L`influence des positions dominantes sur les

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L`influence des positions dominantes sur les
1
UNIVERSITE MONTPELLIER I
CENTRE DE DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE
MASTER 2 Droit Privé Économique
L'INFLUENCE DES POSITIONS DOMINANTES
Sur les marchés non-dominés
Par Pauline PLANCQ
Mémoire réalisé sous la direction de Mme Alexandra PAULS
Doctorante à la faculté de droit de Montpellier
Année universitaire 2013 - 2014
2
La Faculté n'entend donner aucune approbation ni aucune improbation aux opinions
émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
3
REMERCIEMENTS
Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à :
Madame Alexandra Pauls, Doctorante à la Faculté de droit de Montpellier et directrice
de ce mémoire,
Monsieur Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier et directeur
du Master Droit Privé Économique,
Monsieur Malo Depincé, Maître de conférences à la faculté de droit de Montpellier et
directeur du Master Consommation et Concurrence.
4
LISTE DES ABREVIATIONS
ADLC
Aff.
AMN
BOCCRF
Bull. Civ.
Cass. Com.
CA Paris 1ère Ch.
CE
CJCE
CJUE
Comm.
Cons. Conc.
D.
GSK
Ibid
JCP G
LPA
Obs.
Préc.
Rec.
TFUE
TPICE
Autorité De La Concurrence
Affaire
Autorisation de Mise sur le Marché
Bulletin Officiel de la concurrence, de la
consommation et de la répression des
fraudes
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation,
chambres civiles
Chambre commerciale de la Cour de
cassation
1 ère Chambre de la Cour d'Appel de Paris
Communauté Européenne
Cour de Justice de la Communauté
Européenne
Cour de Justice de l'Union Européenne
Commentaire
Conseil de la concurrence
Recueil Dalloz
Laboratoire GlaxoSmithKline
Ibidem ( ici même )
Semaine Juridique édition Générale
Les Petites Affiches
Observation
Précité
Recueil de jurisprudence de la Cour de
Justice des Communautés Européennes
Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne
Tribunal de Première Instance des
Communautés Européennes
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE.................................................................................p.8
PARTIE I : L'EFFET LEVIER DES POSITIONS DOMINANTES.....................p.13
Introduction de la première partie................................................................................p.14
CHAPITRE I. Une qualification d'abus de position dominante légitime.............p.16
Section 1. Une qualification en cohérence avec la politique de concurrence...............p.16
Section 2. Une application manifeste de l'article 102 du TFUE...................................p.21
CHAPITRE II. Une qualification originale d'abus devenue complexe.................p.30
Section 1. L'influence spéciale d'un marché non-dominé dans la qualification
d'abus............................................................................................................................p.30
Section 2. L'émergence d'une « règle de raison » contrariante......................................p39
Conclusion de la première partie...................................................................................p47
PARTIE II : L'EFFET MAGNETIQUE DES POSITIONS DOMINANTES.......p50
Introduction de la seconde partie...................................................................................p51
CHAPITRE I. Une qualification d'abus de position dominante imprévue............p53
Section 1. Une politique de concurrence mitigée à l'égard des effets magnétiques......p53
Section 2. Une qualification écartée par le droit de la concurrence..............................p60
CHAPITRE II. Une qualification d'abus aménagée mais insuffisante...................p67
Section 1. Une admission stricte de la qualification d'abus, pérennisée........................p67
Section 2. Un assouplissement entravé par un juridisme infertile.................................p75
Conclusion de la seconde partie....................................................................................p87
CONCLUSION GENERALE.....................................................................................p87
6
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous
attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre
intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce
n'est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c'est toujours de leur avantage »
Adam Smith
La Richesse des Nations, 1776
7
INTRODUCTION
La position dominante en droit de la concurrence n'est pas définie par les textes
nationaux ni par les textes européens qui condamnent les abus de position dominantes.
La jurisprudence caractérise cette situation comme « une position de puissance
économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au
maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la
possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis à vis de
ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs »1.
Cette indépendance de comportement détenue par l'opérateur, mise en exergue par la
définition de position dominante, ne peut être appréhendée par les Autorités de la
concurrence que grâce au pouvoir de marché de ce dernier.
Le pouvoir de marché de l'opérateur ne peut s'apprécier qu'au sein d'un marché
délimité. Il s'agit dans l'analyse des Autorités de la concurrence du « marché en cause »,
ou du « marché pertinent ».
C'est à partir de l'examen du marché en cause que le pouvoir de marché de l'opérateur
pourra être considéré, et qu'une position dominante sera constatée ou non.
La notion de marché est donc au centre du droit de la concurrence. Selon la
communication de 19972,
elle doit permettre d'établir le cadre dans lequel la
Commission Européenne et les juridictions nationales appliquent la politique de la
concurrence.
Pourtant, au même titre que la position dominante, la notion de marché n'est pas définie
ni par les textes européens, ni par les textes nationaux.
1 CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p. 207, point 65.
2 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit
communautaire de la concurrence, Journal officiel n° C 372 du 9 décembre 1997 p. 0005 – 0013.
8
l'Autorité de la concurrence a néanmoins affirmé dans ses Rapports 3 que « le marché,
au sens où l’entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se
rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique », et la
communication du 9 décembre 1997 de la Commission est venue également préciser
que « le marché en cause dans le cadre duquel il convient d'apprécier un problème
donné de concurrence est déterminé en combinant le marché de produits et le marché
géographique ».
Or, si le marché en cause trouve une définition opportune pour la mise en œuvre des
règles de concurrence, il n'existe aucune indication quant à l'identité de ce marché.
Comment les Autorités de concurrence procèdent-elle au choix de ce marché qui se veut
unique et distinct de tous les autres, pour mettre en œuvre la politique de concurrence ?
La délimitation du marché est essentielle dans l'application des règles de concurrence et
dans l'appréciation de la position dominante des entreprises. Cette notion permet de
caractériser ou non un abus de position dominante avec plus ou moins de facilité. En
effet, plus le marché est largement défini, plus l'opérateur aura la possibilité d'échapper
à une qualification d'abus. Au contraire, un marché trop étroitement délimité offre un
terrain propice aux condamnations.
Mais la question se pose, outre la délimitation, du choix du marché à prendre en
considération pour l'application des règles de concurrence.
Ainsi, la notion de marché constitue un instrument fondamental des règles de
concurrence, qui peut très bien fournir des limites aux objectifs du droit de la
concurrence4. Tant par sa délimitation, que par son identité.
Il est nécessaire donc que l'appréhension du marché en cause dans l'application du droit
de la concurrence recouvre autant que possible la réalité économique.
3 Voir par exemple Rapport annuel pour 1991, p.48.
4 L. VOGEL, « Les limites du marché comme instrument du droit de la concurrence », La semaine
juridique édition générale, n°6, 1994, p.73.
9
Il s'agit de la problématique posée par l'influence des positions dominantes.
L'influence des positions dominantes met en exergue l'appréhension des marchés, et
plus particulièrement consacre l'importance de l'identité du marché pertinent dans la
prise en compte des abus.
Ce phénomène que nous souhaitons étudier afin de relever incidemment le rôle du
marché pertinent dans la qualification d'abus, s'entend de l’interaction des positions
dominantes avec les marchés non-dominés par l'opérateur.
En effet, la position dominante peut influencer les marchés que l'opérateur ne domine
pas. Pour ce faire, ce dernier peut commettre des actes au sein du marché dominé qui
affectent un marché distinct, ou l'opérateur peut encore mettre en œuvre des pratiques
sur un marché distinct, qui doivent être rattachées à la détention de sa position
dominante.
Dans le premier cas, il s'agit de l'influence de la position dominante la plus apparente.
Ce phénomène s'apprécie en tant qu'effet levier de position dominante.
Dans le second cas, l'influence de la position dominante est plus subreptice, mais reste
réelle. Il s'agit d'un effet magnétique de position dominante. Ici, la pratique réalisée sur
un marché distinct par un opérateur en position dominante sera irrésistiblement attirée,
liée, à la domination de ce dernier.
L'étude que nous souhaitons mener propose une réflexion sur le rôle de la délimitation
des marchés dans la qualification d'abus de position dominante, en droit de la
concurrence.
Nous nous sommes concentrés davantage sur l'interaction de la position dominante avec
les marchés distincts.
Ainsi « l'influence » des positions dominantes souligne, selon nous, la frontière
juridique qui existe entre le marché dominé par l'opérateur et les marchés distincts, qui
doit parfois être relativisée.
10
L'interaction entre la position dominante et les marchés distincts se concrétisera dans
cette étude par les effets leviers, et les effets magnétiques de position dominante.
Pour répondre à problématique, c'est à dire celle de l'impact de la délimitation des
marchés dans la qualification d'abus, nous proposons d'appréhender la prise en compte
par la politique et le droit de la concurrence des deux types d'influences de position
dominante possible.
La première partie de ce mémoire sera donc consacrée à l'étude de l'effet levier de
position dominante ( PARTIE I ), et la seconde livrera une analyse sur l'effet magnétique
de position dominante ( PARTIE II ).
Finalement, cette étude a été inspirée par la modernisation du droit de la concurrence
européen, vaste mouvement lancé en 2005, qui confirme l'avènement d'une nouvelle
politique de concurrence clairement dirigée vers les abus d'éviction.
Cette étude trouve également son intérêt dans la constatation d'un phénomène de plus en
plus accru de « super » position dominante. La mondialisation nourrit les opérateurs
économiques puissants, qui occupent désormais des positions dominantes à l'échelle
terrestre. Or, de telles ascensions, dont l'explication qui se fonderait sur une concurrence
par les mérites laisserait à douter, doivent être encadrées encore plus strictement par le
droit de la concurrence pour ne pas que le marché souffre à terme de ces accaparements.
Finalement avant de commencer notre mémoire sur l'influence des positions
dominantes, nous soulignerons afin que le lecteur garde ces remarques à l'esprit, que le
droit de la concurrence se définit comme « les règles qui tendent à préserver la liberté
et l'équilibre de la concurrence des différents acteurs économiques au profit des
consommateurs »5.
Tous les moyens peuvent être mis à disposition des juridictions pour ces fins, grâce à la
discrétion du droit de la concurrence, que nous n'avons d'ailleurs pas manqué de
5 L. NICOLAS-VULLIERME, Droit de la concurrence, Vuibert, collection Dyna'sup droit, 2ème
édition, 2001, paragraphe 16, p.20.
11
rappeler tout à l'heure.
12
PREMIERE PARTIE :
L'EFFET LEVIER DES POSITIONS DOMINANTES
13
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
L'influence des positions dominantes signifie que la détention de celles-ci permet à
l'opérateur de provoquer des effets au-delà du marché qu'il domine.
Le cas de figure le plus simple de l'influence des positions dominantes consiste à ce que
les effets de la domination soient nés de l'exploitation par l'opérateur de sa puissance
économique sur le marché qu'il domine.
Il s'agit d'un effet levier de position dominante.
L'expression « l'effet de levier » revêt plusieurs significations en droit de la
concurrence. Pour la Professeure Catherine Prieto, l'objectif de l'effet levier est
d'acquérir de nouvelles parts de marché6, alors que le Professeur David Bosco considère
plutôt que l'entreprise s'appuie sur sa puissance économique « afin de se comporter de
façon autonome sur le marché accessoire »7.
La doctrine avance également des hypothèses selon lesquelles l'effet de levier en droit
de la concurrence est strictement lié à la théorie des facilités essentielles, ou à la
pratique commerciale controversée des ventes liées.
Dans notre étude, nous nous rallierons à la définition de l'effet de levier donnée par le
Professeur David Bosco. Ainsi nous entendons par l'effet de levier des positions
dominantes, un opérateur en position dominante qui affecte des marchés-non dominés
en profitant de sa puissance économique installée sur le marché dominé.
La notion retenue met donc en exergue l'interaction de la position dominante avec un
« marché accessoire », selon le professeur David Bosco. Néanmoins nous ne nous
limiterons pas à cette seule perspective et envisagerons au lieu du seul marché
accessoire à la position dominante, tous les autres marchés distincts du marché dominé.
6 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.
7 D. BOSCO et C. PRIETO, Droit européen de la concurrence, ententes et abus de position dominante,
Bruylant, collection droit de l'Union Européenne, 2013.
14
L'appréhension du phénomène d'effet levier des positions dominantes recouvre donc
l'étude des abus de position dominante commis par les opérateurs sur les marchés
dominés, qui possèdent des effets sur des marchés distincts. La professeure Marie
Malaurie-Vignal avait d'ailleurs pu mettre en exergue cette catégorie dans ses œuvres8.
L'enjeu de cette première partie est donc de constater comment l'influence des positions
dominantes, lorsqu'elle s'appuie sur l'utilisation d'un effet levier, est encadrée par la
politique et le droit de la concurrence actuels, ainsi que par la pratique jurisprudentielle.
Pour appréhender le phénomène des effets de levier de position dominante sur les
marchés non dominés, nous proposons une lecture en plusieurs temps.
Tout d'abord nous constaterons que l'effet de levier des positions dominantes relève
naturellement d'un abus de position dominante ( I ), mais que, néanmoins, l'originalité
de ces situations impose une grande diligence dans la qualification de l'abus ( II ).
8 M. MALAURIE-VIGNAL, L'abus de position dominante, LGDJ, collection Systèmes, 2003.
15
CHAPITRE I.
UNE QUALIFICATION D'ABUS DE POSITION DOMINANTE LEGITIME
L'effet de levier des positions dominantes est naturellement appréhendé par la politique
de concurrence et le droit de la concurrence car ils répondent à la qualification d'abus de
position dominante.
La politique de concurrence et le droit de la concurrence ne sont pas en effet
synonymes, et il s'avère donc important de constater la convergence de la théorie de la
concurrence ( Section 1 ) et du formalisme de la concurrence ( Section 2 ), dans le
domaine des effets leviers de position dominante.
Section 1. Une qualification en cohérence avec la politique de concurrence
Les politiques de concurrence européenne et française ont pour objectif de protéger le
marché afin de servir in fine les intérêts des consommateurs. Elles promettent d'une part
la liberté de marché, mais imposent d'autre part une concurrence qui ne soit pas faussée.
La politique de concurrence réprime donc, dans cette optique, les comportements des
opérateurs économiques affectant le marché, tout en conversant avec la liberté des
entreprises.
Dans cette optique, la politique de la concurrence s'adresse aux opérateurs en position
de puissance économique, du fait qu'ils sont susceptibles d'altérer la concurrence sur le
Marché intérieur. Il s'agit de la mise en place d'une répression des abus de position
dominante, dont font partie intégrante les effets levier.
Cette répression diffusée par les politiques de concurrence de l'Union Européenne et
Française s'articule autour d'un compromis entre la régulation, qui sanctionnerait les
effets leviers ( §1 ), et le libéralisme économique, qui tolérerait ce phénomène ( §2 ).
16
§1. Une lutte politique fondamentale contre les effets leviers
La politique européenne et française de concurrence sont animées par la doctrine de
l'ordolibéralisme, issue de l'Allemagne de l'après-guerre.
Selon cette doctrine, la préservation d'une structure concurrentielle des marchés est un
objectif primordial, et l'accaparement de l'accès au marché par de gros opérateurs
économiques doit être évité. L'entreprise dominante doit en effet laisser un degré
suffisant de concurrence sur les marchés pour que celle-ci soit efficace.
Il existe donc au sein de la politique de concurrence européenne et française, une
certaine contestation des positions dominantes.
L'ordolibéralisme de nos politiques de concurrence se concrétise notamment par la
fameuse « responsabilité particulière » des opérateurs en position dominante.
Ainsi, selon la jurisprudence de la Commission Européenne et de la Cour de Justice de
l'Union Européenne, « la constatation de l'existence d'une position dominante
n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise concernée, mais signifie
seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d'une telle position, une
responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective »9.
La politique européenne et française de concurrence sanctionnent donc des atteintes à la
concurrence formées par des opérateurs en position dominante, qui ne seraient pas
considérées comme telles si elles avaient été réalisées par de banals concurrents.
La Commission Européenne a en effet précisé qu' « elle n'exigeait pas qu'il y ait un lien
nécessaire entre la position dominante de l'entreprise considérée et la possibilité de
mise en oeuvre de la pratique »10.
9 CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, Rec. CJCE 1983, p. 346, point 57.
10 Rapport de la Commission Européenne sur la politique de concurrence pour 1985, p. 23.
17
Il faut remarquer que l'atteinte à une concurrence effective, condamnée par la politique
de concurrence, s'apprécie le plus souvent en pratique par une tentative d'éviction
formée par l'opérateur en position dominante de ses concurrents, à des fins
d’accaparement des marchés. Il s'agit d'ailleurs des abus considérés comme les plus
dangereux, et qui constituent donc la priorité de l'action de la Commission
Européenne11.
Or, la mise en œuvre d'un effet de levier par un opérateur en position dominante a
justement pour finalité principale de réserver à l'opérateur un marché en amont ou
en aval de sa position dominante. En cela, les effets leviers des positions dominantes
possèdent des conséquences nocives sur le marché et constituent incontestablement des
tentatives d'éviction concurrentielles.
Elles sont donc combattues par la politique de concurrence européenne et française,
d'après les orientations de celles-ci.
Ainsi, la politique de la Commission encadre indirectement les effets de levier des
positions dominantes, en ce qu'ils s'apprécient comme des abus d'éviction.
Il faudra donc retenir que la politique européenne et française de concurrence s'attachent
profondément à lutter contre les abus d'évictions que constituent l'effet levier des
positions dominantes.
Néanmoins, cette politique ne s'avère pas aussi homogène que ce premier constat le
laisse croire. La politique de concurrence européenne et de la France connaissent en
effet un « dédoublement » doctrinal, qui pourrait nuancer l'affirmation selon laquelle
l'effet levier des positions dominantes est strictement combattu par la politique de
concurrence.
11 Ainsi, dans la communication de la Commission - « Orientations sur les priorités retenues par la
Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des
entreprises dominantes » - Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7, il est
affirmé que l'objectif de la politique de concurrence européenne est « de faire en sorte que les
entreprises dominantes n'entravent pas le libre jeu de la concurrence en évinçant leurs concurrents
par des pratiques anticoncurrentielles, en ayant de ce fait un effet défavorable sur le bien-être des
consommateurs ».
18
§2. Une lutte nuancée par les économistes
Les Autorités européennes et françaises condamnent donc les effets levier des positions
dominantes en raison de leurs effets d'éviction sur le marché, mais cette lutte rencontre
des limites. Ces dernières sont fixées par la nouvelle mouvance économique qui affecte
les institutions européennes et françaises.
Comme il l'a été reproché à l'ancienne politique de concurrence américaine, la politique
européenne s'est en effet exposée à de vives critiques de la part des économistes, du fait
qu'elle privilégiait les concurrents et contestait les grands opérateurs des marchés.
Assez succinctement, la politique de concurrence américaine privilégiait aux origines
les concurrents faibles, et les protégeait des concurrents les plus forts. Il s'agit là même
de la raison d'être de l'avènement du droit « Antitrust », symbolisé par la promulgation
du Sherman Act en 1890.
Or, l'école de Chicago a renversé cette position dans les années quatre-vingt, en
soulignant la nécessité de laisser croître le marché sans intervention de l'Etat, et de
stopper toute protection des petits concurrents afin de faire bénéficier le consommateur
des résultats des pratiques concurrentielles.
