transcultural visions - University of Westminster

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transcultural visions - University of Westminster
TRANSCULTURAL
VISIONS
DEPARTMENT OF MODERN LANGUAGES AND CULTURES
VOLUME 3 NUMBER 3
WINTER 2014
The vocation of Transcultural Visions is to
bring together the research of scholars who
work in different fields of research both in
England and abroad. Therefore, the third
issue of the journal is taking an original
interdisciplinary approach and brings
together the research activities of academics
from the University of Saint-Etienne, Lille,
Cergy-Pontoise and Toulouse in France and
The University of Westminster in Britain. The
collective draws on the expertise of scholars
who work with world literature, film and
historical sources and whose research
speciality lies in poetry, post-colonialism and
authority as well as culture and
communication, orientalist paintings and
contemporary Francophone cinema. These
papers give particular attention to the
evolving relationships between France,
Europe and the wider world.
DR LAURENCE RANDALL
Editor
IN THIS ISSUE
3LE POÈTE ANTOINE EMAZ
DR EVELYNE LLOZE
Université Jean Monnet, Saint-Étienne, France
8POST-COLONIALISME AUSTRALIEN ET
AUTORITÉ: L’IMAGINAIRE NATIONAL À
L’AUNE DE LA DIASPORA
DR SALHIA BEN-MESSAHEL
Université Lille 3, France
14 LES VANNES: UN ÉLÉMENT PARTICIPATIF À
LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
DR ISABELLE BOYER
Université de Cergy-Pontoise, France
19 EAST MEETS WEST: J F LEWIS’S THE SIESTA
IN AHDAF SOUEIF’S THE MAP OF LOVE
DR JACQUELINE JONDOT
Université de Toulouse, France
24 MAHAMAT-SALEH HAROUN AND THE
CHADIAN CITY IN A SCREAMING MAN
(2010): A NEW KIND OF NEO-REALISM
IN CONTEMPORARY FRANCOPHONE
AFRICAN CINEMA?
MARYSE BRAY AND DR HÉLÈNE GILL
University of Westminster
35 FAUX-DÉPART ET RENOUVEAU DANS
DEUX ŒUVRES DE CALIXTHE BEYALA :
LES HONNEURS PERDUS ET COMMENT
CUISINER SON MARI À L’AFRICAINE
DR LAURENCE RANDALL
University of Westminster
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
1
TRANSCULTURAL
VISIONS
DEPARTMENT OF MODERN LANGUAGES AND CULTURES
Editor
Laurence Randall
Editorial Advisory Board
Maryse Bray
Karine Chevalier
Peter Dunwoodie
Anne Garrait-Bourrier
Hélène Gill
Alec Hargreaves
Nicki Hitchcott
Debra Kelly
Margaret Majumdar
Mildred Mortimer
Sandhya Patel
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The Editors welcome comments and suggestions,
as well as offers of contributions in the form
of articles, letters and book reviews.
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for Transcultural Visions will be peer-reviewed.
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309, Regent Street
London W1B 2UW
United Kingdom
LE POÈTE ANTOINE EMAZ
EVELYNE LLOZE
L’œuvre poétique d’Antoine Emaz est
déjà considérée par beaucoup comme
l’une des plus importantes, des plus
fondamentales et des plus « justes » de
ces vingt dernières années. Altière et
ténue, grave, tendue et d’une extrême
clarté, elle travaille le terne, le morne,
l’obscur du banal, cherche à piéger le
« vrai » dans toutes ces tonalités de gris
qui nous habitent et nous entourent, et
résonne d’une émotion si maîtrisée qu’à
la lecture nous voici « dérangés » et
happés à la fois, plongés au cœur de
l’expérience existentielle commune, dans
la « case réel » (Emaz 2009a :75), la
réalité du vivre tout simplement.
On l’aura compris : « comment écrire
ce qui est ? » (Emaz 2009a :72) demeure
bien ici la question essentielle.
Et d’abord, bien que l’on souscrive aux
liens établis par Emaz lui-même entre
biographie, illusion et pur alignement de
faits¹, qui est Emaz ?
Né en 1955 à Angers où il vit toujours,
mais son œuvre renvoie également à
d’autres paysages (Wimereux,
Châteauroux, Pornichet notamment),
comme beaucoup d’écrivains aujourd’hui,
il est enseignant (de français).
« Médiocrité sociale de petit prof de
province » dont il souligne qu’elle l’a « au
fond protégé et édifié » (Emaz 2009a :
58), « existence banale, commune,
moyenne… », et il « creuse, écrit là »
(Emaz 2009a : 117), au ras des choses,
de l’expérience quotidienne.
Il publie ses premiers textes en revue
dans les années 80 et égrène, surtout à
partir d’En deçà (1990), de nombreuses
publications de recueils, livres d’artistes,
essais, études critiques, carnets de notes
chez d’excellents éditeurs de poésie
(Tarabuste, Fourbis, Deyrolle, Le Dé bleu,
Rehauts…) ainsi qu’au Seuil, jusqu’à
constituer actuellement une œuvre
considérable (cf. Bibliographie dans Le
Gall, 2008) et en tout point
incontournable. Et qu’on ne s’étonne pas
qu’il écrive sous un pseudonyme, car quoi
de plus logique pour un poète qui, dans
la lignée de Reverdy (sur lequel il a écrit
une thèse) et de du Bouchet (à qui il a
consacré un essai), échappe à la force
d’assignation du je, faisant obstacle à
tout débordement narcissique, à toute
sollicitation de complaisance, en
n’employant dans ses poèmes que le on,
indéfini dont « l’élasticité » lui semble
mieux à même d’en « (appeler) au
collectif », « au lecteur » (Emaz 2001 :
5). En d’autres termes, s’il y a là retrait,
pudeur native, évidement, la présence
séminale de l’affect comme l’intensité de
la voix ne manquent pas de nous
ramener à une vérité de l’exister, tout
contribuant en fait à l’affirmation d’une
exigence éthique, à une tension du sujet
lyrique vers l’autre indéniable. Parole de
l’impersonnalité, abrupte, sombre et
ressassante à la fois, parole de l’épure,
âpre et têtue dans cette interrogation sans
fin du réel, du concret, du vivre ici qu’elle
poursuit. D’évidence « il y a bien une
dette très grande » dans l’écriture d’Emaz
« vis-à-vis de Reverdy mais aussi de du
Bouchet » (Rabaté 2009 : 289.
L’importance de ces « antécédents »
majeurs, leur prégnance comme leurs
résonances manifestes chez Emaz – que
l’on songe à ces voies d’exigence qu’ils
se sont tracés, à cette quête éperdue d’un
« lyrisme de la réalité » qui les a portés
ou à cette éthique du dire/voir qui les a
continûment occupés – ne doivent pas
néanmoins nous faire oublier quelques
lignes de clivage qui tranchent
radicalement avec l’œuvre de ces aînés
et nous découvrent d’autres choix,
privilégiant d’autres orientations, d’autres
rapports au monde.
Ainsi du lien à l’Histoire, lien
déterminant dans la plupart des recueils
de notre poète, jamais à l’écart quant à
lui, de ces constituants de base que sont,
pour nous tous, les circonstances actuelles
du monde, conditions de vie,
déterminations, situations sociales,
économiques, politiques dans lesquelles
nous sommes immanquablement plongés.
Poète engagé ? Oui assurément, mais
pas dans le sens habituel du terme, poète
« complètement immergé dans la société
avec tous les problèmes et les questions
qu’elle porte », poète « travailleur de la
lucidité » (Sacré 2006 : 15), se faisant
l’écho d’expériences existentielles
communes, banales, et en cela
emblématiques, en des textes déployant,
en jeux de corrélation étroite et constante
avec une certaine forme d’actualité, des
scènes du quotidien (intime comme «
médiatique », cf. K.-O., Soirs.). Ajoutons
également qu’il y a là nombre de textes à
considérer comme de véritables croquis
sur le vif ou plans de coupes de nos «
lointains intérieurs » avec des motifs et
thèmes répétés, des images et voix d’un
espace-temps certes mondialisé, mais si
quadrillé, fragmenté, dilué en fait dans
l’anecdote, et si saturé surtout d’emplâtres
idéologiques de toutes sortes qu’il brouille
le regard, tend à nous réduire à la plus
grande passivité et devient inconsistant,
irrespirable. Car l’ordinaire de
l’aliénation, la réalité intime de l’être,
l’inévitable (et pénétrante) mélancolie du
vivre-ici-aujourd’hui, l’empilement de
plans multiples et souvent contradictoires
de notre environnement quotidien,
nombre d’éléments qui renvoient à la
dimension historique et politique de notre
existence comme à sa matière sociale,
transparaissent et s’énoncent chez Emaz,
dans une distance allusive qui de surcroît
en fait émerger le plus essentiel, désigne,
éclaire et requiert mieux. Boue du
dedans, Boue du dehors, le geste
poétique creuse l’énigme de l’une comme
de l’autre avec « toujours ce désir
d’articuler micro/macro, individuel/
social, personnel/collectif. » (Emaz 2003
: 88).
Lyrisme du réel (avec l’indéniable force
de vérité de cet « il y a », de ce « vrac de
vivre » (Emaz 2009a : 85) jetés sur la
page) ou « écriture grise » (Rabaté et
Viart 2009 : 38), les tonalités et les
harmoniques relèvent bien de notre temps
et vont ouvertement de pair avec un
questionnement métaphysique – dire la
condition humaine, voilà qui fait aussi la
profondeur et la « grandeur » de cette
écriture – et même éthique – le constat
têtu de ce qui est ne désengage en rien,
au contraire, d’un désir de justesse, de
résonance qui porte loin.
Nous nous concentrerons donc sur ces
trois « domaines », le gris, le
métaphysique et l’éthique pour tenter
d’explorer la poésie d’Emaz et d’en
donner à découvrir au lecteur la
puissance d’impact comme l’énergie
tensionnelle.
Cette « écriture grise » revendiquée par
Emaz – cf. « Unité tonale (…) : un gris
terne » (Emaz 2009b : 38)² – l’est tout
autant par les choix énonciatifs opérés, la
charge d’ancrage dans le moindre, le
peu, le banal, le quotidien, ces riens du
présent et du plus proche auxquels il fait
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jouer leur plein effet et dont il exhausse
sens et vacuité, que par l’estompe
mélancolique de la voix qui résonne ici,
toujours en demi-teinte, polarité morne et
tension « lucidement sombre » (Sacré
2006 : 16).
De l’indétermination, du lacunaire, de
l’inachèvement, de l’émiettement même,
une atmosphère et une présence quasi
diluées, floues, mais d’une prégnance
paradoxalement plus puissante, les notes
de la gamme énonciative travaillent l’élusif
comme l’allusif, l’ellipse comme une
simplicité d’évidence formulaire des plus
grandes, la coupe comme la concision ou
la sédimentation polysémique, dans une
dynamique d’intensité tout à fait
remarquable. Poèmes aux tracés traversés
de vide, régis pour l’essentiel par des
modalités suspensives, par le délaissement
d’une signifiance fixe ou clairement
déterminée, par du non-assertif, des «
manques » qui se font sédiments de sens, il
y a bien chez Emaz un parti pris du moins,
dupeu, du « gris » qui requiert une
profonde exigence de l’écrivain³ comme
du lecteur (le sens n’étant donné qu’en
creux, en devenir en quelque sorte, dans
une potentialité telle que seule une lecture
active reste à même de le faire s’épanouir).
Épure expressive, vacance et blanc
devenus ressources, nudité exemplaire de
l’expression participent ainsi et d’une
valorisation d’une sobriété qui oblige à
une exceptionnelle justesse et d’une volonté
de concevoir le mode poétique du langage
comme du pas grand-chose, du presque
rien, qui se signale cependant par une
incomparable force suggestive. Comme si
une certaine formule de du Bouchet avait
valeur ici de règle élémentaire, d’assise ou
tout simplement d’axiome : « raréfaction
de la parole-épaisseur de la réalité » (Du
Bouchet 1989 : 21).
En définitive, ce choix du lacunaire
(ellipse, parataxe, zeugme, réticence,
litote, « vide » grammatical ou sémantique)
s’apparente à un effet d’appel, et dans la
logique d’économie qu’il promeut, il ne
s’agit de rien de moins que de mobiliser
un principe de simplification et
d’indétermination qui se fait tension,
dégageant encore plus d’horizon à
l’évocation. Couper court au trop ou au
tout dire, toujours privilégier ce qui relève
du raccourci, d’une forme d’ « épargne »
langagière générant du suggestif et
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ouvrant accès à des dimensions du réel et
du vivre que la clarté de l’explicite aurait
assurément réduit, figé ou perdu, Emaz
trouve là à chaque fois de quoi raviver
profondeur de sens et d’émotion, de quoi
échapper également
à cet exhibitionnisme profus(tout en le
dénonçant) des médias qui s’enlisent
jusqu’à l’écœurement dans la répétition
des images :
choc
une poussière brusque
de fer et d’hommes
une sorte de neige sale
tâcher de voir
au-delà de l’image
reculer pour voir
d’où elle vient
effort ici
effort
l’image colle
(Emaz 2005 : 9)
Ce poème, daté du 13 Septembre
2001, ne se contente pas d’interroger
l’actualité, l’événement historique, ni les
effets, parfois asphyxiants ou délétères,
qu’ils induisent sur le spectateur, mais ouvre
de facto à ce qui peut surgir et circuler
entre « l’image » et nous, ce qui peut se
décanter dans ce trop près ou ce trop loin
dans lequel on s’englue. Et du premier vers
au dernier, les jeux d’ellipse et de
disjonction, d’émiettement et de réserve (de
la langue comme des perceptions)
confèrent à la signifiance un effet de
prégnance extrême, comme si ce qui était à
l’arrière-plan du dire, au lieu de rester
embourbé, et limité finalement dans une
formulation précise, dans une astreinte de
notification, parvenait à sourdre dans un
processus d’émergence atteignant au plus
profond. Le travail d’entame se résout en
fait en véritable accaparement de sens et
d’émotion, ellipses de toutes sortes comme
autant de « défauts » et de creux qui
opèrent en ramenant à l’essentiel de
l’éprouvé (à rapprocher peut-être de ce que
le sfumato parvient à créer en peinture ?),
à ce « choc » d’une « image» qui « colle »
– dont on ne sait rien d’autre que l’esquisse
que nous en donne la première strophe –
et dont le poème s’attache à déployer (et à
garder actif surtout) tout l’affect qu’elle a
occasionné. Des mots de peu, de rien, un
sujet lyrique dissous dans une série de
nominales et d’infinitives juxtaposées, des
séries sonores et sémantiques faisant juste
saillir trois monosyllabes( « choc/voir/
colle »), de l’Histoire dans un flou
douloureux qui émerge mais demeure rivé
au sans fond d’une seule image, une
absence d’ artifice et de complaisance
dans cette évocation de l’événement
télévisuel – on opère dans le brut plutôt -,
un tâtonnement du dire pour évoquer le
sombre harassement qui guette, nous voilà
bien captés par l’écriture grise d’Emaz qui
en impose, d’exactitude retenue.
Et si l’on cherche par ailleurs à faire
« dérailler la chaîne « simple » du langage
quotidien », à « supprimer les aiguillages »
(Emaz 2009b : 75 et 14), c’est sans doute
que le voir pointe mieux ainsi au-delà de
l’anecdote, que le constat – puisqu’on
« vise le banal » (Emaz 2003 : 40), qu’on
reste indéfectiblement centré sur un il y a
des plus pauvres, des plus communs – porte
alors à quelque dérapage du sens, à
quelque vertige chargé d’intensité. Lucidité,
attention à ce qui vibre dans l’obscur, le
simple, le terne du journalier, le démuni des
choses qui nous entourent, les tracesornières ou sédiments de l’expérience
ordinaire, à vrai dire « il n’y a rien d’autre
à partager », chez Emaz « que la vie
basse, la vue basse, le ras de terre, (que
l’on creuse) jusqu’à lui donner une
profondeur » (Emaz 2009a : 117), ras de
terre que jamais d’ailleurs l’on ne décrit,
juste l’évoque t-on par flashes, noyaux de
« micro-séquences » (Emaz 2009a : 26),
« bouts de réels » (Emaz 2009b : 65)
juxtaposés, préservant par là même leur
capacité de fissuration ou leur force
d’ébranlement. Et c’est seulement à ce prix
que la poésie sera « veilleuse ou lichen »
(Sacré 2006 : 17), veilleuse travaillant
humblement le pâle, le fruste, les riens du
concret, désignés ici, révélés aussi bien
dans leur étonnante opacité de présence et
de signification, lichen ténu qui tient
pourtant, dans l’intimité du réel, animé du
simple désir « de saisir un mouvement de
vivre, comme un remous, une convulsion,
un soubresaut » (Emaz 2003 : 22).
Pointer et rendre compte le plus
succinctement qui soit de ce qui fait face,
donner à voir l’évidence, la platitude
quotidienne, s’opère ainsi à partir d’une
exigence qui impose à la langue toutes
les formes possibles de silence tensionnel,
scénographie énonciative épurée à
l’extrême avec l’emploi constant de
monosyllabes et monorhèmes,
l’omniprésence du blanc, le tropisme du
disjonctif et la prégnance de l’ellipse et
de l’indétermination. Sans oublier la
résorption du verbe dans le peu du même,
la dynamique évocatoire de la répétition
car la poésie d’Emaz relève bien d’un
travail quasi sériel, parole de rumination
aux vibratos assourdis, sondant toujours
les mêmes horizons, les mêmes réalités,
requise par une sorte de concrétion
thématique particulièrement réduite, si
limitée même qu’il y a tout lieu de penser
que c’est pour une grande part cette
densité là qui assure à l’œuvre une
saisissante intensité d’émotion.
Davantage, le geste d’écriture se centre
sur un essentiel qui, s’il est sans fin pétri et
repétri dans une « tourne » mélancolique,
ne manque pas de nous placer au cœur
d’un questionnement existentiel des plus
implacables.
On n’arrête pas en effet, dans des jeux
infinis de variations (mais toujours dans un
retrait, une pudeur et un effacement des
plus pointilleux) de se préoccuper de cette
trivialité qui, au fil des jours nous
confronte à l’expérience de la maladie,
du deuil, d’un vivre-ici douloureux ou
simplement ordinaire et lucide – « c’est
trop étroit une peau » / « On ne s’y
retrouve pas » / « C’est toujours tellement
à côté » (Emaz 2007 : 187, 185 et 146),
[...] – trivialité qui, à force, engendre et
requiert de nous « une forme d’écart »,
« la mélancolie » (Emaz 2003 : 68), pour
mieux serrer au plus près, sans tricher, rien
que « les os d’une vie, d’une période » et
« ramene(r) inlassablement » à cette
question-là : « Qu’est-ce qu’on fait d’une
vie ? » (Emaz 2009a : 63, 117). Bref, nul
autre cadre ici que celui d’une irréductible
contingence, nulle autre matière que celle
de la condition humaine et cette logique
d’aimantation s’affirme notamment dans le
choix exclusif du pronom indéfini, on de
réserve et d’effacement, placé à la
jointure de l’intime et du général, on
détourné de soi et tourné vers le commun,
on de référence à l’universalité de
l’humain. Nous apostrophant avec la
force de présence d’un témoin, plongé
dans une référenciation qui d’emblée
l’ouvre à un-delà de lui-même (tout en
n’évacuant pas l’horizon constitutif du moi
biographique), le on a une manifeste
fonction exploratoire de toutes les
modalités du vivre la condition humaine,
et, entre cette forme d’exemplarité et
l’indétermination de la situation
énonciative qui le caractérise (avec cet
effet de lointain qui paradoxalement a le
mérite de nous le rendre plus proche), il y
a assurément là, comme le souligne
Emaz, « une invitation au lecteur » et « ce
dernier point importe : le poème à moins
à se retourner vers moi qu’à se projeter
vers l’autre » (Emaz 2001 : 5). Permettant
de coller à un questionnement existentiel
qui constitue le point nodal du projet
d’écriture d’Emaz, l’emploi du on, situé
comme en amont du je et en même temps
chaînon décisif entre l’individuel et
l’universel dont il se fait l’écho et l’ombre
austère, ouvre la scène poétique à tous,
voix d’une intériorité qui prend le risque
de l’esquive et du retrait et qui, dans
l’indistinct et l’inassignable trouve les
conditions d’un apparaître et d’un dire
qui provoquent encore plus à l’écoute et
nous associent encore plus à ces presque
riens du vivre évoqués là et résonnant
cependant au plus profond. Ce on en tout
cas a un pouvoir d’éclairage sur le
propre de la condition humaine assez
exemplaire : le je se tait pour laisser
advenir le visage de l’humain, il bannit
toute configuration discursive autocentrée
pour seulement se situer à l’échelle de
l’exister, un exister qu’il n’a de cesse
d’interroger dans la justesse d’un pas
« hors de soi » (En référence au titre de
l’article Collot 1996), d’une posture
d’extériorité qui « engage une
communauté d’expérience » (Emaz 2001
: 5) et offre une voie d’accès à la
présence comme à l’accord : « il s’agit
en quelque sorte (pour le poète) de
délaver suffisamment (sa) vie pour arriver
à un point de tangence de sensibilité pour
(lui) et le lecteur » (Emaz 2001 : 5).
L’éviction du je participe donc d’un
processus d’ouverture au prochain qui ne
correspond pas nécessairement d’ailleurs
à une définitive occultation de soi : à
croire que ce chemin de traverse ou
d’énonciation oblique ne contraint
nullement à écarter l’évidence d’un
ancrage dans la circonstance, l’immersion
dans l’ici propre à chacun, bien au
contraire, juste répond-on à une double
exigence de lucidité et de « lisibilité »,
sans « laisser-aller (ni) débraillé » (A.
Emaz évoquant P. Reverdy dans Dupin,
Chapon et Peyré 1990 : 119). Rompant
avec toute unicité de référenciation en
jouant sur la plasticité du pronom indéfini,
dont le travail des « figures » auxquelles il
renvoie, libère de toute représentation
prisonnière d’une stricte corrélation entre
l’écrivain et la scène scripturale qu’il
compose, et de tout repli dans une réalité
empirique fixe et déterminée, Emaz fait
de cet usage constant du on qui constitue
une pièce maîtresse de son dispositif
énonciatif, un rempart contre toute
« viscosité lyrique » (Roubaud 1973 :
117) et une voie d’excentration pour
s’ancrer mieux dans la force et le poids
de ce « rien que de commun » (Emaz
1997 : 24) de l’expérience humaine. Ce
mode d’énonciation transpersonnel
témoigne bien d’une indéfectible exigence
de vérité qui « colore » également tout le
chromatisme affectif propre au registre
élégiaque dominant dans l’œuvre d’Emaz,
écriture toujours confrontée semble-t-il à
« l’à-quoi-bon / profond comme sable »
(Emaz 2004 : 94) et se cristallisant autour
d’un questionnement prioritairement
ontologique, mais aux prolongements
éthiques.
