’est chez eux, c’est leur territoire, comment ça se passe ? Et bien, on peut effectivement reprendre la genèse du truc, effectivement, on redescend dans la rue… bon il faut reprendre le fonctionnement du travail de rue pour voir comment on opère. Nous donc, on est quatre à tourner. On travaille toujours un garçon et une fille. Ca c’est notre logique de fonctionnement. Après, on a un travail qui existe qui est identifié : soit le mardi soit le vendredi. On traîne sur le quartier. Il y a deux niveaux : la journée, pas de problème. Le soir, par contre, quand on traîne sur le quartier, les jeunes nous demandaient si on était pas des flics. C’est la première chose qu’ils nous demandaient : vous êtes des flics ou quoi. surtout qu’on connaissait des jeunes parce qu’ils venaient chez nous et d’autres qu’on connaissaient pas qui croyaient qu’on était des flics. On passait à deux etc. Ils croyaient qu’on était des flics. C’est vrai qu’au démarrage, quand on passait les premières fois, on était dans un rapport où on disait bonjour, on n’avait pas de réponse, mais voilà on disait bonjour, et stratégiquement on a toujours cherché à savoir… à chercher ceux qu’on connaissait bien pour accrocher les autres, mais ça ce fait pas comme ça. En plus, c’est tellement subjectif, c’est pas évident à le raconter, ca tient à rien. On a été, à des moments donnés, avec un des éducateurs jeunes surtout, à un moment donné il devaient être plusieurs, ils nous voient tourner, complètement torchés, mais quand je dis torchés, complètement torchés, nous chopent, venez, venez, alors on va discuter avec eux, et on est tombé dans un traquenard, c’était chaud de chez chaud. On s’est fait, on sentait qu’on était à la limite, qu’a tout moment ça pouvait déborder. Il y en avait une dizaine là-dedans, alcoolisés, ils fumaient etc., et bien même l’éducateur jeune a dit : je pense que j’ai eu peur. J’ai vraiment eu peur et je peux le comprendre, mais ils le voient quand tu as peur. Mais il a pris, il a pris sur lui. Mais c’est vrai que des fois on peut arriver à des choses comme ça. Et c’est vrai que le travail de rue c’est tellement particulier que tu sais pas… regarde pour te donner un exemple précis on a un jeune sur le quartier qui a 15-16 ans qui est en train de basculer de l’autre côté, il bascule. Un coup il était avec un groupe, il était alcoolisé, et bien on a passé trois heures avec lui à reprendre des choses, il était bourré. Et le lendemain on a repris avec lui. On est redescendu avec lui pour reparler avec lui. Mais tu vois tout ça, on ne sait pas ce qui va se passer quand on va dans la rue. Par ce que en 10 plus sur cette équipe là on a vécu sur du passé. C’est à dire que l’association est bien identifiée sauf que comme les choses ont changé, des nouvelles population sont arrivées le fait de dire que voilà il y a une population qui existe, etc. on a pas besoin de plus. Sauf que effectivement il y avait une certaine catégorie de jeunes là qui ne venait plus et le fait qu’on soit redescendus dans la rue pour parler de projet et si ils ne reviennent pas on sait qu’on va les voir dans la rue et de toute façon on est dans la relation de confiance avec eux c’est oui c’est non c’est jamais peut-être avec eux. Pour toi le problème des entrées c’est le problème de quoi ? Ecoute alors moi je vais te parler en tant que personne. Je sors de la fonction d’éducateur. moi je serais habitant je travaille le lendemain à 6 heures, je te jure je craque, je peux comprendre que les gens (il dit jeune : lapsus) ne supportent pas. On arrive même… les habitants peuvent comprendre un certain nombre de chose, moi je pourrais comprendre un certain nombre de chose parce que les jeun s’emmerdent chez eux c’est pas le top du top, ils sont mieux à squatter avec des copains, etc., etc. sauf que quand tu discutes avec eux de ça ils le prennent toujours mal et on en arrive toujours à des rapports de force, et ils sont en nombre, et ca se passe toujours mal. Moi je suis citoyen, je vis dans un immeuble, etc., je pense qu’au bout d’un moment je pense que je les ….. je pense que je péterais une durite. Après, si je reprends sur la fonction d’éducateur, effectivement… mais ça c’est des choses qui sont dites de manière récurrente, ca fait 17 ans que je suis dans le social, ça fait 17 ans que j’entends ça : c’est qu’il manque des lieux où les jeunes peuvent se retrouver. Bien d’accord, il faut des lieux, mais pour y faire quoi ? encore une fois il y a tant de salle de jeunes, en auto gestion etc., ça s’est toujours mal passé. Regarde on prend l’exemple de Velaine en Haye, ils avaient le même problème, on leur a mis une salle en autogestion, ça été un vrai bordel. C’était ingérable. On dit aux jeunes, vous voulez un lieu, vous voulez la responsabilité, etc., quand on discute avec les jeunes, on leur demande pourquoi vous squattez les entrées. Ils répondent que c’est pour être ensemble. Oui mais pour y faire quoi ? pour être ensemble. Voilà, c’est des trucs qui à) force c’est pas évident parce que certains jeune sont en errance on les voit aussi chez eux la relation père - mère - enfant c’est parfois bloqué, il y a plus de communication. On le voit qu’il n’y a plus de communication. Qu’il n’y a pas de cadre, de repère, et ils ont l’habitude, dès petit. Combien de fois quand on se ballade dans la rue le soir, la nuit, combien de fois on voit des gamins de 8-9 ans. Tu te dis mais attends, c’est de la responsabilité de qui ça ? c’est bien de la responsabilité des parents ça. Donc il y a toutes ces habitudes là… cette logique comme ça de se retrouver à un moment donné dehors, de se rencontrer effectivement 11 tu vois aussi chez les jeunes…. Bon c’est pareil, moi je ne suis pas de la même génération que les jeunes, j’ai pas été élevé comme ça, j’ai 38 ans, je le vois les jeunes ils n’ont plus rien envie de rien faire même au niveau des activités, il sont vraiment à l’instant précis… quand on installe des choses on a systématiquement des problèmes à les mettre en place. Un truc m’a énormément choqué, enfin choqué, pas choqué parce que le terme est fort, il y avait, on organisait un camp avec des jeunes, que les jeunes ont monté, parce que les jeunes, 3 ou 4 jours avant de partir, me disent est-ce que tu nous laisse la permission de fumer de l’herbe. je dis et bien non. Il en est hors de question parce que, de toute façon… si vous le faites dans le dos, vous le faites dans le dos, je ne peux pas le voir, mais il est hors de question, je ne vous donnerai pas un ticket pour que vous puissiez fumer. Et bien ça ne s’est pas fait. Ca c’est aussi un vrai problème, l’herbe est un vrai problème. Bon après tu as des conceptions propres, moi tout ce qui est lié alcool, drogue, c’est pas mon truc. L’alcool est autorisée, la drogue n’est pas autorisée. L’alcool c’est de la drogue pour moi. Ca c’est ma façon de penser à moi. Excuse-moi, tu m’as donné la conception qu’un habitant pourrait avoir… ensuite tu m’as donné ta conception d’éducateur, maintenant, d’après toi, comment le maire analyse la question des squats dans les entrées ? Pour moi, le maire il est élu. C’est à dire que les gens ont des attentes vis à vis du maire. Ils ont des attentes de sécurité, etc. des attentes de tranquillité, etc. de bien être, ils ont des attentes de tout ça. Ce sont des citoyens qui ont élu le maire. Le maire il est censé répondre à cette demande là. Il est élu pour ça. Donc lui stratégiquement ce qu’il souhaite c’est la paix sociale. Il veut que ça se passe pour le mieux. Et donc, effectivement, quand il y a des problèmes dans les entrées, quand les citoyens appellent le maire en disant qu’est-ce que c’est que ce bordel là, vous faites rien etc. et bien le maire il dit d’entrée, et bien que font les éducateurs. Lui il dit : moi je missionne… non c’est pas lui qui missionne, c’est le conseil général, mais il finance quand même des choses, donc, à un moment donné, le citoyen appelle le maire, et bien le maire nous appelle. Voilà. D’accord, est-ce que tu veux conclure ? Ecoute pour conclure, je te dirais que le fond des choses c’est que les jeunes sont en grande souffrance. Ils ont besoin vraiment qu’on les écoute. Quand il y a de l’écoute, il y a de la confiance qui s’instaure. là on peut travailler. 12 Entretien n° 2 (L’entretien n’a pas démarré par une question précise. Alors que je présentais la recherche, l’interviewée m’a interrompu et a commencé l’entretien.) ----------------------Donc c’est un peu mes préoccupations dans le sens de ta recherche, est ce que je comprends mal ou pas ? Dans ma réflexion sur le travail de rue, on n’a pas eu le temps de trop affiner en équipe théoriquement mais on va dans le sens là parce que moi en ce moment c’est très récent, depuis quelques semaines que l’on va un peu plus dans ce sens là. D’accord. Il y a une précision à faire. Je comprends que tu me dis il y a deux choses : travail de rue et diagnostic qui sont deux choses différentes mais quand même ça revient un peu de façon récurrente quand on parle de travail de rue vient le sujet de l’interpellation du Maire sur les nuisances Ca c’est au départ, l’historique, au départ, l’historique, mais moi j’aimerais que l’on en arrive à autre chose et d’ailleurs à ma sollicitation on a eu deux réunions avec le maire de Maxéville, parce qu’il se trouve que sur le quartier, c’est plus eux qui cherchent à analyser le fond que la mairie de Laxou, la mairie de Laxou, ils ne sont pas dans une recherche de fond trop, malheureusement, donc à mon interpellation, on a eu deux fois des réunions avec le maire pour dépasser ce problème d'interpellation . Suite, à son questionnement, je lui ai dis : il faut en causer mais autour d’une table, sérieusement j’aimerais bien précisément que tu développes quelles sont tes demandes, le pourquoi, le comment et en dehors de nous, de nos réponses à nous, que fait la maire ? quels dispositifs vous êtes prêt à mettre en place, c’est pas nous seuls qui sommes responsables de ça, il faut une cohérence globale sur ce domaine là, de dispositifs, de réponses à apporter aux jeunes. Alors on a eu deux réunions avec le maire, mais qui ont été deux réunions complètement insuffisantes. Alors la première il a oublié de venir mais on a parlé avec le staff, les adjoints, les salariés sur le thème, il a, c’est pas qu’il a oublié de venir, il était à la communauté, j’exagère, il n’est pas venu. Mais il y avait la Mairie ? Oui, il y avait la mairie, mais c’est lui, mais on n’a pas bien abordé le problème, puisque c’était lui qui voulait animer la réunion. Et la deuxième réunion il était là mais il a été, sur une 13 heure et demie, il a été absent trois quart d’heure car quelqu’un est venu le voir et ( ) trois quart d’heure est venu le voir. Donc le fait qu’il n’y avait pas le maire comme représentant de la mairie, c’est une absence ? C’est lui qui voulait animer , c’est lui qui veut centraliser le débat. Donc il a empêché les autres et ses adjoints, ses élus ne voulaient pas débattre en fait l’adjoint aux jeunes, qui est chargé de ça n’est pas un bon débatteur, tu le connais c’est XY, en fait, il attend le maire, donc il n’anime pas à la place du maire. Donc sur d’autres sujets en ce moment à la mairie c’est des grandes messes sur le voile, tout ça, ils font une action formation sur le voile, sur la laïcité, j’exagère, le voile c’est la laïcité, tu vois, 5 réunions avec 2 personnes dont un formateur que tu connais de l’IRTS, X, un gros truc, tu vois, 18 heures 22 h 30 cinq soirs pour se positionner, formation action sur le problème de la laïcité, uniquement parce que une conseillère municipale qui est enseignante a eu un problème avec une stagiaire dans l’enseignement, tu vois ils mettent des moyens disproportionnés des fois sur des choses et pas sur le reste. Sur le reste, c’est par exemple là sur les nuisances, d’ailleurs moi je l’ai déjà dit à la première réunion de ce groupe, je serai absente la prochaine réunion mais les autres fois j’irai… que il fallait, que je trouvais ça très bien une formation action mais que sur la laïcité il y avait d’autres thèmes importants, qu’il fallait traiter avec le même sérieux, c’est à dire quelle solution apporter à ces jeunes, aux problèmes de difficultés de cohabitation dans les entrées tout ça, j’aimerais bien qu’il y ait le même travail d’analyse et de réflexion. Et c’est pour ça que ca se rejoint parce que je crois que nous éducateurs, on a à être très pointus sur l’état des lieux d’un quartier, et que cet état des lieux que l’on fait sur un quartier après il faut qu’on en débatte avec tous les gens concernés. Mais y compris avec les habitants éventuellement quand il y a des nuisances, sur des difficultés de cohabitation, ça peut aller jusqu’à une, il se trouve que ce n’est pas moi qui l’ai sorti la formation action, sur la méthode d’intervention sur un quartier où on essaye de ré-instaurer du dialogue social, là où il y a des difficultés quand des jeunes sont dans des entrées, il ne suffit pas de demander aux éducateurs d’intervenir, il faut mettre en place un dispositif avec tous les gens concernés. Je réfléchis à ça parce qu’en ce moment je viens juste de commencer hier soir le livre de Charles Rossman par exemple, ou Charles tordmann : oui, apprendre à vivre ensemble et justement, tu n’as pas lu ce livre ? 14 Non Il faut que tu le lise c’est en plein là dedans, c’est complètement là dedans : sur un quartier, comment se concerter pour ensemble faire les diagnostics et réussir à cohabiter. Et le problème des jeunes qui sont dans les entrées, qui dérangent, c’est aussi la cohabitation. Est ce que c’est le cas actuellement ? Sur le quartier si , en ce moment c’est assez…sur ce thème là Mais sur la collaboration ? Non. Alors, c’est quoi l’état des lieu de la collaboration actuellement ? Elle est superficielle. C’est à dire ? C’est à dire qu’on se voit, qu’on parle comme dans des grandes messes, superficiellement. Il n’y a pas de réflexion de fond sur l’état des lieu du quartier qui est réellement en train de flancher. C’est à dire on va attendre qu’il y ait des grosses nuisances pour faire des réflexions. Là le quartier de champ le bœuf c’est vraiment, là il y a une arrivée importante de familles nouvelles qui n’ont pas… jusqu’à présent il y avait une espèce d’équilibre qui etait préservé par la gestion de l’opac, mais maintenant on est en train de remplir ( ) avec des familles…Moi je le vois, le problème qui arrive. Ce sont aussi des familles …les bâtiments du haut du lièvre qu’ils démolissent, qui vont être démoli ( ) et aussi des bâtiments de Vandoeuvre il y a des bâtiments qui vont être démolis, donc les familles sont déjà arrivées sur le quartier. Il y a réellement , c’est quand même une espèce de société ( ? ) qui arrive… Apparemment, vous vous attendez de la réflexion. Mais d’après toi qu’est ce que le Maire attend ? Des résultats. Des résultats, de l’action… Oui, des résultats, de l’action mais l’action il faut que nous-mêmes on le fasse dans notre secteur pour un certain type de public mais on ne va pas résoudre tous les problèmes d’un quartier et il faut aussi que ce que nous on propose soit en cohérence avec les besoin d’un quartier. On ne va pas répondre à tous les problèmes. Sur un quartier comme celui là, par exemple, par rapport à ce que tu as connu toi d’un dispositif d’animation existant, il n’y a plus rien. Cet été le service animation jeunesse et sport de la Mairie ne propose plus aucune activité. C’est complètement une aberration au moment où le 15 quartier commence à changer on suspend tout dispositif d’animation organisé. Obligatoirement, les jeunes, ils vont traîner à rien faire. Et les jeunes qui traînent, ils dérangent, ils nuisent. Je reviens un peu sur l’explicitation, c’est important. Quant tu dis il veut de l’action, des résultats, est ce que tu peux développer, être un peu précise sur ce qu’il aurait demandé et à quelle occasion. Q’est ce que vous avez perçu des attentes ? Il a dit clairement :j’aimerais que vous m’aidiez à résoudre ce problème d’entrée des jeunes qui dérangent. Est-ce que vous êtes allés, qu’est ce que vous faites pour ces jeunes là ? Il se trouve que nous on avait déjà, on les connaissait , on avait déjà commencé quelque chose et je lui ait dit : « on est en train de faire quelque chose » et après on lui a donné les résultats de ce qu’on avait réussi à faire avec. Parce qu’il a trouvé qu’on était pas assez efficace, il nous l’a dit. Il a dit : « bon, le problème n’est pas résolu à l’entrée X, comment ça se fait ? Donc, je lui ai dit : « tu ne vois que la face cachée de l’iceberg, tu ne vois pas tout », mais c’est vrai que nous on n’a pas des recettes miraculeuses de toute façon. Si les jeunes n’ont pas d’endroit où aller le soir, on ne va pas faire des choses miraculeuses, mais… Parce que pour lui, c’est quoi le problème ? Il dit, le problème n’est pas résolu, mais de quel problème il parle ? Laisser les jeunes traîner sur l’entrée. Il aurait fallu que l’on empêche les jeunes de traîner dans les entrées, devant. Parce que ca pose quel problème ? Des problèmes de nuisance. Quand tu as 20 jeunes qui sont sous tes fenêtres jusqu’à minuit, une heure du matin en hurlant, les voisins il y en avait qui étaient prêts à tirer à la carabine. C’est ça les problèmes, ça exacerbe, tu as des familles qui sont au dessus, qui sont prêtes à tirer à la carabine, tu vois. C’est un gros problème, et quand ça ne va pas, ils appellent la Mairie 10 fois, 20 fois et en plus ça s’envenime, les jeunes insultent les familles qui…, et ça peut devenir très violent. Il se trouve que sur le moment, au bout de quelques mois le Maire a eu l’impression qu’on n’avait pas été complètement efficace, je lui ai expliqué ce qu’on avait fait, que certains de ces jeunes on était en instance de résoudre des problèmes et il s’est avéré qu’après quelques mois après, on a réussi à ces jeunes là a leur trouver une insertion, stage, formation et que quelques uns qui posaient des problèmes de comportement on a réussi un petit peu, les deux trois qui posaient des gros gros problèmes a être efficace par rapport à ces jeunes, ce qui a permis de désamorcer le coup et après de diverses façon ça s’est atténué 16 complètement parce que le groupe a éclaté… Il y avait aussi par rapport aux problèmes de nuisances, dans ce groupe là, quelques jeunes du haut de lièvre qui venaient là faire du trafic de bagnoles, du trafic de shit. La Police est intervenue plusieurs fois sur ces problèmes de délinquance avec des interpellations de jeunes qui venaient faire du trafic avec des bagnoles qui arrivaient à toute allure dans l’entrée. C’est vrai que c’était un sas, les jeunes étaient au bout du sas, tout le monde circulaient, ils faisaient beaucoup de bruit en plus, il y avait des trafics de bagnoles, ils arrivaient à toute allure, ils faisaient, il y avait apparemment de gros trafics, et pas que apparemment, donc les flics sont intervenus aussi sur ce volet là donc c’était une intervention entre plusieurs volets et ça s’est atténué, l’hiver arrivant….Là en ce moment, on ne parle plus de ces phénomènes là. Alors après, ça peut revenir, mais il y a eu aussi, c’était conjoncturel. Un conjoncturel qui pouvait mal tourner dans la mesure où c’était très très très réactif entre les habitants et le groupe de jeunes. Ca pouvait très mal tourner. Tu dis : « l’hiver passant », c’est un problème de température ? Ben oui. C’est évident Donc ça va revenir l’hiver prochain ? Cet été tu veux dire, on ne sait pas. Mais le groupe s’est désintégré de ce groupe là. Ce groupe là n’est plus uni comme il était soudé avant. Le groupe a explosé parce que il y a des histoire de bandes. Il se trouve que deux jeunes qui ramenaient, qui étaient les plus agressifs, qui ramenaient des jeunes du haut du lièvre qui foutaient le bordel, ces deux jeunes là ne sont plus intégrés au reste du groupe donc ça… La bande n’est plus la même. Donc, ça c’est conjoncturel. Alors sur les résultats supposés, sur le moment, le Maire trouvait que ça n’allait pas assez vite. Bon, moi je lui ai expliqué qu’il y a des choses qu’il ne voyait pas mais qu’il ne voyait pas dans la rue que par exemple, sur les jeunes qui traînaient, il y avait des jeunes qui avaient des comportements très délictueux, je viens de les citer et il y avait toute une bande de petits derrière, quand je dis des petits, c’est 15-16 tu vois, même 14 ans ( ? ) donc j’ai dis au Maire : « ce que tu ne vois pas c’est pas non plus ces jeunes…une partie des jeunes qui traînaient dans la rue grâce à des actions bien plus souterraines et bien plus longues, par exemple, avec les parents, on a réussi à intervenir pour que les parents comprennent que c’est grave de laisser traîner les gosses jusqu’à point d’heure et qu’ils avaient tout un boulot, une responsabilité par rapport aux horaires de sorties, aux conséquences que ça avait de laisser traîner leur gosse n’importe où, n’importe quand sans savoir ce qu’ils faisaient donc on a eu tout un travail sous terrain avec les 2-3 ados de 14-15 ans mais ça avec les parents qui ont réussi à comprendre que les gosses qui traînaient dans les endroits là sans qu’ils en aient la 17 maîtrise, c’était grave. J’ai dit au Maire : « ça tu ne le vois pas. Tu ne vois encore qu’il y en a qui traînent, ce que tu ne vois pas, c’est le travail que l’on fait de front avec des mères, qui est sur le long terme, pour faire en sorte que les parents qui sont responsables des enfants soient aussi conscients qu’ils ont un rôle à jouer dedans. C’est quoi un travail sous terrain ? C’est un travail qui ne se voit pas, de long terme. C’est un travail qui n’est pas lié directement dans la rue. Quand tu connais les jeunes qui traînent et que tu interviens, c’est un travail qui est en dessous de ce que l’on voit , quand tu interviens pour faire comprendre aux parents, plusieurs fois que les enfants ont été interpellés par les flics et que c’est grave et qu’il faut qu’ils contrôlent ce qu’ils font, parce que eux, ils minimisent en disant que ce n’est pas grave, moi la Mairie….Parce qu’ils avaient convoqués les parents mais « La Mairie m’a convoqué, j’en n’ai rien a faire » si t’es responsable de tes gamins, et ton gosse traîne avec des dealers dans la rue et compagnie si tu comprends pas que c’est grave que ton gamin traîne…donc on a fait tout un travail pour qu’ils soient conscients que c’est le démarrage des, de la prédélinquance que ça pouvait être là, si il n’y a pas de contrôle sur les horaires, sur ce qui est fait, tu vois… Est ce qu’on peut revenir sur votre analyse à vous, car visiblement, il y a de l’action là, si tu va voir des parents pour évoquer une prise de conscience, c’est que tu as déjà des sous entendus, des arrières pensées Mais ça, c’est dans l’action que l’ont fait régulièrement avec les parents. On a tous types de relations avec les parents qui viennent aussi régulièrement. Je ne vais pas vers eux, c’est eux qui viennent parler de leurs problèmes de relations avec leurs enfants, d’ordre éducatif, donc là dessus, comme c’était d’actualité ce problème là, donc on en a profité pour en parler. Et moi j’ai abordé le problème pour que les parents répondent à la dérive, soient conscients que c’était un problème. Mais cette prise de conscience des parents, ça agit comment ? Par exemple, sur le problème des entrées, il y a 2 petits, par exemple. Pour désamorcer aussi des jeunes qui étaient tout autour qui traînaient, c’est aussi essayer de faire intervenir les parents qu’ils contrôlent les sorties de leurs gosses qui traînent jusqu’à minuit ou une heure du matin. Parce que des gosses de 14 ans qui sont jusqu’à une heure du matin au moment où là ça commence à s’échauffer et d’une nous en faisant du travail de rue on avait des petits de 14 ans qui étaient raides défoncés, donc tu vois faire prendre conscience que c’est un danger de 18 laisser ses gosses traîner à minuit avec des jeunes qui fument des pétards..Ca a permis que certains des jeunes, et bien que les parents fixent des règles, ne les laissent pas sortir n’importe comment et réalisent qu’ils avaient un rôle à jouer sur les gosses qui traînent n’importe où n’importe comment à point d’heure. Donc c’est une intervention quand même de fond. Qui a donnée des résultats ? Ouais. Sur certains, sur 2 ou 3. Par exemple, sur d’autres enfants, on a essayé d’intervenir, les parents s’en foutent. La réaction n’a pas été la même partout, ça a été inégal. Et puis il y a des parents sur lesquels on n’intervient pas. Des jeunes de 18-20 ans qui ne sont pas du quartier, on n’intervient pas au niveau des parents parce que là on essaie au niveau des difficultés directement avec les jeunes, jeunes adultes, jeunes majeurs, on essaie de creuser avec eux, tu vois. Par exemple, les adultes, jeunes majeurs, certains, dans les deux, il y en avait deux qui étaient paumés, qui n’avaient pas de boulot, qui étaient…c’est la que l’on intervient sur l’insertion, ce que j’ai dit à BEGORRE quand il m’a demandé sur les résultats et qu’il trouvait que ce n’était pas ça qu’il attendait : « où ça en est, ils traînent encore » c’est que pour les deux jeunes, nous retournant un peu plus conséquemment dans la rue pour les voir, on avait proposé des chantiers à ces jeunes là à ce moment là. C’est vrai que si on n’avait pas tout de suite saisi le moment d’urgence de ( ? ) ne retournant pas dans la rue, ces jeunes là ils ne seraient pas venus en chantier. Cet été on a proposé des chantiers parce qu’on était retourné les voir. Et eux ne venaient pas. C’était des jeunes avec qui il y avait une rupture. Quand on parle du pourquoi on retourne dans la rue, parce qu’il y avait des jeunes que l’on ne voyaient plus dans nos locaux, c’est le fait d’aller dans la rue les revoir on a permis de ré-enclencher une réinsertion sociale. Et pourquoi le travail le soir ? Parce qu’ils sont là le soir les jeunes, ils ne sont pas là la journée. Ils sont où en journée ? Le matin, ils dorment, les autres qui sont au lycée, ils sont au lycée, c’est le soir qu’ils traînent, ce n’est pas la journée. C’est vrai que par exemple, le travail le soir, on institue maintenant le soir 18-20 heures, tu vois. C’est aussi un créneau où ils traînent. Plus. Donc on ré-institue le mardi ce créneau-là. Donc c’est des jeunes qui, qu’on ne trouve pas…. 19 Tu les vois très peu parce qu’on ne va pas par exemple…Moi, je trouve que le travail de rue c’est aussi toute la journée, parce que le travail de rue ne concerne par que des jeunes, ça concerne aussi les parents. Tu les vois dans la journée les parents. Le travail de rue, c’est bien connaître le public pour lequel on a un …mandat, c’est à dire les personnes qui ont besoin, à qui on essaie de proposer des actions pour les aider dans leur vie, donc ça concerne pas que les jeunes, parce qu’on a aussi des actions que l’on a développées sur le quartiers pour les plus petits et aussi pour les parents. C’est vrai que le travail de rue c’est certains parents avec qui tu as perdu le contact et que tu vas rencontrer dans la rue et avec qui tu vas discuter. Ils vont te dire, bon « ça va plus ». Ils ne viennent pas à jeunes et cité, et tu les vois dans la rue ils vont te dire : ça va pas du tout et là tu leur re-propose de revenir et de reparler sérieusement à jeunes et cité, des difficultés et essayer de trouver des solutions. C’est à ce moment là que les gens reviennent, que ce soient des adultes ou des ados, c’est pareil. Le travail de rue c’est aussi reprendre le contact, faire naître ( ? ) Mais le travail de rue pour moi, il n’est pas que le soir. Mais le public des ados en grandes difficultés, c’est le soir, tard, qu’il traîne plus que la journée. C’est vrai que suivant le public que l’on veut toucher on a des créneaux d’heures différents. Mais le travail de rue ce n’est pas que le soir heureusement, c’est lourd d’avoir un travail décalé le soir, c’est lourd pour les éducateurs, c’est pénible c’est vrai il faut le dire, tu vois, mais une fois que j’y suis je suis contente, parce que c’est bien, mais c’est vrai que retourner au boulot le soir …. J’insiste à nouveau sur la question de l’état des lieu et la manière dont vous posez le problème des entrées en terme de causes par exemple. Mais tu vois les entrées c’est toujours conjoncturel et par période. Il y a eu un gros problème l’an dernier, il y en a eu d’autres dans une autre entrée qui posait des gros problèmes, c’est pas toujours évident. D’ailleurs je pense que les jeunes sous les lois Sarkozi ont très bien compris que les regroupements, les nuisances, ça pouvait, être pénalisés, par exemple, et ça a un peu diminué j’ai l’impression quand même, j’ai l’impression à ce niveau là, qui a été très peu effective mais la loi n’a pas été suspendue de Sarkozi. En France, il y a eu 13 procès verbaux seulement pour des nuisances dans les entrées, t’imagine, tout ce patacaisse de l’ex ministre de l’intérieur pour 13 verbalisations. Il voulait remettre ça en question mais la loi n’a pas été suspendue. Le fait que ce soit une nuisance… Comment vous avez accueilli la loi, cette loi là ? Je ne sais pas ( ? ) assez démago, comme beaucoup de truc. Je trouvais que ce n’était pas applicable donc c’était… 20 Et dans l’esprit, en dehors du fait que ce n’était pas applicable ? Dans l’esprit alors, c’est compliqué pour ton répondre parce que il y a ( ? ) les bons à prendre dans les propositions sur les règles à préciser alors comme c’était fait par monsieur Sarkozi, comme un cow boy qui allait sauver le problème de délinquance, c’était complètement débile. Il y avait plein de gens très intelligents, des travailleurs sociaux, même les ploitiques qui ont envie de résoudre les problèmes, ( ? ) du Ministre, c’est un mec qui va dire que, tu vois, c’est pas suffisant…alors moi tout ce qui est Sarkozi, je dis sur la délinquance, la répression de toute façon, elle est utile que si on a fait autant d’éducatif que de répressif. Pour Sarkozi, il arrive il arrive pour résoudre les problèmes de délinquance, j’ai tout de suite dis : il ferait mieux de dire 10 éducateurs, 10 policiers. Les policiers ils sont complètement paumés et dans l'état d’esprit des gens et dans leur compréhension des phénomènes de société, de civisme et tout, si tu les éduques pas, ça ne sert absolument à rien. Ca sert à rien ou ça sert à faire peur peut être, c’est le gendarme qui fait peur et les gens qui ne comprennent qui si il y a le gendarme. Il faut aussi le volet éducatif. Alors c’est quoi le volet éducatif ? C’est apprendre aux gens la citoyenneté, le civisme, aux parents d’être responsable de leurs enfants, c’est aussi important tu vois. Quand Sarkozi met qu’il y aura des écoles de parents imposées, c’est débile, je veux dire les parents ils sont indispensables mais pas de façon imposée. Il faut mettre en place des dispositif de soutien aux parents, c’est vrai mais qu’ils soient volontaires, que les gens comprennent qu’ils ont besoin, que c’est un dispositif où on les aide, on les soutien, que ça ne soit pas répressif. L’esprit de loi (subalisante ?) elle est pas, moi je suis contre. Il y a les bons et les mauvais parents, Non on n’est pas là dedans, on aide les parents qui n’ont pas les moyens éducatifs, culturels, sociaux… Mais tu disais, il y a des parents qui s’en foutent… C’est surtout qu’ils sont dépassés par les événements et que c’est plus simple de dire oui au gosse de sortir le soir. Qu’on dise ils s’en foutent, non, tu vois. C’est pas qu’ils s’en foutent, mais ils laissent faire, par facilité et ils sont toujours a ( ? ) complètement quand il y a un ( ? ) avec les flics et tout il y peu de gens qui ne sont pas touchés, peu de parents qui ne sont pas touchés par ça. Il y a des parents qui apparemment ne sont pas touchés parce qu’ils sont dépassés eux-mêmes par leur propres problèmes de dépression, d’angoisse, de mal être, c’est tout : ils laissent faire parce qu’ils sont démunis et ils laissent leurs gosses aller à vaux l’eau, parce qu’ils sont…tu vois. Aussi, c’est péjoratif de dire ça mais il y a des parents qui ont fait 21 des gosses et qui les laissent pousser tout seuls comme des plantes et après c’est vrai que ça pose problème à l’adolescence et ou ils baissent les bras parce qu’ils ont pas la force ou ils sont complètement désemparés mais il y a tout un boulot en marche arrière à faire. Toutes les règles qu’ils n’ont pas posées…Si tu veux fixer des règles à ton gamin à 16 ans quand brusquement il pose des problèmes et que depuis l’âge de huit ans il est dehors dans la rue jusqu’à point d’heure le gosse il ne comprend rien, c’est clair. Et le regroupement dans une entrée, pour toi, c’est un délit ? Non, non, pour moi les jeunes ils sont dans l’entrée parce qu’ils ont pas d’autre lieux où être, point. C’est, ça a toujours existé que les jeunes se retrouvent dans les entrés de tout temps de toutes catégories sociales dans les endroits plus bourgeois c’est une place, au milieu de quelques maisons accession à la propriété où les jeunes se croisent et causent et puis s’ils ont la chance, ils ont le garage ou ils ont leur chambre où ils peuvent recevoir 3-4 copains sans que ça pose problème. Mais c’est vrai que les jeunes sont dans les entrées parce qu’ils n’ont pas d’autres lieus où aller. Point. On avait fait il y a quelques années un travail préliminaire avec les Mairies pour réfléchir à quel lieu proposer aux jeunes on a presque travaillé un an à la commission inter municipale de quartier pour réfléchir à quoi proposer aux jeunes , qu’est ce qu’on pouvait mettre en place pour éviter qu’ils traînent dans les entrées. On a réfléchi pendant un an, nous-mêmes, l’équipe de prévention on a proposé plusieurs solutions qui étaient de mettre à disposition des salles. On a ( ? ) solutions possibles, celles qui existent à certains endroits mais qu’on ne pense pas, moi je ne pense pas que l’on puisse laisser les jeunes s’autogérer, il y a des endroits où les jeunes autogèrent tous seuls une salle, après il y a les salles avec juste un gardien à disposition, des salles où les jeunes se retrouvent, après il y a une salle avec des animateurs après il y a le coût en sachant que si l’on met en place des salles avec des animateurs, il faut, il y a le tour de rôle, les congés, c’est deux postes éducatifs et ça coute tant de fric, après c’était… on a envisagé toutes les solutions moi j’ai même œuvré beaucoup en disant que sur ce quartier là il manquait un lieu social, ce qui est important dans le quartier, un bistrot, il y a aussi un endroit dans les village où les gens se retrouvent, c’est au bistrot, les jeunes ils se retrouvent au baby de bistrot du coin et il n’y a pas sur le quartier un bistrot, donc on avait même fait en sorte que la commission inter municipale elle aille voir le bistrot du quartier pour voir s’il pouvait ouvrir le soir. Donc c’était une des solutions proposées et il se trouve que juste après un an de réflexion, il y a eu la création des emplois jeunes. La Mairie de Maxéville a tout de suite embauché 5 jeunes, 5 emplois jeunes et a mis ces emplois jeunes à disposition dans les gymnases et a fait l’ouverture 2 soirs permanents ce 22 qui a résolu un temps le problème des entrées. Il se trouve que si le problème est revenu l’an dernier d’une façon vive, c’est parce que le Maire petit à petit, les emplois jeunes allant être supprimés n’a pas renouvelé les emplois jeunes et a supprimé l’accueil informel dans les gymnases, avec les accueil de soirs et compagnie, qui permettaient aussi, qui étaient une solution pour éviter que les jeunes traînent dans les entrées, c’était des solutions concrètes pour occuper les jeunes. Voilà. Moi, je pense que les regroupements dans les entrées c’est normal que les jeunes ils aient envie de se retrouver de causer le soir et il faut qu’il y ait un endroit où ils peuvent se retrouver. C’est un phénomène normal. Mais pourquoi ça pose un problème que ça soit fait dans une entrée ? Parce que les jeunes habituellement ils ne savent pas, quand ils se retrouvent à 30 et que il y a tous les copains, y compris les copains du Haut du