Cette mutation de la politique américaine a affecté la politique de concurrence
européenne et française. Selon la professeure Catherine Prieto 12 en effet, les États-Unis
et les grands opérateurs économiques ont fait le reproche aux institutions
communautaires de protéger les concurrents et non la concurrence, et ces dernières y ont
été sensibles.
De plus, la mondialisation a conduit logiquement les Autorités européennes et
américaines à s'entendre sur le sens à donner à leur politique de concurrence, en faveur
donc d'une influence américaine, considérés comme les pionniers de l'Antitrust, sur la
politique de l'Union Européenne13.
12 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.
13 D. J-BERGER, « Les doctrines européenne et américaine du droit de la concurrence », in La
modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, collection Droit & Economie, 2006, p.117.
19
La Commission a ainsi renversé l'impression d'une politique de concurrence dirigée vers
la protection des concurrents, en affirmant que l'enjeu de sa politique consistait bien
dans la protection finale du consommateur.
Ainsi, dans sa communication en date de février 2009 14, la Commission a expressément
recentré sa politique autour du bien-être du consommateur, dans le but de rasséréner les
inquiétudes et les critiques qui étaient développées contre elle.
La Commission Européenne affirme ainsi qu' « en appliquant l'article 82 aux pratiques
d'éviction des entreprises en position dominante, la Commission visera en particulier
celles qui sont les plus préjudiciables aux consommateurs » et qu'elle « n'ignore pas
que l'important est de protéger l'exercice d'une concurrence effective et non de protéger
simplement les concurrents ».
Il faut donc s'attendre à une évolution de plus en plus affirmée de la politique de
concurrence européenne et française, qui tend désormais plus à favoriser les opérateurs
en situation de puissance économique qu'auparavant, en rejetant la protection des
concurrents.
Nous avons donc pu constater que les politiques de concurrence de l'Union Européenne
et de la France envisageaient les hypothèses d'effet de levier des positions dominantes,
et qu'elles les appréciaient même comme une de leurs priorités, en raison des effets
d'éviction que suppose ce phénomène sur le marché.
Il s'agit désormais de confirmer que cette politique, réprimant en théorie les effets levier
de position dominante, est effectivement mise en œuvre par le droit de la concurrence
formel.
14 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour
l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises
dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.
20
Section 2. Une application manifeste de l'article 102 du TFUE
La politique de concurrence européenne et française se concrétisent formellement par
l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, ainsi que par
l'article L420-2 du Code de commerce.
Néanmoins, du fait de la similarité entre le texte européen et le texte français, nous nous
appuierons uniquement sur le Traité européen dans cette étude.
La politique de concurrence se concrétise d'autre part par la jurisprudence fondatrice
issue de l'application de l'article 102 du Traité de Lisbonne.
La mise en œuvre de la politique de concurrence passe ainsi logiquement par la
constatation de l'adéquation du texte du traité avec cette dernière ( §1 ), mais surtout par
la constatation de son adéquation avec la jurisprudence européenne originelle ( §2 ).
§1. Confortée par la discrétion du texte formel
L'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne
devrait donc s'appliquer aux effets levier de position dominante, au regard du signal
donné par la politique de concurrence.
Cet article, anciennement article 86 et 82 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne, dispose que : « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans
la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait
pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante
sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».
21
Ainsi, pour mettre en œuvre l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne, il est nécessaire de réunir quelques critères.
Le texte exige en effet pour son application une exploitation abusive d'une position
dominante sur le marché dominé ( 1 ), qui affecte la concurrence entre Etats-Membres
( 2 ).
1. L'exploitation abusive d'une position dominante
Nous avons déjà défini l'effet de levier des positions dominantes par le phénomène où
un opérateur en position dominante utilise sa puissance économique sur le marché qu'il
domine, pour affecter des marchés non-dominés.
Ainsi, selon notre définition, un effet levier d'une position dominante admet
systématiquement l'exploitation d'une position dominante, localisée sur le marché
dominé.
L'effet de levier des positions dominantes serait donc encadré par le texte, à condition,
bien sûr, que l'exploitation par l'opérateur de sa position dominante soit « abusive »,
mais là encore, rien n'est précisé par l'article 102 du Traité de Lisbonne.
Le texte subordonne également son application lorsque le commerce entre EtatsMembres se retrouve affecté par les agissements abusifs de l'opérateur en position
dominante.
2. La nécessité d'une affectation du marché
L'effet levier de la position dominante doit provoquer des effets sensibles sur le
commerce entre Etat-Membres afin de pouvoir être saisi par les Autorités. Néanmoins,
selon l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, ces effets
peuvent être concrets ou seulement potentiels.
22
Le texte admet donc très largement la répression des abus de position dominante,
puisque l'utilisation abusive d'une position dominante implique naturellement
l'affectation du marché, et qu'au surplus, ces effets peuvent être seulement présumés.
Le seul obstacle à la qualification d'abus d'un effet levier consiste dans la pertinence de
la localisation de l'affectation du marché. L'effet levier, en effet, peut influencer
seulement le marché qui n'est pas dominé par l'opérateur, et demeurer au contraire sans
effets sur le marché dominé.
Or, sur ce point, il est nécessaire de faire remarquer que l'article 102 du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne n'exige en aucun cas que les effets de l'abus
soient relevés sur le marché dominé. Il suffit, plus largement, que « le marché intérieur
ou une partie substantielle de celui-ci » soient « affectés » par l'exploitation abusive par
l'opérateur de sa position.
Ainsi, les Autorités qui ont eu pour la première fois à se saisir d'un tel phénomène ont
pu s'exclamer qu'« il ne fait aucun doute qu'un abus de position dominante sur un
marché peut être condamné en raison d'effets qu'il produit sur un autre marché »15.
En théorie, tout semble donc indiquer que les effets levier des positions dominantes
relèvent de l'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne.
Le texte paraît même traiter spécialement d'une de ces hypothèses : l'article 102,
paragraphe 2-d du Traité de Lisbonne anticipe en effet certaines catégories d'abus fondé
sur un effet levier, dont notamment la pratique de la vente liée 16. Cette pratique est en
effet symptomatique d'un effet levier.
15 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroport de Paris/Commission, aff. T-128/98, Rec. CJCE
3929, point 164.
16 L'article 102 paragraphe 2-d du Traité de Lisbonne inclut dans les pratiques qu'il
« subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de
supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien
de ces contrats ».
2000, II, p.
interdit, de
prestations
avec l'objet
23
Les rédacteurs du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne ont en vérité
volontairement offert un champ d'application large à l'article, et ce à des fins
téléologiques.
Par exemple la notion d'exploitation abusive n'est pas précisément définie dans le traité,
et reçoit une définition par illustrations jurisprudentielles. La Commission a en effet
déjà pu affirmer que
l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne énumère un certain nombre de pratiques abusives qu'elle interdit mais
« qu'il s'agit d'une énumération à titre d'exemple qui n'épuise pas les modes
d'exploitation abusive de position dominante interdits par le traité »17.
C'est donc la jurisprudence européenne qui encadre réellement la mise en œuvre de
l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Il nous faut donc
l'apprécier afin de constater ou non la prise en compte réelle des effets levier de position
dominante en droit de la concurrence.
§2. Précisée par la jurisprudence
La jurisprudence a ménagé la discrétion laissée par l'article 102 du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne, ou sa sévérité, en aménageant plusieurs
conditions à la qualification d'abus fondé sur un effet levier.
Comme il l'a déjà été fait remarquer, il existe plusieurs sortes de pratiques mises en
œuvre par les opérateurs en position dominantes, qui constituent des effets leviers.
Chacune de ces pratiques ont reçu des conditions supplémentaires à la qualification
d'abus de position dominante. Nous pouvons ainsi relever deux catégories d'effet levier
dont la qualification est conditionnée par la jurisprudence : celui fondé sur des ventes
liées ( 1 ) et ceux fondés sur un refus de contracter ou pratiques s'y apparentant ( 2 ).
17 CJCE, 21 février 1973, Continental Can/Commission, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215
24
1. L'effet levier fondé sur des ventes liées
Les ventes liées, ou pratique de couplage, constituent un effet levier de la part des
opérateurs en position dominante car ils permettent de lier l'achat d'un produit ou
service à un second. L'opérateur en position dominante souhaite donc par la mise en
œuvre de ces pratiques se réserver un marché, et évincer finalement ses futurs
concurrents.
Les ventes liées sont néfastes pour les consommateurs car elles les privent de choix,
mais le sont tout autant pour les concurrents, car elles subtilisent leur clientèle. Ces
pratiques sont donc expressément visées dans l'article 102-2-d du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne.
Toutefois, malgré cette nocivité apparente, elles peuvent être tolérées par les Autorités
de la concurrence et ne pas constituer un abus de position dominante, à certaines
conditions.
Selon la doctrine en effet, dont notamment l'école de Chicago dont nous avions mis en
exergue leur faveur pour les effets leviers, les ventes liées procurent des effets proconcurrentiels, tel que l'enrichissement du produit initial en faveur du consommateur et
des gains d'efficience, en faveur de l'opérateur en position dominante lui-même.
Ainsi selon l'article 102-2-d la présence d'un lien suffisant entre le produit liant et le
produit lié ou la constatation d'usages commerciaux justificatifs permet de faire
échapper l'effet levier de la qualification d'abus.
Néanmoins, si la pratique de vente liée peut théoriquement échapper à la qualification
d'abus en s'appuyant sur la réunion de ces critères, la jurisprudence européenne a déjà
pu s'écarter du texte du Traité en ignorant ces-dites conditions contenues dans l'article
102, et en les considérant facultatives. Il s'agit de l'arrêt du 14 novembre 1996 Tetra
Pak18.
18 CJCE, 14 nov. 1996, TetraPak/Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I, p. 5961.
25
En l'espèce, Tetra Pak, qui détenait une position dominante sur le marché du
conditionnement aseptique, se réservait le marché du conditionnement non aseptique en
liant la vente de ses machines d'emballages à ses propres cartons non aseptiques.
L'opérateur se défendait que le carton et les machines de conditionnement vendus
possédaient un lien naturel, et que ce couplage de vente était conforme aux usages
commerciaux. La Cour de Justice écarta ces arguments en opposant sa liberté d'action
dans l'appréciation d'abus, qu'elle caractérisa en l'espèce19.
Ainsi la qualification d'abus d'effet levier de position dominante fondé sur une pratique
de couplage peut se heurter à des critères expressément inscrits au sein de l'article 102
du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, mais cet obstacle est à
relativiser compte tenu de la pratique jurisprudentielle.
Il existe d'autres pratiques relevant d'un effet levier de position dominante dont la
qualification en abus s'oppose à des conditions particulières, distinctes de tous les autres
abus.
2. L'effet levier fondé sur un refus de contracter
Le refus de contracter constitue un abus d'effet levier de position dominante du fait de
l'impossibilité pour le concurrent d'obtenir un produit ou un service indispensable à son
activité, qui détenu par l'opérateur en position dominante. L'opérateur en position
dominante peut ainsi affecter le marché de ce contractant en l'évinçant progressivement
du marché, dans le dessein d'étendre sa puissance économique ou la renforcer.
Le refus de contracter relève de la liberté contractuelle, qui implique que chacun puisse
accepter ou refuser de contracter, même lorsque l'opérateur est en position dominante.
Néanmoins, lorsque le refus de contracter de l'opérateur en position dominante porte sur
19 « La liste des pratiques abusives établie à l'article 86 du traité n'est pas limitative ; en conséquence,
même lorsque la vente liée de deux produits est conforme aux usages commerciaux ou lorsqu'il existe
un lien naturel entre les deux produits en question, un abus peut être constitué, à moins que la
pratique ne soit objectivement justifiée », point 37 de l'arrêt précité.
26
des « installations essentielles », les Autorités de la concurrence peuvent alors forcer
l'opérateur condamner son refus de fourniture.
Ainsi l'arrêt Bronner20 est venu encadrer plus étroitement la qualification d'abus du refus
de contracter des positions dominantes. Cette jurisprudence limite la qualification d'abus
à la réunion de trois conditions cumulatives.
Le défaut d'une seule peut donc faire échapper l'opérateur à une condamnation.
Ces conditions sont que le bien ou service en question est indispensable pour les
concurrents et que le refus doit éliminer la concurrence sur un marché dérivé distinct.
Finalement le refus ne doit pas pouvoir être justifié objectivement.
La qualification d'un abus fondé sur un refus de contracter peut également être
complexifiée par l'intervention de droits intellectuels. Ceux-ci protègent en effet
l'innovation issue des mérites de l'opérateur et confèrent à ce dernier une jouissance
exclusive.
L'arrêt « Magill »21 vient donc restreindre un peu plus la possibilité de qualifier l'effet
levier de position dominante fondé sur un refus de contracter, en exigeant l'existence de
« circonstances exceptionnelles ».
En l'espèce, des sociétés de télédiffusion irlandaises refusaient de communiquer leurs
grilles de programme à une société qui souhaitait publier un guide hebdomadaire
global, car celle-ci aurait fait concurrence à leurs propres guides individuels.
Pour que l'abus soit admis, la Commission exige alors que les trois critères de l'arrêt
Bronner soient réunis, avec la condition supplémentaire que ce refus de contracter
devait faire obstacle à l'apparition d'un produit nouveau.
20 CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner GmbH & Co. KG/Commission, aff. C-7/97, Rec. CJCE
1998, I, p. 7791.
21 CJCE, 6 avril 1995, Magill/Commission, aff. C-241/91, Rec. CJCE 1995, I, p. 743.
27
La jurisprudence est donc plus sévère pour qualifier en abus un refus de contracter, car
on considère que les entreprises peuvent être découragées d'innover si la Commission
accentue son interventionnisme. Les conditions qu'elle pose à cette qualification sont
encore plus exacerbées lorsqu'il s'agit d'un refus fondé sur un droit intellectuel.
Toutefois, en pratique, cette tolérance du refus de contracter n'empêche pas
systématiquement les condamnations des opérateurs en position dominante, comme par
exemple celle emblématique de la société Microsoft en 2007 par la Commission
Européenne, et même celle de Magill, dans l'arrêt précité.
Finalement, il existe différents tests de prix qui doivent être mis en œuvre par les
Autorités de la concurrence en présence d'un effet levier fondé sur une pratique de prix.
Ainsi la qualification en abus d'une pratique de prédation ou de ciseau tarifaire
dépendra du résultat obtenu au test du coût marginal moyen à long terme, appelé
également test du concurrent aussi efficace.
Il est nécessaire de conclure qu'en dépit de la discrétion laissée par l'article 102 du Traité
sur le Fonctionnement de l'Union Européenne dans la qualification d'abus de position
dominante, il existe des conditions plus fermes pour ceux fondés sur certains effets
levier de position dominantes. Ces critères ont été relevés au sein du Traité de Lisbonne
pour des hypothèses spéciales, et également au sein de la jurisprudence.
Néanmoins, ces critères sont précautionneusement analysés par les Autorités de
concurrence dans chaque espèce et conduit ainsi pour la plupart à la condamnation de
l'opérateur en position dominante.
Nous avons donc pu constater que les effets levier de position dominante pouvaient
légitimement être qualifiés d'abus au sens de l'article 102 du Traité sur le
fonctionnement de l'Union Européenne. Cette qualification peut parfois exiger des
conditions supplémentaires, selon la nature de l'effet levier relevé.
28
Ainsi, le droit de la concurrence est bel et bien conforme à la politique de concurrence
que nous avons rappelée précédemment.
Il s'agit désormais d'appréhender la spécificité des phénomènes des effets de levier des
positions dominantes, afin de mettre en exergue le rôle de la délimitation des marchés
dans la qualification d'abus.
29
CHAPITRE II.
UNE QUALIFICATION ORIGINALE D'ABUS DEVENUE COMPLEXE
Si nous avons constaté dans une première partie que les effets levier de position
dominante relevaient légitimement de l'application de la politique de concurrence et de
sa mise en application, il s'avère que l'originalité de ce phénomène peut s'opposer en
pratique à la qualification d'abus de position dominante et à la condamnation de cette
pratique. Les abus fondés sur des effets levier ne s'apprécient pas en effet comme de
simples abus d'exploitation, qui traduisent des « rentes de situation », mais mettent en
exergue l'intervention d'un marché non-dominé.
Au surplus de l'originalité de l'abus fondé sur un effet levier de position dominante, il
s'avère que cette qualification devra s'appuyer sur la nouvelle analyse économique des
Autorités de la concurrence. Cette nouvelle approche est alors susceptible de remettre
en question la qualification d'abus des effets leviers.
Il faut donc rendre compte d'une part de l'influence d'un marché-non dominé dans le
processus de qualification d'abus, qui soulève la problématique d''une mutation des
règles de concurrence ( Section 1 ), et d'autre part, il faut remarquer que la qualification
d'abus des effets levier pourrait souffrir de la nouvelle flexibilité de la politique de
concurrence ( Section 2 ).
Section 1. L'influence spéciale d'un marché non-dominé dans la qualification
d'abus
L'appréhension des marchés-non dominés par l'opérateur en position de puissance
économique intervient dans le processus de qualification d'abus de position dominante
lors de la prise en compte de l'abus de position dominante.
30
Toutefois cette prise en compte reste originale, du fait de la localisation des effets du
comportement de l'opérateur en position dominante sur un marché distinct de celui qu'il
domine.
Cette spécificité conduit d'une part à l'admission de l'infraction d'abus de position
dominante fondé sur un effet levier ( §1 ), qui entraîne un aménagement surprenant de
l'appréhension même des marchés par les Autorités de concurrence ( §2 ).
§1. Admission contestée de l'abus fondé sur un effet levier
Le fameux arrêt Zoja de 197422 est l'un des premiers à consacrer la possibilité de
condamner un abus de position dominante fondé sur un effet levier en prenant
expressément en compte l'affectation du marché non-dominé.
La Cour déclare opportunément ici que le marché des produits dérivés, en l'espèce un
marché en aval de la position dominante, doit en effet être pris en compte afin de
constater les effets de l'exploitation abusive de la position dominante.
En l'espèce, la Commission avait considéré que l'opérateur Zoja s'était réservé le marché
en aval du marché où il détenait sa position dominante.
Selon cet arrêt en effet, « il s'ensuit que le détenteur d'une position dominante sur le
marché des matières premières qui dans le but de les réserver à sa propre production
des dérivés, en refuse la fourniture à un client, lui-même producteur de ces dérivés au
risque d'éliminer toute concurrence de la part de ce client, exploite sa position
dominante d'une façon abusive au sens de l'article 86 »23.
Néanmoins cette qualification d'abus ne modifie pas pour autant l'ordonnancement de
l'analyse de la Commission Européenne.
Ainsi, la juridiction précise que l'appréhension du marché non-dominé est « sans
relevance en ce qui concerne la détermination du marché à prendre en considération
22 CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I. 223.
23 Arrêt précité, point 25.
31
pour la constatation d'une position dominante », et que par conséquent la considération
du marché non-dominé n'intervient bien « qu'afin de déterminer les effets du
comportement » de l'opérateur en position dominante.
L'arrêt Télémarketing, ou « CBEM », du 3 octobre 198524 se révèle lui aussi intéressant
du fait qu'il consacre l'abus de position dominante fondé sur un effet levier, lors d'une
question préjudicielle posée à la Cour de justice de l'Union Européenne.
