Enquête auprès des internes de psychiatrie sur la formation aux

Transcription

Enquête auprès des internes de psychiatrie sur la formation aux
VIE PROFESSIONNELLE
Enquête auprès des internes
de psychiatrie sur la formation
aux psychothérapies
M. Azoulay*, A. Van Effenterre*
A
* Internat DES de psychiatrie à Paris ;
bureau de l’Association française
fédérative des étudiants en psychiatrie (AFFEP).
près avoir mené une enquête sur la recherche
durant l’internat, l’Association française fédérative des étudiants en psychiatrie (AFFEP)
a choisi de s’intéresser à la formation des internes
aux psychothérapies. Les résultats de cette enquête
ont été présentés lors de la 11e Journée de l’interne,
en mars 2011 à Paris, et lors du Congrès français de
psychiatrie, à Lille, en décembre de la même année.
2011. Le développement et le dynamisme du réseau
associatif (référents locaux dans chaque ville d’internat, site Internet) nous ont permis d’atteindre
65 % de réponses (soit 869 internes sur 1 334). Ce
taux varie cependant beaucoup d’une ville à l’autre :
de 14 % à Dijon à 84 % à Marseille (figure 1). Les
taux de réponses par année d’internat sont, quant
à eux, assez homogènes.
Objectifs de cette enquête
Les internes et la formation
théorique universitaire
Afin d’établir un état des lieux de la formation
actuelle et de connaître l’intérêt (ou le désintérêt)
des internes pour les psychothérapies, l’AFFEP les a
interrogés sur leur formation universitaire et extrauniversitaire aux psychothérapies.
Un questionnaire anonyme a été diffusé d’octobre 2010 à janvier 2011 aux internes constituant
les 4 promotions de l’année universitaire 2010-
Dijon
Amiens
Grenoble
Poitiers
Brest
Besançon
Rennes
Bordeaux
Caen
Nantes
Angers
Reims
Saint-Étienne
Tours
Rouen
Montpellier
Nancy
Lyon
Clermont-Ferrand
Limoges
Lille
Paris
Nice
Strasbourg
Toulouse
Marseille
%
90
84
77 78
80
74
73
69 70 71 71 72
70
66 66 67 67 67 68 68
65 %
59
60
56 56
52 52 52 52
50
43
40
Réponses (%)
30
Moyenne
20 14
10
0
Figure 1. Taux de réponses au questionnaire par ville.
68 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 2 - mars-avril 2012
Les internes ont évalué leur formation théorique
aux 3 principaux courants psychothérapeutiques
(psychanalyse, systémie, thérapie cognitivo-comportementale [TCC]) en la cotant de la façon suivante :
très insuffisante, insuffisante, satisfaisante ou très
satisfaisante. Une proportion très élevée des internes
ayant répondu au questionnaire juge cette formation
insuffisante. En effet, 75 % des internes estiment la
formation théorique aux TCC et à la psychanalyse
insuffisante ou très insuffisante ; ce chiffre atteint
81 % pour la formation théorique à la systémie.
Si l’on s’intéresse aux différentes villes d’internat,
3 profils peuvent être distingués.
➤➤ Vingt villes sont insatisfaites, c’est-à-dire que
plus de 50 % des internes jugent leur formation théorique insuffisante dans ces 3 courants psychothérapeutiques : Amiens, Angers, Besançon, Bordeaux,
Caen, Dijon, Grenoble, Limoges, Lyon, Marseille,
Montpellier, Nancy, Nantes, Paris, Poitiers, Rennes,
Rouen, Saint-Étienne, Toulouse et Tours. Parmi
ces 20 villes, 8 sont très insatisfaites, c’est-à-dire
que plus de 75 % des internes jugent leur formation théorique insuffisante dans les 3 courants :
Amiens, Dijon, Grenoble, Limoges, Lyon, Marseille,
Rouen et Toulouse.
➤➤ Quatre villes sont satisfaites dans un seul
courant psychothérapeutique, c’est-à-dire que
VIE PROFESSIONNELLE
27
24 24 23
25
20
13 13 13 12
11 11 10
10
5
8 7 7
6 6 6 5
Saint-Étienne
Clermont-Ferrand
Marseille
Brest
Grenoble
0
Lille
0
Figure 2. Répartition des internes en formation extra-universitaire par ville.
%
50
45
Les internes et la psychanalyse
35
Toutes années confondues, 19 % des internes ayant
répondu au questionnaire sont en cure analytique ou
en psychothérapie d’inspiration psychanalytique, et
26 % y songent. La proportion d’internes en analyse
augmente entre le début et la fin de l’internat : 13 %
en première année, 26 % en quatrième année. Cette
proportion varie grandement d’une ville à l’autre,
atteignant plus de 50 % à Brest et à Strasbourg
(figure 4, page 70).