lièvre qui arrivent et qui font le trafic et tout, c’est plus 3-4 jeunes qui se retrouvent à discuter. C’est un groupe qui fait des nuisances sonores énormes. Le problème essentiel, c’est les nuisances sonores. C’est pas le fait qu’ils se regroupent à 30. Y aurait pas trop de bruit, ils diraient rien. C’est qu’il y a des jeunes à qui on avait dit de ne plus aller dans les entrées, ils venaient carrément à l’intérieur de petits bâtiments où ils squattaient, il y en a même qui avaient réussi à mettre du barbecue et qui avaient réussi à faire des saucisses merguez au 4ième dans les entrées, il faut le faire. C’est quand même des nuisances, en plus de sonores. Le problème des regroupement, c’est le problème de l’intolérance. Déjà un groupe de jeunes, ça embête, mais ça embête en plus de façon sonore, il y a les deux. Ça dérange quand même. Même s’ils ne faisaient pas de bruit, ils pourraient aussi déranger. C’est à dire ? C’est à dire que les gens ne supportent pas que les jeunes soient, qu’ils traînent le soir tard, ça les énerve. Il y a des gens qui supportent pas que les jeunes traînent. Il y a un jugement sur une heure du matin, les gosses de 14 ans qui sont dehors, ça les énerve même s’ils ne font pas de bruit ça les énerverait quand même. Mais de fait, ils font quand même beaucoup de bruit. Des jeunes qui discutent ça fait du bruit. S’ils ne faisaient pas de bruit, ça les énerverait quand même ? Oui, mais en fait ça serait plus tolérable. Le problème essentiel, c’est quand même le niveau sonore. Et puis qu’il y ait aussi des problèmes de communication. Les jeunes qui sont dans l’entrée à 10-20, des petits jeunes, tu passes au milieu on est dans une société où les gens ne savent plus se parler. Ce qui fait que les gens ils passent, ils sont hargneux le ton monte : 23 qu’est ce qu’il a ce vieux con, machin, qu’est ce qu’il y a … ça tourne vite au vinaigre, au conflit relationnel parce que il y a des difficultés de communiquer entre les jeunes et les autres habitants, c’est difficile. Un groupe de jeunes c’est difficile de communiquer avec lui. Si je comprend bien, il y a un deuxième problème c’est que certains habitants sont hargneux ? Oui, ils sont hargneux parce qu’ils sortent du boulot, ils sont énervés, ça va pas avec les femmes, le patron les a emmerdés et ils voient les jeunes qui traînent avec leur bagnole, ils vont payer des impôts et gna gna gna et ils trafiquent, c’est des familles… tu sais, ils connaissent les familles, ils jugent, c’est des familles qui vivent sur le dos de la société gna gna gna. Il y a quand même les tensions sociales partout. Et je me souviens d’un exemple. Une fois il y avait un problème d’entrée, une nuisance antérieure, il y a 5-6 ans il y avait un groupe de jeunes qui dérangeait sur une autre entrée et sans qu’on nous le demande on a essayé de discuter avec eux, avec les jeunes pour leur dire d’essayer d’aller se promener, d’aller se retrouver ailleurs, sur le banc dehors, en bas, …eux-mêmes l’été ils étaient dedans et pas dehors et moi je connaissais quelqu’un qui était au rez-de-chaussée dans l’entrée et ça dérangeait les gens d’en haut alors qu’ils n’étaient pas dérangés par le bruit. C’est à dire que rien que le fait qu’ils traînent en bas, ces jeunes, qui étaient des jeunes maghrébins il y avait 2-3 familles qui étaient excitées parce que c’était des jeunes maghrébins et ils n’étaient pas directement dérangés par le bruit mais ce regroupement les dérangeait. Et moi je connaissais quelqu’un qui était au rez-de-chaussée et je lui ai demandé : est ce que ces jeunes ils te dérangent ? Absolument pas moi quand je passe je leur dit bonjour et comme je suis un des rare qui leur dit bonjour il y a aucun problème avec ces jeunes. Quand ils font trop de bruit à 11 heures du soir, qu’ils parlent trop fort, je leur dis : là maintenant, je voudrais dormir, s’il vous plaît vous pourriez sortir ? Ils sortent ils m’écoutent, parce que moi je leur parle, je leur dis bonjour, je ne sui pas agressif avec. Il se trouve que c’était quelqu’un qui était par hazard dans la cité HLM qui est pas resté longtemps, qui avait une formation de la culture et qui n’était pas agressif et qui leur parlait normalement, qui communiquait avec ces jeunes, qui n’avait pas oublié qu’il avait été jeune et compagnie. Donc, il n’avait pas de problème avec ces jeunes, il arrivait même à les faire sortir sans problème en leur disant, bon écoutez maintenant, je veux dormir, sortez, et il disais, moi je leur dis bonjour et quand je leur demande de sortir ils sortent. C’est aussi des problème de communication de groupe. C’est pour ça que le problème du regroupement des entrées est bien plus complexe que uniquement 24 les jeunes qui n’ont pas de lieu, c’est aussi un problème de communication, de vie sur un quartier social, sur un quartier. C’est plus large. Et est ce-que c’est facile de communiquer… Oh non certainement pas sinon on n’existerait pas nous les éducateurs. Mais en prenant le lien la Mairie, vous l’équipe. est ce que vous arrivez à expliciter ça ? Oui des fois. Pas assez suffisamment. Je pense que , parce que… En prévention spécialisée on a tendance à faire les choses spontanément, au ressenti jusqu’à présent c’est des choses qu’on fait, on fait du lien social permanent sans en faire une théorie extérieure bien repérable. Ce qu’on fait c’est assez informel. On fait toujours de la médiation entre des parents des enfants, des jeunes, des groupes, tu vois. Il se trouve que dans la période, on est dans une période où nous-mêmes, la prévention spécialisée on doit communiquer pour faire comprendre ce que l’on fait, et ré-expliquer en permanence. Parce que même les élus, avant ils se contentaient, ils ne savaient pas très bien ce qu’on faisait, ils s’en contentaient. Je te coupe. Tu dis : jusqu’à présent et avant, c’est quoi cette période là ? Avant, c’est une évolution qui change de société. Essaie de dire un peu à quel moment , que je comprenne C’est la société. Je pense aussi les élus eux-mêmes ils sont bien plus dans des outils de communication, ils ont besoin de comptabiliser aussi tout ce qu’ils font, rentabiliser ce qu’ils font pour les habitants. Ca c’est nouveau ? Oui. C’est plus présent qu’avant. Moi je parle comme une vielle ancienne, comme une ancienne qui a vu l’évolution où les élus savaient très bien ce qu’on faisait. Maintenant, ils ont besoin ils le savent, qu’on le dise clairement de façon à ce qu’ils puissent l’afficher clairement à leurs concitoyens et aussi l’utiliser politiquement. Eux-mêmes sont plus dans des outils de communication on est dans une période, une société où on communique beaucoup plus sur les résultats de ce que l’on fait. Et les élus maintenant sont beaucoup plus pointilleux sur ce qu’ils vont faire ressortir de l’argent qu’ils nous donnent. Ils sont plus dans la communication et nous- mêmes on nous oblige à être plus dans la communication de nos résultats. 25 Et ils vous obligent comment ? Ils nous demandent, ils sont plus pointilleux. Ils ont envie d’avoir plus de résultats…tu vois de choses plus détaillées des résultas. Et d’ailleurs en prévention, on pêche là-dessus, ça fait plusieurs années qu’on dit qu’on va faire des, ce que vous aviez commencé sur le quartier avec les chiffres, les évaluations, les nombres, les chiffres et compagnie (outil d’évaluation), donc on pêche beaucoup sur les résultats de ce que l’on fait. Donc on a relancé nous sur ce site, un pointage, des jeunes, des gens concernés, mais c’est vraiment la méthode, c’est hyper important que les financeurs ils comprennent, ils aient des choses plus précises sur nos résultats, tu vois y compris les jeunes avec qui on a des actions, combien de jeunes, tu vois les familles…bon ça les évaluations même si ça concerne le nombre de jeunes contactés quand on fait des choses informelles, quand on va se promener il faut, il faudrait pointer en général on la pas fait, on va pas le faire ça. Tu vois, pointer plus précisément tout ce travail de diagnostic, avoir une méthode d’évaluation ce qu’on fait. Mais, l’évaluation de ce diagnostic, ça doit se faire aussi après avec d’autres partenaires. Le travail de rue des éducateurs de prévention, si pendant des années il a été isolé des autre actions, il faut qu’il soit, bon il a pas toujours été isolé mais officiellement il y avait pas d’urgence à faire de diagnostic commun. Je pense que vu que les choses deviennent de plus en plus complexe et qu’on est aussi dans des multi interventions diverses, que tout le monde se mêle, s’en mêle… Je ne vois pas ce qu’il y a d’urgent ? C’est ce que j’ai du mal à percevoir. Apparemment ça a l’air une nécessité impérieuse actuellement mais c’est dû à quoi ? Non, je me suis mal fait comprendre. C’est nous, cette équipe qui trouvons qu’il faut être plus fin sur le diagnostic. Peut être parce que sur ce quartier comme les choses bougent beaucoup en très peu de temps, peut être que c’est moi qui dis que c’est urgent. Mais ce n’est pas urgent dans les 15 jours qui viennent. Il faut être pointu là dessus, tu vois. Mais parallèlement tu dis que la société a l’air d’évoluer, que les Maires ont besoin de communiquer, donc vous avez pas seulement l’équipe mais on pourrait croire que les partenaires, en coopération ou non, on le sentiment commun que quelque chose change et qu’il faut changer les méthodes et les outils. Oui, oui je pense. Alors dans quel sens ? Parlons déjà des méthodes par exemple, en termes de pratique, qu’est ce qui évolue actuellement dans votre savoir faire? 26 Mais tu vois le diagnostic, ce n’est pas simple de faire un diagnostic, ce n’est vraiment pas simple, les besoins des gens. L’évolution, ce que, il me semble en plus que les besoins des jeunes, on va dire des jeunes parce que c’est quand même notre public prioritaire, les besoins des jeunes ils évoluent, ils se complexifient quand même. Je trouve que la demande est moins clairement de l’accompagnement, de la communication. Avant, il y avait quand même une demande plus claire et les besoins étaient plus clairs des jeunes. Maintenant, c’est plus complexe. Moi, je trouve que les choses sont en train de changer et il faut réfléchir à ce qu’on fait : est ce vraiment en adéquation réelle avec les vrais besoins des jeunes, des gens, tu vois. Il faut être sur de ce qu’on fait, pourquoi, est ce que les réponses que l’on apporte conviennent à tels jeunes est ce que les activités que l’on fait est ce qu’elles sont prioritaires, ça c’est une remise en question, tu vois je suis un peu en remise en question là dessus. Parce qu’il y a une espèce d’urgence, je le redit sur ce quartier qui a beaucoup changé en 6 mois, il a changé et ça aura des conséquences. Tu vois sur un quartier qui a une culture, des habitudes, sa vie, quand il y a une grosse arrivée de population diverse, ça peut basculer rapidement, et c’est vrai que moi j’ai peut être tendance à vouloir dire qu’on est un peu dans l’urgence et le diagnostic, parce qu’il faut se préparer à s’adapter à des besoins nouveaux. Il y a des réponses nouvelles à apporter. Comment tu les identifierait ces besoins nouveaux ? C’est qu’il y a des public nouveaux qui arrivent sur le quartier donc il faut à mon avis, pouvoir être prêt à , à travailler avec ce public nouveau, et qu’il comprenne qui on est , ce qu’on fait, tout ça, peut être jouer un rôle pour faire en sorte que ce quartier il ne bascule pas, si on a un petit rôle à jouer, peut être qu’on peut le jouer, tu vois. Il basculerait dans quoi alors ? Ah oui, dans la délinquance, clairement. Tu vois, vraiment des trafics, des …on le vois très bien, il y a des petits jeunes du Haut dul on le voit, qui viennent là bidouiller, trafiquer, il y a toute une culture d’appropriation sur les quartiers extérieurs par la biais de familles nouvelles qui sont arrivées ou de jeunes qui sont arrivés au collège, et qui…. On le sait ça des jeunes qui viennent trafiquer. Donc c’est vrai que ça peut faire basculer un quartier sur une autre culture, hein. Sinon, sur les jeunes que l’on connaît qui sont fragile, on sait très bien que, par exemple, sur les quartiers difficiles on arrive à de l’économie parallèle ou à de l’économie liée à de la toxicomanie, ça peut faire basculer beaucoup de jeunes, dont on s’occupe, hein. S’ils se mettent à consommer de façon dure, des drogues durent ou plus facilement ou trafiquer, c’est, ça fait basculer les jeunes les plus fragiles, auprès de qui on a une action importante à faire. Et 27 là, on est en plein dedans, tu vois, on le sent, on le voit. C’est vrai qu’on essaie d’être très vigilant de façon à essayer peut être de pouvoir un petite peu peut être présent, soutenir des jeunes qui pourraient basculer facilement, tu vois. Etre présents, c’est pas louper le coche et arriver trop tard une fois que tout est installé. Alors présents ? Etre présent, les connaître, être là, discuter, les rencontrer, tu vois, être là. D’ou l’importance d’être dans la rue parce que dans la rue par rapport à des choses qui se passent, ce n’est pas dans nos locaux que ça se passe, c’est à l’extérieur. D’accord. Je suppose que tu comprends que ce n’est pas ce qu’il y a de plus lisible à comprendre le fait d’être avec eux, travailler, les connaître, ça va prévenir les problèmes. Comment, toi, tu es en mesure d’expliquer cela à l’externe ? C’est garder un contact privilégié avec eux, avec des jeunes, de façon à les aider à un moment donné à affronter des difficultés de vie. Les difficultés de vie, c’est le chômage, c’est l’errance, c’est traîner dans la rue, et ne pas….Essayer de leur faire des propositions d’actions, d’activités, qu’ils y adhèrent, que se soient des chantiers éducatifs ou des sorties ou des activités. C’est être présents et avoir ce contact, c’est ça. Si tu n’a plus de contact avec des jeunes, tu ne peux plus leur proposer des activités qui vont être des activités, on espère que ce sera des activités qui vont les aider à affronter l’errance, l’inactivité, la délinquance. Je résume, tu me dis si je suis dans le juste : pour toi, les causes du basculement, ça serait des causes tels que l’errance, le chômage, La difficulté de vivre Et cette difficulté de vivre, elle se caractériserait… Tu traînes, tu n’as pas d’occupation, tu n’as pas de motivations à faire les choses. Alors, il y a un âge, normal qui est l’adolescence et où rien ne t’intéresse, mais il y a aussi, c’est l’âge, pour les jeunes qui ne s’accrochent à rien, c’est l’âge facile pour tomber dans la toxicomanie, on le sait bien. Un des problème de la délinquance, dans la société, c’est le trafic et la toxicomanie. Mais j’ai l’impression, que dans certains quartiers de notre aglomération, il y a des quartiers qui sont sur équipés à la fois en matière de loisirs, en matière culturelle, en matière sportive mais aussi en matière de dispositifs d’insertion et caetera et que ça ça n’empêche pas. 28 Bien sur, ça c’est vrai. Ca n’empêche pas, mais il n’empêche que notre boulot, c’est quand même d’aider les jeunes qu’on sait fragile à éventuellement intégrer des activités, des actions qui vont les aider à en sortir. Notre boulot de base, c’est ça et si ça on ne le fait pas si on n’est pas là à faire ça, pour un public difficile, on est un peu à côté de la plaque. C’est vrai qu’on aura, on peut toujours se gargariser, ça a été la raison de notre retour vers la rue, on peut toujours être satisfait de ce que l'on fait parce que quand même, ça peut être satisfaisant, mais l’originalité de la prévention par rapport à des centres sociaux et des centres de toute sorte, c’est aussi d’aller vers le public le plus en difficulté sinon on se repositionne autrement comme un centre éducatif ouvert. On n’oublie pas qu’on est mandaté pour le public le plus difficile. Moi je pense qu’on peut très bien se suffire en disant qu’on fait, qu’on s’occupe des gens en difficulté, les gens ils viennent ici sur ce quartier facilement. Et on pourrait même très bien avoir un méthode de travail éducative, de soutien aux jeunes qui passent, aux parents, en étant à côté d’un groupe fragile qui ne viendra pas vers nous. Mais moi je crois quand même, quand on prétend en prévention, c’est notre règle de définition, on a un mandat pour les jeunes les plus difficiles, il faut quand même y répondre. D’accord, ça je le comprends très bien, je connais un peu les missions, ce que je veux comprendre maintenant, c’est comment se passent les échanges-là avec l’élu local. Si je focalise un peut sur l’élu local, c’est qu’en ce moment il y a un projet de loi de gouvernance locale et je sais que les relations de proximité sont plus fortes qu’auparavant. J’ai l’impression qu’on est dans une étape de decentralisation qui progresse et les relations de proximité équipe-élus vont être plus fortes qu’elles ne l’ont jamais été, et dans cette perspective-là je me demande comment vous expliquez cela et comment le Maire comprend une telle position, qui est quand même une position basée sur une conviction, pas forcément basée sur des résultats visibles facilement. Tu parles de travail souterrain, tu expliques que c’est un travail de fond, à long terme, et j’ai l’impression que le Maire il demande strictement l’inverse. Il demande quelque chose avec des résultats, c’est toi même qui l’as dit. C’était sur un point. Il se trouve que le Maire, il nous a interpellé il y a un an sur un problème de conflits dans une entrée difficile, où se regroupaient des jeunes, il se trouve qu’une fois que le problème a été résolu tous les autres problèmes qui se passent à côté, en un an, on s’est retrouvé deux fois, le problème de fond a été débattu superficiellement, à mon avis et après on ne s’est pas revu. Ca fait un an que je le croise, quand je croise le Maire il me dit : il faut vite, il faut qu’on se rencontre, ton équipe et la mairie pour discuter sur les problèmes de fond. 29 Parce que moi je lui ai dit que j’avais été insatisfaite, de ces deux réunions superficielles. Une fois que le problème est résolu, il enclenche un truc soi-disant de fond mais c’est de la consommation de la part du Maire : il faut que l’on résolve son problème dans l’urgence mais le fond, finalement, il s’en tape. C’est un petit peu comme Monsieur Z, le fait, de toute façon on avait une réunion sur les contrats ville il y a un mois et demi, de toute façon il n’a parler que de la forme et pas du tout du fond. Moi je l’ai retrouvé par hasard à une réunion en ville qui n’avait rien à voir avec notre boulot et tout fier il m’a dit : j’ai été fort madame sur ma démonstration entre le qualitatif et le quantitatif. Très fier en rigolant. Mais devant quelqu’un je lui ai dit : mais on n’a pas les mêmes préoccupations, vous venez de me le démontrer, et vous vous en vantez. C’est vrai que nous on recherche le qualitatif, non le quantitatif, et vous plutôt le quantitatif . il a rigolé, ça l’a fait rigoler, mais c’est vrai, ils sont dans l’urgence, dans le superficiel souvent on a un débat, par exemple avec l’autre municipalité qui nous a interpellé, une fois que leur problème d’urgence est résolu, ça fait au moins , je l’ai rencontré au moins 6 fois en un an, l’autre Maire, il me dit : il faut que l’on parle du fond, mais tant qu’il n’y a pas besoin, il s’en tape. Là tu m’expliques que vous avez un problème de fond. Mais comment toi tu entrevois les solutions ? Etant donné ce que je viens de te dire, c’est à dire l’évolution avec laquelle tu as l’air d’être d’accord, sur le diagnostic que j’ai fait… sur l’évolution… Moi ce que je crains, c’est qu’ils vont faire, ils vont à la demande, à la commande en cas d’urgence, ils vont nous dire : moi je veux que vous fassiez ça dans l’urgence. De toute façon, on évolue vers des relations où les Maires vont sentir le droit de te passer des commandes. Avoir un contrôle. Et comment tu réagis ? Moi je répondrai comme, que on peut répondre…Moi, j’ai très bien compris, alors qu’on aurait pu mal le prendre, quand il m’a interpellée sur les jeunes qui traînaient, c’est vrai qu’on avait un peu lâché le pied, on était plus trop dedans, je l’ai bien pris dans la mesure où il avait raison. Par contre, il y a le ton. Il se trouve qu’il me l’a dit gentiment, poliment, mais j’exagère mais il avait raison sur le fond. Par contre, s’il renouvelle et qu’il intervient que quand il y a urgence, je vais lui dire : pas d’accord. Ecoute on fait régulièrement un boulot de diagnostic sérieux, sinon, ça n’a pas de sens ta commande. Moi, je peux me permettre de lui répondre comme ça, sauf que ça ne sera pas simple. Parce qu’après il peut y avoir avec certaines municipalités des difficultés de relations dans le sens là. Suivant l’historique que l’on a dans les quartiers, ça sera, et suivant l’intelligence des élus, ça va être ou très bien ou 30 très mal. Ou de la commande, ou quelques fois on arrivera vraiment ensemble à travailler. C’est là le danger de cette loi. C’est que le pouvoir accru au Maire, le danger c’est que suivant les équipes, l’intelligence des équipes et l’analyse qu’ils font du social, ça va être le pire ou le meilleur, c’est ça le danger, c’est la déclinaison de la décentralisation. C’est qu’on aura des diversités énormes suivant les équipes municipales que l’on aura en face. Et ça peut être pareil, pas seulement les équipes municipales mais les autres travailleurs sociaux, les autres partenaires. Moi, je dis, par exemple que sur la loi Sarkozi, ce qui était marqué sur l’obligation que le Maire ait centralisé les informations par rapport aux enseignants ou aux travailleurs sociaux, ça c’est un truc, un retour de bâton de notre incohérence sur des quartiers d’intervention. Quand moi, par exemple sur ce quartier, on n’arrête pas de parler avec les assistantes sociales, parce qu’elles considèrent que dans ce département depuis qu’on est PID et pas ASE, elles ont pas à collaborer ou à travailler avec nous. Et bien, si elles ne travaillent pas avec nous, moralité, quand le Maire va leur imposer de travailler avec nous, c’est un retour de bâton de l’incohérence des travailleurs sociaux en France. Quand les AS font un énorme boulot sur les famille, qu’on fait le même boulot, qu’on recommence à zéro, qu’on arrive pas à se coordonner, c’est pas étonnant qu’il nous tombe sur le coin de la tête, des dispositifs de mise en cohérence soit disant commandés par monsieur Sarkozi. Ca c’est le retour de bâton des incohérences des dispositifs sociaux qu’on nous impose. Il faut être un peu intelligent dans certaines interventions, dans les familles, dans les quartiers. Et quand je demande à des AS des renseignements sur des familles, parce que je sais que les familles vont les voir et elles me répondent : t’es pas de l’ASE, je te réponds pas, c’est pas étonnant que Sarkosi nous l’impose, tu vois. Ca a l’air de ne pas être dans le débat, mais c’est complètement dans le débat, parce que c’est aussi le développement de plein de dispositifs sociaux parce qu’on est dans une société riche avec une protection très perfectionnée où après on en arrive à avoir des choses qui deviennent trop compliquées, trop complexes et on a cherché à ce qu’il y ait quelqu’un qui mettent en cohérence. Il se trouve que se n’est pas quelqu’un de professionnellement validé pour pouvoir coordonner cette compétence. Moi, qu’il y ait quelqu’un qui coordonne, je ne trouve pas ça gênant. Que ça soit quelqu’un de pas professionnellement compétent, ça me dérange, parce qu’un Maire, il n’a pas la compétence professionnelle pour mettre ne cohérence. Ce n’est pas le fait que quelqu’un mette en cohérence qui, me dérange, c’est que suivant les personnes, on va te faire des commandes complètement réactionnaires, débiles, qui sont pas adaptées ou qui sont des commandes autoritaires idiotes sur… : votre boulot, je vous demande d’aller 6 mois dans cette entrée quoi. J’exagère mais ça pourrait être ça. Ou alors : moi je ne veux plus que vous travailliez avec les 31 plus petits parce que c’est pas le problème, ou alors : je veux que vous travailliez avec les grands. Tu vois, ils vont te faire une commande et là il faut aussi que ça soit en cohérence avec le payeur qui a aussi son mot à dire. Alors, comment lutter contre ça ? comment prévenir ça ? Et bien prévenir, il faudrait déjà de toute façon, qu’on soit en cohérence avec les besoins du quartier et ça, ça se fait. Si tu es en cohérence avec mais il faut aussi que les élus ils entendant, ils comprennent ce que tu fais. Si jamais une équipe est en opposition avec une Mairie soit l’équipe est en décalage, il y a un problème de communication. Normalement, l’équipe de PS elle doit être dans le bon sens de ce pour quoi elle travaille. Elle a un mandat de PS. Si elle a un conflit avec une municipalité c’est qu’il y a un problème ou de communication ou de cohérence ou de lisibilité ou après éventuellement de son action. Il y a quand même et on le sait, nous ça nous est arrivé récemment, d’entendre des collègues dire qu’ils étaient en conflit avec une municipalité pour ne pas la nommer Vandoeuvre, qui avait estimée que se n’était pas du ressort de la PS que de travailler avec des maternels. Et bien moi, je suis désolée, je trouve qu’elle a raison la Mairie. L’intervention dans l’école maternelle des petits, ce n’est pas le publics prioritaire de la prévention. Que tu fasses, à un moment donné, sur la parentalité, un travail global, mais comme ils l’ont présenté, eux mes collègues de prévention c’était : nous on va travailler avec les petits à l’intérieur des écoles. Non ! L’intervention régulière avec des petits de l’école maternelle, je ne pense pas que ça soit notre priorité ou notre mandat. Ca peut être à un moment donné un travail mais il ne faut pas le mettre en avant comme un travail prioritaire et que la mairie te demandes pourquoi tu interviens avec les petits à la maternelle je trouve normal qu’elle pose la question elle a le droit. C’est la mairie bon, normalement ce n’est pas ton payeur la mairie c’est le conseil général. Même si tu fais un diagnostic partagé sur la définition des besoins et que vous en arriviez à faire une bonne identification des besoins il n’empêche que les besoins peuvent situer à des niveaux différents à court, moyen et long terme. J’ai l’impression que ce fait là pourrait poser un problème. Parce que tu sembles dire que ce qui est le problème c’est l’incohérence avec les autres partenaires, et ce qui fait que si il un maire est amené à intervenir c’est parce que à un moment soit la prévention n’est pas dans les clous, soit parce qu’il y a un problème avec l’ASE… Moi je pense que tu vois rarement on a des réunions tous ensembles autour de la table on travaille sérieusement à analyser ensembles. Mais au début des politiques de la ville il y avait des conseils de prévention de la délinquance où on était censé analyser ensembles tous les 32 problèmes d’un quartier il se trouve que c’est des grandes messes superficielles où c’est toujours les mêmes qui prenaient la parole qui se mettaient à parler, tu pouvais pas parler et il y avait pas un travail de fond et d’analyse sérieux. C’est ça qu’on devrait faire ensemble, c’est tous pouvoir communiquer et comprendre ce que l’on fait les uns et les autres. C’est un peu idéal de penser qu’on va tous arriver à une identification des besoins unanime ? Mais on devrait si on veut perfectionner dans la mesure où il y a des commandes de la municipalité sur des choses il faut qu’on puisse communiquer ensembles et parler ensembles. Ce qui ne se fait pas ou alors superficiellement ou sur des thèmes moi je suis sciée quand depuis 15 jours la mairie nous invite à une réunion sur la laïcité où elle a mis un dispositif énorme de formation que je trouve très bien. Moi je leur ai dit ça c’est super bien mais il faut que ça soit fait sur les autres thèmes aussi, entre parenthèses 5 séances pour parler des actions sur la laïcité en plus moi je trouve ça bidon ce thème de la laïcité, merde ! on s’affole que sur certains trucs pas sur le reste tu vois. C’est vraiment une politique spectacle quand même. On est en plein là-dedans tu vois une politique spectacle. La dessus moi je dis on a fait le tour de table à la fin de la première séance : qu’est-ce que vous trouvez est-ce que vous trouvez ça intéressant ce type de travail j’ai dit sur la forme c’est très intéressant le travail sur la laïcité doit se on doit travailler en complément de tout ce qui est citoyenneté ça ne doit pas ce faire que sur la laïcité. C’est lié à tous les autres thèmes de société qui nous concernent au niveau éducatif. J’ai une dernière question : à ton avis qu’est-ce que ça provoque comme réaction d’aller rencontrer les jeunes en soirée dans les entrées. C’est pas toujours facile et bien vu ils se demandent ce qu’on fait des fois par contre quand ils ont besoin… tu peux les déranger si eux-mêmes… c’est comme des parents qui interviennent des fois avec leurs enfants il y a des moments où tu les déranges on est des adultes et on peut les déranger, mais ça on le sent, quand ils sont entre eux, il faut aussi avoir le respect de ce qu’ils font entre eux, si à un moment donné ils ont pas envie de causer tu sens, tu passes, salut à la prochaine. Et la fois d’après tu repasses ils ont envie de causer ils sont disponibles. Il faut respecter leur rythme ils sont chez eux dans la rue il faut respecter. Ce que ça provoque des fois c’est rigolo parce que il y en a qui disent des fois vous faites votre ronde tu vois. Ils savent et puis tu sens s’ils ont envie ou pas si tu tombes bien ou pas s’ils ont envie de communiquer ou pas. Alors ce que ça provoque ce qui est rigolo c’est que des choses non réglées c’est là que ça se règle tu vois par exemple sur un chantier pourquoi tu m’as pas choisi 33 c’est là qu’on va pouvoir en causer et justement vider l’abcès et tu sens aussi quand un jeune ne va pas bien il est hyper content, oh tu tombes bien il faut qu’on cause ça va pas tu vois il y a toutes les réactions que ça provoque c’est pas l’enthousiasme général ni le rejet général il y a de tout. Tu le sens hein, à toit de ne pas t’imposer quand ils sont… tu vois, quand tu sens qu’ils ne sont pas disponibles, tu dis bonjour, tu passes ton chemin. Je sais pas si j’ai répondu à tes questions… mais tu vois ce qui importe le plus c’est cette question de diagnostic… Notre diagnostic doit se faire aussi avec les autres partenaires qui feront un diagnostic différent du notre autrement que celui qu’on fait au niveau du travail de rue. Nous on a cette possibilité d’aller à des moments un peu symptomatiques dans la rue et c’est vrai que les AS quelques fois, par exemple ça nous est arrivés d’échanger avec elles là dessus, elles sont surprises, ça donne une autre vision des familles, des jeunes, elles ont des fois des visions négatives ou inversement. Alors c’est vrai qu’un diagnostic partagé ça permet d’avoir un regard plus objectif. Oui mais le diagnostic partagé va faire émerger des problèmes. En particulier, je reprends ce que les partenaires ont fait remonter à propos des nuisances des jeunes. Bon, une fois que c’est remonté, voire partagé, ça ne règle pas la question de l’intervention que ça suppose. Et bien par exemple les jeunes, les jeunes qui traînent aussi dans les entrées, moi je dis depuis plus d’un an au maire, ils ont fermé une salle foot libre, et bien c’est une erreur pour moi. Il faut se donner les moyens d’avoir, de pouvoir ouvrir deux fois par semaine le foot libre pour qu’ils aillent défouler les jeunes. Qu’est-ce qu’il répond ? Et bien là en ce moment il est en train, ils vont essayer de rouvrir. Ils ont fermé à un moment parce que c’est lié aussi à la difficulté de gestion de sa propre équipe tu vois. C’est que les gardiens de complexes ils sont souvent démunis face aux jeunes difficiles donc ils ont fermé parce qu’ils étaient débordés. (fin de la bande). 34 Entretien n°3 Je voudrais qu’on parle du travail de rue qui a été fait par une équipe du CHAMP LE BŒUF. L'histoire, Comment tu vois ça, comme c'est arrivé ? Comment je vois ça parce que moi j’ai pas tout à fait le même point de vue qu’eux, c'est-àdire que j’ai pas la même interprétation qu’eux ils ont font hein, eux, eux ils mettent en avant et notamment à l’occasion du débat qu’il y a eu sur le projet dans l’actualisation du projet de prévention spécialisée, ils ont mis effectivement en avant le travail de rue qu’ils faisaient comme, comme étant, comme étant un peu le fer de lance de la prévention en tous cas une méthode de base pour laquelle ils étaient, sur laquelle il ne fallait pas revenir, enfin bon c’était… le sentiment que j’ai c’est qu’en fait ils ont eu des difficultés, ça m’a été confirmé par la suite d’ailleurs par, par, notamment par la responsable, ils ont des difficultés d’accroche avec les jeunes qui sont ciblés par le, qui sont normalement ciblés, qui doivent être ciblés par l’équipe c’est à dire qu’en clair ils sont, ils ont un public de jeunes de milieu, de milieu populaire qui ne présentent pas forcément des difficultés importantes, qui nécessiteraient une intervention spécifique, donc ils ont un public habituel, et ils sont, ils se sont fait critiquer et ç’est là à mon avis le point de départ effectif objectif de leur positionnement sur le travail de rue ils ont été assez vertement critiqués notamment par la municipalité de MAXEVILLE directement hein qui les interpellaient directement et aussi indirectement par le biais du conseil d’administration de Jeunes et Cités ; qui faisait le constat suivant à savoir que les jeunes, les jeunes qui étaient livrés à eux mêmes, n’étaient pas un certain nombre de jeunes des, des, notamment des, des jeunes en bande sur certains secteurs du quartier, qui étaient repérés, bien repérés par d’autres intervenants de Jeunes et Cité étaient livrés à eux mêmes étaient n’étaient pas touchés, n’étaient pas touchés par l’équipe. Alors, ça été, ça été difficile pour l’équipe et sa responsable de répondre à cette critique, c’était difficile parce que ils ont admis eux-mêmes qu’elle était justifiée. C’est à dire qu’en clair ils ont reconnu qu’ils avaient du mal à attirer, à attirer ce public. D’où la réactualisation du travail, de ce qu’ils appellent, de ce qu’on appelle le travail de rue à mon avis le point de départ c’est ça quoi c’était une façon entre guillemets positive en tous cas c’était de répondre à une critique qui leur a été faite et dont ils admettaient eux mêmes qu’elle était justifiée. Les jeunes étaient repérés comment, tu dis les jeunes repérés comme en errance tout ça, par qui ? 