Ainsi, même centré sur cette « sorte de
gris sans faille » (Emaz 2004 : 18), cette
fêlure intérieure qui creuse tant, le poème
d’Emaz, en lieu et place d’une plainte
aux consonances psychologisantes
parvient à n’être que de veille et de
méditation, d’exploration des inquiétudes
humaines les plus profondes et les plus
poignantes, parole donatrice d’une forme
de vérité, osons le terme, métaphysique,
vécue et exprimée au plus près de
l’expérience commune, parole d’un qui se
choisit « travailleur de la lucidité » (Sacré
2006 : 15) et qui « (écrit) donc à partir
de ce qui reste vivant dans la défaite et le
futur comme fermé » (Sacré 2001 : 7). Et
cette parole qui se risque à dresser
l’inventaire des traumas de notre échelle
de temps intérieur comme de ceux dus
« à cette bêtise massive » (Emaz 2004 :
65) qui règle trop souvent l’ordre des
choses, n’évacue surtout pas le mal-être
en l’enserrant dans une rhétorique
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
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convenue ou complaisante. Du vivre, elle
dit plutôt le plus dérangeant et le plus
ordinaire à la fois, dans une pureté
d’évidence dont la rectitude s’avère aussi
affaire de morale, « une morale simple,
au fond : rester debout » (Sacré 2001 :
10), et tout faire également pour
« s’adresser au lecteur et (…) le mettre en
route » (Emaz 2003 : 89). Le C’est oui,
accapare Emaz, et dans ce face-à-face,
on ne vise pas tant à se désenliser du
quotidien qu’à en manifester la substance
ou la démesure tout autant, qu’à en
considérer le relief et les arrière-plans, à
même de laisser transparaître en retour,
comme à la dérobée, quelque chose du
vivre-ici de l’ordre du plus essentiel :
le cœur bat
la vie est posée là
on n’est comme plus en elle
on est
où
sur une chaise de paille
face à la fenêtre
noyée
on veille
quoi
(Emaz 2008 : 133)
On puise d’abord dans l’évidence,
dans une matière des plus communes,
objectives et banales, et dès le second
vers, on introduit un hiatus qui défait toute
stricte adhésion au circonstanciel d’une
part en concrétisant de l’abstrait devenu
poids, dégoût d’être et non-sens
conjugués, d’autre part en marquant une
étonnante extériorité du point de vue dont
les vers suivants ne vont faire
qu’exacerber l’impact révélateur. Dire la
condition humaine dans ses moments
douloureux de non-appartenance à soi
– et quoi pourtant de plus stéréotypé dans
la tradition lyrique ? – est bien ici l’un des
« enjeux » du poème, mais l’on travaille,
comme toujours avec Emaz, dans
l’estompe (métonymique par exemple,
avec des objets du quotidien instruments
ici de résorption/incarnations de
l’humain, indexant autant de ruptures de
plans signifiantes que démontant le puzzle
de ces truismes qui nous font « tenir »), et
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TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
à partir de l’appréhension la plus abrupte
du partageable, du commun de l’exister
que l’on interroge et découvre sans
compromission d’aucune sorte, au ras de
la situation, à l’écart de soi certes, mais
au plus profond des fêlures humaines.
Force est de reconnaître alors la densité
émotionnelle, la teneur ontologique et
même « l’impact moral » (Sacré 2001 :
24) de tels poèmes, qui trouvent dans
l’évidement, les effets tensionnels et cette
exigence du peu, du « gris » auxquels ils
s’originent de quoi repenser le sens de
l’humain, de quoi viser simplement un
« être-ensemble-en-face » (Emaz 2003 :
16). Faire retour à une éthique du
commun et en attester l’exemplaire
nécessité (pensons aux carnets et aux
entretiens) se révèle également dans le
texte poétique ne serait-ce que par les
modes d’articulation de l’indéfini et du
personnel ici privilégiés, articulation
nullement empiégée dans une nomination
(et une figuration) coïncidant avec une
contextualisation circonscrite au seul
temps de l’écriture, à laquelle on substitue
une évocation que chacun reste libre de
refaçonner à son gré, dans un
élargissement des plans de signification
qui va de pair avec un mouvement
d’élection et d’invite adressé au monde
comme au lecteur. Emaz a ainsi tendance
à inscrire ses poèmes dans une sorte de
continuum qui se trouve être à la fois celui
du recueil (organisé le plus souvent de
façon sérielle), celui d’une expérience
individuelle propre – imposant clairement
une configuration concrète et « subjective »
de l’énonciation sans rien à voir avec
quelque jeu de langage, d’esprit ou
quelque aspect fictionnel qui soient,
configuration dès lors donatrice d’un
poids de vérité ontologique, d’incarnation
tout à fait sensible – et celui d’une
indétermination (vague d’un sens en
latence à habiter par chaque lecteur) qui
ouvre et croise les références au point
d’assurer un lien de transubjectivité
extrêmement fort :
ni peur ni larmes
ou bien c’est plus profond
on est là on sait que ça
ne sert à rien
c’est en train de finir
on ne fait pas effort pour rester
même si le ciel est bleu dehors et si
on n’a pas grand-chose à voir
dans cette cassure de temps qui vient
(Emaz 2004 : 104)
Il y a là, comme toujours chez Emaz,
une focalisation sur un noyau
événementiel singulier et sans éclat, qui
accapare néanmoins tant il nous ramène
à quelque débâcle intime face au
« tranchant » du vivre (et comme c’était
déjà le cas dans Boue, c’est bien la
confrontation à l’agonie, à la mort
travaillant le corps qui constitue le « sujet »
du texte) avec en outre un dispositif
circonstanciel enchevêtrant tropismes
personnel et collectif. On convoque en
effet l’indéfini (mettant en jeu d’emblée un
trajet de l’individuel au commun), l’affect
(peur, larmes, profond : un simple rappel,
sans aucun pathos, qui nous installe dans
l’essentiel, les deux premiers termes étant
significativement rejetés) et un espacetemps à la fois flou et sans consistance
mais qui rayonne jusqu’à nous, et même
jusqu’à ce qui nous est commun à tous,
cette impuissance devant l’évidence d’un
non-sens, l’infini et dérisoire
questionnement existentiel de la condition
humaine. Le poème qui déplace sans
cesse les horizons, du contingent à
l’universel, de la chambre d’hôpital à la
table d’écriture et à l’acte de lecture, et
les points de retentissements, nous atteint,
dans un abrupt d’irruption assez rare, au
plus profond.
Un désignation qui travaille sur du
lacunaire et de l’implicite, appels qui
ferrent le lecteur et semblent même le
forcer à l’adhésion, des termes à la fois
chargés de présence et transparents au
point de « s’accorder » à chaque lecteur,
les lointains d’une expérience singulière
présentifiés de façon si probante que
cette dernière s’imprime jusque dans
notre horizon le plus personnel, et dans
celui de tout l’humain aussi ; assurément
quelque chose là, dans la configuration
énonciative, nous reconduit à la réalité
d’une invite, à la dimension d’hospitalité
de modalités d’écriture qui font des
poèmes des espaces de rencontre et de
partage, d’où le poète « (fait) signe avec
des mots » (Sacré 1993 : 123). Ou
comme le dit Emaz lui-même, entre « une
morale de l’attention au monde » et une
« vocation du poème à mobiliser tout
l’être, de l’auteur comme du lecteur », ce
qui importe reste bien d’instaurer « un
rapport de fraternité, de reconnaissance
humaine » (Emaz 2003 : 96 et 97).
FOOTNOTES
1 Lire à cet égard (entre autres références) Emaz
2009b : 70.
2 Il évoque ici le recueil Peau (2008) et ajoute plus
loin que les poèmes lui « semblent (…) presque
fondus dans la couleur puce dominante.
3 Il y « faut », selon Emaz « une tension maximale »
(Emaz 2003 : 67).
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TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
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POST-COLONIALISME AUSTRALIEN ET
AUTORITE: L’IMAGINAIRE NATIONAL A L’AUNE
DE LA DIASPORA
SALHIA BEN-MESSAHEL
Dans son article « Rethinking
Postcolonialism and Multiculturalism in
the Fin de Siècle », John Docker indique
que les termes « postcolonialisme » et
« multiculturalisme », termes qui
s’appliquent à l’Australie dès la deuxième
partie du 20ème siècle, ont une capacité
totalisante qui tend à faire abstraction de
la différence (Docker 1995). Docker
s’appuie sur les discours relatifs à la
nation, l’appartenance et l’identité, à un
moment où l’Australie s’interroge sur son
lien constitutionnel avec le Royaume-Uni
et sa place en Asie-pacifique. Il pointe les
glissements qui s’opèrent entre la théorie
postcoloniale avec ses références à
l’Orientalisme et la rhétorique du
multiculturalisme qui, selon lui, ne prend
pas en compte le caractère hétérogène
des différentes communautés qui
composent l’Australie, une hétérogénéité
qui est visible dans les relations
qu’entretiennent ces communautés entre
elles mais qui se manifeste également au
sein même d’une communauté. Les
remarques de Docker sont appuyées par
un grand nombre de critiques qui
interrogent l’idéal politique du
multiculturalisme dans une société où
l’acte de colonisation du peuple indigène
n’est toujours pas officiellement reconnu
et qui entretient un lien indéfectible avec
le Royaume-Uni aux dépends de toutes
les autres cultures qui forment une
diaspora en marge d’une majorité
anglo-australienne.
Cet article se propose ainsi d’interroger
la manière dont des romanciers
australiens issus de l’immigration
grecque, comme Christos Tsolkias, ou de
la diaspora asiatique : Nam Le et Beth
Yahp, s’intègrent ou non à une destinée
australienne en Asie-pacifique, une
destinée post-coloniale qui tente de
réconcilier un héritage impérial
d’oppression de l’Autre culturel avec le
présent, par le biais du multiculturalisme.
Il s’agira par conséquent de comprendre
ce qui est entendu par « imaginaire
australien » et de se demander dans
quelle mesure celui-ci encourage ou non
l’inclusion des voix de la diaspora. Il
s’agira en outre de se demander si
l’écriture du migrant ne se manifeste pas
en quelque sorte comme une narration
parallèle, en marge d’un canon littéraire
australien, qui interroge ou déplace le
8
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
concept de « post-colonialisme » tel qu’il
a été défini par Bill Ashcroft (Ashcroft,
Griffiths & Tiffin, 1998). Un postcolonialisme écrit avec le tiret et qui, tel
que l’entend Ashcroft, est signifiant de la
culture affectée par la mise en œuvre des
pratiques impérialistes du moment de la
colonisation jusqu’au présent, et qui
permet d’observer le prolongement de
préoccupations australiennes par
l’intermédiaire du déroulement d’une
histoire initiée par les empires européens.
La perception d’Ashcroft qui fait état du
prolongement d’une histoire coloniale
dans la réalité postcoloniale lève un
certain nombre d’interrogations quant à
la place du migrant dès la deuxième
partie du vingtième siècle, période qui
assoit l’autorité politique de l’Australie sur
le territoire Asie-pacifique, et son
positionnement social et culturel dans un
ensemble définit comme étant postcolonial et multiculturel. Prenant en
compte cette définition, la critique Sneja
Gunew (1999) s’interroge sur la véritable
nature du multiculturalisme australien et
sur la place des migrants qui ne seraient
pas reconnus comme citoyens à part
entière d’une Australie encore très
attachée à un passé commun avec le
Royaume-Uni. La vision d’Ashcroft et de
Gunew, bien qu’elles présentent des
perspectives divergentes renvoient à
l’espace et au territoire australiens comme
signifiant d’une identité multiple : lieux de
l’histoire, de la généalogie et de la
spiritualité indigène, territoires colonisés
et signifiants d’une identité légitimée pour
les Anglo-australiens, territoire mouvant et
subversif pour les migrants. Les récits de
Tsiolkas, Le et Yahp montrent que l’altérité
des individus – qu’ils soient issus de la
migration européenne (entendu ici
comme non-anglophone), ou de la
migration asiatique – déplace la notion
même d’altérité post-coloniale,
interrogeant de manière subversive le
rapport à l’Empire, au passé colonial et
au Royaume-Uni.
Dans un article sur la situation critique
des réfugiés en Australie, le romancier
Christos Tsiolkas avance l’idée que la
nation est un espace duel et multiple :
The reality is that there isn’t “one
nation” that makes up Australia, only
competing notions of “nationhood”.
There is the cosmopolitan, educated
nation of the inner cities and the
parochial, anxious communities of
the urban fringes and the bush.
(Tsolkias, 2013a)
Originaire de Melbourne, de parents
immigrés grecs, Tsiolkas repense la
diversité du monde et de l’individu, il
montre une volonté de pointer les
glissements qui s’opèrent entre
construction de soi et déconstruction de
l’autre, négation de l’autre et affirmation
de soi, dans un pays qui vante son
multiculturalisme et son unité nationale.
Tsiolkas ancre ses histoires dans l’espace
urbain de la ville et de la banlieue
comme espace de soi et d’interrogation
de l’altérité, il s’impose comme l’un des
auteurs majeurs de la littérature
australienne contemporaine, célèbre pour
des récits qui interrogent la famille, la
sexualité, la classe sociale et la société
multiculturelle prise dans son ensemble.
Son tout dernier roman publié en 2013 et
intitulé Barracuda reprend, comme ses
deux précédents romans, Dead Europe
(2005) et The Slap (2008), le concept
d’enracinement et d’appartenance, dans
le paysage urbain, critiquant l’héritage
culturel anglophone imposé par l’histoire
et une société multiculturelle instable. La
narration met en scène la vie à peine
réellement vécue et vite bouleversée de
Daniel Kelly, un lycéen qui obtient une
bourse d’études dans l’un des plus
prestigieux lycées de Melbourne, pour
ses capacités en natation. Le roman qui
parcourt les 16 années de vie du
personnage, de l’adolescence à l’âge
adulte, interroge la question d’identité
culturelle et de cohésion nationale,
mettant en exergue le côté artificiel des
symboles culturels du pays (la natation et
le succès olympique), la question de
l’égalité sociale. La natation, comme
symbole de réussite et de reconnaissance
sociale voire culturelle, symbolise
l’identité flottante d’un personnage en
quête de reconnaissance dans un milieu
qui lui est autre et où il devient lui même
autre. Daniel, dont le nom se décline sous
plusieurs formes « Dan », « Danny »,
« Barracuda » « Psycho », « Dino », est
un sujet déplacé ; ironiquement
multiculturel de naissance : descendant
de parent grec et écossais mais australien
de naissance. Le personnage ne peut
jamais complètement faire un avec son
environnement social et culturel ou se
soustraire à l’autorité imposée par
l’argent et l’artifice de ses camarades de
classe, représentants de la majorité
anglophone certes mais surtout d’une élite
bourgeoise qui semble naturellement bien
loin de l’égalitarisme australien, pilier
supposé de la culture australienne. Le
récit qui passe subitement de la première
à la troisième personne, se déroule à
différents endroits : Melbourne, un Lycée
ironiquement surnommé « Cunts College »
situé dans une banlieue aisée et le
domicile familial, une banlieue populaire
en marge de la population angloaustralienne, puis la ville Glasgow qui
marque le retour aux origines familiales et
qui porte en elle une marginalité tout
aussi aigüe par rapport au centre
anglais. Le déplacement géographique
permet de suivre l’évolution du
personnage et de nuancer la colère de
Danny, adolescent, car les réflexions de
Danny adulte mettent en exergue les
processus de mise à l’écart et de
construction de l’altérité, tout en rappelant
les porosités des différents espaces
sociaux, culturels et politiques. L’espace
posé se manifeste comme hétérotopie qui
représente une culture et une image tout
en la contestant et en l’inversant. La
banlieue est caractérisée par une
constante collusion entre deux pôles
divergents, monoculturalisme et
multiculturalisme, richesse et pauvreté,
générant ainsi un espace où les lignes de
fractures sont visibles et bouleversent
l’idéal australien de diversité culturelle et
de cohésion sociale. Invité par son
camarade de classe, Martin, Danny
découvre un milieu social aux antipodes
de son quotidien et de sa famille. La
situation des Taylor, symbolisée par une
maison cossue dans une banlieue aisée,
met l’accent sur le pouvoir détenu par une
élite qui entretient les valeurs hérités de la
Terre-Mère, le Royaume-Uni, et traite avec
condescendance voire racisme clairement
affiché, notamment envers les juifs
(Tsiolkas 2013b:103-104), tout migrant et
descendant de migrant qui est originaire
d’un pays autre que le Royaume-Uni. La
conversation entre Danny et Mme Taylor,
grand-mère de Martin et personnage
dickensien, met ironiquement l’accent sur
l’artifice d’une élite et de la société dans
son ensemble :
Virginia was floundering for a
response when the old woman
turned to Danny. ‘Like your mother.
Martin tells me she is from Greece.
Which part of Greece is she from
my dear ?
Next to Danny, Virginia slumped
back in her seat.
‘Crete.’
He suddenly had the attention of
everyone at the table. He hated
it, wanted to escape out to the
turquoise-flecked sea just visible
through the trees. …
‘… was your mother born on the
island ?’
‘No. She was born here.’ …
‘And your father ?’
…
‘And he’s not Greek ?’
‘My nan is Irish and my grandad
is Scottish. But Dad’s an Aussie, he
was born here.
(Tsiolkas 2013b:122-123)
Le développement de l’histoire
déconstruit l’idée inculquée aux
Australiens qu’ils sont un peuple ordinaire
sans classes sociales, loin de l’élite des
classes et du capitalisme européen, et
n’épargne pas le principe australien de
l’égalitarisme, selon lequel l’Australie est
un pays sans classe sociale où tout un
chacun peut réussir en faisant des efforts.
L’expérience et les réflexions du
personnage, qui se pose comme étant est
à la fois acteur et étranger, permettent
ainsi de signifier un point de vue extérieur
sur la majorité anglophone mais aussi, et
souvent indirectement, sur les formes
d’identification sociales et culturelles de la
majorité tout court car les minorités
visibles ne sont pas épargnées.
Dépositaire des traditions et du
conservatisme britannique, Mme Taylormère considère qu’être Australien et de
culture australienne signifie être de
descendance britannique. Les remarques
et l’attitude du personnage suggèrent que
la manière dont la majorité angloaustralienne définit le reste de la
population comme « Autre » est similaire
à la vision orientaliste dénoncée par
Edward Said. Mme Taylor-mère se place
en position de supériorité par rapport à
une altérité construite par un système de
valeurs qu’elle représente.
L’altérité posée dans le roman interroge
le rapport à l’Europe et au passé colonial,
et opère de manière subversive contre
une altérité du multiculturalisme et du
post-colonialisme, mettant en regard,
une culture Anglo-australienne
hégémonique et une culture européenneaustralienne, qui exclue de ce fait les
indigènes et les Australiens d’origine
asiatique et qui renforce la critique de
l’eurocentrisme. Lors d’un dîner pour
célébrer la fête nationale australienne,
Australia Day, Daniel est confronté à
l’animosité de ses amis envers cet
événement qui renvoie à la colonisation
de l’Australie et au côté artificiel des
valeurs politiques et sociales :
You all think you’re so egalitarian,
but you’re the most status-seeking
people I’ve met. You call yourselves
laid-back but you’re angry and
resentful all the time. You say there
is no class system here, but you’re
terrified of the poor, and you say
you’re anti-authoritarian but all
there is here are rules … We are
parochial and narrow-minded and
we are racist and ungenerous and
we occupy this land illegitimately
and we’re toadies to the Poms and
servile to the Yanks …
(Tsiolkas 2013b: 401)
Les reproches qui sont fait à Daniel
soulignent non seulement l’hypocrisie et le
mensonge des valeurs australiennes mais
ils soulignent une attitude encore
coloniale chez certains individus et
l’attachement politique du pays à la
Terre-Mère et au partenaire américain. Le
roman de Tsiolkas partage une
préoccupation commune avec l’écriture et
les questions soulevées par des
romanciers australiens d’origine
asiatique. La première étant que l’idée de
nation telle que la colonisation l’a
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
9
imposée a longtemps été façonnée selon
une position entre une Australie blanche
dite civilisée et un peuple Autre, moins
blanc, de couleur et entendu comme non
civilisé. Ainsi, la diaspora en provenance
d’Asie, peut-être à l’exception de l’Inde
elle-même colonie de l’Empire
britannique, a longtemps suscité la
méfiance d’une Australie coloniale
soucieuse de sa position stratégique dans
le pacifique sud et peu encline à s’insérer
dans un périmètre Asie. Le romancier
Brian Castro, à l’identité hybride
(chinoise, anglaise et portugaise), a
clairement pris position contre
l’eurocentrisme et le conservatisme d’une
frange historiens tels que Geoffrey
Blainey, encourageant les Australiens à
reconfigurer l’espace et leur identité au
sein de la zone Asie-pacifique :
(…) Australia (…) has written off
Asia for almost 200 years ; written
off the countries of Asia, with various
cultural traditions of thousands of
years. Perhaps it is time to write
‘Asia’, to write within it and of it,
rather than just about it. The word
Asia is found, after all, in the word
Australia. If Australia wants to
refigure itself in its relationship to the
countries of Asia, to become part of
Asia, as it were, then Asia must also
be part of Australia. (Bennett 2006:
207)
Brian Castro met en avant les méfaits
de l’histoire et de la colonisation
européenne en Asie, il plaide pour une
redéfinition de l’histoire nationale et
au-delà d’un simple plaidoyer pour
reconnaissance de l’hybridité
australienne, encourage l’Australie à
trouver sa place dans la zone Asie et
ainsi, à « reterritorialiser » son espace.
Les remarques de Castro, partagés par
nombre d’intellectuels de gauche, en
Australie, renvoient donc au concept de
déterritorialisation porté par Deleuze et
Guattari dans l’Anti-Œdipe (1972) puis
repris dans Mille Plateaux, huit années
plus tard. La position marginale de l’Autre
par rapport à un centre majoritairement
anglophone, qui remonte à la
colonisation du continent australien, a
alimenté le débat des études
postcoloniales, et continue de susciter des
10
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
interrogations liées à la nature justement
« postcoloniale » sans tiret ou « postcoloniale » avec tiret de l’Australie au
21ème siècle. La politique du
multiculturalisme, telle qu’elle a été
envisagée à partir des années 80, a très
certainement conforté une classe et une
élite dirigeante par rapport à la
reconnaissance de l’altérité, invitant
l’Australie dans son ensemble à
embrasser sa différence par rapport au
canon britannique. L’hybridité et l’altérité
culturelles ont été, et sont encore pour
certains romanciers et artistes, une
manière de se réapproprier un espace
pour réécrire une histoire commune mais
multiple du personnage hybride – une
hybridité qui permettrait, selon Brian
Castro, de transgresser les genres et de
donner une forme narrative à la position
minoritaire que le romancier occupe
(Bennett 2006: 206). Le refus de Castro
d’être catégorisé « auteur de la diaspora »
est lié à sa volonté de ne pas mettre en
avant sa diversité culturelle et (ses
origines sont à la fois portugaises,
anglaises, chinoises, françaises). Castro
définit son écriture comme moyen de
résister au discours sur l’identité.
La fiction des romanciers australiens
d’origine asiatique partage la volonté de
résistance prônée par Castro, tout en
abordant un certain nombre de thèmes
communs à l’écriture de la diaspora
asiatique : le retour vers le pays natal, le
déchirement et l’appartenance, la
marginalité, l’oppression de castes, le
multiculturalisme, l’orient et l’occident, les
croyances et la spiritualité, thèmes et
constructions narratives (voix multiples et
fragmentation qui forme une unité), qui
contre-écrivent non pas au centre
britannique mais à un centre angloaustralien qui les marginalise.
