transcultural visions - University of Westminster
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TRANSCULTURAL VISIONS DEPARTMENT OF MODERN LANGUAGES AND CULTURES VOLUME 3 NUMBER 3 WINTER 2014 The vocation of Transcultural Visions is to bring together the research of scholars who work in different fields of research both in England and abroad. Therefore, the third issue of the journal is taking an original interdisciplinary approach and brings together the research activities of academics from the University of Saint-Etienne, Lille, Cergy-Pontoise and Toulouse in France and The University of Westminster in Britain. The collective draws on the expertise of scholars who work with world literature, film and historical sources and whose research speciality lies in poetry, post-colonialism and authority as well as culture and communication, orientalist paintings and contemporary Francophone cinema. These papers give particular attention to the evolving relationships between France, Europe and the wider world. DR LAURENCE RANDALL Editor IN THIS ISSUE 3LE POÈTE ANTOINE EMAZ DR EVELYNE LLOZE Université Jean Monnet, Saint-Étienne, France 8POST-COLONIALISME AUSTRALIEN ET AUTORITÉ: L’IMAGINAIRE NATIONAL À L’AUNE DE LA DIASPORA DR SALHIA BEN-MESSAHEL Université Lille 3, France 14 LES VANNES: UN ÉLÉMENT PARTICIPATIF À LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE DR ISABELLE BOYER Université de Cergy-Pontoise, France 19 EAST MEETS WEST: J F LEWIS’S THE SIESTA IN AHDAF SOUEIF’S THE MAP OF LOVE DR JACQUELINE JONDOT Université de Toulouse, France 24 MAHAMAT-SALEH HAROUN AND THE CHADIAN CITY IN A SCREAMING MAN (2010): A NEW KIND OF NEO-REALISM IN CONTEMPORARY FRANCOPHONE AFRICAN CINEMA? MARYSE BRAY AND DR HÉLÈNE GILL University of Westminster 35 FAUX-DÉPART ET RENOUVEAU DANS DEUX ŒUVRES DE CALIXTHE BEYALA : LES HONNEURS PERDUS ET COMMENT CUISINER SON MARI À L’AFRICAINE DR LAURENCE RANDALL University of Westminster TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 1 TRANSCULTURAL VISIONS DEPARTMENT OF MODERN LANGUAGES AND CULTURES Editor Laurence Randall Editorial Advisory Board Maryse Bray Karine Chevalier Peter Dunwoodie Anne Garrait-Bourrier Hélène Gill Alec Hargreaves Nicki Hitchcott Debra Kelly Margaret Majumdar Mildred Mortimer Sandhya Patel Gerda Wielander The Editors welcome comments and suggestions, as well as offers of contributions in the form of articles, letters and book reviews. Please note that all articles submitted for Transcultural Visions will be peer-reviewed. Email: [email protected] © All material is strictly copyright and all rights are reserved. 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Altière et ténue, grave, tendue et d’une extrême clarté, elle travaille le terne, le morne, l’obscur du banal, cherche à piéger le « vrai » dans toutes ces tonalités de gris qui nous habitent et nous entourent, et résonne d’une émotion si maîtrisée qu’à la lecture nous voici « dérangés » et happés à la fois, plongés au cœur de l’expérience existentielle commune, dans la « case réel » (Emaz 2009a :75), la réalité du vivre tout simplement. On l’aura compris : « comment écrire ce qui est ? » (Emaz 2009a :72) demeure bien ici la question essentielle. Et d’abord, bien que l’on souscrive aux liens établis par Emaz lui-même entre biographie, illusion et pur alignement de faits¹, qui est Emaz ? Né en 1955 à Angers où il vit toujours, mais son œuvre renvoie également à d’autres paysages (Wimereux, Châteauroux, Pornichet notamment), comme beaucoup d’écrivains aujourd’hui, il est enseignant (de français). « Médiocrité sociale de petit prof de province » dont il souligne qu’elle l’a « au fond protégé et édifié » (Emaz 2009a : 58), « existence banale, commune, moyenne… », et il « creuse, écrit là » (Emaz 2009a : 117), au ras des choses, de l’expérience quotidienne. Il publie ses premiers textes en revue dans les années 80 et égrène, surtout à partir d’En deçà (1990), de nombreuses publications de recueils, livres d’artistes, essais, études critiques, carnets de notes chez d’excellents éditeurs de poésie (Tarabuste, Fourbis, Deyrolle, Le Dé bleu, Rehauts…) ainsi qu’au Seuil, jusqu’à constituer actuellement une œuvre considérable (cf. Bibliographie dans Le Gall, 2008) et en tout point incontournable. Et qu’on ne s’étonne pas qu’il écrive sous un pseudonyme, car quoi de plus logique pour un poète qui, dans la lignée de Reverdy (sur lequel il a écrit une thèse) et de du Bouchet (à qui il a consacré un essai), échappe à la force d’assignation du je, faisant obstacle à tout débordement narcissique, à toute sollicitation de complaisance, en n’employant dans ses poèmes que le on, indéfini dont « l’élasticité » lui semble mieux à même d’en « (appeler) au collectif », « au lecteur » (Emaz 2001 : 5). En d’autres termes, s’il y a là retrait, pudeur native, évidement, la présence séminale de l’affect comme l’intensité de la voix ne manquent pas de nous ramener à une vérité de l’exister, tout contribuant en fait à l’affirmation d’une exigence éthique, à une tension du sujet lyrique vers l’autre indéniable. Parole de l’impersonnalité, abrupte, sombre et ressassante à la fois, parole de l’épure, âpre et têtue dans cette interrogation sans fin du réel, du concret, du vivre ici qu’elle poursuit. D’évidence « il y a bien une dette très grande » dans l’écriture d’Emaz « vis-à-vis de Reverdy mais aussi de du Bouchet » (Rabaté 2009 : 289. L’importance de ces « antécédents » majeurs, leur prégnance comme leurs résonances manifestes chez Emaz – que l’on songe à ces voies d’exigence qu’ils se sont tracés, à cette quête éperdue d’un « lyrisme de la réalité » qui les a portés ou à cette éthique du dire/voir qui les a continûment occupés – ne doivent pas néanmoins nous faire oublier quelques lignes de clivage qui tranchent radicalement avec l’œuvre de ces aînés et nous découvrent d’autres choix, privilégiant d’autres orientations, d’autres rapports au monde. Ainsi du lien à l’Histoire, lien déterminant dans la plupart des recueils de notre poète, jamais à l’écart quant à lui, de ces constituants de base que sont, pour nous tous, les circonstances actuelles du monde, conditions de vie, déterminations, situations sociales, économiques, politiques dans lesquelles nous sommes immanquablement plongés. Poète engagé ? Oui assurément, mais pas dans le sens habituel du terme, poète « complètement immergé dans la société avec tous les problèmes et les questions qu’elle porte », poète « travailleur de la lucidité » (Sacré 2006 : 15), se faisant l’écho d’expériences existentielles communes, banales, et en cela emblématiques, en des textes déployant, en jeux de corrélation étroite et constante avec une certaine forme d’actualité, des scènes du quotidien (intime comme « médiatique », cf. K.-O., Soirs.). Ajoutons également qu’il y a là nombre de textes à considérer comme de véritables croquis sur le vif ou plans de coupes de nos « lointains intérieurs » avec des motifs et thèmes répétés, des images et voix d’un espace-temps certes mondialisé, mais si quadrillé, fragmenté, dilué en fait dans l’anecdote, et si saturé surtout d’emplâtres idéologiques de toutes sortes qu’il brouille le regard, tend à nous réduire à la plus grande passivité et devient inconsistant, irrespirable. Car l’ordinaire de l’aliénation, la réalité intime de l’être, l’inévitable (et pénétrante) mélancolie du vivre-ici-aujourd’hui, l’empilement de plans multiples et souvent contradictoires de notre environnement quotidien, nombre d’éléments qui renvoient à la dimension historique et politique de notre existence comme à sa matière sociale, transparaissent et s’énoncent chez Emaz, dans une distance allusive qui de surcroît en fait émerger le plus essentiel, désigne, éclaire et requiert mieux. Boue du dedans, Boue du dehors, le geste poétique creuse l’énigme de l’une comme de l’autre avec « toujours ce désir d’articuler micro/macro, individuel/ social, personnel/collectif. » (Emaz 2003 : 88). Lyrisme du réel (avec l’indéniable force de vérité de cet « il y a », de ce « vrac de vivre » (Emaz 2009a : 85) jetés sur la page) ou « écriture grise » (Rabaté et Viart 2009 : 38), les tonalités et les harmoniques relèvent bien de notre temps et vont ouvertement de pair avec un questionnement métaphysique – dire la condition humaine, voilà qui fait aussi la profondeur et la « grandeur » de cette écriture – et même éthique – le constat têtu de ce qui est ne désengage en rien, au contraire, d’un désir de justesse, de résonance qui porte loin. Nous nous concentrerons donc sur ces trois « domaines », le gris, le métaphysique et l’éthique pour tenter d’explorer la poésie d’Emaz et d’en donner à découvrir au lecteur la puissance d’impact comme l’énergie tensionnelle. Cette « écriture grise » revendiquée par Emaz – cf. « Unité tonale (…) : un gris terne » (Emaz 2009b : 38)² – l’est tout autant par les choix énonciatifs opérés, la charge d’ancrage dans le moindre, le peu, le banal, le quotidien, ces riens du présent et du plus proche auxquels il fait TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 3 jouer leur plein effet et dont il exhausse sens et vacuité, que par l’estompe mélancolique de la voix qui résonne ici, toujours en demi-teinte, polarité morne et tension « lucidement sombre » (Sacré 2006 : 16). De l’indétermination, du lacunaire, de l’inachèvement, de l’émiettement même, une atmosphère et une présence quasi diluées, floues, mais d’une prégnance paradoxalement plus puissante, les notes de la gamme énonciative travaillent l’élusif comme l’allusif, l’ellipse comme une simplicité d’évidence formulaire des plus grandes, la coupe comme la concision ou la sédimentation polysémique, dans une dynamique d’intensité tout à fait remarquable. Poèmes aux tracés traversés de vide, régis pour l’essentiel par des modalités suspensives, par le délaissement d’une signifiance fixe ou clairement déterminée, par du non-assertif, des « manques » qui se font sédiments de sens, il y a bien chez Emaz un parti pris du moins, dupeu, du « gris » qui requiert une profonde exigence de l’écrivain³ comme du lecteur (le sens n’étant donné qu’en creux, en devenir en quelque sorte, dans une potentialité telle que seule une lecture active reste à même de le faire s’épanouir). Épure expressive, vacance et blanc devenus ressources, nudité exemplaire de l’expression participent ainsi et d’une valorisation d’une sobriété qui oblige à une exceptionnelle justesse et d’une volonté de concevoir le mode poétique du langage comme du pas grand-chose, du presque rien, qui se signale cependant par une incomparable force suggestive. Comme si une certaine formule de du Bouchet avait valeur ici de règle élémentaire, d’assise ou tout simplement d’axiome : « raréfaction de la parole-épaisseur de la réalité » (Du Bouchet 1989 : 21). En définitive, ce choix du lacunaire (ellipse, parataxe, zeugme, réticence, litote, « vide » grammatical ou sémantique) s’apparente à un effet d’appel, et dans la logique d’économie qu’il promeut, il ne s’agit de rien de moins que de mobiliser un principe de simplification et d’indétermination qui se fait tension, dégageant encore plus d’horizon à l’évocation. Couper court au trop ou au tout dire, toujours privilégier ce qui relève du raccourci, d’une forme d’ « épargne » langagière générant du suggestif et 4 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 ouvrant accès à des dimensions du réel et du vivre que la clarté de l’explicite aurait assurément réduit, figé ou perdu, Emaz trouve là à chaque fois de quoi raviver profondeur de sens et d’émotion, de quoi échapper également à cet exhibitionnisme profus(tout en le dénonçant) des médias qui s’enlisent jusqu’à l’écœurement dans la répétition des images : choc une poussière brusque de fer et d’hommes une sorte de neige sale tâcher de voir au-delà de l’image reculer pour voir d’où elle vient effort ici effort l’image colle (Emaz 2005 : 9) Ce poème, daté du 13 Septembre 2001, ne se contente pas d’interroger l’actualité, l’événement historique, ni les effets, parfois asphyxiants ou délétères, qu’ils induisent sur le spectateur, mais ouvre de facto à ce qui peut surgir et circuler entre « l’image » et nous, ce qui peut se décanter dans ce trop près ou ce trop loin dans lequel on s’englue. Et du premier vers au dernier, les jeux d’ellipse et de disjonction, d’émiettement et de réserve (de la langue comme des perceptions) confèrent à la signifiance un effet de prégnance extrême, comme si ce qui était à l’arrière-plan du dire, au lieu de rester embourbé, et limité finalement dans une formulation précise, dans une astreinte de notification, parvenait à sourdre dans un processus d’émergence atteignant au plus profond. Le travail d’entame se résout en fait en véritable accaparement de sens et d’émotion, ellipses de toutes sortes comme autant de « défauts » et de creux qui opèrent en ramenant à l’essentiel de l’éprouvé (à rapprocher peut-être de ce que le sfumato parvient à créer en peinture ?), à ce « choc » d’une « image» qui « colle » – dont on ne sait rien d’autre que l’esquisse que nous en donne la première strophe – et dont le poème s’attache à déployer (et à garder actif surtout) tout l’affect qu’elle a occasionné. Des mots de peu, de rien, un sujet lyrique dissous dans une série de nominales et d’infinitives juxtaposées, des séries sonores et sémantiques faisant juste saillir trois monosyllabes( « choc/voir/ colle »), de l’Histoire dans un flou douloureux qui émerge mais demeure rivé au sans fond d’une seule image, une absence d’ artifice et de complaisance dans cette évocation de l’événement télévisuel – on opère dans le brut plutôt -, un tâtonnement du dire pour évoquer le sombre harassement qui guette, nous voilà bien captés par l’écriture grise d’Emaz qui en impose, d’exactitude retenue. Et si l’on cherche par ailleurs à faire « dérailler la chaîne « simple » du langage quotidien », à « supprimer les aiguillages » (Emaz 2009b : 75 et 14), c’est sans doute que le voir pointe mieux ainsi au-delà de l’anecdote, que le constat – puisqu’on « vise le banal » (Emaz 2003 : 40), qu’on reste indéfectiblement centré sur un il y a des plus pauvres, des plus communs – porte alors à quelque dérapage du sens, à quelque vertige chargé d’intensité. Lucidité, attention à ce qui vibre dans l’obscur, le simple, le terne du journalier, le démuni des choses qui nous entourent, les tracesornières ou sédiments de l’expérience ordinaire, à vrai dire « il n’y a rien d’autre à partager », chez Emaz « que la vie basse, la vue basse, le ras de terre, (que l’on creuse) jusqu’à lui donner une profondeur » (Emaz 2009a : 117), ras de terre que jamais d’ailleurs l’on ne décrit, juste l’évoque t-on par flashes, noyaux de « micro-séquences » (Emaz 2009a : 26), « bouts de réels » (Emaz 2009b : 65) juxtaposés, préservant par là même leur capacité de fissuration ou leur force d’ébranlement. Et c’est seulement à ce prix que la poésie sera « veilleuse ou lichen » (Sacré 2006 : 17), veilleuse travaillant humblement le pâle, le fruste, les riens du concret, désignés ici, révélés aussi bien dans leur étonnante opacité de présence et de signification, lichen ténu qui tient pourtant, dans l’intimité du réel, animé du simple désir « de saisir un mouvement de vivre, comme un remous, une convulsion, un soubresaut » (Emaz 2003 : 22). Pointer et rendre compte le plus succinctement qui soit de ce qui fait face, donner à voir l’évidence, la platitude quotidienne, s’opère ainsi à partir d’une exigence qui impose à la langue toutes les formes possibles de silence tensionnel, scénographie énonciative épurée à l’extrême avec l’emploi constant de monosyllabes et monorhèmes, l’omniprésence du blanc, le tropisme du disjonctif et la prégnance de l’ellipse et de l’indétermination. Sans oublier la résorption du verbe dans le peu du même, la dynamique évocatoire de la répétition car la poésie d’Emaz relève bien d’un travail quasi sériel, parole de rumination aux vibratos assourdis, sondant toujours les mêmes horizons, les mêmes réalités, requise par une sorte de concrétion thématique particulièrement réduite, si limitée même qu’il y a tout lieu de penser que c’est pour une grande part cette densité là qui assure à l’œuvre une saisissante intensité d’émotion. Davantage, le geste d’écriture se centre sur un essentiel qui, s’il est sans fin pétri et repétri dans une « tourne » mélancolique, ne manque pas de nous placer au cœur d’un questionnement existentiel des plus implacables. On n’arrête pas en effet, dans des jeux infinis de variations (mais toujours dans un retrait, une pudeur et un effacement des plus pointilleux) de se préoccuper de cette trivialité qui, au fil des jours nous confronte à l’expérience de la maladie, du deuil, d’un vivre-ici douloureux ou simplement ordinaire et lucide – « c’est trop étroit une peau » / « On ne s’y retrouve pas » / « C’est toujours tellement à côté » (Emaz 2007 : 187, 185 et 146), [...] – trivialité qui, à force, engendre et requiert de nous « une forme d’écart », « la mélancolie » (Emaz 2003 : 68), pour mieux serrer au plus près, sans tricher, rien que « les os d’une vie, d’une période » et « ramene(r) inlassablement » à cette question-là : « Qu’est-ce qu’on fait d’une vie ? » (Emaz 2009a : 63, 117). Bref, nul autre cadre ici que celui d’une irréductible contingence, nulle autre matière que celle de la condition humaine et cette logique d’aimantation s’affirme notamment dans le choix exclusif du pronom indéfini, on de réserve et d’effacement, placé à la jointure de l’intime et du général, on détourné de soi et tourné vers le commun, on de référence à l’universalité de l’humain. Nous apostrophant avec la force de présence d’un témoin, plongé dans une référenciation qui d’emblée l’ouvre à un-delà de lui-même (tout en n’évacuant pas l’horizon constitutif du moi biographique), le on a une manifeste fonction exploratoire de toutes les modalités du vivre la condition humaine, et, entre cette forme d’exemplarité et l’indétermination de la situation énonciative qui le caractérise (avec cet effet de lointain qui paradoxalement a le mérite de nous le rendre plus proche), il y a assurément là, comme le souligne Emaz, « une invitation au lecteur » et « ce dernier point importe : le poème à moins à se retourner vers moi qu’à se projeter vers l’autre » (Emaz 2001 : 5). Permettant de coller à un questionnement existentiel qui constitue le point nodal du projet d’écriture d’Emaz, l’emploi du on, situé comme en amont du je et en même temps chaînon décisif entre l’individuel et l’universel dont il se fait l’écho et l’ombre austère, ouvre la scène poétique à tous, voix d’une intériorité qui prend le risque de l’esquive et du retrait et qui, dans l’indistinct et l’inassignable trouve les conditions d’un apparaître et d’un dire qui provoquent encore plus à l’écoute et nous associent encore plus à ces presque riens du vivre évoqués là et résonnant cependant au plus profond. Ce on en tout cas a un pouvoir d’éclairage sur le propre de la condition humaine assez exemplaire : le je se tait pour laisser advenir le visage de l’humain, il bannit toute configuration discursive autocentrée pour seulement se situer à l’échelle de l’exister, un exister qu’il n’a de cesse d’interroger dans la justesse d’un pas « hors de soi » (En référence au titre de l’article Collot 1996), d’une posture d’extériorité qui « engage une communauté d’expérience » (Emaz 2001 : 5) et offre une voie d’accès à la présence comme à l’accord : « il s’agit en quelque sorte (pour le poète) de délaver suffisamment (sa) vie pour arriver à un point de tangence de sensibilité pour (lui) et le lecteur » (Emaz 2001 : 5). L’éviction du je participe donc d’un processus d’ouverture au prochain qui ne correspond pas nécessairement d’ailleurs à une définitive occultation de soi : à croire que ce chemin de traverse ou d’énonciation oblique ne contraint nullement à écarter l’évidence d’un ancrage dans la circonstance, l’immersion dans l’ici propre à chacun, bien au contraire, juste répond-on à une double exigence de lucidité et de « lisibilité », sans « laisser-aller (ni) débraillé » (A. Emaz évoquant P. Reverdy dans Dupin, Chapon et Peyré 1990 : 119). Rompant avec toute unicité de référenciation en jouant sur la plasticité du pronom indéfini, dont le travail des « figures » auxquelles il renvoie, libère de toute représentation prisonnière d’une stricte corrélation entre l’écrivain et la scène scripturale qu’il compose, et de tout repli dans une réalité empirique fixe et déterminée, Emaz fait de cet usage constant du on qui constitue une pièce maîtresse de son dispositif énonciatif, un rempart contre toute « viscosité lyrique » (Roubaud 1973 : 117) et une voie d’excentration pour s’ancrer mieux dans la force et le poids de ce « rien que de commun » (Emaz 1997 : 24) de l’expérience humaine. Ce mode d’énonciation transpersonnel témoigne bien d’une indéfectible exigence de vérité qui « colore » également tout le chromatisme affectif propre au registre élégiaque dominant dans l’œuvre d’Emaz, écriture toujours confrontée semble-t-il à « l’à-quoi-bon / profond comme sable » (Emaz 2004 : 94) et se cristallisant autour d’un questionnement prioritairement ontologique, mais aux prolongements éthiques. Ainsi, même centré sur cette « sorte de gris sans faille » (Emaz 2004 : 18), cette fêlure intérieure qui creuse tant, le poème d’Emaz, en lieu et place d’une plainte aux consonances psychologisantes parvient à n’être que de veille et de méditation, d’exploration des inquiétudes humaines les plus profondes et les plus poignantes, parole donatrice d’une forme de vérité, osons le terme, métaphysique, vécue et exprimée au plus près de l’expérience commune, parole d’un qui se choisit « travailleur de la lucidité » (Sacré 2006 : 15) et qui « (écrit) donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé » (Sacré 2001 : 7). Et cette parole qui se risque à dresser l’inventaire des traumas de notre échelle de temps intérieur comme de ceux dus « à cette bêtise massive » (Emaz 2004 : 65) qui règle trop souvent l’ordre des choses, n’évacue surtout pas le mal-être en l’enserrant dans une rhétorique TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 5 convenue ou complaisante. Du vivre, elle dit plutôt le plus dérangeant et le plus ordinaire à la fois, dans une pureté d’évidence dont la rectitude s’avère aussi affaire de morale, « une morale simple, au fond : rester debout » (Sacré 2001 : 10), et tout faire également pour « s’adresser au lecteur et (…) le mettre en route » (Emaz 2003 : 89). Le C’est oui, accapare Emaz, et dans ce face-à-face, on ne vise pas tant à se désenliser du quotidien qu’à en manifester la substance ou la démesure tout autant, qu’à en considérer le relief et les arrière-plans, à même de laisser transparaître en retour, comme à la dérobée, quelque chose du vivre-ici de l’ordre du plus essentiel : le cœur bat la vie est posée là on n’est comme plus en elle on est où sur une chaise de paille face à la fenêtre noyée on veille quoi (Emaz 2008 : 133) On puise d’abord dans l’évidence, dans une matière des plus communes, objectives et banales, et dès le second vers, on introduit un hiatus qui défait toute stricte adhésion au circonstanciel d’une part en concrétisant de l’abstrait devenu poids, dégoût d’être et non-sens conjugués, d’autre part en marquant une étonnante extériorité du point de vue dont les vers suivants ne vont faire qu’exacerber l’impact révélateur. Dire la condition humaine dans ses moments douloureux de non-appartenance à soi – et quoi pourtant de plus stéréotypé dans la tradition lyrique ? – est bien ici l’un des « enjeux » du poème, mais l’on travaille, comme toujours avec Emaz, dans l’estompe (métonymique par exemple, avec des objets du quotidien instruments ici de résorption/incarnations de l’humain, indexant autant de ruptures de plans signifiantes que démontant le puzzle de ces truismes qui nous font « tenir »), et 6 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 à partir de l’appréhension la plus abrupte du partageable, du commun de l’exister que l’on interroge et découvre sans compromission d’aucune sorte, au ras de la situation, à l’écart de soi certes, mais au plus profond des fêlures humaines. Force est de reconnaître alors la densité émotionnelle, la teneur ontologique et même « l’impact moral » (Sacré 2001 : 24) de tels poèmes, qui trouvent dans l’évidement, les effets tensionnels et cette exigence du peu, du « gris » auxquels ils s’originent de quoi repenser le sens de l’humain, de quoi viser simplement un « être-ensemble-en-face » (Emaz 2003 : 16). Faire retour à une éthique du commun et en attester l’exemplaire nécessité (pensons aux carnets et aux entretiens) se révèle également dans le texte poétique ne serait-ce que par les modes d’articulation de l’indéfini et du personnel ici privilégiés, articulation nullement empiégée dans une nomination (et une figuration) coïncidant avec une contextualisation circonscrite au seul temps de l’écriture, à laquelle on substitue une évocation que chacun reste libre de refaçonner à son gré, dans un élargissement des plans de signification qui va de pair avec un mouvement d’élection et d’invite adressé au monde comme au lecteur. Emaz a ainsi tendance à inscrire ses poèmes dans une sorte de continuum qui se trouve être à la fois celui du recueil (organisé le plus souvent de façon sérielle), celui d’une expérience individuelle propre – imposant clairement une configuration concrète et « subjective » de l’énonciation sans rien à voir avec quelque jeu de langage, d’esprit ou quelque aspect fictionnel qui soient, configuration dès lors donatrice d’un poids de vérité ontologique, d’incarnation tout à fait sensible – et celui d’une indétermination (vague d’un sens en latence à habiter par chaque lecteur) qui ouvre et croise les références au point d’assurer un lien de transubjectivité extrêmement fort : ni peur ni larmes ou bien c’est plus profond on est là on sait que ça ne sert à rien c’est en train de finir on ne fait pas effort pour rester même si le ciel est bleu dehors et si on n’a pas grand-chose à voir dans cette cassure de temps qui vient (Emaz 2004 : 104) Il y a là, comme toujours chez Emaz, une focalisation sur un noyau événementiel singulier et sans éclat, qui accapare néanmoins tant il nous ramène à quelque débâcle intime face au « tranchant » du vivre (et comme c’était déjà le cas dans Boue, c’est bien la confrontation à l’agonie, à la mort travaillant le corps qui constitue le « sujet » du texte) avec en outre un dispositif circonstanciel enchevêtrant tropismes personnel et collectif. On convoque en effet l’indéfini (mettant en jeu d’emblée un trajet de l’individuel au commun), l’affect (peur, larmes, profond : un simple rappel, sans aucun pathos, qui nous installe dans l’essentiel, les deux premiers termes étant significativement rejetés) et un espacetemps à la fois flou et sans consistance mais qui rayonne jusqu’à nous, et même jusqu’à ce qui nous est commun à tous, cette impuissance devant l’évidence d’un non-sens, l’infini et dérisoire questionnement existentiel de la condition humaine. Le poème qui déplace sans cesse les horizons, du contingent à l’universel, de la chambre d’hôpital à la table d’écriture et à l’acte de lecture, et les points de retentissements, nous atteint, dans un abrupt d’irruption assez rare, au plus profond. Un désignation qui travaille sur du lacunaire et de l’implicite, appels qui ferrent le lecteur et semblent même le forcer à l’adhésion, des termes à la fois chargés de présence et transparents au point de « s’accorder » à chaque lecteur, les lointains d’une expérience singulière présentifiés de façon si probante que cette dernière s’imprime jusque dans notre horizon le plus personnel, et dans celui de tout l’humain aussi ; assurément quelque chose là, dans la configuration énonciative, nous reconduit à la réalité d’une invite, à la dimension d’hospitalité de modalités d’écriture qui font des poèmes des espaces de rencontre et de partage, d’où le poète « (fait) signe avec des mots » (Sacré 1993 : 123). Ou comme le dit Emaz lui-même, entre « une morale de l’attention au monde » et une « vocation du poème à mobiliser tout l’être, de l’auteur comme du lecteur », ce qui importe reste bien d’instaurer « un rapport de fraternité, de reconnaissance humaine » (Emaz 2003 : 96 et 97). FOOTNOTES 1 Lire à cet égard (entre autres références) Emaz 2009b : 70. 