35 Ils étaient repérés par des éducs qui habitent la quartier, par les fonctionnaires municipaux de la police par, et puis, et puis par des, par des habitants du quartier peu ou prou liés à la municipalité par le biais d’associations. D’accord, tout le monde repérait des jeunes, mais ils étaient repérés en fonction de quoi ? en quels termes ? Les termes : en tant que jeunes qui foutaient le cirque dans les entrées, qui se mobilisent, qui se groupaient dans les entrées, qui fumaient de pétards, des joints qui étaient on va dire un peu, un petit peu déviants hein et, ouais voilà je crois que c’est principalement ça. Et puis ils avaient cité d’autres cas de familles particulièrement, particulièrement (comment dire) marginalisées, et qui n’étaient pas non plus connues par l’équipe. Donc c’est sûr, je crois que c’est sur la base de ce double constat que l’équipe a décidé de revisiter ou de refaire un peu plus, de manière un peu plus systématiquement du travail de rue, c'est-à-dire sur la base d’un constat critique qui est venu de l’extérieur mais aussi sur le constat, sur la base du constat qu'ils faisaient eux mêmes c’est qu’ils attiraient plus grand monde. A ça c’est mon impression, c’est pas forcément comme ça qu’ils le présentent en tous cas c’est pas forcément…, eux ils le présentent plus comme une nécessité on va dire idéologique entre parenthèses c’est à dire comme… au niveau du discours c'est-à-dire dans le discours pour eux c’est un indépassable de la prévention spécialisée c’est un basique de la prévention spécialisée il ne peut pas y avoir de prévention spécialisée sans travail de rue c’est un peu comme ça qu’ils le présentent. Et pourquoi ils le présentent maintenant ? c’est tout de même assez récent ? Si l’équipe de CHAMP LE BOEUF ramène la question du travail de rue en ce moment comme sinon un faire valoir enfin une méthode appliquée à mettre en avant, c’est parce qu’à mon avis mais c’est une hypothèse hein, évidement j’en ai pas discuté, j’ai pas discuté de ça encore que si j’en ai parlé avec la responsable de l’implantation, c’est parce que ils sont coupés d’une partie du public pour lequel ils sont mandatés sinon tout au moins une partie. Et donc effectivement pour eux ça devenait une nécessité que de recontacter des jeunes dont ils s’étaient coupés d’autant que la critique donc de s’être coupé de ce public leur a été faite de l’extérieur et notamment par la municipalité et ce d’une manière assez forte. Et donc ils étaient ils étaient comment dire pas démasqués mais enfin c’était, personne ne pouvait être dupe quoi. Donc il y avait nécessité pour eux de renouer, de tenter de renouer avec un public pour lequel ils sont clairement mandatés c’est à dire ce public de jeunes ou en difficultés ou y 36 compris de jeunes qui posent un peu problème en termes d’incivilité etc… et dont ils reconnaissaient eux-mêmes qui, qui, en tous cas la responsable le reconnaissait qui s’étaient un peu coupés, qui tournaient en vase clos avec un public un peu habituel. Ca c’est mon hypothèse, l’autre hypothèse mais ça va avec c’est que c’est vrai que c’est de toute façon à un moment donné ou à un autre et sans doute surtout si on n’a pas de contact avec le public le seul, la seule façon de renouer contact en tout cas au début quoi. Oui mais pourquoi le soir ? Oh ben ce qui est caractéristique dans leur travail de rue c’est que c’est du travail en soirée, c’est ça qui est le plus problématique Quand tu dis en soirée tu parles de …. De travail de rue en soirée, ils font un travail de rue jusqu’à 23h00 dès fois jusqu’à minuit une heure, même. Ca c’est qu’ils disent Oui mais enfin c’est ce qu’ils disent en tout cas ? C’est ce qu’ils disent moi je sais pas s’ils font du travail de rue jusqu’à 23h00 minuit. Enfin, formellement ils ont des plages ? Ils ont des plages, ils ont des plages formelles le soir. Alors ça pourquoi j’en sais rien c’est parce que je pense que c’est lié à…, je crois que c’est un peu lié aux personnes et peut-être à la personne de la responsable d’implantation qui aura eu le souci de de comment dire de formaliser cet, cet outil de travail. Alors pourquoi pour être sûr de pouvoir le faire sans doute j’en sais rien parce que c’est vrai que si c’est pas formalisé à l’avance, à la limite on peut on peut ne pas en faire, si c’est pas un minimum, si c’est pas un minimum organisé il y a toujours le risque de dire qu’on va le faire et pas le faire. D’accord mais moi j’essaie de comprendre et je me dis la problématique c’est de toucher les jeunes, mettre en place quelque chose. Pourquoi le faire…, pourquoi le faire la nuit ? Pourquoi le faire la nuit ? En intention ou en fait hein. Pourquoi l’annoncer c’est comme ça ? (Blanc) Alors moi je me dis que…, que si il y a des jeunes qui méritent d’être touchés, enfin qui méritent, donc avec qui l’équipe n’a plus de contact et qu’il faut toucher par le travail de rue parce que c’est la seule méthode c’est pas forcément, c’est pas forcément de nuit, ça peut se faire en début de soirée si le but c’est ça. Alors effectivement pourquoi ils le font…, alors à 37 mon avis, ce que je vois derrière ça c’est c’est le, j’ai deux hypothèses derrière ça, évidemment j’en parlerais pas comme ça dans les termes la avec eux, deux hypothèses c’est d’une part pour se…, ayant été critiqué de l’extérieur sur le fait qu’ils ne touchaient pas suffisamment le public le fait de dire on le fait un peu en soirée c’est une façon un peu de rassurer par rapport, par rapport à ce qu’on présuppose de la demande des ,des, des, des partenaires. Ca c’est une hypothèse. Nous on travaille… on travaille… on fait du travail de rue… en soirée et donc on est… on est, comment dire… on montre pattes blanches… y a des jeunes qui traînent etc on est là on fait on est là on est avec eux etc. Ce que personne ne leur demande d’ailleurs, enfin moi je ne leur demande pas. Mais c’est une façon de, comment dire de, de légitimer une certaine forme, une certaine forme d’intervention et de montrer un peu pattes blanches. L’hypothèse que je fais c’est que, si sur les autres activités c’est que c’est lié au fait que les autres activités ne marchent pas forcément toujours très bien. Car effectivement quand une équipe, quand une équipe fait des chantiers éducatifs enfin en tous cas c’est la tradition et c’est la conception de l’association que moi-même je défends c’est à dire non pas, non pas, comment dire avoir une activité uniforme en terme de mode d’intervention c’est à dire le travail de rue comme le font certaines associations c’est vrai que nationalement il y a pour un souci, pour un souci dans un souci d’identité de reprise d’identité il y a une tendance très forte en interne au niveau de la prévention spécialisée à remettre le travail de rue en avant comme le mode intervention spécifique de la prévention spécialisée. En clair l’idée qu’il y a derrière c’est qu’il ne peut pas y a avoir de prévention spécialisée sans travail de rue. Alors ça ça se discute. Mais après il y a plusieurs... comment dire… il y a il y a toute une palette entre les associations qui défendent une conception… plurielle en termes de mode d’intervention de la prévention spécialisée et je crois que c’est le cas de Jeunes et Cité et puis les associations qui ne sont que sur ce vecteur d’intervention c’est à dire la prévention spécialisée c’est du travail de rue point. Et d’ailleurs le CNL lui-même lors, pour ses assises en, ses assises en 2002 ou 2003 à MARSEILLE le regroupement, préconisait comme appellation en tous cas faisait, mettait en avant non pas un éducateur de prévention spécialisée comme appellation mais les éducs, les éducateurs de rue. Donc ça c’est une tendance lourde qui à mon avis répond à un réflexe d’autodéfense par rapport à une, des critiques extérieures qui sont assez généralisées pour la prévention spécialisée et qui tiennent au mandat de la prévention spécialisée c’est à dire qu’il n’y a pas de lisibilité dans les actions et que c’est 38 absence de lisibilité absence d’évaluation, à la limite on se demande s’ils touchent vraiment les publics. Donc, c’est une hypothèse hein, donc très souvent, très souvent les structures de prévention spécialisée remettent en avant le travail de rue pas uniquement parce qu’ils pensent que c’est que réellement que c’est un mode, un outil intéressant mais c’est une façon aussi de dédouaner par rapport à l’extérieur. D’accord mais alors justement… Et le, et le travail en soirée le travail en soirée ça participe de ça aussi. C’est à dire que dans l’imaginaire des partenaires et c’est là où ça rejoint la question de la prévention de la délinquance, la prévention spécialisée c’est de la prévention de la délinquance, que toi t’as un moment appelé prévention situationniste ou quelque chose comme ça… situationnelle ? Oui situationnelle… C’est à dire que le rôle, le rôle des éducateurs c’est d’être là au moment où, où les jeunes posent, posent des problèmes à l’extérieur, donc et ça c’est un véritable débat et c’est un véritable problème, je pense qu’il y a beaucoup de structures et je pense que la logique, qui a… ; l’attention, en tous cas, faire participer de cette attention au positionnement de l’équipe de CHAMP LE BOEUF c’était de se dédouaner, de faire acte, montre de bonne volonté par rapport à cette attente qu’on a de la prévention spécialisée. Et c’est vrai que la majeure partie des acteurs, nouveaux partenaires, c’était la raison pour laquelle à mon avis, c’est une des raisons pour laquelle il fallait clarifier, reclarifier, les orientations de prévention spécialisée en ce qui nous concerne parce que beaucoup, beaucoup de nos partenaires et en particulier les municipalités, c’est d’autant plus important dans la période où on sera d’une manière ou d’une autre peu ou prou amenés davantage, travailler davantage ou en tous cas confrontés davantage au mode d’intervention avec les attentes des municipalités pour beaucoup de ces partenaires donc les municipalités la prévention spécialisée égal prévention spécialisée égal prévention de la délinquance. C’est à dire que le rôle de la prévention spécialisée c’est de toucher les jeunes, moins les jeunes qui ont des problèmes que les jeunes qui posent problème en termes de comportement d’incivilité etc dans une visée avec un objectif clair de sinon ramener la paix sociale en tous cas de faire en sorte qu’il y ait plus d’ordre, qu’il y ait moins d’incivilité, un souci de tranquillité dans l’espace public. 39 Ca c’est une très forte attente de nos partenaires. Et c’est là à mon avis et je pense que le travail en soirée qu’ont mis en avant l’équipe de CHAMP LE BŒUF tant travail de rue que travail en soirée, participe de cette intention de vouloir rassurer les mandants ou les partenaires par rapport, par rapport à cette attente en même temps peut être dans un souci de distinction à l’intérieur de l’association par rapport aux autres équipes pour se distinguer puisque tout le monde sait, enfin c’est un vrai débat dans l’association, entre ceux qui préconisent, enfin bon tu sais bien toi-même toi même participé à ce débat là tout le monde n’a pas les mêmes, n’as pas les mêmes, comment dire… Visions des choses Les mêmes visions des choses voilà. Moi je le prends comme ça et comme en plus je rajoute à ça et qu’en termes d’activités ils étaient en baisse d’activités d’une manière générale tant à l’égard du public qu’au niveau des activités, les autres activités, les centres éducatifs, l’animation, c’est cahin-caha c’était une solution un peu facile de se redorer une légitimité, d’autant plus facile que tout le monde sait très bien que c’est un travail finalement difficilement évaluable voire contrôlable finalement un éducateur qui va sa balader ou deux éducateurs qui vont se balader soit entre 9 et 11 heures le soir peut-être qu’ils seront avec 15 jeunes peut être 10 jeunes, personne, personne n’ira le voir à priori. C’est peut être un peu méchant ce que je dis en tous cas c’est des hypothèses. Ca se dit ? Ca se dit, ça tu l’entends quelque part ça les critiques là tu les ressent ? Les critiques qui sont faites à l’équipe ? Ce genre de critiques là ? En général du fait que le travail n’est pas lisible… Oui oui oui. Tout à fait ben tout à fait, ben c’est un... tous les rapports tous les rapports récents… qui ont été faits de l’extérieur pas par la prévention spécialisée, mais mettent toujours en avant ce type de critiques : absence de lisibilité, absence d’évaluation, fougue en intention, avec du travail difficilement évaluable etc… c’est une des raisons pour laquelle il y a très peu à mon avis de… c’est une des raisons c’est pas la seule, mais c’est une des raisons pour lequel, pour laquelle la prévention spécialisée ne s’est pas beaucoup développée au regard d’autres. Alors il y a deux raisons fondamentales mais elles sont liées, deux raisons qui font que la prévention spécialisée ne s’est pas beaucoup développée depuis les années de décentralisation, c’est d’une part la logique de décentralisation qui fait que la prévention spécialisée c’est une compétence légale du département ce n’est plus ce n’est pas une compétence obligatoire ce qui n’est pas le cas de tout le reste de l’Aide Sociale à l’Enfance 40 sur mandat ou administratif ou sur mandat judiciaire parce que quand le Juge par exemple prend une mesure sur un jeune le Conseil Général derrière il est obligé de suivre en termes de moyens. Ca c’est la première raison, mais une raison à mon avis tout aussi importante c’est que les financeurs, les administrations mais aussi les élus les conseillers, ça à mon avis c’est général, donc ont très peu confiance en la prévention spécialisée dans la mesure où précisément est pas contrôlable on peut dire tenir tous les discours qu’on veut sur l’évaluation parce que c’est vrai parce que en prévention spécialisée comme ailleurs on peut évaluer je pense qu’on peut évaluer je suis pas en train de dire que l’évaluation n’est pas possible mais entre l’évaluation et le contrôle des pouvoirs publics il peut y avoir une, plus qu’une nuance. A partir du moment ou il n’y a pas de mandat sur des jeunes ciblés ben je caricature à peine mais on peut légitimer aussi bien une intervention avec 10 jeunes sur un quartier voire 5 jeunes qu’avec 50 jeunes, on peut toujours trouver tous les tous des bons arguments dans un cas comme dans l’autre. Et donc c’est vrai que c’est un travail difficilement objectivable à tous points de vue. Et donc forcément la lisibilité de l’action elle est nettement moindre à priori que dans les autres secteurs de l’Aide Sociale à l’Enfance du fait précisément qu’il n’y a pas de mandat sur les individus en particulier. Est-ce que ça veut dire qu’il n’y a pas forcément une commande précise ? Non mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de commande. Il y a bien une commande vis-àvis de la prévention spécialisée, une commande ambiguë Ambiguë ? Ambiguë oui à mon avis une commande ambiguë je parle de la commande publique, la commande des conseils généraux du point de vue par (…) référence au texte elle est claire c’est essentiellement une action éducative vis-à-vis des jeunes en difficulté. Mais là on saute, on arrive tout de suite sur le débat et sur le débat d’ailleurs qu’on a à mon avis relativement bien, même si c’est un peu simple ce qu’on a fait, relativement bien tranché en interne au niveau de l’association c’est qu’est-ce qu’un jeune en difficulté. Parce qu’il n’y a pas de définition objective indépendamment de l’idée qu’on en a de ce qu’est un jeune en difficulté. D’ailleurs ce qui me fait dire aussi qu’il n’y a pas de définition réellement objective de la prévention spécialisée Du coup ? Du coup. Parce que… alors les textes sont assez clairs, ils parlent de jeunes en difficulté d’une manière large c’est à dire des jeunes qui ont une difficulté d’insertion ce qui ne limite pas le 41 public à de jeunes qui ont des comportements difficiles c’est çà dire qui posent problème à l’ordre public. Donc faut effectivement, il y a une petite action à faire entre des jeunes qui sont difficiles, qui posent des problèmes du point de vue de l’ordre public qui sont aussi, qu’on peut considérer aussi comme étant des jeunes en difficultés et des jeunes qui sont en difficultés mais qui ne posent pas problème à l’ordre public. Et les textes sont très clairs làdessus on entend par jeunes en difficulté une conception assez large qui est mis en avant et la délinquance n’est qu’un des symptômes et n’est qu’une des cibles de la prévention spécialisée. C’est pas le public de la prévention spécialisée ne se réduit pas aux jeunes repérés comme étant difficiles ou en situation de délinquance. Ca c’est les textes en réalité derrière la commande politique c’est pas celle là, la commande politique tant dans l’esprit de la majeure partie des conseillers généraux sauf peut être ceux qui ont en charge la prévention spécialisée en tant que vice-président ou en tant que Président je crois que dans le département par exemple le Président il est très clair là dessus je suis pas sûr que ce soit toujours le cas de ses comment dire… de ses collèges conseillers généraux et c’est encore moins le cas pour les maires parce que… l’imaginaire, enfin l’imaginaire oui, les attentes implicites voire explicites des élus c’est une prévention spécialisée qui ne viserait exclusivement ou principalement que le seul le public de délinquants et dans un souci de ramener, de participer à la paix, à la paix sociale. Tous les débats qu’il y a eu ces derniers mois tant entre l’association, au niveau de l’association des départements de France qu’au niveau de l’association des maires des grandes villes de France, qu’en interne au niveau de la prévention spécialisée montrent bien, montrent bien que c’est là le, le comment dire… le le cœur que c’est le, le point de --- du débat. Le trouble de l’ordre public Ouais enfin c’est à dire que le… il y a un débat, il y a deux tendances. Il y a une tendance enfin deux deux, tendances qui s’affrontent à mon avis entre ceux qui attendent de la prévention spécialisée une action directe à l’égard des jeunes qui posent problème, et ceux qui défendent une conception plus aide sociale en France, plus éducative, plus éducation spécialisée, une action éducative sur le long terme à l’égard de jeunes qui sont en difficultés. Ces jeunes étant en difficultés ne se limitant pas au seul public de délinquants. D’accord Et... et la tendance, la proposition par exemple qu’à faite l’association des maires des grandes ville de France dans le cadre ---- des nouvelles lois de décentralisation de donner la possibilité de déléguer la compétence de prévention spécialisée aux --- participe à mon avis, participe de ce débat, en est un symptôme en tout cas… 42 D’accord. Ce qui coïnciderait avec une commande plus centrée sur les jeunes qui …, qui troublent l’ordre public pour… plus une demande de proximité Oui, et beaucoup d’associations malheureusement à mon avis beaucoup trop de structures de prévention spécialisée tombent dans ce travers c’est à dire répondre à priori à la commande, à la commande qu’ils, qu’ils perçoivent cette commande ou essayent parce que elles sont aussi en difficulté sur le plan d’un projet plus global. Comment y répondre ? Précisément en remettant en avant le travail de rue comme un des vecteurs principaux de la prévention spécialisée voire l’unique vecteur d’intervention avec travail de nuit, travail de week-end etc… Et c’est non seulement un débat au niveau de la commande publique et c’est aussi devenu un débat en interne, en interne au niveau de la prévention spécialisée Donc nous on a relativement à mon avis bien tranché dans l’association dans la mesure où, c’est un de mes points de vue, mais effectivement le travail de rue c’est un outil de la prévention spécialisée relativement indépassable mais c’est d’abord c’est un outil en tant que, comment dire, en tant que moyen de connaissance des jeunes c’est pas une finalité en soit le conseil d’administration a tranché par une incitation forte sans que ça constitue une obligation formalisée. Sans préciser, sans préciser que, Sans préciser que le travail de rue c’était la nuit ou… Le conseil d’administration dans le projet tel qu’il est rédigé, il ne parle pas de travail de rue, de nuit, il dit y compris en soirée. En soirée, maintenant en soirée c’est pas forcément deux heures du matin ni même minuit ni même…. Moi là dessus ma conception je pense qu’elle est relativement claire pour moi c’est un outil d’ailleurs c’est précisé comme ça dans le projet c’est à dire que quand une équipe a perdu le contact avec des jeunes ou elle n’est pas en contact avec les jeunes avec qui elle pourrait être en contact, le travail de rue doit être réhabilité comme moyen voilà c’est tout. A un moment tu as dit la commande elle est implicite voire explicite. Ca m’intéresse de savoir comment c’est explicite et formellement dans quelles instances… Par exemple chez nous c’est explicite, alors c’est, c’est explicite souvent dans les réunions de type, les, les… en tous cas chez nous c’est très explicite par exemple dans les conseils d’administration. Ou pour ne reprendre que l’exemple qu’on a cité, la ville de MAXEVILLE s’est fortement, a fortement exprimé une attente forte à l’égard de l’association en ses termes (blanc) Et d’une manière générale en prévention spécialisée je connais beaucoup de cas ou les mandataires que ce soit les conseillers généraux et les partenaires quand ils ne sont pas mandataires mais d’une certaine manière avec la loi qu’ils nous préparent ils vont devenir 43 indirectement des mandataires de l’action de prévention spécialisée il y a de plus en plus de municipalités qui expriment clairement ces demandes en ces termes là c’est à dire qui attendent de la prévention spécialisée que les éducateurs, les éducateurs soient dans la rue, soient dans la rue près des jeunes dans les lieux publics, les squats , les entrées d’immeuble etc… Pour faire quoi ? Pour faire de la régulation sociale (blanc) C'est-à-dire…, n’hésite pas à me donner des exemples Faire de la régulation sociale, faire en sorte, par exemple le maire de MAXEVILLE par le biais de son adjoint, il nous a clairement dit qu’il ne comprenait pas pourquoi les éducateurs n’étaient pas suffisamment, n’étaient pas dans les entrées d’immeubles alors que être dans les entrées d’immeuble c’était devenu un délit avec les nouvelles normes ou les nouvelles lois depuis que Sarkozy les a mis en place et que le rôle des éducateurs ça devait être aussi d’être dans les entrées pour expliquer que d’être dans les entrées c’était un délit. Donc alors on peut dire y a quand même un objectif éducatif puisque le rôle de l’éducateur se serait aussi d’informer le jeune qu’une loi existe etc… en fait on voit bien que on voit bien aussi…alors, et ça pour moi c’est pas une contradiction fondamentale parce que c’est vrai que, ça c’est vrai d’une manière générale, le travail social qui le veulent ou non a une fonction de régulation sociale aussi, ça c’est évident, ça ça me parait évident effectivement et donc la prévention spécialisée n’échappe pas à la règle évidemment que quand on aide des jeunes en difficulté ou des moins jeunes ou des familles, on participe peu ou prou qu’on le veuille ou non d’une certaine manière à la, à ce qu’on peut appeler du du, contrôle social au sens large du terme en terme de régulation sociale parce que des gens qui vont mieux dans leur vie qui s’insèrent dans la société c’est aussi des gens qui effectivement risquent de moins troubler l’ordre public dans la mesure où ils seront moins tentés par l’économie parallèle ou toute les formes de déviance. Moi personnellement ça ne me dérange pas, là ou ça pose problème c’est quand c’est principalement cet aspect on va dire sécuritaire ; qui est mis en avant au détriment des objectifs, des objectifs d’insertion, des objectifs éducatifs. Qui c’est vrai, il faut le reconnaître sont difficilement objectivables, évaluables, c’est sûr que des éducateurs qui sont dans les entrées de telle heure à telle heure, je connais t’étais avec moi à SAINT ETIENNE, hein, l’association qu’on a vu à SAINT ETIENNE, où le rôle des éducateurs c’était d’être dehors ils avaient un carnet qu’ils remplissaient tous les jours et de telle heure à telle heure ils étaient dans la rue ils devaient être ils devaient pouvoir dire où ils étaient avec qui etc… C’est 44 vraiment le type même d’association de prévention spécialisée qui a une vocation avec une conception très uniforme de la prévention spécialisée, c’est l’exemple type, j’en connais d’autre. La rue --- c’est pareil, c’est une conception de la prévention spécialisée très, très comment, un peu moi je trouve un peu dogmatique qui malheureusement fait évidemment le jeu de ceux qui attendent principalement ça de la prévention spécialisée. D’où la raison pour les structures de prévention spécialisée qui ne se… d’où l’intérêt pour les structures de prévention spécialisée qui ne se correspond... ; qui ne se reconnaissent pas dans cet unique objectif puisque la prévention spécialisée si on prend les textes d’ailleurs dans les textes que ce soit la ré étude du 4 juillet 72 à aucun moment n’est mis en avant le travail de rue. C’est la libre adhésion donc effectivement ce qui veut dire nécessité d’aller vers les jeunes, c’est vraiment la libre adhésion mais aussi l’accent sur le milieu, le travail global, les actions collectives, etc… si on prend les textes, les textes référents de la prévention spécialisée ont une conception, mettent en avant une conception bien plus large et à mon avis bien plus riche et bien plus intéressante que le seul travail de rue comme vecteur, comme mode d’intervention possible de prévention spécialisée. Est-ce qu’il y a eu un débat entre l’équipe de CHAMP LE BŒUF ou l’association, le conseil d’administration et les élus sur cette question là de, de la fonction des éducateurs par exemple dans les entrées ? Oui Il y a eu un débat. Là on voit bien… Il y a eu un débat alors d’une manière informelle entre alors, je sais pas, je pourrais pas te dire à quelle occasion entre les éducateurs en, tous cas sa responsable et puis les élus qui, les élus, qui mettaient ça, qui mettaient cet objectif en avant, enfin qui mettaient en avant, qui faisaient état de leurs attentes, il y a surtout eu un débat au Conseil d’Administration avec les élus concernés, avec les représentants de la municipalité où donc moi j’ai eu l’occasion de dire ce que je dis là quoi. Et puis il y a eu un autre débat un autre, ça a fait l’objet d’une réunion entre l’équipe, les élus et moi-même sur cette question là. Alors quelles sont les attentes des éducateurs, tu dis ils ont eu l’occasion de faire part de leurs attentes au sein des différentes instances que tu viens de donner, mais les attentes Les élus ? Non non les éducateurs ils ont eu l’occasion de dire, de confronter des attentes différentes donc là moi je vois bien l’attente des élus parce que tu en as fais une, une bonne synthèse, la régulation sociale, en gros : faire un peu ce que font les ALS. 45 Maintenant de ce que tu en sais toi qu’est-ce qui, qu’est-ce que les éducateurs ont mis en avant comme valeur éducative pour reposer à ces attentes là ? (Blanc) Ca je sais pas exactement, là tu me prends un peu au dépourvu mais je sais pas je crois que ce qu’ils ont mis en avant c’est le discours qui est tenu d’une manière traditionnelle en prévention spécialisée c'est-à-dire le travail de rue comme outil de contact avec les jeunes et après l’accompagnement éducatif à l’égard de ces jeunes qui se fait, se fait dans la durée sauf que, sauf que, ça c’est… c’est crédible qu’en en mesure d’en démontrer non seulement la pertinence mais de démontrer que ce se fait réellement ce qui n’est pas forcément le cas. Alors ça tient à quoi de dire que c’est pertinent ou pas ? La lisibilité c’est une chose, on pourra y revenir, mais la pertinence, tu as dit il faut à la condition qu’on puisse démontrer la lisibilité et la pertinence, cette pertinence là, qu’est-ce qu’il faudrait pour être convaincant ? Mois je crois que pour être convaincant il faut pouvoir faire état de manière un peu plus formalisée des publics qu’on touche, et du comment on les touche, et un minimum des effets produits là pour le coup on est dans l’évaluation. C’est à dire une équipe dont par exemple qui est visible à travers ses activités par qui veut bien le voir n’est pas forcément crédible quand elle touche un public qui n’a pas forcément de différence…, principalement un public qui n’a pas forcément de grosses difficultés à priori parce que bon il y a des quartiers où l’action on va dire est réellement invisible un quartier comme le CHAMP LE BOEUF c’est pas le cas c'est-à-dire si l’équipe disait « nous on fait du travail difficile avec des jeunes difficiles etc, à long terme » d’ailleurs ça leur arrive de le dire je suis pas sûr qu’ils soient si crédibles que ça. Je crois que… En gros ils n’auraient pas montré la pertinence sur un débat comme ça. Sur un débat comme ça ils ne montrent pas la pertinence dans la mesure où ils disent ce qu’ils disent et qu’ils ne font pas réellement en tous cas c’est pas très... C’est pas lisible… C’est pas lisible. Ca c’est une question compliquée parce que c’est (blanc) moi je crois qu’il y a une impossibilité, il y a… tant que les textes resteront ce qui sont et je suis pas forcément évidemment pour les changer, c’est lié au mandat de la prévention spécialisée à partir du moment ou on met en avant l’anonymat de la libre adhésion ben évidemment je sais pas moi une MECS ou un service d’investigation en milieu ouvert ou un service éducatif en milieu ouvert à partir d’un mandat du Juge ou d’un mandat d’administration sur un jeune ou une famille en particulier, l’éducateur il est tenu de faire un rapport et de mettre en avant le 46 chemin parcourut. Evidemment, il peut toujours raconter des conneries sauf que le Juge a toujours la possibilité de vérifier la véracité des dires et des écrits, c’est jamais le cas en prévention spécialisée Donc ça voudrait dire que l’absence de lisibilité elle est aussi liée au cadre institutionnel. L’absence de lisibilité elle est forcement liée au cadre institutionnel. C’est à dire que ceux qui disent il faut rendre plus lisible la prévention spécialisée ils ont raison,… pour partie, pour une autre partie ils ont tort parce que c’est tout simplement pas possible. Parce que le cadre institutionnel, le mandat, le cadre réglementaire de la prévention spécialisée ne le permet pas. Sauf à changer ce cadre réglementé c’est à dire à supprimer en particulier les notions de confidentialité et de libre adhésion c’est d’ailleurs ce que proposait la première version et c’est pas un hasard parce que je pense que c’est la prévention spécialisée qui a été plus visée que les autres… c’est ce que proposait la première mouture du projet de prévention de loi de la délinquance de Sarkozy c’est à dire le secret professionnel partagé. (…) aurait pu dans une version très très littérale et très… comment dire, la plus ultime, obliger des travailleurs sociaux de prévention spécialisée à donner des noms au minimum à non seulement à donner des noms mais à partager toutes les informations des publics qu’il touchait et dans la mesure où la prévention spécialisée est censée toucher exclusivement un public en difficultés c’est à dire que là c’était la porte ouverte aux contrôles, aux contrôles comme il se fait dans les autres, dans les autres comment dire dans les autres domaines de l’action sociale hein. Et il y a une légitimité politique dans cette demande sauf que… s’il y a en face une contradiction impossible c’est que si on veut maintenir la libre adhésion on est forcément obligé de maintenir ce qui va avec si on dit que le rôle de la prévention spécialisée c’est de toucher les jeunes qui sont pas pris en compte par les bonnes structures et que ça repose sur les relations de confiance qui elles-mêmes reposent sur la libre adhésion et ben forcément… on s’interdit effectivement de…, en tous cas on s’interdit cette obligation de donner de donner éléments et informations concernant les personnes qu’on touche. Donc à partir de là, ceux qui voudraient rendre lisible complètement lisible et visible ils se trompent c’est à dire c’est une mission impossible c’est contradiction donc, et en même temps je crois qu’il y a nécessité pour la prévention spécialisée effectivement si elle veut être crédible de faire un effort en terme d’évaluation mais on arrivera, ce sera pas possible au point de, de correspondre à ce que souhaiterait nombre de partenaires et nombre d’élus. Donc faut travailler avec cette contradiction c’est indépassable. 