Dans son roman Crocodile Fury, publié
en 1992, Beth Yahp met en avant la
thématique culturelle, la confrontation de
l’Orient et de l’Occident, à travers 3
générations de femmes d’une même
famille. Yahp utilise les différents récits
des personnages comme condition pour
définir les contours d’une identité
discursive, que l’on perçoit au cœur de la
quête de l’individualité. D’origine
malaysienne, Yahp effectue un retour vers
l’Asie et son caractère hybride (née
elle-même d’un père chinois et d’une
mère thaïlandaise) pour dénoncer les
méfaits du colonialisme mais également
pour montrer que le concept même de
culture et d’identité est mouvant. Beth
Yahp ancre son récit circulaire dans un
lieu qu’elle ne nomme pas mais qui
ressemble fortement à la Malaisie, elle
dépeint la subjectivité du personnage
chinois dans une situation de migrant en
le plaçant hors de l’Australie ce qui
permet au récit d’interroger la manière
dont la question d’identité post-coloniale
et d’altérité transforme voire redéfinit des
territoires géographiques et culturels, en
s’appuyant sur le concept foucaldien de
l’hétérotopie. Une hétérotopie ou un
« contre-espace » dont le rôle est de créer
un espace d’illusion qui dénonce comme
plus illusoire encore tout l’espace réel,
tous les emplacements à l’intérieur
desquels la vie humaine est cloisonnée
(Foucault 1984: 46-49). Les trois
personnages principaux du roman sont à
la fois liés par le lien héréditaire mais
également par un espace commun, un
couvent qui est symboliquement situé sur
une colline en marge de la ville, le lieu où
comme cela est répété à plusieurs reprises
dans le roman : « tout commence » car le
couvent est l’espace du recommencement
de l’histoire et le lieu d’une histoire
multiple. Devenu école que fréquente la
jeune narratrice, le couvent était jadis le
lieu de travail de sa mère (une
blanchisseuse que la vie n’a pas épargné)
et l’ancienne habitation du riche
propriétaire qui employait sa grand-mère.
Le couvent est un lieu hybride, lieu de la
vie et du vide, qui renferme à la fois
l’histoire personnelle de la famille de la
jeune narratrice et l’histoire coloniale
portée par les religieuses du couvent. Le
roman met ironiquement l’accent sur
l’héritage et le pouvoir ancestral,
symbolisés par l’autorité de grand-mère,
comme contre-pouvoir au pouvoir
colonial. Porteuse des valeurs ancestrales
et spirituelles de l’Asie, la Grand-mère est
celle qui transmet la mémoire, une
mémoire oralisée et des croyances qui
subvertissent l’histoire coloniale, histoire
fabriquée, et garantissent la continuité de
l’histoire réelle et de la légitimité du
colonisé, entendu clairement comme
dominant bien que la grand-mère
elle-même soit le personnage dominant
du récit. Ainsi, le rapport hiérarchique
entre le colonisateur, l’homme riche, et le
colonisé, la grand-mère, qui reprend la
problématique postcoloniale du
dominant/dominé, est confrontée à l’effet
subversif provoqué par l’importance
donnée à la tradition culturelle ancestrale
symbolisée par la grand-mère et ses
divers rôles : matriarche, conteuse, et
gardienne d’un savoir ancestral et
spirituel. L’image récurrente du Pontianak,
figure vampirique féminine du folklore
malaysien et indonésien, sert de référent
pour interroger l’oppression sexuelle et
culturelle des femmes dans la société mais
également pour signifier, comme dans la
croyance populaire, un danger pour la
famille et la société prise dans son
ensemble – une société complexe où
l’individu erre constamment entre un « ici »
et « là » dans un espace marqué par le
déplacement, l’aliénation, le rejet et le
contrôle de l’Autre. L’intégration dans la
réalité sociale et culturelle du réalismemagique, par le biais de la croyance
populaire du Pontianak, permet aux voix
perdues et/ou aliénées de s’exprimer
mais également d’interroger les effets du
colonialisme et de la modernité. Comme
le suggère la jeune narratrice, l’histoire et
ses vérités forment un ensemble fragmenté
et jamais entièrement défini, un espace
marqué dans la géographie d’une jungle
quasi-mythifiée et jonchée des scories du
passé colonial :
The stories we unearth are like the
ruined fountains and garden statues
we stumble over, showing only their
broken pieces, their missing bits.
The bully and I only know what
we’re told, what we see. Deep in
the jungle we discover stones laid
in strange patterns, whether bandit
stones signalling long forgotten
messages or soldier stones laid for a
soldier game, the bully and I
don’t know.
(Yahp 1992:37).
En s’appuyant sur plusieurs récits,
espaces et temporalités, dans un lieu figé
par le temps (le couvent), le roman
dessine les contours d’une construction
hybride : histoire ancienne/présent, qui
signifie que le réel et le familier est
bouleversé mais surtout déconstruit et
reconstruit de manière simultanée. Cette
construction hybride ou duelle, signifiant
de l’altérité du sujet, permet d’animer un
récit incomplet où l’absence génère une
présence et où la perte est associée de
manière ténue à ce qui l’on acquière.
La position de Beth Yahp, semblable à
celle d’un grand nombre de romanciers
issus de la migration postcoloniale,
suggère que l’expérience de la diaspora,
marquée par des difficultés liées à
l’histoire, forme un espace intermédiaire
qui ne permet jamais complètement de
faire un avec le pays d’origine ou le
discours du pays d’accueil, mais que cet
espace reflète l’ambivalence du pays
d’accueil envers ses minorités et ses
Autres culturels. La critique postcoloniale
Sneja Gunew ne cesse de souligner le
caractère liminal de l’Australie avec
l’importance que la « frontière » et la
« marge » ont pour une majorité
d’Australiens, expliquant que la nature
politique et sociale de l’Australie, de la
colonisation à la seconde guerre
mondiale puis à l’instauration de la
politique de l’Australie Blanche et des
politiques envers les réfugiés et migrants,
a inévitablement imposé des lignes de
démarcations comme procédures
standard de normalisation. Sneja Gunew
ajoute que l’un de ces groupes a vu les
frontières et traversées de lignes de
démarcation se renforcer alors que
l’autre, a toujours vu et subi ces barrières.
Gunew considère à juste titre qu’à une
époque où l’Australie était confrontée à
une migration plus importante, la question
des frontières devait être remise au centre
du débat car les « émigrants » étaient
devenus d’un point de vue angloaustralien des « immigrants » à qui l’on
rappeler qu’ils étaient d’éternels
transgresseurs, et qu’être un « nouveau
citoyen Australien » signifiait être
transgresseur de frontières, aux yeux de
ceux qui aiment à penser qu’ils étaient là
bien avant.
Australo-Vietnamien, le romancier Nam
Le déclare qu’il veut donner une voix à
ceux qu’on n’entend pas, à ceux qui ne
s’expriment pas : «Je suis attiré par ces
histoires qui ne sont finalement jamais
racontées» (Devarrieux 2010). Ayant
émigré vers l’Australie avec sa famille en
1979, Nam Le est l’exemple type du
romancier de la diaspora qui se définit en
premier lieu comme auteur de langue
anglaise avant toute appartenance à une
identité quelconque. Son recueil de
nouvelles, The Boat, publié en 2008,
alterne des histoires qui dépeignent les
difficultés morales et psychologiques de
personnages confrontés à une perte dans
un contexte géopolitique troublé.
Certaines nouvelles font écho à
l’expérience vécue de l’auteur dans sa
situation de réfugié vietnamien qui a
grandi en Australie, mais Nam Le ancre
également les récits dans des espaces
tout aussi subversifs comme Téhéran, la
Colombie et les Etats-Unis.
Symboliquement intitulé The Boat (2008),
le recueil aborde la question de l’altérité
du point de vue de l’Autre et ce faisant
propose une lecture de l’Autre et de sa
différence dans une perspective globalisé
et non plus locale. La première nouvelle
du recueil, sept au total, met en scène un
jeune auteur vietnamo-Australien installé
aux Etats-Unis, confronté à la visite de son
père et au souvenir du lourd passé
familial. Le récit du narrateur, identifié
par son appellation familiale et culturelle
« child », en lieu et place du prénom, met
en exergue le thème de l’exil et des
cultures. L’identité du narrateur et de sa
famille est signifié par le père, lui-même
survivant de la guerre du Vietnam et
ayant migré en Australie, comme suit :
« Nous sommes des boat people
vietnamiens » (Le 2008:12, ma
traduction). La formule, telle qu’elle est
posée signifie clairement que l’individu
est enfermé dans une catégorisation
culturelle du déplacement et du rejet ou
effacement du moi. Cette première
nouvelle dont le titre « Love and Honour
and Pity and Pride and Compassion and
Sacrifice » interroge la réalité et le
caractère authentique de l’histoire : « Si
j’écris une vraie histoire … j’aurais une
meilleure chance de la vendre » dit le
narrateur à son père qui a voyagé
d’Australie pour le voir (Le 2008:25, ma
traduction). Le récit à la première
personne se concentre sur l’histoire de
Nam, jeune romancier d’origine
vietnamienne, ayant grandi en Australie
et désormais résidant aux Etats-Unis. Le
narrateur souffre du syndrome de la page
blanche au point que ce vide reflète son
histoire personnelle, le passé et sa
relation avec son père. Le titre de la
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
11
nouvelle, qui renvoie explicitement au
romancier William Faulkner et à son
discours d’acceptation du prix Nobel de
littérature en 1950, subvertit la réaction
initiale du narrateur à l’égard de son
père et de l’histoire qu’il souhaite écrire.
Amour, honneur, pitié, orgueil, passion,
sacrifice, sont les thématiques que le
jeune romancier souhaite aborder dans
son roman en évitant toute référence à
son passé et à la vérité d’une histoire
niée, histoire et négation qui renvoient à
l’histoire personnelle et à l’Histoire. La
nouvelle interroge la validité de l’histoire
et la déformation de celle-ci en mettant en
exergue une vision orientaliste de l’autre
et de la culture non-anglophone. Les amis
du narrateur encouragent l’écriture d’une
littérature « ethnique », genre à la mode
et facilement publiable :
‘Writer’s block ?’ Under the streetlights,
vapours of bourbon puffed out of his
mouth. ‘How can you have writer’s block?
Just write a story about Vietnam.’
We had come from a party following a
reading by the workshop’s most recent
success, a Chinese woman trying to
immigrate to America. The stories were
subtle and good. The gossip was that
she’d been offered a substantial, sixfigure contract for a two-book deal. It was
meant to be an unspoken rule that such
things were left unspoken. Of course it
was all anyone talked about. ‘It’s hot,’ a
writing instructor told me at the bar.
‘Ethnic literature’s hot. And important too.’
A couple of visiting literary agents took
similar view: ‘There’s a lot of polished
writing around,’ one of them said. ‘you
have to ask yourself, what makes me
stand out? She tag-teamed to her
colleague, who answered slowly as
though intoning a mantra, ‘Your
background and life experience.’
(Le 2008: 7-8)
L’accent est mis sur le matérialisme et
l’intérêt de l’exotisme et, ainsi, sur le
rapport à l’autre ou sur sa mise en forme
par l’acte d’écriture. L’écriture de l’histoire
familiale et du passé aussi dure soit-elle
permet au romancier, ici Nam narrateur
et personnage principal de l’histoire, de
réconcilier passé et présent, d’exister aux
yeux de celui dont il s’était éloigné et de
se réapproprier des fragments son
12
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
histoire. Le miroir de l’autre (le père)
fournit naturellement la possibilité à
l’autre (le fils) d’achever son propre
visage et sa propre identité. L’Australie,
au centre de l’écriture de Nam Le sert de
point d’entrée et de sortie à l’histoire
fictive si bien que l’hybridité et altérité
telles qu’elles sont envisagées par Edward
Said ou Homi Bhabha sont désormais
confrontées au paradoxe de la nation
post-coloniale et de la globalisation. Un
paradoxe qui apparaît dans les
remarques de Nam Le en réponse au lien
fiction/réalité et au caractère
autobiographique de cette nouvelle :
I think the story is in some senses a
testament to that very struggle that I
(unintelligible). You know, what am
I allowed to write about, what am
I obligated to write about and why
am I reluctant to write about certain
things. And I think that speaks more
deeply to my resistance as a writer
or any writer as being pigeonholed
or having a set of things that they
can write about being circumscribed
in any way whatsoever.
(Raz, 2008)
La première et la dernière nouvelle du
recueil font référence au vécu de l’auteur
et de sa famille, reprenant la migration
du Vietnam vers l’Australie, mais Le se
détache du rapport au pays d’origine
pour aborder des thèmes universels du
monde moderne dans une perspective
internationale. Chacune des histoires du
recueil de reprend le thème de l’identité,
du déplacement, de la perte et de la
violence subie dans un contexte globalisé
qui s’apparente à une Tour de Babel.
Australie, Iran, Etats-Unis, Japon,
Colombie, forment une cartographie de
la fragmentation humaine, sociale et
culturelle. « Cartagena » s’intéresse aux
gangs et aux cartels colombiens, qui font
vivre des hommes et tuent des
adolescents, « Meeting Elise » décrit la
tentative de réconciliation d’un père
mourant avec sa fille et ce faisant
interroge le passage du temps perdu et
les relations humaines dans un monde
froid et calculateur. « Halflead Bay »
évoque le passage de l’adolescence à
l’âge adulte dans un village de pêcheurs
sur la côte australienne, rappelant
fortement le style et la thématique du
romancier australien Tim Winton par son
utilisation du vernaculaire et l’importance
donnée à l’environnement. « Hiroshima »
décrit la vie d’une jeune-fille quelques
jours avant le bombardement américain,
« Tehran Calling » associe l’orient et
l’occident à travers l’action politique
d’une iranienne émigrée aux Etats-Unis,
femme dont le retour vers le pays natal
est justifié par sa volonté de se battre
pour toute personne n’ayant pas pu
échapper au régime religieux et totalitaire
subi en Iran. « The Boat » évoque la
traversée infernale du Vietnam vers
l’Australie. Sur une embarcation brûlée
entre ciel et eau, un petit garçon et une
jeune fille sont réunis par hasard,
naviguant sur « les champs des morts, ces
parcelles d’océan où des milliers de
personnes avaient chaviré et s’étaient
noyés» en quête du rêve australien. (Le
2008:268, ma traduction). La nouvelle
qui marque le départ du Vietnam et le
début d’une nouvelle vie en Australie est
ironiquement située en conclusion du
recueil de nouvelles, suggérant ainsi que
l’histoire n’a ni début ni fin, que le temps
et l’histoire humaine sont sans limites ;
espaces ouverts, fluides et mouvants.
Dans son ouvrage The Politics of
Home, Rosemary Marangoly George
(1999) se penche sur les conséquences
de l’immigration en prenant en compte la
critique postcoloniale et postmoderne.
Elle avance l’idée que l’immigration et les
histoires fictives qu’elle génère montrent
un certain détachement pour la notion de
« pays natal » car toute histoire de la
migration est rattachée, bien que de
manière hypothétique, à un autre lieu
géographie sur la mappemonde. Le pays
natal, ou le point d’origine, dans la
littérature diasporique, est selon elle une
fiction qu’il est possible de dépasser et de
récréer. Marangoly George considère
que le fait d’errer le long du territoire de
l’Autre culturel ne signifie pas que cet
Autre soit un être marginal. Ainsi, elle
avance l’idée qu’en tant que sujet
postcolonial et postmoderne, l’individu
découvre qu’il n’est pas attaché aux
choses auxquelles il est censé, de par son
éducation et histoire, être lié (Bennett
2006: 189). La vision post-coloniale telle
que l’entrevoit Bill Ashcroft est bien une
extension de l’histoire mais elle devient
elle-même autre dans un processus de
déplacement par rapport à la majorité
anglo-australienne car les diasporas du
20ème et du 21ème siècle sont des
communautés déterritorialisées et
disloquées qui ont besoin de construire
leur propre location dans un ailleurs, dans
un espace de la différance, du différend
et miroir d’une identité post-coloniale.
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TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
13
LES VANNES: UN ÉLÉMENT PARTICIPATIF À
LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE
ISABELLE BOYER
INTRODUCTION
Quittant le monde de l’enfance, le futur
adulte accède à une période de sa vie
riche en nouvelles expériences et durant
laquelle il sera amené à faire preuve de
créativité et cela dans de nombreux
domaines. Ces expériences et innovations
vont participer à la construction de son
identité pour une grande part influencée
par ses pairs. Ces derniers vont exercer
sur lui un processus de conformité¹ tant
verbal que comportemental, dont la
finalité est de créer une cohésion du
groupe tout en se démarquant des autres
communautés générationnelles. Dans cet
article, nous aborderons plus
spécifiquement une pratique discursive,
emblématique de cette période de la vie,
l’art de la vanne ou encore nommée
insulte rituelle. L’appartenance à un
groupe de pairs permet sa transmission,
ainsi que le partage d’une culture
commune à une génération, la culture
adolescente. Les injures rituelles seront
étudiées à partir de l’analyse du discours
de jeunes dit de banlieue, issus de la
deuxième génération d’immigration
francophone². Il sera discuté la manière
dont cette activité participe avec d’autres
à la construction identitaire de l’individu
ou plus précisément à l’élaboration des
identités du sujet. Ce pluriel renvoie aux
notions d’identité personnelle et sociale
qui interrogent sur « l’importance des
appartenances sociales dans la définition
de l’individu et sur la part plus
proprement personnelle…..La réflexion
sur l’identité pose le problème plus
général de l’intégration des personnes
dans un espace collectif (la
reconnaissance d’une appartenance) et,
simultanément, celui lié au fait que ces
personnes cherchent une place spécifique
dans ce même espace collectif »
(Deschamps & Moliner, 2008).
L’hypothèse est faite qu’il existe une
relation entre la maîtrise d’une
compétence valorisée par le groupe
social d’appartenance et le
développement de l’estime de soi. En effet
en d’autres termes, plus le sujet maîtrise
cette pratique langagière, plus sa place
parmi les membres du groupe est
enviable car ses pairs lui renvoient une
image de soi valorisée contribuant à une
meilleure estime de soi à un moment de
la vie où le processus de recherche et de
14
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
construction de soi est tout
particulièrement prégnant.
LA JEUNESSE OU L’ADOLESCENCE:
PÉRIODE DE PRÉDILECTION DE
L’UTILISATION DES VANNES
Dans un premier temps, il nous semble
important de préciser que nous abordons
cette période de l’existence en nous
référant aux notions d’adolescence ou de
jeunesse qu’il convient de discuter. En
effet, à l’instar de Cuin (2011), le concept
d’adolescence sera préféré à celui de
jeunesse, même si nous nous intéressons
à des sujets qui vivent la phase ultime de
cet âge de la vie et qu’il arrivera dans la
suite du texte d’utiliser de manière
indifférenciée le terme de jeune ou
d’adolescent. Un tel choix est effectué
pour des raisons similaires à celles
évoquées par cet auteur qui sont que
l’adolescence renvoie à une période
précise se situant entre l’enfance et l’âge
adulte, c’est un moment de transition,
une étape de l’existence, un stade de
développement, alors que la notion de
jeunesse est moins claire d’un point de
vue de la temporalité ou du moins de la
durée. En effet, dans nos sociétés
occidentales qui valorisent toute forme de
jeunesse et qui autorise une longévité
certaine de cette dernière, il peut sembler
hasardeux de confondre adolescence et
jeunesse, car cette terminologie décrit
souvent une durée bien supérieure à la
période se situant entre l’enfance et l’âge
adulte. Ainsi, « la notion de jeunesse
renvoie à une catégorie sociodémographique extrêmement hétérogène,
celle d’adolescence à une expérience
originale et universelle » (Cuin 2011 :
72). Par ailleurs, l’adolescence est ici
envisagée en termes d’expérience,
traduisant une conception de dynamisme,
mais également soulignant l’importance
du nombre d’opportunités d’expérimenter
telle ou telle pratique qui s’offrent à la
personne. Il s’agit de considérer
l’adolescence en tant qu’une activité
individuelle socialement orientée vers un
but qui est d’effectuer ce passage entre
l’enfance et le monde adulte, d’élargir
son intégration qui ne se limite plus à une
intégration dans le cercle familial même
s’il convient pour l’individu concerné de
maintenir cette dernière.
Ces nouvelles expériences vont être
source d’innovations notamment au
niveau langagier. Il est ainsi fréquent
d’évoquer l’utilisation d’un parler jeune.
Prenons un exemple connu, « Ta mère…
elle est tellement », ces termes sont
souvent entendus actuellement, pour cela
il suffit d’observer une bande
d’adolescents. En effet, ces éléments
discursifs traduisent une pratique fort
prisée par les adolescents qui est celle de
la vanne. Cette activité langagière
correspond à un jeu social pratiqué entre
pairs et se différencie de par sa
dimension ludique de la pratique de
l’injure. Perea (2011) les distingue en ces
termes :
« - les insultes personnelles ont
pour objectif de blesser autrui en
le stigmatisant, en portant atteinte
à son ethnie (ethnotypes), sa
profession ou ses attitudes sociales
(sociotypes) ou à son essence, de
manière ontologique… - les insultes
rituelles mises en évidence par
William Labov constituent une forme
d’interaction sociale intégrative.
Elles permettent aux adolescents
membres d’un gang, par exemple,
de marquer leur appartenance au
groupe et leur habileté… »
(2011 : 54).
Tous les sujets interviewés dans cette
recherche, la définissent d’ailleurs comme
un moyen de s’amuser, d’éliminer un trop
plein d’énergie sans jamais faire
référence à une intention de nuire ou
d’agresser l’autre (Boyer 2013), comme
le prouve les propos suivants : « on fait
tout le temps pour amuser, quand on
vanne, c’est pour rire » (JF, 18 ans).
Pourtant cette différenciation est quelque
peu difficile à faire pour toute personne
extérieure au groupe. Si l’observateur
n’appartient pas de plus à cette classe
d’âge, il ne possède pas de ce fait les
bons codes, et ne peut pas interpréter ces
interactions verbales correctement et donc
percevoir la dimension ludique de cette
pratique discursive. Un constat similaire a
été fait en ce qui concerne la perception
du parler jeune, « le parler adolescent
choque quelquefois par sa dureté, par
son agressivité, mais il ne faut surtout pas
le prendre au pied de la lettre, au
premier degré » (Fize, 2006 : 169). Ce
dernier constitue un item important de la
culture adolescente.
LA CULTURE ADOLESCENTE
Avant de traiter plus précisément de la
culture adolescente, il conviendra de
tenter de préciser ce concept de culture,
concept on ne peut plus polysémique et
actuellement très souvent, voir trop
souvent opérationnalisé, engendrant de
ce fait un possible manque de sens. Ainsi,
dans son livre étudiant les liens pouvant
exister entre la culture et la
communication, Caune constatait que
« culture et communication deviennent des
notions utilisée indifféremment dans les
multiples dimensions de la vie sociale,
notions qui juxtaposent des points de vue
implicites, parfois indifférenciés, souvent
contradictoires. Ces notions sont de plus
en plus des « mots valises qui masquent
bien souvent la réalité des conflits et des
ambiguïtés manifestés dans les secteurs
sociaux concernés » (1995 : 9). Dans le
but de clarifier notre position, de préciser
la signification accordée à ce concept,
nous reprendrons une définition ancienne
celle qui fut élaborée au début du
vingtième siècle par Tylor (1903) qui
« said that culture is “that complex whole
which includes knowledge, belief, art,
law, morals, custom, and any other
capabilities and habits acquired by man
as a member of society.” (1903, chap I
:1)³. Actuellement, cette définition
conserve à nos yeux toute sa validité, car
elle fait aussi bien référence aux divers
champs qui participent à l’élaboration de
la culture d’un groupe social spécifique,
aux différents facteurs qui la constituent,
mais également elle met l’accent sur son
rôle prescripteur de comportements
verbaux et physiques adéquats en
fonction de l’espace social considéré. Ce
caractère directif et dynamique a été
souligné par Warnier (2007) au début de
son ouvrage traitant de la mondialisation
de la culture, la culture « est la boussole
d’une société, sans laquelle ses membres
ne sauraient ni d’où ils viennent ni
comment il leur convient de se comporter
(2007 : 5) ». La culture fonctionnerait
comme une matrice de références, mais
également comme un prescripteur de
conduites et d’attitudes permettant ainsi à
chaque membre de la société de se situer
dans cette structure sociale.