2 Il évoque ici le recueil Peau (2008) et ajoute plus loin que les poèmes lui « semblent (…) presque fondus dans la couleur puce dominante. 3 Il y « faut », selon Emaz « une tension maximale » (Emaz 2003 : 67). BIBLIOGRAPHY Collot, M., (1996) « Le sujet lyrique hors de soi », in D. Rabaté (dir.), Figures du sujet lyrique, Paris : PUF, coll. « Perspectives littéraires », pp. 13 – 125. Du Bouchet, A., (1989), Carnets 1952 – 1956, Paris : Plon. Dupin, J., & Chapon, François., & Peyré, Y., (dir.), (1990), Pour Reverdy, Cognac: Le Temps qu’il fait. Emaz, A., (1990), En deçà, Paris : Fourbis. _____ (1997), Boue, Paris: Deyrolle. _____ (2001), « Entretien avec Antoine Emaz », in Scherzo, 12-13 (août), p. 5. _____ (2003), Lichen, lichen, Paris : Rehauts. _____ (2004), Os, Saint-Benoît-du Sault: Tarabuste. _____ (2005), K.-O., Paris : Inventaire/Invention. _____ (2007), Caisse claire – Poèmes 1990 – 1997, Paris : Seuil, coll. « Points ». _____ (2008), Peau , Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste. _____ (2009a), Cambouis. Paris: Seuil, coll. « Déplacements ». _____ (2009b), Lichen, encore, Paris : Rehauts. Le Gall, J., (2008), Supplément Triages, Actes du Colloque Antoine Emaz, Saint-Benoît-du-Sault : Tarabuste. Rabaté, D., (2009), « Rencontre avec Antoine Emaz et Christian Oster, Dominique Rabaté, Dominique Viart », dans Rabaté & Viart, p. 289. Rabaté, D., & Viart, D., (dir.), (2009), Écritures blanches, Saint-Etienne : Publications de l’Université de Saint-Etienne. Roubaud, J., (1973), Trente et un au cube, Paris: Gallimard. Sacré, J., (1993), La poésie, comment dire ?, Marseille: André Dimanche, « Ryôan-Ji». _____ (2001), in Scherzo, 12-13 (août). _____ (2006), « Entretien avec Antoine Emaz », Nu(e) 33, Nice, p. 15. TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 7 POST-COLONIALISME AUSTRALIEN ET AUTORITE: L’IMAGINAIRE NATIONAL A L’AUNE DE LA DIASPORA SALHIA BEN-MESSAHEL Dans son article « Rethinking Postcolonialism and Multiculturalism in the Fin de Siècle », John Docker indique que les termes « postcolonialisme » et « multiculturalisme », termes qui s’appliquent à l’Australie dès la deuxième partie du 20ème siècle, ont une capacité totalisante qui tend à faire abstraction de la différence (Docker 1995). Docker s’appuie sur les discours relatifs à la nation, l’appartenance et l’identité, à un moment où l’Australie s’interroge sur son lien constitutionnel avec le Royaume-Uni et sa place en Asie-pacifique. Il pointe les glissements qui s’opèrent entre la théorie postcoloniale avec ses références à l’Orientalisme et la rhétorique du multiculturalisme qui, selon lui, ne prend pas en compte le caractère hétérogène des différentes communautés qui composent l’Australie, une hétérogénéité qui est visible dans les relations qu’entretiennent ces communautés entre elles mais qui se manifeste également au sein même d’une communauté. Les remarques de Docker sont appuyées par un grand nombre de critiques qui interrogent l’idéal politique du multiculturalisme dans une société où l’acte de colonisation du peuple indigène n’est toujours pas officiellement reconnu et qui entretient un lien indéfectible avec le Royaume-Uni aux dépends de toutes les autres cultures qui forment une diaspora en marge d’une majorité anglo-australienne. Cet article se propose ainsi d’interroger la manière dont des romanciers australiens issus de l’immigration grecque, comme Christos Tsolkias, ou de la diaspora asiatique : Nam Le et Beth Yahp, s’intègrent ou non à une destinée australienne en Asie-pacifique, une destinée post-coloniale qui tente de réconcilier un héritage impérial d’oppression de l’Autre culturel avec le présent, par le biais du multiculturalisme. Il s’agira par conséquent de comprendre ce qui est entendu par « imaginaire australien » et de se demander dans quelle mesure celui-ci encourage ou non l’inclusion des voix de la diaspora. Il s’agira en outre de se demander si l’écriture du migrant ne se manifeste pas en quelque sorte comme une narration parallèle, en marge d’un canon littéraire australien, qui interroge ou déplace le 8 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 concept de « post-colonialisme » tel qu’il a été défini par Bill Ashcroft (Ashcroft, Griffiths & Tiffin, 1998). Un postcolonialisme écrit avec le tiret et qui, tel que l’entend Ashcroft, est signifiant de la culture affectée par la mise en œuvre des pratiques impérialistes du moment de la colonisation jusqu’au présent, et qui permet d’observer le prolongement de préoccupations australiennes par l’intermédiaire du déroulement d’une histoire initiée par les empires européens. La perception d’Ashcroft qui fait état du prolongement d’une histoire coloniale dans la réalité postcoloniale lève un certain nombre d’interrogations quant à la place du migrant dès la deuxième partie du vingtième siècle, période qui assoit l’autorité politique de l’Australie sur le territoire Asie-pacifique, et son positionnement social et culturel dans un ensemble définit comme étant postcolonial et multiculturel. Prenant en compte cette définition, la critique Sneja Gunew (1999) s’interroge sur la véritable nature du multiculturalisme australien et sur la place des migrants qui ne seraient pas reconnus comme citoyens à part entière d’une Australie encore très attachée à un passé commun avec le Royaume-Uni. La vision d’Ashcroft et de Gunew, bien qu’elles présentent des perspectives divergentes renvoient à l’espace et au territoire australiens comme signifiant d’une identité multiple : lieux de l’histoire, de la généalogie et de la spiritualité indigène, territoires colonisés et signifiants d’une identité légitimée pour les Anglo-australiens, territoire mouvant et subversif pour les migrants. Les récits de Tsiolkas, Le et Yahp montrent que l’altérité des individus – qu’ils soient issus de la migration européenne (entendu ici comme non-anglophone), ou de la migration asiatique – déplace la notion même d’altérité post-coloniale, interrogeant de manière subversive le rapport à l’Empire, au passé colonial et au Royaume-Uni. Dans un article sur la situation critique des réfugiés en Australie, le romancier Christos Tsiolkas avance l’idée que la nation est un espace duel et multiple : The reality is that there isn’t “one nation” that makes up Australia, only competing notions of “nationhood”. There is the cosmopolitan, educated nation of the inner cities and the parochial, anxious communities of the urban fringes and the bush. (Tsolkias, 2013a) Originaire de Melbourne, de parents immigrés grecs, Tsiolkas repense la diversité du monde et de l’individu, il montre une volonté de pointer les glissements qui s’opèrent entre construction de soi et déconstruction de l’autre, négation de l’autre et affirmation de soi, dans un pays qui vante son multiculturalisme et son unité nationale. Tsiolkas ancre ses histoires dans l’espace urbain de la ville et de la banlieue comme espace de soi et d’interrogation de l’altérité, il s’impose comme l’un des auteurs majeurs de la littérature australienne contemporaine, célèbre pour des récits qui interrogent la famille, la sexualité, la classe sociale et la société multiculturelle prise dans son ensemble. Son tout dernier roman publié en 2013 et intitulé Barracuda reprend, comme ses deux précédents romans, Dead Europe (2005) et The Slap (2008), le concept d’enracinement et d’appartenance, dans le paysage urbain, critiquant l’héritage culturel anglophone imposé par l’histoire et une société multiculturelle instable. La narration met en scène la vie à peine réellement vécue et vite bouleversée de Daniel Kelly, un lycéen qui obtient une bourse d’études dans l’un des plus prestigieux lycées de Melbourne, pour ses capacités en natation. Le roman qui parcourt les 16 années de vie du personnage, de l’adolescence à l’âge adulte, interroge la question d’identité culturelle et de cohésion nationale, mettant en exergue le côté artificiel des symboles culturels du pays (la natation et le succès olympique), la question de l’égalité sociale. La natation, comme symbole de réussite et de reconnaissance sociale voire culturelle, symbolise l’identité flottante d’un personnage en quête de reconnaissance dans un milieu qui lui est autre et où il devient lui même autre. Daniel, dont le nom se décline sous plusieurs formes « Dan », « Danny », « Barracuda » « Psycho », « Dino », est un sujet déplacé ; ironiquement multiculturel de naissance : descendant de parent grec et écossais mais australien de naissance. Le personnage ne peut jamais complètement faire un avec son environnement social et culturel ou se soustraire à l’autorité imposée par l’argent et l’artifice de ses camarades de classe, représentants de la majorité anglophone certes mais surtout d’une élite bourgeoise qui semble naturellement bien loin de l’égalitarisme australien, pilier supposé de la culture australienne. Le récit qui passe subitement de la première à la troisième personne, se déroule à différents endroits : Melbourne, un Lycée ironiquement surnommé « Cunts College » situé dans une banlieue aisée et le domicile familial, une banlieue populaire en marge de la population angloaustralienne, puis la ville Glasgow qui marque le retour aux origines familiales et qui porte en elle une marginalité tout aussi aigüe par rapport au centre anglais. Le déplacement géographique permet de suivre l’évolution du personnage et de nuancer la colère de Danny, adolescent, car les réflexions de Danny adulte mettent en exergue les processus de mise à l’écart et de construction de l’altérité, tout en rappelant les porosités des différents espaces sociaux, culturels et politiques. L’espace posé se manifeste comme hétérotopie qui représente une culture et une image tout en la contestant et en l’inversant. La banlieue est caractérisée par une constante collusion entre deux pôles divergents, monoculturalisme et multiculturalisme, richesse et pauvreté, générant ainsi un espace où les lignes de fractures sont visibles et bouleversent l’idéal australien de diversité culturelle et de cohésion sociale. Invité par son camarade de classe, Martin, Danny découvre un milieu social aux antipodes de son quotidien et de sa famille. La situation des Taylor, symbolisée par une maison cossue dans une banlieue aisée, met l’accent sur le pouvoir détenu par une élite qui entretient les valeurs hérités de la Terre-Mère, le Royaume-Uni, et traite avec condescendance voire racisme clairement affiché, notamment envers les juifs (Tsiolkas 2013b:103-104), tout migrant et descendant de migrant qui est originaire d’un pays autre que le Royaume-Uni. La conversation entre Danny et Mme Taylor, grand-mère de Martin et personnage dickensien, met ironiquement l’accent sur l’artifice d’une élite et de la société dans son ensemble : Virginia was floundering for a response when the old woman turned to Danny. ‘Like your mother. Martin tells me she is from Greece. Which part of Greece is she from my dear ? Next to Danny, Virginia slumped back in her seat. ‘Crete.’ He suddenly had the attention of everyone at the table. He hated it, wanted to escape out to the turquoise-flecked sea just visible through the trees. … ‘… was your mother born on the island ?’ ‘No. She was born here.’ … ‘And your father ?’ … ‘And he’s not Greek ?’ ‘My nan is Irish and my grandad is Scottish. But Dad’s an Aussie, he was born here. (Tsiolkas 2013b:122-123) Le développement de l’histoire déconstruit l’idée inculquée aux Australiens qu’ils sont un peuple ordinaire sans classes sociales, loin de l’élite des classes et du capitalisme européen, et n’épargne pas le principe australien de l’égalitarisme, selon lequel l’Australie est un pays sans classe sociale où tout un chacun peut réussir en faisant des efforts. L’expérience et les réflexions du personnage, qui se pose comme étant est à la fois acteur et étranger, permettent ainsi de signifier un point de vue extérieur sur la majorité anglophone mais aussi, et souvent indirectement, sur les formes d’identification sociales et culturelles de la majorité tout court car les minorités visibles ne sont pas épargnées. Dépositaire des traditions et du conservatisme britannique, Mme Taylormère considère qu’être Australien et de culture australienne signifie être de descendance britannique. Les remarques et l’attitude du personnage suggèrent que la manière dont la majorité angloaustralienne définit le reste de la population comme « Autre » est similaire à la vision orientaliste dénoncée par Edward Said. Mme Taylor-mère se place en position de supériorité par rapport à une altérité construite par un système de valeurs qu’elle représente. L’altérité posée dans le roman interroge le rapport à l’Europe et au passé colonial, et opère de manière subversive contre une altérité du multiculturalisme et du post-colonialisme, mettant en regard, une culture Anglo-australienne hégémonique et une culture européenneaustralienne, qui exclue de ce fait les indigènes et les Australiens d’origine asiatique et qui renforce la critique de l’eurocentrisme. Lors d’un dîner pour célébrer la fête nationale australienne, Australia Day, Daniel est confronté à l’animosité de ses amis envers cet événement qui renvoie à la colonisation de l’Australie et au côté artificiel des valeurs politiques et sociales : You all think you’re so egalitarian, but you’re the most status-seeking people I’ve met. You call yourselves laid-back but you’re angry and resentful all the time. You say there is no class system here, but you’re terrified of the poor, and you say you’re anti-authoritarian but all there is here are rules … We are parochial and narrow-minded and we are racist and ungenerous and we occupy this land illegitimately and we’re toadies to the Poms and servile to the Yanks … (Tsiolkas 2013b: 401) Les reproches qui sont fait à Daniel soulignent non seulement l’hypocrisie et le mensonge des valeurs australiennes mais ils soulignent une attitude encore coloniale chez certains individus et l’attachement politique du pays à la Terre-Mère et au partenaire américain. Le roman de Tsiolkas partage une préoccupation commune avec l’écriture et les questions soulevées par des romanciers australiens d’origine asiatique. La première étant que l’idée de nation telle que la colonisation l’a TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 9 imposée a longtemps été façonnée selon une position entre une Australie blanche dite civilisée et un peuple Autre, moins blanc, de couleur et entendu comme non civilisé. Ainsi, la diaspora en provenance d’Asie, peut-être à l’exception de l’Inde elle-même colonie de l’Empire britannique, a longtemps suscité la méfiance d’une Australie coloniale soucieuse de sa position stratégique dans le pacifique sud et peu encline à s’insérer dans un périmètre Asie. Le romancier Brian Castro, à l’identité hybride (chinoise, anglaise et portugaise), a clairement pris position contre l’eurocentrisme et le conservatisme d’une frange historiens tels que Geoffrey Blainey, encourageant les Australiens à reconfigurer l’espace et leur identité au sein de la zone Asie-pacifique : (…) Australia (…) has written off Asia for almost 200 years ; written off the countries of Asia, with various cultural traditions of thousands of years. Perhaps it is time to write ‘Asia’, to write within it and of it, rather than just about it. The word Asia is found, after all, in the word Australia. If Australia wants to refigure itself in its relationship to the countries of Asia, to become part of Asia, as it were, then Asia must also be part of Australia. (Bennett 2006: 207) Brian Castro met en avant les méfaits de l’histoire et de la colonisation européenne en Asie, il plaide pour une redéfinition de l’histoire nationale et au-delà d’un simple plaidoyer pour reconnaissance de l’hybridité australienne, encourage l’Australie à trouver sa place dans la zone Asie et ainsi, à « reterritorialiser » son espace. Les remarques de Castro, partagés par nombre d’intellectuels de gauche, en Australie, renvoient donc au concept de déterritorialisation porté par Deleuze et Guattari dans l’Anti-Œdipe (1972) puis repris dans Mille Plateaux, huit années plus tard. La position marginale de l’Autre par rapport à un centre majoritairement anglophone, qui remonte à la colonisation du continent australien, a alimenté le débat des études postcoloniales, et continue de susciter des 10 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 interrogations liées à la nature justement « postcoloniale » sans tiret ou « postcoloniale » avec tiret de l’Australie au 21ème siècle. La politique du multiculturalisme, telle qu’elle a été envisagée à partir des années 80, a très certainement conforté une classe et une élite dirigeante par rapport à la reconnaissance de l’altérité, invitant l’Australie dans son ensemble à embrasser sa différence par rapport au canon britannique. L’hybridité et l’altérité culturelles ont été, et sont encore pour certains romanciers et artistes, une manière de se réapproprier un espace pour réécrire une histoire commune mais multiple du personnage hybride – une hybridité qui permettrait, selon Brian Castro, de transgresser les genres et de donner une forme narrative à la position minoritaire que le romancier occupe (Bennett 2006: 206). Le refus de Castro d’être catégorisé « auteur de la diaspora » est lié à sa volonté de ne pas mettre en avant sa diversité culturelle et (ses origines sont à la fois portugaises, anglaises, chinoises, françaises). Castro définit son écriture comme moyen de résister au discours sur l’identité. La fiction des romanciers australiens d’origine asiatique partage la volonté de résistance prônée par Castro, tout en abordant un certain nombre de thèmes communs à l’écriture de la diaspora asiatique : le retour vers le pays natal, le déchirement et l’appartenance, la marginalité, l’oppression de castes, le multiculturalisme, l’orient et l’occident, les croyances et la spiritualité, thèmes et constructions narratives (voix multiples et fragmentation qui forme une unité), qui contre-écrivent non pas au centre britannique mais à un centre angloaustralien qui les marginalise. Dans son roman Crocodile Fury, publié en 1992, Beth Yahp met en avant la thématique culturelle, la confrontation de l’Orient et de l’Occident, à travers 3 générations de femmes d’une même famille. Yahp utilise les différents récits des personnages comme condition pour définir les contours d’une identité discursive, que l’on perçoit au cœur de la quête de l’individualité. D’origine malaysienne, Yahp effectue un retour vers l’Asie et son caractère hybride (née elle-même d’un père chinois et d’une mère thaïlandaise) pour dénoncer les méfaits du colonialisme mais également pour montrer que le concept même de culture et d’identité est mouvant. Beth Yahp ancre son récit circulaire dans un lieu qu’elle ne nomme pas mais qui ressemble fortement à la Malaisie, elle dépeint la subjectivité du personnage chinois dans une situation de migrant en le plaçant hors de l’Australie ce qui permet au récit d’interroger la manière dont la question d’identité post-coloniale et d’altérité transforme voire redéfinit des territoires géographiques et culturels, en s’appuyant sur le concept foucaldien de l’hétérotopie. Une hétérotopie ou un « contre-espace » dont le rôle est de créer un espace d’illusion qui dénonce comme plus illusoire encore tout l’espace réel, tous les emplacements à l’intérieur desquels la vie humaine est cloisonnée (Foucault 1984: 46-49). Les trois personnages principaux du roman sont à la fois liés par le lien héréditaire mais également par un espace commun, un couvent qui est symboliquement situé sur une colline en marge de la ville, le lieu où comme cela est répété à plusieurs reprises dans le roman : « tout commence » car le couvent est l’espace du recommencement de l’histoire et le lieu d’une histoire multiple. Devenu école que fréquente la jeune narratrice, le couvent était jadis le lieu de travail de sa mère (une blanchisseuse que la vie n’a pas épargné) et l’ancienne habitation du riche propriétaire qui employait sa grand-mère. Le couvent est un lieu hybride, lieu de la vie et du vide, qui renferme à la fois l’histoire personnelle de la famille de la jeune narratrice et l’histoire coloniale portée par les religieuses du couvent. Le roman met ironiquement l’accent sur l’héritage et le pouvoir ancestral, symbolisés par l’autorité de grand-mère, comme contre-pouvoir au pouvoir colonial. Porteuse des valeurs ancestrales et spirituelles de l’Asie, la Grand-mère est celle qui transmet la mémoire, une mémoire oralisée et des croyances qui subvertissent l’histoire coloniale, histoire fabriquée, et garantissent la continuité de l’histoire réelle et de la légitimité du colonisé, entendu clairement comme dominant bien que la grand-mère elle-même soit le personnage dominant du récit. Ainsi, le rapport hiérarchique entre le colonisateur, l’homme riche, et le colonisé, la grand-mère, qui reprend la problématique postcoloniale du dominant/dominé, est confrontée à l’effet subversif provoqué par l’importance donnée à la tradition culturelle ancestrale symbolisée par la grand-mère et ses divers rôles : matriarche, conteuse, et gardienne d’un savoir ancestral et spirituel. L’image récurrente du Pontianak, figure vampirique féminine du folklore malaysien et indonésien, sert de référent pour interroger l’oppression sexuelle