47 Et justement alors comment tu envisages toi l’avenir dans l’hypothèse où on travaillerait en plus étroite collaboration avec les élus voire avec un lien, un lien institutionnel sinon direct ? C’est ce qui va arriver puisque, c’est ce qui va arriver en tous cas pour une partie des équipes puisqu’on est en train de négocier laborieusement --- sa va sortir des conventions, ce qui est une première dans l’existence de l‘association ça se fait déjà ailleurs dans autres départements il y a déjà à peu près 45% de structures associatives de prévention spécialisée qui sont concernées par cette nouvelle disposition à savoir des conventions tripartites : associations, Conseil Général et municipalités. (Blanc) Comment t’envisage ça ? Ben j’y réfléchis Sur quelles bases ? J’y réfléchis à… l’intérêt de ces conventions c’est que ça va obliger les éducateurs et les équipes concernées à négocier davantage leurs objectifs. Les objectifs et à montrer pour le coup plus de lisibilité sinon totale lisibilité parce que pour les raisons que j’ai évoqué c’est impossible et puis c’est vrai que c’est pas forcément souhaitable mais en tout cas une plus grande lisibilité et une plus grande clarté en tout cas d’argumenter beaucoup plus les objectifs puisque dans le cadre de ces conventions donc qu’on est en train de négocier il est envisager de mettre en place des comités de concertation et de suivi, un des maires d’ailleurs souhaitait même un comité pilotage, c’est moi qui suis, enfin je suis intervenu là dessus pour dire que c’était pas souhaitable que le pilotage des actions au sens politique du terme revenait au conseil d’administration parce que là pour le coup c’était la porte ouverte à..., en tout cas à une plus forte instrumentalisation de la part des municipalités sur la prévention spécialisée et donc on n’a pas en tous cas moi je l’ai pas souhaité je pense que j’aurais été suivi là dessus par les administrateurs, c’est en débat au prochain bureau cette question là, mais ce qui est envisagé donc c’est de…, comme modalités pratiques c’est un comité de concertation et de suivi qui se réunirait au minimum deux fois par an et sur la base de diagnostics partagés pour reprendre l’expression consacrée c’est sur cette base de logique de diagnostic partagé que les équipes déclineraient, déclineraient leurs actions, actions par actions, c’est à dire que ce serait un passage obligé, c’est quand même un fait nouveau c’est quand même un élément nouveau parce que ça veut dire que les équipes vont être obligées de négocier leurs objectifs avec une municipalité jusqu’à présent c’était pas le cas. 48 Qu’est-ce que ça pourrait changer ? qu’est-ce que ça suppose concrètement en termes d’actions, est-ce que ça va changer quelque chose… ? Ben à mon avis oui concrètement ça va…, déjà sur la forme jusqu’à présent les équipes définissaient leurs --- interventions et les actions, faisaient état de leur projet uniquement en conseil d’administration en particulier au bureau par le biais de la direction en l’occurrence par le biais de moi-même. D’accord ? Là, là, elles devront réfléchir, décliner leurs actions, toujours au conseil d’administration par le biais du Directeur ; mais aussi avec des partenaires, des partenaires municipaux avec la municipalité. Et à mon avis psychologiquement c’est plus tout à fait la même chose déjà c’est à dire que ça, ça… on peut pas, si par exemple ça arrivait, je pense que ça arrive parfois on peut moins raconter n’importe quoi. On peut pas dire face à des élus de proximité qui peuvent, dont on sait par exemple pour la municipalité en tout cas la municipalité concernée pour les élus que je connais ils sont suffisamment sur place pour savoir de quoi il retourne. C’est un peu le cas dans les contrats de ville ? Dans le cadre… Non c’est moins le cas dans les contrats de ville. Les contrats de ville, dans les contrats de ville on présente oui, dans le contrat de ville mais les contrats de ville c’est action par action c’est des actions, ce sont des actions supports qui sont proposées chantier éducatifs, actions d’animation. Là c’est y compris tout ce qui relève de la mission de prévention spécialisée en terme d’accompagnement de présence sociale de travail de rue. D’ailleurs dans la convention, la proposition de convention, la convention qui nous est proposée rappelle la mission de prévention spécialisée alors il y a avait deux formules possibles une --- dans la ville eux leur convention ne met en avant qu’uniquement les prestations pour lesquelles financées par la ville comme objet de négociation avec la municipalité. Dans la convention que nous on s’apprêterait à signer c’est pas uniquement les actions que financeraient les municipalités c’est l’ensemble de la mission. C’est à dire y compris tout ce qui touche à l’accompagnement éducatif et social des jeunes etc., … donc c’est tout ça qui doit être, c’est l’ensemble des activités qui doit être négocié avec la municipalité et pas uniquement celle qui finance. C’est quand même, c’est quand même un changement, c’est quand même un changement important. D’accord, mais en termes d’enjeu çà risque de changer quoi c’est à dire notre contrat certainement ça sera des contrats d’objectifs y compris sur les missions éducatives. Oui Ce contrat d’objectif y va forcément mettre en débat des visions différentes… 49 Oui, c’est ça l’intérêt justement. C’est un intérêt, ça va faire avancer les choses on va dire mais ça va porter sur quel débat ? On peut imaginer, moi je pense que ça va porter par exemple sur des discussions qui sont récurrentes de, de, de, comment dire…, de problème, problématique jeunes délinquants etc., incivilité ça à mon avis ça va, et quel est le rôle de la prévention spécialisée et comment concrètement sur le terrain nous qu’est-ce qu’on propose par rapport et ça, ça ce sera le problème du groupe parce que jusqu’à présent on échappait relativement à ce débat là en tout cas avec les municipalités sauf le Directeur qui lui n’y échappait pas ou notamment par le biais, par le conseil d’administration où moi j’étais quand même très souvent confronté, amené à prendre des positions à défendre mes positions mais c’est plus facile quoi, là c’est les équipes elles-mêmes qui devront qui devront, qui devront argumenter évidement avec l’aide de l’encadrement… que ce soit le responsable de l’implantation ou le Directeur mais qui devront justifier oui justifier et argumenter grand nombre d’interventions. Alors des thèmes de débat qui à mon avis qu’on peut imaginer qui vont être récurrents c’est ça, la délinquance puisque c’est la, c’est la principale attente des élus et ça peut être aussi les familles en difficulté tout ce qui tourne sur certaines municipalités c’est à dire en particulier une grosse attente en terme d’aide à la parentalité, de soutien aux familles. Sur la question de l’autorité, sur la question d’autorité parentale, etc… mais ça peut être aussi… tout ce qui tourne autour d’usage des stupéfiants…, de l’école. Tout des thèmes qu’on est censé, censé travailler à mon avis seront l’objet de…, feront l’objet de contrat d’objectif. Ce qui est intéressant, moi ce que je trouve intéressant dans cette formule c’est que précisément ça va obliger les équipes à réfléchir et à argumenter parce que c’est facile d’argumenter vis-à-vis de quelqu’un qui est déjà d’accord avec toi qui est --d’enregistrement, c’est facile. Quand il s’agit de justifier, de justifier tes points de vue et tes objectifs avec des gens qui sont pas forcément à priori d’accord avec toi ou qui ont d’autres attentes je trouve que non seulement c’est plus formateur mais c’est aussi plus démocratique et c’est aussi plus ---, ça demande une plus grande rigueur quoi. Parce que bon, c’est facile de dire quand j’entend souvent dire « on est là, nous on s’occupe des jeunes difficiles ou des jeunes en difficulté » puis point quoi oui mais ça veut dire quoi ça concrètement. Je pense que il faudra des diagnostiques affinés, qu’est-ce qu’on entend par, quels jeunes en difficultés, quels secteurs, quels types de difficultés, les difficultés des familles c’est quoi qu’est-ce qu’on 50 se propose par rapport, quels projet on met en place, pourquoi, quels programmes, voir quel, ça va à mon avis ça va structurer davantage l’intervention des équipes Ca va la changer en quoi, plus de diagnostic mais proposer des actions expliquer en quoi, etc.. Ces actions là si elles se transforment elles se transformeraient vers quoi comment tu comment tu verrais les choses dans, dans la perspective d’un débat comme ça avec une plus forte pression… Moi par exemple je connais certains endroits, on en a cité un, ou là pour le coup je pense que l’équipe sera amenée, sera forcément amenée par le biais de --- contradictoire à prendre des phénomènes qui seront suffisamment pris en compte notamment effectivement ces phénomènes, ces phénomènes de jeunes qui sont, qui sont, qui sont un peu un peu dans l’errance comme ça qui foutent un peu le bordel qui sont pas du tout pris en compte par l’équipe ou très peu, je pense qu’ils auront beaucoup plus de difficultés pour éviter, pour éviter où certaines attentes par exemple il y a des attentes de, de des municipalités en l’occurrence c’est la même qui attendent clairement que les éducs interviennent dans les lieux publics les centres sportifs etc… Le débat qu’on a eu c’est clair quoi, encore ce matin j’ai eu une discussion avec Fabrice HUBER de MAXEVILLE c’est clair qui ils ont des attentes très explicites à ce niveau là ; alors après est ce qu’il faut répondre est-ce qu’il faut pas répondre ? Moi là dessus j’ai pas, en tous cas je pense qu’il faut être argumenter qu’on peut pas se contenter de dire on va pas vous donner un coup de main aux animateurs parce que, parce que, parce que nous on s’occupe que des jeunes en grande difficulté c’est pas suffisant ça à mon avis ça va pas être suffisant ou je sais pas quoi Maintenant en dehors du principe argumentaire qu’est-ce qu’il faudrait dire en gros, qu’est-ce qu’il faudrait répondre ? Et bien peut être qu’il faudrait répondre oui c’est effectivement notre boulot que d’aider les structures, intégrer ces jeunes Et actuellement Jeunes et Cité pense quoi de ça ? Au niveau global, tu parles... Il n’y a pas d’à priori il n’y a pas d’idée arrêtée par rapport à ça. Le débat pour l’instant il s’est posé que sur une équipe ; et moi-même j’ai pas de j’ai pas de…, j’ai pas d’à priori j’ai pas d’idée arrêtée je pense que l’argumentaire tel qu’il est mis en avant par l’équipe qui consiste à refuser systématiquement ou quasi systématiquement d’une manière très peu ponctuelle pour dire qu’ils le font une intervention, une intervention en 51 support des structures d’animation n’est pas suffisant, à mon avis c’est pas crédible, c’est pas crédible. Je pense qu’il devrait y avoir un travail…, c’est d’autant moins crédible que, c’est d’autant moins crédible que on met nous-mêmes en avant…, c’est d’autant moins crédible qu’on met nous-mêmes en avant le nécessaire travail de partenariat avec les structures d’animation alors dire qu’on veut pas aider à l’encadrement des activités, dis comme ça ça me parait pas suffisant. En tous cas moi je suis pas à l’aise enfin je suis pas à l’aise par rapport à ça, je m’en sens pas du tout en phase avec le point de vue de l’équipe. Je ne suis pas convaincu moi-même je suis pas sûr qu’il faudrait pas que ce serait pas inintéressant effectivement de bosser de bosser avec les structures d’animation directement y compris avec le public. Ok. Tu veux conclure par quelque chose ? Je sais pas, si tu as des questions. Non, Merci, voila. 52 ANNEXE 2 L’EQUIPE DE VANDOEUVRE LA BASE 53 Entretien n°1 Est-ce que tu peux me dire comment ça a commencé la base ? Alors, j’ai peu de mémoire et c’est déjà ancien donc, comment ça a démarré la base. Je ne me souviens pas très bien comment est venue l’idée. Ca va être banal, vraiment très général ce que je vais dire. Effectivement, on faisait le constat qu’il y avait sur un des quartiers un groupe de jeunes, jeunes et jeunes adultes, avec lesquels à priori à peu prêt personne n’arrivait à nouer des relations relativement longues ; des jeunes qui se mettaient en position d’exclusion et qui étaient sérieusement repérés comme des fauteurs de troubles ? Le souvenir que j’en garde c’est surtout des plaintes d’attroupement dans les entrées, de bruit, d’attitudes irrespectueuses ou menaçantes vis à vis des habitants proches en particulier ceux d’une ou deux entrées où ils avaient pris l’habitude de traîner ; donc aussi des jeunes pris dans des spirales d’exclusion. Eux s’excluaient par leur comportement, entretenaient l’exclusion et plus ils etaient rejetés, plus ils s’enfermaient dans des attitudes de bande et plus aussi ils s’identifiaient les uns aux autres et finalement épousant les stigmates, c’est à dire en prenant l’identité des méchants du quartier et en s’enfermant la dedans. Tu dis repéré, c’est repéré par qui ? Le mot repéré est peut être mal choisi. Repéré par qui, nous on avait surtout des échos, pour ceux dont je me souviens, de plaintes d’habitants. Qui se faisait écho de ça ? Surtout les collègues car moi je ne travaille pas…on est séparé par, on s’est réparti les quartiers de la zup, et moi je travaille sur un axe qui n’inclut pas le quartier où était ces jeunes là. Pour moi, se sont des informations de deuxième ou troisième main. J’entendais des collègues dire que des gens, des habitants…. Es-tu intervenue dans l’action ? Oui, parce que ce local était ouvert deux soirs par semaine et on y allait par roulement mais l’ensemble des salariés, des éducateurs de l’association… oui j’y allais. Mais la question portait sur le début, comment est venue l’idée, là c’était plus indirect pour moi car c’était un public de jeunes que je connaissais beaucoup moins que les collègues qui travaillaient sur ce quartier là. Avant le démarrage de l’action, comment ça s’est passé en équipe ? C’est à dire la 54 concertation dans laquelle tu étais prise Nous, on a des temps institués de réunions de l’ensemble des salariés de l’association, chaque lundi et tous les points, toutes les demandes, toutes les questions qui nécessitent un débat, puis une position d’équipe sont abordés à ce moment là, donc cette idée-là a été de manière très régulière évoquée, à un moment donné, quasiment toutes les semaines bien sûr. Donc des réunions ont été prévues pour ça. On avait aussi un deuxième temps qu’on appelait aussi plus qualitatif ou sur les pratiques ou échanges sur des suivis qui était moins institutionnel et qui devait être une fois par mois ou une fois tous les quinze jours, peu importe, mais c’était moins fréquent, régulier aussi mais moins fréquent où là on évoquait plus des situations particulières qui nous avaient posées un problème ou des aspects plus pédagogiques du travail. On appelait ça échange sur les pratiques. Pour revenir à l’avant projet, avant que le premier jour de la base ne démarre, est ce que vous avez abordé cela en terme d’échange sur les pratiques ? Je me méfie beaucoup de ma mémoire, je suis embêtée, je ne crois pas. Il faudrait que tu poses cette question à d’autres. Ta mémoire, qui est sélective, m’intéresse c’est à dire le vécu. Je ne sais plus si ça a été abordé dans les réunions. Je ne suis déjà pas sûre à 100% dans les réunions qui ont précédé la base que l’on avait ces réunions d échange sur les pratiques, car il y a eu des changements. Il s’agit d’analyse des pratiques, avec quelqu’un de l’extérieur ? Non. Mais ça il y avait aussi. Il y a eu plusieurs moments de supervisions dans l’association et là non plus, il me semble que l’expérience de la base a aussi été évoquée avec des superviseurs, je ne me souviens plus, je ne le garantirais pas non plus à 100%. En terme de débat, tu as des souvenirs sur les lignes d’opposition qui se seraient échangées sur : est ce qu’on intervient ou pas, comment on intervient ? en interne Ce qui a fait le plus débat, c’est bien évidemment la notion de bas seuil d’exigence avec deux positions qui n’étaient pas des positions qui opposaient certains à d’autres, qui étaient des tensions qui traversaient aussi chaque personne entre : est-ce que l’on prend les jeunes tels qu’ils sont, on démarre une action, on lance un accueil sans , je ne dirais pas sans règle parce que ça n’a pas de sens, des règles il y en a toujours, en tout cas sans à priori posé d’interdits qui les empêcheraient de venir, donc en s’adaptant, d’une certaine façon, à leur mode de 55 fonctionnement, est ce que l’on démarre l’action comme ça pour ensuite, avec les jeunes, la dynamique du groupe, les jeunes tels qu’ils sont, faire un chemin collectif où ça serait le groupe qui se donnerait un certain nombre de règles de groupe et où finalement la régulation de groupe serait le but à atteindre ou bien, autre position, on pose un certain nombre d’interdits structurants, nous adultes porteurs de la loi et on les pose comme condition pour pouvoir construire des choses avec les jeunes. Donc la règle est première. C’était un peu ces deux positions là qui faisaient l’objet d’un débat, mais qui n’étaient pas un débat : les pour et les contre, ceux qui pensent ci, ceux qui pense ça, c’était aussi chaque personne c’est aussi la question que c ‘est venu nous poser et qui était partagée par tous. C’était quoi les termes du débat ? et les enjeux qui étaient mis en perspective, les risques, les menaces ? On voit bien qu’il y avait une tension : soit on pose des règles, soit on accepte le groupe tel qu’il est. Je suppose que vous en avez parlé longuement et que vous avez fait des hypothèses pour avancer, pour pouvoir décider quel choix… Par exemple, en gros, le soucis, ou l’inquiétude ou la crainte si on …Parce que malgré tout, l’option bas seuil d’exigence a été retenue. On a décidé d’ouvrir ce lieu là en acceptant la consommation de produits stupéfiants et d’alcool. Après, ça a été acté et ça a été fait. La crainte qui faisait rebondir le débat, c’est que la permissivité pouvait entretenir les jeunes dans leur consommation de produits et quelque part être perçue par eux comme une caution et comme une acceptation. L’idée étant de faire de cet accueil un outil, un moyen d’abord pour eux bien sûr de sortir de l’exclusion, parce qu’il y avait d’une part l’effet stigmate, l’effet rejet du quartier, le fait qu’ils étaient repérés comme tel : toxicomanes, violents, délinquants, et puis il y avait aussi les effets réels sur eux de leur consommation régulière et intense et importante de en particulier de shit et d’alcool qui faisait qu’effectivement, ils n’avaient plus ni la pêche ni la possibilité ni d’énergie pour faire autre chose que consommer. Donc, le choix d’un accueil à bas seuil d’exigence était sans arrêt interrogé par ça, à savoir : le risque qu’il y avait à les conforter dans la consommation plutôt que les aider à en sortir ou à construire autre chose. L’avantage de… les points positifs qui en étaient attendus étaient de pouvoir nouer une relation durable avec eux, durable, acceptée par eux et une relation qui ne soit pas un relation basée ou sur …qui soit acceptée des jeunes aussi qui étaient bien évidemment piégés par toute sorte de stratégies pour échapper à la sanction, à la police, aux autres jeunes si éventuellement il y avait des tensions autour du trafic ou autour de la consommation, ils étaient aussi fortement inscrits dans une vie où le policier, le gendarme, la peur du gendarme, la prison, la répression étaient aussi extrêmement prégnants. 56 Pour revenir sur un point : est ce que, de mémoire, tu peux me dire ce qui caractérisait leur comportement ? Tu dis à un moment :on prend les jeunes tels qu’ils sont. C’est comment tels qu’ils sont ? (…58 secondes) et bien, explosés, saouls donc passant de moments de profonde apathie, abattement à des moments de délires, rigolades, à des moments d’indifférence, à des moments d’agressivité entre eux ou vis à vis de nous et aussi à des moments un peu de confidence ou de grosse détresse aussi Ca, c’est ce que tu apercevais au niveau de la base, au niveau du local ? Quand on ouvrait la base, le souvenir que je garde des soirées passées à la base, c’est cela. Et en terme de perception, avant que vous n’ouvriez la base, quelle perception, comment ça t’était renvoyé ? C’est difficile de dire après coup quelle était la perception avant que Si je reprends un peu ce que tu dis, les échos qui t’arrivent, c’est des plaintes d’irrespect, menaces,… c’est ça qui arrive comme écho Oui C’est après que toi tu rencontres le groupe et là tu perçois ce que tu viens de décrire à l’instant Oui Pourquoi vous avez ouvert un local ? De tout cela, c’était avant que je connaisse le groupe, c’est ce que j’entendais, ce n’est pas pour autant que je me disais qu’ils étaient effectivement comme ça, ou… Mais ta question c’était ? Pourquoi un local comme outil ? Comme je te le disais, c’était des jeunes avec lesquels personne ne réussissaient à avoir de relations durables et des jeunes qui correspondaient à ce que fait une prévention spécialisée puisqu’on doit mettre en place des actions qui permettent d’éviter la délinquance et la marginalisation. Or, il s’agissait d’un groupe de jeunes qui s’enfermaient dans des attitudes et des comportements délinquants et marginaux. Si je comprend bien la base, d’après ce que l’on m’en dit, c’est un local pour nouer des relations. Or, ces relations vous auriez pu les nouer sur le site même 57 On n’y arrivait pas. On n’y arrivait pas avec les actions qu’on mettait en place d’ordinaire ou habituellement ou depuis quelques temps sur le quartier, qui étaient des actions plus ponctuelles, d’animations extérieures sur des périodes estivales ou de petites vacances, qui étaient des actions en journées, et qui étaient aussi une proposition de soutien, coup de main par rapport à des problèmes scolaires, recherches d’emploi, problèmes judiciaires, problèmes d’incarcération qui n’étaient pas complètement négatifs, loin de là, mais qui étaient trop ponctuels et trop peu opérants par rapport à l’ensemble des problèmes ou à la dynamique de groupe qui caractérisait ces jeunes là. C’est pour cela que l’on a décidé d’ouvrir la base. Je comprend que vous ne pouviez pas attirer des jeunes dans vos activités ou dans les actions que vous meniez car ils étaient coupés… Voilà.Ca se faisait quand même mais le constat que l’on faisait sur les animations d’été, c’était qu’il y avait un contact, il y avait des échanges, des coups de mains, on n’était pas complètement étrangers les uns aux autres mais les jeunes restaient quand même malgré tout à la périphérie de ce que l’on faisait et que souvent on prévoyait toujours, par exemple l’été en ayant comme principale préoccupation les ados, les adolescents jeunes adultes, quand on faisait le bilan d’été, ça avait super bien marché avec les gamins, ça nous avait permis de nouer des contacts vraiment intéressant avec des mères, mais les ados, les jeunes adultes, il y avait eu des contacts, il y avait eu des échanges, des choses intéressantes mais très limitées et très… Je reviens un peu. Dans la mesure où le local, d’après ce que j’en ai compris est relativement vide, je me pose la question de savoir pourquoi vous n’avez pas essayé de nouer ces contacts, ces échanges avec les jeunes, sur place, c’est à dire dans l’entrée, auquel cas vous auriez un bas seuil d’exigence. Qu’est ce qui vous a fait préférer faire une action sur un local plutôt que sur un territoire, une entrée même ? Je pense deux raisons. Il y avait le fait que les jeunes qui se regroupent dans les entrées crées des tensions importantes. Comment on fait…on le faisait déjà à l’époque du travail de rue, il y avait quand même déjà des contacts avec les jeunes dans les entrées mais le fait qu’ils se regroupent dans les entrées était tellement en soi source de tension et du coup d’exclusion, d’entretien de leur position de marginalisation dans le quartier que nous, développer avec eux un travail relationnel jusque tard dans la nuit dans les entrées, même ça paraissait difficile à mener parce que ça aurait renforcé les attroupements dans les entrées, parce que si nous on y va et qu’on s’y installe, qu’après on amène le café, une pair de revues, ça va encore les inciter à se réunir d’avantage, donc ça va renforcer les plaintes et aussi les plaintes vis à vis de nous, 58 des gens disant : non seulement ils ne leur disent rien mais même, en plus, ils les encouragent. L’idée c’était quand même de trouver comme un lieu transitionnel entre l’entrée et je ne sais pas quoi, mais en tout cas les sortir des entrées. (Rires) ça à l’air impossible. Toujours pour toi, pourquoi cette action est arrivée à ce moment là ? Je te pose cette question car je pense que le regroupement dans les entrées ne datait pas de ce moment là. J’ai l’impression que ça a toujours été. Qu’est ce qui aurait déclenché… (….) Bon les attroupements dans les entrées ne dataient pas de ce moment là, c’est un fait et il n’y en avait pas que dans ces entrées là ou dans ce quartier là, c’est un élément. Il y a quand même eu à ce moment là, et pas qu’à Vandoeuvre,…La question des entrées est devenue vraiment quelque chose de chaud. Deuxième élément, je pense, les questions de trafic et de consommation de produits stupéfiants sont également devenues très très prégnantes . Troisième explication, ça a été une période, je pense, ce n’était pas non plus la première fois, c’est quelque chose de récurrent, qui revient avec une certaine périodicité, ça a été aussi une période où il y a eu , à la fois une demande sociale et une pression politique forte pour que la prévention spécialisée fasse la preuve de son utilité particulièrement par rapport à ces problématiques là, par rapport à ce public là, à savoir de jeunes adultes inactifs et inscrits dans la consommation, le trafic, la violence, un peu à un moment où si on n’arrivait pas à faire ça, c’est qu’on servait à rien et qu’on était vraiment,… ce n’était plus la peine de continuer à donner des subventions publiques à des structures comme les nôtres. Il faut savoir que tout le reste du travail, le travail global sur un quartier avec les plus jeunes avec les familles, c’était pas… ça ne suffisait pas à justifier notre existence ou le fait qu’on ait des moyens pour prévenir la délinquance et la marginalisation, il fallait que l’on ait un pertinence, une efficacité par rapport à ce qu’on pourrait appeler les noyaux durs. Ce qui est aussi une période, je ne me rappelle plus, je pense qu’on devait être dans une période des années 97-9899, sauf erreur, c’est la période où les socialistes sont au pouvoir, où il y a le colloque de Villepainte où ils font les premières lois sur la sécurité, la mise en place des CLS,des GLTD, on était aussi dans une période de forte demande sociale de traiter la délinquance. La troisième, pour essayer de voir pourquoi à ce moment là et pas avant et pas après Tu dis : il fallait. Comment tu as ressenti qu’il fallait faire ça concrètement ? Les signes, les injonctions 59 Il y avait déjà un climat médiatique. Alors, de mon point de vue et peut être un peu influencé par le fait que dans cette période-là, moi j’étais à la fac et je faisais un mémoire sur les violences urbaines, donc je lisais beaucoup, je m’informais beaucoup, donc je, j’avais tendance à voir tout cela à la loupe. Je lisais énormément sur les quartiers en France. Quand je dis qu’il y avait une pression entre guillemet médiatique et tout je ne suis pas sûre que tout le monde l’ait ressentie comme moi, parce que moi je m’y intéressais particulièrement donc, mais il me semble quand même que c’était un climat que tout le monde ressentait dans l’association. Au niveau local, oui, je pense aussi, que ce soit à travers la présence de la mairie ou le conseil d’administration, les réunions inter partenariales auxquelles on participait, il y avait une demande qu’on intervienne pour traiter les questions de violence, de délinquance, Demandes explicites. Tu dis que la présence de la mairie au CA ça date de ce moment là ? Non, mais structurellement, ils ont une place. Comment dans ton souvenir s’est passée cette coopération, ces échanges avec l’externe ; les partenaires sur cette opération Les deux souvenirs qui me viennent et la question délicate difficile, c’est les renvois de la MJC toute proche, où les jeunes allaient également allaient mais avec beaucoup de tensions, beaucoup de conflits avec la MJC, et les relations n’étaient pas bonnes, aussi parce que bien évidemment dans les MJC il y avait un interdit par rapport à la consommation d’alcool et à la consommation de produits stupéfiants, donc le directeur de la MJC peut être aussi l’équipe même certainement disait : mais comment on va faire, est ce que ça ne va pas fausser, compliquer les choses pour les jeunes de comprendre que quand ils vont à la MJC, c’est interdit et quand ils vont à la base, c’est autorisé. Quelque part aussi, est ce que vous ne vous donnez pas le beau rôle en acceptant tout, en disant oui à tout, et vous ne nous refilez pas un bébé empoisonné. Et puis comme Vandoeuvre est malgré tout petit, et le quartier Vand’est encore plus, que ce local était vraiment repéré d’abord c’est un petit bloc de béton qui ressemble à un garage au milieu de grands immeubles on ne peut pas le rater, qu’il n’y a quand même pas énormément énormément de jeunes en situation difficile : toxicomanie importante dans ce quartier là, ça a quand même contribué aussi à les stigmatiser c’est à dire à les repérer d’une certaine façon. Je pense que la municipalité savait quels jeunes venaient et que ça pouvait aussi contribuer, pour les jeunes, à entretenir le fait qu’ils étaient la bande de mauvais du quartier, de ceux de la base, parce qu’il y a eu aussi les jeunes, eux se sont aussi 60 appropriés ce lieu là et en ont exclu d’autres. Donc, c’est vraiment devenu le lieu d’un groupe de jeunes, dont je pense, une bonne partie des gens connaissaient l’identité. Cette question, elle a été évoquée dans les échanges avec les institutionnels, avec les partenaires ? Ça, c’est un point de vue personnel, je ne suis pas sûre qu’il ait été partagé par tous, mais qui a été forcément évoqué à ce moment là, plutôt avec un certain recul. Tout à l’heure, tu as évoqué les tensions en internes, est ce que tu pourrais évoquer les tensions entre interne et externe ? C’est en gros quand la MJC nous disait : vous leur permettez tout, et après comment voulez vous qu’on réussisse à leur faire respecter les interdits, c’était une interrogation partagée par beaucoup de partenaires. Mais en même temps, le constat qu’il fallait bien essayer de faire quelque chose avec ces jeunes là et on était partagés. Tout le monde avait bien fait le constat qu’ils s’enfermaient dans des processus délinquants violents et qu’ils n’allaient pas vers les institutions, que les institutions n’allaient pas vers eux et que il fallait bien tenter quelque chose. Donc, ça, finalement, le sentiment d’échec partagé à ouvert une possibilité d’expérimentation, même si je n’aime pas du tout ce mot là qui fait vraiment bocal, aquarium. Plutôt tentative ou essai. 61 Entretien n°2 Est ce que tu peux me dire comment à commencer la base ? L’idée originale est venue d’un collègue qui se rendant compte, l’OPAC donc le travailleur social présent sur Vand’est, possédait des espaces libres donc des locaux mis à disposition de leur service espace vert, installé en plein milieu du quartier de Vand’est et qui était vraiment sous utilisés. L’avantage de ces locaux est qu’ils étaient installés au cœur du quartier et qu’ils n’étaient pas au pied d’immeubles donc fin 99 au cours d’un GLTD auquel assistait notre directeur il a été question d’un groupe de jeunes particulièrement stigmatisés donc qui mettaient fortement la pression dans une ou deux entrées du quartier et les seuls contacts que ces grands adolescents, ces jeunes adultes avaient avec des adultes étaient des rapports conflictuels donc avec la Police lors de contrôle d’identité et donc la pression qu’ils mettaient sur leur, le voisinage et donc lors de ce GLTD, l’objectif était d ‘essayer de trouver des solutions. On a eu des discussion en réunion d’équipe en disant l’OPAC a ces locaux, c’est bête qu’il les utilise si peu ne pourrait on pas leur faire la proposition de nous les mettre à disposition, nous on saurait bien les utiliser et donc notre directeur, lors de ce GLTD, avait dit : nous on vous propose un « deal » c’est de pouvoir utiliser ces locaux, de les mettre à notre disposition et nous on s’engage à mener une action éducative avec ces groupe de jeunes. Voilà l’idée d’origine. Ensuite et l’OPAC et la municipalité ont été ouverts à cette idée donc au cours de notre travail de rue on a été avancer cette idée. A ce moment là à Vivre dans la ville nous avions un bus donc avec lequel on faisait du travail de rue, donc travail de rue dans un bus ( ? ) on allait sur le quartier , le bus était vide, il n’y avait pas de siège, il était vide, on apportait juste une grande table de brasserie, il y avait des bancs, il y avait du café à l’intérieur, du chauffage, de la lumière et donc pendant plusieurs semaines consécutives, on allait sur le quartier on était disponible et les jeunes venaient discuter avec nous à l’intérieur de ce lieu, de ce bus, et un jour, Claude, un collègue est venu avec un micro et a dit : on vous écoute, on va essayer de proposer à l’OPAC et à la Mairie de pouvoir vous aider à bénéficier de ce local qui est là juste à côté, et donc : qu’est ce que vous souhaiteriez en faire ? et là de manière très concrète, on leur à dit que nous éducateurs on pouvait s’engager à être présents 3 fois par semaine . Donc on leur a demandé quelles étaient leurs revendications. Donc leurs revendications initiales c’était : il faut qu’on ait la clé, il faut que ça soit ouvert tous les soirs, et même les week-ends, … Discussion, négociation avec ce groupe de jeunes donc , on a fait la proposition de l’ouvrir la première années 3 soirs par semaine. Le jeudi et le vendredi de 20 62 heures à minuit, et le samedi jusqu’à 2heures du matin le dimanche matin. Donc, après cette discussion, il y a eu plusieurs réunions de concertation avec l’OPAC et la Mairie afin d’établir une convention , de voir quelles étaient les limites mises en place par chacun des partenaires sur l’action qu’est ce qu’on peut accepter, qu’est ce qu’on ne peut pas accepter, comment on gère dans le temps le suivi de cette action… Une petite précision quand tu dis : on repère un groupe stigmatisé qui met la pression dans les entrées. Qu’est ce que tu entends par mettre la pression ? C’était à un moment où on parlait beaucoup des chiens, des jeunes qui avaient des chiens comme des pittbulls des rotwaller et c’est vrai que dans cette entrée, qui était dans un immeuble de 8 ou 9 étages, ils restaient une dizaine de familles logées verticalement dans cette entrée et les jeunes mettaient la pression, renvoyaient l’image que publiquement on donnait d’eux. dans la presse, on parlait de groupes de jeunes avec des chiens, qui faisaient peur aux habitants, et eux notre groupe de jeunes adultes garçons renvoyait l’image …Ils voyaient quand les gens rentraient chez eux, ils baissaient les yeux, les gens craignaient le passage dans l’entrée au milieu de ce groupe de jeunes et ce groupe de jeunes en jouait. Ils voyaient qu’ils étaient craints et on voyaient pertinemment qu’ils jouent de ce fait. Et donc la situation était vraiment… Il y avait des gens qui le vivait très très très mal, qui n’osaient plus, après une journée de travail, rentrer à la maison en sachant que tous les soirs, tous les soirs, l’entrée de leur immeuble ou le devant de l’entrée serait occupée par une dizaine, une quinzaine de jeunes hommes, car c’était uniquement masculin et comme je le disais au départ, les seuls contacts qu’ils avaient avec les adultes étaient des rapports conflictuels avec des services de Police qui plus que régulièrement venaient faire des contrôle d’identité de manière plus ou moins musclé mais qui ne géraient absolument pas le problème, qui persistait. Qu’est ce qui se passait concrètement dans ces entrées là, dans le rapport jeunes habitants ? Les jeunes étaient en territoire conquis, ils parlaient très fort, ils fumaient du haschich, ils buvaient de la bière ils laissaient les canettes vides et les détritus de leur mac do, de leur repas, et toute la journée les services d’entretien de l’OPAC étaient obligés de nettoyer… une nuit, tous les dégâts les saletés de ce groupe…sinon, il n’y avait pas d’agression à notre connaissance, enfin pas d’agression mais des comportements, une pression…Avec les collègues on faisait souvent du travail de rue donc on se mettait devant cette entrée, dans tous les groupes il y toujours des personnes qui sont à la périphérie, et à ce moment là les liens étaient très ténus avec ce groups de jeunes hommes que l’on connaissaient, ils étaient 63 vraiment du quartier mais ils ne participaient absolument à rien de ce qui était mis en place, ni à vivre dans la ville, ni d’autres structures, et il aurait été difficile pour nous de nous placer au milieu de ce groupe et d’essayer de d’établir des relations, d’avoir des discussions avec ces jeunes. Ceci dit, il y avait toujours quelques jeunes à la périphérie qui étaient, allaient au milieu du groupe et après s’en allaient un petit peu donc nous régulièrement, plusieurs fois par semaine dans le cadre de notre travail de rue, on allait discuter avec ces jeunes à la périphérie et là on pouvait faire des observations et on avait notre présence statique à ce moment là après 20 heures, 21 ou 22 heures à 5 mètres de ce groupe était légitimée par les discussions que nous avions avec d’autres jeunes du quartier qui sans être formellement partie prenante de ce groupe tout à fait stigmatisés ils étaient à côté et on a vraiment souvent besoin d’échanges avec des jeunes à la périphérie qui légitime notre présence. Périphérie c’est quoi ? Qui sont tout autour géographiquement mais aussi dans la vie quotidienne. Ils boivent une cannette avec les autres et après ils s’en vont car le lendemain soit ils bossent soit ils vont à l’école. Il y a des moments, ils déconnent au milieu du groupe qui lui est ( ? ) continuelle mais ils n’en font pas partie ils sont… Et ces jeunes qui sont à la périphérie n’avaient pas coupé tout lien avec l’équipe de vivre dans la ville. Pour revenir sur la pression, c’est quoi l’objet de la pression ? J’ai vraiment l’impression que c’était des gens qui lisaient la presse, qui lisaient que dans les banlieues il y avaient des jeunes qui avaient des chiens qui faisaient peur et donc ils jouaient leur rôle qu’on leur donnaient dans la presse. Donc les jeunes dans les cités à Paris ils ont des chiens, ils ont des rottwallers et on dit que les hommes politiques parlent de nous de nos droits et bien nous on va montrer qu’il n’y a pas qu’à Paris les Vand’est aussi, on peut faire la même chose, on peut faire peur sans que à notre connaissance, il y ait eu aucune agression. C’est juste en terme de statures, les gens…Il n’y a pas eu de dérapage, personne n’a dit : il y aurait pu y avoir un voisin qui trouvant insupportable la présence quotidienne de groupes , il y aurait pu y avoir des réactions incontrôlées. C’était juste en termes de stature, de posture, mais qui fonctionnait. A ce moment là on avait une collègue femme qui n’est plus à vivre dans la ville et qui elle sans aucun problème, elle connaissait des gens à l’intérieur de cet immeuble et sans soucis elle allait chez ces gens , Claude et moi éducateurs hommes, il y a des moments, on n’aurait pas osé. On se sentait vraiment mal à l’aise donc la pression elle était évidente. Même des sentiments de, une certaine peur plus ou moins objective, plus ou moins subjective, la collègue n’avait pas de réaction, il ne lui est jamais rien arrivé mais…c’était un sentiment. 