Si nous revenons à l’adolescence, cet
âge de la vie voit la prédominance de la
bande qui exerce une forte influence sur
le sujet (Gottesdiener & al., 2010). Divers
auteurs ont montré l’importance de
l’amitié et la nécessité d’être aux centres
de réseaux d’appartenance (Galland,
2006, Gutton, 2007). Le groupe revêt
une importance extrême car c’est le lieu
où « avec les pairs, on échange, on
dialogue, on coopère, on exprime ses
soucis mais aussi ses joies » (Fize, 2006 :
159). Il devient essentiel d’être intégré
dans une bande d’amis au sein de
laquelle il existe un partage de valeurs
entre ses différents membres. Ces derniers
deviennent même prescripteurs des
comportements à adopter que ce soit, par
exemple, au niveau vestimentaire
(Mardon, 2010) ou langagier. Cette
créativité langagière des adolescents peut
être mise en lien avec les mutations
corporelles et les bouleversements
psychiques émergeant à cet âge (DarraultHarris, 2007). Elle serait pour une part la
traduction des nombreux bouleversements
et transformations observables à tous les
niveaux, à cette période de la vie. Gutton
(2013) qualifie même cette culture
adolescente de bohémienne de part son
caractère créatif, son désir d’originalité
que ce soit dans le mode de pensée du
jeune sujet ou au niveau langagier.
Comme lors d’un processus de création,
l’adolescent se construirait à partir de
recherches, d’essais, de tentatives …etc.,
le but ultime étant sa propre construction
individuelle. En outre, ces essais créatifs
se déroulent le plus souvent sous le regard
de l’autre et de manière privilégiée en
relation avec le groupe de pairs. Donc, le
fait d’appartenir à une bande est d’autant
plus primordial qu’il constitue le lieu de
prédilection pour acquérir la culture
adolescente (Gutton, 2007 ; Pasquier,
2005).
En effet, de nombreux auteurs ont
démontré l’existence d’une véritable
culture adolescente transmise actuellement
pour une grande part de pair à pair, en
opposition avec une transmission plus
verticale par les « pères » (Bourdieu &
Passeron, 1964) qui même si elle
demeure est peut-être moins prégnante,
ou du moins ne constituerait qu’une part
de la culture adolescente d’un nombre
moindre de sujets ou ne concernerait que
certains aspects culturel. Cette
transmission horizontale fait que
l’ensemble des adolescents français
partagent un socle de valeurs, de
représentations communes et adoptent
pour partie des comportements similaires.
Ainsi, quelque soit l’école de la région
parisienne considérée dans le cœur de la
capitale ou dans une banlieue
défavorisée, dès le primaire, tous les
enfants savent interpréter le terme de
bolos, inventé il y a peu par les jeunes
des quartiers définis comme sensibles. La
connotation négative de ce mot est
présente dans leur esprit même s’il
demeure des nuances interprétatives liées
au contexte culturel de référence. Ce mot
a même acquis un rôle de marqueur
identitaire (Fievet & Podhorma-Policka,
2009), évoluant du rôle de marqueur
sociologique à celui de marqueur
générationnel entre les années 2006
et 2008.
DES ADOLESCENTS À UN CARREFOUR
CULTUREL
Si nous étudions la notion de contexte
comme l’a envisagé Valsiner (2000), nous
la considèrerons comme une organisation
culturelle possédant ses propres
représentations, valeurs, codes et
pratiques. Ainsi, un jeune appartenant à
la deuxième génération d’immigration4 et
issu des quartiers défavorisés ou qualifiés
comme tels évolue dans divers espaces
plus ou moins hermétiques et dont la
frontière réelle ou imaginaire se situe
d’une part dans le fait de franchir les
« murs » de la cité, du quartier, mais
d’autre part dans le passage d’une
influence culturelle à une autre, à celle de
la société d’accueil, à celle(s) du pays
d’origine de leurs parents, mais
également à celles de leurs voisins (Boyer,
2012). Cette cohabitation culturelle est
notamment repérable dans le parler jeune
qui emprunte à toutes ses origines des
termes, quitte à modifier leur signification
par la suite. Plusieurs histoires de vie
cohabitent et offrent au jeune la possibilité
d’expériences de vie multiples et variées
suivant s’ils ont été éduqués dans le
respect des us et coutumes de la culture
d’origine ou non, s’ils pratiquent ou non
les langues parentales…. cette liste ne se
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
15
veut en aucun cas exhaustive. En effet, la
supposition est faite que le jeune qui vit
dans une banlieue décrite comme
sensible se trouve à l’intersection de
plusieurs mondes possédant leurs propres
normes, codes, pratiques et
représentations, c’est-à-dire leurs propres
références culturelles.
Donc, les jeunes de banlieue se situent
souvent aux carrefours de plusieurs
cultures, de par l’histoire familiale et
l’expérience migratoire vécue par leurs
ascendants. En ce qui concerne notre
échantillon constitué de jeunes gens issus
de la deuxième génération d’immigration
francophone, ils sont confrontés à la
délicate problématique de la gestion
d’une double identité. Français
juridiquement, ils se situent à l’intersection
de plusieurs contextes culturels qui ne
partagent pas systématiquement les
mêmes normes et valeurs et ne valorisent
pas forcément le même type de
compétences chez leurs membres. Il
convient de préciser que la notion de
milieu culturel est envisagée ici au sens
large, elle renvoie aussi bien à des
caractéristiques générationnelles,
ethniques, socio-économiques ou
religieuses. De plus, ils sont comme tout
individu influencé par la mondialisation
de la culture générée en partie par les
progrès techniques qui ont favorisé la
libre circulation des produits culturels d’un
état à un autre (Warnier, 2007 [1999]).
Cette influence va se combiner à celle de
la culture du pays d’accueil ainsi qu’à
celle du ou des pays d’origine des
parents. Cette mixité culturelle se retrouve
dans la pratique de la vanne qui renvoie
à certaines traditions orales telles que le
sabotage en Mauritanie ou le Marcanda
au Niger (Bertucci & Boyer, 2013), mais
également dans le choix des termes
empruntés aux divers lexiques à leur
disposition.
LA VANNE : UN MARQUEUR IDENTITAIRE
GÉNÉRATIONNEL
Le phénomène de la vanne invite à se
pencher sur la problématique de la
construction de l’identité. Le premier
constat est que l’ensemble de l’échantillon
interrogé affirme pratiquer ou avoir
pratiqué cette activité linguistique. Cette
nuance de temporalité est initiée soit par
l’âge du sujet, soit par le genre, les filles
16
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
de notre étude sont moins nombreuses
que les garçons à dire continuer à
pratiquer cette expérience débutée au
collège. Ce fait autorise le constat suivant
qui serait le caractère éphémère ou du
moins temporaire de cette activité
caractéristique de la période
d’adolescence. Vanner permet de montrer
son appartenance à un groupe
spécifique, mais également son nonappartenance au monde des adultes en
remettant en cause ses règles et normes,
ici langagières. Le comportement verbal
permet de mettre une frontière entre le
in-group et l’out-group. Tous les sujets de
notre échantillon sont conscients de
transgresser les règles et les normes
linguistiques tant au niveau du registre,
du débit que de la volubilité ou de
l’exubérance (Lepoutre, 1997). Mais cette
transgression leur permet de marquer la
frontière entre eux et les autres
communautés culturelles présentes dans la
réalité sociale, de montrer leur
appartenance à un groupe d’âge
spécifique.
Les vannes constituent un marqueur
identitaire, générationnel. Il ne peut être
appréhendé et compris correctement que
si le sujet maîtrise le code linguistique en
vigueur au sein du groupe de pairs. Les
exemples suivants illustrent ce fait. En effet
il est impossible de donner la signification
correcte à des expressions telles que « il
est dans sa trixma (il est dans son délire)
[JH, 18 ans] ou tu t’es fait boire (tu t’es
fait avoir [JH, 18 ans]) ». D’un point de
vue sémiologique, le sujet adulte est dans
l’incapacité de donner un sens à ces
phrases. Force est de constater, que la
valeur ludique mentionnée précédemment
est totalement absente si on interroge des
sujets adultes à propos des insultes
rituelles comme I. Léglise et M. Leroy
(2008) l’ont fait, dans leur étude auprès
de travailleurs sociaux de la région
tourangelle. Ces auteurs montrent dans
leurs travaux que les médiateurs urbains
décrivent les activités langagières des
jeunes issus de quartiers sensibles et plus
précisément les vannes en ces termes :
« ils font que s’insulter, il n’y a pas de
respect entre eux » (2008 : 157). Les
données verbales recueillies traduisent
alors un sentiment de confusion et de
gène entre insultes rituelles et insultes
véritables en ne percevant pas la frontière
qui séparent ces deux entités et en leur
attribuant ainsi un caractère agressif et
violent.
L’adolescent aura une identité valorisée
en relation avec une image de soi
positive si ce dernier a une bonne
maîtrise de cette activité linguistique. Lors
de cette activité linguistique, un
phénomène de maintien de la « face »,
concept défini par Goffman (1973) peut
être observé en tant qu’élément
participatif à la construction identitaire
du sujet. Le fait d’avoir une « face »
appréciée et validée par les autres
membres du groupe permet d’avoir une
image de soi valorisée ou du moins
améliorée. Ce processus est d’autant plus
important que l’adolescence est une
période de construction de soi. « La
culture des pairs supplante celle des
pères, la transmission s’efface devant
l’imitation. Il faut dès lors être à la hauteur
du regard des autres, ceux de sa classe
d’âge… » (Le Breton 2005 : 589).
Maîtriser cette compétence linguistique
constitue un des moyens pour le jeune
sujet de montrer qu’il possède
complètement les codes et les valeurs de
son groupe de pairs et ainsi cette maîtrise
ou dextérité participe au fait d’avoir une
image de soi valorisée car validée par ces
derniers (Boyer, 2014) comme l’attestent
les propos suivants : « …c’est un moyen
d’intégration dans le groupe, si on est..si
cette personne est super drôle, … avec
mes amis on se vanne tout le temps » (JF,
18 ans) ou « entre 12 et 15 ans, c’est
important de vanner, car on cherche son
identité, on veut être dans le groupe » (JH,
18 ans). En outre, le parler jeune et en son
sein l’utilisation de la vanne, illustration du
parler des rues, peut également provoquer
un sentiment de peur chez les adultes car
comme ces derniers ne maîtrisent pas les
codes, ils ont l’impression de ne pas
pouvoir contrôler cette pratique qui ne
répond pas aux normes linguistiques
officielles (Fize, 2007).
EN GUISE DE CONCLUSION
Dans notre espace social, les vannes
correspondent à une activité ludique
caractéristique de la période
d’adolescence, qui repose sur l’échange
de joutes verbales. Le terme de joute
renvoie ici à l’idée de joutes nautiques
qui opposaient deux hommes dans un
contexte de divertissement durant la
période médiévale (Boyer, 2013).
Un parallèle peut être établi entre
ces deux activités qui toutes deux
nécessitent la maîtrise de règles et
de normes et constituent un
« affrontement » amical, à l’issu
duquel le meilleur sera gratifié par
ses pairs d’une légitimation quasiindubitable. Dans le cadre des
injures rituelles, la dextérité
linguistique du jeune sujet constitue
donc un gage d’une meilleure
intégration au sein du groupe de
pairs qui, par ce processus de
reconnaissance des qualités
individuelles, jouent un rôle
important dans la construction
identitaire du sujet (Plivard, 2010).
En tant qu’expression d’une forme
d’humour, elle peut être perçue
comme nécessaire au développement
de tout adolescent selon l’approche
psychanalytique qui souligne
l’importance des pratiques à visée
récréative (Kamieniak, 2005).
L’aspect positif de son image de soi
se trouve alors renforcée et contribue
ainsi à la construction identitaire
personnelle et sociale de l’individu.
Cette compétence langagière est
également la preuve de
l’appartenance du sujet au monde
de l’adolescence, de part la maîtrise
d’une compétence culturellement
marquée et valorisée par une classe
d’âge bien déterminée.
FOOTNOTES
1Nous entendons par conformité le fait
qu’un individu modifie son comportement
et/ou son attitude afin de les accorder
avec ceux du groupe (Fisher, 1996 : 71)
2 Cet article présente une partie des résultats
d’un projet de recherche labellisé et
financé par la Maison des Sciences de
l’Homme de Paris Nord pour l’année
2012 (Appel à projet 2011, Axe 1,
Industries et arts, thème 7 : anthropologie
de la communication). Ce projet est intitulé
: « Ta mère, elle est tellement… : joutes
verbales et insultes rituelles, chez des
jeunes issus de l’immigration francophone
», M.M. Bertucci & I. Boyer, coresponsables.
3 Tylor, dans son ouvrage « Primitive Culture »
dit que la culture est un ensemble complexe
regroupant les savoirs, les croyances, l’art,
les lois, la morale, les coutumes et
l’ensemble des compétences acquises par
l’homme en tant que membre de la
société(1903, chap I :1). Traduction de
l’auteur
4 Cette appellation « deuxième génération »
a vu son émergence en relation avec la
présence dans l’espace public d’un
nombre grandissant de jeunes nés en
France et dont les parents avaient vécu un
phénomène migratoire (Santelli, 2004).
5 16 jeunes entre 17 et 21 ans vivant dans
l’agglomération de Cergy-Pontoise (France)
ont été interviewés. Ils poursuivaient tous un
cursus scolaire au moment du recueil des
données.
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18
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
EAST MEETS WEST: J F LEWIS’S THE SIESTA
IN AHDAF SOUEIF’S THE MAP OF LOVE
JACQUELINE JONDOT
JF Lewis’s orientalist painting The Siesta is
at the heart of Ahdaf Soueif’s novel The
Map of Love (1999). The painting
becomes a crossroads of different times,
spaces and narratives as Egypt is seen
through the eyes of the English painter
and his painting through bicultural
Egyptian eyes (those of the narrator and
of the characters, English and Egyptian).
The painting is set in a narrative where
Britain meets East through the painting
and in ‘reality’ and where East meets
West in a re-evaluation of that ‘reality’.
This paper proposes to explore this
complex and ambivalent crossroads.
This is not my story. This is a story
conjured out of a box; a leather
trunk that travelled from London to
Cairo and back. That lived in the
boxroom of a Manhattan apartment
for many years, then found its way
back again and came to rest on my
living-room floor here in Cairo one
day in the spring of 1997.
(Soueif 1999:11)
The Map of Love, the novel by the
Egyptian writer in the English language
Ahdaf Soueif, tells the story of people
whose roads should/might never have
crossed. Yet, through a series of
coincidences, they do meet, across
cultures, across languages and across
time. The novel offers a series of
crossroads, both in the dynamic¹ and
static² meanings of the term. Some
characters cut across new spaces/
cultures without stopping, without any
awareness of possible turns, while others
stop and ponder before changing,
or not, direction.
The Map of Love is the story of Anna
Winterbourne, an Englishwoman, who
falls in love with an Orientalist painting in
London and travels to Egypt to literally
step into the painting. The painting will
become the focal point of the novel, one
of its structuring elements, from which a
series of other crossroads, other points of
convergence/divergence will spring. The
painting as well as the novel is set at a
crossroads where East and West meet, try
to meet or fail to meet.
So, in London, Anna falls in love with
The Siesta (1876), a painting by John
Frederick Lewis³, a painting showing a
woman lying asleep.
On a low bed, pressed into a pile
of silken cushions, a woman lies
sleeping. Above her, a vast curtain
hangs, through the brilliant billowing
green of which the fluid shadows
of lattice shutters can be made out,
and beyond them, the light. One
wedge of sunshine – from the open
window above her head – picks
out the sleeper’s face and neck, the
cream-coloured chemise revealed by
the open buttons of her tight bodice.
A small amulet shines at her throat.
(Soueif 1999:27)
The lying woman is the focal point of
both the English male painter and the
English female spectator, both standing
outside an open space – the text lays the
emphasis on both the woman’s body and
the openness of the scene (the ‘shutters’
are in the ‘shadow’). The convergence of
their eyes shows their belonging to the
same western culture, all the more so as
Anna, at that point in the novel, sees the
world through her father-in-law’s eyes
(Soueif 1999). Their perception of the
scene is therefore unsurprisingly similar:
an idle woman offered to the eyes of a
British (male) spectator, a typical
orientalist representation of the oriental
woman. West meets West.
Anna more or less identifies with that
woman since she herself is almost a
widower although her husband is yet still
alive. His (textual) portrait diverges from
the woman’s in the painting:
He sits upright in the big chair, his
grey woollen dressing gown belted
neatly at the waist, his hair combed
back, his moustache hiding his
upper lip, the lower lip drawn. His
eyes fix upon some object behind
her left shoulder, then move to the
shrouded window, then down to
the floor. They never meet her own.
(Soueif 1999:28)
The uprightness, stiffness, darkness and
self-enclosure are in contrast with the
fluidity of the light and the relaxed
attitude of the woman in the painting. No
wonder then that what Anna sees in the
painting should be a phantasmal ideal
portrait of herself as offered to a desiring
husband.
Later in the novel, Anna, disguised as a
man, happens to be abducted and kept
inside a Cairene house which
immediately reminds her of the painting.
However her first impression is that of a
closed space:
We alighted […] in a vast walled
courtyard. […] I caught a glimpse of
a pleasant inner courtyard opening
to my left but I was turned into a
smaller, paved yard and thence
into this room […] It is a middling
high room, built of stone, with slit
windows high up near the vaulted
roof and a stone-flagged floor, and
the most part is taken up with wheat
and grain, tied into hessian sacks
and piled to the height of a man.
(Soueif 1999:107-108)
When the West meets the reality of the
East, the preconceptions derived from the
painting need to be reassessed. Anna’s
facing the painting was only a
convergence of two western gazes. Now,
the reality offered to her gaze is different:
a concentric enclosure4 delineating a
closed space, no longer the realm of a
sensuous idle woman but devoted to
work. Even though Anna is soon
afterwards removed to another room, the
contrast with the painting is still very much
emphasized:
This is a room of noble proportions. I
have travelled around it with my little
lamp and found high windows and
recessed divans, rich hangings and
a tiled floor leading with dainty steps
to a shallow pool, and I feel, rather
than see, the presence of colour and
pattern? But it is all so dark. (Soueif
1999:108)
Although Anna still tries to superimpose
the western painting on the actual eastern
space, she has to reassess it as a limited
space devoted to movement, activity (she
‘travels around’ that room while the
woman in the painting was asleep).5
Then this eastern space is seen through
the eyes of Layla, an Egyptian woman,
who discovers Anna in men’s clothes:
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
19
When I first saw her she was still
dressed in the clothes of a man.
I saw a man lying on the diwan,
curled up on himself, his hat placed
so that it covered his face and hair.
And even though they had told me
the whole story and how they had
snatched an Englishman, then found
out he was a woman […] it still felt
strange to come upon an Englishman
asleep in my mother’s haramlek.
(Soueif 1999:110)
Layla’s eyes meet a man, in place of
the woman of the painting: a man lying
asleep but not offered to her gaze. The
first eastern impression moves away from
the western painting, displacing the focus
to man. The Egyptian spectator
immediately reinstates the divided spaces
in her cultural sphere. As an eastern
woman, she recognizes a man’s presence
in a space devoted to women as
incongruous, not to say haram! Layla sets
a metaphoric separation between them as
this ‘man’ is not directly offered to her
gaze but is ‘curled up on himself’,
‘covered’. Layla’s point view as one of the
inhabitants of this space sees the painter
but places him in the only place that can
be his, behind a separating device. The
lattice shutters are not supposed to be
behind the woman as in the painting, but
in front of them, between them and men,
as will be illustrated later in the novel.6
When Anna wakes up, she
unconsciously acknowledges this ‘altered
perspective’ (Soueif 1999:134): she is no
longer outside as she ‘had slipped into
one of those paintings’ (134) but now the
mirror sends her back a different image.
There, across the room, and on a
divan similar to mine, a woman lay
sleeping. […] She was Egyptian,
and a lady – the first I had seen
without the black cloak and the veil.
She had pulled a cover of black
silk up to her waist, her chemise
above that was the purest white
[…]. Her skin was the colour of
gently toasted chestnut, and she lay
on cushions of deep emerald and
blue, and the whole tableau was
framed, yet again, by the lattice of a
mashrabiyya. (Soueif 1999:134)
20
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
Anna still thinks of herself in the
position of the painter/spectator, yet if
she still relies on the painting to
understand the scene (‘tableau’, ‘framed’)
and tries to concentrate on the focal point
of the painting (the woman’s skin), she
begins to see the picture differently, first
because she is inside the painting and
therefore can be seen by the other
woman whom she sees differently: the
lascivious woman is now a ‘lady’ and is
part of a secluded world – the
mashrabiyya is no longer in the shadow.
Besides, because she is inside, the
woman has been able to discard her veil.
So Anna begins to reassess the setting of
the painting and its subject. The scene
now is no longer offered to everybody’s
eyes but only to a woman’s eye.
And Layla finally sees ‘a beautiful
European woman […], ‘her white shirt
[…] open at the neck’ (Soueif 1999:135).
Layla sees the truth of the painting: a
western woman in an oriental setting.
East meets west whereas west had not
met east; west had invented east. But at
the crossroads of Anna’s and Layla’s
perception, the meeting is taking place.
Cross-examining the painting and its
successive readings yields an interesting
dialogue between the two cultural and
gendered worlds, a series of assessments
and reassessments. The inner space of the
eastern house as a crossroads of
diverging interpretations and desires is
reinstated as a feminine space from
which man (therefore, the painter) is
excluded.
Through her meeting with Layla and
under her guidance, Anna becomes
aware of the mutual misrepresentation
(Soueif 1999:485) of East and West.
Anna’s story takes place in the early
twentieth century when the Egyptian
nationalist movement was gaining
strength against British occupation. West
crosses east in a straight line following its
agenda while east rejects west. Anna has
married Sharif, an Egyptian nationalist
but has kept contact with her former
British father-in-law, Sir Charles, who is a
staunch opponent to British imperialism.
Through an exchange of letters, she tries
to create a bridge between Egyptians
and British, in order to improve
understanding and to find common
grounds. Anna’s letters and diaries stand
as the crossroads of diverging/
converging/conflicting arguments.
The fact that it falls to Englishmen to
speak for Egypt is in itself perceived
as a weakness […]. They cannot
speak because there is no platform
for them to speak from and because
of the difficulties with language.
By that I mean not just the ability
to translate Arabic speech into
English but to speak as the English
themselves would speak, for only
then will the justice of what they say
– divested of its disguising cloak of
foreign idiom – be truly apparent to
those who hear it. Well, what if there
were someone, an Egyptian, who
could address British public opinion
in a way that it would understand?
(399)
One particular episode of this
confrontation, in which the ‘ability to
speak as the Egyptians themselves would
speak’ is tried, focuses the attention of the
characters.
In the same way as the cross-reading
yields the truth about the painting,
cross-examination of the documents in
Anna’s possession yield the truth about a
particularly twisted event – a British
official had forged a letter in order to
incriminate the Egyptian nationalists. The
letter comes into Anna’s hands through
her friend James Barrington in London:
It is a letter […] that was sent to Sir
Edward Grey. It is a translation. The
original, in Arabic, fell into Cromer’s
hands here in Cairo. It describes a
plan for an uprising.
(Soueif 1999:414)
This is the setting of the plot: a letter
translated into English. The eastern setting
(‘here in Cairo’) gives it the oriental twist
that the ‘lattice shutters’ gave the painting.
James Barrington, as the recipient, stands
in the place of Anna, the spectator, and
Cromer in that of the painter.
Immediately the letter is questioned by
Anna’s English friend who has some
knowledge of Arabic.
It is meant to be a translation of a
letter in Arabic that was given to
the Oriental Secretary by one of his
native spies. For me it does not ring
true but I could be mistaken.
(Soueif 1999:415)
In the same way as Anna paced around
a space that was both similar and different
from the space in the painting, James
Barrington hesitates as to the true nature of
the letter, which ‘is meant to be a
translation’ but ‘does not ring true’. The
same process of questioning the original
painting/text by confronting it to the ‘real
thing’ is at work here.