Cette dernière était en effet de « savoir si le fait, pour une entreprise détenant une
position dominante sur un marché donné, de se réserver ou de réserver à une entreprise
appartenant au même groupe ( … ) une activité auxiliaire (…) sur un marché voisin
mais distinct, constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 ».
L'arrêt Zoja avait ainsi pu admettre cette infraction dans son espèce, mais l'arrêt CBEM
a le mérite de rattacher objectivement cette qualification d'abus à l'article 102 du Traité
sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. L'arrêt CBEM précise également que
cette qualification d'abus peut s'appliquer à une pratique commise sur le marché dominé
de l'opérateur qui constitue un service indispensable pour l'opérateur présent sur le
marché affecté par la pratique. Ainsi l'hypothèse d'abus fondé sur un effet levier n'est
pas réservée aux pratiques qui connaissent des effets sur les marchés dérivés, mais
s'applique plus généralement aux marchés en amont.
Il est donc nécessaire que les marchés présentent un certain lien de connexité.
La Cour de Justice de l'Union Européenne répond donc par l'affirmative à la question
préjudicielle posée, à l'appui de la jurisprudence Zoja. La prohibition des effets leviers,
lorsqu'ils ont pour dessein de réserver un marché à l'opérateur en position dominante,
est consacrée en tant que nouvelle application jurisprudentielle de l'article 102 du Traité
sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.
Toutefois, cette nouvelle application jurisprudentielle a bien sûr été logiquement
contestée par les opérateurs en position dominante. Surtout lorsque l'opérateur en
question ne cherchait pas, par la mise en œuvre de son effet levier, à se réserver le
24 CJCE, 3 octobre 1985, Centre belge d'études de marché contre Compagnie luxembourgeoise de
Télédiffusion, aff. 311/84, Rec. CJCE 2006, I, p. 3261.
32
marché aval de celui qu'il domine.
Ce fut par exemple le cas dans la jurisprudence Aéroports de Paris, du 12 décembre
200025. En l'espèce l'Aéroport de Paris avait utilisé sa position dominante d'exploitant
des aéroports parisiens pour imposer des redevances commerciales discriminatoires aux
opérateurs des marchés en aval, afin de renforcer sa position dominante sur le marché
dominé.
L'opérateur en position dominante conteste la qualification d'abus, car les effets
anticoncurrentiels des redevances en cause sont caractérisés sur des marchés ( celui des
compagnies aériennes et celui des prestataires de services d'assistance en escale ) sur
lesquels il n'était pas présent.
Or, la juridiction lui répond opportunément qu'au regard de la jurisprudence Zoja et
Télémarketing précitées, « il ne fait aucun doute qu'un abus de position dominante sur
un marché peut être condamné en raison d'effets qu'il produit sur un autre marché ».
La juridiction objectivise donc davantage l'abus fondé sur un effet levier, car celui-ci ne
nécessite pas que l'opérateur cherche à se réserver un marché, il suffit de constater que
la structure du marché intérieur soit affectée par la pratique de l'opérateur. Ainsi, il
importe peu que « le requérant souligne n'avoir aucun intérêt à fausser le jeu de la
concurrence sur les marchés des services d'assistance en escale et des services de
transports sur lesquels il n'est pas présent ».
La Commission rappelle donc que « la notion d'exploitation abusive est une notion
objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de
nature à influencer la structure d'un marché », et en l'espèce, elle rallie la pratique de
l'opérateur Aéroports de Paris à un renforcement de position dominante. Or selon la
jurisprudence Continental Can de 197326, cette pratique peut être abusive « quels que
soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet, même en dehors de toute faute ».
Ainsi, la Cour avait déclaré dans cet arrêt que « le problème du lien de causalité entre la
position dominante et son exploitation abusive ne revêt pas d'intérêt ».
25 TPICE, 12 décembre 2000, Aéroport de Paris/Commission, aff. T-128/98, Rec. CJCE 2000, II, p.
3929.
26 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.
33
Finalement, il apparaît après analyse de la jurisprudence postérieure aux arrêts Zoja et
Télémarketing, qui consacrent la qualification d'abus de position dominante des effets
levier, que les juridictions requièrent constamment une certaine connexité entre le
marché où la position dominante est localisée, et entre le marché affecté par la pratique.
Ainsi, dans l'arrêt Irish sugar du 7 octobre 199927, le Tribunal de Première Instance de
la Communauté Européenne déclare que :
« relève de l'article 86 l'octroi, par une entreprise détenant une position dominante sur
le marché du sucre industriel, de remises de prix discriminatoires à ses clients, selon
que ces derniers sont ou non des emballeurs de sucre concurrents de celle-ci sur le
marché du sucre destiné à la vente au détail, dans la mesure où, d'une part, il existe une
connexité indéniable entre les marchés du sucre industriel et du sucre destiné à la vente
au détail ( …) ».
L'arrêt British Airways du 17 décembre 200328 confirme cette impression, et déclare que
« un abus de position dominante commis sur le marché sectoriel dominé mais dont les
effets se font sentir sur un marché distinct où l'entreprise concernée ne détient pas de
position dominante peut relever de l'article 82 CE pour autant que ce marché distinct
soit suffisamment connexe au premier »29.
Nous retiendrons donc que la mise en œuvre d'un effet levier par un opérateur en
position dominante, affectant les marchés non-dominés, constitue une pratique
originale30, qui ne se heurte pas à la qualification d'abus. Toutefois, cette spécificité
reconnue par les Autorités de la concurrence impose qu'une relation puisse être établie
entre ces derniers et le marché dominé par l'opérateur.
Selon un raisonnement a contrario donc, un marché dont la proximité avec le marché
27 TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar c/ Comm., aff. T-228/97, Rec. CJCE 1999, II, p. 2969.
28 TPICE, 17 décembre 2003, British Airways contre Commission, aff. T-219/99, Rec. CJCE 2003, II, p.
5917.
29 Arrêt précité, point 127.
30 Ainsi l'arrêt Irish Sugar reconnaît la spécificité des abus fondé sur un effet levier : l'originalité de la
pratique en cause est d'avoir été commise sur le marché du sucre industriel et de sortir ses effets
anticoncurrentiels sur le marché du sucre destiné à la vente au détail, sur lequel la requérante et ses
clients emballeurs de sucre sont concurrents. Cette particularité n'exclut pas l'application de l'article
102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.
34
dominé de l'opérateur n'est pas suffisamment établie pourrait permettre à l'exploitation
abusive de la position dominante d'échapper à une condamnation. Il nous semble que les
juridictions limitent strictement la notion d'exploitation abusive d'une position
dominante, déjà citée.
En tout état de cause, la qualification du marché affecté par la pratique revêt un enjeu
important, d'où certainement l'évolution et la complexification dans l'analyse des
Autorités de la concurrence européenne et française de la notion de marché.
§2. Aménagements opportuns de la notion de marché
Dans la jurisprudence Zoja de 197531, la Commission avait constaté la position
dominante d'Istuto et de CSC sur le marché des matières premières utilisées pour la
fabrication de l'éthambuthol, dans le secteur pharmacologique. La Commission avait
retenu que l'exploitation abusive de cette position dominante avait provoqué des effets
au sein du marché des produits dérivés, c'est-à-dire le marché de l'éthambutol.
Or, l'opérateur en position dominante se défend que le marché de l'éthambutol existe. Ce
dernier ferait en effet partie de celui des médicaments anti-tuberculeux, beaucoup plus
large. Ainsi le marché de l'éthambutol ne pouvant être appréhendé, il serait impossible
de construire un marché séparé des matières premières pour la fabrication de ce produit
dérivé.
L'enjeu est ici important. Si l'éthambutol ne pouvait constituer à lui seul un marché, et
que ce produit s'incorporait au sein du marché des médicaments anti-tuberculeux, alors
l'effet d'éviction provoqué par l'opérateur en position dominante n'aurait jamais pu être
retenu.
31 CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I. 223.
35
La Cour de Justice de l'Union Européenne, qui contrôle le raisonnement de la
Commission dans sa décision de 1972, admet ainsi que la mise en exergue du marché de
l'éthambutol « est de nature à permettre une meilleure appréciation des effets de
l'infraction alléguée »32.
L'argumentation de la Juridiction révèle assez bien l'importance de délimiter les
marchés qui gravitent autour de la position dominante de l'opérateur, et de procéder à
une certaine flexibilité dans cette appréhension. Ainsi, lorsqu'elle admet l'infraction
fondée sur un effet levier de position dominante en des termes généraux 33, elle précise
auparavant que « contrairement aux thèses des requérantes, il est possible de distinguer
le marché des matières premières nécessaires à la fabrication d'un produit et le marché
sur lequel ce produit est écoulé », et en même temps, admet « même si le marché des
dérivés ne constitue pas un marché en soi ».
Une souplesse dans délimitation des marchés s'avère donc indispensable pour
considérer la nocivité de l'abus fondé sur un effet levier. Ainsi, un marché distinct de
celui sur lequel est localisé la position dominante trop largement délimité pourrait faire
échapper l'abus à une condamnation, la tentative d'éviction ne pouvant pas être assez
caractérisée. Ainsi, selon notre raisonnement, si la Commission n'avait pas retenu
l'existence du marché dérivé de l'aminobuthanol et avait retenu celui des médicaments
anti-tuberculeux, la décision aurait certainement été différente.
S'explique alors le raisonnement de la Commission dans l'arrêt, qui affirme justement
que « pour faire constater les effets du comportement litigieux, il est justifié de
considérer que l'éthambutol a son propre marché ».
Dans l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 22 février 200534, la société Decaux possédait
une position dominante sur le marché du mobilier urbain et proposait des prix
discriminatoires affectant le marché de la publicité extérieure, dans le but d'évincer un
32 Arrêt précité point 21.
33 Nous avons constaté précédemment cette admission. Dans l'arrêt Zoja, la Cour de Justice déclare en
effet qu'« un abus de position dominante sur le marché des matières premières peut donc avoir des
répercussions restrictives sur la concurrence dans le marché où s'écoulent les produits dérivés, qui
sont à prendre en considération dans l'appréciation des effets de l'infraction », arrêt précité, point 22.
34 CA Paris, 1ère Ch., 22 février 2005, Decaux, Concurrences, 2-2005, p.54.
36
concurrent.
Cet arrêt est intéressant en ce que la Cour d'appel de Paris précise qu'une fois le marché
affecté par l'effet levier de la position dominante est considéré comme un marché
« aval » de celui dominé par l'opérateur, ce dernier ne peut plus contester le lien de
connexité entre ces deux35.
Cette remarque est importante, car l'infraction est dans une certaine mesure appréciée
per se. Les effets anticoncurrentiels de la pratique d'éviction sont en effet présumés, au
regard de la relation de proximité qu'entretient le marché distinct et le marché dominé
par l'opérateur en position dominante.
Finalement, les juridictions qualifient les marchés non-dominés par l'opérateur en
position dominante de marchés « distincts », même si ces derniers sont étroitement liés.
Elles retiennent également la qualification de marché connexe, de marché primaire,
secondaire, amont ou aval voire de sous-marché. Il n'existe aucune définition donnée
par les Autorités de la concurrence. Elles utilisent ces dénominations sans pour autant
exposer les raisons de ce choix. En réalité, les différentes catégories de marché que nous
venons de citer trouvent leur source en économie, mais le manque de précision dont fait
preuve les institutions de la concurrence laisse craindre pour la sécurité juridique des
opérateurs économiques.
Cette remarque est d'autant plus vraie que ces notions ont vocation à s'incorporer au sein
d'une ultime notion de marché : celle de marché en cause ou de marché pertinent, qui,
cette fois-ci, relèvent exclusivement du droit de la concurrence et non plus du domaine
économique. Dans le cadre de l'article 102 du traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne en effet, la notion de marché pertinent ou de marché en cause recouvre le
marché pris en compte par les Autorités de la concurrence pour l'établissement des
abus de position dominante36.
35 Selon l'arrêt précité : « considérant que c'est en vain que la société JC Decaux SA conteste ensuite
l'existence d'un lien de connexité entre ce marché, sur lequel elle exerce une domination, et celui sur
lequel les abus ont été relevés, à savoir le marché de la publicité extérieure où elle ne détient que 21%
des parts de marché ; qu'en effet, le marché de la publicité extérieure, qui englobe l'affichage
traditionnel et la publicité sur mobilier urbain, constitue un marché aval du marché de la fourniture
de mobilier urbain ».
36 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit
communautaire de la concurrence, Journal officiel n° C 372 du 9 décembre 1997 p. 0005 – 0013.
37
Concernant les abus fondés sur un effet levier de position dominante, les Autorités
retiennent le marché sur lequel est localisée la position dominante de l'opérateur, ainsi
que le marché distinct qui a été affecté par cette pratique.
En tout état de cause, cette pléthore de marchés complexifie l'analyse des Autorités de la
concurrence, et inquiète légitimement les opérateurs, qui craignent le manque de
discernement économique des juridictions et l'arbitraire de leurs décisions.
Nous remarquons qu'à la lecture de ces premières jurisprudences, il apparaît
vraisemblablement qu'une pratique commise par un opérateur en position dominante sur
son marché dominé, qui affecte un marché distinct éloigné, pourra certainement
échapper à la qualification d'abus. En effet, si la démonstration d'effets
anticoncurrentiels de la pratique sont réduits lorsque les marchés présentent un certain
degré de connexité, alors, selon un raisonnement a contrario, ceux-ci devront
nécessairement être rapporté par les juridictions lorsque le marché affecté par le
comportement est trop éloigné de celui dominé par l'opérateur en position dominante.
La raison est que dans toutes les jurisprudences énoncées, l'infraction admise, que nous
avons vu précédemment, tend soit à un renforcement de la position dominante, soit à
réserver un marché à l'opérateur.
Ce renforcement ou cette réservation est en effet plus difficile à admettre sur un marché
qui n'est pas en lien avec la position dominante de l'opérateur, car la mise en œuvre de
telles pratiques s'avère illogique d'un point de vue stratégique pour l'entreprise en
position dominante.
Les effets du comportement de l'opérateur en position dominante peuvent donc
contrarier la qualification d'abus de position dominante fondé sur un effet levier, en ce
qu'ils complexifient la tâche des Autorités de la concurrence. Ces derniers ne sont pas en
effet des spécialistes en économie.
Or, la prise en compte des effets de l'abus des positions dominante intervient de plus en
plus dans la mise en œuvre de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne. Ce phénomène s'apprécie comme l'émergence d'une règle de raison à
l'européenne, et peut donc fournir un obstacle à la nocivité déclarée des abus de position
38
dominante fondés sur un effet levier.
Section 2. L'émergence d'une « règle de raison » contrariante
Il existe une grande mouvance au sein de la politique du droit de la concurrence, qui
tend les Autorités à se détacher d'une qualification d'abus de position dominante per se
et à se fonder plutôt sur une analyse économique, qui échappe pourtant à sa compétence.
Nous avions déjà évoqué ce trait de la politique de concurrence actuelle dans la
première partie de notre étude. Nous allons désormais nous atteler à approfondir ce
constat et à en analyser les effets concrets sur la qualification d'abus des effets leviers de
position dominante.
L'approche de l'abus par les effets a été insufflée par le droit américain de l'Antitrust, et
renverse la vision de la politique de concurrence européenne et française originelles.
Cette évolution politique affecte donc l'appréhension des effets levier de position
dominante, en remettant en question leur nocivité qu'avait jusqu'alors dénoncée la
jurisprudence européenne.
Toutefois, avant même la mutation de notre politique et droit de la concurrence, il
existait déjà une certaine tolérance envers les abus de position dominante au sein des
Autorités de la concurrence. Cette souplesse a d'ailleurs certainement ouvert la voie à la
nouvelle analyse économique des Autorités de concurrence dans leur appréhension des
abus de position dominante.
Il s'avère donc nécessaire de relever ces nouveaux intervenants à la qualification d'abus
de position dominante fondée sur un effet levier, qui peuvent constituer des obstacles à
cette caractérisation
39
Néanmoins, contrairement à la première partie de cette étude où la légitimité de la
qualification d'abus des effets levier était analysée, nous nous apprêtons ici à relever les
points de contestation de l'abus.
Ainsi nous préjugeons ici que l'effet levier mis en œuvre par l'opérateur en position
dominante réunit tous les critères de l'abus de position dominante, et nous nous
proposons d'étudier désormais les échappatoires à la condamnation de l'abus.
Nous constaterons donc ces nouveaux obstacles à la qualification d'abus selon leur
intervention dans la condamnation des abus de position dominante. Ainsi il faudra
appréhender dans un premier temps la nouvelle approche par les effets de
la
jurisprudence européenne ( §1 ), puis relever les exceptions de défense qui peuvent être
opposées par l'opérateur après la qualification d'abus ( §2 ).
§1. La nouvelle approche par les effets
La communication du 24 février 200937 de la Commission semble importer discrètement
une règle de raison originaire du droit de la concurrence américaine dans le droit des
abus de position dominante européen et français. Il s'agit d'un point essentiel de la
« modernisation » de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne.
Selon cette communication en effet, « dans certaines circonstances, la Commission
peut être amenée à réaliser une appréciation détaillée avant de conclure que le
comportement en question risque de porter préjudice aux consommateurs »38. La
consécration par la Commission de l'approche par les effets se concrétise également par
le rappel dans sa communication de l'importance de mettre en oeuvre plusieurs « tests »
économiques, utilisés pour qualifier l'abus de la pratique.
37 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour
l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises
dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.
38 Point 22 de la Communication précitée.
40
Selon l'approche par les effets, les abus de position dominante fondés sur un effet levier
ne constitueraient plus des infractions per se. La qualification d'abus de ces
comportements peut donc rencontrer des obstacles.
Cette évolution s'apprécie comme la fameuse « approche par les effets » de notre
nouvelle politique de concurrence, qui s'apparente au bilan concurrentiel des juridictions
américaines. Ainsi, si le bilan concurrentiel s'avère positif, la pratique pourra ne pas être
condamnée par les Autorités de concurrence. Cette analyse économique de la pratique
mise en œuvre par l'opérateur en position dominante constitue une vraie mutation de la
politique et droit de concurrence, qui jusque-là considéraient que « dès lors que l'article
86 du traité ne prévoit pas la possibilité de l'octroi d'une exemption, les pratiques
abusives sont interdites quels que soient les avantages auxquels elles donnent
éventuellement lieu pour les auteurs de telles pratiques ou les tiers »39.
Cette approche par les effets a été révélée par l'affaire Microsoft. Dans son arrêt du 17
septembre 200740, le Tribunal de Première instance des Communautés Européennes a
éclipsé l'ancienne jurisprudence, selon laquelle il suffisait pour caractériser l'abus de
supposer un effet d'éviction engendré par les pratiques de l'opérateur41.
Ainsi, la Commission s'est appliquée à procéder à une analyse économique inhabituelle
au lieu de se satisfaire des critères communément admis pour la pratique des ventes
liées.
En l'espèce, Microsoft avait mis en œuvre, parmi d'autres pratiques, des ventes liées de
son logiciel Windows Media Player, qui était donc attaché à son système d'exploitation
Windows.
Selon le Tribunal dans cette affaire, « la Commission a estimé que, compte tenu des
39 CJCE, 20 septembre 2003, Atlantic Container Line, point 907, aff. jointes T-191/98 et T-212/98 à T214/98, Rec. CJCE 2003, II, p. 3275, point 1112.