et culturelle des femmes dans la société mais également pour signifier, comme dans la croyance populaire, un danger pour la famille et la société prise dans son ensemble – une société complexe où l’individu erre constamment entre un « ici » et « là » dans un espace marqué par le déplacement, l’aliénation, le rejet et le contrôle de l’Autre. L’intégration dans la réalité sociale et culturelle du réalismemagique, par le biais de la croyance populaire du Pontianak, permet aux voix perdues et/ou aliénées de s’exprimer mais également d’interroger les effets du colonialisme et de la modernité. Comme le suggère la jeune narratrice, l’histoire et ses vérités forment un ensemble fragmenté et jamais entièrement défini, un espace marqué dans la géographie d’une jungle quasi-mythifiée et jonchée des scories du passé colonial : The stories we unearth are like the ruined fountains and garden statues we stumble over, showing only their broken pieces, their missing bits. The bully and I only know what we’re told, what we see. Deep in the jungle we discover stones laid in strange patterns, whether bandit stones signalling long forgotten messages or soldier stones laid for a soldier game, the bully and I don’t know. (Yahp 1992:37). En s’appuyant sur plusieurs récits, espaces et temporalités, dans un lieu figé par le temps (le couvent), le roman dessine les contours d’une construction hybride : histoire ancienne/présent, qui signifie que le réel et le familier est bouleversé mais surtout déconstruit et reconstruit de manière simultanée. Cette construction hybride ou duelle, signifiant de l’altérité du sujet, permet d’animer un récit incomplet où l’absence génère une présence et où la perte est associée de manière ténue à ce qui l’on acquière. La position de Beth Yahp, semblable à celle d’un grand nombre de romanciers issus de la migration postcoloniale, suggère que l’expérience de la diaspora, marquée par des difficultés liées à l’histoire, forme un espace intermédiaire qui ne permet jamais complètement de faire un avec le pays d’origine ou le discours du pays d’accueil, mais que cet espace reflète l’ambivalence du pays d’accueil envers ses minorités et ses Autres culturels. La critique postcoloniale Sneja Gunew ne cesse de souligner le caractère liminal de l’Australie avec l’importance que la « frontière » et la « marge » ont pour une majorité d’Australiens, expliquant que la nature politique et sociale de l’Australie, de la colonisation à la seconde guerre mondiale puis à l’instauration de la politique de l’Australie Blanche et des politiques envers les réfugiés et migrants, a inévitablement imposé des lignes de démarcations comme procédures standard de normalisation. Sneja Gunew ajoute que l’un de ces groupes a vu les frontières et traversées de lignes de démarcation se renforcer alors que l’autre, a toujours vu et subi ces barrières. Gunew considère à juste titre qu’à une époque où l’Australie était confrontée à une migration plus importante, la question des frontières devait être remise au centre du débat car les « émigrants » étaient devenus d’un point de vue angloaustralien des « immigrants » à qui l’on rappeler qu’ils étaient d’éternels transgresseurs, et qu’être un « nouveau citoyen Australien » signifiait être transgresseur de frontières, aux yeux de ceux qui aiment à penser qu’ils étaient là bien avant. Australo-Vietnamien, le romancier Nam Le déclare qu’il veut donner une voix à ceux qu’on n’entend pas, à ceux qui ne s’expriment pas : «Je suis attiré par ces histoires qui ne sont finalement jamais racontées» (Devarrieux 2010). Ayant émigré vers l’Australie avec sa famille en 1979, Nam Le est l’exemple type du romancier de la diaspora qui se définit en premier lieu comme auteur de langue anglaise avant toute appartenance à une identité quelconque. Son recueil de nouvelles, The Boat, publié en 2008, alterne des histoires qui dépeignent les difficultés morales et psychologiques de personnages confrontés à une perte dans un contexte géopolitique troublé. Certaines nouvelles font écho à l’expérience vécue de l’auteur dans sa situation de réfugié vietnamien qui a grandi en Australie, mais Nam Le ancre également les récits dans des espaces tout aussi subversifs comme Téhéran, la Colombie et les Etats-Unis. Symboliquement intitulé The Boat (2008), le recueil aborde la question de l’altérité du point de vue de l’Autre et ce faisant propose une lecture de l’Autre et de sa différence dans une perspective globalisé et non plus locale. La première nouvelle du recueil, sept au total, met en scène un jeune auteur vietnamo-Australien installé aux Etats-Unis, confronté à la visite de son père et au souvenir du lourd passé familial. Le récit du narrateur, identifié par son appellation familiale et culturelle « child », en lieu et place du prénom, met en exergue le thème de l’exil et des cultures. L’identité du narrateur et de sa famille est signifié par le père, lui-même survivant de la guerre du Vietnam et ayant migré en Australie, comme suit : « Nous sommes des boat people vietnamiens » (Le 2008:12, ma traduction). La formule, telle qu’elle est posée signifie clairement que l’individu est enfermé dans une catégorisation culturelle du déplacement et du rejet ou effacement du moi. Cette première nouvelle dont le titre « Love and Honour and Pity and Pride and Compassion and Sacrifice » interroge la réalité et le caractère authentique de l’histoire : « Si j’écris une vraie histoire … j’aurais une meilleure chance de la vendre » dit le narrateur à son père qui a voyagé d’Australie pour le voir (Le 2008:25, ma traduction). Le récit à la première personne se concentre sur l’histoire de Nam, jeune romancier d’origine vietnamienne, ayant grandi en Australie et désormais résidant aux Etats-Unis. Le narrateur souffre du syndrome de la page blanche au point que ce vide reflète son histoire personnelle, le passé et sa relation avec son père. Le titre de la TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 11 nouvelle, qui renvoie explicitement au romancier William Faulkner et à son discours d’acceptation du prix Nobel de littérature en 1950, subvertit la réaction initiale du narrateur à l’égard de son père et de l’histoire qu’il souhaite écrire. Amour, honneur, pitié, orgueil, passion, sacrifice, sont les thématiques que le jeune romancier souhaite aborder dans son roman en évitant toute référence à son passé et à la vérité d’une histoire niée, histoire et négation qui renvoient à l’histoire personnelle et à l’Histoire. La nouvelle interroge la validité de l’histoire et la déformation de celle-ci en mettant en exergue une vision orientaliste de l’autre et de la culture non-anglophone. Les amis du narrateur encouragent l’écriture d’une littérature « ethnique », genre à la mode et facilement publiable : ‘Writer’s block ?’ Under the streetlights, vapours of bourbon puffed out of his mouth. ‘How can you have writer’s block? Just write a story about Vietnam.’ We had come from a party following a reading by the workshop’s most recent success, a Chinese woman trying to immigrate to America. The stories were subtle and good. The gossip was that she’d been offered a substantial, sixfigure contract for a two-book deal. It was meant to be an unspoken rule that such things were left unspoken. Of course it was all anyone talked about. ‘It’s hot,’ a writing instructor told me at the bar. ‘Ethnic literature’s hot. And important too.’ A couple of visiting literary agents took similar view: ‘There’s a lot of polished writing around,’ one of them said. ‘you have to ask yourself, what makes me stand out? She tag-teamed to her colleague, who answered slowly as though intoning a mantra, ‘Your background and life experience.’ (Le 2008: 7-8) L’accent est mis sur le matérialisme et l’intérêt de l’exotisme et, ainsi, sur le rapport à l’autre ou sur sa mise en forme par l’acte d’écriture. L’écriture de l’histoire familiale et du passé aussi dure soit-elle permet au romancier, ici Nam narrateur et personnage principal de l’histoire, de réconcilier passé et présent, d’exister aux yeux de celui dont il s’était éloigné et de se réapproprier des fragments son 12 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 histoire. Le miroir de l’autre (le père) fournit naturellement la possibilité à l’autre (le fils) d’achever son propre visage et sa propre identité. L’Australie, au centre de l’écriture de Nam Le sert de point d’entrée et de sortie à l’histoire fictive si bien que l’hybridité et altérité telles qu’elles sont envisagées par Edward Said ou Homi Bhabha sont désormais confrontées au paradoxe de la nation post-coloniale et de la globalisation. Un paradoxe qui apparaît dans les remarques de Nam Le en réponse au lien fiction/réalité et au caractère autobiographique de cette nouvelle : I think the story is in some senses a testament to that very struggle that I (unintelligible). You know, what am I allowed to write about, what am I obligated to write about and why am I reluctant to write about certain things. And I think that speaks more deeply to my resistance as a writer or any writer as being pigeonholed or having a set of things that they can write about being circumscribed in any way whatsoever. (Raz, 2008) La première et la dernière nouvelle du recueil font référence au vécu de l’auteur et de sa famille, reprenant la migration du Vietnam vers l’Australie, mais Le se détache du rapport au pays d’origine pour aborder des thèmes universels du monde moderne dans une perspective internationale. Chacune des histoires du recueil de reprend le thème de l’identité, du déplacement, de la perte et de la violence subie dans un contexte globalisé qui s’apparente à une Tour de Babel. Australie, Iran, Etats-Unis, Japon, Colombie, forment une cartographie de la fragmentation humaine, sociale et culturelle. « Cartagena » s’intéresse aux gangs et aux cartels colombiens, qui font vivre des hommes et tuent des adolescents, « Meeting Elise » décrit la tentative de réconciliation d’un père mourant avec sa fille et ce faisant interroge le passage du temps perdu et les relations humaines dans un monde froid et calculateur. « Halflead Bay » évoque le passage de l’adolescence à l’âge adulte dans un village de pêcheurs sur la côte australienne, rappelant fortement le style et la thématique du romancier australien Tim Winton par son utilisation du vernaculaire et l’importance donnée à l’environnement. « Hiroshima » décrit la vie d’une jeune-fille quelques jours avant le bombardement américain, « Tehran Calling » associe l’orient et l’occident à travers l’action politique d’une iranienne émigrée aux Etats-Unis, femme dont le retour vers le pays natal est justifié par sa volonté de se battre pour toute personne n’ayant pas pu échapper au régime religieux et totalitaire subi en Iran. « The Boat » évoque la traversée infernale du Vietnam vers l’Australie. Sur une embarcation brûlée entre ciel et eau, un petit garçon et une jeune fille sont réunis par hasard, naviguant sur « les champs des morts, ces parcelles d’océan où des milliers de personnes avaient chaviré et s’étaient noyés» en quête du rêve australien. (Le 2008:268, ma traduction). La nouvelle qui marque le départ du Vietnam et le début d’une nouvelle vie en Australie est ironiquement située en conclusion du recueil de nouvelles, suggérant ainsi que l’histoire n’a ni début ni fin, que le temps et l’histoire humaine sont sans limites ; espaces ouverts, fluides et mouvants. Dans son ouvrage The Politics of Home, Rosemary Marangoly George (1999) se penche sur les conséquences de l’immigration en prenant en compte la critique postcoloniale et postmoderne. Elle avance l’idée que l’immigration et les histoires fictives qu’elle génère montrent un certain détachement pour la notion de « pays natal » car toute histoire de la migration est rattachée, bien que de manière hypothétique, à un autre lieu géographie sur la mappemonde. Le pays natal, ou le point d’origine, dans la littérature diasporique, est selon elle une fiction qu’il est possible de dépasser et de récréer. Marangoly George considère que le fait d’errer le long du territoire de l’Autre culturel ne signifie pas que cet Autre soit un être marginal. Ainsi, elle avance l’idée qu’en tant que sujet postcolonial et postmoderne, l’individu découvre qu’il n’est pas attaché aux choses auxquelles il est censé, de par son éducation et histoire, être lié (Bennett 2006: 189). La vision post-coloniale telle que l’entrevoit Bill Ashcroft est bien une extension de l’histoire mais elle devient elle-même autre dans un processus de déplacement par rapport à la majorité anglo-australienne car les diasporas du 20ème et du 21ème siècle sont des communautés déterritorialisées et disloquées qui ont besoin de construire leur propre location dans un ailleurs, dans un espace de la différance, du différend et miroir d’une identité post-coloniale. BIBLIOGRAPHIE : Ashcroft, B., & Griffiths, G., & Tiffin, H., (1998), Key Concepts in Post-Colonial Studies, London: Routledge. Bennett, B., (2006), Homing In, Perth: Network Books. Bhabha H. K., (1999 ) (1990), Nation and Narration, London: Routledge. Devarrieux, C., (2010), « Nam le Caméléon », Libération, 21 janvier, http://www.liberation.fr/ livres/2010/01/21/nam-le-cameleon_60545, consulté le 31/10/2014. 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Ces derniers vont exercer sur lui un processus de conformité¹ tant verbal que comportemental, dont la finalité est de créer une cohésion du groupe tout en se démarquant des autres communautés générationnelles. Dans cet article, nous aborderons plus spécifiquement une pratique discursive, emblématique de cette période de la vie, l’art de la vanne ou encore nommée insulte rituelle. L’appartenance à un groupe de pairs permet sa transmission, ainsi que le partage d’une culture commune à une génération, la culture adolescente. Les injures rituelles seront étudiées à partir de l’analyse du discours de jeunes dit de banlieue, issus de la deuxième génération d’immigration francophone². Il sera discuté la manière dont cette activité participe avec d’autres à la construction identitaire de l’individu ou plus précisément à l’élaboration des identités du sujet. Ce pluriel renvoie aux notions d’identité personnelle et sociale qui interrogent sur « l’importance des appartenances sociales dans la définition de l’individu et sur la part plus proprement personnelle…..La réflexion sur l’identité pose le problème plus général de l’intégration des personnes dans un espace collectif (la reconnaissance d’une appartenance) et, simultanément, celui lié au fait que ces personnes cherchent une place spécifique dans ce même espace collectif » (Deschamps & Moliner, 2008). L’hypothèse est faite qu’il existe une relation entre la maîtrise d’une compétence valorisée par le groupe social d’appartenance et le développement de l’estime de soi. En effet en d’autres termes, plus le sujet maîtrise cette pratique langagière, plus sa place parmi les membres du groupe est enviable car ses pairs lui renvoient une image de soi valorisée contribuant à une meilleure estime de soi à un moment de la vie où le processus de recherche et de 14 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 construction de soi est tout particulièrement prégnant. LA JEUNESSE OU L’ADOLESCENCE: PÉRIODE DE PRÉDILECTION DE L’UTILISATION DES VANNES Dans un premier temps, il nous semble important de préciser que nous abordons cette période de l’existence en nous référant aux notions d’adolescence ou de jeunesse qu’il convient de discuter. En effet, à l’instar de Cuin (2011), le concept d’adolescence sera préféré à celui de jeunesse, même si nous nous intéressons à des sujets qui vivent la phase ultime de cet âge de la vie et qu’il arrivera dans la suite du texte d’utiliser de manière indifférenciée le terme de jeune ou d’adolescent. Un tel choix est effectué pour des raisons similaires à celles évoquées par cet auteur qui sont que l’adolescence renvoie à une période précise se situant entre l’enfance et l’âge adulte, c’est un moment de transition, une étape de l’existence, un stade de développement, alors que la notion de jeunesse est moins claire d’un point de vue de la temporalité ou du moins de la durée. En effet, dans nos sociétés occidentales qui valorisent toute forme de jeunesse et qui autorise une longévité certaine de cette dernière, il peut sembler hasardeux de confondre adolescence et jeunesse, car cette terminologie décrit souvent une durée bien supérieure à la période se situant entre l’enfance et l’âge adulte. Ainsi, « la notion de jeunesse renvoie à une catégorie sociodémographique extrêmement hétérogène, celle d’adolescence à une expérience originale et universelle » (Cuin 2011 : 72). Par ailleurs, l’adolescence est ici envisagée en termes d’expérience, traduisant une conception de dynamisme, mais également soulignant l’importance du nombre d’opportunités d’expérimenter telle ou telle pratique qui s’offrent à la personne. Il s’agit de considérer l’adolescence en tant qu’une activité individuelle socialement orientée vers un but qui est d’effectuer ce passage entre l’enfance et le monde adulte, d’élargir son intégration qui ne se limite plus à une intégration dans le cercle familial même s’il convient pour l’individu concerné de maintenir cette dernière. Ces nouvelles expériences vont être source d’innovations notamment au niveau langagier. Il est ainsi fréquent d’évoquer l’utilisation d’un parler jeune. Prenons un exemple connu, « Ta mère… elle est tellement », ces termes sont souvent entendus actuellement, pour cela il suffit d’observer une bande d’adolescents. En effet, ces éléments discursifs traduisent une pratique fort prisée par les adolescents qui est celle de la vanne. Cette activité langagière correspond à un jeu social pratiqué entre pairs et se différencie de par sa dimension ludique de la pratique de l’injure. Perea (2011) les distingue en ces termes : « - les insultes personnelles ont pour objectif de blesser autrui en le stigmatisant, en portant atteinte à son ethnie (ethnotypes), sa profession ou ses attitudes sociales (sociotypes) ou à son essence, de manière ontologique… - les insultes rituelles mises en évidence par William Labov constituent une forme d’interaction sociale intégrative. Elles permettent aux adolescents membres d’un gang, par exemple, de marquer leur appartenance au groupe et leur habileté… » (2011 : 54). Tous les sujets interviewés dans cette recherche, la définissent d’ailleurs comme un moyen de s’amuser, d’éliminer un trop plein d’énergie sans jamais faire référence à une intention de nuire ou d’agresser l’autre (Boyer 2013), comme le prouve les propos suivants : « on fait tout le temps pour amuser, quand on vanne, c’est pour rire » (JF, 18 ans). Pourtant cette différenciation est quelque peu difficile à faire pour toute personne extérieure au groupe. Si l’observateur n’appartient pas de plus à cette classe d’âge, il ne possède pas de ce fait les bons codes, et ne peut pas interpréter ces interactions verbales correctement et donc percevoir la dimension ludique de cette pratique discursive. Un constat similaire a été fait en ce qui concerne la perception du parler jeune, « le parler adolescent choque quelquefois par sa dureté, par son agressivité, mais il ne faut surtout pas le prendre au pied de la lettre, au premier degré » (Fize, 2006 : 169). Ce dernier constitue un item important de la culture adolescente. LA CULTURE ADOLESCENTE Avant de traiter plus précisément de la culture adolescente, il conviendra de tenter de préciser ce concept de culture, concept on ne peut plus polysémique et actuellement très souvent, voir trop souvent opérationnalisé, engendrant de ce fait un possible manque de sens. Ainsi, dans son livre étudiant les liens pouvant exister entre la culture et la communication, Caune constatait que « culture et communication deviennent des notions utilisée indifféremment dans les multiples dimensions de la vie sociale, notions qui juxtaposent des points de vue implicites, parfois indifférenciés, souvent contradictoires. Ces notions sont de plus en plus des « mots valises qui masquent bien souvent la réalité des conflits et des ambiguïtés manifestés dans les secteurs sociaux concernés » (1995 : 9). Dans le but de clarifier notre position, de préciser la signification accordée à ce concept, nous reprendrons une définition ancienne celle qui fut élaborée au début du vingtième siècle par Tylor (1903) qui « said that culture is “that complex whole which includes knowledge, belief, art, law, morals, custom, and any other capabilities and habits acquired by man as a member of society.” (1903, chap I :1)³. Actuellement, cette définition conserve à nos yeux toute sa validité, car elle fait aussi bien référence aux divers champs qui participent à l’élaboration de la culture d’un groupe social spécifique, aux différents facteurs qui la constituent, mais également elle met l’accent sur son rôle prescripteur de comportements verbaux et physiques adéquats en fonction de l’espace social considéré. Ce caractère directif et dynamique a été souligné par Warnier (2007) au début de son ouvrage traitant de la mondialisation de la culture, la culture « est la boussole d’une société, sans laquelle ses membres ne sauraient ni d’où ils viennent ni comment il leur convient de se comporter (2007 : 5) ». La culture fonctionnerait comme une matrice de références, mais également comme un prescripteur de conduites et d’attitudes permettant ainsi à chaque membre de la société de se situer dans cette structure sociale. Si nous revenons à l’adolescence, cet âge de la vie voit la prédominance de la bande qui exerce une forte influence sur le sujet (Gottesdiener & al., 2010). Divers auteurs ont montré l’importance de l’amitié et la nécessité d’être aux centres de réseaux d’appartenance (Galland, 2006, Gutton, 2007). Le groupe revêt une importance extrême car c’est le lieu où « avec les pairs, on échange, on dialogue, on coopère, on exprime ses soucis mais aussi ses joies » (Fize, 2006 : 159). Il devient essentiel d’être intégré dans une bande d’amis au sein de laquelle il existe un partage de valeurs entre ses différents membres. Ces derniers deviennent même prescripteurs des comportements à adopter que ce soit, par exemple, au niveau vestimentaire (Mardon, 2010) ou langagier. Cette créativité langagière des adolescents peut être mise en lien avec les mutations corporelles et les bouleversements psychiques émergeant à cet âge (DarraultHarris, 2007). Elle serait pour une part la traduction des nombreux bouleversements et transformations observables à tous les niveaux, à cette période de la vie. Gutton (2013) qualifie même cette culture adolescente de bohémienne de part son caractère créatif, son désir d’originalité que ce soit dans le mode de pensée du jeune sujet ou au niveau langagier. Comme lors d’un processus de création, l’adolescent se construirait à partir de recherches, d’essais, de tentatives …etc., le but ultime étant sa propre construction individuelle. En outre, ces essais créatifs se déroulent le plus souvent sous le regard de l’autre et de manière privilégiée en relation avec le groupe de pairs. Donc, le fait d’appartenir à une bande est d’autant plus primordial qu’il constitue le lieu de prédilection pour acquérir la culture adolescente (Gutton, 2007 ; Pasquier, 2005). En effet, de nombreux auteurs ont démontré l’existence d’une véritable culture adolescente transmise actuellement pour une grande part de pair à pair, en opposition avec une transmission plus verticale par les « pères » (Bourdieu & Passeron, 1964) qui même si elle demeure est peut-être moins prégnante, ou du moins ne constituerait qu’une part de la culture adolescente d’un nombre moindre de sujets ou ne concernerait que certains aspects culturel. Cette transmission horizontale fait que l’ensemble des adolescents français partagent un socle de valeurs, de représentations communes et adoptent pour partie des comportements similaires. Ainsi, quelque soit l’école de la région parisienne considérée dans le cœur de la capitale ou dans une banlieue défavorisée, dès le primaire, tous les enfants savent interpréter le terme de bolos, inventé il y a peu par les jeunes des quartiers définis comme sensibles. La connotation négative de ce mot est présente dans leur esprit même s’il demeure des nuances interprétatives liées au contexte culturel de référence. Ce mot a même acquis un rôle de marqueur identitaire (Fievet & Podhorma-Policka, 2009), évoluant du rôle de marqueur sociologique à celui de marqueur générationnel entre les années 2006 et 2008. DES ADOLESCENTS À UN CARREFOUR CULTUREL Si nous étudions la notion de contexte comme l’a envisagé Valsiner (2000), nous la considèrerons comme une organisation culturelle possédant ses propres représentations, valeurs, codes et pratiques. Ainsi, un jeune appartenant à la deuxième génération