Parmi les internes en analyse, près de la moitié (45 %)
souhaitent exercer en tant que psychanalystes,
soit 9 % de l’ensemble des internes ayant répondu
au questionnaire.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que 9 % des
internes en analyse suivent également une formation
privée dans un autre courant psychothérapeutique
et que 29 % y songent.
25
Dans le questionnaire, la supervision était définie
comme un “temps réservé à un échange avec un
17 17
15
47
42
40
Les internes et la supervision
21 20
19
Toulouse
Toutes années confondues, 16 % des internes ayant
répondu au questionnaire se forment, parallèlement
au DES (diplôme d’études spécialisées), aux psychothérapies dans des instituts privés de formation ou
des associations scientifiques spécialisées, et 30 %
y songent. En fin d’internat, cette formation extrauniversitaire concerne un quart des internes.
Le taux d’internes suivant une formation aux psychothérapies en plus du DES est très variable en fonction
des villes (figure 2) et des courants psychothérapeutiques (figure 3).
30
Reims
Caen
Rouen
Nancy
Amiens
Dijon
Rennes
Limoges
Angers
Poitiers
Nice
Paris
Lyon
Strasbourg
Besançon
Montpellier
Les internes et la formation
extra-universitaire
%
40 37 37
35
Bordeaux
Tours
Nantes
plus de 50 % des internes jugent leur formation
théorique satisfaisante dans le domaine concerné :
Strasbourg, Brest et Reims pour la psychanalyse ;
Clermont-Ferrand pour les TCC.
➤➤ Deux villes sont satisfaites dans 2 courants
psychothérapeutiques : Lille pour la systémie et
les TCC, et Nice pour la psychanalyse et les TCC.
Ainsi, il n’existe aucune ville dans laquelle les
internes sont satisfaits de la formation reçue dans
les 3 principaux courants psychothérapeutiques.
30
20
15
10
7
5
2
2
0
TCC
Systémie
Hypnose
Thérapies
brèves
Autres
Figure 3. Répartition des formations extra-universitaires selon les courants psychothérapeutiques.
sénior à propos des difficultés dans la relation thérapeutique entre l’interne et le patient”. Quatre-vingtdix-sept pour cent des internes ayant répondu au
questionnaire considèrent qu’une telle supervision
est nécessaire durant l’internat, ce taux variant de
75 % à 100 % selon les villes. Parmi eux, plus de
trois quarts (78 %) la souhaiteraient hebdomadaire
ou bimensuelle.
La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 2 - mars-avril 2012 | 69
VIE PROFESSIONNELLE
%
70
60 60
50
20
25 24
22
Paris
9 9 8 7
6 5
4
Grenoble
Lyon
Toulouse
Nancy
Angers
Bordeaux
Marseille
Tours
Nantes
Besançon
Rouen
Amiens
Nice
Lille
Poitiers
Caen
0
Strasbourg
Brest
Dijon
10
18 17 17 17 17 16
15 15 14
12
0 0
Montpellier
Limoges
Rennes
30
Clermont-Ferrand
33
30
Reims
40
Saint-Étienne
50
Figure 4. Taux d’internes en analyse par ville.
Les pistes d’amélioration
%
90
80
70
60
50
40
29 29
30
33
37
50 50 53
46 47 48 49
44
44
40 42
61 63
56 57 59
74 77
69 71
81
51 %
20 19
Grenoble
Marseille
Rouen
Dijon
Saint-Étienne
Bordeaux
Nancy
Lille
Rennes
Paris
Limoges
Angers
Toulouse
Besançon
Clermont-Ferrand
Reims
Brest
Poitiers
Nice
Lyon
Tours
Caen
Amiens
Montpellier
Strasbourg
Nantes
10
0
Figure 5. Taux d’internes ayant accès à une supervision par ville.
Afin de mieux comprendre les
souhaits et les attentes des internes,
cette enquête quantitative a été
complétée par une enquête qualitative menée auprès d’une trentaine
d’internes en psychiatrie par Françoise Champion et Xavier Briffault,
sociologues de l’équipe CESAMES du
CERMES3.
1
théorique obligatoire aux principes généraux et aux
différents grands courants psychothérapeutiques
(psychanalyse, systémie, TCC) en première partie
d’internat, pouvant être suivie d’une formation
facultative approfondie dans un ou plusieurs de
ces courants.
La très grande majorité des internes (95 %) ayant
répondu au questionnaire est favorable à ce
modèle. Parmi les 39 internes (5 %) défavorables,
31 ont justifié leur désaccord : 5 ne veulent pas être
formés aux psychothérapies, et 12 ne veulent être
formés qu’à un seul courant psychothérapeutique ;
les 14 internes restants demandent un modèle différent de formation aux psychothérapies : 7 internes
souhaitent que celle-ci reste facultative, 2 estiment
qu’il est trop tôt pour se former aux psychothérapies pendant l’internat et 5 considèrent que le
modèle proposé n’est pas assez approfondi, critiquant l’aspect purement théorique du modèle décrit
ou regrettant une formation centrée uniquement
sur ces 3 courants1.