40 TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, aff. T-201/04, Rec. CJCE 2007, II, p.
3601.
41 L'arrêt Michelin II ( TPICE, 30 septembre 2003, Michelin c/ Comm., aff. T-203/01, Rec. CJCE 2003,
II, p. 4071 ) et British Airways ( TPICE, 17 décembre 2003, British Airways contre Commission, aff.
T-219/99, Rec. CJCE 2003, II, p. 5917 ) déclaraient ainsi qu'il importait peu de caractériser l'effet
négatif de la pratique abusive. Or dans ces deux affaires, il existait en effet une réelle concurrence sur
le marché qui pouvait être prouvée par la diminution des parts de marché des opérateurs en position
dominante.
41
circonstances spécifiques de l'espèce, elle ne pouvait se contenter de considérer –
comme elle le fait normalement dans les affaires en matière de ventes liées abusives –
que la vente liée d'un produit donné et d'un produit dominant a un effet d'exclusion sur
le marché per se. Elle a, dès lors, examiné plus en avant les effets concrets que la vente
liée en cause avait déjà eus sur le marché des lecteurs multimédias permettant une
réception en continu ainsi que la manière dont ce marché était appelé à évoluer »42.
La pratique des ventes liées ne serait plus alors considérée comme une infraction per se,
et il serait nécessaire de démontrer les effets nocifs de la pratique sur la concurrence, et
ne plus seulement les présumer43. Toutefois cette analyse ne conduit pas
systématiquement les Autorités de concurrence à refuser la qualification d'abus. Ainsi la
Commission a condamné Microsoft pour ses pratiques, qui possédaient selon elle des
effets anti-concurrentiels.
Finalement, l'approche par les effets développée par les Autorités européennes de la
concurrence a bien été mise en œuvre par nos autorités nationales de concurrence, dès
leur connaissance de l'intention de la Commission de mettre en place cette nouvelle
analyse.
Ainsi l'Autorité de la concurrence, anciennement Conseil de la concurrence, avait
procédé à l'analyse concrète des effets de la pratique de dans l'affaire Canal + du 18
mars 200544.
En l'espèce, l'opérateur Canal +, en position dominante sur le marché de la télévision à
péage, proposait aux consommateurs une offre couplée des abonnements de Canal + et
de Canal satellite, alors que ces chaînes avaient été toujours vendues séparément.
L'Autorité de la concurrence déclare alors que « la position dominante occupée par la
société Canal Plus sur le marché de la télévision à péage ne saurait justifier que lui
soit, a priori et par principe, interdit le lancement d’offres couplant la chaîne Canal
Plus au bouquet CanalSatellite », et qu' « il convient donc de rechercher si cette
42 TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, aff. T-201/04, Rec. CJCE 2007, II, p.
3601, point 868.
43 D. BOSCO, « Regards sur la modernisation de l'abus de position dominante », Les Petites Affiches,
2008, et L. IDOT, « Les ventes liées après les affaires Microsoft GE Honeywell », revue concurrence
n°2, 2005.
44 Cons. Conc., 18 mars 2005, Canal + déc. n° 05-D-13, Rapport annuel d'activité 2005 p. 191
42
pratique revêt un objet ou présente des effets anticoncurrentiels ».
L'Autorité de la concurrence conclura finalement que la pratique de couplage avait eu
des effets bénéfiques pour les consommateurs, et que l'effet d'éviction de l'opérateur
TPS sur le marché pertinent n'avait pas pu être établi.
Finalement, la mutation de la politique et du droit de la concurrence s'explique d'une
part par la prise en compte du bien-être du consommateur, et d'autre part l'évolution
économique que connaît la Commission Européenne est également politique. Il s'agit en
effet de combattre les « faux négatifs », c'est à dire les pratiques qui, per se, sont
interdites mais qui en pratique procurent des avantages aux consommateurs, et de
confirmer la convergence de la politique européenne de concurrence avec celle
américaine, dans un contexte de mondialisation.
Or, il nous semble que l'effet levier des positions dominantes constitue la pratique la
plus à même de recevoir une analyse économique positive, du fait qu'elle produit des
effets sur un marché distinct de celui dominé par l'opérateur. Ainsi, les effets de la
pratique seront relativisés, en tenant compte du fait que la situation concurrentielle du
marché distinct n'est pas affectée par la position dominante de l'opérateur.
Ainsi, seuls les effets leviers dirigés vers des marchés véritablement connexes à celui
sur lequel est détenue la position dominante de l'opérateur pourront encore conduire à la
qualification d'abus.
Cette nouvelle approche par les effets intervient donc au moment de l'appréciation de
l'abus, de sa qualification, mais l'abus, une fois caractérisé, peut également bénéficier
d'une éventuelle exception de défense, opposée par l'opérateur en position dominante
après avoir usé d'un effet de levier.
43
§2. Les exceptions de défense
Selon la communication du 24 février 2009 de la Commission qui expose les priorités
retenues pour l'application de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union
Européenne45, la Commission examine, après que la pratique ait été qualifiée d'abus, les
arguments avancés par l'entreprise dominante pour justifier ce comportement.
L'entreprise pourra ainsi « démontrer soit que son comportement est objectivement
nécessaire, soit qu'il produit des gains d'efficacité substantiels qui l'emportent sur les
effets anticoncurrentiels produits sur les consommateurs »46.
La communication rappelle expressément que l'opérateur en position dominante ayant
commis un abus d'éviction peut invoquer des justifications pour la mise en œuvre de
cette pratique ( 1 ), mais entrouvre également la possibilité de nouvelles justifications,
fondées sur l'efficience du comportement anticoncurrentiel ( 2 ).
1. Les justifications objectives de l'effet levier
L'opérateur en position dominante qui commet un abus peut justifier son comportement
devant les Autorités de la concurrence.
Ces justifications ont été dégagées dans le fameux arrêt « United Brands Company » de
197847. Dans cet arrêt, la Cour de justice avait en effet admis que la protection des
intérêts commerciaux pouvait faire obstacle à la qualification d'abus 48, même si en
l'espèce les justifications apportées par l'entreprise n'étaient pas jugées objectives.
45 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour
l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises
dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.
46 Point 28 de la communication précitée.
47 CJCE, 14 févr. 1978, United Brands contre Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p. 207, points
183 à 189.
48 Au point 189 de l'arrêt précité : « s'il est exact, comme le fait remarquer la requérante, que l'existence
d'une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit
de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et qu'il faut lui
accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue
de protéger sesdits intérêts, on ne peut admettre de tels comportements lorsqu'ils ont précisément
pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser ».
44
Cette première possibilité pour les entreprises en position dominante réalisant des abus
fondé sur un effet de levier d'échapper à sa condamnation a ainsi pu faire relativiser la
sévérité de la répression de l'article 102 du Traité de Lisbonne 49. Néanmoins, cette
ouverture a été profondément restreinte par l'usage qu'à fait la jurisprudence de cette
nouvelle règle. Celle-ci a en effet exigé que la pratique abusive soit proportionnée à
l'objectif poursuivi, et qu'elle n'est pas pour motif d'étendre ou de renforcer une position
dominante.
La jurisprudence « Hitli »50 a également limité l'efficacité des éventuelles justifications
d'un abus fondé sur un effet levier de position dominante, en estimant que l'argument de
la sécurité des consommateurs ne pouvait empêcher, en l'espèce, la qualification d'abus
et qu'il appartenait seulement aux Autorités compétentes d'agir dans de telles
hypothèses.
L'opérateur Hitli pratiquait en effet des couplages de produits, lui permettant d'étendre
sa position dominante au marché aval, celui de la vente de clous compatibles avec ses
pistolets. La Cour de justice lui a donc reproché l'usage de son effet de levier
prétendument pour garantir la sécurité des consommateurs, en soulignant qu'il existait
d'autres alternatives moins abusives que d'évincer un concurrent qui procède à la vente
de produits dangereux et se livre à de la publicité mensongère.
Ainsi, les conditions justificatives de l'abus fondé sur un effet levier se réduisaient
quelque peu.
L'arrêt « Irish Sugar »51 est venu également limiter le champ des justifications opposées
par les entreprises en position dominante qui s'appuient sur un effet levier.
L'entreprise Irish Sugar possédait une position dominante sur le marché du sucre
industriel mais intervenait également sur le marché du sucre en détails. Sur plusieurs
années, l'entreprise a appliqué des prix discriminatoires sur le sucre industriel à l'égard
49 Par exemple, l'arrêt du 29 juin 1978 de la CJCE, BP, Aff. 77/77, Rec. CJCE 1978, p. 1513, a accepté la
justification de l'opérateur en position dominante, qui consistait à faire valoir une pénurie du produit
afin de justifier la pratique de prix discriminatoires.
50 TPICE, 12 décembre 1991, Hilti contre Commission, aff. T-30/89, Rec. CJCE 1991, II, p. 1439.
51 TPICE, 7 oct. 1999, Irish Sugar contre Commission, aff. T-228/97, Rec. CJCE 1999, II, p. 2969.
45
des emballeurs de sucre. Ainsi Irish sugar procédait à l'activation de l'effet levier de sa
position dominante afin de se réserver le marché aval du sucre en détails. La firme a
tenté de justifier ce comportement en arguant d'une pratique commerciale défensive,
dirigée contre l'existence d'un commerce illégal52. Or, la Cour de justice a estimé que
ces arguments ne pouvaient pas non plus suffire à empêcher la qualification d'abus.
Il existe donc des justifications que peut apporter l'opérateur en position dominante pour
éviter d'être condamné pour l'utilisation d'un effet levier, néanmoins notre étude révèle
que l'appréciation de ces justifications sont strictement appréciées par les Autorités de la
concurrence.
Toutefois, la Commission a décidé d'en proclamer à nouveau la vigueur.
La communication de février 2009 de la Commission a ainsi réitéré la force des
justifications objectives des abus de position dominante, et l'a même précisé53.
L'entreprise en position dominante qui a s'est appuyé sur un effet levier de sa situation
de puissance économique peut également tenter d'échapper à la condamnation de son
abus en faisant valoir des gains d'efficacité.
2. les gains d'efficacité de l'effet levier
Les gains d'efficacité constituent également une exception de défense opposable à la
qualification d'abus de position dominante fondé sur un effet levier. Il s'agit de
permettre à l'opérateur dont le comportement a été caractérisé d'abus, de démontrer que
la pratique emporte plus d'effets pro-concurrentiels qu'anti-concurrentiels, en faveur du
consommateur.
52 Selon le point 154 de l'arrêt précité : « une telle discrimination serait justifiée par la différence
fondamentale qui existe entre les emballeurs de sucre, d'une part, et l'industrie de transformation,
d'autre part, en leur qualité d'acheteurs de sucre industriel. En effet, seule la consommation de cette
dernière réduirait le surapprovisionnement structurel de la requérante, lui rendant, dès lors, un
service que ne lui rendent pas les emballeurs ».
53 Il est nécessaire de « se fonder sur des facteurs extérieurs à l'entreprise dominante », comme la santé
ou la sécurité, selon le point 29 de la Communication de la Commission, « Orientations sur les
priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques
d'éviction abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février
2009, p. C45/7.
46
Selon la communication de la Commission de février 2009, en effet : « une entreprise
dominante peut aussi justifier des pratiques aboutissant à évincer les concurrents par
des gains d'efficacité d'une ampleur suffisante pour qu'il soit peu probable que les
consommateurs en subissent un préjudice net ». La communication envisage par la suite
des conditions de recevabilité de cette justification pour chaque type d'abus et les gains
d'efficacité qui seront pris en compte.
L'appréhension des gains d'efficacité tendent à se confondre avec la nouvelle approche
par les effets des Autorités de la concurrence. L'arrêt Microsoft de 2007 en constitue
l'une des illustrations. Il ne sera donc pas discuté plus avant de cette exception de
défense.
Il faudra donc retenir, en tout état de cause, qu'il existait dès les années 1970 des
obstacles à la qualification d'abus pour les effets levier des positions dominantes, même
si bien souvent ceux-ci était trop stricts pour être appliqués.
Néanmoins, il existe aujourd'hui une approche économique mise en place par les
Autorités de la concurrence, qui remet en question l'orientation de la politique de la
concurrence. De ce fait les abus fondés sur des effets levier de positions dominantes
seront plus difficiles à qualifier et à condamner.
47
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
L'effet levier des positions dominantes s'apprécie comme un phénomène intrinsèque à
l'exploitation d'une position dominante.
L'opérateur en situation de puissance économique cherche en effet naturellement, par
tous les moyens possibles, à renforcer son influence.
Cette quête d'influence se concrétise par la mise en œuvre de pratiques concurrentielles
ou anti-concurrentielles sur le marché dominé par l'opérateur. Mais ici, la structure
effective de concurrence du marché a d'ores et déjà été sérieusement affectée par la
puissance économique de l'opérateur, et les risques d'une qualification d'abus par les
Autorités de concurrence sont élevés.
Ainsi, l'opérateur va se fonder sur de nouvelles stratégies pour servir l'influence de sa
position dominante.
L'opérateur va notamment outrepasser son domaine de domination et interagir avec de
nouveaux marchés, dans le but de renforcer discrètement sa puissance ou même de
l'étendre.
L'interaction de la position dominante avec le marché non dominé la plus aisée, mais la
plus remarquée, est celle où l'opérateur s'appuie sur sa puissance économique détenue
sur le marché dominé pour impacter les marchés distincts.
Il s'agit d'un effet levier de position dominante, qui s'apprécie également comme un
effet « boomerang », du fait que les pratiques mises en œuvre par l'opérateur n'ont que
pour dessein la croissance de sa position dominante.
Il est donc certainement salvateur que la politique et le droit de la concurrence
appréhendent ce phénomène caractéristique des positions dominantes, mais toute la
problématique réside dans l'identité de ses bénéficiaires.
48
La politique de concurrence et le droit de la concurrence contestaient en effet, aux
origines, l'accaparement du marché par de grands opérateurs économiques. Il s'agissait
plus d'une protection des concurrents que d'une politique tournée vers le bien-être des
consommateurs.
Néanmoins, ce postulat a changé, et aujourd'hui il est affirmé et réaffirmé par les
institutions européennes que le bien-être des consommateurs constitue effectivement
l'essence du droit de la concurrence appliqué aux abus de position dominante.
Or, si les effets levier des positions dominantes sont indéniablement nocifs pour les
concurrents qui les subissent, en ce qu'ils provoquent des effets d'éviction à l'encontre
de ce dernier, ils le paraissent finalement moins envers les consommateurs.
Ainsi, la politique de concurrence offre depuis ces dernières années plus de marge aux
opérateurs en position dominante, et relativise en pratique les effets levier des positions
dominantes. Ceux-ci s'apprécieraient alors simplement comme l'évolution prévisible des
situations de domination économique, que l'Etat ne peut ni contrôler ni condamner sauf
prêcher l'interventionnisme public.
Toutefois, nous ne pouvons pas non plus relativiser entièrement l'appréhension des
effets leviers des positions dominantes par les Autorités de concurrence. Ce phénomène
constitue en effet de graves tentatives d'éviction concurrentielle, qui sont considérées
comme les plus dangereuses par le droit de la concurrence.
Le consommateur, qui constitue le centre de la politique de concurrence, est en effet
désavantagé, à terme, de ces évictions concurrentielles.
Finalement, il peut paraître moins risqué pour l'opérateur en position dominante qui
souhaite renforcer sa situation de puissance de mettre en œuvre des pratiques à cet effet
sur un marché distinct de celui dominé.
Il s'agit d'une stratégie de domination indirecte, dont l'un des intérêts réside dans les
49
possibilités pour l'entreprise en position dominante d'échapper à une condamnation.
SECONDE PARTIE :
L'EFFET MAGNETIQUE DES POSITIONS DOMINANTES
50
INTRODUCTION DE LA SECONDE PARTIE
Nous avons donc constaté dans un premier titre que l'influence des positions dominantes
se traduisait par l'affectation des marchés non-dominés, lorsque l'opérateur exploitait sa
puissance économique sur le marché dominé.
Le rayonnement des positions dominantes peut aussi s'illustrer par une pratique
commise par l'opérateur en position dominante sur un marché qu'il ne domine pas, mais
qui s'explique en raison sa position dominante. Dans ce cas, la pratique commise par
l'opérateur gravite autour de la position dominante, et peut juridiquement y être
rattachée.
C'est ce que nous appellerons ici l'effet magnétique des positions dominantes. Il s'agit
d'une expression inédite, créée pour les besoins de notre étude, qui reflète parfaitement
le phénomène que nous souhaitons analyser.
Ainsi, « l'effet magnétique » de la position dominante suggère bien que les pratiques
commises par l'opérateur en situation de puissance économique sur un marché nondominé peuvent néanmoins être rattachées à cette position dominante, car ces actes sont
en effet attirés par le magnétisme de la position dominante.
Contrairement à l'effet magnétique des positions dominantes, l'effet levier, impliquait,
lui, métaphoriquement, que l'opérateur en position dominante ait commis ses pratiques
anticoncurrentielles sur le marché dominé, où il y prend donc un appui pour affecter des
marchés distincts.
L'enjeu de l'étude de l'effet magnétique des positions dominantes est d'analyser
l'encadrement de ce phénomène par la politique de concurrence et son droit.
Il sera alors possible de comparer à la fin de ce mémoire l'encadrement de ce
phénomène issu de l'influence des positions dominantes avec celui de l'effet levier.
51
Nous proposons à ces fins, d'apprécier, en premier lieu, l'adéquation du droit et la
politique de concurrence par rapport au phénomène de l'effet magnétique des positions
dominantes ( I ) pour ensuite constater que l'appréhension qui en a été faite par la
jurisprudence ( II ).
52
CHAPITRE I.
UNE QUALIFICATION D'ABUS DE POSITION DOMINANTE IMPREVUE
Comme il avait pu être réalisé lors de l'analyse de l'effet levier des positions
dominantes, il convient de déterminer si la politique de concurrence, mais également le
droit de la concurrence, sont enclins à appréhender le phénomène d'effet magnétique des
positions dominantes.
Dans un premier temps nous analyserons donc l'état de la politique de concurrence
( Section 1 ) pour ensuite constater son adéquation avec le droit de la concurrence
( Section 2 ).
Section 1. Une politique de concurrence mitigée à l'égard des effets magnétiques
La politique de la concurrence européenne nous apparaît hésitante vis à vis de la
répression des effets magnétiques de position dominante. D'une part les notions sur
lesquelles elle repose limitent strictement cette qualification d'abus ( 1 ), et d'autre part,
l'utopie d'une concurrence méritante transcende l'hypothèse inverse ( 2 ).
Ces deux charpentes opposées de la politique de la concurrence nous font alors nous
interroger sur une possible appréhension des effets magnétiques de position dominante.
§1. Une politique de concurrence entendue restrictivement
Nous avons déjà pu constater lors de l'appréhension par la politique de concurrence des
effets leviers que notre politique de concurrence s'appuyait à l'origine sur un courant de
pensée ordo-libéral, concrétisé par la fameuse « responsabilité particulière »de ne pas
porter atteinte à la concurrence effective et non faussée issu de l'arrêt Michelin54.
L'ordolibéralisme de notre politique de concurrence assurerait donc certainement la
répression des abus fondés sur un effet magnétique de position dominante, car elle a
54 CJCE, 9 novembre 1983, Michelin contre Commission, Aff. 322/81, Rec. CJCE 1983, p. 346, point
57.