d’immigration4 et issu des quartiers défavorisés ou qualifiés comme tels évolue dans divers espaces plus ou moins hermétiques et dont la frontière réelle ou imaginaire se situe d’une part dans le fait de franchir les « murs » de la cité, du quartier, mais d’autre part dans le passage d’une influence culturelle à une autre, à celle de la société d’accueil, à celle(s) du pays d’origine de leurs parents, mais également à celles de leurs voisins (Boyer, 2012). Cette cohabitation culturelle est notamment repérable dans le parler jeune qui emprunte à toutes ses origines des termes, quitte à modifier leur signification par la suite. Plusieurs histoires de vie cohabitent et offrent au jeune la possibilité d’expériences de vie multiples et variées suivant s’ils ont été éduqués dans le respect des us et coutumes de la culture d’origine ou non, s’ils pratiquent ou non les langues parentales…. cette liste ne se TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 15 veut en aucun cas exhaustive. En effet, la supposition est faite que le jeune qui vit dans une banlieue décrite comme sensible se trouve à l’intersection de plusieurs mondes possédant leurs propres normes, codes, pratiques et représentations, c’est-à-dire leurs propres références culturelles. Donc, les jeunes de banlieue se situent souvent aux carrefours de plusieurs cultures, de par l’histoire familiale et l’expérience migratoire vécue par leurs ascendants. En ce qui concerne notre échantillon constitué de jeunes gens issus de la deuxième génération d’immigration francophone, ils sont confrontés à la délicate problématique de la gestion d’une double identité. Français juridiquement, ils se situent à l’intersection de plusieurs contextes culturels qui ne partagent pas systématiquement les mêmes normes et valeurs et ne valorisent pas forcément le même type de compétences chez leurs membres. Il convient de préciser que la notion de milieu culturel est envisagée ici au sens large, elle renvoie aussi bien à des caractéristiques générationnelles, ethniques, socio-économiques ou religieuses. De plus, ils sont comme tout individu influencé par la mondialisation de la culture générée en partie par les progrès techniques qui ont favorisé la libre circulation des produits culturels d’un état à un autre (Warnier, 2007 [1999]). Cette influence va se combiner à celle de la culture du pays d’accueil ainsi qu’à celle du ou des pays d’origine des parents. Cette mixité culturelle se retrouve dans la pratique de la vanne qui renvoie à certaines traditions orales telles que le sabotage en Mauritanie ou le Marcanda au Niger (Bertucci & Boyer, 2013), mais également dans le choix des termes empruntés aux divers lexiques à leur disposition. LA VANNE : UN MARQUEUR IDENTITAIRE GÉNÉRATIONNEL Le phénomène de la vanne invite à se pencher sur la problématique de la construction de l’identité. Le premier constat est que l’ensemble de l’échantillon interrogé affirme pratiquer ou avoir pratiqué cette activité linguistique. Cette nuance de temporalité est initiée soit par l’âge du sujet, soit par le genre, les filles 16 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 de notre étude sont moins nombreuses que les garçons à dire continuer à pratiquer cette expérience débutée au collège. Ce fait autorise le constat suivant qui serait le caractère éphémère ou du moins temporaire de cette activité caractéristique de la période d’adolescence. Vanner permet de montrer son appartenance à un groupe spécifique, mais également son nonappartenance au monde des adultes en remettant en cause ses règles et normes, ici langagières. Le comportement verbal permet de mettre une frontière entre le in-group et l’out-group. Tous les sujets de notre échantillon sont conscients de transgresser les règles et les normes linguistiques tant au niveau du registre, du débit que de la volubilité ou de l’exubérance (Lepoutre, 1997). Mais cette transgression leur permet de marquer la frontière entre eux et les autres communautés culturelles présentes dans la réalité sociale, de montrer leur appartenance à un groupe d’âge spécifique. Les vannes constituent un marqueur identitaire, générationnel. Il ne peut être appréhendé et compris correctement que si le sujet maîtrise le code linguistique en vigueur au sein du groupe de pairs. Les exemples suivants illustrent ce fait. En effet il est impossible de donner la signification correcte à des expressions telles que « il est dans sa trixma (il est dans son délire) [JH, 18 ans] ou tu t’es fait boire (tu t’es fait avoir [JH, 18 ans]) ». D’un point de vue sémiologique, le sujet adulte est dans l’incapacité de donner un sens à ces phrases. Force est de constater, que la valeur ludique mentionnée précédemment est totalement absente si on interroge des sujets adultes à propos des insultes rituelles comme I. Léglise et M. Leroy (2008) l’ont fait, dans leur étude auprès de travailleurs sociaux de la région tourangelle. Ces auteurs montrent dans leurs travaux que les médiateurs urbains décrivent les activités langagières des jeunes issus de quartiers sensibles et plus précisément les vannes en ces termes : « ils font que s’insulter, il n’y a pas de respect entre eux » (2008 : 157). Les données verbales recueillies traduisent alors un sentiment de confusion et de gène entre insultes rituelles et insultes véritables en ne percevant pas la frontière qui séparent ces deux entités et en leur attribuant ainsi un caractère agressif et violent. L’adolescent aura une identité valorisée en relation avec une image de soi positive si ce dernier a une bonne maîtrise de cette activité linguistique. Lors de cette activité linguistique, un phénomène de maintien de la « face », concept défini par Goffman (1973) peut être observé en tant qu’élément participatif à la construction identitaire du sujet. Le fait d’avoir une « face » appréciée et validée par les autres membres du groupe permet d’avoir une image de soi valorisée ou du moins améliorée. Ce processus est d’autant plus important que l’adolescence est une période de construction de soi. « La culture des pairs supplante celle des pères, la transmission s’efface devant l’imitation. Il faut dès lors être à la hauteur du regard des autres, ceux de sa classe d’âge… » (Le Breton 2005 : 589). Maîtriser cette compétence linguistique constitue un des moyens pour le jeune sujet de montrer qu’il possède complètement les codes et les valeurs de son groupe de pairs et ainsi cette maîtrise ou dextérité participe au fait d’avoir une image de soi valorisée car validée par ces derniers (Boyer, 2014) comme l’attestent les propos suivants : « …c’est un moyen d’intégration dans le groupe, si on est..si cette personne est super drôle, … avec mes amis on se vanne tout le temps » (JF, 18 ans) ou « entre 12 et 15 ans, c’est important de vanner, car on cherche son identité, on veut être dans le groupe » (JH, 18 ans). En outre, le parler jeune et en son sein l’utilisation de la vanne, illustration du parler des rues, peut également provoquer un sentiment de peur chez les adultes car comme ces derniers ne maîtrisent pas les codes, ils ont l’impression de ne pas pouvoir contrôler cette pratique qui ne répond pas aux normes linguistiques officielles (Fize, 2007). EN GUISE DE CONCLUSION Dans notre espace social, les vannes correspondent à une activité ludique caractéristique de la période d’adolescence, qui repose sur l’échange de joutes verbales. Le terme de joute renvoie ici à l’idée de joutes nautiques qui opposaient deux hommes dans un contexte de divertissement durant la période médiévale (Boyer, 2013). Un parallèle peut être établi entre ces deux activités qui toutes deux nécessitent la maîtrise de règles et de normes et constituent un « affrontement » amical, à l’issu duquel le meilleur sera gratifié par ses pairs d’une légitimation quasiindubitable. Dans le cadre des injures rituelles, la dextérité linguistique du jeune sujet constitue donc un gage d’une meilleure intégration au sein du groupe de pairs qui, par ce processus de reconnaissance des qualités individuelles, jouent un rôle important dans la construction identitaire du sujet (Plivard, 2010). En tant qu’expression d’une forme d’humour, elle peut être perçue comme nécessaire au développement de tout adolescent selon l’approche psychanalytique qui souligne l’importance des pratiques à visée récréative (Kamieniak, 2005). L’aspect positif de son image de soi se trouve alors renforcée et contribue ainsi à la construction identitaire personnelle et sociale de l’individu. Cette compétence langagière est également la preuve de l’appartenance du sujet au monde de l’adolescence, de part la maîtrise d’une compétence culturellement marquée et valorisée par une classe d’âge bien déterminée. FOOTNOTES 1Nous entendons par conformité le fait qu’un individu modifie son comportement et/ou son attitude afin de les accorder avec ceux du groupe (Fisher, 1996 : 71) 2 Cet article présente une partie des résultats d’un projet de recherche labellisé et financé par la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord pour l’année 2012 (Appel à projet 2011, Axe 1, Industries et arts, thème 7 : anthropologie de la communication). Ce projet est intitulé : « Ta mère, elle est tellement… : joutes verbales et insultes rituelles, chez des jeunes issus de l’immigration francophone », M.M. Bertucci & I. Boyer, coresponsables. 3 Tylor, dans son ouvrage « Primitive Culture » dit que la culture est un ensemble complexe regroupant les savoirs, les croyances, l’art, les lois, la morale, les coutumes et l’ensemble des compétences acquises par l’homme en tant que membre de la société(1903, chap I :1). Traduction de l’auteur 4 Cette appellation « deuxième génération » a vu son émergence en relation avec la présence dans l’espace public d’un nombre grandissant de jeunes nés en France et dont les parents avaient vécu un phénomène migratoire (Santelli, 2004). 5 16 jeunes entre 17 et 21 ans vivant dans l’agglomération de Cergy-Pontoise (France) ont été interviewés. Ils poursuivaient tous un cursus scolaire au moment du recueil des données. BIBLIOGRAPHIE Bertucci M-M, Boyer, I., (2013), « « Ta mère, elle est tellement… », Joutes verbales et insultes rituelles chez des adolescents issus de l’immigration francophone » », Adolescence, Malgré les frontières, Marie-Rose Moro et Philippe Gutton (dir.), 31, 3, pp. 711 – 721. Bourdieu P., Passeron J. C., (1964). Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Minuit, coll. « Le sens commun ». Boyer, I., (2014), « Youth’s language battle: hurting or joking ». 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That lived in the boxroom of a Manhattan apartment for many years, then found its way back again and came to rest on my living-room floor here in Cairo one day in the spring of 1997. (Soueif 1999:11) The Map of Love, the novel by the Egyptian writer in the English language Ahdaf Soueif, tells the story of people whose roads should/might never have crossed. Yet, through a series of coincidences, they do meet, across cultures, across languages and across time. The novel offers a series of crossroads, both in the dynamic¹ and static² meanings of the term. Some characters cut across new spaces/ cultures without stopping, without any awareness of possible turns, while others stop and ponder before changing, or not, direction. The Map of Love is the story of Anna Winterbourne, an Englishwoman, who falls in love with an Orientalist painting in London and travels to Egypt to literally step into the painting. The painting will become the focal point of the novel, one of its structuring elements, from which a series of other crossroads, other points of convergence/divergence will spring. The painting as well as the novel is set at a crossroads where East and West meet, try to meet or fail to meet. So, in London, Anna falls in love with The Siesta (1876), a painting by John Frederick Lewis³, a painting showing a woman lying asleep. On a low bed, pressed into a pile of silken cushions, a woman lies sleeping. Above her, a vast curtain hangs, through the brilliant billowing green of which the fluid shadows of lattice shutters can be made out, and beyond them, the light. One wedge of sunshine – from the open window above her head – picks out the sleeper’s face and neck, the cream-coloured chemise revealed by the open buttons of her tight bodice. A small amulet shines at her throat. (Soueif 1999:27) The lying woman is the focal point of both the English male painter and the English female spectator, both standing outside an open space – the text lays the emphasis on both the woman’s body and the openness of the scene (the ‘shutters’ are in the ‘shadow’). The convergence of their eyes shows their belonging to the same western culture, all the more so as Anna, at that point in the novel, sees the world through her father-in-law’s eyes (Soueif 1999). Their perception of the scene is therefore unsurprisingly similar: an idle woman offered to the eyes of a British (male) spectator, a typical orientalist representation of the oriental woman. West meets West. Anna more or less identifies with that woman since she herself is almost a widower although her husband is yet still alive. His (textual) portrait diverges from the woman’s in the painting: He sits upright in the big chair, his grey woollen dressing gown belted neatly at the waist, his hair combed back, his moustache hiding his upper lip, the lower lip drawn. His eyes fix upon some object behind her left shoulder, then move to the shrouded window, then down to the floor. They never meet her own. (Soueif 1999:28) The uprightness, stiffness, darkness and self-enclosure are in contrast with the fluidity of the light and the relaxed attitude of the woman in the painting. No wonder then that what Anna sees in the painting should be a phantasmal ideal portrait of herself as offered to a desiring husband. Later in the novel, Anna, disguised as a man, happens to be abducted and kept inside a Cairene house which immediately reminds her of the painting. However her first impression is that of a closed space: We alighted […] in a vast walled courtyard. […] I caught a glimpse of a pleasant inner courtyard opening to my left but I was turned into a smaller, paved yard and thence into this room […] It is a middling high room, built of stone, with slit windows high up near the vaulted roof and a stone-flagged floor, and the most part is taken up with wheat and grain, tied into hessian sacks and piled to the height of a man. (Soueif 1999:107-108) When the West meets the reality of the East, the preconceptions derived from the painting need to be reassessed. Anna’s facing the painting was only a convergence of two western gazes. Now, the reality offered to her gaze is different: a concentric enclosure4 delineating a closed space, no longer the realm of a sensuous idle woman but devoted to work. Even though Anna is soon afterwards removed to another room, the contrast with the painting is still very much emphasized: This is a room of noble proportions. I have travelled around it with my little lamp and found high windows and recessed divans, rich hangings and a tiled floor leading with dainty steps to a shallow pool, and I feel, rather than see, the presence of colour and pattern? But it is all so dark. (Soueif 1999:108) Although Anna still tries to superimpose the western painting on the actual eastern space, she has to reassess it as a limited space devoted to movement, activity (she ‘travels around’ that room while the woman in the painting was asleep).5 Then this eastern space is seen through the eyes of Layla, an Egyptian woman, who discovers Anna in men’s clothes: TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 19 When I first saw her she was still dressed in the clothes of a man. I saw a man lying on the diwan, curled up on himself, his hat placed so that it covered his face and hair. And even though they had told me the whole story and how they had snatched an Englishman, then found out he was a woman […] it still felt strange to come upon an Englishman asleep in my mother’s haramlek. (Soueif 1999:110) Layla’s eyes meet a man, in place of the woman of the painting: a man lying asleep but not offered to her gaze. The first eastern impression moves away from the western painting, displacing the focus to man. The Egyptian spectator immediately reinstates the divided spaces in her cultural sphere. As an eastern woman, she recognizes a man’s presence in a space devoted to women as incongruous, not to say haram! Layla sets a metaphoric separation between them as this ‘man’ is not directly offered to her gaze but is ‘curled up on himself’, ‘covered’. Layla’s point view as one of the inhabitants of this space sees the painter but places him in the only place that can be his, behind a separating device. The lattice shutters are not supposed to be behind the woman as in the painting, but in front of them, between them and men, as will be illustrated later in the novel.6 When Anna wakes up, she unconsciously acknowledges this ‘altered perspective’ (Soueif 1999:134): she is no longer outside as she ‘had slipped into one of those paintings’ (134) but now the mirror sends her back a different image. There, across the room, and on a divan similar to mine, a woman lay sleeping. […] She was Egyptian, and a lady – the first I had seen without the black cloak and the veil. She had pulled a cover of black silk up to her waist, her chemise above that was the purest white […]. Her skin was the colour of gently toasted chestnut, and she lay on cushions of deep emerald and blue, and the whole tableau was framed, yet again, by the lattice of a mashrabiyya. (Soueif 1999:134) 20 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 Anna still thinks of herself in the position of the painter/spectator, yet if she still relies on the painting to understand the scene (‘tableau’, ‘framed’) and tries to concentrate on the focal point of the painting (the woman’s skin), she begins to see the picture differently, first because she is inside the painting and therefore can be seen by the other woman whom she sees differently: the lascivious woman is now a ‘lady’ and is part of a secluded world – the mashrabiyya is no longer in the shadow. Besides, because she is inside, the woman has been able to discard her veil. So Anna begins to reassess the setting of the painting and its subject. The scene now is no longer offered to everybody’s eyes but only to a woman’s eye. And Layla finally sees ‘a beautiful European woman […], ‘her white shirt […] open at the neck’ (Soueif 1999:135). Layla sees the truth of the painting: a western woman in an oriental setting. East meets west whereas west had not met east; west had invented east. But at the crossroads of Anna’s and Layla’s perception, the meeting is taking place. Cross-examining the painting and its successive readings yields an interesting dialogue between the two cultural and gendered worlds, a series of assessments and reassessments. The inner space of the eastern house as a crossroads of diverging interpretations and desires is reinstated as a feminine space from which man (therefore, the painter) is excluded. Through her meeting with Layla and under her guidance, Anna becomes aware of the mutual misrepresentation (Soueif 1999:485) of East and West. Anna’s story takes place in the early twentieth century when the Egyptian nationalist movement was gaining strength against British occupation. West crosses east in a straight line following its agenda while east rejects west. Anna has married Sharif, an Egyptian nationalist but has kept contact with her former British father-in-law, Sir Charles, who is a staunch opponent to British imperialism. Through an exchange of letters, she tries to create a bridge between Egyptians and British, in order to improve understanding and to find common grounds. Anna’s letters and diaries stand as the crossroads of diverging/ converging/conflicting arguments. The fact that it falls to Englishmen to speak for Egypt is in itself perceived as a weakness […]. They cannot speak because there is no platform for them to speak from and because of the difficulties with language. By that I mean not just the ability to translate Arabic speech into English but to speak as the English themselves would speak, for only then will the justice of what they say – divested of its disguising cloak of foreign idiom – be truly apparent to those who hear it. Well, what if there were someone, an Egyptian, who could address British public opinion in a way that it would understand? (399) One particular episode of this confrontation, in which the ‘ability to speak as the Egyptians themselves would speak’ is tried, focuses the attention of the characters. In the same way as the cross-reading yields the truth about the painting, cross-examination of the documents in Anna’s possession yield the truth about a particularly twisted event – a British official had forged a letter in order to incriminate the Egyptian nationalists. The letter comes into Anna’s hands through her friend James Barrington in London: It is a letter […] that was sent to Sir Edward Grey. It is a translation. The original, in Arabic, fell into Cromer’s hands here in Cairo. It describes a plan for an uprising. (Soueif 1999:414) This is the setting of the plot: a letter translated into English. The eastern setting (‘here in Cairo’) gives it the oriental twist that the ‘lattice shutters’ gave the painting. James Barrington, as the recipient, stands in the place of Anna, the spectator, and Cromer in that of the painter. Immediately the letter is questioned by Anna’s English friend who has some knowledge of Arabic. It is meant to be a translation of a letter in Arabic that was given to the Oriental Secretary by one of his native spies. For me it does not ring true but I could be mistaken. (Soueif 1999:415) In the same way as Anna paced around a space that was both similar and different from the space in the painting, James Barrington hesitates as to the true nature of the letter, which ‘is meant to be a translation’ but ‘does not ring true’. The same process of questioning the original painting/text by confronting it to the ‘real thing’ is at work here. When Sharif is shown the letter, he considers it as ‘nonsense’ (415) and has the letter translated into Arabic (Soueif 1999:417), back into its supposed original language as Layla had reasserted the topography of the Egyptian house by projecting the dividing lines on the scene. Sharif’s reading is parallel to Layla’s reassessing the painting, putting right what the English reader or spectator cannot perceive. Through ‘the picturesque, flowery language of the East’ (Soueif 1999:493), he recognizes the incongruous ‘equally picturesque English’ (493). The same misrepresentation of the Other pervades the letter as the painting: an English focus/discourse in an oriental setting. What they have in their hands is a western ideological text in a so-called oriental style. As surely as Layla identifies the orientalist painting, Sharif and his friends authenticate the forgery. Much later in the novel, a century later, the key to the letter will be given and the actual forgery disclosed: ‘Only Lord Cromer himself knew the truth – that the original letter was written by Harry Boyle himself’ (Soueif 1999:493). The Egyptians knew from the start: It could not have been written by an Arab. […] It makes no sense. This is the work of an Englishman […].An ignorant Englishman who imagines he knows how Arabs think. (Soueif 1999:419) West meant to meet west, inventing east again. No more than the painter does the author of the letter have access to the inner space/mind of the east. A correct representation of the Other is the product of constant cross-checking, or rather the process of cross-checking. The representation of the Other is a constant negotiation made up of an endless series of adjustments. Once the painter’s fraud has been unveiled, Anna has still to learn what the place of the woman inside an eastern house is, which will need more assessments and reassessments. All this takes place at the level of the narrative. Now the reader does not have direct access to this narrative. The novel adds another layer of cross-cultural exchange as, in the late twentieth century, Amal unravels Anna’s story for Isabel. Amal, an Egyptian character, pieces together different sources, Anna’s diary and letters, Layla’s diary together with outside documents, both Egyptian and British. By cross-examining them she re-creates Anna’s story, filling the gaps left by the heroine. She eventually tells the story to Isabel, the American.7 Rewriting Anna’s story is a constant negotiation of Amal’s place as a narrator, with her inside knowledge and the distance she has to take to be able to convey it to an outsider. When Amal shows Isabel round Alexandria on Anna’s footsteps, the exchange between the two women is an interesting illustration of the previous impossible meeting of East and West. Even though Amal has made Anna hers through long hours spent piecing out her story, her point of view remains a questioning: I can see her now, my heroine: she sits at the window […]. Did Anna see, as she looked to her left, the lights of the Fort of Sultan Qaytbay? Her edition of Cook’s Tourist Handbook does not mention the old fort at all. Did James Barrington tell her that this […] is an exemplar of that tired phrase, ‘the palimpsest that is Egypt? (Soueif 1999:64) Amal’s rendering of Anna starts with an affirmation but moves on to questions. Objective facts are not used to ascertain a reading of the character but they are the starting point for a series of hypotheses. Cross-information leads Amal to the creation of a problematic character. Amal, because of her temporal and cultural difference, leaves the door open to interpretation by giving several points of view, several directions: a real crossroads. Meanwhile, Isabel who means to make a film out of Anna’s life does not perceive any of these questions. The camera pulls back and back and back until we’re with Anna in her window, seeing what she sees. (Soueif 1999:65) Isabel, like the painter, imposes her focus. Hers is a hegemonic point of view, imposed upon the character and the spectator. No cross-questioning here but a single gaze. Isabel, as opposed to Amal, does not see Anna but sees, in place of Anna. Isabel writes a fiction when she sees ‘a fairy-tale cake of a fort’ (Soueif, 1999:64) when Amal (and Anna’s friend before) sees the trace of the bombardment of 1882 together with its inscription in a complex history. Amal constantly questions her point of view which means a series of displacements with, at each junction, a danger of overlap: ‘I can hear Isabel […]. But is it Isabel? Or are these my thoughts in Isabel’s voice?’ (Soueif, 1999:77). Amal has to become a stranger to herself to understand the other’s perception: ‘I try to see for myself the country that Anna came to. I try to re-imagine it, to recreate it for Isabel’ (Soueif, 1999:59). Like Anna and Layla, she has to change places to see what the other sees. Therefore the novel is a series of voices answering voices, texts answering texts. The focal point of the novel remains, as in the painting, a woman in an oriental setting and the adjustment of the woman to this setting follows the same process as before. Isabel is now the woman. From the painted woman down to Isabel, the representation of the east becomes more dynamic hence more accurate. One of the interesting aspects of the novel is the dialogue between text and painting. The painting, because of its finite nature, freezes the representation of the Cairene house. On the other hand, the text through the repeated – direct or indirect – references to the painting, through the numerous points of view on the painting, opens infinite possibilities and a dynamic representation ‘in progress’.This dynamic representation is also operated in the constant translation TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 21 process at work in the novel. Anna and Sharif make use of a third language to understand each other: ‘it has to be translated from Arabic into English and now I am translating it into French-’ (Soueif, 1999:415). The third language adds new intersections, new spaces where cultures and languages can meet and cross-breed a new multicultural space of exchange. The process of understanding the other is similar to the cross-examinations that lead to a true assessment of the reality of the Other. It is a displacement of the self leading to a re-assessment of the meaning. We cannot speak each other’s language. We have to use French. […] Perhaps that is better. You make more effort, you make sure you understand – and are understood. […] Because we use the same words, we assume we mean the same things. (Soueif 1999:272) Amal helps Isabel in her struggle with the Arabic language by teaching her how to root meanings out the words that she comes across in order to root them into networks of meanings that help Isabel deepen her knowledge of her new environment (Soueif 1999:164-165). Each derived meaning leads to a new perspective, unsettling the assumed understanding. ‘At the heart of all things is the germ of their overthrow; the closer you are to the heart, the closer to the reversal’ (Soueif 1999:82)8 Words should not be taken for granted. Each word is, in itself, a real crossword puzzle. Words, in the hands of these cultural translators, are in an ‘area of transformations’ (Soueif, 1999:66) in which they shed their obvious meaning to gain expanded cultural meaning. Mirroring oneself in the painting, in a meaning taken for granted, is the real danger. The whole novel tends towards the necessity of accepting to be displaced in order to get new insight. So in the end, when Anna becomes the painter, her picture is radically different from the original painting: In another [painting] you looked through a gap between some 22 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 flowering bushes into a wide lawn and at a man at the far end, standing with his back to you […]. In another, darker than the rest, a man lay on a divan; through the mashrabiyya behind him no light came. A woman crouched on the floor by his side. (Soueif 1999:172) When Anna becomes the painter, Sharif becomes her model. If the echo of the original painting is still perceived, what is now emphasized is the closure. The male model disappears in the background or in the darkness. But the woman is inside the painting. She is both outside as painter and inside in a manner of self-portrait. West now meets east at a crossroads, meaning that the two sides are present together on the same spot. Anna’s painting is the crossroads of east and west. And when Isabel, the American, in the late twentieth century, places herself ‘behind the mashrabiyya’ (Soueif, 1999:292) in order to ‘frame a scene in her viewer’ (293) and to recreate the original scene, she focuses on Sharif and Anna’s abductors and not on Anna herself. Isabel the photographer takes on where Anna the painter has left. Isabel, without seeing the painting, but through Amal’s linguistic teaching, has understood the true relative places of painters, model and spectator: a crossroads of infinite possibilities. A new interplay of words and picture will serve as a conclusion. The narrator mentions another painting by John Frederick Lewis, A Turkish School in the Vicinity of Cairo (1865): An old man, his white beard and turban set off against a wall of golden brick hung with pages of white, inscribed paper. Before him, on the floor, robed in vivid reds and blues, sit the children he teaches. A sun-striped cat reclines on a green cushion watching a pair of doves pecking at the spangled mat. In the half-open doorway, the smallest of the children hesitates. (31) This time, the text omits the focal point of the painting: a girl asleep. The diverging focal point of the text is the boy hesitating on the doorstep. The text leaves the spectator/reader at the only possible place: on the threshold. FOOTNOTES 1 ‘a road crossing another, or running across between two main roads’ (Oxford English Dictionary) 2 ‘a place where two roads cross each other ; the place of intersection of two roads’(Oxford English Dictionary) the Stage’ (Soueif 1999:241). The eyes are redirected from women to another stage upon which men are seen acting their parts in public life (Soueif 1999:377). What is at stake is a complete reversal of the focus. 3.About John Frederick Lewis, see Llewellyn, 1998; Thornton, 1993; and Thornton, 1985. 4 Note how the eye-alliteration v-w in ‘vast walled’ underlines the concentricity of the enclosure. 5 Much later in the novel, Anna will say that the harem has made a working woman of her. 6 After that first crossroads, the characters move forward. Under Layla’s guidance, Anna improves her understanding of that inner female space by becoming part of it. When Sharif, Layla’s brother and Anna’s husband to be, appears on the stage, he is seen through the mashrabiyya (Soueif 1999:138). The division of spaces, abolished in the western painting, is reinstated as a structural element. The man loses his place as director of the focus to become the focal point of the scene. Anna had perceived that a man’s gaze at a woman is untoward in the east: when she herself, in her position as foreigner, was in the company of men (and other foreign women) at the Khedive’s Ball, she had her position as foreigner, was in the company of men (and other foreign women) at the Khedive’s Ball, she had immediately been drawn by ‘a curious golden grille, behind which I am told the ladies of the household sat and watched the proceedings’ (Soueif 1999:93). From her central position, she directs her gaze to the ‘gallery [that] ran around the higher portion of the wall’ (93) guessing that ‘were I a man, my behaviour would surely have been construed as indelicate.’ (93). At that early point in the story, Anna has already understood that the perspective of the painting is wrong as it puts the spectator on a level with the painted subject when, in actual fact, there is a gap and a barrier between the male painter / spectator and the subject of his painting; they are not on the same plane. Anna feels that the leader of the game is not the painter but the painted as she wishes ‘to know how we, in the Ballroom, appeared in the hidden eyes which watched us’ (93). She has confirmation of her intuition when she sits at the Opera ‘in one of those boxes’ (Soueif 1999:241). Women do not sit in front of the screen, as in the painting, but behind it and they are not spectacle but spectators: ‘a delicate wrought-iron screen […] [hid] us from all eyes while not impending our view of the House and So much so that Isabel, the American, in the late twentieth century, places herself ‘behind the mashrabiyya’ (Soueif 1999:292) in order to ‘frame a scene in her viewer’ (293) and to recreate the original scene: she focuses on Sharif and Anna’s abductors and not on Anna herself. Isabel the photographer takes on where Anna the painter had left: In another [painting] you looked through a gap between some flowering bushes into a wide lawn and at a man at the far end, standing with his back to you […]. In another, darker than the rest, a man lay on a divan; through the mashrabiyya behind him no light came. A woman crouched on the floor by his side. (Soueif 1999:172) When Anna becomes the painter, Sharif becomes her model. If the echo of the original painting is still perceived, what is now emphasized is the closure. The male model disappears in the background or in the darkness. [cf Hush final]. But the woman is inside the painting. She is both outside as painter and inside in a manner of self-portrait. West now meets east at a crossroads, meaning that the two sides are present together on the same spot. Anna’s painting is the crossroads of east and west reassessed through the above series of shifts. Therefore when furnishing her Cairene domestic space, Anna can use elements from the painting without introducing a clashing element: ‘I look forward with great pleasure to choosing and fashioning the furnishings – and I can draw on my beloved Frederick Lewis for inspiration.’ (Soueif 1999:324). She introduces in the house elements from the painting that its description had not mentioned (Soueif 1999:350, ‘the flowers on the low inlaid table pick out the colours of the cushions heaped on the diwan’ (Soueif 1999:369)). ‘Qalb : the heart, the heart that beats, the heart at the heart of things. […] qalab : to overturn, overthrow, turn upside down, make into the opposite.’ (82) BIBLIOGRAPHIE Heller-Roazen, D., (2007). Echolalies. Essai sur l’oubli des langues. Paris : Le Seuil. Llewellyn, B., (1998). ‘Two Interpretations of Islamic Domestic Interiors in Cairo: J.F.Lewis and Frank Dillon’ in Starkey, Paul and Janet (eds), Travellers in Egypt. London: I.B. Tauris. Mernissi, F., (2003). Beyond the Veil. MaleFemale Dynamics in Muslim Society. London: Saqi Books. Said, E. W., (1979). Orientalism. London: Vintage. _____ (2000). Reflections on Exile and Other Literary and Cultural Essays. London: Granta. Soueif, A., (1992). In the Eye of the Sun. London: Bloomsbury. _____(1999). 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TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 23 MAHAMAT-SALEH HAROUN AND THE CHADIAN CITY IN A SCREAMING MAN (2010): A NEW KIND OF NEO-REALISM IN CONTEMPORARY FRANCOPHONE AFRICAN CINEMA? MARYSE BRAY ET HÉLÈNE GILL ‘It is not hard to die well; what is difficult is to live right’. (Rossellini 1945) FILM PLOT SYNOPSIS Adam, a former Chadian swimming champion, now in his sixties, is the instructor in the pool at the international luxury hotel in Ndjamena. The hotel has recently come into Chinese ownership and Adam is about to lose his job in favour of his young and athletic son. Adam is distraught at the prospect. Meanwhile Chad is in the throes of a civil war and armed rebels are threatening the capital. The government is seeking to impose a war effort on its inhabitants in the form of money or young soldiers to repel the assailants. Adam is hassled for his contribution. He has no money, but he does have a son. INTRODUCTION LThe Chadian film maker Mahamat-Saleh Haroun won the Prix Spécial du Jury at the Cannes Film Festival in 2010 with his feature: Un Homme Qui Crie / A Screaming Man, filmed on location in Chad’s capital, Ndjamena. Haroun, until then little known in the English speaking world, has since been viewed as an up and coming auteur, and the film was greeted at its opening in London by the British film critic Derek Malcolm as ‘unforgettable [...] and one of the best films [...] of the moment’ (Malcolm 2011). It has even been regarded by some commentators as a possible turning point, ‘the opposite of what we have come to expect from non-Western film-making’ (Maher 2011). The Chadian capital had featured in earlier films by Haroun, such as Abouna / Our Father (2003) and Daratt / Dry Season (2006). But in A Screaming Man, Haroun places Ndjamena at the very centre both of its urban plot and of its aesthetics, making it the very fabric of the film’s narrative, as the action unfolds from beginning to end in the besieged city during one of Chad’s most recent civil war episodes. Beyond providing Haroun’s film with an urban setting, the city is, on the screen and for the purpose of this article, to be taken in a wide, ‘Athenian’ sense, as well as in its primary, urban acceptation. Ndjamena in A Screaming Man is, of 24 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 course, a postcolonial city, the capital of a long oppressed, bruised and riven nation struggling to find its way out of a chain of successive traumas. Haroun’s, therefore, is a form of ‘post-traumatic’ cinema, an emblematic representation of the postcolonial situation, itself the aftermath of colonial trauma. It shows a citizenry faced with the daunting task of post-independence reconstruction of their country and of their daily lives, trapped in a nation-state with uncertain borders, under a string of administrations of contested legitimacy. These themes run through Haroun’s filmography with its insistence on territorial boundaries – borders, margins, frontlines, such as in Abouna, a film obsessed with the margins of the desert, and in Daratt with its soldiers shown sitting desultorily by the Chadian flag in mid-town Ndjamena.¹ In Haroun’s cinema there is a sense that the suffering of Africans is not, and should not be a spectacle as routinely shown in global newsreels, only ever personalized as a reporting device to elicit superficial Western empathy: ‘poor Mohamed (or in this case, ‘poor Adam’) has lost his son’ – implicitly to some horrendous, intractable conflict that is beyond him in every sense of that phrase. Indeed, and in echo to the truncated quote from Césaire used by Haroun in his title: ‘Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse’ (‘A screaming man is not a dancing bear’) (Césaire 1956: 91), Africa in news reporting is too often synonymous with victimhood as Africans are paraded as types without surnames, portrayed as dignified innocents to whom horrible things happen, caught up in upheavals they are not deemed to comprehend, in which they have no part, except to show their distress to the camera. As Haroun puts it in an interview with Olivier Barlet, ‘L’Afrique a d’abord été filmée par les autres. Cette représentation est si faussée que notre cinéma s’inscrit pour contrecarrer cette vision’ (‘Africa was first filmed by others. That representation is so false that my films are intended to counteract that view’) (Haroun 2010a). In A Screaming Man, he therefore refuses this debased mode of representation for his hero, Adam: ‘Cet homme des origines ne se pose pas en victime mais dans toute son épaisseur humaine [...] Un Homme qui crie [...] [inscrit] l’homme africain dans une humanité qui lui a été et qui lui est souvent encore refusée’ (‘This original man does not present himself as a victim but in all his human depth [...] A Screaming Man [sets] the African man within a humanity which has often been and is often, denied to him’) (Haroun 2010a, p.2). This screaming man, therefore, is not merely crying for attention; such cinema has more ambitious aims, its urgency stemming from direct, yet deeply considered testimony. It is far from being another ‘slice of grim African miserabilism [...] perpetuating the view of Africa as a helpless, begging nation’ (Maher 2011). Instead, Haroun’s vision of Ndjamena is a personal take on contemporary Chadian urban reality, as seen from the inside and filmed while the events described on screen are in process. If anything, this ‘post-traumatic’ cinema most recalls the European films of the post World War Two period that came to be labelled Italian neorealism. Haroun himself often quotes that he was inspired to be a film maker when he saw Roberto Rossellini’s Rome Open City (1945: see Deleuze 1983 and 1985). As we shall see, A Screaming Man shares many characteristics with Italian neorealism and, in particular, with Rome Open City, as well as with Bicycle Thieves (de Sica, 1948). Like neorealism, Haroun’s filming technique distances itself at once from Hollywood’s dream factory, and cinema as septième art. It holds out a mirror to the predicament of victimized populations without resort to artifice – just as neorealism distanced itself from the seductive aesthetics of réalisme poétique and from pre-war expressionist photography. In both cases the focus is on ordinary people portrayed as individuals, with minimal interference from montage, lighting, and drama for effect, through the use of largely non-professional casts. For postwar (and Haroun’s postcolonial) representation aims to be observational. It speaks for the ordinary citizen who emerges from the smoking ruins of his city and polity. It aims neither to be an all-knowing story-telling device nor a lecture, nor yet (or not primarily) a work of art – although in Haroun’s case, one outcome does not, as we intend to demonstrate, necessarily preclude the other.² NEOREALISM, HAROUN, AND POSTCOLONIAL FRANCOPHONE AFRICAN CINEMA: L’IMAGE-FAIT AND THE POSTCOLONIAL CITY Neorealism has been defined as ‘a film movement that lasted until 1952 and focused on the hardships endured by ordinary working-class people in wardamaged Italy’ (Ballinger and Graydon 2007: 265). As outlined above, its aim was to be ‘pure cinema: no more actors, no more story, no more sets, which is to say that in the perfect aesthetic illusion of reality there is no more cinema’ (Bazin 1971: 60). The neorealists discarded the elaborate montage, plots and characterization of pre-war Hollywood cinema, and aimed to replace them by what André Bazin called ‘l’image-fait’ (the ‘image-fact’, Bazin 1990: 263). Furthermore, according to Gilles Deleuze, ‘au lieu de représenter un réel déjà déchiffré, le néo-réalisme visait ainsi un réel à déchiffrer’ (‘instead of representing a ready decoded reality, neorealism thus aimed at a reality to be decoded’) (Deleuze 1985, no pagination); a reality shaped, therefore, neither by the characters’ psychological journey, nor by the demands of the plot. Within this frame of reference, the real is thus always offered in its singularity, as a quasidocumentary discovery. In addition to the recourse to shooting in décor réel (on location), neorealism and its offshoots tend, furthermore, to use laconic dialogue, and a documentary approach to framing. Chief among these common features, meanwhile, is the focus set firmly on the lives of ordinary people. It is interesting to note, therefore, that Haroun has declared a propos of A Screaming Man in line with the neorealist approach: ‘C’est la guerre vécue par les gens simples’ (‘it is war as lived by ordinary people’) (Haroun 2010b). This remark even seems to echo an anecdote in which Rossellini complained to the actress and director Ida Lupino at a party that ‘In Hollywood movies, the star is going crazy, or drinks too much, or he wants to kill his wife. When are you going to make pictures about ordinary people, in ordinary situations?’ (Muller 1998: 107). Characteristic of postwar European films such as Rossellini’s and de Sica’s, the neorealist way of seeing and showing ordinary people’s daily reality has since then stretched beyond Europe, and beyond the 1950s. Haroun is not alone: Non-European films, such as Yasujiro Ozu’s Tokyo Story (1953), Lino Brocka’s Manila: in the claws of darkness (1975), or Cairo Station / Bab-el-Hadid, (Youssef Chahine, 1958) as well as Francophone African films since the 1960s, all display undoubted neo-realist traits. Obvious parallels can indeed be identified, especially with the early output of Francophone African cinema, such as Borom Sarret / The Wagoner, Mandabi / The Money Order, Certificat d’indigence / Poverty certificate, (Sembene, respectively 1963, 1968 and 1983). This is not a coincidence. There are strong similarities between the material situation in which African directors found themselves after independence, and those of postwar Italy: a penury of means, not to mention the scarcity and cost of professionally trained acting talent. We have already highlighted, besides, the strong affinities between Europe’s postwar trauma and the postcolonial situation. In such a fraught context, straitened circumstances prompted a will to recover through a sobering return to the fundamentals – the concerns of the rank and file of society; their often bleak surroundings, their struggle to preserve or regain dignity. Thus material hardship compounded film makers’ impatience with traditional plots, conventional acting styles and studio locations, especially when these stood in contrast with what film crews and sometimes audiences had just witnessed in real life, and continued to see in news footage. L’IMAGE-FAIT, THE ORDINARY MAN AND THE VALUE OF DIRECT EXPERIENCE In Europe, the audio-visual media (photography and photojournalism, film, early television) emerged from the horrors of World War Two with a social conscience. Accordingly a large part of image production tended to be permeated with a heightened sense of the plight of the working man, hit hard by the devastations and the economic hardship of the years between Liberation and the first visible results of the Marshall Plan. Again, a parallel may usefully be drawn with the aftermath of the anti-colonial struggles and the disorganization, sometimes the disorder that followed. In any case an interest in documentary film making – a low-cost mode of representation, offering opportunities to alert audiences to the predicament of poor and overlooked populations – and the use of documentary style in feature films are as present in post-colonial Africa (such as in Senegal with Sembene’s output), as it had been, a generation earlier, in postwar Italy. African film makers who had the chance of an education which would often include a course at a Soviet or a European film school (Sembene, Med Hondo, Sissako, to name but a few) were moved to represent the plight of their compatriots who had to face post-independence poverty and conflict without the help of a functioning school system or even a common language. Documentary cinema, with its direct, sober approach to filming and its basic, unadorned aesthetic can be accessible, besides, to the common man in the domestic audience. At the same time, it is a means (in some cases the only means) of reaching a wider – perhaps even a world – audience. It does not only speak of and for the postcolonial citizen, it also hopes to speak to him, as shown in Haroun’s early semi-documentary feature Bye-Bye Africa (1999) about the dearth of cinema venues in African cities. A precursor of this approach was black and white photography in the interwar years, notably in Central Europe, especially in Hungary. Pioneering photographers like Brassai, Robert Capa, André Kertész, Martin Munkacsi³ inaugurated a revolutionary observational mode of image making, focusing on the daily lives of common urban people shown as individuals, as opposed to a group or a type. This new way of seeing became highly influential and spread worldwide. In film, a related search for the true representation of ordinary citizens (and precursor of neorealism) was the British Documentary Movement from the 1920s to the immediate postwar period. Again its objective was to show the reality of ordinary working lives using stark but TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 25 vivid black and white photography, initially without comment or voiceover.4 Aiming at ‘Mass Observation’, they documented the lives of the country’s lower classes without trivializing or patronizing, thereby giving ordinary people a voice. Thus there are clear affinities between, for example, Diary for Timothy (1945), shot by Humphrey Jennings for the Crown Film Unit, showing Britain as the war had left it, including some very uncomfortable images, and Rossellini’s postwar output (Paisà / Paisan and Germany Year Zero (1946 and 1948 respectively), as well as de Sica’s Bicycle Thieves, or Sciuscià / Shoeshine (1946). Equally, and away from Europe, in a postcolonial rather than a postwar context, one should add representations of Dakar by Sembene, and of Ndjamena by Haroun, when it comes to showing cities in the throes of political confusion, penury or violence in stark, unforgiving detail. In all of these cases, the stress is put on an empirical approach focusing on the importance of small things as picked up ‘par un réalisateur qui sait combien les petits éléments de la vie construisent davantage un récit que de lourdes explications’ (‘by a director who knows how the little details of life build up a clearer picture than long explanations’) (Barlet, in Haroun 2010a: 1). This comment on Haroun by Olivier Barlet recalls Rossellini’s musings on cinema: ‘What function can it have? The function of putting mankind face to face with things and realities as they are and making other men and other problems known to them’ (Hoveyda and Rivette 1985: 215). Direct experience of the events represented on screen is, furthermore, a definite asset. In the case of Haroun, his personal itinerary includes film school in France, but also personal experience of conflict: a (civil) war wound received in Ndjamena as an impressionable teenager followed by experience of displacement. This brings him close to postwar European neorealist directors with immediate experience (or involvement) in World War Two. In this sense, A Screaming Man can, like Rome Open City, be called a ‘documentary tragedy’ (Cousins 2011). Such painful memories can be of advantage when filming panic-stricken crowds in African 26 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 cities under attack (as in A Screaming Man), and African settings where warzones suddenly appear, keep moving back and forth, and where peace-time is experienced as a mere interval – never really secure, never lasting long. These anxious times are made palpable by Haroun in Daratt and A Screaming Man (2010c) as the camera dwells on the looming military presence. FROM DOCUMENTARY TO SOCIAL PURPOSE There is a paradox, however, at the heart of the neo-realist approach in that even a handheld camera in the hands of a cinematographer devoted to filming ‘real’ scenes can never be entirely neutral and value-free. No film maker’s body of work intended for a cinema-going audience can only consist of uncut sequences filmed in real time without intent or, indeed, agenda. Today such images are the domain of CCTV and, bar the occasional video installation using CC footage for its own purposes, they are not normally put on show. It would be misleading, therefore, to suggest that the documentary trend – including the photo-realism of the war and postwar years or, for that matter, the handheld camera work used in the postcolonial era by Jean Rouch – had no other purpose than to record reality for archiving purposes. Even documentary film crews such as the Crown Film Unit, which continued to operate through World War Two, had another motivation: to unify a country and its people, across regions and walks of life in order first to win the war, then to produce a better society. Thus Bazin describes the impact of Rome Open City in 1945 as ‘inseparable from a special conjunction of historical circumstances that took its meaning from the Liberation’ (Bazin 1971: 47). The same goes for Sembene’s films from the 1960s to the 1980s, and for Haroun’s features set against the recent conflict in Chad. All are inseparable from their postwar (or their postcolonial) situations. It is clear that the African directors – like before them Rossellini in Rome Open City – put their filmic approach to a purpose: an approach that ‘although it lays siege to its object from outside [...] offers us an essential ethical and metaphysical aspect of our relations with the world’ (Bazin 1971: 62). André Bazin even compares the impact of Rossellini’s Rome Open City (and Paisà) in the mid to late 1940s to that of Eisenstein’s Battleship Potemkin (1925a): ‘Was it not from the outset their search for realism that characterized the Russian films of Eisenstein, Pudovkin and Dovjenko as revolutionary both in art and politics?’ (Bazin 1971: 16). If Eisenstein’s brutalist montage is not replicated in Italian neo-realism nor – for the most part – in postcolonial African cinema, what does link them is their anger at the conditions to which ordinary citizens are reduced. This is exemplified in Eisenstein’s first feature, Strike (1925b) – shot, besides, ‘almost entirely on location so that it seemed like a reconstruction of actual events’ (Malcolm 2000: 156). This angry mood also prevails throughout Souleymane Cissé’s film Baara / Work (1978) set in Mali, which also features a strike. Eisenstein did not deal in ambiguity: ‘I don’t make films to be watched by an impassive eye [...] I prefer to hit people hard on the nose’ (cited in Malcolm 2000: 156). Needless to say, the influence if not the parrainage (legacy) of Eisenstein’s filmography on Francophone African film makers looms large, through their personal histories of studying film in Russia (Sembene, Sissako, see above – though not Haroun, as already indicated) and more generally through Eisenstein’s immense reputation among professionals and cinephiles the world over. This ties in with the close (if love-hate) familiarity of all Francophone film makers with the Paris intellectual scene of the second half of the twentieth century with its predominantly Marxist counter-culture, and Marxism’s imprint on anti-colonial ideology in the 1950s and 60s. As a result of these cultural trends, soon after the first postwar Italian films were released, many engagé commentators enlisted their approach to filming in the post-Liberation class struggle: an early definition of neo-realism by the critic C.-L. Rondi was: ‘le culte de la vérité pour le bénéfice de l’humanité’ (‘the cult of truth for the benefit of mankind’) (cited in Goudet 2002: 76 from Oms 1958: 12). Similarly in subsequent decades and to the present day, postcolonial Francophone African cinema has consistently claimed to promote political and cultural militancy, and has therefore in large measure conformed to the mission statement of its leading association, the Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI; Pan-African Federation of Film-makers).5 In the early years of European neorealism, the radical aspirations vested in neorealist cinema by many critics came to be considered by some as essential and defining. And when these critics felt that the progressive cause was underemphasized in later postwar films, they wrote angry reappraisals, notably of the work of Rossellini, to denounce what they saw as a betrayal. In this respect, the political qualities these predominantly Marxist critics came to expect in neorealist features are perhaps best defined ‘in negative’, through the reproaches they addressed when they found them lacking: sensing an aestheticizing, not to mention a spiritual drift in some later Rossellini films, the French critic Marcel Oms declared in Positif (cited in Goudet 2002: 79) that Rome Open City had been a mere pro-Resistance parenthesis in the director’s work, and that: ‘Sur les ruines du nazisme il fallait ou construire un monde nouveau ou jeter les semences des “valeurs éternelles”. C’est cette dernière solution [i.e. a non-revolutionary one] qu’a choisie Rossellini’ (‘on the ruins of Nazism it was necessary either to build a new world or to sow the seeds of Rome’s “eternal values”. It was this last solution [i.e. a non-revolutionary one] that Rossellini chose’) (cited in Goudet 2002: 82). Oms disapproves (the article dates from 1958) and accuses Rossellini of, in his view, ‘letting the side down’ by failing to select, or sufficiently emphasize, those elements of Italian postwar reality most likely to convey a clearly radical message. TOWARDS A REPRESENTATION OF THE POSCOLONIAL HUMAN CONDITION The FEPACI would recognize, and no doubt make its own, this goal to build ‘un monde nouveau’ (a new world) on the ruins of a discredited order. Consequently there has been a similar rift in Francophone African cinema between those creators and critics who prioritize radicalism and the preoccupation with the collective, and those who insist on taking on board the ambiguity inherent in the real. Far from dwelling selectively on the hard hitting facts which can only convey an effective, univocal message, such film makers as Rossellini and de Sica – but also Haroun and sometimes Sissako, leave room in their features for moral, dramatic as well as aesthetic enquiry. Their approach to reality is therefore of another kind from that of radical cinema: more open, more tolerant of the unexpected gesture, of the detail which does not merely serve to reinforce a clear sociopolitical message. In the words of André Bazin: ‘The consciousness of the neorealist director filters reality [...] but the selection that occurs is not logical [...]; it is ontological, in the sense that the image of reality it restores is still whole [...] There is ontological identity between the object and its photographic image’ (Bazin 1971: 98;). Bazin’s thesis goes further still: L’art du metteur en scène réside dans son adresse à faire surgir le sens de l’événement, du moins celui qu’il lui prête, sans pour autant effacer ses ambiguïtés [...] Le néo-réalisme se définit donc également par un certain rapport des moyens à leur fin. (The art of the film maker lies in his skill in producing the meaning of the event, at least that which he gives to it, without thereby removing its ambiguities [...] Neorealism is thus also defined by how it makes cinema’s means to relate to its ends.) (Cine-club de Caen, undated, unpaginated) In this understanding of the neorealist approach and of its legacy, it is therefore a cinematic style that strives to show reality, ‘warts and all’: thus, sporting glory fades and, in A Screaming Man, former swimming champion Adam’s prowess in the hotel pool where he works is fast being surpassed by his son’s with morally questionable consequences. In Haroun’s earlier film Daratt demands for absolute justice lead to endless blood feuds whose only viable solution is a peaceful, if less than glorious, compromise. The fact of the matter is that after victory celebrations have subsided, the postwar – or the post-colonial – liberated masses are once again made up of individuals left to their own imperfect devices (De Sica’s Bicycle Thieves, 1948; Haroun’s A Screaming Man, 2010c). In this context social panaceas that are meant to be just, or good for the people, need to be put in perspective: ‘Who says that sport brings virtue?’ (Syed 2011: 24); revolutions kill innocents as well as oppressors (Rome Open City, Rossellini 1945; Battleship Potemkin, Eisenstein 1925; The Battle of Algiers, Pontecorvo 1966 – and in another medium the demise of Gavroche in Les Misérables by Hugo, 1862); reform school doesn’t always work (Abouna; Truffaut’s 400 Blows, 1959) – in fact education can lead to frustration, even alienation (Soleil O / Oh Sun, Med Hondo, 1970; Sango Malo / Teacher of the Canton, Bassek Ba Kobhio, 1990). Even the quest for self-improvement can do harm, for example when a budding artist neglects his dependents (Abouna). This does not mean that these pursuits are, in essence, bad (Haroun’s films, like most true neo-realism, eschew dogma).7 But lucid representations of the lives of ordinary people need to show, along with the inequities stemming from an unjust social order, the compromises they end up opting for in order to survive in their given situations. Also taken on board in the most perceptive dramatizations are the effects on these ordinary people of the unintended consequences (as opposed to evil master plans) of decisions taken by their political and military masters when they embark in – or prolong – civil strife. NDJAMENA OPEN CITY? In A Screaming Man, contrary to the representation of Africans in international news, and in contrast to political cinema, the central character is thus a fully rounded character. He has a name, Adam, a job, a moped, modest assets and tokens of recognition that he struggles (and intrigues) to hold on to, never mind (and in the face of) the geopolitical tragedy erupting around him. Adam is a tragic figure, but in a tragedy where he does not simply figure as victim: TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 27 a tragedy in which he is involved – even, at a certain, profoundly personal level – implicated, and one which supplies him with dilemmas forcing choices that he will make out of his own free will. These choices, as the story unfolds, do not unambiguously place him on the moral high ground (far from it). They certainly do not cause him to become a hero. But neither do they make of him ‘un salaud’ or a ‘social-traitre’ in the estimation of the viewer, who continues to feel for him through the ethical twists and turns of the plot. As Mahamat-Saleh Haroun stresses to Olivier Barlet: ‘On est face à un personnage qui commet un acte impardonnable mais qu’on n’arrive pas à condamner’ (‘One is faced with a character who commits an unforgivable act but whom one cannot condemn’) (Haroun 2010b: 3). If A Screaming Man can be dubbed, as the above subtitle suggests, ‘Ndjamena Open City’ to acknowledge Haroun’s debt and homage to Roberto Rossellini, the phrase is therefore to be understood, at least in part, to mean ‘open to interpretation’. If Adam’s character should not be viewed simply as a victim, neither is Ndjamena merely portrayed as a stricken Third World city as commonly shown in media footage and comment. Instead, it is filmed ‘from the inside’ (like the Italian capital in Rome Open City), through the eyes of its increasingly concerned inhabitants. The conflict at hand is never explained – for example in a scene or statement of exposition at the start of the film – nor is it ideologized later on. People try to get by and then, as the invasion threatens the city’s gates, hope to survive. The emergency produces neither clear-cut heroes nor actual collaborators working for the enemy. But there are crooks and traffickers to take lucrative advantage of the situation, and the viewer acquires a diffuse sense of clueless, insensitive strategic decisions issued at top level that send the country’s youth in large numbers to graphically represented pointless slaughter (as in the gruelling field hospital scene). At the same time, the civil war raging at the city limits is not a mere fatum. A Screaming Man is not a Greek-style tragedy or an epic drama. Neither do the fear and the desperate tensions it 28 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 generates form the basis of a political drama. Their main function is, instead, to bring to a head the murky individual dilemmas at street level, where the centre of the action is set. As in neorealism and film noir, the geopolitical chaos in the background catalyses the dilemmas, the ulterior motives, the bubbling internalized guilt of the ordinary people who are the focus of the show. There are therefore two tragedies: The tragedy of the ageing hotel worker Adam and that of the besieged city, although the main focus stays on the ordinary man throughout. The tragic sequences of events begin on separate planes, but are slowly, inexorably brought together by the plot in increasingly uncomfortable ways. Finally they converge, and settle on the death of Adam’s son by a river, outside the city boundaries – ‘off limits’, in a highly aestheticized, symbolic countryside. By its pace and its mood, and by its reflective wide, open shots, this last scene recalls Rome Open City’s ending, which features the execution of an innocent outside the city limits, and a final open camera shot towards the eternal city. URBAN SPACES Until its evocative closing scene which functions as an epilogue, the progression to disaster throughout A Screaming Man is an exclusively urban journey, with the city’s spaces and furnishings playing instrumental and at times central roles. These urban locations include the narrow streets of Ndjamena’s claustrophobic city-centre, the characters’ dwelling places, not to forget Adam’s commuting route to the hotel which employs him, and where much of the film’s action is set. Adam’s job as pool supervisor, a sinecure he still enjoys (in spite of his greying temples) courtesy of his past glories as a swimming champion is, however, under threat. A key urban location in A Screaming Man is, therefore, the international hotel. The siege of Ndjamena by unnamed rebels draws ever more young men into battle against the invasion under the Chadian government’s draconian (and corrupt) army recruitment policy. This pressure to secure endless supplies of innocent cannon fodder comes just in time to offer Adam the awful – yet simultaneously tantalizing – ‘opportunity’ to remove from the scene his main competitor (his son) in his fight to retain his job in the city’s most luxurious and cosmopolitan venue: the hotel. Here it is important to note the central role of the cosmopolitan hotel in nonEuropean locations in general as an island of first-world luxury, glamour, comfort and, when it comes to it, physical safety from war, natural disaster or revolution: A no man’s land (or a white man’s enclave), isolated from the climate, from the surrounding poverty and squalor, well connected to the city-centre and the airport, it is an in-between, essentially urban postcolonial space. An international hotel often features in films, and it can be associated with a wide variety of connotations: as a den of neo-colonial corruption or a haven from genocide (as in Hotel Rwanda, George 2004). The hotel in A Screaming Man is not, however, presented in clear-cut moral terms – good or bad.8 In terms of glamour, modernity and comfort, it is the jewel in the crown of beleaguered Ndjamena and, as one of its enclosed spaces (like the family home of the leading character), a refuge.9 One feels that it would be the last bastion to fall. In fact the international hotel functions at once as a closed and as an open urban space, as it brings in a cosmopolitan dimension. In some ways it echoes the courtyard in Sissako’s film Bamako (2006), another enclosed space, metaphorically under siege, but the venue for a larger debate on international finance with a cast that includes real-life European lawyers. The courtyard filmed by Sissako was under virtual siege from the forces of world capitalism rounding up on Sub-Saharan Africa. In Bamako’s courtyard, transmuted into a courtroom, there is no ambiguity as to whose side the audience is assumed to be on. This, therefore, with the two releases being barely four years apart, raises the following question at the heart of Haroun’s feature: in A Screaming Man, what exactly is the viewer to make of the hotel – one of the film’s most frequently shown locations – assuming that it has a moral or a (geo)-political message to deliver? Who, among the characters shown in the hotel scenes, ought to enjoy the sympathy of the audience? Surely it cannot be the recently installed Chinese management, and here Haroun may be hinting at the new Chinese colonialism – rapacious, if less culturally interfering than the West’s. But the Chinese manageress is no villain. She acts as a professional and has no emotional stake in the situation. She has a pragmatic, unsentimental – but in no way vicious – manner. The planned redundancies are motivated by the bottom line, not corruption or discrimination. Towards the end, she even praises Adam’s loyalty, in blissful ignorance of how misplaced this loyalty really is. The viewer will in fact be rooting for Adam who continues to be the film’s hero all the way to its bitter end; but what about his morally highly questionable schemes to avoid being superannuated? What is certain is that the murderous invading rebel hordes have no claim on audience sympathy. Perversely, on the other hand, would they not be the only force in presence likely to close down the hotel, this stronghold of foreign capitalist indulgence and inequity? Where, then, is the anti-imperialist conflict or discourse – indeed even the ethical high ground, to be found on screen in A Screaming Man, a film suffused with highly contemporary moral and political dilemmas? The French, American, or world financial institutions are nowhere to be seen (unlike in the political features Xala / The Curse, Sembene 1975, and Bamako) – any more than they were in Haroun’s earlier feature Daratt on a post-civil war family feud. There the international hotel is a space of transition where we see weapons changing hands, but still in the confines of a vendetta-driven plot, not a liberation struggle. These plot angles differ from the Liberation setting of Rome Open City, but tie in with other neorealist films and with most postwar ‘film noir’ productions (such as The Third Man, Carol Reed, 1949): The conflict looms large, but remains outside the plot. It influences events and attitudes in a non-linear, non-readily legible way. A more fluid, recognizably neorealist location in A Screaming Man is the protagonist’s commuting route. Commuting is a shared experience of ordinary city folk throughout the world, who need to go to work usually to another part of the city, in order to earn a living. The long commute on his trusty moped calls to mind the ubiquitous Vespa of postwar Italy, not to mention the eponymous push-bike of de Sica’s 1948 film Bicycle Thieves. Public transport and other affordable means of locomotion are often shown in neorealist cinema, stressing the importance of modest implements in the lives of ordinary people. Adam’s motorcycle takes him from his modest home to the more glamorous surroundings of the hotel which employs him (in turn recalling the journey from district to district in Sembene’s Borom Sarret (1963), set in Dakar). It does so in what sometimes seems like real time: the commute does take real time out of workers’ daily routine, time which they use for internal rumination of the day’s events, and of what tactics to adopt in order to get through the next. Mark Cousins (2011) speaks of the ‘de-dramatized time of neo-realism’ (Cousins 2011), where the tension resides in the intensity of tragic dilemmas rather than the fast-paced plot lines, or the vibrant demonstrations of classic cinema. Thus in yet another feature shared with neo-realism, characters in A Screaming Man do not simply appear on a scene thanks to clever montage, as if they have been beamed on to the set. They have to commute, like everybody else. But Adam is not always on the move, in fact as the plot unravels the angle of vision narrows, trapping him in his dilemma: ‘Plus Adam est coincé, plus il n’est filmé qu’en intérieurs, dans des ruelles, ou devant des murs, [même si] durant l’échappée finale, les plans s’élargissent’ (‘The more Adam is cornered, the more he is filmed only in interiors, alleyways, in front of walls, [even if] during the final denouement the angles widen’ (Barlet, in Haroun 2010a: 1). As the siege progresses the city walls close up in a pincer movement, and Haroun lets the camera angles speak: ‘Le point de vue parle à la place du personnage, comme lorsqu’Adam voit à travers les rideaux les militaires se saisir de son fils dans la fenêtre