64 Elle ça ne lui posait aucun problème pour entrer dans l’entrée, monter les étages par les escaliers même alors que ces groupe de jeunes était certains soirs fortement abîmés, ça ne lui posait pas de problème, sans doute à juste titre. Après c’est aussi l’image ou l’idée qu’on lui donne. Je t’avais coupé au moment où tu parlais des réunions de concertation… Oui, il y a eu plusieurs réunions entre l’OPAC, la Mairie et Vivre dans la ville pour établir une convention d’ouverture et chacun des partenaires avait énoncer les raisons qui auraient permises ou nécessité pour chacun des partenaires la fermeture du lieu. Donc pour Vivre dans la ville, c’était plus des questions, il nous semblait indispensable qu’il y ait un minimum de mixité ou que la mixité soit permise et qu’elle ne génère pas de difficulté, c’était violence physique directe inadmissible, inacceptable entre jeunes mais aussi vis à vis des éducateurs. L’OPAC et la Mairie mettaient plus l’accent sur les nuisances faites au voisinage et c’est aussi parce qu’ils étaient susceptibles d’être les destinataires de plaintes, de pétition de la part d’un voisinage mécontent et avant l’ouverture aussi nous avions mis en place avec l’OPAC des temps de présence hebdomadaires dans les entrées pour préparer le voisinage à l’ouverture de ce lieu. Donc on avait mis en place une exposition mobile avec deux éducateurs de vivre dans la ville et des personnes de l’OPAC qui étaient de manière régulière, les deux ou trois semaines qui ont précédé l’ouverture de la base, on allait dans les entrée entre 17 et 19 heures, quand les gens revenaient du travail pour leur annoncer l’ouverture de ce lieu, qu’ils ne le découvrent pas Donc une exposition … Oui pour préparer les habitants à l’ouverture de ce lieu, qu’ils ne le découvrent pas. Ils auraient pu se demander pourquoi un peu avant 20 heures il y a un attroupement de jeunes au milieu du parking. Comment ça s’est passé ? Très très bien. Je pense qu’ils ont bien perçu ça, il n’y a pas eu de réactions hostiles . Après une journée de travail, quand les gens rentrent à la maison, il faut bien se rendre compte que les discussions ne s’éternisent pas mais les contacts ont été tout à fait positifs. Donc ça s’était la préparation. Il y a eu beaucoup de réunions avec l’OPAC et la mairie, qui étaient les principaux opérateurs, on est d’accord ? Qui étaient même les seuls avec le conseil général et vivre dans la ville. 65 Et le conseil général par exemple, en termes de limites ? C’est lointain, il n’y avait rien de particulier. Après il y avait pleins de limites qui se retrouvaient avec les uns et les autres, les notions de violence… Dans mes souvenirs, il y avait au niveau de l’OPAC d’une part et de la Mairie d’autre part, il y avait les réactions du voisinage. Le conseil général je ne sais plus. Quand vous avez eu à expliquer la démarche, comment vous avez expliquez la notion de bas seuil. Ce qu’on a dit c’est : voilà on aura un local. La seule chose qu’il y aura dedans à chaque ouverture, c’est deux éducateurs. Et après on fera de ce lieu ce que vous en ferez, on ne fera pas les choses tout seuls pour l’instant il est vide, après on peut aller faire de la récupération pour essayer d’y apporter du matériel, des tables. Tout de suite, les demandes ont été en termes de : il faut que l’on puisse voir des films, et on leur a dit : pour l’instant ce n’est pas l’objet, après les choses se construiront. Quand on parle de vidéo, il y a des questions financières et pour l’instant on n’a aucun budget. Donc, ce qu’il y aura dedans sera ce qu’on y apportera, et vous, et nous. On n’a pas parlé de bas seuil avec eux. Après, c’était entre nous. Et avec les partenaires ? Avec les partenaires, ce qu’on leur a dit : ce qu’on vous propose c’est de mettre en place une action qui vise ce groupe là en particulier, ce groupe qui semble-t-il est une véritable nuisance pour l’environnement. Donc on sait pertinemment qui si on leur dit : vous venez avec un nœud papillon, une cravate, un costume, vous devez dire bonjour, ne pas utiliser de gros mots…le local sera ouvert mais les jeunes resteront là où ils sont. Donc, nous se qu’on propose c’est de les faire venir, tels qu’ils sont, on ne va pas leur demander de changer pour pouvoir venir, et ensuite nous faisons le pari que la relation que nous éducateurs, nous réussirons à établir avec eux, fera en sorte qu’il y aura des changements. Donc voilà comment on expliquait le bas seuil : les jeunes seront tels qu’ils sont. On n’a pas été plus explicites que ça puisque de toute façon, on allait découvrir. Il y a des choses que l’on savait, dans le cadre de la convention, que l’on n’accepterait pas, on n’accepterait pas de prendre des tartes, et on n’accepterait pas qu’ils se foutent sur la gueule, voilà. Et puis qu’ils se suicident à l’intérieur…Mais après, on ne prévoyait, on ne savait pas du tout ce que ça allait donner. Et puis, ce qui nous permettait, le fils à plomb, c’était, d’une part les rencontres régulières, environ toutes les 6 semaines, entre les différents partenaires pour faire le point et puis voir si on continue, ou on arrête et voilà et puis à vivre dans la ville on a mis en place des réunions 66 hebdomadaires d’équipe qui nous permettaient aussi de manière interne de faire le point. J’ai un peu dévié de la question. On leur à expliqué ce qu’était le bas seuil, mais on ne leur a pas expliqué, on leur a dit : venez, et on savait qui ils étaient, voilà, donc ils sont arrivés en fumant du haschich, parfois avec de l’alcool, on ne leur a pas dit : stop, ça on n’accepte pas. On a dit : la tu viens avec des canettes, nous on est là on est là pour débattre, pour discuter, si ce machin là ça t’empêche, ce n’est pas intéressant. Mais à aucun moment, on n’a dit : tes canettes, tu les laisses dehors, après tu pourras rentrer. Non. On pensait que l’objectif initial et la priorité c’était la relation, créer cette relation qui était totalement absente en dehors de ce lieu, et on faisait le pari que qu’accepter ce groupe, ces jeunes tels qu’ils étaient feraient en sorte que l’on puisse avoir d’autres relations à d’autres moments à l’extérieur de ce lieu, dans la rue, au siège de vivre dans la ville… Est-ce que tu pourrais me rendre compte des point d’accord et des points de désaccord dans, au moment où vous avez échafaudé ce projet ? A la fois, avec les partenaires, sur quoi vous avez débattu : les points d’accord et les points de désaccord, et ensuite j’aimerais que l’on parle des discussions en interne. Avant l’ouverture du lieu, les points de désaccord, il n’y en a pas eu beaucoup. Les discussions, les négociations ont été entre notre directeur et les partenaires, plutôt qu’entre les éducateurs et les partenaires. Mais, il me semble, avant la mise en place effective de l’action, les points de désaccord ne sautent pas aux yeux. Il y avait des priorité, dans la convention, il y a les limites établies par chaque partenaires et là il y avait des petites différences, j’en parlais tout à l’heure, qui ne sont pas d’une importance… Après, il y a eu des gros points de désaccord, et une réunion de crise après la première ouverture. Et là, ça a été très tendu, il y a eu vraiment des gros désaccords entre vivre dans la ville et les partenaires après la première ouverture. Ca s’est passée comment, cette première ouverture ? Donc, ce local est fait en plusieurs parties. Une grande salle, un couloir qui mène à cette grande salle, une grande salle sans beaucoup d’ouvertures, sans fenêtre, un couloir qui mène à cette grande salle et donc là, qui est ouvert vers l’extérieur. C’est un ensemble, gros, de trois grands garages de quartier. Donc, il y a une porte, on ouvre la porte, grand couloir qui mène à une grande salle et à gauche il y a une cuisine qui est aussi, avec une fenêtre vers le ( ). Donc, lors de la première ouverture, quelques discussions donc avec les jeunes, au cours de la soirée, vers 23 heures, il y a deux collègues qui faisaient du travail de rue sur un autre quartier qui étaient passés nous dire bonjour, et voir, pour l’ouverture de la base, comment ça se passe. 67 Et nous étions quatre éducateurs dans cette grande salle sans accès vers l’extérieur, à discuter avec trois jeunes, sur : qu’est ce que l’on va pouvoir faire, maintenant que les institutions nous permettent d’utiliser de ce lieu. Donc, trois jeunes et quatre éducateurs. A un moment, on entend des cris, donc venant de l’extérieur. Un jeune arrive en courant et en gueulant : « putain, ils nous ont gazés ». On s’oriente vers l’extérieur, et là au bout du couloir, donc on voit un monsieur, vêtements sombres… Une collègue a cru que c’était un jeune d’un autre quartier, qui venait d’agresser… On sort et au milieu des gaz lacrymogènes, il y avait une voiture de police et après d’autres qui venaient avec une espèce d’extincteur, d’envoyer des gaz lacrymogènes dans cette souricière vraiment avec ce couloir, cette salle au fond… C’est là qu’on s’est dit que ça pouvait être une véritable souricière. Toujours est il qu’on en sort. Contrôle d’identité général, des insultes, les jeunes insultaient les policiers et les policiers insultaient les jeunes, un jeune, non présent, qui arrive et qui était connu des forces de police. Un policier qui commence à l’insulter en lui disant : « ça ne m’étonne pas que ça soit toi », et le jeune « j’étais pas là » … Donc on ne sait pas exactement comment, ce qui a fait qu’il y a eu cette intervention policière alors que tout le monde, police, Mairie, OPAC, Justice, tout le monde savait qu’il y avait des éducateurs dans ce lieu, il y avait eu une convention, ça avait été discuté dans le cadre du GLTD, donc il y a eu un contre bilan. C’était général, il y avait éducateurs et jeunes. Donc ensuite, les policiers ont dit que les jeunes, que les jeunes hommes avaient insultés les policiers, qui avaient voulu intervenir, qu’eux n’étaient au courant de rien et ils nous demandaient pourquoi ce local avait été ouvert, ils se demandaient s’il n’avait pas été forcé… Donc, c’était un samedi soir donc dès le lundi matin, réunion de crise entre le comité de pilotage pour faire le point et même une agression physique. Il y a une collègue qui a pris du gaz lacrymogène dans l’œil qui a eu des soucis qui a été en arrêt plusieurs jours, et donc là, les positions des différents partenaires ont variées. La représentante de la Mairie disant : on ne va pas en faire un drame et le poste de police veut calmer le jeu, la preuve, et elle donne trois noms de jeunes en disant la preuve, il n’y a pas de poursuite pour outrage contre ces trois jeunes ( ). Dans ces trois noms, il y avait celui du jeune qui discutait avec nous à l’intérieur dont on avait été témoin qu’il n’avait pas pu faire quoi que ce soit. Deuxième jeune, qui était arrivé après l’intervention des forces de police, ceci dit, les policiers le connaissait, alors la police l’a cité. ( ) Moi j’ai explosé en disant « c’est pas possible, moi je peux vous assurer que au moins deux sur les trois n’on pas pu être à l’origine d’actes, de rien du tout. Je suis témoin, il y en avait un qui était avec moi, et un qui est arrivé après. Ca ne va pas, c’est insupportable ». Là, la représentante de la Mairie en donnant nos noms : « Monsieur X arrêtez d’être militant, redevenez professionnel… enfin bref. Là il est question 68 d’injustice parce que ils citaient et ils parlaient d’éventuelles poursuites contre deux jeunes mais vraiment ils n’étaient « coupables » de rien et j’en étais le témoin. On en était, puisqu’on était 4, 4 éducateurs présents. Donc là ça avait été très tendu. Donc la représentante Mairie et ( ) qui n’avaient , au niveau des interventions que ce qu’on leur disait, et nous vivre dans la ville et du côté du procureur et du commissaire de police, donc là vraiment des divergences d’opinion notables de points de vue. Suite à cela le conseil d’administration de l’association a adressé un courrier au procureur en expliquant que c’était totalement incompréhensible car la police savait que c’était une action toute à fait officielle mise en place par l’association. Et que cette démarche n’a pas été comprise je n’ai aucun élément très précis mais je me souviens que la municipalité a fait le reproche au président de l’association d’avoir fait cette démarche de courrier interrogatif vis à vis du procureur : vous êtes à radicaliser les choses, quand au contraire il faut… donc remettait en cause le fait que le bureau de vivre dans la ville dise c’est inadmissible qu’une intervention policière avec l’intervention de gaz lacrymogène qui a plus qu’indisposée l’une des collègue, enfin on était tous en pleurs mais elle a eu un arrêt de travail car ils y étaient allés carrément. Donc des différences de positionnement entre les différents partenaires. Vous avez continué à ouvrir ? Absolument. Ca c’est passé comment dans les grandes étapes ? Donc on a ouvert en février jusqu’en mai, pendant 4 mois, donc de manière hebdomadaire, donc à vivre dans la ville on tournait, avec deux éducateurs présents à chaque fois. Certains soirs, il y avait une très forte tension, les jeunes arrivaient complètement allumés et nous avions vraiment besoin d’une réunion hebdomadaire, du lundi matin pour souffler un petit peu, pour pouvoir se rendre compte si, individuellement, on ne devenait pas paranos, les moments de tensions, et on voyait de manière directe la misère de certains jeunes qui étaient en pleine déprime, et qui sous l’effet de l’alcool et du shit, déversaient ça. C’est parfois très très dur. A d’autres moments, on a eu des discussions sur les relations entre les hommes et les femmes, sur les conflits israelo-palestiniens, sur les rapports avec la police, des discussions parfois très, très intéressantes après des anecdotes : un soir, à une heure du matin, un jeune adulte qui a un casier judiciaire assez lourd, jusqu’à une heure du matin qui nous disait : jc si tu es là à cette heure que tu nous connais depuis tout petit, c’est aussi que tu m’aimes bien un petit peu, et je tombais des nues. Des discussions très affectives, j’avais l’impression d’avoir un gamin en face de moi, et des choses très fortes qui se sont passées à certains moments… 69 Est-ce que d’une manière générale, vous avez noté des changements dans les comportements, ne serait-ce que sur les canettes ? Là, non, ça dépendait vraiment d’une semaine à l’autre. Une semaine, la base était très investie, une semaine il y avait beaucoup moins de monde, ça dépendait des copains qui sortaient de prison, ils allaient fêter la sortie de copain et ils ne venaient pas à la base…On a senti des évolutions pas à l’intérieur car du début à la fin, certains soirs à l’intérieur on se disait mais ça rime à quoi. On est face à des jeunes soient qui ont fumé et les discours ne sont plus cohérents ou alors qui ont bu , donc les deux années consécutives, on a eu des moments avec un questionnement très, très fort mais ceci dit on a vu des évolutions. Des jeunes avec lesquels ont n’avait aucune relation avant l’ouverture de ce lieu, ensuite on le croisait dans la rue, il venait, il nous demandait un truc à vivre dans la ville dans un autre contexte, il venait plutôt à la base dans le créneau de 20 à 21 h en sachant qu’il n’y aurait pas grand monde et que la discussion serait plus aisée tout en étant complètement bourrées 2 h plus tard parce que il aurait bu de la vodka avec ses potes. Donc l’évolution dans les relations qu’on avaient avec eux dans le temps on en a observés bien sûr. Mais ceci dit il n’y pas eu moins de consommation de quelque que ce soit avec le temps ou peut être que certains ont moins bu mais il y en a d’autres qui buvaient autant. Jusqu’au jour de fermeture de la deuxième année il n’y avait quasiment rien au local ils ont réussi à tout péter il y a eu une explosion là il y un copain qui sortait de prison ils ont tout explosé à l’intérieur ils se sont fait peur ils ont cassé des tuyaux à tel point que les deux éducateurs qui étaient présents dont je faisais partie on leur a dit on vous laisse il y a de l’eau enfin il y a des fuites donc on va appeler les gens de l’opac parce que on ne peut pas laisser ça comme ça voilà nous on s’en va on revient dans une heure on va appeler notre directeur mais on leur a dit hein par ce que non non la police n’est pas arrivée c’est juste l’opac il n’y a pas eu de casse à l’extérieur donc on a pas appelé la police les agents de l’opac sont venus juste fermer l’eau nous on se posait des questions on a eu très peur mais ceci dit les limites n’ont pas été dépassées à aucun moment il n’y a eu de transgression pas de contacts physique dès fois il y a eu des menaces certaines fois il y a eu tout un soir où un jeune m’a dit j’ai envie de te casser la gueule et pendant les deux heures d’affilées j’ai envie de te casser la gueule bis il était à deux centimètres de moi un jeune qui deux semaines avant me disait qu’il avait des envies de meurtre que il s’était fait agresser dans une boite de nuit et vraiment et après pendant deux heures j’ai envie de te défoncer la gueule et moi j’étais là je balisais en essayant de ne pas le montrer et pfu mais ceci dit à aucun moment il n’y a eu d’agression physique ils ne sont passés à l’acte. et alors vraiment besoin 70 de discuter avec les collègues faire le point mais finalement on s’est dit que l’action servait quand même à quelque chose et que les rapports qu’on avait réussi à établir avec eux le fait que qu’il ait bon bref le fait qu’il n’y avait pas de violence physique directe on s’est dit qu’on était peut être pas étranger Il y avait quand même une évolution dans vos rapports ? Tout à fait Vous êtes entré en relation vous avez accroché le contact ? Une autre anecdote ce jeune là particulièrement marquant donc après être venu d’une manière régulière à la base il est venu dans les locaux de VDV donc on a des ordinateurs et il allait passer le code et donc il venait et on a un cd de préparation de code donc on le voyait régulièrement venir une heure avec ce cd de préparation au code un jour sur le quartier je croise ce jeune j’avais entendu dire qu’il allait passer le code et de loin je lui dit et le code et il me fait un grand sourire et je l’ai eu. Un soir à la base dans une discussion avec mes collègues ce jeune lui dit après le jour où il m’avait menacé de m’exploser la tronche une semaine ou deux semaines après dans une discussion avec un collègue il lui dit houa le lendemain du jour où j’ai eu le code j’ai croisé jc qui m’a demandé si je l’avais eu quand je lui ai dit que je l’avais eu il y a eu une lumière dans ses yeux j’ai vu qu’il était content que j’ai eu le code ma mère ne m’a jamais regardé comme ça rire. Mais les travailleurs sociaux on est aussi des hommes et il y aussi des choses qui font plaisir qui marquent et qui nous permettent de continuer D’accord en termes de question concrètes si on revient aux résultats par rapport aux nuisances comment ça été perçu par le quartier Les nuisances périphériques à ce lieu ? Non comment les partenaires ont perçu cette opération relativement au problème rencontré au départ Eux d’une manière moins positive que nous pour prendre un exemple les îlotiers de l’opac nous disaient de toute façon vous n’ouvrez que la première année trois soirs la deuxième année deux soirs par semaine les autres soirs ils sont quand même dans les entrées donc votre truc dont un agent d’entretien de l’opac qui était particulièrement virulent qu’est-ce que vous faites avec ces jeunes ils n’en valent pas le coup et donc il y a pas eu d’effets observables et je comprends que et pour l’opac et pour la mairie le constat soit plus que mitigé enfin 71 effectivement quand le soir quand nous ouvrions les jeunes étaient moins dans les entrées puisqu’ils étaient plus à l’intérieur avec nous donc peut être que deux ou trois soirs par semaine ça allait plutôt mieux le reste du temps … et puis après de manière directe les relations que nous éducateurs nous avions avec ce groupe de jeunes on avait du mal à le mesurer eux ne disaient pas ne voyaient pas ce groupe de jeunes venir nous solliciter à vdv à d’autres moments donc eux ça ils ne pouvaient pas le vérifier eux ils vérifiaient les nuisances ou le sentiment d’insécurité dans le quartier. Donc ce qui a pu être observé c’est le squat qui avait dans cette entrée très marquée à l’origine là les choses ont changé d’une année à l’autre les rassemblements des jeunes ils évoluent et donc personne à juste titre n’a fait la relation avec donc l’ouverture de la base ce n’est pas le fait que la base ait ouvert que un rassemblement quotidien dans une entrée avait disparu puisque les jeunes se retrouvaient ailleurs et donc les au cours des deux années où on a mis en place des restitutions pour avec les différents partenaires pour faire un peu le bilan de l’action là je pense que les partenaires y compris l’opac et la mairie n’étaient pas insensibles aux argument qu’on a avancés et donc quand on leur disait que pour nous c’était il y avait des éléments positifs je pense qu’ils ont bien voulu nous croire entre guillemets la preuve c’est que ça a eu lieu deux ans de suite et que ça c’est arrêté donc en mai 2001 pas parce que les partenaires nous ont dit stop le bilan est vraiment trop catastrophique donc on arrête l’action mais c’est de manière interne dans vivre dans la ville on s’est dit il faut passer à autre chose on a fait l’expérience il y a des points positifs et d’autres points plus négatifs on pense quand même qu’il y a des évolutions et donc on va essayer de faire d’autres propositions et donc je ne sais pas si on en parle là Si si Donc après on s’est dit que le fait que ce lieu soit utilisé par entre guillemets une catégorie de public ce lieu n’était utilisé que par les jeunes de la base on avait sollicité l’opac en disant qu’il y avait des locaux qui ne sont pas au pied d’immeubles et qui sont en plein cœur du quartier qui sont des locaux intéressants on a estimé qu’il était bête que nous en soyons les seuls bénéficiaires de ces locaux donc on a pensé après deux ans d’ouverture il faut continuer à avoir une démarche une action avec ce public ceci dit le fait que ces jeunes s’approprient, on avait l’impression que ce lieu est à eux ça ne va pas la preuve à la fin ils ont tout pété. Voilà et donc on s’est dit il faut que ce lieu soit utilisé par d’autres donc ensuite si ce lieu es t utilisé par d’autres ça ne pourra plus être un local à bas seuil d’exigence parce que quand on arrivait après un week end de beuverie on faisait quand les jeunes le samedi soir avaient bu bu il y avait des cannettes c’était impensable que des choses comme ça puissent persister si ce local 72 était utilisé par d’autres et donc on a fait la proposition aux mêmes partenaires en leur disant vous mettez de l’argent dans la rénovation des locaux vous en faites là tout était gris c’était du béton brute donc faites quelques aménagements vous investissez dans un minimum de matériel tables chaises et puis après vous proposez à d’autres partenaires de pouvoir utiliser ce lieu nous à vivre dans la ville on en aurait besoin donc allez deux soirs par semaine pour une action ado on en aurait besoin le mercredi après midi quand on met en place une animation sociale de quartier au pied de l’immeuble tous les mercredis pour une action avec les petits peut être une ou deux après midis avec des groupes adultes sur un sujet particulier mais ceci dit tous les autres temps qui ne seraient pas utilisés ça serait trop bête il y a une présence associative très importante sur le quartier ce que nous nous trouvions intéressants je le répète encore une fois mais un local qui ne soit pas en pied d’immeuble il y a pas de nuisance directe avec le voisinage même une soirée tarot dans une petite ASSOCIATION comme celle du rez de chaussé le voisin du premier étage à onze heures du soir il donne des coups de balais dans le planché pour dire ça suffit votre bordel là il y un local qui est vraiment approprié pour l’action collective et donc nous avons fait cette proposition comprise par les partenaires donc depuis ce local est utilisé on a changé de nom maintenant c’est la pagode il y a eu des investissements qui ont été faits avec un financement contrat de ville et ce local est utilisé par les différentes associations de quartier le CMS ou le CCAS et nous continuons à l’utiliser donc avec des groupes de femmes une soirée par semaine avec des groupes d’ados les vendredis soirs mais donc maintenant c’est un local dans lequel il est interdit de fumer même des cigarettes et c’est plus compliqué enfin on essaie de trouver des outils pour permettre de donc aux jeunes adultes de continuer de venir et il nous arrive de faire des soirées vidéo ceci dit c’est des jeunes qui fument des cigarettes et qui toutes les deux minutes sortent et donc il devrait y avoir quelque chose d’intermédiaire à réfléchir car c’est pas tout à fait concluant non plus Est ce qu’il y a des jeunes de la bande qui viennent à la pagode ? Tout à fait ils viennent le vendredi soir donc et puis une nouvelle génération parce qu’ils ont grandi mais des jeunes qui sont venus la première année continuent à venir donc au à la pagode les vendredis soirs Donc c’est en présence de deux éducateurs ? Tout à fait 73 Et d’autres partenaires en même temps que vous ? Non. C’est successivement que les associations viennent ? Tout à fait mais là avec des conditions d’accueil complètement différentes Le groupe là il vient en bande ou séparé ? Ils viennent beaucoup plus régulièrement en bande de manière collective Et ça se passe comment ? Ben le souci c’est là il y a trop de règle quant à l’accueil donc comme j’ai dit ils avaient dû ouvrir une issue de sécurité dans la grande pièce du fond donc aussi parce que même au niveau de la sécurité la base était aussi une expérience il était accepté des choses inacceptables de droit commun donc le fait qu’il n’y ait pas deux issues tout le monde l’a permis une fois que d’autres associations ont voulu y aller c’était hors de question et donc même au niveau de l’image tout le monde était dans le bas seuil d’exigence même les institutions qui acceptaient de mettre les conditions de sécurité dans un mouchoir il n’y avait pas juste l’utilisation d’alcool dans les lieux publics ou même de haschich dans un lieu public ça allait plus largement que ça et donc le groupe de jeunes qui utilisait la base continuait à venir certains parce que d’autres A la pagode ? Oui à la pagode c’était le même lieu c’est tout à fait le même lieu sauf que ça a été peint il y a des tables, des chaises avant certains jeunes l’appelait le blocos c’était vraiment ça un blocos (une casmat) maintenant non il y a eu un revêtement de sol qui a été mis les peintures ont été faites il y a eu un investissement pour que ça fasse… et puis il y a eu une issue de secours donc même pour les soirées vidéo que nous mettons en place à la pagode les vendredis soirs d’une manière assez régulière ces jeunes adultes passent leur temps prennent les chaises et ils les mettent à l’extérieur pour regarder le film de l’extérieur pour pouvoir fumer leur clope et le fait de mettre en place trop… des règles trop strictes fait que il y a des liens qui ne peuvent pas se faire on estime réellement que le minimum serait les conditions comme dans un café enfin dans un café tu bois un café et puis tu fumes ta clope c’est impensable des cafés non fumeur ou alors en centre ville … et alors cette question de règle d’accueil est tout à fait à prendre en compte et nous questionne à l’interne pour savoir bon on pense bien aussi qu’une salle trop enfumée peut difficilement être supportable et donc c’est difficile de concilier ça 74 avec des activités à d’autres moments avec des enfants mais ceci dit on souhaiterait la pagode là maintenant est entourée par deux autres garages et on souhaiterait vraiment faire la demande au bailleur de les vider qu’on ait vraiment un local. Bien, je te remercie. 75 76 ANNEXE 3 L’EQUIPE DU LUNEVILLOIS 77 Entretien n°1 Est-ce que tu peux me dire comment à commencé le projet ? Alors au niveau du contexte général on intervient sur l’ensemble de l’arrondissement de LUNEVILLE. Donc ça veut dire 164 communes, 7 intercommunalités, en équipe de 5 quand on est au complet et donc lorsqu’on intervient sur un territoire, c’est toujours d’abord lorsqu’on a un point d’ancrage sur le territoire c’est-à-dire un point d’ancrage, ça peut être quoi, ça peut être une réflexion, une réflexion qui est menée sur des jeunes en marge, des jeunes en difficulté, des jeunes qui posent des actes d’incivilité, etc, ça peut être un événement qui concerne de jeunes, ça peut être, voilà, ça peut être bon sur un territoire par exemple on a choisi d’entrer par le biais du collège, qui souhaitait s’ouvrir vers l’extérieur pour, voilà. Alors, du coup comment on est au niveau des éducs de prév très très proche à la fois des acteurs locaux, des élus, dans l’écoute de ce qu’ils peuvent dire des problématiques liées aux jeunes sur leur territoire. Jusqu’alors on disait que lorsque les élus nous interpellait par rapport à des jeunes qui commettaient des actes de violence, d’incivilité etc, jusqu’alors on essayait de travailler avec eux sur quelle intervention ils donnaient eux de leur part et quelle intervention nous on pouvait donner, mais qu’en aucun cas on n’était les pompiers de service en aucun cas on travaillerait spécifiquement avec des jeunes nominativement repérés comme étant des prédélinquants ou des délinquants, d’accord ? Donc ça c’est important pour resituer un peu sur BLAMONT ce qui s’est, ce qui s’est passé. Donc sur BLAMONT on est interpellé au mois de septembre de l’année dernière, y’a deux ans pardon, par un élu, par le chargé de, de mission de la communauté de commune, sur un groupe de jeunes qui ont posé des actes forts, de, de pré délinquance, délinquance, délinquance pour certains, puis qu’il s’agissait de, bon ils ont tiré au fusil sur, pas sur des personnes mais sur des biens, bon, ils ont manifesté comme ça, bon, à la fois des, des, des, des actes de délinquance mais aussi c’est des actes qu’ont pourrait nommer d’incivilité plutôt . Dont certains qui ont été, bon entendus par la gendarmerie avec leurs parents, etc, et on avait en face de nous, une élue qui disait « moi dans mon rôle d’élue, je fais, j’assume toute la partie répression, donc je fais appel à la gendarmerie, je convoque les parents pour avoir une discussion avec eux, je veux bien convoquer les jeunes », bon. Un élu plutôt ouvert sur la partie un peu répressive, dans une dimension un peu éducative, et donc lorsqu’on a été interpellés sur mais qu’est-ce que qu’on pourrait faire avec les jeunes là plus dans une logique de prévention, on a accepté d’aller rencontrer les jeunes. Alors les jeunes qui n’ont pas été repérés nominativement mais qui ont été néanmoins repérés par rapport aux lieux qu’ils fréquentent. Donc on avait une idée assez 78 précise de ces jeunes d’abord et des lieux qu’ils fréquentaient. Et donc on a commencé le travail sur BLAMONT en allant rencontrer spécifiquement ces jeunes là, en essayant, parce que les trois premières fois on les a pas vus ces jeunes en l’occurrence mais bon après c’est tous les aléas du travail de rue. Donc voilà pour resituer un peu le contexte c’est vrai qu’ailleurs au aurait dit non, parce que ailleurs on est plus adapté en tant que les pompiers de service qui allons régler tout sur un territoire par exemple, tous les problèmes de délinquance, etc, etc, et c’est, c’est quelques fois pour les élus un moyen de se dédouaner de leurs responsabilités en tant qu’élus par rapport à des jeunes qui commettent un certain nombre d’actes. Tu dis jusqu’alors, donc jusqu’alors, c’est quoi exactement qu’est-ce qui fait, qu’est-ce qui déclenche ? Ce qui déclenche c’est le fait que on a en face de nous pas qu’un élu, un conseil municipal, puisqu’on a, on était, enfin y’avait une réunion, il y avait trois, il y a avait le maire plus trois adjoints qui, qui nous semblaient ne pas vouloir se dédouaner de leurs responsabilités en tant qu’élus pour travailler avec les jeunes et leurs familles sur, ben une amélioration de la sécurité de, voilà ; qui étaient prêts à les rencontrer, qui étaient prêts à rencontrer les familles, qui étaient prêts à réfléchir avec les jeunes et avec leurs familles sur qu’est-ce que, bon comment ils pouvaient améliorer la sécurité au sein d’une, de la commune. Alors que souvent c’est ce qu’on nous demande à nous éducateurs de prévention, c’est qu’on aillent rencontrer les jeunes pour assurer la sécurité au sein de la commune. Là il nous semblait que c’était des élus qui étaient prêts à s’engager la dedans. C’est ça qui a changé, qui change un peu dans la commande je dirais, la commande, la commande publique pour qu’on intervienne c’est un peu un rapport de confiance qui s’établit quasiment d’emblée avec, avec les élus sur où est le rôle du politique, et d’une municipalité et puis de la gendarmerie, enfin tout ce qui, et puis ou pourrait se situer le rôle d’une équipe de prévention dans le rapport enfin dans le contact avec les jeunes et qu’on n’attende pas de nous qu’on règle les problèmes de délinquance quoi. Ce qui était fait auparavant ? Ce qui était fait auparavant. Pas forcément sur cette commune mais sur les autres communes sur lesquelles on intervient, ce qui est souvent de l’ordre la commande qu’on nous fait de. Sur d’autres territoires, on nous fait la commande d’aller rencontrer les jeunes toxicos qui 79 gravitent autour d’un foyer pour, pour faire en sorte que ces jeunes soit aillent ailleurs, soit arrêtent de consommer pour dire les choses de façon un peu basiques comme ça. Tu dis pas forcément dans cette commune, c’est à dire ça s’était déjà produit, il y a eu des demandes que vous avez déclinées ? Dans cette commune, ça faisait quand même un moment qu’ils interpellaient l’équipe de prévention spécialisée effectivement par rapport à tels jeunes qui posaient un problème. Mais on n’avait jamais si tu veux dans cette commune, bon on discutait volontiers avec les élus, sur quelle est la responsabilité de, de, de la commune, quelle est la responsabilité, enfin comment une équipe de prévention pouvait intervenir sur un territoire ça faisait, ça faisait de nombreuses années mais ça Christine pourra t’en parler beaucoup mieux que moi parce que c’était elle qui était référente sur ce territoire là, que Christine impulsait une réflexion sur les jeunes et la prévention quoi. D’accord donc il y a eu un, un changement dans vos relations entre l’équipe de… et puis BLAMONT Voilà. Sur l’aspect de la commande et puis l’aspect de la collabo enfin de la coopération. On pouvait envisager nous une coopération possible. D’accord. On pouvait l’envisager là alors que jusqu’alors on n’arrive pas à l’envisager, c’est ça qui a changé. C’est-à-dire que la commande reste grosso modo la même quand même on a affaire à des jeunes qui posent des actes de délinquance, et on ne sait pas comment réagir aidez nous à, voilà ça ça reste la même chose mais ce qui a changé c’est qu’on sentait, on a, on a ouais on a sentit une équipe prête à se mobiliser et à pas demander à ce que l’équipe de prévention fasse leur boulot quoi. Ça c’est, c’est vraiment du, vraiment du ressenti, on l’a vérifié après mais à l’origine, qu’est-ce qui fais que ça a changé au niveau de, c’est parce que enfin on pouvait, bon les élus enfin ont pu dire voilà quelle est notre responsabilité sur ce que les jeunes commettent sur notre territoire, un certain nombre d’actes délictueux. Et une mairie qui, qui avait un vrai souci, de, à la fois de, de, d’interroger enfin, l’axe répressif pour essayer d’imaginer quelle pouvait être leur fonction aussi dans, dans, dans la prévention et dans un travail davantage en lien avec les jeunes et leurs familles donc c’est en l’espace… que les choses se sont modifiées. 