53
pour nature de favoriser une concurrence « parfaite »55.
Ainsi, il importerait peu que la pratique à incriminer soit localisée sur un marché
distinct, si celle-ci a pour dessein de s'accaparer un nouveau marché. Rappelons en effet,
que l'ordolibéralisme originel a pour vocation de préserver le marché de la formation de
grands opérateurs économiques et de servir l'égalité des concurrents.
Néanmoins, ce mythe de la concurrence parfaite issu de la pensée ordo-libérale de
l'après-guerre a été remplacé par le nouvel objectif d'efficacité économique, que
sollicitait la doctrine.
La responsabilité particulière des opérateurs en position dominante est donc moins
étendue qu'elle ne l'était auparavant, et se soumet désormais à une approche économique
des pratiques mises en œuvre par l'opérateur en position dominante.
Au surplus de l'abandon de la pensée ordo-libérale dans la nouvelle politique de
concurrence, qui vient limiter la prise en compte des effets magnétiques, il s'avère que la
notion même de position dominante dessert l'appréhension de ce phénomène.
La notion de position dominante, en effet, précède nécessairement la pensée ordolibérale de la politique de concurrence, et la preuve en est de la fameuse responsabilité
particulière qui met en jeu cette notion.
Cette responsabilité que nous pensions accueillante de la répression des effets
magnétiques des positions dominantes, signifie que : « la constatation de l'existence
d'une position dominante n'implique en soi aucun reproche à l'égard de l'entreprise
concernée, mais signifie seulement qu'il incombe à celle-ci, indépendamment des
causes d'une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à
une concurrence effective ».
55 David J. GERBER, « Les doctrines européenne et américaine du droit de la concurrence » in La
modernisation du droit de la concurrence, p.121 LGDJ, collection Droit & Economie, 2006.
54
Or, la notion même de position dominante limite la discrétion qui aurait pu naître de la
conception de responsabilité particulière des opérateurs en position dominante.
La position dominante se définit en effet comme « une position de puissance
économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au
maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la
possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis
de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses
concurrents, de ses clients, et finalement, des consommateurs »56.
Ainsi il est logique de déduire de ces termes que l'opérateur ne dispose que d'une liberté
de comportement seulement sur le marché où il se trouve en position de puissance
économique, et non pas sur les marchés distincts.
En suivant ce raisonnement, la liberté que soulève la pensée ordo-libérale pour la
répression des abus de position dominante serait donc réduite aux marchés sur lesquels
l'opérateur possède la faculté de se comporter de manière indépendante vis à vis de ses
concurrents. La responsabilité particulière des opérateurs en position dominante serait
ainsi exclue en dehors du marché non-dominé.
Il faut donc retenir que la politique de concurrence relative aux abus de position
dominante ne vise que les pratiques des opérateurs réalisées sur les marchés déjà atteints
par leur puissance économique.
Il importe donc peu l'appréhension des comportements de ces opérateurs sur des
marchés qu'ils ne dominent pas, car la présomption principale est que ces derniers ne
bénéficient pas d'indépendance de comportement sur ces marchés.
56 CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p. 207, point 65.
55
Nous avons développé un obstacle conséquent à la prise en compte des abus fondés sur
les effets magnétiques des positions dominantes par la politique de concurrence, qui
réside dans les notions employés par les Autorités de concurrence.
La notion de position dominante n'est pas la seule employée par la politique de
concurrence qui limite la prise en compte des effets magnétiques des positions
dominantes.
La notion de marché joue également un rôle central dans la politique de concurrence.
La notion de position dominante n'existe d'ailleurs qu'au travers de la conception de
marché.
Or cette notion issue de la politique de concurrence, entend en elle-même un
cloisonnement du champ des règles de concurrence. En effet, le marché doit être
délimité par les Autorités de la concurrence, car il ne peut être identifié qu'un seul
marché en cause pour l'application du droit de la concurrence.
La notion de marché confirme donc encore en fois l'impression que la position
dominante de l'opérateur ne peut qu'être constituée que sur le marché où les pratiques de
ce dernier ont été localisées, et réciproquement.
En effet, en l'absence de position dominante sur le marché, il est logique de croire que
celui connaît une situation concurrentielle saine, et qu'il n'ait nulle besoin d'une
protection particulière assurée par les Autorités, sauf à consacrer un interventionnisme
exacerbé.
La liberté économique vient en effet limiter le champ d'application de la politique de
concurrence. Celle-ci ne saurait concerner des marchés sains qui ne connaissent pas un
degré de concurrence restreint.
Ainsi, si nous arrêtions notre analyse à la seule considération que la politique de
concurrence ne vise que la préservation des marchés affectés par l'existence d'une
56
puissance économique, les effets magnétiques des positions dominantes ne pourraient
jamais être appréhendées, car même si in fine ils bénéficient à la position dominante de
l'opérateur sur son marché dominé, une partie du raisonnement manquerait.
Toutefois, la politique de concurrence s'appuie également sur des valeurs fondatrices,
qui peuvent briser les obstacles érigés par les définitions que nous venons
d'appréhender.
Les valeurs de la politique de concurrence sont puissantes, mais encore faut-il que le
phénomène d'effet magnétique des positions dominantes puisse intéresser ces-dites
valeurs pour que de tels comportements soient réprimés par la politique de concurrence.
Celle que nous envisagerons dans cette étude, en faveur de la prise en compte des effets
magnétiques des positions dominantes par la politique de concurrence, est celle de la
« concurrence par les mérites ».
§2. Le vecteur de la concurrence par les mérites
Nous avons déjà pu rapporter précédemment que la fameuse « responsabilité
particulière » des entreprises en position dominante pouvait supporter l'appréhension
des effets magnétiques des positions dominantes, mais que corrélativement, cette notion
était strictement limitée par la notion de position dominante puis de marché.
Néanmoins, nous pensons fortement que la notion de responsabilité particulière des
opérateurs en position dominante peut contenir un rôle dans l'extension de la politique
de concurrence aux effets magnétiques, et ce en dépit de ses interactions avec d'autres
notions issues de la politique de concurrence telles que la notion de position dominante
et de marché.
Une des autres conceptions issues de la politique de concurrence qui vient étayer notre
raisonnement en faveur d'une extension de la politique de concurrence aux effets
magnétiques, est la fameuse notion de « concurrence par les mérites ».
57
Selon l'arrêt Hoffman La Roche57, le comportement incriminé par les Autorités de la
concurrence est constitué « par le recours à des moyens différents de ceux qui
gouvernent une compétition normale des produits ou services sur la base des
prestations des opérateurs économiques »58.
Le fameux arrêt Akzo du 3 juillet 199159 précisera également que « l'entreprise en
position dominante ne doit pas recourir à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une
concurrence par les mérites »60.
Ce nouveau critère de la concurrence par les mérites resurgira encore dans la
jurisprudence postérieure61, sans être néanmoins davantage précisé.
Malgré l'importance affirmée de la concurrence par les mérites, celle-ci est en effet
difficilement définie, et il faut se référer à la doctrine pour en capter l'essence.
Selon la professeure Catherine Prieto, en effet, la concurrence effective suppose que les
mérites des uns et des autres puissent être librement appréciés par le consommateur62.
Cette imprécision porte gravement atteinte à la sécurité juridique, et suscite la crainte
chez les opérateurs économiques, car cette notion permettrait en effet d'outrepasser les
infractions déjà recensées par la Commission.
Sur ce point, le professeur Patrick Rey considère que ce n'est plus le type de pratique
qui doit déclencher la mise en œuvre de la politique de concurrence, mais bien les effets
sur le marché du comportement de l'opérateur économique63.
57
58
59
60
61
CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461.
Selon le point 91 de l'arrêt précité.
CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359.
Selon le point 69 de l'arrêt précité.
Ce critère sera en effet réaffirmé dans l'arrêt TPICE du 1er avril 1993, BPB Industries et British
Gypsum/Commission, Aff. T65-89, Rec. CJCE 1993, p. 389, au point 94 ; arrêt du Tribunal du 6
octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755, au point 147 ; arrêt du Tribunal du
21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, Aff. T-229/94, Rec. p. II-1689, au point 78 ; arrêt du
Tribunal du 7 octobre 1999 Irish Sugar/Commission, Aff. T-228/97 Rec. CJCE 1999, II, p. 2969, au
point 111 ; arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, Aff. T-203/01, au point 97
et arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van Den Bergh Foods/Commission, Aff. T-65/98, Rec. p. II4653, au point 157.
62 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.
63 P. REY, « Concurrence par les mérites » in La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ,
collection Droit & Economie, 2006, p. 151.
58
Ainsi, le professeur Patrick Rey exhorte à sortir des hypothèses d'école pour mieux
appréhender la réalité économique des marchés.
Finalement, l'imprécision de la concurrence par les mérites sera fondue dans l'analyse
économique des Autorités de la concurrence, et permettra d'encadrer des abus qui
n'auraient pu être réprimés sur les fondements prévisibles du droit de la concurrence.
Selon Bo Vesterdorf, la sécurité juridique en droit de la concurrence entendue comme la
généralité de la règle et la prévisibilité de ses applications « n'a guère de sens en droit
économique ». En effet, « la réalité économique se satisfait mal d'habits juridique trop
étroits et une approche formaliste, si elle est juridiquement satisfaisante, risque de ne
pas permettre de saisir la réalité économique ou de mal l'appréhender »64.
En tout état de cause, la responsabilité particulière et la concurrence par les mérites est
consacré dans la dernière communication de la Commission Européenne de février
200965. Celle-ci précise en effet que « l'entreprise dominante peut participer au jeu de
la concurrence par ses mérites » mais qu' « il lui incombe toutefois une responsabilité
particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence
effective et non faussée dans le marché commun »66.
Nous avons pu constater que la politique de concurrence n'a pas vocation à appréhender
les effets magnétiques de position dominante.
Néanmoins l'espoir d'un élargissement de cette politique de concurrence est palpable,
avec l'émergence de l'approche par les effets et de la concurrence par les mérites, qui
rejettent les approches d'abus per se au profit de la réalité économique.
64 Bo VESTERDORF, « Considérations sur la notion de concurrence par les mérites » in La
modernisation du droit de la concurrence, LGDJ, collection Droit & Economie, 2006, p.163. L'auteur
était alors président du Tribunal de Première instance des Communautés Européennes.
65 Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour
l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises
dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.
66 Selon le point 1 de la communication précitée.
59
L'interprétation de la politique de concurrence en faveur de l'appréhension des effets
magnétiques de position dominante peut être confirmée à la lumière du droit formel de
la concurrence, ou ce dernier peut au contraire ériger de nouveaux obstacles à cette
hypothèse.
Section 2. Une qualification écartée par le droit de la concurrence
De même que pour l'appréhension du phénomène d'effet levier des positions
dominantes, il convient pour celle de l'effet magnétique des positions dominantes
d'analyser d'une part les textes formels du droit de la concurrence ( 1 ) et de relever
ensuite les considérations jurisprudentielles générales qui influencent leur prise en
compte ( 2 ).
§1. Le phénomène des effets magnétiques ignoré de l'article 102 du Traité
La politique de concurrence passe par la mise en œuvre de l'article 102 du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne. Nous rappelons que ce dernier dispose que :
« Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce
entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs
entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur
ou dans une partie substantielle de celui-ci ».
A priori, cette formulation n'interdit en rien la prise en compte des effets magnétiques
des positions dominantes, à la condition que ceux-ci constituent une exploitation
abusive par l'opérateur de sa situation de puissance économique.
Or, l'exploitation d'une position dominante pourrait s'entendre d'une exploitation qui ne
pourrait avoir lieu que sur le marché où la position de puissance économique est
détenue.
Si tel était le cas, l'effet magnétique, en ce qu'il suppose que la pratique commise par
60
l'entreprise en position dominante soit localisée en dehors du marché dominé, ne
pourrait être appréhendé par le droit de la concurrence.
Néanmoins le texte ne précise rien et ne peut confirmer notre avertissement.
Ainsi, à défaut de précisions, une exploitation abusive de position dominante pourrait
s'illustrer par une pratique commise par un opérateur en position dominante sur un autre
marché que celui dominé.
Le phénomène d'effet magnétique pose donc la problématique de savoir ce que constitue
une « exploitation abusive » d'une position dominante.
Nous ferons remarquer en effet que l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de
l'Union Européenne ne comporte aucune indication en ce qui concerne les exigences
afférentes à la localisation de l'abus sur le marché des produits.
Le critère de l'affectation du commerce entre États-membres pourrait d'ailleurs servir de
vecteur à notre hypothèse selon laquelle l'exploitation abusive d'une position dominante
pourrait se réaliser sur un marché distinct de celui dominé.
Ainsi, les fins téléologiques de la politique de concurrence justifieraient la qualification
d'abus de position dominante à un effet magnétique de position dominante.
En tout état de cause, l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne ignore l'appréhension des effets magnétiques des positions dominantes.
Il est donc nécessaire d'analyser les précisions jurisprudentielles apportées sur le champ
d'application du droit de la concurrence.
61
§2. Une jurisprudence indifférente mais accommodante
Comme nous l'avons déjà constaté, la jurisprudence a opportunément précisé le champ
d'application de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.
Certaines de ces précisions ont donc pu affecter l'appréhension du phénomène d'effet
magnétique des positions dominantes.
La jurisprudence a ainsi précisé la notion d'exploitation abusive de la position
dominante et l'abus, qui accueille indirectement la prise en compte des effets
magnétiques des positions dominantes ( 1 ).
La jurisprudence a également consacré une approche de la notion d'«entreprise » de
l'article 102 du Traité de Lisbonne qui illustre d'une certaine manière une appréhension
des effets magnétiques de position dominante par le droit de la concurrence ( 2 ).
1. Une exploitation abusive de position dominante tolérante
La jurisprudence a interprété les conditions nécessaires à la qualification d'abus de
l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. Ces interprétations
peuvent parfois supporter la prise en compte des effets magnétiques de position
dominante.
L'une des questions qui se posait à la lecture de l'article 102 du Traité sur le
Fonctionnement de l'Union Européenne était de savoir si un lien de causalité entre la
position dominante et l'abus était indispensable.
Ce lien de causalité entre l'abus et la position dominante est en effet présumé lorsque la
pratique répréhensible a eu lieu sur le marché dominé par l'opérateur. Selon la
professeure Catherine Prieto67, l'abus de position dominante apparaît en quelque sorte
indissociable de la position dominante elle-même. Cette constatation s'explique car
l'abus naît du concept de « pouvoir de marché ».
Or, un tel lien de causalité ne peut être présumé en présence de pratiques commises sur
67 C. PRIETO, « Abus de position dominante », Fasicule 1423 Jurisclasseur Europe Traité, juillet 2010.
62
un marché distinct de celui dominé par l'opérateur.
L'arrêt Hoffman-La Roche 68 répond à cette problématique. Selon l'arrêt en effet: « la
notion d'exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d'une
entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un
marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question le degré de
concurrence est déjà affaibli ( … ) »69.
L'arrêt précise également : « qu'on ne saurait, pour écarter la qualification
d'exploitation abusive de position dominante, accepter l'interprétation […] selon
laquelle l'exploitation abusive impliquerait que l'utilisation de la puissance économique
conférée par une position dominante soit le moyen grâce auquel l'abus a été réalisé »70.
Ainsi, grâce à la vision téléologique de la Cour de Justice de l'Union Européenne du
droit de la concurrence, la jurisprudence consacre l'indifférence d'un lien de causalité
entre la position dominante et les pratiques commises par l'opérateur pour la
qualification d'abus.
Il faut néanmoins remarquer que s'il importe peu que ce soit l'exploitation ou non de la
position dominante qui ait permis à l'opérateur d'influencer le degré de concurrence du
marché, il apparaît nécessaire que ce soit bien le marché dominé qui ait subi les effets
de ce comportement.
S'explique d'ailleurs la nécessité, pour la qualification d'abus fondé sur un effet levier,
de révéler un lien de connexité entre le marché dominé et le marché distinct. Ce dernier
est alors considéré comme une sorte d'extension du marché dominé.
Finalement, l'arrêt Continental Can71 confortera la jurisprudence Hoffman-La Roche
ainsi que notre analyse, en affirmant que le lien de causalité entre la position dominante
68
69
70
71
CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461.
Selon le point 91 de l'arrêt précité.
Ibid.
CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.
63
et son exploitation abusive « ne revêt pas d'intérêt, le renforcement de la position
détenue par l'entreprise pouvant être abusif et interdit par l'article 86 du traité, quels
que soient les moyens ou procédés utilisés à cet effet »72
Nous retrouvons là encore une appréciation large des comportements susceptibles de
relever d'un abus de position dominante, qui s'appuie en toute vraisemblance sur la
vision ordo-libérale de la « responsabilité particulière » des opérateurs en position
dominante.
Néanmoins, cette liberté dans la qualification d'abus persiste à être limitée à la condition
que les effets du comportement se fassent bien ressentir sur le marché dominé de
l'opérateur. D'où la nécessité de relever un renforcement de position dominante dans la
jurisprudence Continental Can.
Ainsi, la jurisprudence interprète très largement la notion d'exploitation abusive, qui est
nécessaire à la qualification d'abus. Nous pouvons donc espérer que l'effet magnétique
des positions dominantes soit bien appréhendé par le droit de la concurrence du fait de
cette souplesse, malgré l'imprévision du texte 102 du Traité de Lisbonne.
Finalement, la jurisprudence générale de l'Union Européenne a pu s'emparer de
certaines hypothèses d'effets magnétiques de position dominante en s'appuyant
indirectement sur la notion d'entreprise.
2. le détour par la notion élargie d'« entreprise »
Seules les « entreprises » sont concernées par la répression des abus de position
dominante, selon l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.
Cette notion d'entreprise renvoie à celle d'« unité économique » en jurisprudence.
Celle-ci permet de considérer qu'une société mère et sa filiale constituent une seule et
même entité, une seule et même entreprise.
72 Selon le point 27 de l'arrêt précité.
64
Ainsi, la société mère peut être incriminée par les Autorités de la concurrence, pour des
actes réalisés par sa filiale.
Pour ce faire, il est nécessaire néanmoins qu'il existe une unité d'action entre les deux
entreprises ainsi que des liens structurels, et que ne soit pas constatées de stratégies
commerciales indépendantes.
Ainsi, si une filiale commet une pratique abusive sur le marché où elle est établie mais
qu'elle ne possède pas de position dominante, l'abus sera imputé à la société mère qui
disposera d'une telle situation de puissance économique.
On peut ainsi relever dans l'arrêt du 6 avril 199573 de la Cour de justice, qu'il avait été
fait grief à BPB industries d'une pratique mise en œuvre par sa filiale sur le marché du
plâtre de construction et des plaques de plâtres en Irlande et Irlande du Nord.
De même, lors de l'arrêt du 6 mars 1974 74, CSC s'était défendu que sa filiale Istuto était
responsable de la pratique dont s'était saisie la Commission Européenne. Or, la filiale en
question ne possédait pas de position dominante sur le marché où les pratiques avaient
été commises, contrairement à la société mère, CSC.
Au regard de ces éléments, l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne ne pouvait être appliquée.