When Sharif is shown the letter, he
considers it as ‘nonsense’ (415) and has
the letter translated into Arabic (Soueif
1999:417), back into its supposed original
language as Layla had reasserted the
topography of the Egyptian house by
projecting the dividing lines on the scene.
Sharif’s reading is parallel to Layla’s
reassessing the painting, putting right what
the English reader or spectator cannot
perceive. Through ‘the picturesque,
flowery language of the East’ (Soueif
1999:493), he recognizes the incongruous
‘equally picturesque English’ (493). The
same misrepresentation of the Other
pervades the letter as the painting: an
English focus/discourse in an oriental
setting. What they have in their hands is a
western ideological text in a so-called
oriental style. As surely as Layla identifies
the orientalist painting, Sharif and his
friends authenticate the forgery. Much later
in the novel, a century later, the key to the
letter will be given and the actual forgery
disclosed: ‘Only Lord Cromer himself
knew the truth – that the original letter
was written by Harry Boyle himself’
(Soueif 1999:493). The Egyptians knew
from the start:
It could not have been written by an
Arab. […] It makes no sense. This is
the work of an Englishman […].An
ignorant Englishman who imagines
he knows how Arabs think.
(Soueif 1999:419)
West meant to meet west, inventing
east again. No more than the painter
does the author of the letter have access
to the inner space/mind of the east.
A correct representation of the Other is
the product of constant cross-checking, or
rather the process of cross-checking. The
representation of the Other is a constant
negotiation made up of an endless series
of adjustments. Once the painter’s fraud
has been unveiled, Anna has still to learn
what the place of the woman inside an
eastern house is, which will need more
assessments and reassessments.
All this takes place at the level of the
narrative. Now the reader does not have
direct access to this narrative. The novel
adds another layer of cross-cultural
exchange as, in the late twentieth century,
Amal unravels Anna’s story for Isabel.
Amal, an Egyptian character, pieces
together different sources, Anna’s diary
and letters, Layla’s diary together with
outside documents, both Egyptian and
British. By cross-examining them she
re-creates Anna’s story, filling the gaps left
by the heroine. She eventually tells the
story to Isabel, the American.7
Rewriting Anna’s story is a constant
negotiation of Amal’s place as a narrator,
with her inside knowledge and the
distance she has to take to be able to
convey it to an outsider.
When Amal shows Isabel round
Alexandria on Anna’s footsteps, the
exchange between the two women is an
interesting illustration of the previous
impossible meeting of East and West.
Even though Amal has made Anna hers
through long hours spent piecing out her
story, her point of view remains a
questioning:
I can see her now, my heroine: she
sits at the window […]. Did Anna
see, as she looked to her left, the
lights of the Fort of Sultan Qaytbay?
Her edition of Cook’s Tourist
Handbook does not mention the old
fort at all. Did James Barrington tell
her that this […] is an exemplar of
that tired phrase, ‘the palimpsest that
is Egypt? (Soueif 1999:64)
Amal’s rendering of Anna starts with an
affirmation but moves on to questions.
Objective facts are not used to ascertain
a reading of the character but they are
the starting point for a series of
hypotheses. Cross-information leads Amal
to the creation of a problematic character.
Amal, because of her temporal and
cultural difference, leaves the door open
to interpretation by giving several points
of view, several directions: a real
crossroads. Meanwhile, Isabel who
means to make a film out of Anna’s life
does not perceive any of these questions.
The camera pulls back and back and
back until we’re with Anna in her
window, seeing what she sees.
(Soueif 1999:65)
Isabel, like the painter, imposes her
focus. Hers is a hegemonic point of view,
imposed upon the character and the
spectator. No cross-questioning here but a
single gaze. Isabel, as opposed to Amal,
does not see Anna but sees, in place of
Anna. Isabel writes a fiction when she
sees ‘a fairy-tale cake of a fort’ (Soueif,
1999:64) when Amal (and Anna’s friend
before) sees the trace of the
bombardment of 1882 together with its
inscription in a complex history.
Amal constantly questions her point of
view which means a series of
displacements with, at each junction, a
danger of overlap: ‘I can hear Isabel […].
But is it Isabel? Or are these my thoughts
in Isabel’s voice?’ (Soueif, 1999:77).
Amal has to become a stranger to herself
to understand the other’s perception: ‘I try
to see for myself the country that Anna
came to. I try to re-imagine it, to recreate
it for Isabel’ (Soueif, 1999:59). Like Anna
and Layla, she has to change places to
see what the other sees. Therefore the
novel is a series of voices answering
voices, texts answering texts. The focal
point of the novel remains, as in the
painting, a woman in an oriental setting
and the adjustment of the woman to this
setting follows the same process as
before. Isabel is now the woman. From
the painted woman down to Isabel, the
representation of the east becomes more
dynamic hence more accurate.
One of the interesting aspects of the
novel is the dialogue between text and
painting. The painting, because of its
finite nature, freezes the representation of
the Cairene house. On the other hand,
the text through the repeated – direct or
indirect – references to the painting,
through the numerous points of view on
the painting, opens infinite possibilities
and a dynamic representation ‘in
progress’.This dynamic representation is
also operated in the constant translation
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
21
process at work in the novel. Anna and
Sharif make use of a third language to
understand each other: ‘it has to be
translated from Arabic into English and
now I am translating it into French-’
(Soueif, 1999:415). The third language
adds new intersections, new spaces
where cultures and languages can meet
and cross-breed a new multicultural space
of exchange. The process of
understanding the other is similar to the
cross-examinations that lead to a true
assessment of the reality of the Other. It is
a displacement of the self leading to a
re-assessment of the meaning.
We cannot speak each other’s
language. We have to use French.
[…] Perhaps that is better. You make
more effort, you make sure you
understand – and are understood.
[…] Because we use the same
words, we assume we mean the
same things.
(Soueif 1999:272)
Amal helps Isabel in her struggle with
the Arabic language by teaching her how
to root meanings out the words that she
comes across in order to root them into
networks of meanings that help Isabel
deepen her knowledge of her new
environment (Soueif 1999:164-165). Each
derived meaning leads to a new
perspective, unsettling the assumed
understanding. ‘At the heart of all things is
the germ of their overthrow; the closer
you are to the heart, the closer to the
reversal’ (Soueif 1999:82)8 Words should
not be taken for granted. Each word is, in
itself, a real crossword puzzle. Words, in
the hands of these cultural translators, are
in an ‘area of transformations’ (Soueif,
1999:66) in which they shed their obvious
meaning to gain expanded cultural
meaning.
Mirroring oneself in the painting, in a
meaning taken for granted, is the real
danger. The whole novel tends towards the
necessity of accepting to be displaced in
order to get new insight. So in the end,
when Anna becomes the painter, her
picture is radically different from the
original painting:
In another [painting] you looked
through a gap between some
22
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
flowering bushes into a wide
lawn and at a man at the far end,
standing with his back to you […].
In another, darker than the rest, a
man lay on a divan; through the
mashrabiyya behind him no light
came. A woman crouched on the
floor by his side.
(Soueif 1999:172)
When Anna becomes the painter,
Sharif becomes her model. If the echo of
the original painting is still perceived,
what is now emphasized is the closure.
The male model disappears in the
background or in the darkness. But the
woman is inside the painting. She is both
outside as painter and inside in a manner
of self-portrait. West now meets east at a
crossroads, meaning that the two sides
are present together on the same spot.
Anna’s painting is the crossroads of east
and west.
And when Isabel, the American, in the
late twentieth century, places herself
‘behind the mashrabiyya’ (Soueif,
1999:292) in order to ‘frame a scene in
her viewer’ (293) and to recreate the
original scene, she focuses on Sharif and
Anna’s abductors and not on Anna
herself. Isabel the photographer takes on
where Anna the painter has left. Isabel,
without seeing the painting, but through
Amal’s linguistic teaching, has understood
the true relative places of painters, model
and spectator: a crossroads of infinite
possibilities.
A new interplay of words and picture
will serve as a conclusion. The narrator
mentions another painting by John
Frederick Lewis, A Turkish School in the
Vicinity of Cairo (1865):
An old man, his white beard and
turban set off against a wall of
golden brick hung with pages of
white, inscribed paper. Before him,
on the floor, robed in vivid reds and
blues, sit the children he teaches. A
sun-striped cat reclines on a green
cushion watching a pair of doves
pecking at the spangled mat. In the
half-open doorway, the smallest of
the children hesitates. (31)
This time, the text omits the focal point
of the painting: a girl asleep. The
diverging focal point of the text is the boy
hesitating on the doorstep. The text leaves
the spectator/reader at the only possible
place: on the threshold.
FOOTNOTES
1 ‘a road crossing another, or running across
between two main roads’ (Oxford English
Dictionary)
2 ‘a place where two roads cross each other ; the
place of intersection of two roads’(Oxford English
Dictionary)
the Stage’ (Soueif 1999:241). The eyes are
redirected from women to another stage upon
which men are seen acting their parts in public
life (Soueif 1999:377). What is at stake is a
complete reversal of the focus.
3.About John Frederick Lewis, see Llewellyn, 1998;
Thornton, 1993; and Thornton, 1985.
4 Note how the eye-alliteration v-w in ‘vast walled’
underlines the concentricity of the enclosure.
5 Much later in the novel, Anna will say that the
harem has made a working woman of her.
6 After that first crossroads, the characters move
forward. Under Layla’s guidance, Anna improves
her understanding of that inner female space by
becoming part of it. When Sharif, Layla’s brother
and Anna’s husband to be, appears on the
stage, he is seen through the mashrabiyya
(Soueif 1999:138). The division of spaces,
abolished in the western painting, is reinstated as
a structural element. The man loses his place as
director of the focus to become the focal point of
the scene. Anna had perceived that a man’s
gaze at a woman is untoward in the east: when
she herself, in her position as foreigner, was in
the company of men (and other foreign women)
at the Khedive’s Ball, she had her position as
foreigner, was in the company of men (and other
foreign women) at the Khedive’s Ball, she had
immediately been drawn by ‘a curious golden
grille, behind which I am told the ladies of the
household sat and watched the proceedings’
(Soueif 1999:93). From her central position, she
directs her gaze to the ‘gallery [that] ran around
the higher portion of the wall’ (93) guessing that
‘were I a man, my behaviour would surely have
been construed as indelicate.’ (93). At that early
point in the story, Anna has already understood
that the perspective of the painting is wrong as it
puts the spectator on a level with the painted
subject when, in actual fact, there is a gap and
a barrier between the male painter / spectator
and the subject of his painting; they are not on
the same plane. Anna feels that the leader of the
game is not the painter but the painted as she
wishes ‘to know how we, in the Ballroom,
appeared in the hidden eyes which watched us’
(93).
She has confirmation of her intuition when she
sits at the Opera ‘in one of those boxes’ (Soueif
1999:241). Women do not sit in front of the
screen, as in the painting, but behind it and they
are not spectacle but spectators: ‘a delicate
wrought-iron screen […] [hid] us from all eyes
while not impending our view of the House and
So much so that Isabel, the American, in the
late twentieth century, places herself ‘behind the
mashrabiyya’ (Soueif 1999:292) in order to
‘frame a scene in her viewer’ (293) and to
recreate the original scene: she focuses on Sharif
and Anna’s abductors and not on Anna herself.
Isabel the photographer takes on where Anna
the painter had left:
In another [painting] you looked through a gap
between some flowering bushes into a wide
lawn and at a man at the far end, standing with
his back to you […]. In another, darker than the
rest, a man lay on a divan; through the
mashrabiyya behind him no light came. A
woman crouched on the floor by his side. (Soueif
1999:172)
When Anna becomes the painter, Sharif
becomes her model. If the echo of the original
painting is still perceived, what is now
emphasized is the closure. The male model
disappears in the background or in the darkness.
[cf Hush final].
But the woman is inside the painting. She is
both outside as painter and inside in a manner of
self-portrait. West now meets east at a
crossroads, meaning that the two sides are
present together on the same spot. Anna’s
painting is the crossroads of east and west
reassessed through the above series of shifts.
Therefore when furnishing her Cairene domestic
space, Anna can use elements from the painting
without introducing a clashing element: ‘I look
forward with great pleasure to choosing and
fashioning the furnishings – and I can draw on
my beloved Frederick Lewis for inspiration.’
(Soueif 1999:324). She introduces in the house
elements from the painting that its description had
not mentioned (Soueif 1999:350, ‘the flowers
on the low inlaid table pick out the colours of the
cushions heaped on the diwan’
(Soueif 1999:369)).
‘Qalb : the heart, the heart that beats, the heart
at the heart of things. […] qalab : to overturn,
overthrow, turn upside down, make into the
opposite.’ (82)
BIBLIOGRAPHIE
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Tromans, N., ed., (2008). The Lure of the East.
British Orientalist Painting. London: Tate.
7 Isabel is Anna’s great-grand-daughter while
Amal is Layla’s grand-daughter and Anna’s
grand-niece. The two branches of the family
united in the early twentieth century, had parted
and become estranged. Amal’s and Isabel’s
meeting, orchestrated by ‘Omar, Amal’s brother
and Isabel’s lover, is a new crossroads of East
and West.
8 This deeper understanding of the workings of
the language is achieved from the root of qalb.
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
23
MAHAMAT-SALEH HAROUN AND THE CHADIAN CITY IN A
SCREAMING MAN (2010): A NEW KIND OF NEO-REALISM IN
CONTEMPORARY FRANCOPHONE AFRICAN CINEMA?
MARYSE BRAY ET HÉLÈNE GILL
‘It is not hard to die well; what is
difficult is to live right’.
(Rossellini 1945)
FILM PLOT SYNOPSIS
Adam, a former Chadian swimming
champion, now in his sixties, is the
instructor in the pool at the international
luxury hotel in Ndjamena. The hotel has
recently come into Chinese ownership
and Adam is about to lose his job in
favour of his young and athletic son.
Adam is distraught at the prospect.
Meanwhile Chad is in the throes of a civil
war and armed rebels are threatening the
capital. The government is seeking to
impose a war effort on its inhabitants in
the form of money or young soldiers to
repel the assailants. Adam is hassled for
his contribution. He has no money, but he
does have a son.
INTRODUCTION
LThe Chadian film maker Mahamat-Saleh
Haroun won the Prix Spécial du Jury at
the Cannes Film Festival in 2010 with his
feature: Un Homme Qui Crie / A
Screaming Man, filmed on location in
Chad’s capital, Ndjamena. Haroun, until
then little known in the English speaking
world, has since been viewed as an up
and coming auteur, and the film was
greeted at its opening in London by the
British film critic Derek Malcolm as
‘unforgettable [...] and one of the best
films [...] of the moment’ (Malcolm 2011).
It has even been regarded by some
commentators as a possible turning point,
‘the opposite of what we have come to
expect from non-Western film-making’
(Maher 2011). The Chadian capital had
featured in earlier films by Haroun, such
as Abouna / Our Father (2003) and
Daratt / Dry Season (2006). But in A
Screaming Man, Haroun places
Ndjamena at the very centre both of its
urban plot and of its aesthetics, making it
the very fabric of the film’s narrative, as
the action unfolds from beginning to end
in the besieged city during one of Chad’s
most recent civil war episodes.
Beyond providing Haroun’s film with
an urban setting, the city is, on the screen
and for the purpose of this article, to be
taken in a wide, ‘Athenian’ sense, as well
as in its primary, urban acceptation.
Ndjamena in A Screaming Man is, of
24
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
course, a postcolonial city, the capital of
a long oppressed, bruised and riven
nation struggling to find its way out of a
chain of successive traumas. Haroun’s,
therefore, is a form of ‘post-traumatic’
cinema, an emblematic representation of
the postcolonial situation, itself the
aftermath of colonial trauma. It shows a
citizenry faced with the daunting task of
post-independence reconstruction of their
country and of their daily lives, trapped in
a nation-state with uncertain borders,
under a string of administrations of
contested legitimacy. These themes run
through Haroun’s filmography with its
insistence on territorial boundaries –
borders, margins, frontlines, such as in
Abouna, a film obsessed with the margins
of the desert, and in Daratt with its
soldiers shown sitting desultorily by the
Chadian flag in mid-town Ndjamena.¹
In Haroun’s cinema there is a sense
that the suffering of Africans is not, and
should not be a spectacle as routinely
shown in global newsreels, only ever
personalized as a reporting device to
elicit superficial Western empathy: ‘poor
Mohamed (or in this case, ‘poor Adam’)
has lost his son’ – implicitly to some
horrendous, intractable conflict that is
beyond him in every sense of that phrase.
Indeed, and in echo to the truncated
quote from Césaire used by Haroun in his
title: ‘Un homme qui crie n’est pas un ours
qui danse’ (‘A screaming man is not a
dancing bear’) (Césaire 1956: 91),
Africa in news reporting is too often
synonymous with victimhood as Africans
are paraded as types without surnames,
portrayed as dignified innocents to whom
horrible things happen, caught up in
upheavals they are not deemed to
comprehend, in which they have no part,
except to show their distress to the
camera. As Haroun puts it in an interview
with Olivier Barlet, ‘L’Afrique a d’abord
été filmée par les autres. Cette
représentation est si faussée que notre
cinéma s’inscrit pour contrecarrer cette
vision’ (‘Africa was first filmed by others.
That representation is so false that my
films are intended to counteract that
view’) (Haroun 2010a). In A Screaming
Man, he therefore refuses this debased
mode of representation for his hero,
Adam: ‘Cet homme des origines ne se
pose pas en victime mais dans toute son
épaisseur humaine [...] Un Homme qui
crie [...] [inscrit] l’homme africain dans
une humanité qui lui a été et qui lui est
souvent encore refusée’ (‘This original
man does not present himself as a victim
but in all his human depth [...] A
Screaming Man [sets] the African man
within a humanity which has often been
and is often, denied to him’) (Haroun
2010a, p.2). This screaming man,
therefore, is not merely crying for
attention; such cinema has more
ambitious aims, its urgency stemming
from direct, yet deeply considered
testimony. It is far from being another
‘slice of grim African miserabilism [...]
perpetuating the view of Africa as a
helpless, begging nation’ (Maher 2011).
Instead, Haroun’s vision of Ndjamena
is a personal take on contemporary
Chadian urban reality, as seen from the
inside and filmed while the events
described on screen are in process. If
anything, this ‘post-traumatic’ cinema
most recalls the European films of the post
World War Two period that came to be
labelled Italian neorealism. Haroun
himself often quotes that he was inspired
to be a film maker when he saw Roberto
Rossellini’s Rome Open City (1945: see
Deleuze 1983 and 1985). As we shall
see, A Screaming Man shares many
characteristics with Italian neorealism
and, in particular, with Rome Open City,
as well as with Bicycle Thieves (de Sica,
1948). Like neorealism, Haroun’s filming
technique distances itself at once from
Hollywood’s dream factory, and cinema
as septième art. It holds out a mirror to
the predicament of victimized populations
without resort to artifice – just as
neorealism distanced itself from the
seductive aesthetics of réalisme poétique
and from pre-war expressionist
photography. In both cases the focus is on
ordinary people portrayed as individuals,
with minimal interference from montage,
lighting, and drama for effect, through the
use of largely non-professional casts. For
postwar (and Haroun’s postcolonial)
representation aims to be observational. It
speaks for the ordinary citizen who
emerges from the smoking ruins of his city
and polity. It aims neither to be an
all-knowing story-telling device nor a
lecture, nor yet (or not primarily) a work
of art – although in Haroun’s case, one
outcome does not, as we intend to
demonstrate, necessarily preclude the
other.²
NEOREALISM, HAROUN, AND
POSTCOLONIAL FRANCOPHONE
AFRICAN CINEMA: L’IMAGE-FAIT AND
THE POSTCOLONIAL CITY
Neorealism has been defined as ‘a film
movement that lasted until 1952 and
focused on the hardships endured by
ordinary working-class people in wardamaged Italy’ (Ballinger and Graydon
2007: 265). As outlined above, its aim
was to be ‘pure cinema: no more actors,
no more story, no more sets, which is to
say that in the perfect aesthetic illusion of
reality there is no more cinema’ (Bazin
1971: 60). The neorealists discarded the
elaborate montage, plots and
characterization of pre-war Hollywood
cinema, and aimed to replace them by
what André Bazin called ‘l’image-fait’ (the
‘image-fact’, Bazin 1990: 263).
Furthermore, according to Gilles Deleuze,
‘au lieu de représenter un réel déjà
déchiffré, le néo-réalisme visait ainsi un
réel à déchiffrer’ (‘instead of representing
a ready decoded reality, neorealism thus
aimed at a reality to be decoded’)
(Deleuze 1985, no pagination); a reality
shaped, therefore, neither by the
characters’ psychological journey, nor by
the demands of the plot. Within this frame
of reference, the real is thus always
offered in its singularity, as a quasidocumentary discovery. In addition to the
recourse to shooting in décor réel (on
location), neorealism and its offshoots
tend, furthermore, to use laconic
dialogue, and a documentary approach
to framing. Chief among these common
features, meanwhile, is the focus set firmly
on the lives of ordinary people. It is
interesting to note, therefore, that Haroun
has declared a propos of A Screaming
Man in line with the neorealist approach:
‘C’est la guerre vécue par les gens
simples’ (‘it is war as lived by ordinary
people’) (Haroun 2010b). This remark
even seems to echo an anecdote in which
Rossellini complained to the actress and
director Ida Lupino at a party that ‘In
Hollywood movies, the star is going
crazy, or drinks too much, or he wants to
kill his wife. When are you going to make
pictures about ordinary people, in
ordinary situations?’ (Muller 1998: 107).
Characteristic of postwar European films
such as Rossellini’s and de Sica’s, the
neorealist way of seeing and showing
ordinary people’s daily reality has since
then stretched beyond Europe, and
beyond the 1950s. Haroun is not alone:
Non-European films, such as Yasujiro
Ozu’s Tokyo Story (1953), Lino Brocka’s
Manila: in the claws of darkness (1975),
or Cairo Station / Bab-el-Hadid, (Youssef
Chahine, 1958) as well as Francophone
African films since the 1960s, all display
undoubted neo-realist traits. Obvious
parallels can indeed be identified,
especially with the early output of
Francophone African cinema, such as
Borom Sarret / The Wagoner, Mandabi /
The Money Order, Certificat d’indigence
/ Poverty certificate, (Sembene,
respectively 1963, 1968 and 1983). This
is not a coincidence. There are strong
similarities between the material situation
in which African directors found
themselves after independence, and those
of postwar Italy: a penury of means, not to
mention the scarcity and cost of
professionally trained acting talent. We
have already highlighted, besides, the
strong affinities between Europe’s postwar
trauma and the postcolonial situation. In
such a fraught context, straitened
circumstances prompted a will to recover
through a sobering return to the
fundamentals – the concerns of the rank
and file of society; their often bleak
surroundings, their struggle to preserve or
regain dignity. Thus material hardship
compounded film makers’ impatience with
traditional plots, conventional acting styles
and studio locations, especially when
these stood in contrast with what film
crews and sometimes audiences had just
witnessed in real life, and continued to see
in news footage.