Malheureusement, à l’heure actuelle, seuls la moitié
des internes (51 %) ont accès à une supervision, avec
une grande hétérogénéité en fonction des villes
(figure 5).
Les souhaits des internes
Un projet de formation aux psychothérapies en
2 temps a été proposé aux internes : une formation
70 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 2 - mars-avril 2012
Il est important de rappeler que, aujourd’hui, en
dehors du Bulletin officiel de 2004 définissant de
façon très succincte le DES de psychiatrie, il n’existe
pas de maquette nationale de psychiatrie en France.
La formation universitaire aux psychothérapies est
ainsi extrêmement variable d’une ville à l’autre, le
contenu de chaque DES étant sous la responsabilité
unique du coordonnateur régional. Ainsi, certaines
villes offrent aux internes la possibilité de s’inscrire à
des séminaires de formation à de nombreux courants
psychothérapeutiques, d’autres sont plus orientées,
avec une ouverture restreinte à certains courants ;
d’autres, enfin, ne proposent pas de séminaires de
formation aux psychothérapies dans le cadre du
DES de psychiatrie.
En comparant les taux de satisfaction ou d’insatisfaction et l’offre de formation pour chaque ville,
on constate que l’insatisfaction des internes, qui
n’est pas surprenante dans les villes où aucun
cours de DES n’est dédié aux psychothérapies
(Amiens et Bordeaux, par exemple), se retrouve
aussi dans une ville comme Paris, où il existe de
nombreux séminaires dédiés aux psychothérapies.
Ainsi, un nombre élevé de séminaires proposés n’est
pas garant de la satisfaction des internes. Plusieurs
explications peuvent être évoquées. Malgré une
offre importante, l’accès à ces séminaires est parfois
restreint, du fait de stages trop prenants et du non-
VIE PROFESSIONNELLE
respect des 2 demi-journées de formation hebdomadaires. Par ailleurs, la dimension qualitative est
très certainement un meilleur garant de la satisfaction des internes que la dimension quantitative.
Ainsi, dans les 2 villes, Lille et Nice, où les internes
se montrent satisfaits de la formation universitaire
dans 2 courants psychothérapeutiques, les responsables de l’enseignement sont décrits par les internes
comme très investis et disponibles, et les séances
comme plus interactives et appréciables grâce à
des effectifs d’internes relativement faibles dans
chaque séminaire. Enfin, l’hypothèse du caractère
non obligatoire de la participation à ces séminaires
comme explication du taux d’insatisfaction doit être
évoquée, même si elle n’aurait de sens que si la
qualité de la formation et les compétences pédagogiques de l’enseignant étaient garanties ; et si
ce caractère obligatoire était limité à la première
partie de l’internat. Ainsi, l’exemple lillois rejoint
les résultats de notre enquête, puisque les internes
doivent valider 8 séminaires obligatoires, dont
3 consacrés aux psychothérapies : 2 séminaires d’initiation en première partie d’internat et un séminaire
d’approfondissement en seconde partie d’internat,
séminaire durant lequel les internes choisissent l’un
des courants abordés en initiation.
Enfin, la question de la supervision doit attirer
toute l’attention des internes, des chefs de service
accueillant des internes et des responsables de l’enseignement. En effet, le décalage important entre
les souhaits des internes, la nécessité incontestable
de la supervision aussi bien pour la formation des
internes que pour la prise en charge des patients,
et la réalité de l’offre de supervision est regrettable,
d’autant que la mise en pratique est relativement
aisée, soit directement sur le terrain de stage avec
un temps hebdomadaire ou bimensuel institutionnalisé de supervision, soit, comme c’est déjà le cas
dans certaines villes, sous forme de séminaires organisés par l’université en dehors des lieux de stage.
Conclusion
La grande majorité des internes ayant répondu au
questionnaire montrent un intérêt certain pour les
psychothérapies : majorité écrasante d’internes favorables au modèle de formation proposé, proportion
non négligeable d’internes en formation extrauniversitaire et en analyse, etc. Il est important
de souligner que ces formations extra-universitaires
et thérapies personnelles sont coûteuses en temps
et en argent, ce qui témoigne d’un réel investissement des internes. Par ailleurs, cet attrait pour les
psychothérapies concerne souvent plusieurs courants
psychothérapeutiques ; en effet, un nombre non
négligeable d’internes se forment, ou envisagent de
se former, à plusieurs courants, et seuls 12 internes
sur les 865 répondants souhaitent une formation
limitée à un seul courant. Les taux d’insatisfaction
élevés quant à la formation universitaire reçue
imposent une réelle remise en question de la formation actuelle et témoignent de la nécessité de la
création d’une maquette de psychiatrie incluant
une formation diversifiée et de qualité aux psychothérapies.
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