Ainsi, la Commission contourne cette difficulté dans la qualification d'abus en retenant
que l'opérateur en position dominante détenait bien le pouvoir de contrôle de sa filiale et
l'exerçait de telle sorte qu'il fallait les traiter comme ne formant qu'une seule et même
entreprise en ce qui concernait la pratique relevée.
Nous avons donc pu appréhender l'orientation de la politique de concurrence et le droit
de concurrence vis à vis des effets magnétiques des positions dominantes. Il ressort de
cette analyse que ces derniers ne sont pas considérés, aux premiers abords, comme des
abus de position dominante.
73 CJCE, 6 mars 1995, BPB contre commission, aff. C-310/93 P.
74 CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I. 223.
65
Néanmoins, si théoriquement les effets magnétiques des positions dominantes ne
s'apprécient pas comme la priorité de la politique et du droit de la concurrence, ils
peuvent tout de même être appréhendés par ces derniers sur des fondements
téléologiques.
En effet, la jurisprudence a pu démontrer sa faculté à assouplir les conditions de
qualification d'abus de position dominante, en posant toutefois certaines limites
attachées à la notion de marché dominé.
Ainsi, en réunissant certains des éléments essentiels à la qualification d'abus de position
dominante, les effets magnétiques de position dominante pourraient légitimement être
appréhendés par le droit de la concurrence.
A ce titre, la notion de concurrence par les mérites, d'affectation du marché entre Etatsmembres, et d'exploitation abusive constituent tout autant d'arguments à cette
appréhension.
Nous retiendrons donc ici que la qualification des effets magnétiques des positions
dominantes en abus n'a pas été prévue par la politique et le droit de la concurrence, mais
que cette qualification serait bel et bien envisageable si la jurisprudence se libérait d'une
trop grande rigueur juridique.
Il faut désormais, en effet, analyser la jurisprudence européenne et interne qui se sont
vues confrontées à des hypothèses d'effet magnétique des positions dominantes, afin de
trancher cette problématique.
66
CHAPITRE II.
UNE QUALIFICATION D'ABUS AMENAGEE MAIS INSUFFISANTE
L'absence de prise en compte des effets magnétiques des positions dominantes par le
droit et la politique de la concurrence pose la problématique de la force de l'analyse
économique dans la mutation des règles préexistantes.
Ainsi, si originellement il n'avait pas été prévu par les rédacteurs du Traité de Lisbonne
qu'un abus de position dominante puisse être constitué par des pratiques réalisées sur un
marché distinct de celui dominé par l'opérateur, la pratique a démontré que ce dernier
possédait des raisons de mettre en œuvre de tels comportements.
En effet, l'opérateur en position dominante peut intervenir stratégiquement sur un
marché qu'il ne domine pas, dans le dessein de renforcer sa domination sur son marché
dominé.
Les juges, face à ces pratiques, ont alors assoupli le droit de la concurrence qui
s'opposait à la poursuite de ces pratiques, et ont confirmé l'admission, sous certaines
conditions, de la qualification d'abus des effets magnétiques des positions dominantes
( Section 1 ).
Finalement, cet assouplissement, aussi opportun soit-il, s'apprécie parfois de manière
trop restreinte pour être efficace et constituer une réelle innovation du droit de la
concurrence ( Section 2 ).
Section 1. Une admission stricte de la qualification d'abus, pérennisée
Ce sont les arrêts de la Cour de justice de 1991, Akzo et de 1996, Tetra Pak, qui ont
ouvert la voie à la qualification d'abus de position dominante des effets magnétiques, en
subordonnant cette admission à deux conditions alternatives ( §1 ). Les arrêts
postérieurs, aussi bien internes que européens, ont confirmé cette jurisprudence ( §2 ).
67
§1. La consécration de circonstances particulières nécessaires à la qualification
d'abus
Deux conditions alternatives ont été posées par les premières jurisprudences qui ont eu à
connaître d'un abus fondé sur un effet magnétique de position dominante.
L'admission d'un effet magnétique de position dominante sera en effet subordonnée à la
démonstration de la volonté de l'opérateur de renforcer sa position dominante lors de la
mise en œuvre de pratiques sur un marché distinct ( 1 ), ou à la présence d'un lien de
connexité entre le marché dominé par l'opérateur et celui, distinct, où a été commis la
pratique ( 2 ).
Il s'agit de conditions alternatives, mais elles doivent s'accompagner des autres critères
nécessaires à la qualification d'un abus de position dominante pour conduire
effectivement à la condamnation de l'effet magnétique.
1. La nécessité d'une volonté de renforcer la position dominante : l'arrêt Akzo
La jurisprudence ECS/Akzo Chemie du 3 juillet 199175 est la première à envisager une
hypothèse d'abus fondé sur un effet magnétique. Elle consacre la première condition
alternative à la qualification d'abus d'un effet magnétique : celle de constater un
renforcement de position dominante.
En l'espèce, Engineering and Chemical Supplies ( ECS ) produisait un peroxyde
organique particulier, le peroxyde de benzoyle, qui était utilisé à la fois dans la
fabrication de plastique et comme additif pour la farine.
Akzo Chemie possédait lui, une position dominante sur le vaste marché des peroxydes
organiques.
Ce dernier redoutait l'entrée de ECS sur le marché des peroxydes organiques pour
plastiques. Akzo Chemie avait alors mis en œuvre une pratique de prix d'éviction,
75 CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359.
68
concentrée non pas sur le marché des péroxydes organiques que la société dominait,
mais sur le sous-marché des additifs pour farine au Royaume-Uni et en Irlande.
Or, l'essentiel du chiffre d'affaire d'ECS était localisé sur ce dernier. Ainsi la pratique
d'éviction mis en œuvre par Akzo empêchait donc ECS de mener à bien son projet de
s'étendre sur le marché des peroxydes organiques pour l'industrie plastique, en affectant
ses moyens financiers.
La Cour de Justice de l'Union Européenne confirmera la décision de la Commission
Européenne du 14 décembre 198576, qui avait condamné cette pratique au titre d'abus de
position dominante.
Akzo, qui avait donc formé un pourvoi contre la décision de la Commission Européenne,
opposait que le marché en cause ne pouvait pas s'apprécier comme celui des péroxydes
organiques, qu'elle dominait, mais devait se définir comme celui des additifs de farine,
où la pratique d'éviction avait été commise.
Le marché en cause s'apprécie en effet en pratique comme le marché où est détenue la
position dominante de l'opérateur, du fait que dans les hypothèses ordinaires d'abus, ce
marché se confond avec celui où est répertoriée la pratique.
Or dans l'arrêt du 3 juillet 1991, la Cour de justice fait état de « circonstances
particulières »77 dans l'espèce, qui permettent donc d'échapper aux tenants de la
jurisprudence Zoja. Celle-ci rejetait en effet la prise en compte des marchés nondominés dans la caractérisation d'une position dominante78 et donc dans l'appréciation
du marché en cause.
76 Décision de la Commission Européenne du 14 décembre 1985, Akzo contre ECS, aff. 85/609/CEE,
Journal Officiel des Communautés Européennes n° L374/1 décembre 1985.
77 Selon le point 38 de l'arrêt précité.
78 Selon le point 21 de l'arrêt de la CJCE du 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff.
6 et 7-73, Rec. I. 223 : « la décision attaquée n'envisage le marché de l'éthambutol qu'afin de
déterminer les effets du comportement visé ; que si un tel examen est de nature à permettre une
meilleure appréciation des effets de l'infraction alléguée, il est cependant sans relevance en ce qui
concerne la détermination du marché à prendre en considération pour la constatation d'une position
dominante ».
69
En l'espèce, la Cour de Justice considéra que la substituabilité des produits ( le peroxyde
de benzoyle pouvait s'utiliser sur le marché des péroxydes organiques pour plastique et
sur le marché des additifs de farine ), ainsi que l'affirmation par un cadre de la société
que le comportement d'Akzo Chemie était destiné non pas à renforcer la position de la
société sur le marché des additifs de farine mais bien de maintenir sa position dominante
sur le marché des péroxydes organiques pour plastique, suffisaient à considérer que le
marché en cause pour l'appréciation d'une position dominante était non pas le marché
sur lequel avait eu lieu l'abus, mais bien sur le marché pour lequel la pratique avait été
réalisé.
Ainsi, la Cour de Justice confirme la décision de la Commission, qui s'était alors appuyé
sur la jurisprudence Continental Can79, et Hoffman La Roche80 pour déclarer que le lien
de causalité entre la pratique abusive et la position dominante était sans intérêt dans
l'hypothèse d'un renforcement d'une position dominante.
Il s'ensuivait alors, selon la décision de la Commission Européenne dans l'affaire Akzo,
qu' « une position dominante détenue sur un marché pouvait être exploitée abusivement
par un comportement adopté sur un marché différent de celui où la position dominante
est détenue (tel qu'un sous-marché spécialisé ou un marché connexe) »81.
L'arrêt Akzo est essentiel en ce qu'il affirme que le marché en cause pour la qualification
d'abus ne s'apprécie non pas comme le marché où les pratiques ont été relevées, mais
qu'il est constitué par le marché pour qui les pratiques mises en œuvre bénéficient.
Ainsi, la volonté de l'opérateur de renforcer sa position dominante en mettant en œuvre
des pratiques sur un marché distinct permet de qualifier ce comportement d'abus de
position dominante.
79 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.
80 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec. CJCE 1979, p. 461.
81 Décision de la Commission Européenne du 14 décembre 1985, Akzo contre ECS, aff. 85/609/CEE,
Journal Officiel des Communautés Européennes n° L374/1 décembre 1985, point 85.
70
Cette première consécration jurisprudentielle de la qualification d'abus des effets
magnétiques de position dominante a été suivie par une seconde, qui propose une
condition alternative à cette qualification d'abus.
2. La nécessité d'un lien de connexité entre le marché distinct et le marché dominé :
arrêt Tetra Pak
L'arrêt Tetra Pak du 14 novembre 199682 consacre la seconde condition alternative à la
qualification d'abus de position dominante fondé sur un effet magnétique : celle de
constater le lien de connexité entre le marché distinct où est commis l'abus, et le marché
dominé de l'opérateur qui les a mis en œuvre.
En l'espèce, Tetra pak détenait une position dominante sur les marchés aseptiques tant
des machines que des cartons d'emballage, mais partageait le marché des machines et
des cartons non aseptiques avec plusieurs autres concurrents.
Un de ces derniers lui reproche alors d'avoir procédé à des pratiques commerciales
constitutives d'un abus de position dominante sur les marchés non aseptiques83.
La différence avec l'affaire Akzo est qu'ici les pratiques mises en œuvre ne bénéficiaient
pas à la position dominante de Tetra Pak. Elles ne produisaient des effets que sur les
marchés non-aseptiques, et en cela, ne pouvait pas être considérée comme un
renforcement de position dominante.
La Commission considère alors que dans le contexte de la présente espèce, les pratiques
mises en oeuvre par Tetra Pak sur les marchés non aseptiques sont susceptibles de
relever de l'article 86 du traité sans qu'il ne soit nécessaire d'établir l'existence d'une
position dominante sur ces marchés pris isolément, dans la mesure où la prééminence de
cette entreprise sur les marchés non aseptiques, combinée avec les liens de connexité
82 CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak contre Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I, p. 5961.
83 Parmi ces griefs figurent des ventes de cartons à des prix prédatoires, l' imposition de conditions
déloyales à la fourniture de machines de remplissage ainsi que la vente de ce matériel à des prix
prédatoires.
71
étroits entre ces marchés et les marchés aseptiques, conférait à Tetra Pak une
indépendance de comportement par rapport aux autres opérateurs économiques présents
sur les marchés non aseptiques. Cette indépendance de comportement était de nature à
justifier la responsabilité particulière de Tetra Pak, et ainsi de faire relever ses pratiques
de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne.
Ce qui est remarquable dans l'arrêt Tetra pak rendu en octobre 199484, c'est que la
juridiction déclare expressément que l'article 86 du traité ne contient aucune condition
explicite à la localisation de l'abus, et qu'il convient donc de s'en remettre aux finalités
poursuivies par le Traité.
Celles-ci se concrétiseraient par la fameuse « responsabilité particulière » dégagée dans
l'arrêt Michelin85 : celle de de ne pas porter atteinte par son comportement à une
concurrence effective et non faussée dans le marché commun. Ainsi, l'arrêt le Tribunal
de Première Instance des Communautés Européennes affirme que « le champ
d'application matériel de la responsabilité particulière pesant sur une entreprise en
position dominante doit donc être apprécié au regard des circonstances spécifiques de
chaque espèce, démontrant un affaiblissement de la concurrence »86.
La vision ordo-libérale de la politique de concurrence originelle ressort ainsi très
distinctement du raisonnement téléologique dégagé par la Cour de Justice de l'Union
Européenne.
La Commission pose donc une exception au principe selon lequel l'article 102 du Traité
de Lisbonne présuppose l'existence d'un lien entre la position dominante et le
comportement prétendument abusif, qui n'est normalement pas présent lorsqu'un
comportement sur un marché distinct du marché dominé produit des effets sur ce même
marché.
84 TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755.
85 TPICE, 30 septembre 2003, Michelin c/ Comm., aff. T-203/01, Rec. CJCE 2003, II, p. 4071.
86 TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755, point 115.
72
Cette exception consiste à relever une indépendance de comportement de l'opérateur sur
le marché distinct, qui signifierait concrètement l'extension de la position dominante de
l'opérateur sur ce dernier marché. Les Autorités de la concurrence n'admettent pas pour
autant cette requalification de la position dominante et admettent seulement la
« prééminence » de l'opérateur sur le marché distinct.
Néanmoins cette prééminence est déduite du lien de connexité entre les marchés de telle
sorte que l'opérateur puisse être en mesure de prévoir que son comportement peut
relever de l'article 102 du Traité, sans que ne soit portée atteinte à la sécurité juridique87.
Finalement, il faudra retenir de l'admission d'abus fondé sur un effet magnétique, que
les critères de la qualification seront choisis en fonction de la localisation des effets de
la pratique.
Si la pratique de l'opérateur affecte seulement le marché non-dominé, alors il sera
nécessaire de démontrer que celui-ci est connexe au marché dominé par l'opérateur. Si
la pratique comporte des effets sur le marché dominé alors que la pratique est dirigée
vers un marché distinct, alors il faudra démontrer que ces effets résultent de la volonté
de l'opérateur en position dominante de maintenir ou de renforcer sa position.
§2. La confirmation jurisprudentielle des circonstances particulières
Il est courant de ne retenir en droit de la concurrence que les arrêts Akzo et Tetra pak
appréhendés précédemment lorsqu'il est question d'effet magnétique de position
dominante. Or, plusieurs jurisprudences postérieures ont eu le mérite de préciser
l'exception des circonstances particulières posées par ces arrêts.
Ainsi la décision de l'Autorité de la concurrence du 28 avril 1987 88 mettait en exergue
l'avantage que possédait la société Nouvelles Messageries de Presse Parisienne,
87 Selon le point 229 de l'arrêt du TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p.
II-755 : « […] en outre, eu égard à sa position sur les marchés concernés et à la gravité des atteintes
portées à la concurrence, la requérante ne pouvait manquer d'avoir conscience d'enfreindre
l'interdiction énoncée à l'article 86 du traité ».
88 Cons. Conc., 28 avril 1987, SNMP, décision n°87-D-8, BOCCRF 15 mai 1987, Recueil Lamy, n°277,
Rev. Conc. Consom . 1987, n°39, p.74, étude Pantz.
73
caractérisé par sa relation avec la Commission d'Organisation de la Vente, qui lui
permettait de faire pression sur des candidats à l'agrément ou des détaillants pour qu'ils
se dotent de mobiliers.
En l'espèce, l'Autorité de la concurrence avait déduit le lien entre le marché de la presse,
dominé par la Société Nouvelles Messageries de Presse Parisienne, et le marché du
mobilier d'agencement, non-dominé, des pouvoirs que cette société détenait dans
l’instruction des dossiers de création ou de mutation des diffuseurs pour exercer des
pressions sur les points de vente candidats à l’agrément.
La décision de l'Autorité de la concurrence du 21 octobre 199789, « Pompes funèbres de
Gonesse », retient, lui, « la position prééminente » de l'opérateur sur le marché des
prestations funéraires, qui permet de qualifier d'abus de position dominante l'insertion
de clause de non-concurrence excessive dans les contrats de mandats, et cela même si
l'opérateur est en position dominante seulement sur le marché de l'activité de chambre
funéraire en île de France.
On retiendra ici que la pratique commise sur un marché plus étendu géographiquement
que le marché dominé par l'opérateur peut relever d'un abus de position dominante, en
vertu de la connexité des marchés.
Finalement, dans la décision de l'Autorité de la concurrence du 5 mars 2001, « Société
Française des Jeux »90, les circonstances particulières nécessaires à la qualification
d'abus d'un effet magnétique se caractérisaient par le lien de connexité entre le marché
dominé par l'opérateur et le marché distinct où les effets de la pratique s'étaient fait
ressentir. Néanmoins, ce lien de connexité n'était pas déduit objectivement par la
proximité entre le marché dominé et le marché distinct, mais était déduit du
comportement de l'opérateur en position dominante, qui avait procédé au financement
abusif de sa filiale91.
89 Cons. Conc., 21 octobre 1997, Pompes funèbres de Gonesse, décision n°97-D-76, rapport d'activité
annuel 1997 p.86.
90 Cons. Conc., 5 mars 2001, Française des jeux, décision n°00-D-50, BOCCRF 24 avril 2001, p. 343,
Recueil Lamy, n°849, comm. Grall J.-C.
91 Selon l'arrêt précité : « lorsque les pratiques consistent en l’application sur le marché concurrentiel
de prix bas rendus possibles par des transferts de ressources provenant de la rente dégagée grâce à la
position détenue sur le marché dominé par l’auteur des subventions, l’existence de la relation de
74
Nous avons donc pu constater une grande stabilité des tenants de la jurisprudence Akzo
et Tetra Pak au sein de la jurisprudence postérieure. Les aménagements à la
qualification d'abus des effets levier sont donc admis et pérennisés.
Il convient désormais de constater que même si a priori ces innovations
jurisprudentielles semblent salutaires, en réalité la prise en compte des effets
magnétiques est entravée par un grave juridisme prégnant en droit de la concurrence.
Cette rigueur juridique affecte alors significativement l'efficacité des avancées
jurisprudentielles qui avaient été réalisées jusqu'alors.
Section 2. Un assouplissement entravé par un juridisme infertile
D'après nos constatations précédentes, le droit de la concurrence se serait ouvert à la
poursuite des effets magnétiques des positions dominantes grâce à la discrétion de la
jurisprudence. Or, l'une des caractéristiques de la jurisprudence s'apprécie comme son
instabilité et ses possibilités de revirements.
Ainsi, si l'acquis jurisprudentiel que nous avions appréhendé avait pu nous convaincre
d'un assouplissement dans la qualification d'abus des effets magnétiques des positions
dominantes, cette ouverture a pu considérablement se rétrécir au cours de la fameuse
affaire GlaxoSmithKline ( §1 ). Nous mettrons alors en exergue à la fin de l'analyse de
cette dernière jurisprudence la relativité de la prise en compte des effets magnétiques de
position dominante, qui s'opère selon nous au détriment de tout réalisme économique
( §2 ).
causalité entre les pratiques et la position dominante s’induit du seul comportement de l’entreprise
dominante ; qu’en d’autres termes, cette dernière, par le financement abusif de l’activité
concurrentielle, établit elle-même un lien de connexité entre les deux marchés ».