L’IMAGE-FAIT, THE ORDINARY MAN AND
THE VALUE OF DIRECT EXPERIENCE
In Europe, the audio-visual media
(photography and photojournalism, film,
early television) emerged from the horrors
of World War Two with a social
conscience. Accordingly a large part of
image production tended to be permeated
with a heightened sense of the plight of the
working man, hit hard by the devastations
and the economic hardship of the years
between Liberation and the first visible
results of the Marshall Plan. Again, a
parallel may usefully be drawn with the
aftermath of the anti-colonial struggles and
the disorganization, sometimes the
disorder that followed. In any case an
interest in documentary film making – a
low-cost mode of representation, offering
opportunities to alert audiences to the
predicament of poor and overlooked
populations – and the use of documentary
style in feature films are as present in
post-colonial Africa (such as in Senegal
with Sembene’s output), as it had been, a
generation earlier, in postwar Italy. African
film makers who had the chance of an
education which would often include a
course at a Soviet or a European film
school (Sembene, Med Hondo, Sissako, to
name but a few) were moved to represent
the plight of their compatriots who had to
face post-independence poverty and
conflict without the help of a functioning
school system or even a common
language. Documentary cinema, with its
direct, sober approach to filming and its
basic, unadorned aesthetic can be
accessible, besides, to the common man in
the domestic audience. At the same time, it
is a means (in some cases the only means)
of reaching a wider – perhaps even a
world – audience. It does not only speak
of and for the postcolonial citizen, it also
hopes to speak to him, as shown in
Haroun’s early semi-documentary feature
Bye-Bye Africa (1999) about the dearth of
cinema venues in African cities.
A precursor of this approach was black
and white photography in the interwar
years, notably in Central Europe,
especially in Hungary. Pioneering
photographers like Brassai, Robert Capa,
André Kertész, Martin Munkacsi³
inaugurated a revolutionary observational
mode of image making, focusing on the
daily lives of common urban people
shown as individuals, as opposed to a
group or a type. This new way of seeing
became highly influential and spread
worldwide. In film, a related search for
the true representation of ordinary citizens
(and precursor of neorealism) was the
British Documentary Movement from the
1920s to the immediate postwar period.
Again its objective was to show the reality
of ordinary working lives using stark but
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
25
vivid black and white photography,
initially without comment or voiceover.4
Aiming at ‘Mass Observation’, they
documented the lives of the country’s
lower classes without trivializing or
patronizing, thereby giving ordinary
people a voice. Thus there are clear
affinities between, for example, Diary for
Timothy (1945), shot by Humphrey
Jennings for the Crown Film Unit, showing
Britain as the war had left it, including
some very uncomfortable images, and
Rossellini’s postwar output (Paisà / Paisan
and Germany Year Zero (1946 and
1948 respectively), as well as de Sica’s
Bicycle Thieves, or Sciuscià / Shoeshine
(1946). Equally, and away from Europe,
in a postcolonial rather than a postwar
context, one should add representations
of Dakar by Sembene, and of Ndjamena
by Haroun, when it comes to showing
cities in the throes of political confusion,
penury or violence in stark, unforgiving
detail. In all of these cases, the stress is
put on an empirical approach focusing
on the importance of small things as
picked up ‘par un réalisateur qui sait
combien les petits éléments de la vie
construisent davantage un récit que de
lourdes explications’ (‘by a director who
knows how the little details of life build up
a clearer picture than long explanations’)
(Barlet, in Haroun 2010a: 1).
This comment on Haroun by Olivier
Barlet recalls Rossellini’s musings on
cinema: ‘What function can it have? The
function of putting mankind face to face
with things and realities as they are and
making other men and other problems
known to them’ (Hoveyda and Rivette
1985: 215). Direct experience of the
events represented on screen is,
furthermore, a definite asset. In the case
of Haroun, his personal itinerary includes
film school in France, but also personal
experience of conflict: a (civil) war wound
received in Ndjamena as an
impressionable teenager followed by
experience of displacement. This brings
him close to postwar European neorealist
directors with immediate experience (or
involvement) in World War Two. In this
sense, A Screaming Man can, like Rome
Open City, be called a ‘documentary
tragedy’ (Cousins 2011). Such painful
memories can be of advantage when
filming panic-stricken crowds in African
26
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
cities under attack (as in A Screaming
Man), and African settings where
warzones suddenly appear, keep moving
back and forth, and where peace-time is
experienced as a mere interval – never
really secure, never lasting long. These
anxious times are made palpable by
Haroun in Daratt and A Screaming Man
(2010c) as the camera dwells on the
looming military presence.
FROM DOCUMENTARY TO
SOCIAL PURPOSE
There is a paradox, however, at the heart
of the neo-realist approach in that even a
handheld camera in the hands of a
cinematographer devoted to filming ‘real’
scenes can never be entirely neutral and
value-free. No film maker’s body of work
intended for a cinema-going audience
can only consist of uncut sequences filmed
in real time without intent or, indeed,
agenda. Today such images are the
domain of CCTV and, bar the occasional
video installation using CC footage for its
own purposes, they are not normally put
on show. It would be misleading,
therefore, to suggest that the documentary
trend – including the photo-realism of the
war and postwar years or, for that matter,
the handheld camera work used in the
postcolonial era by Jean Rouch – had no
other purpose than to record reality for
archiving purposes. Even documentary
film crews such as the Crown Film Unit,
which continued to operate through
World War Two, had another motivation:
to unify a country and its people, across
regions and walks of life in order first to
win the war, then to produce a better
society. Thus Bazin describes the impact
of Rome Open City in 1945 as
‘inseparable from a special conjunction of
historical circumstances that took its
meaning from the Liberation’ (Bazin
1971: 47). The same goes for Sembene’s
films from the 1960s to the 1980s, and
for Haroun’s features set against the
recent conflict in Chad. All are
inseparable from their postwar (or their
postcolonial) situations. It is clear that the
African directors – like before them
Rossellini in Rome Open City – put their
filmic approach to a purpose: an
approach that ‘although it lays siege to its
object from outside [...] offers us an
essential ethical and metaphysical aspect
of our relations with the world’ (Bazin
1971: 62). André Bazin even compares
the impact of Rossellini’s Rome Open City
(and Paisà) in the mid to late 1940s to
that of Eisenstein’s Battleship Potemkin
(1925a): ‘Was it not from the outset their
search for realism that characterized the
Russian films of Eisenstein, Pudovkin and
Dovjenko as revolutionary both in art and
politics?’ (Bazin 1971: 16).
If Eisenstein’s brutalist montage is not
replicated in Italian neo-realism nor – for
the most part – in postcolonial African
cinema, what does link them is their
anger at the conditions to which ordinary
citizens are reduced. This is exemplified
in Eisenstein’s first feature, Strike (1925b)
– shot, besides, ‘almost entirely on
location so that it seemed like a
reconstruction of actual events’ (Malcolm
2000: 156). This angry mood also
prevails throughout Souleymane Cissé’s
film Baara / Work (1978) set in Mali,
which also features a strike. Eisenstein did
not deal in ambiguity: ‘I don’t make films
to be watched by an impassive eye [...] I
prefer to hit people hard on the nose’
(cited in Malcolm 2000: 156). Needless
to say, the influence if not the parrainage
(legacy) of Eisenstein’s filmography on
Francophone African film makers looms
large, through their personal histories of
studying film in Russia (Sembene, Sissako,
see above – though not Haroun, as
already indicated) and more generally
through Eisenstein’s immense reputation
among professionals and cinephiles the
world over. This ties in with the close (if
love-hate) familiarity of all Francophone
film makers with the Paris intellectual
scene of the second half of the twentieth
century with its predominantly Marxist
counter-culture, and Marxism’s imprint on
anti-colonial ideology in the 1950s and
60s. As a result of these cultural trends,
soon after the first postwar Italian films
were released, many engagé
commentators enlisted their approach to
filming in the post-Liberation class
struggle: an early definition of neo-realism
by the critic C.-L. Rondi was: ‘le culte de
la vérité pour le bénéfice de l’humanité’
(‘the cult of truth for the benefit of
mankind’) (cited in Goudet 2002: 76
from Oms 1958: 12). Similarly in
subsequent decades and to the present
day, postcolonial Francophone African
cinema has consistently claimed to
promote political and cultural militancy,
and has therefore in large measure
conformed to the mission statement of its
leading association, the Fédération
Panafricaine des Cinéastes (FEPACI;
Pan-African Federation of Film-makers).5
In the early years of European
neorealism, the radical aspirations vested
in neorealist cinema by many critics came
to be considered by some as essential
and defining. And when these critics felt
that the progressive cause was
underemphasized in later postwar films,
they wrote angry reappraisals, notably of
the work of Rossellini, to denounce what
they saw as a betrayal. In this respect, the
political qualities these predominantly
Marxist critics came to expect in neorealist features are perhaps best defined
‘in negative’, through the reproaches they
addressed when they found them lacking:
sensing an aestheticizing, not to mention
a spiritual drift in some later Rossellini
films, the French critic Marcel Oms
declared in Positif (cited in Goudet 2002:
79) that Rome Open City had been a
mere pro-Resistance parenthesis in the
director’s work, and that: ‘Sur les ruines
du nazisme il fallait ou construire un
monde nouveau ou jeter les semences des
“valeurs éternelles”. C’est cette dernière
solution [i.e. a non-revolutionary one]
qu’a choisie Rossellini’ (‘on the ruins of
Nazism it was necessary either to build a
new world or to sow the seeds of Rome’s
“eternal values”. It was this last solution
[i.e. a non-revolutionary one] that
Rossellini chose’) (cited in Goudet 2002:
82). Oms disapproves (the article dates
from 1958) and accuses Rossellini of, in
his view, ‘letting the side down’ by failing
to select, or sufficiently emphasize, those
elements of Italian postwar reality most
likely to convey a clearly radical
message.
TOWARDS A REPRESENTATION OF THE
POSCOLONIAL HUMAN CONDITION
The FEPACI would recognize, and no
doubt make its own, this goal to build ‘un
monde nouveau’ (a new world) on the
ruins of a discredited order. Consequently
there has been a similar rift in
Francophone African cinema between
those creators and critics who prioritize
radicalism and the preoccupation with the
collective, and those who insist on taking
on board the ambiguity inherent in the
real. Far from dwelling selectively on the
hard hitting facts which can only convey
an effective, univocal message, such film
makers as Rossellini and de Sica – but also
Haroun and sometimes Sissako, leave
room in their features for moral, dramatic
as well as aesthetic enquiry. Their
approach to reality is therefore of another
kind from that of radical cinema: more
open, more tolerant of the unexpected
gesture, of the detail which does not
merely serve to reinforce a clear sociopolitical message. In the words of André
Bazin: ‘The consciousness of the neorealist
director filters reality [...] but the selection
that occurs is not logical [...]; it is
ontological, in the sense that the image of
reality it restores is still whole [...] There is
ontological identity between the object
and its photographic image’ (Bazin 1971:
98;).
Bazin’s thesis goes further still:
L’art du metteur en scène réside dans
son adresse à faire surgir le sens
de l’événement, du moins celui qu’il
lui prête, sans pour autant effacer
ses ambiguïtés [...] Le néo-réalisme
se définit donc également par un
certain rapport des moyens à leur
fin.
(The art of the film maker lies in
his skill in producing the meaning
of the event, at least that which he
gives to it, without thereby removing
its ambiguities [...] Neorealism is
thus also defined by how it makes
cinema’s means to relate to its ends.)
(Cine-club de Caen, undated,
unpaginated)
In this understanding of the neorealist
approach and of its legacy, it is therefore
a cinematic style that strives to show
reality, ‘warts and all’: thus, sporting
glory fades and, in A Screaming Man,
former swimming champion Adam’s
prowess in the hotel pool where he works
is fast being surpassed by his son’s with
morally questionable consequences. In
Haroun’s earlier film Daratt demands for
absolute justice lead to endless blood
feuds whose only viable solution is a
peaceful, if less than glorious,
compromise. The fact of the matter is that
after victory celebrations have subsided,
the postwar – or the post-colonial –
liberated masses are once again made
up of individuals left to their own
imperfect devices (De Sica’s Bicycle
Thieves, 1948; Haroun’s A Screaming
Man, 2010c). In this context social
panaceas that are meant to be just, or
good for the people, need to be put in
perspective: ‘Who says that sport brings
virtue?’ (Syed 2011: 24); revolutions kill
innocents as well as oppressors (Rome
Open City, Rossellini 1945; Battleship
Potemkin, Eisenstein 1925; The Battle of
Algiers, Pontecorvo 1966 – and in
another medium the demise of Gavroche
in Les Misérables by Hugo, 1862); reform
school doesn’t always work (Abouna;
Truffaut’s 400 Blows, 1959) – in fact
education can lead to frustration, even
alienation (Soleil O / Oh Sun, Med
Hondo, 1970; Sango Malo / Teacher of
the Canton, Bassek Ba Kobhio, 1990).
Even the quest for self-improvement can
do harm, for example when a budding
artist neglects his dependents (Abouna).
This does not mean that these pursuits
are, in essence, bad (Haroun’s films, like
most true neo-realism, eschew dogma).7
But lucid representations of the lives of
ordinary people need to show, along with
the inequities stemming from an unjust
social order, the compromises they end
up opting for in order to survive in their
given situations. Also taken on board in
the most perceptive dramatizations are
the effects on these ordinary people of the
unintended consequences (as opposed to
evil master plans) of decisions taken by
their political and military masters when
they embark in – or prolong – civil strife.
NDJAMENA OPEN CITY?
In A Screaming Man, contrary to the
representation of Africans in international
news, and in contrast to political cinema,
the central character is thus a fully
rounded character. He has a name,
Adam, a job, a moped, modest assets
and tokens of recognition that he
struggles (and intrigues) to hold on to,
never mind (and in the face of) the
geopolitical tragedy erupting around him.
Adam is a tragic figure, but in a tragedy
where he does not simply figure as victim:
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
27
a tragedy in which he is involved – even,
at a certain, profoundly personal level –
implicated, and one which supplies him
with dilemmas forcing choices that he will
make out of his own free will. These
choices, as the story unfolds, do not
unambiguously place him on the moral
high ground (far from it). They certainly
do not cause him to become a hero. But
neither do they make of him ‘un salaud’
or a ‘social-traitre’ in the estimation of the
viewer, who continues to feel for him
through the ethical twists and turns of the
plot. As Mahamat-Saleh Haroun stresses
to Olivier Barlet: ‘On est face à un
personnage qui commet un acte
impardonnable mais qu’on n’arrive pas à
condamner’ (‘One is faced with a
character who commits an unforgivable
act but whom one cannot condemn’)
(Haroun 2010b: 3). If A Screaming Man
can be dubbed, as the above subtitle
suggests, ‘Ndjamena Open City’ to
acknowledge Haroun’s debt and homage
to Roberto Rossellini, the phrase is
therefore to be understood, at least in
part, to mean ‘open to interpretation’.
If Adam’s character should not be
viewed simply as a victim, neither is
Ndjamena merely portrayed as a stricken
Third World city as commonly shown in
media footage and comment. Instead, it
is filmed ‘from the inside’ (like the Italian
capital in Rome Open City), through the
eyes of its increasingly concerned
inhabitants. The conflict at hand is never
explained – for example in a scene or
statement of exposition at the start of the
film – nor is it ideologized later on.
People try to get by and then, as the
invasion threatens the city’s gates, hope
to survive. The emergency produces
neither clear-cut heroes nor actual
collaborators working for the enemy. But
there are crooks and traffickers to take
lucrative advantage of the situation, and
the viewer acquires a diffuse sense of
clueless, insensitive strategic decisions
issued at top level that send the country’s
youth in large numbers to graphically
represented pointless slaughter (as in the
gruelling field hospital scene).
At the same time, the civil war raging
at the city limits is not a mere fatum. A
Screaming Man is not a Greek-style
tragedy or an epic drama. Neither do the
fear and the desperate tensions it
28
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
generates form the basis of a political
drama. Their main function is, instead, to
bring to a head the murky individual
dilemmas at street level, where the centre
of the action is set. As in neorealism and
film noir, the geopolitical chaos in the
background catalyses the dilemmas, the
ulterior motives, the bubbling internalized
guilt of the ordinary people who are the
focus of the show. There are therefore two
tragedies: The tragedy of the ageing hotel
worker Adam and that of the besieged
city, although the main focus stays on the
ordinary man throughout. The tragic
sequences of events begin on separate
planes, but are slowly, inexorably brought
together by the plot in increasingly
uncomfortable ways. Finally they
converge, and settle on the death of
Adam’s son by a river, outside the city
boundaries – ‘off limits’, in a highly
aestheticized, symbolic countryside. By its
pace and its mood, and by its reflective
wide, open shots, this last scene recalls
Rome Open City’s ending, which features
the execution of an innocent outside the
city limits, and a final open camera shot
towards the eternal city.
URBAN SPACES
Until its evocative closing scene which
functions as an epilogue, the progression
to disaster throughout A Screaming Man is
an exclusively urban journey, with the
city’s spaces and furnishings playing
instrumental and at times central roles.
These urban locations include the narrow
streets of Ndjamena’s claustrophobic
city-centre, the characters’ dwelling places,
not to forget Adam’s commuting route to
the hotel which employs him, and where
much of the film’s action is set. Adam’s job
as pool supervisor, a sinecure he still
enjoys (in spite of his greying temples)
courtesy of his past glories as a swimming
champion is, however, under threat.
A key urban location in A Screaming
Man is, therefore, the international hotel.
The siege of Ndjamena by unnamed
rebels draws ever more young men into
battle against the invasion under the
Chadian government’s draconian (and
corrupt) army recruitment policy. This
pressure to secure endless supplies of
innocent cannon fodder comes just in time
to offer Adam the awful – yet
simultaneously tantalizing – ‘opportunity’
to remove from the scene his main
competitor (his son) in his fight to retain his
job in the city’s most luxurious and
cosmopolitan venue: the hotel.
Here it is important to note the central
role of the cosmopolitan hotel in nonEuropean locations in general as an island
of first-world luxury, glamour, comfort and,
when it comes to it, physical safety from
war, natural disaster or revolution: A no
man’s land (or a white man’s enclave),
isolated from the climate, from the
surrounding poverty and squalor, well
connected to the city-centre and the airport,
it is an in-between, essentially urban
postcolonial space. An international hotel
often features in films, and it can be
associated with a wide variety of
connotations: as a den of neo-colonial
corruption or a haven from genocide (as in
Hotel Rwanda, George 2004). The hotel
in A Screaming Man is not, however,
presented in clear-cut moral terms – good
or bad.8 In terms of glamour, modernity
and comfort, it is the jewel in the crown of
beleaguered Ndjamena and, as one of its
enclosed spaces (like the family home of
the leading character), a refuge.9 One feels
that it would be the last bastion to fall. In
fact the international hotel functions at once
as a closed and as an open urban space,
as it brings in a cosmopolitan dimension. In
some ways it echoes the courtyard in
Sissako’s film Bamako (2006), another
enclosed space, metaphorically under
siege, but the venue for a larger debate on
international finance with a cast that
includes real-life European lawyers.
The courtyard filmed by Sissako was
under virtual siege from the forces of world
capitalism rounding up on Sub-Saharan
Africa. In Bamako’s courtyard, transmuted
into a courtroom, there is no ambiguity as
to whose side the audience is assumed to
be on. This, therefore, with the two releases
being barely four years apart, raises the
following question at the heart of Haroun’s
feature: in A Screaming Man, what
exactly is the viewer to make of the hotel –
one of the film’s most frequently shown
locations – assuming that it has a moral or
a (geo)-political message to deliver? Who,
among the characters shown in the hotel
scenes, ought to enjoy the sympathy of the
audience? Surely it cannot be the recently
installed Chinese management, and here
Haroun may be hinting at the new Chinese
colonialism – rapacious, if less culturally
interfering than the West’s. But the Chinese
manageress is no villain. She acts as a
professional and has no emotional stake in
the situation. She has a pragmatic,
unsentimental – but in no way vicious –
manner. The planned redundancies are
motivated by the bottom line, not corruption
or discrimination. Towards the end, she
even praises Adam’s loyalty, in blissful
ignorance of how misplaced this loyalty
really is. The viewer will in fact be rooting
for Adam who continues to be the film’s
hero all the way to its bitter end; but what
about his morally highly questionable
schemes to avoid being superannuated?
What is certain is that the murderous
invading rebel hordes have no claim on
audience sympathy. Perversely, on the
other hand, would they not be the only
force in presence likely to close down the
hotel, this stronghold of foreign capitalist
indulgence and inequity? Where, then, is
the anti-imperialist conflict or discourse
– indeed even the ethical high ground, to
be found on screen in A Screaming Man,
a film suffused with highly contemporary
moral and political dilemmas? The French,
American, or world financial institutions are
nowhere to be seen (unlike in the political
features Xala / The Curse, Sembene
1975, and Bamako) – any more than they
were in Haroun’s earlier feature Daratt on
a post-civil war family feud. There the
international hotel is a space of transition
where we see weapons changing hands,
but still in the confines of a vendetta-driven
plot, not a liberation struggle. These plot
angles differ from the Liberation setting of
Rome Open City, but tie in with other
neorealist films and with most postwar ‘film
noir’ productions (such as The Third Man,
Carol Reed, 1949): The conflict looms
large, but remains outside the plot. It
influences events and attitudes in a
non-linear, non-readily legible way.
A more fluid, recognizably neorealist
location in A Screaming Man is the
protagonist’s commuting route. Commuting
is a shared experience of ordinary city folk
throughout the world, who need to go to
work usually to another part of the city, in
order to earn a living. The long commute
on his trusty moped calls to mind the
ubiquitous Vespa of postwar Italy, not to
mention the eponymous push-bike of de
Sica’s 1948 film Bicycle Thieves. Public
transport and other affordable means of
locomotion are often shown in neorealist
cinema, stressing the importance of modest
implements in the lives of ordinary people.
Adam’s motorcycle takes him from his
modest home to the more glamorous
surroundings of the hotel which employs
him (in turn recalling the journey from
district to district in Sembene’s Borom
Sarret (1963), set in Dakar). It does so in
what sometimes seems like real time: the
commute does take real time out of
workers’ daily routine, time which they use
for internal rumination of the day’s events,
and of what tactics to adopt in order to get
through the next. Mark Cousins (2011)
speaks of the ‘de-dramatized time of
neo-realism’ (Cousins 2011), where the
tension resides in the intensity of tragic
dilemmas rather than the fast-paced plot
lines, or the vibrant demonstrations of
classic cinema. Thus in yet another feature
shared with neo-realism, characters in A
Screaming Man do not simply appear on
a scene thanks to clever montage, as if they
have been beamed on to the set. They
have to commute, like everybody else.
But Adam is not always on the move, in
fact as the plot unravels the angle of vision
narrows, trapping him in his dilemma: ‘Plus
Adam est coincé, plus il n’est filmé qu’en
intérieurs, dans des ruelles, ou devant des
murs, [même si] durant l’échappée finale,
les plans s’élargissent’ (‘The more Adam is
cornered, the more he is filmed only in
interiors, alleyways, in front of walls, [even
if] during the final denouement the angles
widen’ (Barlet, in Haroun 2010a: 1). As
the siege progresses the city walls close up
in a pincer movement, and Haroun lets the
camera angles speak:
‘Le point de vue parle à la place du
personnage, comme lorsqu’Adam
voit à travers les rideaux les
militaires se saisir de son fils dans
la fenêtre de droite, et sa femme
éplorée dans celle de gauche’.
(The angle of vision speaks Adam
sees the soldiers grab his son through
the curtains of the right-hand window
and, through the left-hand window, his
wife in tears).
(Barlet, in Haroun 2010a: 2).
This claustrophobic scene set in an
enclosed yard framing the hero’s sense of
entrapment and his narrow options recalls
Hitchcock’s Rear Window (1954) and
lends weight to Mahamat-Saleh Haroun’s
claim that he is ‘ Hitchcockien’ (Haroun
2010a: 4).10 Other noteworthy traits are
shared with Hitchcock: with The Birds
(1963), through the siege setting – an
intractable and uncontrollable calamity
closing in from the outside like a gathering
storm while humans are left to their own
devices. Not to mention the atmosphere of
dread, the panic, the dynamics of crowds
on the run. Frenzy (1972) may also come
to mind: a film where the city (also the
director’s home town) is seen from the
inside by its ordinary citizens and
tradesmen. There, the hero’s violence
intériorisée erupts into external violence
and takes the form of a crime spree – in a
reverse image to the external violence of
the military siege which, in A Screaming
Man, results in personal tragedy.