80 Et ce changement de leur part tu dirais qu’il est venu comment ? D’une maturation je crois. D’une maturation parce que c’est des jeunes qui régulièrement posaient des actes délictueux régulièrement étaient convoqués avec leurs parents à la gendarmerie et les élus qui disent on peut pas continuer comme ça, ça ne peut pas être que la seule réponse apportée, ce n’est pas comme ça qu’on assurera la sécurité sur notre territoire enfin toute une réflexion à ce niveau là. Je crois que bon il y a aussi le fait qu’on travaille avec eux, Christine notamment travaille avec eux sur mais quels projets vous avez par rapport à vos jeunes sur ce territoire là et puis une confiance réciproque qui a fait que à un moment ça s’est traduit par une autre façon d’envisager la collaboration. C’est une maturation. Bon elle te dira un peu plus précisément depuis quand elle y travaillait mais depuis j’étais là 2000, elle, elle, elle a impulsé une dynamique, une réflexion avec pas que les élus, avec les partenaires locaux avec les associations sur qui sont les jeunes et qu’est-ce qu’on pourrait mettre en place, réfléchir ensemble par rapport à ces jeunes là ? Mais sur les 154 communes, j’imagine qu’il y a d’autres communes qui se sont retrouvées dans des configurations à peu près similaires et à peu prêt dans la même discussion, avec vous c’est-à-dire, vous, les mêmes propositions pourquoi ça change là ? Alors, nous on travaille avec, enfin on peut pas travailler sur les 164 communes c’est évident, c’est 164. On peut pas travailler avec les 164 communes et on repère donc plutôt quand on bosse quelles sont les problématiques qui se posent à l’échelle de chaque intercommunalité, donc il y en a 7 du coup. Et puis sur les 7 tu as les bourg centres après ; BLAMONT en fait partie. Ca veut pas dire qu’on va prioriser nos interventions uniquement sur les bourgs centres, mais quand on peut prendre un point d’ancrage sur les bourgs centres et puis voir après comment les jeunes de tout le territoire, peuvent, peuvent être associés ou voilà c’est un peu comme ça qu’on travaille. Donc en fait on travaille avec BLAMONT qui est un bourg centre et on réfléchit sur comment et on sait déjà comment associer d’autres jeunes qu’on nous dit en difficulté ou qu’on nous dit à la marge des autres communes avoisinantes. D’accord. Donc il y a un à peu prêt 7 bourgs centres. Pour dire, il y en a un peu plus mais… Une petite dizaine. Je reprends ma question avec les bourgs centres, à ton avis pourquoi ça ça marche mieux dans le bourg centre qu’est BLAMONT que dans une autre ? Parce que, comment, moi ce que je te réponds c’est que bon je compare par exemple à BLAINVILLE/DAMELEVIERES, qui en plus sont deux villes là pour le coup enfin ca fait 81 l’équivalence d’une ville BLAINVILLE et DAMELEVIERES qui sont très proches ou on a aussi ces réflexions avec les élus avec les partenaires locaux, etc, mais ou y a aucun engagement des municipalités sur le fait qu’ils impulsent une dynamique par rapport aux jeunes en marge. C’est-à-dire que, ils ont des structures municipales par exemple qui restent très fermées, à une catégorie, de, de aux catégories de jeunes, ils ont voilà. C’est-à-dire qu’il y a rien dans les communes qui fait, qui manifeste le fait qu’ils aient d’autres intentions par rapport à ces jeunes là. Ce qu’ils aimeraient…qu’on prenne en charge à 100% ces jeunes et se dédouaner du coup de la responsabilité d’avoir à trouver des solutions par rapport à la toxico par rapport à voilà. Alors que sur BLAMONT cet événement là a donné lieu à des rencontres entre des élus, enfin entre le maire et les parents, avec les enfants etc, et avec une la réflexion en plus avec les jeunes qui étaient concernés qui étaient, par ces actes, on a fait une réunion collective parce que c’est comme ça qu’on a commencé à travailler avec élus on a fait une réunion collective où les élus et les animateurs qui connaissaient les jeunes en question ont invité tout le monde pour, pour réfléchir un peu à qu’est-ce qui faisait que les jeunes posaient tels et tels actes etc, enfin bon. C’est-à-dire qu’il y avait à l’initiative des élus une vraie volonté qui se manifestait en actes de travailler un peu autrement que sur l’aspect uniquement répressif avec les jeunes de leur coin. D’accord. Alors, là c’est les faits, je les comprend bien y’a des faits objectifs qui différencient BLAMONT des autres bourgs centres. Est-ce que… On en connaît d’autres, similaires. D’accord et est-ce que vous vous expliquez cette, ben cette différence là en dehors de la constater ? Enfin on a des éléments explicatifs, c’est pas forcément tous les éléments explicatifs, ils ne sont pas forcément tout à fait juste non plus. Nous on pense que le rural commence à être touché par les phénomènes des, des, des grandes villes des banlieues etc, il commence à découvrir une, une tranche de population qu’il ne connaissait pas, enfin, en tous cas des manifestations, c’est pas une tranche de population parce que c’est des familles quand même qui sont installées pour la plupart depuis, depuis pas mal de temps avec des nouvelles familles sur BLAMONT il y a avait quand même toujours eu la volonté d’accueillir toutes les nouvelles familles qui arrivaient et c’est des nouvelles familles qui viennent de VANDOEUVRE, enfin vraiment de la ville et qui a sur ce territoire là une vrai volonté de mixter les populations de, de faire en sorte que BLAMONT qui, perdait en population regagne en population donc d’accueillir des grandes familles etc, qui fait que ils sont 82 confrontés plus vite que d’autres communes rurales par exemple à la question de la pré délinquance et la délinquance, il était jusqu’alors assez préservé. Mais comme ils sont relativement ouvert aussi c’est une vraie volonté de leur part quand même d’avoir fait venir, de faire venir de nouvelles populations il y a aussi une vrai réflexion d’emblée sur comment faire face à des phénomènes qui jusqu’alors nous échappaient complètement. Et ca reste des élus très très de proximité c’est-à-dire que quand on a affaire au maire c’est aussi l’habitante c’est celle qui au quotidien peut rencontrer ces jeunes, qui va parler avec eux dans la rue, on n’a pas la, la même configuration aussi des relations entre un conseil municipal par exemple et une population, c’est pas du tout la même chose. Entre BLAMONT et LUNEVILLE, LUNEVILLE, le conseil municipal reste un peu dans son château quand même la population sauf pour une partie qui était très militante sur un plan syndical qui a connu tel et tel élu ils se tapent dans le dos sinon, ca reste quand même très éloigné de ce que les élus peuvent connaître de la population c’est la même chose que ce que je pourrai en dire moi alors que j’habite pas à LUNEVILLE alors que sur BLAMONT c’est pas du tout le même, le même cas de figure. Donc ils sont confrontés comme ça à des phénomènes qui sont les mêmes phénomènes grosso modo même si c’est à beaucoup plus petite échelle les phénomènes de deal, les phénomènes d’alcool plus plus, les jeunes de plus en plus tôt, les phénomènes bon. Et du coup comment, à la fois ils ont envie de préserver une qualité de vie dans le rural qui repose sur des, sur des valeurs en termes d’engagement, de participation, de bon toutes ses valeurs là, c’est des, c’est des, c’est des communes aussi, faut dire aussi sur le lunévillois ou les mouvements d’éducation populaire sont très forts. Ca c’est important quand même de le savoir parce que je pense que ca se déclinera pas de la même façon sur le nord du département par exemple. Où donc la question de la participation de l’engagement de, que ce soient des jeunes, ou des adultes est posée depuis des générations, c’est des familles qui sont anciennes pour la plupart et qui sont très engagées voilà. Donc c’est sur que c’est ce qui fait que BLAMONT diffère radicalement de, de BLAINVILLE/DAMELEVIERES aussi. Ca ne veut pas dire que les problématiques des jeunes ne sont pas les mêmes mais bien, BLANVILLE DAMELEVIERES c’est une plaque tournante, c’est vraiment, c’est vraiment la configuration ville DAMELEVIERES. Mais que il y a une autre, une autre façon de penser même la société sur ces territoires là avec des élus qui sont engagés dans des mouvements d’éducation populaire où qui l’ont été qui le sont moins mais en tous cas, qui défendent des vraies valeurs quoi au niveau, en termes éducatifs. Donc si je résume il y a trois, trois conditions c’est, bon une ouverture, le fait que le milieu 83 rural découvre un peu les manifestations de type urbaines et puis un ancrage dans l’éducation populaire assez fort avec une, une, une façon de faire historique de l’éducation populaire, des manifestations c’est ça. Ils sont, ils sont déboussolés par rapport à ces comportements de jeunes ça c’est quelque chose nouveau pour eux, ils en sont, ils étaient jusque là, ils y échappaient. L’éducation populaire c’est ce qui permet de dire que on travaille peut-être plus facilement avec eux on peut réfléchir autrement avec eux voilà. On a grosso modo sur BLAINVILLE/DAMELEVIERES les mêmes, les mêmes préoccupations, on a la même technique depuis autant de temps qu’on travaille sur un secteur et sur l’autre là ou je dirais que le mouvement éducation populaire joue en la faveur de BLAMONT par rapport à BLAINVILLE/DAMELEVIERES c’est que une fois qu’ils sont convaincus qu’ils ont la possibilité d’agir différemment avec ces jeunes ils le font quoi. Et ils s’engagent eux, ils nous envoient pas au charbon, quand ils ont des bons … avec les jeunes, nous on veut faire en sorte que ces jeunes ne posent plus d’actes de délinquance ça c’est BLAINVILLE DAMELEVIERES, ils disent ok là on voit bien quel soutien on peut apporter aux jeunes, aux familles, voilà ils s’engagent. Alors c’est d’autant plus important en milieu rural que il y a pas grand chose quand même comme infrastructure, comme. Les jeunes sans doute plus qu’en ville s’emmerdent quoi, y’a des associations qui, qui, qui proposent des choses, qui proposent des choses que si les gens s’engagent, ils proposent à la limite des choses pour les gens qui s’engagent, du coup c’est vrai que les jeunes sont très très peu pris en charge dans ces zones là quoi, dans un, en milieu rural Et pourtant c’est des phénomènes qu’on retrouve en milieu urbain, où il y a une forte densité de propositions. Ouais ouais mais en même temps en milieu urbain quand tu bosses avec ces jeunes là, tu as des réponses toi même en tant que, pour la prévention spécialisée tu peux bosser avec telle et telle structure par rapport à l’organisation d’un camp, d’un chantier, sur BLAMONT tout est à créer, si tu veux , tu bosses avec des bénévoles, avec ce que ça suppose aussi comme disponibilité comme études, et tout est à créer, tout est à imaginer, c’est une force et une faiblesse toujours. C’est pas qu’une, enfin je n’envie pas l’urbain, si tu veux parce que la force c’est que tout est à créer, tout est à imaginer que c’est beaucoup plus facile de travailler avec des jeunes en disant et ben écoutez on imagine ensemble. Et bon en même temps c’est une faiblesse parce qu’on est beaucoup plus soumis aux fluctuations des subventions attribuées par telle et telle, nous, y a rien qui … y a pas d’assise financière sur ce territoire là faut chaque 84 fois les redécouvrir je dirais on commence à voir des dispositifs maintenant qui permettent de faciliter un peu les choses mais à l’origine c’était, tout était à créer à ce niveau là quoi. D’accord. Est-ce qu’on peut faire un peu l’historique avant que le projet démarre proprement dit sur les, les, les relations que vous avez établies avec l’interlocuteur, enfin avec BLAMONT, les réunions, est-ce que… Alors c’est là que t’en auras plus par Christine franchement t’en auras plus avec Christine. Je laisserais ça pour demain d’accord. Parce que c’est, c’est, c’est, bon c’est beaucoup de réunions, alors c’est beaucoup de réunions où Christine a du répéter un certain nombre de choses, revenir sur voilà, et ça au niveau du contenu. D’accord alors je reviens sur …. Ce qui est un peu difficile c’est ça, c’est que on était deux référents, que Christine avait mené tout sur travail préalable, qu’elle a été en congé maladie, que j’ai été donc plus actif dans la phase où ça se, il y a des choses qui se sont passées, voilà des élus qui posent autrement les choses, ou enfin les choses étaient possibles du point de vue, alors possibles du point de vue de travail de rue, travail de proximité avec les jeunes, nous notre truc c’est quand même, c’était quand même de retrouver sur tous les territoires un peu ce qui faut de la prévention spécialisée c’est-à-dire le contact avec les jeunes là où ils sont sur leur lieu de vie pour envisager avec eux quel type de projet ils pourraient mener pour s’inscrire autrement dans la cité. Et pourquoi c’est pas possible de travailler autrement ? C’est-à-dire ? Ben là tu dis qu’avec BLAMONT c’était enfin possible de travailler pour les raisons que tu as dit, est-ce que tu peux me dire précisément pourquoi c’est pas possible, mais dans le cas de… C’est pas que c’est pas, sur d’autres territoire par exemple on choisit d’autres biais pour entrer en contact avec les jeunes je te disais il y a le collège, y’a, y’a un certain nombre de biais, mais ça c’est toute une réflexion qu’a mené, la prévention spécialisée sur qu’est-ce qui fonde notre légitimité pour travailler avec les jeunes et auprès de quels jeunes. Pendant très longtemps on a fait ce qu’on appelle du, enfin certains ont dit du développement local je trouve que bon développement local c’est… un peu à toute les sauces, on a fait tout un travail 85 de diagnostic, diagnostic mais diagnostic dans une démarche un peu particulière, il ne s’agissait pas de définir pour les autres ce que c’étaient que les problématiques jeunes par exemple mais d’essayer de travailler avec les élus les associations, avec les partenaires locaux sur c’est quoi pour vous, enfin, les jeunes qui sont ils, et quelles sont les, les, leurs forces et leurs faiblesses quoi pour dire les choses comme ça, qu’est-ce qui manquerait, qu’est-ce qui serait à mettre en place sur le territoire pour faire en sorte que tous les jeunes puissent avoir accès à des, des projets, actions, qui permettent leur épanouissement, etc, etc. Donc ça c’est, et, et, on a voulu nous se recentrer parce que les partenaires locaux évoquaient quand même énormément la question des jeunes en marge et la question de leur participation à la vie locale, revenir y compris en milieu rural sur ce qui fait que le travail en prévention spécialisée c’est-à-dire le contact avec ces jeunes là, pas avec tous les jeunes, avec ces jeunes là, là où ils vivent pour voir avec eux, comment ils entendent s’inscrire dans, dans, dans la vie locale enfin dans, dans, dans la vie locale. Alors ces jeunes là du coup sur BLAMONT c’était les jeunes qui, qu’on nous a dit donc posaient des actes de délinquance, qu’on nous a dit être en rupture scolaire, en échec scolaire, qu’on nous a dit voilà. Je dis qu’on nous a dit parce que il s’agissait pas d’une… encore une fois. On n’est pas allés voir avec Frédérique, Laetitia, et, on est allé rencontrer, on leur a, on a demandé aux partenaires jeunes et après on allait les rencontrer là où ils étaient quoi, c’était le principe. Et on aurait pu prévoir par exemple une action prétexte pour rencontrer les jeunes bon, on en a longuement discuté le choix a porté sur un travail de rue, un travail de sensibilisation, un travail de, de, de, de confiance avec ces jeunes parce qu’on pensait que tout simplement ce travail là était un préalable nécessaire pour inscrire dans la durée les jeunes dans un travail avec eux. Alors avec nous puis avec parité aussi avec les élus, avec les associations etc. Les jeunes vous connaissaient auparavant ? Non. Pas du tout. Donc on a fait un travail de rue. Comment vous les avez accrochez alors ? Dans un premier temps on les a rencontrés là où ils étaient sur la logique de, alors, y a eu deux trucs différents quand même. Je t’ai dis on a accepté avec les élus et avec les animateurs puisqu’il y a deux animateurs de proximité sur ce territoire ; donc on a accepté d’organiser une rencontre collective avec ces jeunes là, d’accord. Donc c’étaient des jeunes cette rencontre collective, des jeunes qui soit étaient invités à cette rencontre par des élus, soit étaient invités par les animateurs de proximité qui dans leur activité se disaient que ce serait peut être bien qu’on rencontre ces jeunes qui posaient des actes voilà. La rencontre s’était de 86 dire, y a eu un certain nombre d’actes qui ont été posés, il s’agissait pas d’y revenir c’est pas notre boulot c’est pas notre job, mais est-ce que c’est le signe de votre, comment, de, de, de l’ennui, de ou est-ce que c’est le signe d’un conflit entre les jeunes et les adultes, est-ce que c’est le signe, voilà. Donc on a souhaité un peu partager ces interrogations avec les jeunes directement concernés. Donc à cette réunion là il y a eu alors deux bandes de jeunes, des représentants des bandes de jeunes on va dire ça comme ça, c’était vraiment marrant d’ailleurs, donc y a eu une dizaine de jeunes qui sont venus avec qui ont a pu échanger sur les actes commis, qui étaient à la fois bien sûr mais ça on pouvait s’en douter, un acte de rébellion par rapport à, alors par rapport au gardien du camping par rapport, on a eu tout ça ; et on a pu les interroger sur qu’est-ce qu’ils, comment, comment ils envisagent la suite tout simplement. Qu’est-ce qu’ils, qu’est-ce qu’ils envisagent pour, pour ben si il y a un conflit avec le gardien du camping, on est parti de leur expression comment ça pourrait se résoudre, est-ce que c’est important pour eux que ça se résolve ce conflit là. Lorsque que ils sont en conflit avec le maire et qu’ils tirent, enfin c’était pas le maire, c’était un adjoint lorsqu’ils tirent sur, à la carabine sur, sur des pigeons je crois que c’était, je crois que c’était un pigeonnier bon, est-ce que ça peut se résoudre autrement voilà c’est des questions qu’on a échangé ensemble et lors de cette rencontre les jeunes disaient « oui mais nous on nous fait pas confiance on avait un lieu, il a été fermé », c’était un lieu donc à la MJC, ils avaient un espace ados qui était un espace libre où les ados pouvaient faire ce qu’ils voulaient y compris d’ailleurs, enfin ils pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient théoriquement mais ils faisaient ce qu’ils voulaient et donc le lieu a fermé parce que les bénévoles ont dit c’est insupportable ça peut pas continuer comme ça drogue, alcool, ils ont supprimé le lieu et donc a eu affaire à des ados très très remontés quand même contre les adultes qui ont fermé le lieux. Y’en a d’autres qui venaient pas forcément enfin c’était deux bandes mais vraiment radicalement différentes voire quelquefois qui se battaient avec une bande de jeunes plutôt bien socialisés on va dire les choses comme ça, c’est-à-dire que, pas déscolarisés, avec de, plutôt de bon niveau scolaire avec des parents qui étaient présents bon mais qui passaient leur phase rébellion quoi et puis un groupe de jeunes par contre très très très livrés à eux-mêmes, des jeunes de la rue quoi voilà. Et tous ensemble disant mais on nous fait plus confiance, maintenant les ados les jeunes, c’est, on nous met tous dans le même panier et, et il suffit qu’on montre notre bout du nez pour qu’on nous, qu’on nous agresse voilà, et en plus on nous refuse des lieux, tous étaient d’accord pour ça. Donc ça ça a été une première, tu vois un premier axe, où avec ces jeunes on leur a juste dit mais est-ce que vous seriez prêt à vous remobiliser pour, à vous mobiliser pour ben voir avec nous ce qu’on pourrait faire pour améliorer justement les 87 relations entre les adultes et les jeunes sur ce territoire là. Et le groupe qui a répondu le plus présent, c’est le groupe des jeunes de la rue. Ca tombe bien, tant mieux. Donc ça c’était le premier truc et puis donc y a eu du temps qui s’est passé là, enfin bref, et la deuxième étape a été de rencontrer les jeunes là où ils étaient et donc de tenter de les rencontrer donc on avait repéré près de l’étang, près du collège enfin des lieux comme ça. Alors c’est sur que le fait de les avoir vus en réunion pour certains d’entre eux ça a facilité aussi le travail de rue qu’on a fait après quoi. Je crois qu’à la réunion ils ont plutôt bien accroché aussi avec l’idée selon laquelle on n’était pas là pour leur taper sur les doigts, on n’était pas là pour leur dire que c’était pas bien de tirer au fusil sur les pigeons, mais que on était prêt à réfléchir avec eux sur, sur comment améliorer ces relations voilà. Améliorer les relations ? Entre les adultes et les jeunes. Parce que c’est ce qu’ils avaient évoqué lors de la réunion. Et c’est sur que lorsqu’on les a rencontrés dans la rue après, du coup on pouvait dire, ben voilà il semblerait que les relations, enfin que vos relations avec les adultes soient pas géniales, voilà on aimerait bien en discuter avec vous. On pouvait s’appuyer aussi sur une expression de jeunes pour aller les rencontrer et pour essayer de voir avec eux qu’est-ce qui pourrait être mis en place. En fait très très vite, c’est marrant, mais très vite, quand même ils, ils ont dit mais on s’ennuie là où on est, on aimerait bien sortir, on aimerait bien voilà c’est-à-dire très très vite après ils ont dit, ça a été un peu le test un pour eux comme pour nous, ils ont dit ben ok on est prêt à s’engager mais montrer avant qu’on peut faire des choses et qu’on peut les mener à bout. Donc, donc la première étape ça a été de constituer, de créer avec eux du projet quoi, des projets de loisirs de sortie, bon un truc un peu banal pour la prévention je dirais. Avec des jeunes pourtant comme je disais très très en difficulté. Alors vous avez fait quoi comme projet ? Ben un des premiers projet qui a émergé c’est un projet avec un groupe de, ils étaient nombreux, ils étaient, alors attends faut que je déduise, enfin nombreux, pas si nombreux que ça, 13 jeunes c’était un projet de, de séjour à PARIS. Il y a eu deux jours à PARIS, pour découvrir la capitale etc. Et d’emblée on les a complètement inscrit dans, vous voulez, bon, vous avez des idées, on vous aide à monter les projets mais c’est vous qui allez rencontrer les élus pour demander des subventions rencontrer les associations pour proposer vos services, trouver les moyens aussi d’autofinancer ces projets, voilà. Donc d’emblée on a inscrit tous les projets qu’on pouvait être amenés à faire avec les jeunes sur ce territoire dans, dans une nécessité pour les jeunes de rencontrer et les élus en qui ils avaient absolument pas confiance 88 et les associations pour que les associations puissent aussi s’ouvrir sur, sur, qu’est-ce qu’on peut faire avec des jeunes qui jusqu’à lors n’étaient pas les jeunes qu’on avait l’habitude de rencontrer quoi. Et ça a super bien marché tout de suite. C’est-à-dire que je pense qu’on ne s’est pas gouré sur l’analyse qu’on faisait de la, tu vois de cette volonté à la fois des élus mais à la fois des bénévoles sur le secteur de faire en sorte que ça change vraiment bon entre les jeunes et les adultes quoi, qui. Aujourd’hui pour dire les choses deux ans après, les jeunes ont pour projet de refaire l’abribus ils vont directement voir le, le, la mairie, ils disent ben ça serait bien qu’on ait un pot de peinture, etc, ouais ben attends, ben on t’oriente vers voilà. C’est-à-dire que… et, et y a aujourd’hui un projet alors que jusqu’alors on n’arrêtait pas de dire à quel point c’était pas possible sur un plan architectural à BLAMONT faut savoir qu’il y a un château qui est classé donc on peut pas faire grand chose, notamment quand les jeunes faisaient des propositions et ben on leur répondait systématiquement mais c’est pas possible parce que en termes d’art, de, de pratique, on, ne peut pas faire n’importe quoi avec le château. Aujourd’hui, les jeunes y vont, et ben ils ont comme projet de faire des grafs sur l’abribus par exemple et ça marche, et ça fonctionne et il va y avoir donc un projet grafs sur l’abribus. Ils négocient mais alors, là pour le coup, entre les jeunes et les élus. Nous on a donné un coup de main pour trouver de, l’animateur parce que c’est vrai que c’est des secteurs aussi, c’est ça aussi la difficulté c’est de, c’est de trouver, alors quand on peut des ressources locales mais sinon on est obligé de les faire venir d’ailleurs, de… c’est pas à BLAMONT qu’on va trouver des artistes qui peuvent aider un groupe. Mais voilà, maintenant, aujourd’hui on peut dire deux ans après, que alors que c’est des jeunes, qui, c’est les mêmes jeunes, c’était un peu le pari qu’on faisait, c’est qu’on s’adresserait aux mêmes jeunes que ceux qui nous étaient signalés comme étant, et c’était un pari puisque nous on ne connaissait rien des noms etc et qu’on nous avait juste dit leur lieu où ils étaient susceptibles de se rencontrer et donc on a effectivement rencontré les jeunes en question. Tu dis signalés comme, comme quoi exactement ils étaient signalés ? Comme prédélinquants / délinquants, posant des actes incivils et en échec scolaire, voilà. C’est-à-dire ceux qu’on nous signale comme en marge d’une structure existante, qui ne s’investissent dans rien, qui, bon chaque fois qu’on leur faisait des propositions n’y adhéraient pas enfin, voilà le discours qu’on nous menait sur ces jeunes là, il y a deux ans. C’est les mêmes qui aujourd’hui sont capables de, quand ils ont une idée en tête d’aller voir des adultes 89 sur le territoire en disant est-ce que, est-ce que c’est faisable, envisageable et qui sont prêts à y bosser. Est-ce que tu as une idée de, de comment ils posaient le problème, du côté de BLAMONT, l’analyse qu’ils faisaient de cette situation là, le pourquoi ? Pour partie oui c’était, mais ça on le retrouve très très fréquemment dans le rural, c’est, je te disais tout à l’heure ils ont des vraies politiques d’intégration des nouvelles populations ; la contrepartie c’est qu’ils sont persuadés que les problèmes qui apparaissent viennent de ces nouvelles populations. Alors pour parti ils n’ont pas totalement tort. Là il y a une famille par exemple, deux familles même qui sont venues de VANDOEUVRE et qui, dont les fils aînés sont complètement engagés dans des réseaux, trafic, etc., dont les plus jeunes se font dérober des frères aînés enfin tu vois, donc. Alors ça veut pas dire que le problème de drogue vient uniquement d’eux, ça serait trop facile mais, pour, pour eux, l’ouverture du village a comme conséquence le fait d’attirer des populations, ben de la ville avec tous les travers que ça peut représenter. Ca c’est une partie mais ça, on a échangé avec eux donc quand je le dis c’est parce que on a déjà échangé avec eux, et que c’est un des éléments d’explications qu’ils te donnent. Et qu’est-ce quelles ont de nouveau ces populations ? L’autre c’est que c’est des populations, c’est des jeunes qui sont scolarisés sur le canton mais qui vont au collège, qui vont au lycée, quand ils vont au lycée, le plus proche c’est LUNEVILLE ou RAON enfin SAINT DIE de l’autre côté et que ben la ville avec tous ces travers ça revient un peu en pleine poire, voilà. Alors qu’est-ce qu’ils ont de particulier. C’est pas, moi je dirais pas grand chose moi. Comment ils, comment ils expliquaient ça, comment ils qualifiaient ça ? Et ben ils qualifiaient de, les nouvelles populations arrivent avec tous les problèmes de la ville. Donc, quand on fait du logement social dans le rural on a affaire à des populations de la ville, ce qu’ils disaient, on a affaire à des populations de la ville pauvres, donc qui viennent des quartiers, donc c’est pas étonnant si on arrive avec les mêmes problèmes que ceux des quartiers de la ville. Ce qui, alors ce qui est vrai c’est-à-dire que BLAMONT a une vraie politique pour faire venir des, des enfin des nouvelles populations et en plus aligne une politique de logement social, il y a des logements sociaux sur BLAMONT ce qui n’existe pas beaucoup dans le rural aujourd’hui, BLAMONT a une vrai volonté de faire venir à la fois de nouvelles populations et des populations qui pourraient bénéficier du logement social. 90 Ces jeunes là ils faisaient partie de cette nouvelle population ? Ouais. Enfin pas tous, non non pas tous. C’est pour ça que je te dis après quand tu me demandes à moi qu’est-ce qui particularise ces jeunes là des autres, rien. Moi quand je les vois après, alors certes t’as Karim qui vient de VANDOEUVRE, qui, dont le frère est dealer et que lui deale aussi un peu aux alentours du collège, bon, mais en termes de caractéristiques, il ne diffère pas totalement de, d’un autre qui est installé sur BLAMONT depuis, bon, et qui présente un échec scolaire hyper important, y a des problèmes d’alcoolisme parce que c’est ça aussi : la nouvelle population arrive avec la drogue, les anciennes populations, y a un problème d’alcoolisme sur ce territoire pharamineux quoi les jeunes qui sont, enfin, nous on les voyait canette à la main à 10 heures du matin, à 14 ans, bon. Et ça c’est vrai que c’est beaucoup plus important en, proportionnellement bien sûr, sur les territoires ruraux que ça ne l’est sur les territoires urbains. Donc c’est pour ça que je te dis moi de mon point de vue à moi rien, maintenant du point de vue des élus voilà comment ils expliquent le fait que les phénomènes de, les phénomènes des villes arrivent dans les banlieues mais… Tu dis ils ne diffèrent pas tellement alors c’est quoi le, la petite nuance ? Les, alors, ce qu’on, ce qu’on a, ce qu’on a dit dans le cadre de l’évaluation c’est que on sent quand même bien que la question de l’engagement n’est pas la même entre les jeunes du rural et de la ville. Autant dans le rural c’est plus difficile, enfin pour ces jeunes là. C’est plus facile, c’est plus difficile de rentrer en contact avec nous, on a quand même galéré au début qu’on est allé faire notre travail de rue, on en voyait un, on en voyait deux, on n’en voyait pas, et, parce que quand on nous voyait, ok, mais une fois que le contact est établi, ils s’engagent, il s’engagent facilement, ils s’engagent volontiers, une fois qu’ils y croient, une fois qu’ils nous font confiance voilà et c’est des jeunes qui sont, qui, qui prennent très facilement des initiatives et qui vont au bout. Les jeunes plus récemment arrivés, je dirais, sont beaucoup plus des jeunes consommateurs quoi. C’est-à-dire quand, quand on leur présente des choses toutes faites, ils y adhèrent pour une journée pour deux jours le temps de l’action mais qui sont beaucoup plus difficiles à mobiliser dans la durée pour faire du projet, pour voilà. Avec les jeunes de BLAMONT par exemple, le noyau dur c’est vrai qu’il est composé essentiellement de jeunes issus du rural, quoi, alors quand je dis le noyau dur c’est le noyau qui fait que d’autres jeunes puissent venir, voilà, qui fait que eux aussi sont, enfin ils font la promotion de leur truc quoi tu vois et ils disent ouais c’est génial enfin c’est comme ça qu’il faut qu’on puisse bon, et ils sont capables de rameuter les autres des autres villages, deux autres, bon. Par contre, ceux qui sont plus récemment arrivés, ils adhèrent à l’action mais plus 91 en tant que consommateur. On les voit pas par exemple dans les évaluations où on mobilise les jeunes, les parents bon. Sinon aussi c’est aussi sur la, la, la, bon, nous quand on va sur BLAMONT on rencontre très très facilement le père ou la mère enfin très souvent c’est des familles séparées on les rencontre, on tchatche, voilà c’est ça on tchatche. Alors que y a besoin de beaucoup plus d’objets de, on s’inviterait pas d’abord la porte serait fermée, chez Monsieur et Madame, voilà ; il faut être invité ou il faut faire un courrier pour pouvoir voir les parents. Ca, ça a tendance à évoluer mais beaucoup plus lentement, les premiers parents qu’on rencontrait c’était les parents des jeunes qui sont installés depuis longtemps ici. Et c’est génial parce que c’est des parents qui sont du coup prêts à se mobiliser pour d’autres projets avec des plus jeunes, avec, il y a une dynamique comme ça qui se met en place qui est vraiment géniale. Et alors un truc sur BLAMONT mais qui est spécifique sur BLAMONT là, dans les familles qui, nouvellement arrivées, il y a une famille maghrébine qui est la seule famille maghrébine de BLAMONT. Et ce qui a de génial c’est aussi, c’est ça aussi le rural c’est à la fois un fort, bon à BLAMONT je sais plus à combien ils ont voté front national mais c’est dans les 30 % comme toutes les communes rurales et les jeunes qui aujourd’hui, défendent mordicus, ben le droit à la différence, les voilà, et des parents qui nous tenaient des propos alors très limites parce qu’ils se tenaient et qui aujourd’hui… Je trouve que dans le rural c’est ça aussi c’est que, ouais, ils ont du mal à être accrochés et une fois qu’ils accrochent ça va jusque là. On peut parler racisme avec eux, on peut parler, on peut parler sujet d’actualité, politique voilà, et on peut tchatcher avec eux quasiment chaque fois qu’on va voir leurs jeunes, on peut ne pas être d’accord ça ne prêtera pas, ça ne rompra pas le lien qu’il y a entre nous, voilà. C’est une autre qualité de, de, quand on dit que le rural c’est une autre qualité de vie, c’est aussi ça quoi. On va voir après aux prochaines élections si le pourcentage baisse mais je pense que il y a plus d’espoir dans le rural que dans l’urbain à ce niveau là, alors qu’ils votent beaucoup plus massivement front national par exemple c’est une impression pour l’instant. Il y a une famille maghrébine quand même. Oui avec 30 % quand même qui votent front national. Mais tu verrais comme cette famille est aujourd’hui intégrée, acceptée, les jeunes qui disent enfin, on préparait une sandwicherie et c’est les jeunes qui ont proposé que ben on mange pas de porc donc voilà que ça soit diversifié pour une famille, on ne savait même pas si elle participait à la manifestation, quoi. Mais tant pis ne serait-ce que parce qu’il y en a une voilà. Ça. D’accord, je reviens sur un point, petite digression, tu dis acte de délinquance, pré 92 délinquance incivilité, c’est ? C’est quoi ? Alors acte de délinquance, c’est des actes qui ont été posés enfin c’est un délit, donc il y avait eu des tirs à la carabine, dégradations de biens, voilà, pour les actes de délinquance qui ont été commis l’été. Ils tirent sur quoi à la carabine ? Ils ont tiré sur des biens essentiellement et sur des pigeons. Un fusil de chasse vient effectivement d’un chasseur. T’as a un qui vient des gendarmes en question qui alors lui bien engagé dans les trafics de tous genres. Voilà donc moi c’est pour ça, bon pré délinquance c’est, enfin, pré délinquance délinquance je dirais pas qu’il y a de différence c’est de la petite délinquance on va dire, voilà on va dire les choses autrement. Et incivilité ? Incivilité c’est injures, crachats, sur personnes là pour le coup. C’est ça qui nous était signalé, c’est. Mais il n’y avait pas que ça aussi qui nous avait été signalé, il y avait aussi des, des comportements qui étaient dits dangereux on va dire ça comme ça je sais pas comment le dire autrement : c’est une gamine de 14 ans qu’on soupçonnait de se prostituer c’était, bon. Alors moi je sais pas si, bon. Quand c’est du dire c’est un peu compliqué quand même de, de, de le, de le classer si tu veux dans, dans, dans les ordres de crime/délit ; c’était. Après t’as, elle parlait de, de comportement caractériel, enfin de troubles caractériels, de voilà, de jeunes qui, alors on parle comme dans l’urbain quand même de plus en plus de, comment, d’hyperactivité, de... C'est-à-dire ? Quand on sait pas identifier l’agressivité des jeunes etc etc on parlera de, aujourd’hui de, d’hyperactivité il faut mettre un mot pour signifier qu’on est complètement dépassé par ce que peuvent dire aujourd’hui les jeunes et ce que peuvent, la façon dont ils peuvent réagir et la façon dont ils peuvent montrer une forte agressivité, c’est vrai que nous on a assisté à quelques épisodes pas tristes entre les jeunes et les adultes c’est les injures, les, enfin bon. Et les jeunes n’ont rien a envier aux adultes dans ces cas là quoi. Avant c’était réciproque ? 