75
§1. La restriction des effets magnétiques dans l'affaire GSK
L'affaire GlaxoSmithKline ( GSK ) et notamment l'arrêt de Cour de cassation en date du
17 mars 200992, marque le premier refus par les Autorités de concurrence de caractériser
un abus fondé sur un effet magnétique de position dominante, contre le raisonnement de
l'Autorité de la concurrence. Il s'agit d'une jurisprudence de droit interne, mais qui met
en œuvre le droit européen93, conformément au règlement du 16 décembre 2002,
n°1/2003/CE, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues à l'article 101
et 102 du traité par les juridictions nationales.
L'appréhension de l'affaire GSK sera scindée en deux étapes, qui mettront en évidence
les différentes perspectives des juridictions intervenues. Tout d'abord nous relèverons la
condamnation de GSK dans la décision de l'Autorité de la concurrence du 14 mars 2007
( 1 ) puis nous constaterons la relaxe opérée par les juridictions de contrôle ( 2 ).
1. La condamnation de GSK par l'Autorité de la concurrence
Le laboratoire GlaxoSmithKline a été poursuivi dès le 21 juillet 2000 par l'Autorité de
la concurrence pour avoir mis en œuvre des prix prédateurs sur un marché non dominé,
dans le but de se construire une « réputation d'agressivité ». Celle-ci était destinée à
dissuader les concurrents présents sur un marché non-dominé de pénétrer le marché
dominé de l'opérateur.
Le laboratoire GlaxoSmithKline possédait une position dominante sur le marché de
l'aciclovir injectable, qui constituait un médicament « princeps » et qui était protégé par
un brevet détenu par GSK mais expiré en mai 1999, et qui était commercialisé sous le
nom de « Zovirax injectable ». Le laboratoire était également présent sur le marché du
92 Cass. Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, Bull. Civ. IV, n°39, D. 2009, p. 867, obs. Chevrier E. et D.
2009, p. 2890, obs. Ferrier D., JCP G 2009, IV, n°1699, RLC 2009/20, n°1404, obs. V. S., Rapport de
cassation pour 2009 p.405.
93 L'Autorité de la concurrence a en effet appliqué l'article L420-2 du Code de commerce, mais aussi
l'article 82 du Traité CE, devenu 102 du TFUE dans sa décision du 14 mars 2007, GlaxoSmithKline
France, n°07-D-09, rapport d'activité annuel 2007 p.90.
76
Céfuroxime sodique grâce à son « Zinnat injectable », sans pour autant y détenir cette
fois de position dominante.
Le brevet du Zovirax injectable arrivait à expiration, et GSK s'inquiétait de l'arrivée de
nouveaux concurrents sur le marché de l'aciclovir. Le laboratoire mis donc en place sur
le marché du Céfuroxime une pratique de prix bas, en y vendant de 1999 à 2000 le
Zinnat injectable à un prix inférieur à son prix d'achat et en remportant ainsi la quasitotalité des appels d'offre d'établissements hospitaliers.
L'Autorité de la concurrence qualifie alors cette pratique de prédation par construction
d'une réputation94.
Pour condamner GlaxoSmithKline à une amende de 10 millions d'euros pour prédation,
l'Autorité de la concurrence fonde son raisonnement sur une impressionnante analyse
économique, où il retient d'abord le « test de coût » inhérent à toute pratique de
prédation, puis relève une stratégie de prédation de l'opérateur.
Cette affaire possédait des liens avec la jurisprudence Akzo95, qui pour la qualification
d'abus de l'effet magnétique, avait exigé de démontrer en quoi la pratique constatée sur
le marché connexe était de nature à protéger ou à renforcer la position de l’auteur de la
pratique sur le marché dominé.
Ainsi, pour retenir en l'espèce un renforcement de position dominante de l'opérateur
GSK, conformément à la jurisprudence Akzo, l'Autorité de la concurrence retient que les
marchés concernés sont tous des marchés hospitaliers, avec en conséquence, une
94 Selon le point 257 de la décision précitée, la réputation par réputation ou par signal est : « celle dans
laquelle le prédateur cherche à se bâtir une réputation d'agressivité. Typiquement, il s'agit d'une
situation dans laquelle le prédateur est soumis à la menace d'entrée de plusieurs concurrents sur des
marchés différents (soit des marchés successifs, soit des marchés de produits distincts). Il choisit l'un
d'entre eux et se comporte sur celui-ci de manière très agressive en tarifant en dessous de ses coûts.
Observant cette agressivité, et pourvu, là encore, que la crédibilité du message soit assurée, les
concurrents potentiels s'abstiendront d'entrer sur les autres marchés, redoutant un comportement
identiquement agressif du prédateur ».
95 CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359.
77
identité de demandeurs et une identité d'offreur (GSK France). L'Autorité de la
concurrence s'appuie surtout sur le critère de la clientèle retenue par la jurisprudence
Tetra Pak96. Selon lui, en effet, « le même acheteur (l’hôpital ou le groupement d’achat)
qui s’approvisionne en médicaments, est un indice de cette connexité »97.
L'Autorité relève encore le lien opéré par laboratoire GSK entre les deux médicaments
lorsqu’il a proposé des remises liant les prix du Zinnat injectable à l’achat du Zovirax
injectable.
Finalement, l'Autorité de la concurrence retient le paradoxe selon lequel le laboratoire
GlaxoSmithKline a choisi d’être agressif sur un marché à faible enjeu financier et
accommodant sur celui à fort enjeu financier. Ce paradoxe s'explique alors selon
l'Autorité par la mise en oeuvre par GlaxoSmithKline d’une politique de prédation par
réputation.
La simplicité des éléments mis en exergue par l'Autorité de la concurrence dans son
raisonnement peut se comprendre du fait qu'elle retient de l'arrêt Tetra Pak du 14
novembre 199698 une facilité de consacrer le lien de connexité. L'Autorité de la
concurrence explique en effet que selon cette jurisprudence, un tel lien peut être
également prouvé par la simple démonstration d’effets anticoncurrentiels sur le marché
connexe, du fait d’une ou de plusieurs position dominante99.
Finalement, sans analyser le raisonnement économique tenu par l'Autorité de la
concurrence, la prédation mise en œuvre par GlaxoSmithKline possédait des effets sur
96 Selon le point 29 de l'arrêt de la CJCE du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, aff. C-333/94,
Rec. CJCE 1996, I, p. 5961 : « le fait que les différents matériels soient utilisés pour le
conditionnement des mêmes produits liquides de base fait apparaître que les clients de Tetra Pak dans
un secteur sont aussi des clients potentiels dans l’autre ».
97 Selon le point 272 de la décision du Cons. Conc. du 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D09, rapport d'activité annuel 2007 p.90.
98 CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, aff. CJCE 1996, I, p. 5961.
99 Selon le point 271 de la décision du Cons. Conc. du 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D09, rapport d'activité annuel 2007 p.90 : « la constatation de l’ensemble de ces éléments permet de
déduire l’existence d’un lien de connexité suffisant au regard des critères posés par l'arrêt de la Cour
de justice des communautés européennes Tetra Pack du 14 novembre 1996 ».
78
les marchés qui avaient pu être mesurés.
Ces effets étaient directs, et indirects selon l'Autorité de concurrence, qui précise bien
que la pratique de prédation, pour être abusive, ne nécessite pas de relever des effets
concrets car ceux-ci peuvent seulement être potentiels.
En l'espèce donc, l'Autorité de la concurrence avait constaté, d'une part, sur le marché
non dominé où la pratique de prédation avait eu lieu, que plusieurs des concurrents
n'étaient pas entrés sur le marché de du céfuroxime sodique alors que ceux-ci avaient
obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché en 2004. Il s'agissait des opérateurs Teva
et Merck.
D'autre part, sur le marché dominé, celui de l'aciclovir, l'Autorité de la concurrence
remarquait que bien que de nouveaux laboratoires avaient proposé des génériques sur le
marché de l'aciclovir, la part de marché du laboratoire GSK demeurait élevée, en dépit
de l'expiration de ses droits intellectuels sur le princeps.
De plus, beaucoup de laboratoires ayant obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché
ne sont pas entrés sur le marché de l'aciclovir. Sur 13, seulement 5 sont entrés, tout en
n'y disposant que de faibles parts de marché.
Un des laboratoires qui avait obtenu une des autorisations et s'était ravisé à entrer sur le
marché de l'aciclovir, déclarera que « Les raisons pour lesquelles le laboratoire
Panpharma décide de demander une AMM et donc de rentrer sur un marché tiennent à
l’existence du marché, c’est-à-dire à sa taille, aux volumes qu’il est possible de réaliser.
Parmi les indicateurs qui éclairent le choix de la décision finale [de ne pas pénétrer le
marché ], le prix de vente pratiqué les années avant la fin du brevet, par le laboratoire
titulaire du brevet, est bien entendu déterminant. Si le prix est trop bas, il est dissuasif.
Bien évidemment nous anticipons sur les évolutions de ce prix ».
L'Autorité de la concurrence en conclura que « l'anticipation » de ce laboratoire des prix
du Zovirax qui l'a donc dissuadé de rentrer sur le marché, constitue un effet de la
réussite de la pratique de prédation par réputation mise en œuvre par GlaxoSmithKline.
79
Or, malgré tous les efforts de l'Autorité de la concurrence dans sa démonstration, les
juridictions de contrôle ont cassé ce raisonnement.
2. La relaxe de GSK par les juridictions de contrôle
Toute la difficulté de condamner la pratique de prédation de GlaxoSmithKline résidait
dans la démonstration que la pratique possédait bien un lien avec la position dominante.
En dehors de cette caractéristique, la qualification de la pratique de prédation passe par
le fameux « test de coût » mis en œuvre dans l'arrêt Akzo100. Il s'agit de comparer entre
les prix pratiqués pendant la période alléguée de prédation et les coûts exposés par
l'entreprise pour fournir le produit ou le service vendu. A la fin de cette analyse, soit il
est constaté que le prix pratiqué par l'entreprise dominante est inférieur au coût moyen
variable, soit il est constaté le prix pratiqué est compris entre le coût variable et le coût
moyen complet.
Dans le premier cas, la présomption que l'entreprise dominante a fait ce sacrifice en vue
d'évincer les concurrents qu'elle cherchait à éliminer est établie, et dans le second, il
incombe à l’autorité de concurrence de démontrer que la politique de prix de
l’entreprise s’inscrit dans une stratégie d’éviction.
Bien sûr l'entreprise peut toujours apporter des justifications à son comportement pour
éviter la qualification de pratique de prédation.
En l'espèce, l'Autorité de la concurrence, approuvée par la Cour d'appel de Paris dans
son arrêt du 8 avril 2008101, a considéré que le laboratoire GlaxoSmithKline avait bien
pratiqué des prix inférieurs au coût moyen variable du Zinnat injectable. Il existait donc
une présomption selon laquelle le comportement de l'opérateur constituait une
prédation.
100Selon les points 71 et 72 de l'arrêt Akzo de la CJCE du 3 juillet 1991, Akzo contre Commission, Aff.
C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p. 3359 : « des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (ceux
qui varient en fonction des quantités produites) par lesquels une entreprise dominante cherche à
éliminer un concurrent doivent être considérés comme abusifs ».
101CA Paris, 8 avril 2008, n°RG : 2007/07008.
80
Néanmoins, du fait que les pratiques aient été relevées sur un marché distinct de la
position dominante de l'opérateur, il fallait au surplus démontrer en quoi la pratique
constatée sur le marché connexe était de nature à protéger ou renforcer la position de
l’auteur de la pratique sur le marché dominé, selon la jurisprudence Akzo.
Ainsi, lorsque le laboratoire GlaxoSmithKline forme un appel contre la décision de
l'Autorité de la concurrence, la Cour d'appel ne sanctionne pas le test de coût opéré par
ce dernier mais souligne que l'imputation d'une pratique de prédation au laboratoire
GlaxoSmithKline pose problème.
Tout d'abord, les liens entre le marché de l'aciclovir et du céfuroxime sodique restent
limités à des caractéristiques générales des marchés concernés et aucun élément ne
permet de démontrer un lien, pourtant nécessaire, entre les pratiques du laboratoire
GlaxoSmithKline et une stratégie d'éviction par réputation d'agressivité.
Une telle pratique est d'ailleurs destinée à dissuader par signal les concurrents d'entrer
sur le marché dominé de l'opérateur. Or, la Cour d'appel de Paris relève que les
concurrents de GlaxoSmithKline sur le marché dominé de l'aciclovir mais absents du
marché du céfuroxime où ont été relevées les pratiques, ne pouvaient être informés
immédiatement des pratiques et du « message » de GSK.
Quant à Panpharma et Ggam, deux concurrents de GlaxoSmithKline qui étaient
présents sur le marché du céfuroxime et qui envisageaient d'entrer sur le marché de
l'aciclovir, la Cour d'appel retient que la déclaration du dirigeant de PanPharma sur
laquelle l'Autorité de la concurrence avait pris appui, ne fait pas référence au
comportement de GSK sur le marché du céfuroxime sodique. Cette déclaration est donc
trop indirecte pour être pertinente. Quant à Ggam, la Cour d'appel de Paris retient que
celui-ci était bien entré sur le marché de l'aciclovir, même s'il en était sorti rapidement
pour des raisons inconnues.
Finalement, la Cour d'appel relève que 3 fabricants de génériques avaient pénétré le
marché de l'aciclovir.
81
Le raisonnement de la Cour d'appel de Paris est très strict. La juridiction contredit
chaque argument développé par l'Autorité de la concurrence et en envisage de nouveaux
en faveur du laboratoire GlaxoSmithKline.
La Cour de cassation approuvera le raisonnement de la Cour d'appel dans son arrêt du
17 mars 2009102. Selon elle, il n'existe pas de circonstances particulières de nature à
établir un lien entre le comportement de la société GSK sur le marché non dominé et la
position dominante détenue par cette société sur l'autre marché, à l'appui de la
jurisprudence Akzo et de la jurisprudence Tetra Pak.
Ainsi, la décision de l'Autorité de la concurrence est cassée, et le laboratoire
GlaxoSmithKline échappe à une amende de 10 millions d'euros.
Il faut désormais tirer les leçons des arrêts GlaxoSmithKline, qui révèle une certaine
indifférence du droit de la concurrence à l'égard des effets magnétiques de position
dominante.
§2. La prise de conscience d'une absence d'innovation
Nous allons désormais nous attacher à relativiser la prise en compte des effets
magnétiques de position dominante par le droit de la concurrence, en tirant toutes les
constatations possibles des jurisprudences précédentes qui semblaient consacrer cette
ouverture, mais qui, en réalité, ne jouent qu'un rôle relatif.
La jurisprudence GlaxoSmithKline sert au plus haut point cette analyse.
La jurisprudence Tetra Pak et Akzo, que nous avons d'ores et déjà appréhendées,
semblent consacrer deux conditions alternatives à la qualification d'abus d'effet
magnétique des positions dominantes. Cette impression est renforcée à la lecture d'un
des attendus de l'arrêt de la Cour de cassation du 17 mars 2009 sur l'affaire
102 Cass. Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, Bull. Civ. IV, n°39, D. 2009, p. 867, obs. Chevrier E. et D.
2009, p. 2890, obs. Ferrier D., JCP G 2009, IV, n°1699, RLC 2009/20, n°1404, obs. V. S., Rapport de
cassation pour 2009 p.405.
82
GlaxoSmithKline. Ce dernier mérite d'être reproduit :
« Mais attendu que les articles L. 420-2 du code de commerce et 82 du traité CE
présupposent l'existence d'un lien entre la position dominante et le comportement
prétendument abusif qui n'est normalement pas présent lorsqu'une pratique abusive est
mise en œuvre sur un marché distinct du marché dominé ; que ces dispositions peuvent
cependant trouver application notamment lorsque l'autorité de concurrence démontre
l'existence de circonstances particulières telles celles relevées par la Cour de justice
des Communautés européennes (arrêt du 3 juillet 1991, Akzo Chemie BV, C-62/86,
points 35 à 45) établissant que c'est pour renforcer sa position dominante sur un
marché qu'une entreprise a mis en oeuvre une pratique abusive sur un marché distinct
qu'elle ne domine pas, ou telles celles relevées par la même Cour (arrêt du 14
novembre 1996, Tetra Pak International, C-333/94, points 21 à 33) démontrant que des
marchés présentent des liens de connexité si étroits qu'une entreprise se trouve dans une
situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble des
marchés en cause »
Ainsi, le choix entre plusieurs critères aux fins de la qualification d'abus de l'effet
magnétique de position dominante est avantageux, et constitue la preuve d'une prise en
compte sérieuse des effets magnétiques.
Or, en réalité, les circonstances particulières relevées dans l'arrêt Tetra Pak et celles
relevées dans l'arrêt Akzo tendent à se confondre. Il n'existe en effet aucun choix dans
les critères à mettre en œuvre aux fins d'une qualification d'abus d'effet magnétique.
Le seul véritable critère est donc celui de la connexité des marchés, et la seule
distinction notable entre les circonstances particulières relevées dans l'arrêt Tetra Pak et
Akzo consistent dans la localisation des effets du comportement.
En effet, nous aurions pu penser que la démonstration d'un renforcement de position
dominante pour qualifier d'abus la pratique commise sur un marché distinct de la
83
domination se détacherait de la preuve d'un lien de connexité entre les deux marchés en
cause.
Selon notre raisonnement, la circonstance particulière dégagée de l'arrêt Akzo pour la
qualification d'abus de l'effet magnétique de la position dominante devait être rapportée
en apportant par tous moyens la preuve que la pratique possédait un lien avec la position
dominante, et non pas le marché dominé.
Or, les jurisprudences postérieures à l'arrêt Akzo ont pourtant procédé à la démonstration
du renforcement de position dominante opérée par la pratique réalisée sur le marché
distinct par la preuve d'un lien de connexité entre le marché distinct et le marché
dominé.
La preuve d'un renforcement de position dominante ne pourrait donc être rapportée en
pratique que par la démonstration d'un lien de connexité satisfaisant entre le marché
dominé et le marché distinct. Il nous semble qu'il s'agit là d'un raisonnement contraire
aux tenants de la jurisprudence Continental Can103, qui affirme que le renforcement de
position dominante est interdit, quels que soient les moyens employés à cet effet. Cet
arrêt semblait en effet considérer cette pratique comme fondamentalement contraire à la
politique de concurrence, ce qui nous laisse supposer que la démonstration de ce
comportement ne peut se limiter à la preuve d'un seul lien de connexité entre un marché
dominé et un marché distinct.
Finalement, les circonstances exceptionnelles énoncées dans les arrêts Tetra Pak et Akzo
trouvent rapidement leurs limites dans la contestation des liens de connexité entre le
marché dominé et le marché où les pratiques ont été localisées.
Les relations entre le marché distinct et le marché dominé sont en effet appréciées très
strictement. Ainsi la Cour d'appel de Paris ainsi que la Cour de cassation ont cassé le
raisonnement soutenu par l'Autorité de la concurrence dans l'affaire GlaxoSmithKline en
balayant chacun de ses arguments, en dépit du large faisceau d'indice que ces derniers
constituaient.