As a result of the gradual closure of
visible space in A Screaming Man, the
civil war ends up being more heard – or
overheard – than seen as the soundtrack
provides a superimposed narrative over
and above the plot. This takes the form of
running commentaries on the radio, noises
off from circling helicopters and gunfire
closing in. Describing the experience of
being trapped by the Chadian conflict
inside the besieged capital, Haroun
declares that:
On est cloitré chez soi dans un
espace clos sans pouvoir sortir et
on n’a des nouvelles de la guerre
que par le son, explosions, avions,
hélicoptères, voitures au loin, et
la radio où se joue la guerre des
ondes. Une partie dit avoir gagné la
bataille, l’autre dément et on nage en
pleine absurdité. J’ai conçu avec Julie
Brenta, la monteuse son une sorte de
récit sonore venant s’ajouter au récit
visuel [...] pour donner toute la portée
de cette tragédie. (Haroun 2010b: 2).
(We were shut up inside in a closed
space without being able to go out
and could only get news of the war
by sound: explosions, aeroplanes,
helicopters, cars in the distance, and
the radio where the war is waged
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
29
on the airwaves. One side claims to
have won the battle, the other side
denies that, and it was just a sea
of absurdity. With Julie Brenta, the
sound technician, I thought of a kind
of sound-narrative that would go
together with the visual narrative […]
to give the full range of this tragedy.)
– a double tragedy: the tragedy of the
protagonist and that of the city; one
where, in the absence of a mainstream
plot or political line, the viewer is never
certain of anything.
TRAGEDY AND URBAN SETTINGS
The mention of urban tragedy in cinema
brings to mind Film Noir, a genre which
initially, in the postwar era, was
influenced by both the documentary
movement and by neo-realism. More
stylized, more aestheticized, more
plot-driven than neorealism, Film Noir is
related to it not just through the timing of
its emergence on the screens but through
many of its defining traits: It shares with it
a predilection for undistinguished urban
scenes, gritty situations, plots involving
lower-class, marginalized people and,
looming in the background or in the
recent past, doom-laden historical events.
These frequently catastrophic geopolitical
contexts weigh directly or subliminally on
vulnerable, sometimes compromised
characters.
In this respect postcolonial situations
offer a mine of highly tempting parallels
with postwar tensions and chaos. In
response to the post-colonial trauma,
‘classic’ francophone African cinema, as
exemplified in Sembene’s Xala / The
Curse (1975) and Guelwaar / The Noble
One (1993) thus shows a world where
colonization remains a sinister, seemingly
indestructible fléau or scourge that comes
back to haunt African nations long after
their independence under the guise of a
variety of protean incarnations: neocolonial corruption, international aid, the
World Bank, etc. As mentioned earlier,
the aim of such highly politicized anticolonial film making is to denounce these
perennial evils and, unlike Film Noir, it
tackles them head on with a selfconsciously moral, clear-cut militancy. In
Haroun’s films, however, the shadow of
geopolitical doom that besets or destroys
30
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
postcolonial cities takes a radical forward
leap in time to address Africa’s current
strife, its internal conflicts, the evils that,
largely from the inside, undermine
post-independence Chad, as evidenced
in A Screaming Man (2010c) and Daratt.
These murky post-independence conflicts
lend opportunities for more ambiguous
cinematic situations than are witnessed in
Haroun’s classic forerunners. His
characters face morally more complex
decisions, and engage in acts whose
justifications and outcomes leave a lot for
the audience to ponder, during and after
the viewing. It is the realm of individual
tragedy rather than collective struggle, a
kind of tragedy that, on a mode closely
related to film noir, causes protagonists to
wander into unchartered terrain. In Noir,
the tragedy stems from a flaw, usually in
the character of the hero. Protagonists are
doomed by a weakness within themselves
(Cousins 2011). Viewed from this
perspective A Screaming Man therefore
combines neo-realism and Noir through
the weakness vested by the screenplay in
the character of Adam, perhaps the first
(francophone) African anti-hero.
It is nonetheless clear from the general
tone of the film that Adam has a claim on
Haroun’s and thus on the viewers’
affections. Haroun shares with neorealist
directors a love of the ordinary people he
puts on screen. He reports that while
watching Rome Open City at the age of
fourteen, he was moved to see how
Rossellini ‘felt for those people on screen’:
I could see that the director loved
the people he was filming, and
he wanted us to love them too.
And I knew people like that in my
neighbourhood. And I thought about
them, and how I wanted to show
them to the world. And that’s how
it started.
(Haroun, quoted in Maher 2011)
One of the main reasons to feel affection
for Adam, however, is that he is all too
human – a morally vulnerable, even a
deeply flawed hero. He shares this trait
with other male protagonists in Haroun’s
films and with heroes of some key Noir
classics. Thus the plot of A Screaming
Man, like that of Sunset Boulevard
(Wilder, 1950), articulates the
unwholesome consequences of hankering
after glamour and past glories. Similarly
the weight of a violent past pursues both
the baker in Daratt and the hero of The
Killers (Siodmak, 1946). The Harounian
protagonist is therefore a troubled hero
who wrestles with moral issues as a man
who, on screen, exhibits worrying
insecurities and shortcomings.
This hero, equipped with no more than
the ordinary man’s share of wisdom and
moral rectitude, is then faced with
existential dilemmas, put to the test,
forced by the unfolding drama to take
responsibility for his choices in an
otherwise meaningless universe. As in
Film Noir, ‘the protagonist is an outsider
trapped in an urban landscape [...] He
has no trust in traditional institutional
supports – such as the law and the police
– which are often represented as hostile
or corrupt. Instead, the individual must
survive by his or her own wits, and plots
often hinge on a crucial decision that
determines the invariably tragic outcome
of the film’ (Ballinger and Graydon 2007:
28). Thus in A Screaming Man the
dramatic tension hinges on a moral grey
area which faces the viewer with an
achingly uncomfortable conundrum.
FROM ROME TO NDJAMENA: THE
HAZARDS OF MORAL COMPROMISE IN
M. S. HAROUN’S A SCREAMING MAN
AND DE SICA’S BICYCLE THIEVES
In A Screaming Man, the postcolonial city
is, as we have seen, redefined as the sum
total of the ordinary lives of its
inhabitants, with no clear overall
directional template. Accordingly, like de
Sica in the Rome of Bicycle Thieves
(1948), Haroun conveys the reality of the
urban setting by focusing on the
individual in the crowd, rather than on the
destinies of the masses, threatened though
they collectively are by penury and
political confusion. The scenario in both
cases shows a series of incidents affecting
the daily life of an individual working
man. None of the scenes are shot in
studios, and Haroun, like Rossellini and
de Sica, makes extensive use of nonprofessional actors.11 But it is in Haroun’s
handling of the filmic developments that
many parallels can be drawn, and where
many comments made by André Bazin
about Bicycle Thieves strike a chord with
A Screaming Man. About de Sica’s film,
Bazin writes: ‘The scenario is diabolically
clever in its construction [in that] it still has
meaning even when you have abstracted
its social significance. Its social message
is not detached, it remains immanent in
the event, but [...] it is never made
explicitly a message’ (Bazin 1971: 51;
our emphasis).
Where, in our view, both films differ
even more crucially from ‘classic’ cinema,
however, is where the scenario insists that
although we condemn the vicious circle of
poverty in postwar Rome (and in civil war
stricken Ndjamena) in which both films’
heroes are trapped, the treatment ‘never
makes the events or the people part of an
economic or political manichaeism’
(Bazin 1971: 51). In other words, the
ordinary citizen retains a measure of
freedom of action. Clearly the dice are
heavily loaded: the space where he may
exercise his free will is not only narrow
but hazardous, implying as it does a
choice between self-destruction and moral
compromise. On the predicament of the
father in Bicycle Thieves, Bazin comments
that the thesis the film implicitly posits is
‘outrageously simple: in the world where
this workman lives, the poor must steal
from each other in order to survive’
(Bazin 1971: 51). Thus the worker,
threatened with joblessness, becomes a
thief. And once found out, the bicycle
thief is exposed to public shame, a
disgrace compounded by the awareness
that his young son witnessed it. Similarly,
in Haroun’s A Screaming Man, the
postcolonial citizen of the title, hard up,
put upon, and humiliated by his
demotion, retains a mind of his own but
his options are few, and the choice he
finally makes damages his moral integrity.
Like de Sica’s bicycle thief, the hero of A
Screaming Man is therefore liable to
become morally compromised.
In actual fact, however, Haroun goes
significantly farther than de Sica: While
de Sica showed his hero shamed in front
of the assembled citizens of the Italian
capital, Haroun sows the seed of moral
ambiguity in the very minds of the film’s
audience. By becoming an outlaw the
bicycle thief suffers a slur on his good
name that is perceived externally by the
inhabitants of the postwar city. But he is
blamed neither by his young son nor by
the intended viewer, and it is doubtful to
what extent he feels personally guilty (in
his heart and soul, so to speak). The
implicit thesis mentioned above made
sure of this, and the screenplay makes
clear in the closing scene that the city’s
posterity embodied in his son will, one
day, understand: ‘the son returns to a
father who has fallen from grace. He will
love him henceforth as a human being,
shame and all’ (Bazin 1971: 54). But
Adam’s son in A Screaming Man is not
there at the end of the film to give him his
moral caution and absolve him for his
past deeds: he is dead. Close to the end
of the film, the viewer is left in front of a
river landscape to ponder, along with
Adam himself – foregrounded and filmed
from behind –, how and to what extent
the choices that he made during the
previous scenes contributed to his son’s
demise.
CONCLUSION
With Haroun, from Abouna (2003) to
Daratt (2006), and then A Screaming
Man the postcolonial city is thus redefined
as a neorealist locus, to be understood
less in a socio-political sense as defined
with reference to the more ‘classic’ view
of the founding fathers of Francophone
cinema, but, increasingly, along the lines
defined by Bazin and, with A Screaming
Man, articulated by Deleuze as the
domain of l’image-temps, the identifying
mark of ‘modern cinema’:
Il se passe quelque chose dans
le cinéma moderne qui n’est ni
plus beau, ni plus profond, ni
plus vrai que dans le cinéma
classique mais seulement autre [...]
Des personnages pris dans des
situations optiques ou sonores, se
trouvent condamnés à l’errance
ou à la balade. Ce sont de purs
voyants, qui n’existent plus que dans
l’intervalle de mouvement et n’ont
même pas la consolation du sublime
[...] Ils sont plutôt livrés à quelque
chose d’intolérable qui est leur
quotidienneté même.
(Deleuze 1985)
(Something happens in modern
film which is neither more beautiful,
nor more profound, nor truer than
in classical film, but simply other
[…] Characters caught in optical
or aural situations find themselves
condemned to wandering or random
journeying. They are purely seers,
who only exist in the pauses between
movements and do not even have
the consolation of the sublime […]
They are, rather, in the throes of
something intolerable which is their
actual everyday existence.)
There is thus a glimmer of hope for the
future: Adam loses a son, but he will soon
have a grandchild. Similarly in Rome
Open City’s last shot, the children of
Rome move away from the scene of the
execution, heading for the city. This said,
in both cases, any future hopes are
tempered by the reality of the suffering
and death of the innocent, so that there is
no room for lyrical evocations of
lendemains qui chantent (‘happy
tomorrow’): pregnant Pina was, in a
previous scene, gunned down in the most
vivid shot of Rossellini’s most noted and
most influential feature, while Adam’s
son, fatally wounded in battle, expires
cradled in the side-car of his father’s
motorcycle.
In each of these two films, the closing
scene is spiritually charged. As A
Screaming Man ends, however, it has
long been made clear that divine
providence is not going to be of help.
Adam does not believe in God’s
intervention. This has been established in
conversations with his wife: ‘we cannot
expect anything from heaven’ – and with
his friend, the forcibly retired hotel cook.
The cook dies soon after leaving his job,
ostensibly of a heart attack, but also of
being suddenly condemned to
irrelevance. As Haroun puts it in the same
interview, ‘These people feel that they
have no grip on their lives’ (Haroun
2010c: posted as one of the special
features of the DVD version of A
Screaming Man). ‘It’s not me, it’s the
world that’s changed,’ says Adam – not
an unusual outburst from a middle-aged
man, but it takes on a special poignancy
given Adam’s circumstances. The good
old days (or the lost paradise) can be
traced back, along cues here and there in
the film’s dialogue, to a time soon after
Chad became independent – to circa
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
31
1965, the year the Central African
swimming championship turned Adam,
for a time, into a national hero.
Today’s world as described in A
Screaming Man is, by contrast, a harsh
world – a world at war. The film is not,
however, a film about war. Like the
postwar Italian films, it is, as previously
discussed, about those affected by war,
who are ‘trapped in a war’ (Haroun
2010c: posted as one of the special
features of the DVD version of A
Screaming Man). A direct consequence
of the conflagration raging within striking
distance of the city is that the lives of the
ordinary people inside its walls have
been turned upside down: all familiar
repères (landmarks) are lost.12 In Rome
Open City, the good woman Pina,
pregnant before marriage, is about to
marry (in church) the child’s father,
himself a non-believer, but thinks ‘better to
be married by a partisan priest than by a
fascist registrar’. In A Screaming Man,
traditional patterns of behaviour are
similarly blurred: the main community
leader (le chef de quartier) is corrupt and
attempts to flee the city disguised as a
woman, while Adam and his wife
welcome without fuss into their family
their son’s pregnant girlfriend whom they
had not even met before she came
knocking on their door.
As warlords have, over the years,
dominated Chadian history and politics,
the rampant violence has thus profoundly
traumatized the capital’s population,
repeatedly threatening their possessions
and the daily routines which anchor them
into reality, giving them a sense of
self-worth, dignity and integrity. As
Haroun warns, it can be dangerous to
strip them of these attributes: ‘a man
robbed of what he possesses and pushed
to extremes can be made to commit the
unforgivable’. At the very least, he can be
made to scream an existential scream of
frustration, distress, and incomprehension.13
Far from being ‘Un ours qui danse’, this
screaming man is not an exotic, slightly
disconcerting novelty spectacle aimed at
eliciting compassion from the audience. A
bear is, after all and by definition, not
human. But Haroun’s main protagonist,
like the Adam of the Bible, is related to all
of us. This ‘homme des origines’ (man of
the origins) in Barlet’s words (Haroun
32
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
2010a) is not being filmed by Haroun to
be gawped at, pitied, or used in a
political demonstration. He is notre père à
tous – our common flawed ancestor.14
Variations on his deeply human
predicament have shaped world cinema
from Dreyer and Chaplin to Ozu and
Kiarostami, via, as we have seen,
Rossellini and de Sica.
But as we have also noted, Adam’s
scream is not heard, and the heavens, to
all intents and purposes, are empty. If
there is a Deus ex-machina in MahamatSaleh Haroun’s A Screaming Man it is, in
a world where values are all over the
place, a ‘God of small things’15, an entity
vested in humble implements and
attributes that have shaped the
protagonists’ youth and maturity, giving
them a sense of being someone: past
successes, a stable job, emblematic
objects that, scene after scene, define
their screen presence as strikingly as do
their lines of dialogue: Adam’s moped,
his diving goggles (which, especially at
the end, double up as cycling goggles),
David the cook’s cuisine, the chef de
quartier’s expensive car, and array of
electronic gadgets of dubious
provenance. This God of small things is
not, however, a benevolent entity, but
more often a dieu jaloux (jealous god)
who uses derisory incentives to lure
ordinary people into committing awful
acts. It steps into the plot as a tempter, a
trickster, a joker in the pack, one with a
wry sense of humour. It was the bicycle
– a ‘small thing’, after all –, that made a
thief out of de Sica’s unemployed worker,
and the nylons and other small proceeds
of betrayal that made a collaborator of
the actress in Rome Open City. The
viewer of A Screaming Man ponders
what role the chef de quartier’s lust to
own a shiny car and a smart phone may
have played in his decision to ensure with
unseemly haste that his own son would be
drafted into the war effort. In all cases,
the agent of delusion, betrayal or moral
corruption – what lures the protagonists of
these films into temptation – is one or
more of the necessities, or the small
luxuries that make poor people’s lives
bearable in hard times: in Rome Open
City, the drugs, cigarettes, promises of bit
parts on the stage; in A Screaming Man,
a glimpse of the comforts first world
viewers take for granted, or the trappings
of a secure working life in service in the
international hotel of an African city.
Haroun’s postcolonial hero does not,
therefore, follow the trail opened by his
predecessors featured in classic
Francophone cinema and shuns patterns
of behaviour familiar to political
postcolonial discourse. He jumps out of
the angry victim/heroic rebel framework
and does things that are liable to
disconcert the viewer, sympathetic and
aware of the postcolonial condition
though this viewer may be. Filming
decades after the European neorealists of
the 1940s and 50s, Haroun has no
compunction in creating characters
capable of leading off screen
independent lives, and refrains from
burdening them with too much collective
symbolism. No more than the Proletarian
of the postwar era, cast as a modest but
heroic figure in many postwar films, does
the postcolonial citizen behave according
to a ‘classic’ script after some fifty years
of life in independent polities. The
European worker became a consumer
who reads the tabloid press and
increasingly shuns progressive politics.
The postcolonial citizen tries to sauver les
meubles (salvage something) from
conflicts that hurt him directly while failing
to follow a binary logic that would give
him a clear moral compass to follow.
Some of these conflicts are never-ending,
abstruse and internecine: the postcolonial
city, especially in Chad, is fragmented, its
identity split along lines that keep
changing, bringing destruction and
personal loss with every successive
advance, retreat and stalemate.16 In this
context, Haroun’s rediscovered and
re-worked, profoundly modern neorealism brings the reality of the
postcolonial city to life in stark and
uncompromising fashion.
FOOTNOTES
1 Haroun is not alone in using these tropes:
Sissako conjures up the impression of being
‘stuck’ between sea and desert in Waiting for
Happiness (2002), as characters peer outward
beyond the Sahara and the Mauritanian border
(a theme also present in Abouna).
2 Nor did it with many neorealists, and in
particular Rossellini whose work triggered
controversy among critics through the nineteenfifties and sixties (see below).
3 Indeed in an indirect way, this vision has some
of its roots in Africa; see, for example, the
photograph of four young boys by Lake
Tanganyika taken by Munkacsi in 1933 which
(self-reportedly) inspired Cartier-Bresson to launch
his photojournalism venture with Robert Capa.
4 Examples include Drifters (John Grierson, 1929)
on industrial Britain and in the following decade
Nightmail (Grierson, 1936) and Spare Time
(Humphrey Jennings, 1939) showing the working
classes on their days off.
5 FEPACI and its regular Festival FESPACO
(Panafrican Film and Television Festival of
Ouagadougou) are landmark institutions in the
African and pan-African cultural movement of the
1960s to 80s. They are strongly defined by the
anti-imperialism professed by the African film
makers of the period.
6 ...as both Socrates and Tony Blair have
suggested? There is no evidence’: Syed
(2011: 24), casting doubt on the uplifting
virtues of sport.
7 See Hillier (1985: 176) where he insists that the
neorealist approach according to Bazin includes
‘social polemic (...) but not propaganda’.
8 Nor, for that matter, was it in Daratt, Haroun’s
2006 feature.
9 And, in real life, for the director and his crew, as
the conflict was under way in and around
Ndjamena during filming.
10Another parallel with Rear Window is worth
pointing out: there, the protagonist, immobilized
and in a position of weakness, sends a
vulnerable character (his girlfriend) on a perilous
mission in order to resolve, on his behalf, the
conundrum at the centre of the action.
11Although Adam is played by Youssouf Djaoro, a
celebrated Chadian actor who already played
one of the two lead roles in Daratt (Haroun
2006). Djaoro won the Silver Hugo for best
actor for his role in A Screaming Man at the
46th Chicago International Film Festival (2010).
12In April 2006, when Haroun was shooting
Daratt, rebels invaded Ndjamena during the
filming with heavy weaponry. The fighting lasted
six hours and claimed 200 lives. Rome Open
City is set as the cataclysmic battle of Monte
Casino was unfolding. In an early scene, a
deserter from Hitler’s army simply declares to
justify his flight: ‘it’s hell out there’.
12Haroun’s stresses that his aim in A Screaming
Man is not to blame this man, but to raise the
question how his actions may be explained
(Haroun 2010c: posted as one of the special
features of the DVD version of A Screaming
Man).
13There is a preoccupation with father-son
relationships throughout Haroun’s filmography to
date. Abouna, the title of his 2003 release,
means ‘Our Father’.
14To borrow a phrase coined by Arundhati Roy
(1997): ‘The war is like a ghost, haunting the
country and making appearances from time to
time’ (Haroun 2010c, DVD special features).
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TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
FAUX-DÉPART ET RENOUVEAU DANS DEUX
ŒUVRES DE CALIXTHE BEYALA : LES HONNEURS PERDUS ET COMMENT CUISINER
SON MARI À L’AFRICAINE.
LAURENCE RANDALL
Selon l’ouvrage d’Elizabeth Badinter
L’amour en plus (Badinter 1980: 137139, 154-174), le statut respecté de la
mère dans la société française date du
18ème siècle. Les philosophes des
Lumières françaises, et en particulier
Jean-Jacques Rousseau, ont mis en avant
de manière positive l’éducation de la
petite enfance qui comprenait de
nombreux contacts mère-enfant. Cette
pensée a influencé la société bourgeoise
à cette époque. Par conséquent, le rôle
de la mère dans le ménage a gagné en
importance. Or, alors que la littérature
française présente des images positives
de la mère, dans de nombreux romans,
l’image maternelle est quelque peu
troublante¹. La littérature postcoloniale
francophone ne fait pas exception à ce
phénomène : elle offre un panorama
d’images maternelles qui au demeurant
sont en large majorité plutôt troublantes
ou malheureuses, suggérant que ces
commencements se soldent par de
faux-départs. Cet article a pour but
d’explorer la séquence départ/faux
départ/possible renouveau dans la
littérature camerounaise postcoloniale de
langue française. Il sera éclairé par les
réflexions d’universitaires et de
chercheurs spécialistes des études
postcoloniales en général, et/ou de la
place de la femme dans les sociétés de
référence : entre autres Moura, Forsdick,
Murphy, Hitchcott, Gallimore, Cazenave,
Etoke, Abomo-Maurin
Ce qui suit examine en particulier la
relation mère-fille sous l’angle du fauxdépart et de la possibilité de renouveau
dans deux romans de l’auteure
camerounaise Calixthe Beyala : Les
Honneurs perdus (1996) et Comment
cuisiner son mari à l’africaine (2000).
Notre approche se voudra à la fois
comparative et contrastée s’agissant
d’identifier dans ces deux romans les
situations de ratage ou faux-départ et
celles de renouveau. Spécifiquement,
nous vérifierons si le ratage est
entièrement négatif ou s’il débouche sur
une nouvelle voie. Ce sera l’occasion
d’observer comment les principaux
personnages négocient ces situations et
comment le faux-départ se fait source de
renouveau, dans une surprenante relation
de cause à effet entre notions antagonistes
puisque, par définition, elles renvoient
respectivement à l’échec et au succès.
LE RATAGE, PROMESSE DE RENOUVEAU
L’univers littéraire regorge d’exemples sur
le thème du faux-départ ou du ratage. Les
protagonistes peuvent aussi bien essuyer
des échecs que mener des actions qui
débouchent sur un fiasco. Le ratage peut
aussi consister en une rupture avec les
institutions sociales quand l’individu
choisit de ne pas se conformer à la
norme. Le traitement du ratage est très
variable. Ainsi, pour Kafka, le ratage
n’est pas une fatalité. Il est possible d’y
échapper. À l’inverse, l’essayiste roumain
Cioran nourrit une vision infinie et positive
de l’échec. Le ratage est bénéfique : “une
seule chose importe : apprendre à être
perdant” (Cioran 2003: 1346).