93 Ah ouais ouais. Incivilité c’était, ben ce fameux abribus là avec croix gammées avec, incivilité crime, puisqu’on pensait à un crime même donc nous on est obligé de le dire aux jeunes aussi que, que c’est un crime que de faire ça. Et ça aussi quand même je sais pas si c’est une particularité du rural ça je m’avancerais pas mais j’ai le sentiment que quand même que les jeunes tout ça s’est banalisé aussi en rural quoi, c’est. La croix gammée, elle n’est pas forcément acceptée par tous les jeunes et même par ceux qui l’acceptent pas oh c’est un acte, bon c’est pas grave quoi. Donc ça aussi. Nous on fait, enfin on leur dit, quel est leur droit et quel est, que c’est pas anodin c’est pas la même chose que d’écrire putain par exemple, voilà. Je reviendrais peut être avec Christine sur une précision, donc on va essayer d’aborder un autre point qu’est-ce que vous tirez vous comme bilan global de cette action enfin même si c’est un bilan provisoire parce ce qu’est pas terminé ? C’est de l’action sur du long terme, faut pas, parce que, bon, parallèlement à BLAMONT, il y a une démarche qui s’appelle le contrat jeunesse et territoire tu connais un peu ou pas ? Non ? C’est en fait une volonté du Conseil Général de faire en sorte que tous les jeunes y compris en milieu rural puissent avoir accès à des services et des biens des droits communs. Donc accès au sport, à la culture, etc, donc pour essayer de développer ça en milieu rural ils ont mis à la disposition des fédérations d’éducation populaire à la fois de l’argent pour mener des actions et à la fois des animateurs de proximité. Donc ça s’adresse à tous, tous les jeunes d’un territoire pour mener des activités sportives, de loisirs, culturelles, etc. donc sur ce territoire là il y a le contrat jeunesse et territoire le CJT qui fait des propositions alors c’est des propositions classiques, CLSH, centre de loisirs ados des trucs, un peu un peu classiques, et donc là où on a vu, c’est le dernier où on a fait un très gros boulot c’est de faire se rencontrer les jeunes qu’on rencontrait nous, avec les jeunes, en tous cas avec les animateurs dans un premier temps pour qu’ils rencontrent les jeunes du CJT c’est pas tout à fait les mêmes jeunes et donc nous notre souci c’était quand même bien ça, bien de faire en sorte que ces jeunes puissent intégrer aussi les choses de droit commun mais qu’en les intégrant il puisse aussi avoir une autre façon de voir les choses une autre façon de faire, c'est-à-dire qu’on a beaucoup bossé avec les jeunes sur l’aide au projet, quand ils ont un projet ça passe par une phase de maturation, ça passe par, c’est la dynamique du projet classique, ça passe par la recherche de, de, c’est eux qui montent leur projet de A à Z, les jeunes. Et donc l’idée c’est que ils puissent aller faire des propositions aux, aux animateurs du CJT en termes de vacances, en terme de loisirs, en termes, bon. Et là c’est dont on se rend compte c’est que cette année pour la première fois le CJT s’est complètement et ouvert aux jeunes et travailler avec eux sur 94 l’organisation même des activités qu’il leur proposait et que du coup, les jeunes qu’on voyait nous sont complètement parties prenantes de, ben de l’élaboration même des projets qui peuvent se monter dans ce cadre là. Donc cette année ça se traduit par, ils montent ensemble avec les animateurs et avec les jeunes du CJT, ouvert à tous les jeunes là pour le coup, y a une, bon une semaine de vacances complètes qui sont organisées par les jeunes avec les animateurs, ça c’est, c’est vraiment un changement. Jusqu’alors, les animateurs, bon étaient pas du tout du tout engagés dans cette logique là pour eux c’est vraiment une modification radicale. Habituellement on profitait de l’occasion en disant que c’était pas normal que les jeunes du rural ne bénéficient pas des mêmes services que les jeunes du milieu urbain et donc c’était plutôt vacances un peu de rêves à l’île d’Oléron, bon, on faisait trois activités par jour qui coûtaient un fric monstre, bon. Pour eux s’ouvrir à une autre façon de concevoir les vacances, c’était quand même pas gagné. Donc y a ça, y a le fait, y a, y a, ils intègrent dans leur truc des chantiers éducatifs comme contrepartie de, y a une semaine équestre par exemple contrepartie sur la logique des contreparties ouvert à tous c’est-à-dire c’est pas il n’y aura pas des loisirs jeunes pauvres et des loisirs jeunes riches, les riches pourront payer plein pot et les pauvres faire des chantiers, ils ont intégré ça dans leur organisation du CLS enfin pas du CLSH mais le centre de loisirs ados fonctionne comme ça sur des logiques de contrepartie qui permettent de baisser les coûts et qui permet donc à tout le monde d’avoir accès à ça. Voilà, voilà comment ça se traduit si tu veux les évolutions, c’est que les jeunes vont négocier les projets avec d’autres que nous et ça marche. Et vous en termes de relation avec la commune ? Elles étaient pas trop mauvaises et là les élus se sentent un peu dépossédés de quelque chose alors là on comprend pas bien parce que ça vient de se passer c’est un peu compliqué. C’est-àdire qu’on sent un peu un repli sur soi de la commune, tu verras avec Christine si elle, si elle analyse mais bon. Les communes rurales c’est quand même leur esprit militant, etc. que je te disais tout à l’heure ça crée un inconvénient de face c’est que les gens du secteur éducation populaire accèdent à des responsabilités d’élus ils quittent l’éducation populaire, enfin ils quittent concrètement, ils n’adhèrent plus aux associations et on se rend compte systématiquement que y a des conflits entre les fédérations enfin les associations d’éducation populaire et une municipalité. Et là donc on a énormément travaillé avec la MJC pour que la MJC s’ouvre sur d’autres façons de voir leurs rapports aux jeunes, etc. et que, je pense, là aussi faudra, j’ai pas échangé avec Christine là dessus, mais je pense il y a un côté un peu inévitable tu vois de conflits entre des élus qui sont représentatifs théoriquement d’une 95 population et des élus associatifs qui défendent des conceptions des idées, bon, et que bon on est classé du côté, enfin, comme si on devait choisir, notre camp quoi alors que jusqu’alors on a essayé de ménager tout ça, parce que on connaît ses difficultés là, donc on a essayé de faire en sorte que l’un n’exclut pas l’autre quoi, et on a travaillé et avec les élus, toujours avec les élus de toute façon et avec le secteur associatif et là je sens que y a des projets qui ont été refusés par la municipalité, on ne comprend absolument pas pourquoi où il n’y a aucune rationalité dans ce qu’ils nous renvoient et l’argument c’est oui mais on a subventionné la MJC déjà gracieusement ; nous on n’est pas MJC quoi voilà. Avant de commencer le projet vous aviez des, des différents sur les conceptions justement de travail, de conception d’intervention sur ces jeunes là ? Entre qui et qui ? Entre, entre l’équipe et puis BLAMONT. Forcément. Ouais ? Oui, oui, ben oui alors ce qui a de marrant c’est que ils ne voyaient absolument pas ce qu’on pourrait faire avec des jeunes en les rencontrant dans la rue par exemple, seulement. Bon, c’est-à-dire des différents c’était pas, c’était pas des différents c’était plutôt des fortes interrogations on ne comprenait absolument pas du tout les façons de voir et de faire de la prévention spécialisée. C’est pour ça que je te dis que c’était surtout un rapport de confiance qu’il fallait établir. On demandait pas avant qu’on y aille on leur demandait pas de, de, de comprendre comment on travaillait. C’est difficile quand même d’expliquer pour des gens qui n’ont jamais connu la prévention spécialisée notre méthode d’approche et notre, c’est très très compliqué. Est-ce que vous en suggérerez une ? Ah oui oui, oui, ben oui pour eux c’était il faut les occuper enfin comme dans, comme dans l’urbain, si on occupait les jeunes y aurait plus de problèmes. Oui il fallait trouver le moyen de les occuper. D’accord. 96 Donc en plus on était à la fois animateur du coup pour eux et à la fois éducateur donc on savait mieux que les adultes du territoire comment aborder ces jeunes mais ça ça ne diffère pas je l’accorde. Ca reste longtemps ? Avant qu’on intervienne sur un territoire c’est très souvent la façon dont on voit notre intervention D’accord. Ça que ça soit à LUNEVILLE ou que ça soit à BLAMONT c’est pareil quoi sauf qu’à BLAMONT c’est presque plus clair ils nous le disent eux. Donc du coup on peut en discuter avec eux ; en disant on intervient pas comme ça faites nous confiance et on refera le point avec vous, s’engager par contre, sur, sur les rencontres régulières qui permettent de faire le point sur les projets, comment ils avancent, sur LUNEVILLE c’est plus compliqué. Ok, on arrive à la fin du temps, est-ce que tu vois quelque chose à ajouter ? Non, pas pour l’instant. Par contre, je reste à ta disposition, si tu souhaites des éléments complémentaires. Entretien n°2 Voilà est-ce que tu peux me dire un peu comment ça a démarré votre projet sur la commune de Blamont, à partir de quoi ? Je vais repartir sur le lunévillois en quelques phrases sur la manière dont on a abordé les choses. Moi je suis arrivée en 98, à cette époque là on était encore équipe de quartier, de ville, de LUNEVILLE. Donc il y a eu la territorialisation en 98, il y a eu une équipe par territoire de prévention donc autant d’équipes que de territoires c’est le département qui a choisi ça. Et en même temps il y a eu la mise en place des contrats de territoire par le département. Le contrat de territoire c’est un dispositif type contrat de ville pour aider le rural à développer des actions d’animations au niveau de l’adolescent. L’objectif, alors, c’était un dispositif qui était porté par les associations d’éducation populaire et qui doit permettre de mettre autour de la table tous les partenaires pour qu’ils élaborent un diagnostic par rapport à la jeunesse et pour qu’ils mettent en place un projet jeunesse. Le Conseil Général donnait des moyens : 97 animateurs, emploi jeunes, enfin il permettait l’embauche, et 50 000 Francs à l’époque pour des actions vis-à-vis des jeunes pour ce projet jeunesse. Donc ça a été une opportunité pour l’équipe de prévention, repérée comme équipe travaillant avec des jeunes sur le lunévillois parce qu’on a été invitée dans toutes les réunions de diagnostic là où se mettait en place un contrat de territoire où les gens se rassemblaient pour parler de la jeunesse. Ils invitaient le TAMS et le TAMS nous relayait l’information et donc c’est nous qui participions. A partir de ce moment là on a pu se faire repérer comme... Sur tout le territoire avant c’était que sur LUNEVILLE. C’est ça qui a changé après 98. On a pu se faire repérer comme des gens susceptibles d’aller voir les jeunes en difficultés, de faire des choses avec et, de faire remonter ces besoins et de faire le lien un petit peu entre adultes et jeunes. Je crois que notre équipe utilise un outil qu’on appelle entre guillemets « la bourse aux projets » parce que c’est pas une bourse ; qui permet, enfin on essaie de mettre en place un, des groupe de travail sur les secteur ou on intervient, de voir qui est sensible aux problèmes de la jeunesse et de mettre en place ce qu’on appelle une commission avec quelques moyens pour permettre à des jeunes qui vont faire des projets ponctuels comme ça de partir. Pour permettre de mouiller le tissus local aussi dans les actions jeunesse. Alors voilà ça c’est un peu notre outil qui se développe différemment selon les territoires. Sur le lunévillois 164 communes, 2 grosses communautés de communes pour l’instant qui fonctionnent avec des animateurs : c’est BLAINVILLE et LA VEZOUZE/BLAMONT et puis il y a BADONVILLERS une petite communauté de communes, il y a CIREY SUR VEZOUZE, il y a BACCARAT il y a plein de petites, on travaille avec des entités un petit peu comme ça parce que on peut pas intervenir partout. On travaille avec quelques conditions aussi. Je dirais on participe aux instances de réflexions et on avance toujours en disant voilà on mettra en place des choses avec vous si vous êtes partants, si vous mettez des moyens. Mais pas question que... parce que nous on n’est pas d’ici et on ne sera là que ponctuellement. La chance qu’on a dans le rural par rapport à l’urbain c’est que il y a des associations, il y a un tissu local dynamique et qu’on peut s’appuyer dessus même si on parle de perte de bénévolat n’empêche que il y a des gens, il y a des habitants avec lesquels on peut travailler. Et la crainte que j’avais moi quand il y a eu ces contrats de territoire c’est que ça devienne comme des contrats de ville c'est-à-dire que ce soit une manne financière qui ne permette pas d’aboutir à un projet jeunesse. On travaille avec quelques conditions aussi. Je dirais on participe aux instances de réflexions et on avance 98 toujours en disant voilà on mettra en place des choses avec vous si vous êtes partants, si vous mettez des moyens. Mais pas question que... parce que nous on n’est pas d’ici et on ne sera là que ponctuellement. La chance qu’on a dans le rural par rapport à l’urbain c’est que il y a des associations, il y a un tissu local dynamique et qu’on peut s’appuyer dessus même si on parle de perte de bénévolat n’empêche que il y a des gens, il y a des habitants avec lesquels on peut travailler. Et la crainte que j’avais moi quand il y a eu ces contrats de territoire c’est que ça devienne comme des contrats de ville c'est-à-dire que ce soit une manne financière qui ne permette pas d’aboutir à un projet jeunesse. On travaille avec quelques conditions aussi. Je dirais on participe aux instances de réflexions et on avance toujours en disant voilà on mettra en place des choses avec vous si vous êtes partants, si vous mettez des moyens. Mais pas question que parce que nous on n’est pas d’ici et on ne sera là que ponctuellement. Comme ça pour participer et puis pour parler des choses qu’on peut faire avec les jeunes pour dire voilà on peut… On a été sollicitée l’équipe pour participer à des projets avec le collège alors moi je n’étais pas d’accord pour, avec les délégués de classe du collège donc je ne suis pas rentrée dans ce projet là parce que il y avait des animateurs et qu’il n’y avait pas besoin d’éducateurs pour faire de l’animation je pense que là c’est très différent. Par contre pendant six mois un an avec les élus dans les réunions où je participais je parlais de la bourse aux projets, des jeunes, j’essayais de savoir s’il y avait des jeunes qui étaient en marge, j’essayais de, de sonder un petit peu les gens. Et puis pour organiser le contrat de territoire, l’animateur, avec lequel aussi on discutait, a mis en place de soirées de réflexions, auxquelles j’ai participé, pour savoir ce qui allait pour les jeunes, ce qu’on avait envie de faire, et tout. Et de ce travail, a émergé un groupe de prévention. Alors c’est pas un CLSPD, c’est pas un truc comme ça. C’est en fait un groupe, j’en ai mis... c’est un groupe qui rassemble des gens qui sont préoccupés par des jeunes qu’ils voient en marge, qui ont envie que ça s’arrange pour des jeunes qui vont pas bien. Dans ce groupe là, il y a des associations, il y a, il y a… des assistantes sociales de temps en temps, il y a des animateurs du contrat jeunesse et territoire qui a été signé et puis, et puis il y a nous. Dans ce groupe là on aborde, on a abordé la définition, ce qu’on entendait par prévention parce que c’est pas parce que ça s’appelle prévention que c’est notre propriété quoi ; c’est, c’est un travail collectif, on va ensemble donc, donc voilà. Ce qui a été abordé dans ce groupe là c’est qu’est-ce que c’est que la prévention alors c’est la toxicomanie ; enfin c’est ce qu’on entend partout, les dépendances, alcool, machin, c’est aussi les problèmes de relation 99 parents/enfants, c’est, c’est le manque d’information, c’est, c’est… la…, l’échec scolaire, c’est l’arrêt un peu prématuré des études, les grossesses adolescentes. Pour nous, pour les gens de ce groupe là, tout ça c’était important à travailler. Donc on a décidé de travailler dans différentes directions et petit à petit de mettre en place des choses ensembles. Donc on a travaillé en direction des familles avec des conférences sur, sur la parentalité sur … voilà. Et tout le monde, on a mis en place des plaquettes d’informations pour les jeunes de, de ce qui peut exister, de, pour eux, de, voilà. Il y a aussi toute une forme de prévention un petit peu générale comme on dit, c’est tout ce qui est actions socio- éducatives mises en place par le contrat jeunesse et territoire et puis voilà. Donc au sein de ce groupe là, il y a pas mal de choses qui se disent et c’est dans ce groupe là qu’on a été un peu sollicité, enfin, on n’a pas été sollicité. Dans ce groupe a émergé une demande de, d’une présidente d’association de BLAMONT, d’une, d’une, d’une grosse commune, qui disait « moi j’ai un foyer, j’ai des bénévoles qui s’épuisent parce que on a plein plein de jeunes, plein de jeunes qui vont pas bien, qui d’ici quelques années vont vraiment poser des problèmes, on ne sait pas comment faire avec, voilà, je demande de l’aide ». Et alors bon hein sur des communes comme ça c’est aussi oui mais on va pas tout mettre sur BLAMONT, il y a les autres, donc du coup on met rien sur BLAMONT. Moi je suis revenue avec ça, au niveau de l’équipe et je leur ai demandé, je pensais que ça relevait vraiment de notre..., et on a décidé de mettre des moyens importants en disant bon, ça va être un angle d’attaque pour nous sur ce territoire concrètement quoi. Parce que jusque là on essaie de faire avancer les idées de prévention, on a mis en place des conférences, on a aidé à mettre en place, on a, on a participé mais maintenant, c’est vrai qu’il faut aussi qu’on, qu’on travaille avec les jeunes parce que là il y a une demande de prévention. Alors on a proposé de les rencontrer en disant écoutez, nous on les rencontre le projet c’était ça, on les rencontre on essaie de faire des choses avec, de, de voir comment on peut construire, on travaille avec vous bénévoles ou animateurs pour, pour, mais dans une démarche de projet avec les jeunes c’est-à-dire qu’on construit tout avec eux, et puis on essaie de mouiller un petit peu tout le monde. Donc avec Isabelle on est allées, toutes les semaines parce que, le pari aussi c’est que, enfin on se rend compte avec la pratique que c’est la régularité qui fait que on arrive à construire des choses, si on va voir les jeunes une fois par mois c’est pas possible. Sur le rural ce qui est compliqué c’est qu’il y a beaucoup de distance quoi, pour aller à BLAMONT il y a quand même 35 bornes de LUNEVILLE donc, donc voilà quoi. Donc, là moi cette semaine j’y vais trois fois, la semaine prochaine pareil ; et tous les mercredis j’y 100 suis quoi. Bon avec Isabelle, on y allait, on approchait les jeunes, voilà, on en avait 1, des fois on en avait 5, des fois on en avait 10 le coup d’après on en avait 0 enfin bon. Quels jeunes t’approchais ? Alors des jeunes qui tournaient autour des foyers, qui étaient dehors ; on allait faire le tour de l’étang, de BLAMONT, on allait, voilà, on allait sous l’abri bus, on continue hein. Donc voilà, c’était... il y en a quelques uns qui adhèrent à la MJC et puis, et puis voilà. Donc on a, on est parti sur l’idée, on va construire un projet avec vous, vous faites un groupe, s’il y en a qui ont envie, vous faites un groupe. Puis alors il y a quelques… - enfin grands – non non pas des grands, mais de 15 ans, des jeunes de 15/16 ans qui ont dit on irait bien à PARIS. Donc on a commencé à bosser sur un projet mais le groupe ils étaient 15 quoi ; donc j’ai dis aux collègues qu’est-ce qu’on fait, alors Isabelle intervenant aussi sur le secteur, on a dit on fait 2 groupes quoi, avec des bénévoles. On a fait, on a bossé donc sur le projet, les jeunes ont construit, on revient ici avec eux, on fait des recherches, on a fait, on a, donc on a calculé le budget, on a fait de, de l’ensachage pour se payer une partie et puis il y avait un festival en parallèle sur le secteur ou à un moment il y avait le festival Convergence, c’est scène et territoire enfin c’est, qui présentait tous ces spectacles là, sur BLAMONT ça tombait bien et donc nous, on a fait tout un travail aussi auprès des associations pour dire il faut intégrer les jeunes dans ce, dans ce moment fort de, associatifs, il faut essayer d’intégrer ces jeunes là, on les accompagnera en donnant des garanties comme quoi ça, ça… on serait là et que on garantissait tant que faire se peut que ça se passe bien. Donc on a, on a réussi à négocier ça, les jeunes ont intégré un petit peu ce grand collectif de bénévoles, ça s’est super bien passé, ils ont bossé comme des fous, ils ont aidé tout le monde, on a tenu une sandwicherie pour se payer, on n’a pas gagné grand-chose mais ils ont été repérés, ils ont été reconnus par les élus par tout ça ; et pour compléter donc le budget de ce projet, on a, on a demandé à ce que les jeunes rencontrent une commission parce que, ils ont fait une demande de bourse à la mairie et au contrat jeunesse et territoires. Donc les élus, élus associations ont rencontré ce groupe de, enfin ces groupes de jeunes qui ont présenté leur projet. Madame ROCHE, le maire de BLAMONT leur a demandé de faire une contrepartie… pour la commune parce que elle pense que c’est important qu’ils participent aussi pour la commune. Donc, voilà le type de projet, le type de lien qu’on essaie de faire, chaque fois qu’on peut, on va voir les parents, enfin, moi je vais voir les parents systématiquement dès que j’engage un projet et il y a des familles qui faut vraiment relancer, relancer parfois c’est, c’est…c’est compliqué, il y a vraiment des familles très pauvres, des familles, il y a des jeunes filles là 101 qui… suite à ça j’ai reçu un projet avec d’autres jeunes, que je voulais…, que j’avais repérés. Alors que j’ai repérés, que, que la mairie a repérés que, dont j’ai entendu parler un peu partout… Et repérés comment ? Et bien repérés dans des communes comme ça, tout le monde connaît un peu tout le monde. Le Maire, enfin Madame ROCHE voit par exemple des jeunes qui dégradent alors elle ce qu’elle fait, c’est, elle le fait, elle les convoque avec leurs familles et ça on en a discuté avec en disant c’est au dessus de la prévention, ils font une, une, ils font une bêtise… et nous on est quand même toujours un peu sensibles au jeunes en marge. Alors les associations en parlent des fois dans le groupe prévention en disant « écoutez il y en a quelques uns là qui zonent, qui tournent, on sait pas trop, il y en a autour de l’abri bus là… alors on va voir et puis on voit si on peut construire un projet de prévention. Nous on garde toujours notre spécificité, projet de groupe, il faut construire avec le local, il faut qu’il y ait des bénévoles qui participent avec nous et qui… Donc, suite au projet PARIS, il y a 2 jeunes qui repartaient, qui voulaient repartir sur un truc, il y en a qui avaient été sur la touche et, et ça fait un peu boule de neige. Et moi il y en a qui avaient repéré, qui avaient un peu près le même âge, repérés de cette manière là parce que j’en ai entendu parler, parce que je les ai vus, parce que je les ai, il y en a dans ce groupe là je les ai amenés une fois, j’ai fait une sortie ou deux l’été dernier dans la phase de sensibilisation où c’est des jeunes qui, qui sont fuyants, toujours fuyants et dont j’entends parler de tous les côtés et dont j’entends parler aussi parce que des fois le Principal du collège vient aussi et c’est des jeunes qui sont en rupture avec l’école c’est des jeunes filles qui sont, qui, on craint qu’elles soient, qu’elles aient, on pense qu’elles ont vraiment besoin d’informations sur la sexualité parce qu’elles ont des rapports avec des garçons et que tout ça se fait en cachette de familles et on le sait, tout ce sait dans, dans ce genre de commune hein, c’est pas NANCY c’est pas les gros quartiers. Donc moi j’ai repéré, j’ai essayé de, de, tout le travail d’approche d’une équipe de prévention quoi : on y va, on revient, on va là, on va discuter, on essaie de voir ce qu’ils ont envie de faire, ce qu’ils aimeraient faire, ce qui les intéressent et puis essayer de faire en sorte que, voilà, qu’ils viennent avec des jeunes un petit peu comme eux, et, voilà. Pour moi, j’ai toujours fonctionné comme ça même sur les quartiers quoi. Le groupe prévention il a été constitué comment ? 102 Alors le groupe prévention c’est, à partir des réunions d’animation sur LA VEZOUZE, Olivier TORNURE, l’ancien animateur de la communauté de communes réunissait toutes les associations, et pour faire un peu son diagnostic, enfin une de ses manières c’était de se dire « tous les partenaires sont là, on va bosser sur les problèmes de la jeunesse ; qu’est-ce que les gens perçoivent de la jeunesse ; qu’est ce qu’ils pensent qu’il faudrait mettre en place » voilà. Et donc à partir de là, moi j’y allais et je ramais toujours dans le même sens et j’essayais d’aller voir les gens un petit peu en leur expliquant comment on travaillait et j’ai fait un petit peu un travail aussi de sensibilisation à ce niveau là quoi, au sein de ce groupe. Tu dis tu ramais, c’était pas facile ? Et bien c’est pas facile parce que je pense que, pour mettre des trucs en place au niveau de la jeunesse en général, c’est bon, mais beaucoup d’associations font leur soirée, enfin elles sont dynamiques sur LA VEZOUZE mais il faut les pousser un petit peu, c’est un sacré boulot pour des associations que de bosser avec des jeunes, notamment en marge. Beaucoup font leur soirée choucroute, leur soirée loto, leur soirée machin, surtout les… et là je voyais qu’il y avait quelques personnes qui étaient sensibles. Alors sensibles et qui avaient envie que ça, qu’on avance au niveau des jeunes, c’est ces gens là que j’ai été voir, c’est ces gens là que j’ai, avec lesquels j’ai beaucoup discuté, avec les autres associations j’étais dans une, plutôt dans d’autres dynamiques, je pense qu’on peut bosser avec tout le monde quasiment mais c’est dire essayer d’intégrer les jeunes dans, dans, quand vous faites une manifestation pour une contrepartie par exemple ou la contrepartie on essaie de voir pour qu’il y ait un financement au niveau local ou dans le contrat territoire ou dans, qui est, qui est, où la je viens de négocier avec le fonds d’initiative citoyenne de jeunesse et sport un financement enfin, on a envoyé le projet avec Michel la semaine dernière enfin il y a 15 jours et ils vont avoir 400 € de Jeunesse et Sport mais là je vais les faire bosser 3 jours sur un grand jeu avec les jeunes des écoles, avec. Donc l’idée c’est toujours de dire aux associations locales, intégrer les jeunes, il faut qu’ils voient ce qu’il y a autour d’eux, qu’ils sachent qu’il y a des adultes qui font des trucs, qui peuvent les aider aussi, avec lesquels on peut construire des choses, que c’est intéressant d’être dans des associations, de participer à la vie locale, voilà tout cet aspect là et même les jeunes en difficulté, je trouve que pour Convergence ça a été vraiment ça a été vraiment intéressant parce que tout le monde s’est rendu compte que ça pouvait marcher quoi. D’accord. Il y a un aspect qui m’intéresse plus particulièrement au vu de ce que tu me dis, c’est un peu les coopérations que vous avez établies dans le cadre de ce groupe parce que j’imagine que étant donné que tu le dis à un moment, il y a des dégradations et puis 103 des difficultés ; il y a des interrogations, et puis il y a aussi des points de vue différents sur les problèmes de la jeunesse et puis les manières de le traiter. Est-ce que tu peux me dire comment tout ça s’est un peu organisé ? Moi je crois que j’essaie d’être au plus clair hein, je, quand on nous parle de jeune qui ont des difficultés, on dit on veut bien travailler, mais nous on ne bradera pas notre mandat on ne bradera pas la prévention. C’est-à-dire que les jeunes peuvent venir, vous pouvez leur dire qu’on fait des choses à partir du foyer, qu’ils nous trouverons là, c’est un peu notre, notre PC quoi notre Point Central, et à partir de ce foyer, on va tourner, on va aller se balader, on va et si il y a des jeunes là et bien on fait avec, on bosse sur un projet mais on ne bradera pas c’està-dire que on a, on n’est pas des gendarmes, on n’est pas dans la répression, les jeunes ils adhérent ou ils adhèrent pas. Si ils adhèrent c’est bien on va construire avec eux, si ils adhèrent pas et bien on pourra pas les obliger voilà. Il a fallu négocier sur ça ? Non. Je te dis. C’est dit. Moi je le dit, j’annonce toujours la couleur. J’ai rencontré le maire encore la semaine dernière parce que on lui a demandé avec les jeunes on a fait une demande de subvention. Elle me dit « vous m’avez pris de court et tout vous auriez du m’en parler avant » ; on a rediscuté de, donc par exemple elle dit « moi ça m’intéresserais de mettre en place un conseil de jeunes » bien je lui dis « moi je peux informer les jeunes que vous voulez les rencontrer, vous me dites quand, j’irais les voir, je discuterais avec eux je les rencontre », et puis après c’est pas mon affaire quoi c’est à la commune de mettre quelqu’un, moi je suis pas animatrice d’un conseil de jeunes quoi c’est clair. Donc tout ça je dis tout le temps vous savez nous on met en place des petites choses, on fait des paris, on fait le pari qu’en mettant un maximum de choses en place pour les jeunes et bien ils ont moins de chance de, de enfin plus ils auront des adultes référents entre guillemets des gens avec lesquels ils pourront communiquer et plus il y a des chances que ça se passe bien pour eux. C’est un pari maintenant on n’a pas la science infuse on ne réglera pas forcément tous les problèmes et par contre par rapport à des jeunes qui sont, qui font des, bêtises, et bien on peut essayer de les approcher, on va essayer, moi ça m’inquiète aussi hein, quand je vois des jeunes filles comme ça, ça m’inquiète je vais essayer d’aller les voir, de, de négocier un projet de prévention avec elles et avec elles. Elles adhérent c’est bien, elles adhèrent pas ben peut être que je réessaierai autrement ou un peu plus tard mais en tout cas je n’irai pas, on ne peut pas obliger, et il n’est pas question que qui que ce soit oblige à venir en prévention, on est dans la libre adhésion dans le non mandat et ça c’est clair quoi. Même si à d’autres moments, on sait par exemple et 104 on peut se permettre parce que dans le rural les relations sont plus, plus franches, tout le monde se connaît donc, et c’est compliqué même d’être dans l’anonymat dans le rural. A des moments par exemple, on apprend que des jeunes ont dégradé le cinéma et que la police est venue. Et donc dans le groupe prévention on va se ressaisir de ça pour dire ben peut-être que c’est vrai que dans un premier temps ça serait bien que vous, le maire les rencontre ces jeunes et puis les fasse réparer ce qu’ils ont fait, rencontre les parents pour les mettre en face de leurs responsabilités, et voilà. Et ça c’est aussi de la prévention mais c’est pas de notre ressort, chacun son boulot quoi, chacun son boulot. Nous on va peut être bosser avec ces jeunes là sur des projets de loisirs, on va peut être bosser avec ces jeunes là sur, quand ils vont venir après quand on est ici, quand ils viennent à l’école sur LUNEVILLE ils vont passer nous voir, on va papoter, on va, on, va emmener les gamines au planning, on va, on va refaire un autre type de projet. Mais ça, ça regarde les jeunes et nous quoi. Est-ce que c’est clair pour les autres ? En tout cas c’est ce qu’on... je pense, j’ai mis, avant d’intervenir sur le secteur, et je crois que ça c’est important, les choses elles étaient, elles étaient dites quoi. Quand j’écris un truc c’est voilà comment moi je me situe ; voilà la fiche action, les partenaires, voilà, souvent j’écris les rôles et la place de la prévention. Parce que, et si il y a un souci, le maire de BLAMONT était pas contente l’autre jour. Je téléphone je lui dit écoutez on va se voir, on va en discuter en tous cas voilà. Et je lui ai répété n’attendez pas de nous qu’on règle les problèmes. C’est ce qu’elle attend… ? Non, non, mais je... là aussi je fais de la prévention c’est que je la préviens que, on va essayer de travailler avec ces jeunes là, on va essayer de voir avec ces jeunes filles là qui vont pas bien, de leur donner peut-être d’autres perspectives, mais on, est quoi ? Je lui explique, on est un grain de sable, il y a leurs familles, les parents ne donnent pas forcément de cadre, nous qu’est-ce qu’on représente quoi ? A un moment on peut être quelqu’un qui amène quelque chose, on peut espérer ça, en tous cas. Vous, vous allez rencontrer les jeunes de BLAMONT, vous allez leur proposer de faire partie d’une commission peut-être qu’ils vont s’apercevoir par ailleurs que ben il y a des femmes qui peuvent être maires, qu’il y a des femmes qui peuvent s’investir dans la politique, que les jeunes filles là elles peuvent peut être organiser quelque chose sur la commune, voilà, ça c’est et je dis tous ensemble si on arrive à mettre en place des choses chacun avec nos compétences et notre mission, on peut se dire que ça 105 favorisera peut-être moins de marginalisation voilà. Mais c’est tout ce qu’on peut dire, c’est des paris… A chaque fois je leur dis c’est des paris qu’on fait… Mais d’après toi ils attendraient quoi de, de la prévention spécialisée ? Qu’est-ce qu’ils attendaient de vous sur ce… ? Ils attendaient rien, je suis arrivée, ils attendaient rien. J’ai des collègues qui avaient bossé un petit peu dans le conseil de jeunes et j’ai mis un an avant de cadrer mon intervention, de la négocier. Je pars du principe que on a intérêt à négocier les choses avant et à les écrire. Sur BADONVILLERS j’ai fait pareil, j’ai tout négocié avant en comité de pilotage en disant voilà qui je suis, d’où je viens, ma spécificité, voilà ce que je peux faire, je peux faire une bourse aux projets, je peux essayer de connaître les jeunes, quelques jeunes hein, essayer de construire des choses avec et puis voilà. Après on travaille ensemble sur, parce que nous on travaille dans la bourse aux projets on travaille sur, plutôt sur une démarche de projet avec les jeunes. Après il faut que ce type d’animation soit repris par l’animateur donc j’avais tout cadré, tout collé en disant voilà l’échéance. L’animateur est pas arrivé dans les temps donc j’ai dis on reporte, jusqu’à son arrivée, on passera le relais mais en tous cas voilà. Après nous ce qui nous intéresse et je l’avais écris c’est les jeunes qui n’adhèrent pas au dispositif de droit commun. Donc c’est un gros projet sur la communauté de communes de LA VEZOUZE c’est qu’ils ont, ils ont, ils ont 2 animateurs du contrat jeunesse et territoire ils ont un gros truc l’été pour les jeunes et l’idée c’était il faut que ces jeunes en marge, ces jeunes qui n’adhèrent pas, ces jeunes qui tournent autour du foyer, qui zonent tout l’été, adhèrent. Donc là le projet que j’ai mis en place en juillet c’était avec eux, avec les animateurs. Il y a un animateur qui est venu et puis il y a un autre projet dans le cadre du CJT qu’on a mis en place ensemble avec un animateur en se disant on va construire ensemble et puis si, si vous êtes un petit peu inquiet par rapport à ces jeunes qu’on va accompagner ponctuellement et puis vous verrez bien que c’est pas sorcier quoi. Et puis voilà. Et c’est amener les jeunes aussi, les accompagner parce que pour qu’ils s’inscrivent avec les bons CAF et tout c’est toujours aussi compliqué, aller voir les parents, donc on est dans cet accompagnement vers une structure de droit commun de loisirs. On va chercher les gamins et on les ramène et je pense que ça c’est de la prévention quoi. 106 Oui mais tu parles de négocier donc j’imagine que dans une négociation on est 2 et il y a des termes différents, est-ce que tu peux me dire quels étaient les termes de cette négociation ? Ben je dirai que eux ils ont leur mission, leur boulot aux animateurs du contrat jeunesse et territoire c’est de mettre en place des choses pour un maximum de jeunes du secteur. Voilà ça c’est de mettre en place du loisir, de mettre en place des activités éducatives, de mettre en place, voilà, de mettre en place le projet jeunesse qui a été négocié dans un comité de pilotage auquel je participe avec des élus dans lequel les gens, les élus du secteur disent voilà nous ce qu’on veut pour nos jeunes et on y arrive hein. En 3 ans de temps je trouve qu’il y a eu une avancée phénoménale. Les gens disent ben voilà ça, ça va pas et on fait remonter ben oui mais à BLAMONT il y a plein de jeunes qui ne sont pas pris en compte par le contrat jeunesse et territoire et il faudrait soit qu’il y ait un animateur qui y ailles parce que nous on n’est pas animateur, soit qu’il y ait… donc ça on le fait au niveau politique je dirais, politique jeunesse… Moi je négocie à ce niveau là et puis après, et puis après dans le concret avec des animateurs ben on dit voilà, comment on pourrait travailler pour amener ces jeunes sur, parce que c’est des jeunes de la communauté de communes, ils doivent être concernés donc comment on fait pour les amener, nous on est un plus à un moment donné pour vous aider, on viendra si on s’engage avec vous dans l’accompagnement de ces jeunes là, on viendra… Et on sera là et on amènera notre minibus et on a des moyens comme ça un petit peu pour, voilà. Mais avec le maire, ou Madame le maire comment, puisque là tu as parlé des animateurs avec Madame le maire… Les animateurs c’est la communauté de communes, les 30 communes. Donc c’est compliqué parce que le maire de BLAMONT elle aimerait bien qu’il y ait un peu plus d’animateurs sur sa commune comme la MJC de BLAMONT. Mais, mais le projet jeunesse c’est communauté de communes. Donc on essaie aussi de faire le lien entre les 2 en disant ben voilà on a rencontré le maire de BLAMONT les MJC en se disant comment on fait pour que le contrat de territoire, le comité de pilotage, en tous cas les élus prennent en compte ces jeunes en marge, fassent en sorte que les animateurs qui sont, qui sont là pour mettre en place le contrat de territoire se préoccupent des jeunes en marge, c’est pas leur boulot la prévention, les jeunes en difficultés mais on voudrait que ces jeunes adhèrent et donc on travaille au 2 niveaux quoi. 107 On travaille au niveau politique et c’est ce qui est intéressant dans le rural c’est qu’on est dans la négociation avec les élus sur le même projet on est dans plein de, on est avec les élus, avec les associations, avec les jeunes et voilà, et on travaille on essaie toujours d’aller dans le même sens et ça c’est hyper riche parce que, parce que voilà, parce que t’as plein de niveaux de travail différents et c’est franchement intéressant quoi. Oui. Alors tu disais tout à l’heure Madame ROCHE était, était pas contente… Ouais parce qu’on l’avait prévenu un peu tard. Faut ménager aussi, il faut les ménager aussi quoi. Parce que je pense que les élus qui se préoccupent des jeunes c’est pas monnaie courante. C’est pas, on voit bien dans les communauté de communes, c’est pas un secteur valorisant la jeunesse. C’est pas comme le développement économique ou des choses comme ça. D’ailleurs c’est pour ça je pense qu’on retrouve souvent des femmes quand on parle de jeunesse ou alors des gens qui sont vraiment militants, associatifs, convaincus et, ou un peu éducateur ou un peu voilà. Donc, voilà, c’est, c’est ils sont pas nombreux et je pense qu’il faut les ménager parce que on n’est pas dans la même logique, on n’est pas dans la même logique et on a besoin de souplesse nous avec les jeunes avec lesquels on travaille. Donc pour avoir… Eux sont dans une logique administrative. Par exemple quand on fait la demande avec les jeunes, mais, le problème c’est, par exemple ce groupe de jeunes avec lequel je travaille en ce moment il a fallu, il a fallu 3 mois pour qu’ils arrivent à écrire le projet initiative jeunesse, le projet. Donc il a fallu 3 mois pour ça et donc on a envoyé la demande il y a pas longtemps. Alors que le projet a lieu dans 15 jours mais ça fait 3 mois, 4 mois qu’on bosse dessus. Mais ils ont des difficultés quand même pour mettre tout ça en place, et donc on a envoyé très tardivement la demande. Et elle me dit « mais attendez mais vous vous rendez compte, j’ai le conseil municipal là, je peux pas faire voter ça et tout » et ben je lui dis et ben c’est tout, vous les rencontrez, vous leur dites. Vous leur dites que ça se passe comme ça dans une commune et que le temps était trop court. Voilà et la prochaine fois qu’ils feront un projet peut être avec nous ou sans nous et ben ils sauront qu’il faut prévoir 1 ou 2 mois avant, avant d’envoyer, pour faire une demande et pas attendre le dernier moment et je pense que ça ils sont capables de comprendre que il y a des temps différents, qu’il y a des logiques différentes et il faut leur expliquer. Et c’est vrai que nous c’est pareil quoi, moi je, pour moi c’était pas compliqué quoi c’était, je pensais pas qu’elle allait prendre ombrage. Bon en même temps on est au milieu de stratégies politiques parce que on se rend bien compte qu’entre les associations, les élus c’est un contre pouvoir local les associations bien souvent et nous on est un peu entre tout ça et on est, on veut être neutre, on veut rester neutre surtout. 