103 CJCE, 21 févr. 1973, Continental Can, aff. 6/72, Rec. CJCE 1973, p. 215.
84
Or, si nous pouvons admettre que le raisonnement tenu par l'Autorité de la concurrence
dans l'affaire GSK quant aux liens de connexité entre le marché dominé et le marché
distinct pouvait être renversé, et ce malgré la somme de ces arguments, l'analyse
économique de l'Autorité était, elle, incontestable.
Le test de coût mis en œuvre par l'Autorité de la concurrence avait révélé une
présomption de prédation. Ces résultats avaient d'ailleurs été approuvés par la Cour
d'appel de Paris et la Cour de cassation.
Ainsi, la rigueur juridique l'a emporté sur l'analyse économique alors que la politique et
le droit de la concurrence tendent à se sensibiliser d'une approche par les effets.
En tout état de cause, la mise en œuvre d'une pratique de prédation sur un marché
distinct du marché dominé se justifie au regard de l'intérêt financier de l'opérateur. Ainsi
la protection d'une position dominante par la mise en oeuvre de prix prédateurs sur le
marché dominé constitue une hypothèse coûteuse pour l'opérateur.
Au contraire, la mise en œuvre de telles pratiques sur un marché connexe à celui de la
position dominante et qui est plus étroit, permettra d'envoyer des signaux aux
concurrents potentiels à moindre coût. Ce raisonnement ce tient au regard de l'ampleur
du sacrifice de l'opérateur sur le marché dominé, sur lequel les quantités vendues sont
plus importantes que sur le marché connexe.
Or, de toute évidence les critères mis en œuvre par les juridictions dans la qualification
de l'abus fondé sur effet magnétique sont trop stricts dans l'hypothèse d'une prédation.
Ces critères exigent en effet la démonstration d'un fort lien de connexité entre la
position dominante et le marché distinct alors que l'opérateur évite justement de
sacrifier un marché à fort enjeu financier, et donc, proche de sa domination.
85
Il faudra retenir qu'un abus de position dominante ne peut être caractérisé que pour des
pratiques commises sur un marché dominé, ou selon des circonstances telles que les
pratiques relèvent de la position dominante de l'opérateur sur son marché dominé.
Ainsi, l'avancée jurisprudentielle des affaires Tetra Pak et Akzo reste relative, car elle
était prévisible. Elles reflètent seulement une des facettes de la réalité économique des
positions dominantes, dont le droit de concurrence pouvait sans trop de difficulté se
saisir.
En cela, il n'existe aucune réelle innovation dans la prise en considération des effets
magnétiques des positions dominantes, puisque ceux appréhendés par le droit de la
concurrence constituent en pratique des abus de position dominante quasiordinaires. Seule la notion de marché complexifie l'analyse des Autorités de
concurrence et rend ces abus originaux.
Nous conclurons cette partie en affirmant que les « circonstances exceptionnelles » qui
permettent de qualifier d'abus un effet magnétique de position dominantes n'en sont pas,
et qu'il s'agit pour les juridictions de redonner seulement la juste appréhension des
marchés, en admettant concrètement une extension légitime de la position dominante.
Il faut espérer cependant que la nouvelle analyse économique des Autorités de la
concurrence puisse réaffirmer la consécration d'abus fondés sur des effets magnétiques,
mais ces espoirs paraissent vains du fait que cette méthode repose sur le temps et de
l'argent qui manquent à nos juridictions.
86
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE
Les effets magnétiques des positions dominantes ont reçu un certain écho auprès de la
politique et droit de la concurrence, qui à l'origine, ne les envisageaient pas.
Ce phénomène a pu s'appuyer, pour être appréhendé par le droit de la concurrence, sur
quelques jurisprudences qui avaient développé des conceptions larges de la notion
d'abus.
L'effet magnétique des positions dominantes a même connu des aménagements
jurisprudentiels spéciaux, réalisés lors de la découverte de ce phénomène par les
Juridictions.
Au fur et à mesure de la découverte de ces situations, la qualification d'abus des effets
magnétiques de position dominante s'est pérennisée, et installée.
Néanmoins, l'ouverture apparente du droit de la concurrence à la prise en compte des
effets magnétiques de position dominante est en réalité strictement contrôlée.
L'effet magnétique de l'opérateur en position dominante n'est en effet appréhendé qu'à la
condition que l'opérateur possède un degré d'indépendance dans son comportement,
sur le marché sur lequel il a réalisé ses pratiques anticoncurrentielles.
Ainsi, nous pouvons considérer que les effets magnétiques des positions dominantes ne
sont réellement condamnés que lorsque le marché sur lequel le comportement est
localisé, est assimilable au marché dominé de l'opérateur. Ce dernier doit en effet
détenir une déformation de position dominante, que la jurisprudence considère comme
un état de « prééminence ».
87
Il existe donc une grande rigueur juridique dans l'appréhension du phénomène des effets
magnétiques des positions dominantes, qui supplante la réalité économique de ce
phénomène, comme l'a démontré l'affaire GlaxoSmithKline.
Finalement, nous pourrons retenir qu'à l'heure d'aujourd'hui, les effets magnétiques de
position dominante sont réellement considérés par le droit et la politique de concurrence
à la condition que l'effet magnétique, c'est à dire l'attirance irrésistible de la pratique à la
domination, soit avéré et incontestable.
Il faut donc en conclure que tous les effets magnétiques des positions dominantes ne
sont pas pris en compte par notre droit de la concurrence, et que l'opérateur en position
dominante peut être considéré comme un concurrent banal, malgré les ressources de son
pouvoir de marché.
88
CONCLUSION
La qualification d'abus des comportements d'opérateurs en position dominante suppose
que ces derniers soient en situation de position dominante.
L'incrimination de ces comportements nécessite également que la pratique de l'opérateur
se rapporte à cette position dominante.
L'étude sur l'influence des positions dominantes nous démontre en effet que
l'appréhension des effets levier et magnétiques de position dominante par la politique et
droit de la concurrence est subordonnée à l'existence d'un lien de connexité entre le
marché dominé et le marché distinct.
Or, un la mise en œuvre d'un tel critère peut servir d'obstacle à une qualification d'abus
de position dominante.
Nous pensons donc que les Autorités de concurrence ne doivent pas s'attacher à une
analyse trop juridique du marché, déconnectée de la réalité économique. Cette difficulté
devrait être en effet se soumettre à un droit de la concurrence téléologique.
Finalement, il est assez paradoxal de constater que la prise en compte des effets levier
est relativisée par la nouvelle approche économique des Autorités de concurrence, alors
que cette nouvelle analyse, appliquée aux effets magnétiques de position dominante,
ouvrirait pour ces derniers la qualification d'abus.
En effet, l'approche per se des abus de position dominante garantissait la condamnation
des effets levier de position dominante par les Autorités de concurrence.
Or, cette méthode est aujourd'hui remplacée progressivement par une analyse
économique insufflée par le droit américain de la concurrence, qui tend à combattre la
certitude de la nocivité de la pratique que présumait la réunion des critères objectifs
d'abus.
89
D'autre part, les abus fondés sur un effet magnétique de position dominante ne
pouvaient être caractérisés du fait de leur incapacité à réunir tous les critères objectifs de
l'abus. Or, la supplantation de l'approche objective d'abus par la nouvelle analyse fondée
sur les effets permettrait d'élargir la qualification d'abus aux effets magnétiques.
Or, dans l'état actuel de la politique et du droit de la concurrence, l'approche par les
effets ne peut supplanter l'analyse juridique des Autorités, par manque de temps et de
moyens analytiques et financiers.
Il existe donc un « double filtre » à la qualification d'abus, qui affecte évidemment
l'appréhension des effets leviers et magnétiques des positions dominantes.
Cette multiplication de contrôle rend effectivement plus difficile la condamnation des
interactions de la position dominante avec les marchés non-dominés, qui n'a, pour le
surplus, jamais été aisée.
Il faut craindre en effet que la modernisation de la politique de concurrence, loin de
rendre plus accessible le droit de la concurrence, va complexifier davantage les grilles
d'analyse des Autorités de la concurrence.
Nous admettrons finalement que l'effet magnétique des positions dominantes et l'effet
levier constitue des phénomènes inversés. Ils n'ont donc pas les mêmes finalités et la
même nocivité.
Or, le point central de la prise en compte de l'influence des positions dominantes sur les
marchés non-dominés par la politique et droit de la concurrence, demeure bien la
constatation ou non d'une nocivité de ces pratiques sur les marchés, au détriment in fine
du consommateur.
Il importe donc que ces pratiques connaissent de telles conséquences. L'effet levier est
relativement considéré comme néfaste pour la concurrence, et cela même au regard
d'un bilan concurrentiel intervenant en sa faveur.
La mise en œuvre d'un effet magnétique constitue, elle, la pratique qui pose le plus de
90
doute quant à l'affectation qu'elle entraîne sur le marché. En effet, si la pratique est mise
en œuvre sur un marché non-dominé par l'opérateur, il est logique de croire que cette
pratique sera aussi efficace que si un autre concurrent du marché l'avait réalisée.
Or, la pratique d'éviction constitue ici la contre-hypothèse la plus pertinente. La
Commission dans sa communication du 24 février 2009 sur les orientations retenues
pour la mise en œuvre de l'article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne aux pratiques d'éviction, déclare justement qu'« il peut être plus aisé pour
l'entreprise dominante d'adopter un comportement prédateur en ciblant sélectivement
certains clients au moyen de prix peu élevés, car cela lui permettra de limiter ses
pertes »104. Ainsi la Commission reconnaît indirectement que la mise en œuvre d'une
pratique de prédation sur un marché distinct de celui de la domination sera préférée par
l'opérateur à une prédation mise en œuvre sur le marché dominé.
Or les pratiques de prédations constituent une des pratiques d'éviction les plus
dangereuses, pour les concurrents mais surtout pour les consommateurs, qui à terme,
constate la ré-augmentation des prix.
Ainsi, si les marchés non-dominés constituent un terrain idéal pour la mise en œuvre de
telles pratiques, il ne peut être admis que les effets magnétiques de position dominante
connaissent des conséquences résiduelles.
Pour conclure, le contrôle des abus de position dominante est un domaine dans lequel
certaines questions sont encore ouvertes. Il s'agit en effet d'un sujet qui ne suscite qu'un
intérêt relatif pour la doctrine. Néanmoins, le droit de la concurrence est actuellement en
mutation, et la Commission affirme la priorité que doit revêtir l'appréhension des effets
d'éviction.
L'influence des positions dominantes a donc vocation à devenir de plus en plus encadrée
par les Autorités de la concurrence et à soulever encore une pléthore d'interrogations.
104 Selon le point 72 de la Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues
par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des
entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février 2009, p. C45/7.
91
BIBLIOGRAPHIE
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- Communication de la Commission, « Orientations sur les priorités retenues par la
Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction
abusives des entreprises dominantes », Journal Officiel de l'union européenne 24 Février
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2009, p. C45/7
- L. IDOT, Droit communautaire de la concurrence : le nouveau système
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III. THESES, MONOGRAPHIES ET MEMOIRES
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- S. HETCH, Existe-t-il une règle de raison dans le domaine des abus de position
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- E. THAUVIN, Les prix prédateurs, Mémoire Paris, Université Panthéon Assas, 2010
93
V. ARTICLES ET CHRONIQUES
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droit de l'Union, Recueil Dalloz Edition Affaires, 1996, n° 5, p. 131
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position dominante : des liens difficiles à nouer », Revue Lamy droit des affaires
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- C. PRIETO, « Abus de position dominante – Position dominante », Fasicule 1422
Jurisclasseur Europe Traité, 20 juillet 2010
94
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Traité, 20 juillet 2010
- P. REY, « Concurrence par les mérites » in La modernisation du droit de la
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VI. TABLE CHRONOLOGIQUE DE LA JURISPRUDENCE CITEE
Jurisprudence européenne
Cour de Justice de l'Union Européenne
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- CJCE, 6 mars 1974, Commercial Solvents contre Commission, aff. 6 et 7-73, Rec. I.
223
- CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, Rec. CJCE 1978, p.
207
95
- CJCE, 29 juin 1978, BP, Aff. 77/77, Rec. CJCE 1978, p. 1513
- CJCE, 13 février 1979, Hoffmann La Roche contre Commission, aff. 85/76, Rec.
CJCE 1979, p. 461
- CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, Rec. CJCE 1983, p. 346
- CJCE, 3 octobre
1985, Centre belge d'études de marché contre Compagnie
luxembourgeoise de Télédiffusion, aff. 311/84, Rec. CJCE 2006, I, p. 3261
- CJCE, 3 juillet 1991, AKZO contre Commission, Aff. C-62/86, Rec. CJCE 1991, I, p.
3359
- CJCE, 6 mars 1995, BPB contre commission, aff. C-310/93 P
- CJCE, 6 avril 1995, Magill/Commission, aff. C-241/91, Rec. CJCE 1995, I, p. 743
- CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, aff. C-333/94, Rec. CJCE 1996, I,
p. 5961
- CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner GmbH & Co. KG/Commission, aff. C-7/97,
Rec. CJCE 1998, I, p. 7791
- CJCE, 20 septembre 2003, Atlantic Container Line, point 907, aff. jointes T-191/98 et
T-212/98 à T-214/98, Rec. CJCE 2003, II, p. 3275
96
Tribunal de première instance des Communautés Européennes
- TPICE, 12 décembre 1991, Hilti contre Commission, aff. T-30/89, Rec. CJCE 1991, II,
p. 1439
- TPICE, 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, Aff. T65-89,
Rec. CJCE 1993, p. 389
- TPICE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, Aff. T-83/91, Rec. p. II-755
- TPICE, 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, Aff. T-229/94, Rec. p. II-1689
- TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar contre Commission, aff. T-228/97, Rec. CJCE
1999, II, p. 2969
- TPICE, 12 décembre 2000, Aéroport de Paris contre Commission, aff. T-128/98, Rec.
CJCE 2000, II, p. 3929
- TPICE, 30 septembre 2003, Michelin c/ Comm., aff. T-203/01, Rec. CJCE 2003, II, p.
4071
- TPICE, 23 octobre 2003, Van Den Bergh Foods/Commission, aff. T-65/98, Rec. p. II4653
- TPICE, 17 décembre 2003, British Airways contre Commission, aff. T-219/99, Rec.
CJCE 2003, II, p. 5917
- TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft contre Commission, aff. T-201/04, Rec. CJCE
2007, II, p. 3601
97
Commission Européenne
- Décision de la Commission Européenne du 14 décembre 1985, Akzo contre ECS, aff.
85/609/CEE, Journal Officiel des Communautés Européennes n° L374/1 décembre 1985
Jurisprudence nationale
Cour de cassation
- Cass. Com., 17 mars 2009, n°08-14.503, Bull. Civ. IV, n°39, D. 2009, p. 867, obs.
Chevrier E. et D. 2009, p. 2890, obs. Ferrier D., JCP G 2009, IV, n°1699, RLC 2009/20,
n°1404, obs. V. S., Rapport de cassation pour 2009 p.405
Cour d'appel de Paris
- CA Paris, 1ère Ch., 22 février 2005, Decaux, Concurrences, 2-2005, p.54
- CA Paris, 8 avril 2008, n°RG : 2007/07008
Autorité de la concurrence
- Cons. Conc., 28 avril 1987, SNMP, décision n°87-D-8, BOCCRF 15 mai 1987,
Recueil Lamy, n°277, Rev. Conc. Consom . 1987, n°39, p.74, étude Pantz
- Cons. Conc., 21 octobre 1997, Pompes funèbres de Gonesse, décision n°97-D-76,
rapport d'activité annuel 1997 p.86
- Cons. Conc., 5 mars 2001, Française des jeux, décision n°00-D-50, BOCCRF 24 avril
2001, p. 343, Recueil Lamy, n°849, comm. Grall J.-C
- Cons. Conc., 18 mars 2005, Canal + déc. n° 05-D-13, Rapport annuel d'activité 2005
98
p. 191
- Cons. Conc., 14 mars 2007, GlaxoSmithKline France, n°07-D-09, rapport d'activité
annuel 2007 p.90
VII. SITES INTERNET
–
Curia.europa.eu
–
Europa.eu
–
www.autoritedelaconcurrence.fr
99
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS.......................................................................................................p4
LISTE DES ABREVIATIONS........................................................................................p5
SOMMAIRE....................................................................................................................p6
INTRODUCTION...........................................................................................................p8
Partie I – L'effet levier des positions dominantes.....................................................p13
Chapitre I – Une qualification d'abus de position dominante légitime......p16
Section I – Une qualification en cohérence avec la politique de
concurrence............................................................................................p16
§1. Une lutte politique fondamentale contre les effets leviers...p17
§2. Une lutte politique nuancée par les économistes.................p19
Section II - Une application manifeste de l'article 102 du TFUE..........p21
§1. Confortée par la discrétion du texte formel..........................p21
1. L'exploitation abusive d'une position dominante.......p22
2. La nécessité d'une affectation du marché...................p22
§2. Précisée par la jurisprudence................................................p24
1. L'effet levier fondé sur des ventes liées......................p25
2. L'effet levier fondé sur un refus de contracter............p26
Chapitre II – Une qualification originale d'abus devenue complexe..........p30
Section I – L'influence spéciale d'un marché non-dominé dans la
qualification d'abus................................................................................p30
§1. Admission contestée de l'abus fondé sur un effet levier.......p31
§2. Aménagements opportuns de la notion de marché...............p35
Section II – L'émergence d'une « règle de raison » contrariante...........p39
§1. La nouvelle approche par les effets......................................p40
§2. Les exceptions de défense....................................................p44
1. Les justifications objectives de l'effet levier...............p44
2. Les gains d'efficacité de l'effet levier.........................p46
Partie II – L'effet magnétique des positions dominantes........................................p50
100
Chapitre I – Une qualification d'abus de position dominante imprévue....p51
Section I – Une politique de concurrence mitigée à l'égard des effets
magnétiques...........................................................................................p53
§1. Une politique de concurrence entendue restrictivement......p53
§2. Le vecteur de la concurrence par les mérites.......................p57
Section II – Une qualification écartée par le droit de la concurrence....p60
§1. Le phénomène des effets magnétiques ignoré de l'article 102
du Traité.....................................................................................p60
§2. Une jurisprudence indifférente mais accommodante...........p62
1. Une exploitation abusive de la position dominante
tolérante..........................................................................p62
2. Le détour par la notion élargie d'« entreprise »..........p64
Chapitre II – Une qualification d'abus ménagée mais insuffisante............p67
Section I Une admission stricte de la qualification d'abus pérennisée...p67
§1. La consécration de circonstances particulières nécessaires à la
qualification d'abus.....................................................................p68
1. La nécessité d'une volonté de renforcer la position
dominante : Arrêt Akzo..................................................p68
2. La nécessité d'un lien de connexité entre le marché
distinct et le marché dominé : Arrêt Tetra Pak...............p70
§2. La confirmation jurisprudentielle des circonstances
particulières................................................................................p73
Section II – Un assouplissement entravé par un juridisme infertile......p75
§1. La restriction des effets magnétiques dans l'affaire GSK....p76
1. La condamnation de GSK par l'Autorité de la
concurrence....................................................................p77
2. La relaxe de GSK par les juridictions de contrôle.....p80
§2. La prise de conscience d'une absence d'innovation.............p82
CONCLUSION.............................................................................................................p87
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................p92
101