de droite, et sa femme éplorée dans celle de gauche’. (The angle of vision speaks Adam sees the soldiers grab his son through the curtains of the right-hand window and, through the left-hand window, his wife in tears). (Barlet, in Haroun 2010a: 2). This claustrophobic scene set in an enclosed yard framing the hero’s sense of entrapment and his narrow options recalls Hitchcock’s Rear Window (1954) and lends weight to Mahamat-Saleh Haroun’s claim that he is ‘ Hitchcockien’ (Haroun 2010a: 4).10 Other noteworthy traits are shared with Hitchcock: with The Birds (1963), through the siege setting – an intractable and uncontrollable calamity closing in from the outside like a gathering storm while humans are left to their own devices. Not to mention the atmosphere of dread, the panic, the dynamics of crowds on the run. Frenzy (1972) may also come to mind: a film where the city (also the director’s home town) is seen from the inside by its ordinary citizens and tradesmen. There, the hero’s violence intériorisée erupts into external violence and takes the form of a crime spree – in a reverse image to the external violence of the military siege which, in A Screaming Man, results in personal tragedy. As a result of the gradual closure of visible space in A Screaming Man, the civil war ends up being more heard – or overheard – than seen as the soundtrack provides a superimposed narrative over and above the plot. This takes the form of running commentaries on the radio, noises off from circling helicopters and gunfire closing in. Describing the experience of being trapped by the Chadian conflict inside the besieged capital, Haroun declares that: On est cloitré chez soi dans un espace clos sans pouvoir sortir et on n’a des nouvelles de la guerre que par le son, explosions, avions, hélicoptères, voitures au loin, et la radio où se joue la guerre des ondes. Une partie dit avoir gagné la bataille, l’autre dément et on nage en pleine absurdité. J’ai conçu avec Julie Brenta, la monteuse son une sorte de récit sonore venant s’ajouter au récit visuel [...] pour donner toute la portée de cette tragédie. (Haroun 2010b: 2). (We were shut up inside in a closed space without being able to go out and could only get news of the war by sound: explosions, aeroplanes, helicopters, cars in the distance, and the radio where the war is waged TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 29 on the airwaves. One side claims to have won the battle, the other side denies that, and it was just a sea of absurdity. With Julie Brenta, the sound technician, I thought of a kind of sound-narrative that would go together with the visual narrative […] to give the full range of this tragedy.) – a double tragedy: the tragedy of the protagonist and that of the city; one where, in the absence of a mainstream plot or political line, the viewer is never certain of anything. TRAGEDY AND URBAN SETTINGS The mention of urban tragedy in cinema brings to mind Film Noir, a genre which initially, in the postwar era, was influenced by both the documentary movement and by neo-realism. More stylized, more aestheticized, more plot-driven than neorealism, Film Noir is related to it not just through the timing of its emergence on the screens but through many of its defining traits: It shares with it a predilection for undistinguished urban scenes, gritty situations, plots involving lower-class, marginalized people and, looming in the background or in the recent past, doom-laden historical events. These frequently catastrophic geopolitical contexts weigh directly or subliminally on vulnerable, sometimes compromised characters. In this respect postcolonial situations offer a mine of highly tempting parallels with postwar tensions and chaos. In response to the post-colonial trauma, ‘classic’ francophone African cinema, as exemplified in Sembene’s Xala / The Curse (1975) and Guelwaar / The Noble One (1993) thus shows a world where colonization remains a sinister, seemingly indestructible fléau or scourge that comes back to haunt African nations long after their independence under the guise of a variety of protean incarnations: neocolonial corruption, international aid, the World Bank, etc. As mentioned earlier, the aim of such highly politicized anticolonial film making is to denounce these perennial evils and, unlike Film Noir, it tackles them head on with a selfconsciously moral, clear-cut militancy. In Haroun’s films, however, the shadow of geopolitical doom that besets or destroys 30 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 postcolonial cities takes a radical forward leap in time to address Africa’s current strife, its internal conflicts, the evils that, largely from the inside, undermine post-independence Chad, as evidenced in A Screaming Man (2010c) and Daratt. These murky post-independence conflicts lend opportunities for more ambiguous cinematic situations than are witnessed in Haroun’s classic forerunners. His characters face morally more complex decisions, and engage in acts whose justifications and outcomes leave a lot for the audience to ponder, during and after the viewing. It is the realm of individual tragedy rather than collective struggle, a kind of tragedy that, on a mode closely related to film noir, causes protagonists to wander into unchartered terrain. In Noir, the tragedy stems from a flaw, usually in the character of the hero. Protagonists are doomed by a weakness within themselves (Cousins 2011). Viewed from this perspective A Screaming Man therefore combines neo-realism and Noir through the weakness vested by the screenplay in the character of Adam, perhaps the first (francophone) African anti-hero. It is nonetheless clear from the general tone of the film that Adam has a claim on Haroun’s and thus on the viewers’ affections. Haroun shares with neorealist directors a love of the ordinary people he puts on screen. He reports that while watching Rome Open City at the age of fourteen, he was moved to see how Rossellini ‘felt for those people on screen’: I could see that the director loved the people he was filming, and he wanted us to love them too. And I knew people like that in my neighbourhood. And I thought about them, and how I wanted to show them to the world. And that’s how it started. (Haroun, quoted in Maher 2011) One of the main reasons to feel affection for Adam, however, is that he is all too human – a morally vulnerable, even a deeply flawed hero. He shares this trait with other male protagonists in Haroun’s films and with heroes of some key Noir classics. Thus the plot of A Screaming Man, like that of Sunset Boulevard (Wilder, 1950), articulates the unwholesome consequences of hankering after glamour and past glories. Similarly the weight of a violent past pursues both the baker in Daratt and the hero of The Killers (Siodmak, 1946). The Harounian protagonist is therefore a troubled hero who wrestles with moral issues as a man who, on screen, exhibits worrying insecurities and shortcomings. This hero, equipped with no more than the ordinary man’s share of wisdom and moral rectitude, is then faced with existential dilemmas, put to the test, forced by the unfolding drama to take responsibility for his choices in an otherwise meaningless universe. As in Film Noir, ‘the protagonist is an outsider trapped in an urban landscape [...] He has no trust in traditional institutional supports – such as the law and the police – which are often represented as hostile or corrupt. Instead, the individual must survive by his or her own wits, and plots often hinge on a crucial decision that determines the invariably tragic outcome of the film’ (Ballinger and Graydon 2007: 28). Thus in A Screaming Man the dramatic tension hinges on a moral grey area which faces the viewer with an achingly uncomfortable conundrum. FROM ROME TO NDJAMENA: THE HAZARDS OF MORAL COMPROMISE IN M. S. HAROUN’S A SCREAMING MAN AND DE SICA’S BICYCLE THIEVES In A Screaming Man, the postcolonial city is, as we have seen, redefined as the sum total of the ordinary lives of its inhabitants, with no clear overall directional template. Accordingly, like de Sica in the Rome of Bicycle Thieves (1948), Haroun conveys the reality of the urban setting by focusing on the individual in the crowd, rather than on the destinies of the masses, threatened though they collectively are by penury and political confusion. The scenario in both cases shows a series of incidents affecting the daily life of an individual working man. None of the scenes are shot in studios, and Haroun, like Rossellini and de Sica, makes extensive use of nonprofessional actors.11 But it is in Haroun’s handling of the filmic developments that many parallels can be drawn, and where many comments made by André Bazin about Bicycle Thieves strike a chord with A Screaming Man. About de Sica’s film, Bazin writes: ‘The scenario is diabolically clever in its construction [in that] it still has meaning even when you have abstracted its social significance. Its social message is not detached, it remains immanent in the event, but [...] it is never made explicitly a message’ (Bazin 1971: 51; our emphasis). Where, in our view, both films differ even more crucially from ‘classic’ cinema, however, is where the scenario insists that although we condemn the vicious circle of poverty in postwar Rome (and in civil war stricken Ndjamena) in which both films’ heroes are trapped, the treatment ‘never makes the events or the people part of an economic or political manichaeism’ (Bazin 1971: 51). In other words, the ordinary citizen retains a measure of freedom of action. Clearly the dice are heavily loaded: the space where he may exercise his free will is not only narrow but hazardous, implying as it does a choice between self-destruction and moral compromise. On the predicament of the father in Bicycle Thieves, Bazin comments that the thesis the film implicitly posits is ‘outrageously simple: in the world where this workman lives, the poor must steal from each other in order to survive’ (Bazin 1971: 51). Thus the worker, threatened with joblessness, becomes a thief. And once found out, the bicycle thief is exposed to public shame, a disgrace compounded by the awareness that his young son witnessed it. Similarly, in Haroun’s A Screaming Man, the postcolonial citizen of the title, hard up, put upon, and humiliated by his demotion, retains a mind of his own but his options are few, and the choice he finally makes damages his moral integrity. Like de Sica’s bicycle thief, the hero of A Screaming Man is therefore liable to become morally compromised. In actual fact, however, Haroun goes significantly farther than de Sica: While de Sica showed his hero shamed in front of the assembled citizens of the Italian capital, Haroun sows the seed of moral ambiguity in the very minds of the film’s audience. By becoming an outlaw the bicycle thief suffers a slur on his good name that is perceived externally by the inhabitants of the postwar city. But he is blamed neither by his young son nor by the intended viewer, and it is doubtful to what extent he feels personally guilty (in his heart and soul, so to speak). The implicit thesis mentioned above made sure of this, and the screenplay makes clear in the closing scene that the city’s posterity embodied in his son will, one day, understand: ‘the son returns to a father who has fallen from grace. He will love him henceforth as a human being, shame and all’ (Bazin 1971: 54). But Adam’s son in A Screaming Man is not there at the end of the film to give him his moral caution and absolve him for his past deeds: he is dead. Close to the end of the film, the viewer is left in front of a river landscape to ponder, along with Adam himself – foregrounded and filmed from behind –, how and to what extent the choices that he made during the previous scenes contributed to his son’s demise. CONCLUSION With Haroun, from Abouna (2003) to Daratt (2006), and then A Screaming Man the postcolonial city is thus redefined as a neorealist locus, to be understood less in a socio-political sense as defined with reference to the more ‘classic’ view of the founding fathers of Francophone cinema, but, increasingly, along the lines defined by Bazin and, with A Screaming Man, articulated by Deleuze as the domain of l’image-temps, the identifying mark of ‘modern cinema’: Il se passe quelque chose dans le cinéma moderne qui n’est ni plus beau, ni plus profond, ni plus vrai que dans le cinéma classique mais seulement autre [...] Des personnages pris dans des situations optiques ou sonores, se trouvent condamnés à l’errance ou à la balade. Ce sont de purs voyants, qui n’existent plus que dans l’intervalle de mouvement et n’ont même pas la consolation du sublime [...] Ils sont plutôt livrés à quelque chose d’intolérable qui est leur quotidienneté même. (Deleuze 1985) (Something happens in modern film which is neither more beautiful, nor more profound, nor truer than in classical film, but simply other […] Characters caught in optical or aural situations find themselves condemned to wandering or random journeying. They are purely seers, who only exist in the pauses between movements and do not even have the consolation of the sublime […] They are, rather, in the throes of something intolerable which is their actual everyday existence.) There is thus a glimmer of hope for the future: Adam loses a son, but he will soon have a grandchild. Similarly in Rome Open City’s last shot, the children of Rome move away from the scene of the execution, heading for the city. This said, in both cases, any future hopes are tempered by the reality of the suffering and death of the innocent, so that there is no room for lyrical evocations of lendemains qui chantent (‘happy tomorrow’): pregnant Pina was, in a previous scene, gunned down in the most vivid shot of Rossellini’s most noted and most influential feature, while Adam’s son, fatally wounded in battle, expires cradled in the side-car of his father’s motorcycle. In each of these two films, the closing scene is spiritually charged. As A Screaming Man ends, however, it has long been made clear that divine providence is not going to be of help. Adam does not believe in God’s intervention. This has been established in conversations with his wife: ‘we cannot expect anything from heaven’ – and with his friend, the forcibly retired hotel cook. The cook dies soon after leaving his job, ostensibly of a heart attack, but also of being suddenly condemned to irrelevance. As Haroun puts it in the same interview, ‘These people feel that they have no grip on their lives’ (Haroun 2010c: posted as one of the special features of the DVD version of A Screaming Man). ‘It’s not me, it’s the world that’s changed,’ says Adam – not an unusual outburst from a middle-aged man, but it takes on a special poignancy given Adam’s circumstances. The good old days (or the lost paradise) can be traced back, along cues here and there in the film’s dialogue, to a time soon after Chad became independent – to circa TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 31 1965, the year the Central African swimming championship turned Adam, for a time, into a national hero. Today’s world as described in A Screaming Man is, by contrast, a harsh world – a world at war. The film is not, however, a film about war. Like the postwar Italian films, it is, as previously discussed, about those affected by war, who are ‘trapped in a war’ (Haroun 2010c: posted as one of the special features of the DVD version of A Screaming Man). A direct consequence of the conflagration raging within striking distance of the city is that the lives of the ordinary people inside its walls have been turned upside down: all familiar repères (landmarks) are lost.12 In Rome Open City, the good woman Pina, pregnant before marriage, is about to marry (in church) the child’s father, himself a non-believer, but thinks ‘better to be married by a partisan priest than by a fascist registrar’. In A Screaming Man, traditional patterns of behaviour are similarly blurred: the main community leader (le chef de quartier) is corrupt and attempts to flee the city disguised as a woman, while Adam and his wife welcome without fuss into their family their son’s pregnant girlfriend whom they had not even met before she came knocking on their door. As warlords have, over the years, dominated Chadian history and politics, the rampant violence has thus profoundly traumatized the capital’s population, repeatedly threatening their possessions and the daily routines which anchor them into reality, giving them a sense of self-worth, dignity and integrity. As Haroun warns, it can be dangerous to strip them of these attributes: ‘a man robbed of what he possesses and pushed to extremes can be made to commit the unforgivable’. At the very least, he can be made to scream an existential scream of frustration, distress, and incomprehension.13 Far from being ‘Un ours qui danse’, this screaming man is not an exotic, slightly disconcerting novelty spectacle aimed at eliciting compassion from the audience. A bear is, after all and by definition, not human. But Haroun’s main protagonist, like the Adam of the Bible, is related to all of us. This ‘homme des origines’ (man of the origins) in Barlet’s words (Haroun 32 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 2010a) is not being filmed by Haroun to be gawped at, pitied, or used in a political demonstration. He is notre père à tous – our common flawed ancestor.14 Variations on his deeply human predicament have shaped world cinema from Dreyer and Chaplin to Ozu and Kiarostami, via, as we have seen, Rossellini and de Sica. But as we have also noted, Adam’s scream is not heard, and the heavens, to all intents and purposes, are empty. If there is a Deus ex-machina in MahamatSaleh Haroun’s A Screaming Man it is, in a world where values are all over the place, a ‘God of small things’15, an entity vested in humble implements and attributes that have shaped the protagonists’ youth and maturity, giving them a sense of being someone: past successes, a stable job, emblematic objects that, scene after scene, define their screen presence as strikingly as do their lines of dialogue: Adam’s moped, his diving goggles (which, especially at the end, double up as cycling goggles), David the cook’s cuisine, the chef de quartier’s expensive car, and array of electronic gadgets of dubious provenance. This God of small things is not, however, a benevolent entity, but more often a dieu jaloux (jealous god) who uses derisory incentives to lure ordinary people into committing awful acts. It steps into the plot as a tempter, a trickster, a joker in the pack, one with a wry sense of humour. It was the bicycle – a ‘small thing’, after all –, that made a thief out of de Sica’s unemployed worker, and the nylons and other small proceeds of betrayal that made a collaborator of the actress in Rome Open City. The viewer of A Screaming Man ponders what role the chef de quartier’s lust to own a shiny car and a smart phone may have played in his decision to ensure with unseemly haste that his own son would be drafted into the war effort. In all cases, the agent of delusion, betrayal or moral corruption – what lures the protagonists of these films into temptation – is one or more of the necessities, or the small luxuries that make poor people’s lives bearable in hard times: in Rome Open City, the drugs, cigarettes, promises of bit parts on the stage; in A Screaming Man, a glimpse of the comforts first world viewers take for granted, or the trappings of a secure working life in service in the international hotel of an African city. Haroun’s postcolonial hero does not, therefore, follow the trail opened by his predecessors featured in classic Francophone cinema and shuns patterns of behaviour familiar to political postcolonial discourse. He jumps out of the angry victim/heroic rebel framework and does things that are liable to disconcert the viewer, sympathetic and aware of the postcolonial condition though this viewer may be. Filming decades after the European neorealists of the 1940s and 50s, Haroun has no compunction in creating characters capable of leading off screen independent lives, and refrains from burdening them with too much collective symbolism. No more than the Proletarian of the postwar era, cast as a modest but heroic figure in many postwar films, does the postcolonial citizen behave according to a ‘classic’ script after some fifty years of life in independent polities. The European worker became a consumer who reads the tabloid press and increasingly shuns progressive politics. The postcolonial citizen tries to sauver les meubles (salvage something) from conflicts that hurt him directly while failing to follow a binary logic that would give him a clear moral compass to follow. Some of these conflicts are never-ending, abstruse and internecine: the postcolonial city, especially in Chad, is fragmented, its identity split along lines that keep changing, bringing destruction and personal loss with every successive advance, retreat and stalemate.16 In this context, Haroun’s rediscovered and re-worked, profoundly modern neorealism brings the reality of the postcolonial city to life in stark and uncompromising fashion. FOOTNOTES 1 Haroun is not alone in using these tropes: Sissako conjures up the impression of being ‘stuck’ between sea and desert in Waiting for Happiness (2002), as characters peer outward beyond the Sahara and the Mauritanian border (a theme also present in Abouna). 2 Nor did it with many neorealists, and in particular Rossellini whose work triggered controversy among critics through the nineteenfifties and sixties (see below). 3 Indeed in an indirect way, this vision has some of its roots in Africa; see, for example, the photograph of four young boys by Lake Tanganyika taken by Munkacsi in 1933 which (self-reportedly) inspired Cartier-Bresson to launch his photojournalism venture with Robert Capa. 4 Examples include Drifters (John Grierson, 1929) on industrial Britain and in the following decade Nightmail (Grierson, 1936) and Spare Time (Humphrey Jennings, 1939) showing the working classes on their days off. 5 FEPACI and its regular Festival FESPACO (Panafrican Film and Television Festival of Ouagadougou) are landmark institutions in the African and pan-African cultural movement of the 1960s to 80s. They are strongly defined by the anti-imperialism professed by the African film makers of the period. 6 ...as both Socrates and Tony Blair have suggested? There is no evidence’: Syed (2011: 24), casting doubt on the uplifting virtues of sport. 7 See Hillier (1985: 176) where he insists that the neorealist approach according to Bazin includes ‘social polemic (...) but not propaganda’. 8 Nor, for that matter, was it in Daratt, Haroun’s 2006 feature. 9 And, in real life, for the director and his crew, as the conflict was under way in and around Ndjamena during filming. 10Another parallel with Rear Window is worth pointing out: there, the protagonist, immobilized and in a position of weakness, sends a vulnerable character (his girlfriend) on a perilous mission in order to resolve, on his behalf, the conundrum at the centre of the action. 11Although Adam is played by Youssouf Djaoro, a celebrated Chadian actor who already played one of the two lead roles in Daratt (Haroun 2006). Djaoro won the Silver Hugo for best actor for his role in A Screaming Man at the 46th Chicago International Film Festival (2010). 12In April 2006, when Haroun was shooting Daratt, rebels invaded Ndjamena during the filming with heavy weaponry. The fighting lasted six hours and claimed 200 lives. Rome Open City is set as the cataclysmic battle of Monte Casino was unfolding. In an early scene, a deserter from Hitler’s army simply declares to justify his flight: ‘it’s hell out there’. 12Haroun’s stresses that his aim in A Screaming Man is not to blame this man, but to raise the question how his actions may be explained (Haroun 2010c: posted as one of the special features of the DVD version of A Screaming Man). 13There is a preoccupation with father-son relationships throughout Haroun’s filmography to date. Abouna, the title of his 2003 release, means ‘Our Father’. 14To borrow a phrase coined by Arundhati Roy (1997): ‘The war is like a ghost, haunting the country and making appearances from time to time’ (Haroun 2010c, DVD special features). De Sica, Vittorio, (1948), Bicycle Thieves, Italy: Produzioni De Sica. –––– (1946), Sciuscià / Shoeshine, Italy: Eisenstein, S., (1925a), Battleship Potemkin, Soviet Union: Goskino. –––– (1925b), Strike, Soviet Union: Goskino. George, T., (2004), Hotel Rwanda, UK, USA, Italy and South Africa: United Artists. Grierson, J., (1929), Drifters, UK: New Era Studios. –––– (1936), Night Mail, UK: GPO Film Unit. Goudet S., (ed.) (2002), L’Amour du cinéma: 50 ans de la revue Positif, Paris: Gallimard. Haroun, M-S., (2010a), ‘Interview with Olivier Barlet’, Africultures – Critique – Un Homme qui crie de Mahamat-Saleh Haroun, 16 May, http://www. africultures.com/php/index.php?nav=article&no= 9479, (accessed 23 January 2013). 