Dans son article ‘L’Invention du raté en
littérature’, Denis Ferraris place le raté
dans la catégorie de l’antihéros. Selon
lui, il n’est pas un sujet négatif, mais
plutôt “ce personnage auquel l’auteur
accorde sans équivoque la plus grande
importance dans son récit (…) L’antihéros,
souvent miné par un doute sur
l’importance du monde dans lequel il doit
se battre pour survivre, ne propose
aucune solution aux problèmes qu’il
rencontre et que le lecteur peut
reconnaître, mutatis mutandis, comme
siens” (Ferraris 4). Il le qualifie de :
“mort-vivant en déshérence par
rapport aux valeurs qui furent les
siennes ou qui devraient être encore
les siennes mais dont il a de plus en
plus de mal à recueillir durablement
l’héritage.” (Ferraris 5).
Ainsi, Ferrari utilise le terme de “raté”
(p. 8) comme synonyme de l’antihéros
“car il a cessé d’accorder du prix aux
idéaux et aux valeurs qui, en soutenant le
monde où il vivait, lui permettaient de se
situer plus ou moins respectablement et
d’avoir ce qu’on est convenu d’appeler
une position” (Ferraris 9). Nous verrons
dans quelle mesure ces affirmations se
vérifient dans notre corpus d’étude.
Sans exception, le ratage plonge le héros
ou anti-héros dans l’imprévu. Ce qui était
programmé pour lui échoue. C’est à ce
moment qu’il doit innover, déployer des
trésors d’ingéniosité pour s’adapter et
dépasser l’adversité. Pour se sortir
d’affaire, il s’engage dans une nouvelle
voie, un chemin personnel, et suscite le
renouveau, sans quoi, c’est la mort. Or
ce renouveau apparaît inextricablement
lié au ratage sans lequel il ne saurait
s’enclencher. Et il en va de même de
l’inventivité littéraire.
Par définition, le renouveau peut être le
retour à un état précédent après un déclin
ou prendre le sens d’un nouvel
épanouissement, l’apparition de formes
nouvelles (Morvan 2004: 966). C’est
précisément ce à quoi on assiste dans la
littérature, dans l’art ou dans la musique
à l’époque de la Renaissance. Plus près
de nous, ce thème du renouveau inspira
plusieurs poètes dont Stéphane Mallarmé,
Louis Fréchette, William Chapman. Dans
le domaine politique, et puisque les deux
œuvres qui nous intéressent se rapportent
au Cameroun, Paul Biya, président du
Cameroun depuis 1982 choisit le terme
de Renouveau pour rebaptiser son
mouvement politique en 1985. La
littérature postcoloniale elle-même
s’apparente à une renaissance en ce
qu’elle se veut génératrice d’une nouvelle
écriture. L’étude de la littérature
postcoloniale par l’intelligentsia française
est en elle-même aussi un phénomène de
renaissance, car comme l’ont montré
Charles Forsdick et David Murphy, son
amorce fut lente.² (Forsdick and Murphy
2003: 233). Ainsi, la notion de nouveau
départ est-elle bien, et sous plus d’un
aspect, au cœur de notre propos.
LA MÈRE, CAUSE DU RATAGE ET DU
RENOUVEAU
Au Cameroun, mettre au monde une fille
est souvent perçu comme un faux-départ.
Ainsi, dans Les Honneurs perdus, la
naissance de l’héroïne Saïda Bénéfara
elle-même est vécue comme un fauxdépart car son père, pieux musulman,
adressa maintes prières suivies de jeûnes
pour qu’Allah lui donne un fils. La
naissance de Saïda fera figure de ratage
parce que son père ne cessera de
proclamer qu’Allah lui a donné un fils
(Honneurs perdus 16.). Sa déconvenue
est d’autant plus forte, que la naissance
d’un fils était pour lui chose acquise. Il
déclare qu’il aurait préféré que son fils
soit mort au lieu d’être transformé en fille.
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
35
(Honneurs perdus 25). D’un point de vue
culturel, son attitude s’explique de
plusieurs façons.
Tout d’abord, dans la société
camerounaise, et plus particulièrement
dans ce roman, les filles sont souvent
considérées comme “une charge inutile”
(Cazenave 1999: 61) parce que les
sociétés patriarcales favorisent une
généalogie masculine (Irigaray 1981:
28). Ultérieurement, une fille qui ne se
marie pas est une charge supplémentaire,
une bouche de plus à nourrir, car il est
difficile pour une femme de gagner sa
vie, surtout pour une femme musulmane.
De ce fait, le père de Saïda prend la
naissance de cette dernière comme une
défaite personnelle, parce que sans
valeur du point de vue patrimonial. Pèse
aussi le regard de la communauté qui
considère “qu’un homme qu’aurait pas
de fils, c’est comme un arbre qui donne
pas de fruits” (Honneurs perdus 33).
Dans sa définition du mot ratage, Ferraris
met en exergue la définition d’un
dictionnaire de langue française du début
du 19e siècle : “Un raté, un homme qui
n’a pas réussi en ses entreprises, un fruit
sec” (Ferraris 3). Un fruit sec finit par
tomber et devient inexistant. Cette notion
de fruit sec se rapproche de celle donnée
par la communauté camerounaise. Enfin,
la fortune est toujours léguée aux fils
(Honneurs perdus 33).
Ceci dit, le rôle de la mère en Afrique
est avant tout éducatif. Il lui incombe de
transmettre les valeurs morales à ses
enfants d’où son omniprésence, alors que
le père est absent, comme le montre
Benatta Jules-Rosette (Jules-Rosette 1998:
203). S’agissant de l’Afrique
traditionnelle, dans son ouvrage L’œuvre
de Calixthe Beyala, (Gallimore 1997:
81) cite Kembe Milolo : “toute l’éducation
de l’enfant repose sur la mère. Elle
inculque les habitudes et les notions
matérielles ou morales de la société
(Mikolo 1986: 100). De ce fait, la mère
de Saïda lui enseigne “de ne pas
regarder les hommes dans les rues”
(Honneurs perdus 80) et qu’“il est
conseillé d’attendre le mariage pour
s’adonner à certains plaisirs (…) La
virginité et la fidélité sont les plus beaux
cadeaux qu’une femme puisse faire à son
mari” (Honneurs perdus 81). La virginité
36
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
est présentée en relation à l’homme, non
pas comme une fierté pour la femme. À
travers les yeux de la mère, le statut de
femme est un fardeau. À vingt ans,
Saïda n’est toujours pas mariée. Saïda
ressent un sentiment de ratage : “J’eus le
sentiment d’avoir échoué dans la vie
avant même avoir essayé d’y réussir.
J’avais l’impression d’appartenir à rien
qui vaille.” (Honneurs perdus 98). En
effet, une femme qui ne se marie pas est
dépréciée socialement en Afrique où,
comme l’affirme l’écrivain Francis Bebey,
“ (…) cela a toujours été le devoir de la
communauté de marier ses enfants”
(Bebey 1967: 60). Les Honneurs perdus
reflète bien cette préoccupation. En effet,
l’obsession des parents de Saïda est de
marier leur fille. En effet, la fonction du
mariage permettait “le renouvellement de
la lignée” (Guillou 1985: 21) et d’unir
non seulement deux individus, mais aussi
deux familles, voire deux villages.
Paradoxalement, alors que la société
patriarcale prône la virginité, elle n’est
pas vécue avec fierté mais comme une
honte, témoin le sobriquet dont est affublé
Saïda par un jeune homme prénommé
Effarouché: “Alors, Vierge des vierges, on
glandouille ? (…) Toujours personne pour
t’épouser ma fille ? ” (Honneurs perdus
105). Les convictions patriarcales
africaines tiennent la virginité pour une
valeur opposable en Europe et le
pharmacien délivre à Saïda un certificat
de virginité : “Ton certificat de virginité
valable dix ans, dit-il. Les femmes vierges
sont rares en Europe, et ce qui est rare est
cher. Prends-en le plus grand soin. ”
(Honneurs perdus 181). Nouveau
paradoxe, dans l’espace de Paris, sa
virginité devient une tare. Ngaremba, son
employeur, éclatera de rire quand elle lui
confiera n’avoir jamais eu de relations
sexuelles : “Elle se plia en deux, les mains
sur son ventre, et rit à cœur ouvert, on
avait envie de lui tenir les côtes”
(Honneurs perdus 209) et Aziza, sa
cousine lui dit sans embages : “Je m’en
fous de ta virginité” (Honneurs perdus
186). Pourtant, toutes les deux sont
africaines. On assiste donc à la
désuétude de la tradition africaine face
au comportement européen. Dès qu’elle
annonce sa virginité à de possibles
amoureux, “ils disparaissaient sans laisser
d’adresse” (Honneurs perdus 295). Et
c’est passé la cinquantaine que Saïda
perd sa virginité avec le clochard Marcel
Pignon Marcel. Cette perte de virginité
est perçue par l’héroïne comme une
délivrance, un rattrapage du temps
perdu, un nouveau départ : “Je prenais
de la passion pour les trente ans perdus
(…) Je me sentais une femme neuve
(Honneurs perdus 396). Cette conquête
de la sexualité n’est pas sans rapport
avec la mère de Saïda qui,
inlassablement, tentait de se ménager un
espace de liberté. Quand les valeurs
investies dans la virginité ne cessent de
changer, comment définir ce qui constitue
pour l’héroïne, un ‘ratage’ ou une réussite ?
C’est peut-être là, justement, qu’on peut
mesurer l’érosion des valeurs africaines
dans la diaspora.
En réalité, la femme joue un rôle
ambivalent au sein de la famille. Elle est
à la fois soumise : elle accepte
l’accusation de “faire” seulement des
filles, mais elle a aussi un comportement
subversif. Bien qu’apparemment soumise
à l’autorité du mari, elle s’autorise, à
l’abri ou en contrepartie de sa docilité, un
commerce de production de bière pour
nourrir la famille et lorsque son mari lui
oppose que “le Coran interdit l’alcool”
(Honneurs perdus 73), elle change de
commerce et confectionne des beignets
de maïs. Mais plus loin dans le roman, la
mère exprime le souci d’un certain
renouveau et une perspective visionnaire
de l’avenir. En effet, elle songe à
améliorer son sort dans la vie et partage
ses projets avec sa fille sans en parler à
son mari : “Tu vois, ma fille, la modernité
s’amène à grands pas. Il faut changer les
choses si on veut survivre. Entre nous,
colporter les beignets de porte à porte
n’est pas la solution. Ce qui ferait bien
moderne, c’est d’ouvrir un maquis à la
maison, où les gens pourraient venir se
nourrir et se détendre. ” (Honneurs perdus
118). Il est remarquable que la mère soit
celle qui encourage sa fille à commencer
une nouvelle vie en France et qu’elle
exprime le désir d’affranchir sa fille des
conventions sociales misogynes : “Liberté,
ma fille ! Démocratie ! Plus de contraintes
(…) Maintenant, fit-elle, tu peux dire ce
que tu veux, ce que tu penses, y aura plus
personne pour te l’interdire (…) Liberté !
Réjouis-toi ma fille, dit maman. Je t’offre
ta liberté. Va, va où tu veux ! ” (Honneurs
perdus 177). Et lorsque dans un premier
temps sa fille refuse, elle la traite de
“ratée” (Honneurs perdus 178). La
migration en France est donc synonyme
de renouveau. Néanmoins, cette liberté
offerte a ses limites puisque les
motivations de la mère sont loin d’être
altruistes, ainsi que l’observe Gallimore à
propos de la représentation de la mère
dans l’œuvre de Beyala : “La mère est
devenue aujourd’hui la représentante des
valeurs dénaturées, une “bête dévorante”
qui exploite et vend ses enfants”
(Gallimore 1997: 81). En effet, la mère
de Saïda déclare : “Je veux vivre pour
mon plaisir ce qui me reste de vie”
(Honneurs perdus 178) et “N’oublie pas
de m’envoyer l’argent de mon lait que tu
as bu depuis ta naissance” (Honneurs
perdus 181). Nous assistons ici à un
discours à double voix : d’une part, le
discours féministe qui insiste sur la liberté
de la femme et, d’autre part, le discours
patriarcal où les filles ne représentent
qu’une charge supplémentaire au sein de
la famille. Cette stratégie discursive et
narrative à double sens renvoie le lecteur
à l’argumentation de Moura selon lequel
la littérature postcoloniale se caractérise
par la coexistence de deux cultures et de
deux langues ou voix narratives qui
subvertissent le texte. Il n’y a pas
nécessairement confrontation mais
“rencontre de deux identités qui sont en
devenir et qui, par cette négociation, vont
devenir et advenir” (Moura 2000: 21).
Pourtant, la duplicité n’est pas une norme
chez Beyala. Le deuxième roman
présenté ici se caractérise au contraire
par la linéarité de ses personnages.
Dans Comment cuisiner son mari à
l’africaine, la voix de la mère résonne de
façon différente dans le fond et dans la
forme. En effet, la mère étant décédée, sa
voix est sous-jacente, en arrière plan
puisqu’elle est en conversation dans le
moi intérieur de sa fille : “Ma mère, paix
à son âme, m’aurait demandé : “L’as-tu
satisfait sur le plan sexuel ? (…) As-tu
bien tenu ta maison ? (…) Lui as-tu
préparé de bons petits plats ? ”
(Comment cuisiner 16). L’héroïne se
réfère sans cesse aux conseils de sa mère
sur le rôle traditionnel de la femme.
Hitchcott y voit une sorte de décalage
entre l’espace et le temps, une
communication bridée: “Whereas
geographical theorists of migration tend
to present the migratory process as the
compression of time and space, Beyala
presents the migrant woman as spatially
and temporally ‘out of sync’” (Hitchcott,
Performances of migration 2006: 98).
C’est un point de vue intéressant mais une
autre lecture pourrait être envisagée : par
le renouvellement de la tradition culinaire
camerounaise, la romancière crée un
nouvel espace de communication. En
effet, son roman est jalonné de vingt-cinq
recettes qui arrivent à des points
stratégiques du roman, à la fin de chaque
chapitre en réponse à un problème
particulier que l’héroïne ou ses proches
rencontrent avec leur compagnon. Selon
Randall, “ce nouvel espace, syncrétisme
de deux cultures, réussit à réconcilier
deux mondes” (Randall 2012: 195). Et
cette réconciliation s’effectue de deux
manières. Premièrement, à l’égard du
lectorat français, Beyala francise ses
recettes, aussi bien dans le fond que dans
la forme. Dans le fond, car les
Camerounais dégustent plus de poissons
que de viandes, mais la majorité des
recettes énoncées se composent de
viande : “Poulet aux citrons verts”
(Comment cuisiner 25), “Veau aux
légumes” (Comment cuisiner 47) et sont
adaptées au goût occidental “La purée de
mangues sur toasts” (Comment cuisiner
136). Dans la forme, certaines recettes
sont francisées. Ainsi, “Ndolé” est rendu
“Dolé” afin d’en faciliter la prononciation.
Surtout, en Afrique, les recettes de cuisine
sont transmises par oral et mimétisme. Or,
Beyala occidentalise les recettes de
cuisine en utilisant le support du livre.
Comme nous l’avions démontré, “la
tradition et la modernité ne se rejettent
pas dans la représentation de la
gastronomie camerounaise, du moins tel
que l’expose le roman de Beyala, mais
développent au contraire un syncrétisme
générateur de créativité” (Randall 2012:
196). La mère est au cœur de cette
créativité, de ce renouveau, car c’est par
la réminiscence de la transmission
gastronomique camerounaise que
l’héroïne retrouve ses repères et crée un
nouvel espace de communication et de
négociation. Par conséquent, la mère
dans Comment cuisiner son mari à
l’africaine n’est pas “la bête dévorante”
décrite par Gallimore, ni même “l’odieuse
figure de la mère que rejettent et
combattent les héroïnes de Beyala”
(Gallimore 1997: 81). Bien au contraire,
Aïssatou recherche les conseils de sa
mère dans le souvenir de ses
conversations : “Pour monsieur Bolobolo
qui incarne l’espoir d’une tendresse,
maman se serait précipitée dans la forêt”
(Comment cuisiner 31), “Finalement,
j’aurais dû faire comme maman : cuisiner
un attieké aux crevettes” (Comment
cuisiner 39), pour consoler un chagrin
“Mange du veau, ma fille, aurait dit
maman” (Comment cuisiner 46) ou pour
attirer un homme “Rien ne peut remplacer
des bonnes gambas aux épices pour
aguicher un homme” (Comment cuisiner
p.56). Nous découvrons une relation de
complicité, à l’inverse des Honneurs
perdus où, dans l’espace de la France, la
mère n’est plus mentionnée, elle est
comme gommée de la vie de l’héroïne.
Beyala change d’orientation pour traiter
la relation mère-fille qui n’est donc pas
systématiquement conflictuelle comme le
décrit Gallimore. Mais il faut dire que son
étude est antérieure à la publication de
Comment cuisiner son mari à l’africaine.
CONCLUSION
L’examen de ces deux romans sous les
angles du ratage et du renouveau nous a
permis de mettre en exergue plusieurs
points. Tout d’abord, nous l’avions vu en
préliminaire, le ratage peut faire figure
de rupture avec les institutions sociales
lorsque l’individu peut choisir de ne pas
se conformer à la norme. Dans Les
Honneurs perdus, l’héroïne Saïda est
certainement en porte à faux avec la
tradition africaine, vu qu’elle ne se marie
pas, alors que toute fille est destinée au
mariage, tenu pour essentiel à la
continuité de la lignée. Ensuite, elle
transgresse la tradition patriarcale qui
veut que les filles restent vierges jusqu’à
leur mariage. Le ratage semble alors
achevé, puisque Saïda perd sa virginité
non seulement hors mariage, mais à plus
de cinquante ans. Mais ce ratage la
conduira à une libération des contraintes
de sa culture, religion et tradition
patriarcale. Son émancipation est
également le fruit d’un faux-départ, celui
qu’elle endure à Paris, chassée de chez
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
37
sa cousine. Ce revers se révèlera source
de renouveau par la rencontre de
Ngaremba, qui lui servira de miroir et
l’aidera à se remettre en question pour
acquérir d’autres repères. Selon la
définition de Ferraris, l’anti-héros oublie
les idéaux de sa communauté. Ceci se
vérifie dans une certaine mesure chez
Saïda qui abandonne quelque peu le
système de valeurs de sa communauté.
Néanmoins, c’est en définitive Ngaremba
qui revêt les habits de l’anti-héros car elle
s’effacera au fur et à mesure que Saïda
reprendra des forces.
Dans Comment cuisiner son mari à
l’africaine, l’exil fait figure de faux-départ
à travers l’histoire d’Aïssatou qui délaisse
son identité dans le vain espoir de se
fondre à son nouvel environnement.
Surmontant son chagrin, son ratage est
alors converti en source de créativité. La
perte de ses repères, la fait rebondir au
plus près de la sagesse ancestrale qui
prendra un tour inattendu et sera source
de renouveau. C’est par la mémoire de
ses conversations avec sa mère en
matière de gastronomie camerounaise,
que l’héroïne gagnera non seulement le
cœur de l’homme qu’elle convoite, mais
aussi renouera avec ses origines et son
identité. Le renouveau tient en ce nouvel
espace de communication suscité par ce
voyage intérieur qu’entreprend l’héroïne.
Son ratage, temporaire, lui ouvre une
nouvelle voie. Il est source de créativité et
dirons-nous même de création littéraire
puisque ce retour mémoriel renouvelle la
tradition culinaire camerounaise et tisse le
syncrétisme de deux cultures propice à la
réconciliation de deux mondes. Au final,
sous l’impulsion du ratage et du fauxdépart, le renouveau prend forme.
Dans Les Honneurs perdus, en nous
donnant une grille de lecture et
d’évaluation différente de celle des
écrivains africains masculins et des
eurocentristes, Beyala renverse les
rapports de domination. En effet, il n’est
plus question ici d’une lecture patriarcale
misogyne, ni de la voix exclusive du
colon qui est souvent travestie. Les
réflexions intimes des personnages nous
sont confiées. Dans l’exercice d’une
redéfinition du moi africain, Beyala s’est
livrée à un voyage intérieur sur la quête
de l’identité féminine dans les sociétés
dominées par le discours patriarcal.
38
TRANSCULTURAL VISIONS VOLUME 3 NUMBER 3
Beyala se fait porte-parole de toutes les
femmes et lance ainsi “le renouveau de la
littérature féminine en Afrique
francophone sub-saharienne” (Gallimore
1997: 7).
La critique Gallimore présente la
relation mère-fille chez Beyala comme
essentiellement conflictuelle, mèredévorante qui exploite ses enfants et
barrière à leur épanouissement. Si cette
analyse se vérifie en partie dans Les
Honneurs perdus, avec une mère en
attente d’un retour financier lorsque sa
fille émigre en France, dans Comment
cuisiner son mari à l’africaine le visage
de la mère est tout autre. Alors que
Gallimore affirme que “les écrits de
Beyala semblent réfuter les thèses de
certaines féministes comme Nancy
Chorodow qui présentent la mère comme
une figure positive par laquelle la fille se
crée en re-créant sa mère” (Gallimore
1997: 81), dans le second roman
exposé, mère et fille sont en symbiose.
Par la réminiscence de ses conversations
avec sa mère, l’héroïne du roman est
énergisée et trouve des solutions à ses
problèmes de cœur. En fait, la mère crée
un nouvel espace de communication au
moyen du renouvellement de la tradition
culinaire camerounaise. Nous adhérons
néanmoins dans une certaine mesure à la
vision de Gallimore qui juge que “Dans
les textes de la romancière, le destin de la
femme n’est plus inscrit au sein de la
collectivité, il n’est plus régi par le groupe
social, il est fondamentalement un destin
individuel. C’est justement ce qui traduit
le renouveau de l’idéologie professée
dans cet univers romanesque” (Gallimore
1997: 83).
Il convient de conclure notre propos en
revenant sur le curieux sort de notre
auteure elle-même, qui prit aussi un
faux-départ, puisqu’elle fut accusée de
plagiat pour Les Honneurs perdus, roman
qui lui valut pourtant le premier prix de
l’académie française en 1996 et lui ouvrit
la carrière que l’on sait. Le parcours des
héroïnes de Beyala, comme sa propre
biographie, insistent sur le destin
individuel de l’héroïne et c’est en tant que
sujet a part entière que la protagoniste
(ou son auteure) trouve dans divers
ratages et mésaventures la matière
première de ses réussites ultérieures. Les
sources des échecs et les ingrédients du
succès sont souvent socio-économicoculturels, mais la synthèse salvatrice – et
créative – est à l’initiative de la
protagoniste agissant en tant que sujet.
Bien sûr, notre brève analyse n’est pas
exhaustive et pourra faire l’objet de
nouvelles recherches, notamment suivant
des approches psycholinguistiques et
stylistiques pour explorer dans ces
domaines les notions de faux-départ et de
renouveau.
FOOTNOTES
1 Voir Flaubert, Madame Bovary ; Zola, Nana ;
Duras, Un Barrage contre le pacifique.
Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857 (Paris
: Broché, 1995) ; Emile Zola, Nana, 1880
(Paris : Broché, 2000) ; Marguerite Duras, Un
barrage contre le Pacifique. (Paris : Gallimard,
1950).
2 Dans de nombreuses universités françaises,
l’enseignement des littératures des anciennes
colonies rencontre encore une certaine résistance.
Les Littératures francophones sont souvent
enseignées uniquement dans les départements de
littérature comparée.
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