108 Donc, voilà quoi, c’est, parfois, il y a des choses qui nous échappent, qui nous échappent pas vraiment mais dans lesquelles on veut pas rentrer quoi. Je vois bien où je travaille là, entre la MJC et la mairie je vois bien qu’il y a des conflits de pouvoir quoi, j’en ai entendu un petit peu parler et j’ai pas envie de m’en mêler ; je pense que pour faire avancer les choses faut vraiment rester neutre et je crois que les gens ont bien compris notre, notre neutralité et voilà quoi. Mais on est à des place un peu politiques enfin politiques on est au milieu d’enjeux politiques parfois quand même. Parce que on parle de politique jeunesse quand même. C’est des moyens, il y a des élus, le président de la communauté de communes des fois il est pas très content quand on demande des moyens pour telle commune ou, voilà. Il y a d’autres secteurs ou ils sont préoccupés par les jeunes et ils disent oui mais nous la prévention on a passé beaucoup de temps sur BLAMONT et ailleurs… on peut pas être partout. Donc voilà en tous cas, pour moi la prévention c’est, je suis toujours sur, sur la mission de départ ça fait 15 ans que j’y suis, c’est toujours la libre adhésion, le non mandat, c’est …. c’est ça l’essentiel quoi. Et ça c’est, j’en reviens à la même question hein… Est-ce que c’est accepté ? Est-ce que c’est accepté, est-ce que c’est clair ? Ben en tous cas moi je m’efforce de le clarifier alors après moi je sais pas si c’est accepté ou si c’est clair. En tous cas je crois que une de nos forces, c’est qu’on peut être des moyens donc on peut comme il y a pas 50 éducateurs, comme c’est pas, on peut, je pense que les gens nous ont repérés localement comme des moyens supplémentaires possibles. Donc ça c’est important et, et heureusement que la prévention n’est pas municipale je dirais parce que, ben parce que si on était municipalisés, et ben on serait plus, on n’aurait plus cette latitude qui nous permet de négocier notre intervention et de garder nos principes et je pense que on pourrait tout à fait nous dire, j’ai travaillé hein sur PULNOY, il y a 10 ans et le maire pouvait nous dire « allez voir ces jeunes là » et on disait non, non on ne va pas voir ces jeunes là ; on peut les voir, on peut faire des projets avec eux mais après ça, ça nous regarde quoi. Vous nous dites qu’il y a des jeunes qui ont des difficultés là on va essayer de les voir mais après il n’a pas à nous imposer quoi que ce soit. Donc voilà. Et je pense que il y a des éducateurs qui peuvent être tentés par ce genre de choses à partir du moment où on est payé par eux quoi. Dans la mesure où on a cette distance et que on a tellement un territoire tellement vaste on peut négocier notre participation et on peut dire non, on fera pas ça, on a, et ça c’est bien enfin c’est un sacré confort quoi hein. 109 Oui et puis en même temps il y a, il y a par exemple deux projets de loi sur la gouvernance locale et puis sur la prévention de la délinquance qui commencent un peu à, à proposer que le maire ait une place plus centrale qu’auparavant dans ces questions là. Je pense que le maire dans notre, dans notre action c’est un intervenant comme un autre. Enfin pas comme un autre parce que il peut apporter aussi beaucoup de choses aux jeunes en matière de citoyenneté en matière de contact je pense qu’il a une place particulière mais pour nous c’est un partenaire, qui peut être un partenaire qui peut aider au financement des projets qui peut mettre des moyens, qui peut nous renseigner aussi hein sur l’état de la jeunesse et ça c’est important de faire un petit diagnostic ou de savoir, je crois que, je crois que on n’est pas comme avant aussi sur des quartiers où on fait partie du cadre, du décor et puis on connaît tous les jeunes, on connaît on connaît les familles, on connaît… On a aussi besoin de rencontrer des gens du secteur pour savoir où sont les jeunes, on va pas se taper les 164 communes quoi. Où est-ce qui ce passe des choses, où est-ce qu’y aurait besoin de nous, ça effectivement on utilise des données des uns et des autres. Ca nous sert à notre diagnostic à nous où à nous dire ben peut-être qu’il faudrait qu’on aille faire un tour par là. Sans jamais rien, sans jamais dire, on dit on nous sollicite quand, quand on construit quelque chose et encore si les jeunes sont d’accord, si. Mais voilà quoi, on ne pas répondre forcément à leurs sollicitations si ça ne rentre pas. Il faut qu’il y ait convergence quoi et je crois que dans ce, en tous cas il y a, on a la chance d’être sur un secteur où les associations ont l’air d’avoir bien compris ça en tous cas celles avec lesquelles on bosse quoi. Alors il faut qu’il y ait convergence d’accord, mais comment on passe de la divergence à la convergence ? Il y a pas eu divergence, il y a pas eu divergence, je pense que il y a pas eu divergence. J’ai annoncé la couleur, il y a négociation. Avec les écoles par exemple, on est sur de la négociation il y a un PIJ au collège, enfin un PIJ, il y a un point d’accueil que les animateurs animent c’est comment faire pour que, ou alors ils nous ont invité comme partout pour les CESC là, c’est les dispositifs Éducation à la Santé et la Citoyenneté ; nous on vient avec, et moi je participe aux réunions en disant voilà, voilà nous ce qu’on peut faire. Mais voilà c’est tout quoi. On fera pas du soutien scolaire, on fera pas des choses comme ça hein mais on peut, par exemple faire de l’animation autour d’un thème, travailler sur des dépendances à un moment on peut être un petit plus. On peut, voilà. Le collège par exemple quand on va au collège c’est parce que c’est un endroit où il y a plein de jeunes et que ça nous permet de les 110 rencontrer aussi. Je crois que ça c’est important ; le CESC de BENAMENIL où je suis allée, j’ai essayé de savoir si il y avait des jeunes un peu isolés, tous seuls, des jeunes un peu qui connaissaient des difficultés, ils sont très fermés, ils m’ont dit Non et puis après je dis ben vous avez de la chance, il y a pas de jeunes qui ont de problèmes chez vous c’est drôlement bien ça. Apparemment ils n’avaient pas du tout envie qu’il y ait de la prévention. Voilà quoi, on n’insiste pas maintenant le Principal du collège dit nous CESC c’est pour avoir des partenaires et des sous. Ben je dis nous c’est pas notre projet quoi. Notre projet c’est de faire qu’il y ait un projet jeunesse, c’est de faire que, il y a un groupe prévention à côté voilà moi j’y étais aussi pour ça. Il y a un groupe prévention qu’on a mis en place tous ensembles les associations, les élus de la communauté de communes tous les gens intéressés par la jeunesse là on mettait en place un genre de groupe, de groupe de prévention au niveau du collège je trouve un peu dommage que c’est la même, c’est le même territoire, le collège c’est pas un élément fermé ; est-ce qu’on peut travailler ensemble, est-ce qu’on peut ne pas se concurrencer parce qu’on s’est aperçu qu’ils mettaient en place des trucs alors que c’était notre projet, quasiment le même, donc l’idée c’était de faire que, qu’on travaille ensemble. Donc voilà alors après faut attendre un peu, des fois il faut du temps. LA VEZOUZE moi j’ai mis, j’ai mis du temps avant de passer à l’action concrète parce que faut le temps de vraiment négocier les choses, de négocier notre participation, notre mode d’intervention, nos relais, parce que l’idée s’est aussi on est 5 éducateurs sur un arrondissement, il y a plein de demandes, si on part pas avec des gens du local et ben, et ben dès que l’équipe s’en va ou dès que les personnes changent ben il y a plus rien quoi. Donc l’idée c’est il faut pérenniser les actions qu’on met en place et ça, ça se conçoit dès le départ de l’action. Donc sur la MJC de BLAMONT, en ce moment on est en train de, de négocier le fait qu’il y ait un animateur qui vienne les mercredi travailler sur projet avec des jeunes, avec tous les jeunes, et qui a aussi un petit peu, enfin avec les jeunes de BLAMONT en général. Et donc de prendre un peu, de soutenir à la fois la MJC, de prendre notre relais et puis nous de passer, d’élargir un peu le, notre, notre circuit quoi et voilà. Donc ça c’est quelque chose qu’on discute en comité de pilotage jeunesse, qu’on discute au niveau de la mairie, qu’on discute à tous les niveaux d’interventions pour que ça avance quoi. Alors il faudra peut être un an, faudra peut être un an mais en tous cas c’est écrit c’est dit et à chaque fois qu’on rencontre les partenaires on en discute, on leur dit, on dit nous on peut pas rester sur BLAMONT tout le temps parce que il y a la commune d’à côté qui fait les mêmes demandes et pourquoi on n’irait pas travailler donc 111 l’idée c’est on met en place quelque chose qui se pérennise, c’est pas forcément très coûteux mais en tous cas il y a un besoin il y a 25/30 jeunes qui tournent là qui zonent, ben ça nécessite peut être un, un mi-temps ou un quart de temps d’animateur pour qu’il y ait une relation régulière, ça nécessite peut être qu’il y ait des adultes qui tournent sur ce foyer, ça nécessite peut être des moyens comme ça donc il faut mettre ça en place. Nous on a travaillé avec vous pour, pour, pour montrer aussi que c’était intéressant d’impliquer les jeunes et ils ont été surpris, même les animateurs du contrat territoire jeunesse, ils ont demandé aux jeunes d’organiser un mini séjour pendant les vacances, ils ont été surpris de voir qu’ils étaient capables de s’organiser. Ben oui, il suffit de leur laisser la possibilité de le faire quoi. Donc ça je pense qu’on a essayé de démontrer ça, que les jeunes pouvaient organiser, pouvaient s’organiser et ça c’est important, voilà. Donc on est en train de, l’objectif pendant un an là c’était de rencontrer ces jeunes, de les connaître un peu mieux, de connaître les familles, de construire aussi hein, en parallèle différents projets en direction des parents, et puis maintenant c’est, enfin ça a toujours été sous jacent mais c’est le relais, il faut à tout prix mettre un relais en place. Donc on a déjà averti la commune en disant voilà, nous on a rempli un peu une partie du contrat, ça commence à déborder là parce que ben on n’arrive pas à mettre en place, il y a pas, les animateurs du CJT ne participent pas et il faut qu’ils participent où il faut qu’il y ait un moyen que le contrat jeunesse prenne en compte les jeunes là, ces 20/30 jeunes là qui tournent tout le temps là donc qu’est-ce qu’on fait quoi ? Donc ça on le pose régulièrement et souvent en disant on ne pourra pas. Donc il va falloir être un peu plus précis je pense au fur et à mesure et dire voilà on va partir… D’accord. Il y a une question qui me vient, là j’entends parler de jeunes qui zonent, j’ai entendu parler de dégradations moi j’avais eu des échos sur le projet là, et des tirs à la carabine, j’imagine qu’il y avait des situations un petit peu difficiles comme ça, il faut créer des relais, il faut faire, engager des actions avec les jeunes Est-ce que c’est apparu à un moment que c’était peut être difficile pour des animateurs qui, pas formés de, d’accrocher ce type là de jeunes qui, qui tirent à la carabine, sont armés, c’est tout bête. Est-ce qu’il y avait des attentes par rapport aux techniciens que vous êtes, vous prévention spécialisée ? Non je pense que, je pense que tout ce qui est tirs à la carabine enfin ces jeunes là alors il y en a, on peut en saisir 1 ou 2 dans des groupes mais c’est des groupes très hétérogènes c’est aussi ça l’intérêt. C’est que il y a vraiment toute sorte de jeunes dans ces groupes là, il y a des 112 jeunes de milieux classes moyennes et puis il y a des jeunes de milieux très défavorisés et puis il y a des jeunes qui zonent énormément et puis il y a un mélange et ça c’est vraiment très intéressant. Et effectivement il y en a qu’on ne touche pas et qu’on essayera de toucher au fur et à mesure mais c’est aussi du travail de fourmi quoi la prévention ; surtout, surtout qu’on n’est plus sur des quartiers, quand tu arrives sur un quartier, enfin tu as sûrement connu ça, t’arrives sur un quartier, même si’ t’es là depuis un an t’as l’équipe qui est repérée, tu dis ben je suis le collègue je fais parti … ben tout le monde sait qui tu es-tu d’où tu viens, ou tu vas, machin. Là c’est pas pareil quand même, là il faut tout recommencer à zéro ça fait pas 20 ans qu’on est sur BLAMONT, ça fait pas longtemps. Et donc, il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Moi, qu’on me dise il y a des jeunes qui tirent à la carabine, je sais pas si ça relève de la prévention, quoi hein, je sais pas si il est pas trop tard quoi hein. Je sais que les jeunes que je touche là c’est, c’est vraiment, je sais que je peux peut être essayer de faire quelque chose dans le sens prévenir, prévenir, prévenir. Mais, bon après effectivement il y en a qui vont pas bien, il y en a qui, comme on travaille toujours par groupe, il y en a toujours 1 ou 2 on sait que ils vont un peu plus loin dans leurs bêtises et on les intègre au groupe, ils viennent et on va voir ça va peut être marcher. Mais on ne nous demande pas, on ne nous as pas, on n’a jamais eu de pression pour, pour… En plus on rencontre les jeunes, on va voir, on rencontre qui on rencontre, y’a pas de, on va pas les rencontrer parce qu’ils ont, parce qu’ils ont tiré à la carabine quoi. On va nous dire là il y a des jeunes qui déconnent on va les voir, on va les voir, on les rencontreras c’est bien, on les rencontre pas ben, on les rencontre pas. Voilà ils ont envie de construire avec nous c’est bien, ils ont pas envie… on n’a aucune pression là-bas sur ce genre de choses. Je pense que si des jeunes tirent à la carabine, ben c’est la police qui va, qui va intervenir mais nous, je sais pas si ça relève de la prévention quoi, je sais pas, je sais pas. Peut être, il y en a qui intègre le groupe, il y en a, quand je suis allée à PARIS, il y avait un jeune qu’on dit, qu’on dit craignos et tout, bon j’ai fais plusieurs sorties avec… alors peut-être parce qu’il était dans un, noyé dans un groupe en tous cas, ça c’est très bien passé. D’accord… Alors par contre les élus me disent oui mais avec vous ils montrent, ils montrent autre chose, voilà c’est ce que j’ai eu comme renvoi il y a pas longtemps. Ils ne sont pas du tout avec vous comme ils peuvent se montrer dans la rue quand ils insultent tout le monde et tout. Alors, effectivement peut être qu’on a dans notre travail, on va, on essaie de valoriser quand même un peu les jeunes hein ? On part de ce qui savent faire, on va pas partir de leurs, de leurs 113 difficultés. L’école, l’école ne les aide pas forcément à valoriser c’est obligatoire, c’est pour tout le monde pareil, alors que nous on est quand même un peu spécialisé, enfin on a des petits groupes, on essaie de travailler sur les points forts et les potentialités des enfants, on va pas aller, parce que on se dit que c’est en mettant en valeur, en les mettant en valeur que, que ça peut bien se passer. Quand ils participent à convergence on essaie de les mettre en valeur par rapport à tout le monde quoi, qu’ils existent autrement que comme délinquants, comme jeunes pénibles, comme jeunes qui répondent, voilà quoi. Mais c’est aussi à tous les adultes, je leur dis aussi hein, moi je ne brade pas, il y a une autre chose que je ne brade pas c’est le respect. J’ai une expérience en prévention, des expériences douloureuses hein, quand j’étais jeune éducatrice de prévention, ou, ou et ben on avait, par exemple je travaillais sur la Cali, on avait, on nous imposait de partir avec certains jeunes et au bout du compte ça se passait très très mal parce que ben parce que déjà c’était plus de la prévention tellement ils étaient loin dans la marginalisation et puis, et puis il y avait aucun respect, et on n’avait pas pu construire de relation et on ne peut pas faire d’éducatif si on ne respecte pas les gens dans un sens ou dans l’autre voilà et pour moi c’est la base des choses. Et moi je vois un jeune dans la rue, même si je le connais pas, qui insulte quelqu’un, je l’arrête, je l’arrête et je lui, et je lui demande de s’expliquer ou de s’excuser parce que je suis une adulte et pas parce que je suis éducatrice parce que je pense tous les adultes ont un rôle d’éducateur. Et, et, je ne, je ne ( ? ) ce genre de choses, si un jeune n’est pas content et ben tant pis. Si il est pas content parce que je lui dis de parler correctement et ben tant pis parce que j’ai pas envie de me faire insulter, parce que je n’ai pas envie, voilà. Je veux, je peux travailler avec des gens sur, sur des bases claires et ça c’est une base claire quoi ; c’est on se respecte et, voilà. Ça je tire ça des, des gamelles que je me suis tapée au début, au début de ma carrière où c’était, on faisait vraiment tout et n’importe quoi, je pense que… Mais ce respect là il peut prendre un peu de temps pour qui se mette à… Tout à fait, tout à fait… Il y a quand même une phase critique peut être. Et ben des fois il y a des jeunes qui, qui n’acceptent pas ça. Je repartirais autrement, c’est pas pour ça que je laisse tomber quoi. Je, je pense que la prévention c’est aussi ça il faut toujours faire l’effort de recommencer les choses autrement, de les imaginer autrement. On n’arrive pas à aborder les jeunes où un moment ils laissent tomber. Même sur BLAMONT j’ai ramené des jeunes : j’avais fais une sortie avec un groupe de jeunes l’hiver au ski de fond avec des garçons adolescents, c’était une journée très intensive et, ils ont été odieux au retour. Donc je 114 me suis arrêtée plusieurs fois, et le lendemain je suis allée les voir tous, un par un en leur disant voilà, maintenant qu’est-ce que je fais ? Vous avez des projets, comment on fait ? Estce qu’on, comment on peut travailler ensemble parce que je leur dis moi je n’imagine pas travailler avec des jeunes, je suis pas le gendarme de service donc soit vous êtes partants sur un projet et, et c’est votre truc et vous gérez un petit peu votre, votre groupe, soit on fait rien quoi parce que je ne suis pas prête à refaire des expériences comme celle là. Alors voilà, je leur ai dit ça à ce moment là. Je leur dis maintenant la porte elle est pas fermée. Il y a des choses, si il y a des choses qui vous intéressent on en discute mais on renégocie votre comportement quoi, la façon dont vous vous comportez ça on le revoit. Et, et voilà. Et donc je les ai revus là et apparemment on devrait faire une nuit en forêt… là. Mais, mais au moindre souci, je leur ai dit, je refais une sortie avec vous, le moindre souci c’est retour à la maison avec explications aux parents de pourquoi retour à la maison. Donc, voilà, je, c’est clair. Je peux revenir un peu en arrière ? Tu dis apparemment que pour un certain public parce qu’ils seraient allés trop loin ça serait plus de la prévention. Je pense que les jeunes qui font des allers-retours Charles III je vois pas ce qu’il reste de la prévention quoi. La prévention c’est prévenir la marginalisation. En tous cas pour moi, est-ce que je me sens capable de, d’aider des jeunes qui sont dans des, des, qui sont dans des, des, qui sont des marginaux, qui sont… est-ce que je me sens capable de leur apporter quelque chose qui puisse faire évoluer en sens inverse les choses ? Ben pas forcément. J’ai aussi des expériences hein de jeunes que j’ai suivi qui allait, qui sont allés en prison, qui se droguaient, qui machin. J’ai aussi essayé de mettre en place des choses tu vois de rupture avec le milieu, avec la famille, d’accompagnement, de… Sur un quartier tu connais tellement tout le monde que t’es sollicité de plein de manières et aussi dans, pour des jeunes qui, qui sont, tu sais bien que tu feras pas avancer le schmilblick. Et voilà quoi j’ai aussi souvent investi parce que, parce que j’y crois alors maintenant j’y crois, je pense que peut être que c’est possible mais je crois que je serais plus efficace avec des jeunes qui sont, qui sont limites quoi. Qui sont en train d’arrêter l’école, qui vont fumer quelques pétards, qui vont, voilà… je me sens plus à l’aise et je pense que je peux peut-être les aider, plus efficacement que des jeunes qui tirent à la carabine, qui se battent au couteau et qui voilà quoi. Maintenant il y a pas de ghetto quoi. On fait, on va voir n’importe quel jeune et puis après c’est une histoire de ils adhèrent on essaie de construire, est-ce qu’on peut construire ensemble voilà. C’est pas on oublie il y a des jeunes qui vont mal on s’en fout quoi qu’ils tirent à la carabine ou qu’ils soient, de quels problèmes il s’agit à la limite on s’en fout. On part avec la manière dont ils se montrent eux, 115 et ils se montrent, ou dont ils ont envie de se montrer à nous dont ils ont envie de construire des choses et après leur passé si ils ont envie de l’oublier avec nous ils l’oublient avec nous quoi et ça c’est intéressant. Mais, d’après ce que j’ai compris ces tirs à la carabine… on va focaliser sur le tir à la carabine parce que c’est ce que j’ai entendu mais j’englobe le reste. On va dire que c’est une nuisance qui a été repérée par l’entourage certainement puisque c’est quand même pas anodin ; ça relève pas du grand banditisme et donc… Et moi j’en n’ai pas entendu parler ; je travaille sur le secteur, j’ai entendu parler qu’il y avait des choses autour du cinéma, beaucoup derrière le cinéma… Alors c’était quoi ? Ben ils ont dégradé le cinéma à plusieurs reprises… C'est-à-dire ? Ils sont rentrés dedans, ils ont tout cassé, ou voilà, des trucs comme ça. D’accord. Le tir à la carabine j’en ai pas entendu parler et… Mais ça m’empêche pas d’aller dans les coins où ils zonent toujours et de faire avec les jeunes qui sont là, de les rencontrer, de proposer, de faire mon travail d’éducatrice de prévention, leur proposer de faire quelque chose avec eux, de voir ce qu’ils ont envie de faire, ce qu’il aimeraient faire. Alors c’est vrai que des fois on est en décalage hein. Et c’est pour ça que, on fait aussi avec ce qu’on est quoi. Je me souviens au Haut du Lièvre on part avec des jeunes filles qui étaient dans, dans le business comme elles disaient elles avaient un fric monstre et qu’est que qu’on leur propose nous quoi ? On leur dit, vas faire ton BEP Sanitaire et Social, et, et c’est ridicule quoi. C’est ridicule, on fait pas le poids je crois hein, à un certain moment on est dans des trucs comme ça quoi. Donc il y a aussi ça à prendre en compte ; maintenant si un moment elles, on arrive çà construire à un petit truc avec elles, bon ça peut aussi leur donner des idées, ça peut aussi leur faire voir autre chose, ça peut aussi mais sans grande ambition, sans grande prétention quoi. Alors j’ai l’impression qu’il y a un vide parce que, on peut pas tout régler avec la police visiblement… C’est clair. Je pense que c’est un rappel à la loi la police, qui peut être nécessaire. Je suis pas pour la répression mais, mais je crois qu’un jeune qui fait une connerie ben il faut qu’il, qu’il soit, il faut que la police intervienne. Si on dégrade un local public ou si on dégrade et ben ça 116 c’est, c’est un premier, c’est un rappel à la loi, quoi, c’est. Et, il y a des familles il y a plus de repères ; moi j’ai rencontré, je vais chez des gens, il y a… on est sur un secteur très pauvre. Je trouve que la pauvreté elle est beaucoup plus importante que sur les quartiers. Parce que c’est une pauvreté matérielle hein, on est sur un secteur entre BACCARAT-PRELOR-BATA, il y a un taux de chômage énorme, on est sur un secteur où les conditions de logement c’est pas les HLM et on en est loin hein. Il y a des habitations qui sont dégradées mais dégradées quoi. Et, et il y a une pauvreté, pour aller dans une bibliothèque il faut aller à LUNEVILLE quoi, pour aller à LUNEVILLE il faut compter la journée ou la demi journée minimum quoi pour prendre le bus, repartir le soir et à ce niveau là c’est pauvre hein au niveau des services, au niveau des possibilités, au niveau de la culture il y a pas de, il y a pas de bibliothèques sur plein de secteurs. BACCARAT y’en a pas, BLAMONT, y’en a pas, BADON y’en a pas enfin même les gros, voilà. Donc, donc il y a pas grand-chose mais il y a une vie associative et il y a des gens qui ont envie de faire des choses et c’est là dessus qu’il faut qu’on s’appuie quoi parce que ça c’est la richesse du coin mais il y a une vraie pauvreté matérielle (oh la la). Et puis moi je vois des situations que je voyais pas en ville quoi à ce niveau là. Il y a des gens qui, je vais dans une famille là, il y a le papa avec ses enfants, tout, c’est noir dans la maison, la maison elle est toute noire, il y a pas de fenêtre, c’est, c’est triste. Les armoires enfin, il a récupéré des meubles, tout est par terre c’est des conditions de vie… et puis il y a pas de, il y a pas, je pense qu’ils ne mangent jamais ensemble en famille, le père quand je lui dis ben votre fille il me dit ben vous faites ce que vous pouvez mais de toute façon elle veut jamais rien faire, et pis en plus vous savez sa copine qui a 15 ans elle est enceinte alors elle sera peut être enceinte bientôt… voilà quoi. Voilà c’est aussi des familles comme ça qui sont un petit peu... débordées de tous les côtés quoi ou qui n’assument pas ou qui voilà, je pense qu’on a aussi un rôle de rencontrer ces familles, de, de les aider parce que il y a aussi plein de suivis, de placement, il y a aussi beaucoup de violences quand même. Et voilà, et ça c’est, c’est drôlement dégradé quoi au niveau de l’éducation des enfants je pense qu’on a un rôle aussi làdedans. La police moi je suis pas, je dit pas non pas de police quoi, je pense que des fois c’est nécessaire, mais chacun sa place quoi et je pense que… c’est bien si, le maire qui a un rôle de la police municipale quand même entend nos, nos façons d’envisager les choses en disant ben oui ça peut être bien de recevoir les jeunes de leur faire réparer, qu’ils assument, hein, puis les parents aussi parce que c’est aussi là que, voilà. Et je trouve que c’est intéressant qu’on puisse échanger la dessus, ça veut pas dire qu’on fera, qu’on dénoncera des jeunes, loin de là quoi mais je pense qu’il faut que chacun prenne sa place dans le, dans le… 117 On vous le demande ça, de donner des noms ? Non.non non. Non non mais on est très clair la dessus. Mais on va nous donner des noms, on va nous dire le jeune là je suis inquiet. Je fais un projet avec des jeunes les jeunes ils font une demande de subvention, ils me disent on signe tous moi je dis ça c’est vous qui voyer. Ils veulent tous signer, le maire elle saura quels jeunes sont dans le groupe. Mais après c’est eux, je leur dit, je leur dit, c’est si vous voulez, vous signez. Mais c’est vrai que si ils rencontrent aussi une merde, elle saura qui il y a, bon ; c’est pas forcément gênant, ça peut aussi permettre au maire de voir ces jeunes là sous un autre aspect : ils ont été capables de faire un projet, ils sont capables de d’exprimer, de s’exprimer, de s’organiser et ça, c’est bien aussi qu’elle se rende compte, que des jeunes qui dégradent et ben peuvent aussi être polis, corrects parce que c’est souvent ce qu’on entend, oui ils répondent, ils ont plus de règles, ils ont plus de respect, ben il faut peut être leur donner aussi l’occasion de s’exprimer dans un cadre, voilà, d’échanger de façon respectueuse, parce qu’on a aussi quand même plein d’adultes qui fuient hein les jeunes et, et ça peut être bien qui les fuient plus quoi. Parce que la prévention je comprends, je pense pas que ce soit que, enfin en tous cas tout ce qui est, on fait de l’éducatif et tout le monde devrait faire de l’éducatif. Je pense que ça il faut qu’on le dise aux gens. C’est quoi des adultes qui fuient ? C’est des adultes qui disent on a peur des jeunes, moi ils me font peur ces jeunes là …. moi j’entends ça… d’adultes sur le secteur, « ils me font peur » donc nous notre boulot c’est aussi de dire ben moi j’en parle aux jeunes mais c’est aussi de dire et ben si il y a une commission avec ces adultes là qu’ils rencontrent ces jeunes là dans un autre cadre, peut-être que, le respect, peut être que les choses vont s’entamer autrement, peut être qu’après ils hésiteront moins à aller les voir et qu’ils ne fuiront pas devant ces jeunes là, tu vois, ou qui, qui auront un autre rapport. Je pense que dès fois c’est un manque, une appréhension mutuelle quoi. Nous on est peut-être là pour casser un peu ça, en tous cas on peut essayer. Moi j’ai entendu ça la semaine dernière d’une éduc qui me disait moi ils me font peur ces jeunes et ben, mercredi dans une semaine elle va rencontrer ce groupe de jeunes et je pense qu’elle aura pas peur d’eux parce que ils vont, ils vont, ils vont exprimer, ils vont raconter leur projet, ils vont demander et, et je pense que ça, ça reposera les choses autrement. Alors peut être que ponctuellement, mais ça peut être une première quoi pour… 118 119 NOM : NECOL PRENOM : Charles DATE DU JURY : 03/02/2005 FORMATION : DSTS TITRE :LA PREVENTION SPECIALISEE ET LA LUTTE CONTRE L’INSECURITE RESUME : Depuis les émeutes des années 80, la prévention spécialisée est régulièrement questionnée sur sa capacité à encadrer une jeunesse qui échappe. Dans le contexte d’un sentiment d’insécurité grandissant, cette question se pose d’autant plus. Jusqu’alors, la prévention spécialisée, relativement indépendante vis à vis des institutions officielles, considérait que son champ de compétence était, non pas celui de la prévention de la délinquance, mais celui de la prévention des inadaptations. Aujourd’hui, dans un contexte de décentralisation où les équipes de prévention dépendent de plus en plus des collectivités locales et donc perdent de leur autonomie, une telle définition ne suffit plus. Ce mémoire s’est donc attaché à comprendre comment les éducateurs de prévention prennent en compte les différentes injonctions à coopérer aux politiques de prévention de la délinquance et ce que cela induit comme changements de pratiques. Mais les éducateurs sont réticents à participer aux différents dispositifs de sécurité (Groupes Locaux de Traitement de la Délinquance, Contrats Locaux de Sécurité). Dès lors il convenait de s’appuyer sur un concept capable de rendre compte des interactions entre différents acteurs institutionnels en dehors des dispositifs formels. C’est pour cette raison que cette recherche s’est appuyé sur le concept de transaction sociale (Jean Rémi) dans la mesure où il constitue un outil analytique susceptible de rendre compte de la manière dont les différents acteurs en situation de coopération conflictuelle parviennent à élaborer des arrangements pratiques évitant les compromissions. En observant trois projets particuliers répondant à des problèmes de nuisances occasionnés par des groupes de jeunes, on constate que les éducateurs ont intégré les préoccupations liées à l’insécurité urbaine et par conséquent démontrent leur compétence dans ce domaine. Mais à trop se centrer sur les problèmes de nuisance, les éducateurs risquent de se focaliser sur un seul aspect du problème et risquent ainsi de pointer une partie des jeunes comme étant la source du problème. Ce mémoire préconise donc un réinvestissement des éducateurs du travail de terrain auprès des jeunes là où ils se trouvent, non pas pour assurer la tranquillité publique mais pour assurer une présence et un lien social. C’est cette posture particulière que la prévention spécialisée peut mettre en avant dans la coopération sur la prévention de la délinquance. Ainsi, la prévention spécialisée n’ignore pas le champ de la prévention de la délinquance, mais y collabore sans que sa crédibilité auprès des jeunes n’en souffre. NOMBRE DE PAGES : 119 VOLUME ANNEXES : 03 CENTRE DE FORMATION : IRTS DE LORRAINE, METZ