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Or, alors que la littérature française présente des images positives de la mère, dans de nombreux romans, l’image maternelle est quelque peu troublante¹. La littérature postcoloniale francophone ne fait pas exception à ce phénomène : elle offre un panorama d’images maternelles qui au demeurant sont en large majorité plutôt troublantes ou malheureuses, suggérant que ces commencements se soldent par de faux-départs. Cet article a pour but d’explorer la séquence départ/faux départ/possible renouveau dans la littérature camerounaise postcoloniale de langue française. Il sera éclairé par les réflexions d’universitaires et de chercheurs spécialistes des études postcoloniales en général, et/ou de la place de la femme dans les sociétés de référence : entre autres Moura, Forsdick, Murphy, Hitchcott, Gallimore, Cazenave, Etoke, Abomo-Maurin Ce qui suit examine en particulier la relation mère-fille sous l’angle du fauxdépart et de la possibilité de renouveau dans deux romans de l’auteure camerounaise Calixthe Beyala : Les Honneurs perdus (1996) et Comment cuisiner son mari à l’africaine (2000). Notre approche se voudra à la fois comparative et contrastée s’agissant d’identifier dans ces deux romans les situations de ratage ou faux-départ et celles de renouveau. Spécifiquement, nous vérifierons si le ratage est entièrement négatif ou s’il débouche sur une nouvelle voie. Ce sera l’occasion d’observer comment les principaux personnages négocient ces situations et comment le faux-départ se fait source de renouveau, dans une surprenante relation de cause à effet entre notions antagonistes puisque, par définition, elles renvoient respectivement à l’échec et au succès. LE RATAGE, PROMESSE DE RENOUVEAU L’univers littéraire regorge d’exemples sur le thème du faux-départ ou du ratage. Les protagonistes peuvent aussi bien essuyer des échecs que mener des actions qui débouchent sur un fiasco. Le ratage peut aussi consister en une rupture avec les institutions sociales quand l’individu choisit de ne pas se conformer à la norme. Le traitement du ratage est très variable. Ainsi, pour Kafka, le ratage n’est pas une fatalité. Il est possible d’y échapper. À l’inverse, l’essayiste roumain Cioran nourrit une vision infinie et positive de l’échec. Le ratage est bénéfique : “une seule chose importe : apprendre à être perdant” (Cioran 2003: 1346). Dans son article ‘L’Invention du raté en littérature’, Denis Ferraris place le raté dans la catégorie de l’antihéros. Selon lui, il n’est pas un sujet négatif, mais plutôt “ce personnage auquel l’auteur accorde sans équivoque la plus grande importance dans son récit (…) L’antihéros, souvent miné par un doute sur l’importance du monde dans lequel il doit se battre pour survivre, ne propose aucune solution aux problèmes qu’il rencontre et que le lecteur peut reconnaître, mutatis mutandis, comme siens” (Ferraris 4). Il le qualifie de : “mort-vivant en déshérence par rapport aux valeurs qui furent les siennes ou qui devraient être encore les siennes mais dont il a de plus en plus de mal à recueillir durablement l’héritage.” (Ferraris 5). Ainsi, Ferrari utilise le terme de “raté” (p. 8) comme synonyme de l’antihéros “car il a cessé d’accorder du prix aux idéaux et aux valeurs qui, en soutenant le monde où il vivait, lui permettaient de se situer plus ou moins respectablement et d’avoir ce qu’on est convenu d’appeler une position” (Ferraris 9). Nous verrons dans quelle mesure ces affirmations se vérifient dans notre corpus d’étude. Sans exception, le ratage plonge le héros ou anti-héros dans l’imprévu. Ce qui était programmé pour lui échoue. C’est à ce moment qu’il doit innover, déployer des trésors d’ingéniosité pour s’adapter et dépasser l’adversité. Pour se sortir d’affaire, il s’engage dans une nouvelle voie, un chemin personnel, et suscite le renouveau, sans quoi, c’est la mort. Or ce renouveau apparaît inextricablement lié au ratage sans lequel il ne saurait s’enclencher. Et il en va de même de l’inventivité littéraire. Par définition, le renouveau peut être le retour à un état précédent après un déclin ou prendre le sens d’un nouvel épanouissement, l’apparition de formes nouvelles (Morvan 2004: 966). C’est précisément ce à quoi on assiste dans la littérature, dans l’art ou dans la musique à l’époque de la Renaissance. Plus près de nous, ce thème du renouveau inspira plusieurs poètes dont Stéphane Mallarmé, Louis Fréchette, William Chapman. Dans le domaine politique, et puisque les deux œuvres qui nous intéressent se rapportent au Cameroun, Paul Biya, président du Cameroun depuis 1982 choisit le terme de Renouveau pour rebaptiser son mouvement politique en 1985. La littérature postcoloniale elle-même s’apparente à une renaissance en ce qu’elle se veut génératrice d’une nouvelle écriture. L’étude de la littérature postcoloniale par l’intelligentsia française est en elle-même aussi un phénomène de renaissance, car comme l’ont montré Charles Forsdick et David Murphy, son amorce fut lente.² (Forsdick and Murphy 2003: 233). Ainsi, la notion de nouveau départ est-elle bien, et sous plus d’un aspect, au cœur de notre propos. LA MÈRE, CAUSE DU RATAGE ET DU RENOUVEAU Au Cameroun, mettre au monde une fille est souvent perçu comme un faux-départ. Ainsi, dans Les Honneurs perdus, la naissance de l’héroïne Saïda Bénéfara elle-même est vécue comme un fauxdépart car son père, pieux musulman, adressa maintes prières suivies de jeûnes pour qu’Allah lui donne un fils. La naissance de Saïda fera figure de ratage parce que son père ne cessera de proclamer qu’Allah lui a donné un fils (Honneurs perdus 16.). Sa déconvenue est d’autant plus forte, que la naissance d’un fils était pour lui chose acquise. Il déclare qu’il aurait préféré que son fils soit mort au lieu d’être transformé en fille. TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 35 (Honneurs perdus 25). D’un point de vue culturel, son attitude s’explique de plusieurs façons. Tout d’abord, dans la société camerounaise, et plus particulièrement dans ce roman, les filles sont souvent considérées comme “une charge inutile” (Cazenave 1999: 61) parce que les sociétés patriarcales favorisent une généalogie masculine (Irigaray 1981: 28). Ultérieurement, une fille qui ne se marie pas est une charge supplémentaire, une bouche de plus à nourrir, car il est difficile pour une femme de gagner sa vie, surtout pour une femme musulmane. De ce fait, le père de Saïda prend la naissance de cette dernière comme une défaite personnelle, parce que sans valeur du point de vue patrimonial. Pèse aussi le regard de la communauté qui considère “qu’un homme qu’aurait pas de fils, c’est comme un arbre qui donne pas de fruits” (Honneurs perdus 33). Dans sa définition du mot ratage, Ferraris met en exergue la définition d’un dictionnaire de langue française du début du 19e siècle : “Un raté, un homme qui n’a pas réussi en ses entreprises, un fruit sec” (Ferraris 3). Un fruit sec finit par tomber et devient inexistant. Cette notion de fruit sec se rapproche de celle donnée par la communauté camerounaise. Enfin, la fortune est toujours léguée aux fils (Honneurs perdus 33). Ceci dit, le rôle de la mère en Afrique est avant tout éducatif. Il lui incombe de transmettre les valeurs morales à ses enfants d’où son omniprésence, alors que le père est absent, comme le montre Benatta Jules-Rosette (Jules-Rosette 1998: 203). S’agissant de l’Afrique traditionnelle, dans son ouvrage L’œuvre de Calixthe Beyala, (Gallimore 1997: 81) cite Kembe Milolo : “toute l’éducation de l’enfant repose sur la mère. Elle inculque les habitudes et les notions matérielles ou morales de la société (Mikolo 1986: 100). De ce fait, la mère de Saïda lui enseigne “de ne pas regarder les hommes dans les rues” (Honneurs perdus 80) et qu’“il est conseillé d’attendre le mariage pour s’adonner à certains plaisirs (…) La virginité et la fidélité sont les plus beaux cadeaux qu’une femme puisse faire à son mari” (Honneurs perdus 81). La virginité 36 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 est présentée en relation à l’homme, non pas comme une fierté pour la femme. À travers les yeux de la mère, le statut de femme est un fardeau. À vingt ans, Saïda n’est toujours pas mariée. Saïda ressent un sentiment de ratage : “J’eus le sentiment d’avoir échoué dans la vie avant même avoir essayé d’y réussir. J’avais l’impression d’appartenir à rien qui vaille.” (Honneurs perdus 98). En effet, une femme qui ne se marie pas est dépréciée socialement en Afrique où, comme l’affirme l’écrivain Francis Bebey, “ (…) cela a toujours été le devoir de la communauté de marier ses enfants” (Bebey 1967: 60). Les Honneurs perdus reflète bien cette préoccupation. En effet, l’obsession des parents de Saïda est de marier leur fille. En effet, la fonction du mariage permettait “le renouvellement de la lignée” (Guillou 1985: 21) et d’unir non seulement deux individus, mais aussi deux familles, voire deux villages. Paradoxalement, alors que la société patriarcale prône la virginité, elle n’est pas vécue avec fierté mais comme une honte, témoin le sobriquet dont est affublé Saïda par un jeune homme prénommé Effarouché: “Alors, Vierge des vierges, on glandouille ? (…) Toujours personne pour t’épouser ma fille ? ” (Honneurs perdus 105). Les convictions patriarcales africaines tiennent la virginité pour une valeur opposable en Europe et le pharmacien délivre à Saïda un certificat de virginité : “Ton certificat de virginité valable dix ans, dit-il. Les femmes vierges sont rares en Europe, et ce qui est rare est cher. Prends-en le plus grand soin. ” (Honneurs perdus 181). Nouveau paradoxe, dans l’espace de Paris, sa virginité devient une tare. Ngaremba, son employeur, éclatera de rire quand elle lui confiera n’avoir jamais eu de relations sexuelles : “Elle se plia en deux, les mains sur son ventre, et rit à cœur ouvert, on avait envie de lui tenir les côtes” (Honneurs perdus 209) et Aziza, sa cousine lui dit sans embages : “Je m’en fous de ta virginité” (Honneurs perdus 186). Pourtant, toutes les deux sont africaines. On assiste donc à la désuétude de la tradition africaine face au comportement européen. Dès qu’elle annonce sa virginité à de possibles amoureux, “ils disparaissaient sans laisser d’adresse” (Honneurs perdus 295). Et c’est passé la cinquantaine que Saïda perd sa virginité avec le clochard Marcel Pignon Marcel. Cette perte de virginité est perçue par l’héroïne comme une délivrance, un rattrapage du temps perdu, un nouveau départ : “Je prenais de la passion pour les trente ans perdus (…) Je me sentais une femme neuve (Honneurs perdus 396). Cette conquête de la sexualité n’est pas sans rapport avec la mère de Saïda qui, inlassablement, tentait de se ménager un espace de liberté. Quand les valeurs investies dans la virginité ne cessent de changer, comment définir ce qui constitue pour l’héroïne, un ‘ratage’ ou une réussite ? C’est peut-être là, justement, qu’on peut mesurer l’érosion des valeurs africaines dans la diaspora. En réalité, la femme joue un rôle ambivalent au sein de la famille. Elle est à la fois soumise : elle accepte l’accusation de “faire” seulement des filles, mais elle a aussi un comportement subversif. Bien qu’apparemment soumise à l’autorité du mari, elle s’autorise, à l’abri ou en contrepartie de sa docilité, un commerce de production de bière pour nourrir la famille et lorsque son mari lui oppose que “le Coran interdit l’alcool” (Honneurs perdus 73), elle change de commerce et confectionne des beignets de maïs. Mais plus loin dans le roman, la mère exprime le souci d’un certain renouveau et une perspective visionnaire de l’avenir. En effet, elle songe à améliorer son sort dans la vie et partage ses projets avec sa fille sans en parler à son mari : “Tu vois, ma fille, la modernité s’amène à grands pas. Il faut changer les choses si on veut survivre. Entre nous, colporter les beignets de porte à porte n’est pas la solution. Ce qui ferait bien moderne, c’est d’ouvrir un maquis à la maison, où les gens pourraient venir se nourrir et se détendre. ” (Honneurs perdus 118). Il est remarquable que la mère soit celle qui encourage sa fille à commencer une nouvelle vie en France et qu’elle exprime le désir d’affranchir sa fille des conventions sociales misogynes : “Liberté, ma fille ! Démocratie ! Plus de contraintes (…) Maintenant, fit-elle, tu peux dire ce que tu veux, ce que tu penses, y aura plus personne pour te l’interdire (…) Liberté ! Réjouis-toi ma fille, dit maman. Je t’offre ta liberté. Va, va où tu veux ! ” (Honneurs perdus 177). Et lorsque dans un premier temps sa fille refuse, elle la traite de “ratée” (Honneurs perdus 178). La migration en France est donc synonyme de renouveau. Néanmoins, cette liberté offerte a ses limites puisque les motivations de la mère sont loin d’être altruistes, ainsi que l’observe Gallimore à propos de la représentation de la mère dans l’œuvre de Beyala : “La mère est devenue aujourd’hui la représentante des valeurs dénaturées, une “bête dévorante” qui exploite et vend ses enfants” (Gallimore 1997: 81). En effet, la mère de Saïda déclare : “Je veux vivre pour mon plaisir ce qui me reste de vie” (Honneurs perdus 178) et “N’oublie pas de m’envoyer l’argent de mon lait que tu as bu depuis ta naissance” (Honneurs perdus 181). Nous assistons ici à un discours à double voix : d’une part, le discours féministe qui insiste sur la liberté de la femme et, d’autre part, le discours patriarcal où les filles ne représentent qu’une charge supplémentaire au sein de la famille. Cette stratégie discursive et narrative à double sens renvoie le lecteur à l’argumentation de Moura selon lequel la littérature postcoloniale se caractérise par la coexistence de deux cultures et de deux langues ou voix narratives qui subvertissent le texte. Il n’y a pas nécessairement confrontation mais “rencontre de deux identités qui sont en devenir et qui, par cette négociation, vont devenir et advenir” (Moura 2000: 21). Pourtant, la duplicité n’est pas une norme chez Beyala. Le deuxième roman présenté ici se caractérise au contraire par la linéarité de ses personnages. Dans Comment cuisiner son mari à l’africaine, la voix de la mère résonne de façon différente dans le fond et dans la forme. En effet, la mère étant décédée, sa voix est sous-jacente, en arrière plan puisqu’elle est en conversation dans le moi intérieur de sa fille : “Ma mère, paix à son âme, m’aurait demandé : “L’as-tu satisfait sur le plan sexuel ? (…) As-tu bien tenu ta maison ? (…) Lui as-tu préparé de bons petits plats ? ” (Comment cuisiner 16). L’héroïne se réfère sans cesse aux conseils de sa mère sur le rôle traditionnel de la femme. Hitchcott y voit une sorte de décalage entre l’espace et le temps, une communication bridée: “Whereas geographical theorists of migration tend to present the migratory process as the compression of time and space, Beyala presents the migrant woman as spatially and temporally ‘out of sync’” (Hitchcott, Performances of migration 2006: 98). C’est un point de vue intéressant mais une autre lecture pourrait être envisagée : par le renouvellement de la tradition culinaire camerounaise, la romancière crée un nouvel espace de communication. En effet, son roman est jalonné de vingt-cinq recettes qui arrivent à des points stratégiques du roman, à la fin de chaque chapitre en réponse à un problème particulier que l’héroïne ou ses proches rencontrent avec leur compagnon. Selon Randall, “ce nouvel espace, syncrétisme de deux cultures, réussit à réconcilier deux mondes” (Randall 2012: 195). Et cette réconciliation s’effectue de deux manières. Premièrement, à l’égard du lectorat français, Beyala francise ses recettes, aussi bien dans le fond que dans la forme. Dans le fond, car les Camerounais dégustent plus de poissons que de viandes, mais la majorité des recettes énoncées se composent de viande : “Poulet aux citrons verts” (Comment cuisiner 25), “Veau aux légumes” (Comment cuisiner 47) et sont adaptées au goût occidental “La purée de mangues sur toasts” (Comment cuisiner 136). Dans la forme, certaines recettes sont francisées. Ainsi, “Ndolé” est rendu “Dolé” afin d’en faciliter la prononciation. Surtout, en Afrique, les recettes de cuisine sont transmises par oral et mimétisme. Or, Beyala occidentalise les recettes de cuisine en utilisant le support du livre. Comme nous l’avions démontré, “la tradition et la modernité ne se rejettent pas dans la représentation de la gastronomie camerounaise, du moins tel que l’expose le roman de Beyala, mais développent au contraire un syncrétisme générateur de créativité” (Randall 2012: 196). La mère est au cœur de cette créativité, de ce renouveau, car c’est par la réminiscence de la transmission gastronomique camerounaise que l’héroïne retrouve ses repères et crée un nouvel espace de communication et de négociation. Par conséquent, la mère dans Comment cuisiner son mari à l’africaine n’est pas “la bête dévorante” décrite par Gallimore, ni même “l’odieuse figure de la mère que rejettent et combattent les héroïnes de Beyala” (Gallimore 1997: 81). Bien au contraire, Aïssatou recherche les conseils de sa mère dans le souvenir de ses conversations : “Pour monsieur Bolobolo qui incarne l’espoir d’une tendresse, maman se serait précipitée dans la forêt” (Comment cuisiner 31), “Finalement, j’aurais dû faire comme maman : cuisiner un attieké aux crevettes” (Comment cuisiner 39), pour consoler un chagrin “Mange du veau, ma fille, aurait dit maman” (Comment cuisiner 46) ou pour attirer un homme “Rien ne peut remplacer des bonnes gambas aux épices pour aguicher un homme” (Comment cuisiner p.56). Nous découvrons une relation de complicité, à l’inverse des Honneurs perdus où, dans l’espace de la France, la mère n’est plus mentionnée, elle est comme gommée de la vie de l’héroïne. Beyala change d’orientation pour traiter la relation mère-fille qui n’est donc pas systématiquement conflictuelle comme le décrit Gallimore. Mais il faut dire que son étude est antérieure à la publication de Comment cuisiner son mari à l’africaine. CONCLUSION L’examen de ces deux romans sous les angles du ratage et du renouveau nous a permis de mettre en exergue plusieurs points. Tout d’abord, nous l’avions vu en préliminaire, le ratage peut faire figure de rupture avec les institutions sociales lorsque l’individu peut choisir de ne pas se conformer à la norme. Dans Les Honneurs perdus, l’héroïne Saïda est certainement en porte à faux avec la tradition africaine, vu qu’elle ne se marie pas, alors que toute fille est destinée au mariage, tenu pour essentiel à la continuité de la lignée. Ensuite, elle transgresse la tradition patriarcale qui veut que les filles restent vierges jusqu’à leur mariage. Le ratage semble alors achevé, puisque Saïda perd sa virginité non seulement hors mariage, mais à plus de cinquante ans. Mais ce ratage la conduira à une libération des contraintes de sa culture, religion et tradition patriarcale. Son émancipation est également le fruit d’un faux-départ, celui qu’elle endure à Paris, chassée de chez TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 37 sa cousine. Ce revers se révèlera source de renouveau par la rencontre de Ngaremba, qui lui servira de miroir et l’aidera à se remettre en question pour acquérir d’autres repères. Selon la définition de Ferraris, l’anti-héros oublie les idéaux de sa communauté. Ceci se vérifie dans une certaine mesure chez Saïda qui abandonne quelque peu le système de valeurs de sa communauté. Néanmoins, c’est en définitive Ngaremba qui revêt les habits de l’anti-héros car elle s’effacera au fur et à mesure que Saïda reprendra des forces. Dans Comment cuisiner son mari à l’africaine, l’exil fait figure de faux-départ à travers l’histoire d’Aïssatou qui délaisse son identité dans le vain espoir de se fondre à son nouvel environnement. Surmontant son chagrin, son ratage est alors converti en source de créativité. La perte de ses repères, la fait rebondir au plus près de la sagesse ancestrale qui prendra un tour inattendu et sera source de renouveau. C’est par la mémoire de ses conversations avec sa mère en matière de gastronomie camerounaise, que l’héroïne gagnera non seulement le cœur de l’homme qu’elle convoite, mais aussi renouera avec ses origines et son identité. Le renouveau tient en ce nouvel espace de communication suscité par ce voyage intérieur qu’entreprend l’héroïne. Son ratage, temporaire, lui ouvre une nouvelle voie. Il est source de créativité et dirons-nous même de création littéraire puisque ce retour mémoriel renouvelle la tradition culinaire camerounaise et tisse le syncrétisme de deux cultures propice à la réconciliation de deux mondes. Au final, sous l’impulsion du ratage et du fauxdépart, le renouveau prend forme. Dans Les Honneurs perdus, en nous donnant une grille de lecture et d’évaluation différente de celle des écrivains africains masculins et des eurocentristes, Beyala renverse les rapports de domination. En effet, il n’est plus question ici d’une lecture patriarcale misogyne, ni de la voix exclusive du colon qui est souvent travestie. Les réflexions intimes des personnages nous sont confiées. Dans l’exercice d’une redéfinition du moi africain, Beyala s’est livrée à un voyage intérieur sur la quête de l’identité féminine dans les sociétés dominées par le discours patriarcal. 38 TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3 Beyala se fait porte-parole de toutes les femmes et lance ainsi “le renouveau de la littérature féminine en Afrique francophone sub-saharienne” (Gallimore 1997: 7). La critique Gallimore présente la relation mère-fille chez Beyala comme essentiellement conflictuelle, mèredévorante qui exploite ses enfants et barrière à leur épanouissement. Si cette analyse se vérifie en partie dans Les Honneurs perdus, avec une mère en attente d’un retour financier lorsque sa fille émigre en France, dans Comment cuisiner son mari à l’africaine le visage de la mère est tout autre. Alors que Gallimore affirme que “les écrits de Beyala semblent réfuter les thèses de certaines féministes comme Nancy Chorodow qui présentent la mère comme une figure positive par laquelle la fille se crée en re-créant sa mère” (Gallimore 1997: 81), dans le second roman exposé, mère et fille sont en symbiose. Par la réminiscence de ses conversations avec sa mère, l’héroïne du roman est énergisée et trouve des solutions à ses problèmes de cœur. En fait, la mère crée un nouvel espace de communication au moyen du renouvellement de la tradition culinaire camerounaise. Nous adhérons néanmoins dans une certaine mesure à la vision de Gallimore qui juge que “Dans les textes de la romancière, le destin de la femme n’est plus inscrit au sein de la collectivité, il n’est plus régi par le groupe social, il est fondamentalement un destin individuel. C’est justement ce qui traduit le renouveau de l’idéologie professée dans cet univers romanesque” (Gallimore 1997: 83). Il convient de conclure notre propos en revenant sur le curieux sort de notre auteure elle-même, qui prit aussi un faux-départ, puisqu’elle fut accusée de plagiat pour Les Honneurs perdus, roman qui lui valut pourtant le premier prix de l’académie française en 1996 et lui ouvrit la carrière que l’on sait. Le parcours des héroïnes de Beyala, comme sa propre biographie, insistent sur le destin individuel de l’héroïne et c’est en tant que sujet a part entière que la protagoniste (ou son auteure) trouve dans divers ratages et mésaventures la matière première de ses réussites ultérieures. Les sources des échecs et les ingrédients du succès sont souvent socio-économicoculturels, mais la synthèse salvatrice – et créative – est à l’initiative de la protagoniste agissant en tant que sujet. Bien sûr, notre brève analyse n’est pas exhaustive et pourra faire l’objet de nouvelles recherches, notamment suivant des approches psycholinguistiques et stylistiques pour explorer dans ces domaines les notions de faux-départ et de renouveau. FOOTNOTES 1 Voir Flaubert, Madame Bovary ; Zola, Nana ; Duras, Un Barrage contre le pacifique. Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857 (Paris : Broché, 1995) ; Emile Zola, Nana, 1880 (Paris : Broché, 2000) ; Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique. (Paris : Gallimard, 1950). 2 Dans de nombreuses universités françaises, l’enseignement des littératures des anciennes colonies rencontre encore une certaine résistance. Les Littératures francophones sont souvent enseignées uniquement dans les départements de littérature comparée. 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