Sujet :Fiscalité et inégalités

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Sujet :Fiscalité et inégalités
SESSION 2016 - ECONOMIE
EPREUVE COMMUNE SUR DOSSIER : ORAL
Jury : Marie Eyquem-Renault et Claire Silvant
Sujet :Fiscalité et inégalités
Document 1 : A. BOZIO et J. GRENET, Economie des politiques publiques, Coll. Repères,
La Découverte, 2010. Extrait.
Document 2 : Y. L’HORTY, « Repenser le soutien aux bas revenus », Alternatives
Economiques Hors-série n° 103, décembre 2014. Extrait.
Document 3 : Th. PIKETTY, « Repenser l’impôt sur le patrimoine », Chronique, Le Monde,
12-13 juin 2016. Extrait.
Document 1 :
Faute d'outils appropriés, la redistribution idéale est impossible. Néanmoins, lorsqu'on considère les
nombreux instruments de redistribution qui restent à la disposition des pouvoirs publics, un certain
nombre de règles permettent de se rapprocher d'une redistribution efficace.
Le premier principe consiste à privilégier une approche globale, et non partielle, des différentes
composantes de la redistribution. La redistribution des revenus au sein d'une société comporte en effet
deux formes distinctes : la partie « visible » de la redistribution est celle qui est opérée par l'État au
moyen du prélèvement des impôts et des cotisations sociales, et du versement des allocations et des
prestations sociales. D'un point de vue comptable, cette forme de redistribution est mesurée par la
différence entre la répartition primaire des revenus, qui correspond au partage de la valeur ajoutée
entre les agents économiques (revenus du travail, revenus du capital, etc.), et leur répartition
secondaire, qui est mesurée une fois pris en compte les impôts et transferts de l'État. Les autres
politiques publiques, qui visent avant tout à corriger les défaillances de marché, ont aussi des effets
redistributifs indirects : la régulation des marchés, la fourniture des biens publics ou encore la gestion
des assurances sociales opèrent presque toujours une redistribution des richesses entre les agents
économiques. Certaines interventions visant à corriger les défaillances de marché peuvent ainsi avoir
des effets redistributifs positifs : l'éducation primaire et secondaire ou l'assurance santé sont dans ce
cas de figure, puisque la dépense publique dont bénéficient les individus à bas revenus est inférieure à
leur contribution au financement de ces services. À l'inverse, la fiscalité environnementale, le soutien à
la culture ou encore les assurances retraite ont plutôt tendance à avoir des effets anti-redistributifs.
Le second principe consiste à préférer la fiscalité aux autres instruments de redistribution. Dans la
mesure où seule compte la redistribution globale opérée par le système, l'approche consistant à ajuster
chaque politique publique isolément pour tenter de corriger ses effets redistributifs est inappropriée.
En réalité, il est beaucoup plus efficace de privilégier l'instrument fiscal pour réaliser l'objectif de
redistribution de manière cohérente : s'il existe un impôt sur le revenu et des transferts qui peuvent être
paramétrés en fonction de caractéristiques personnelles comme le revenu, le nombre d'individus
composant le ménage ou encore le lieu d'habitation, l'outil fiscal peut toujours être utilisé pour
compenser les effets redistributifs d'une politique publique. Le corollaire de ce résultat est que le
principal critère qui doit déterminer le choix d'une politique publique est son degré d'efficacité pour
atteindre l'objectif qui lui est assigné (corriger une externalité, fournir un bien public, etc.) et non pas
l'ampleur de ses effets redistributifs, puisque ces derniers pourront toujours être corrigés par l'outil
fiscal [Kaplow, 2008]. La fiscalité environnementale fournit une bonne illustration de ce principe de
séparabilité. La mise en place de la taxe carbone est souvent critiquée au motif qu'elle pèserait plus
lourdement sur les ménages pauvres que sur les ménages riches. En effet, bien qu'elle conduise
l'ensemble des consommateurs à réduire leur consommation de produits polluants, une taxe de ce type
pénaliserait davantage les ménages résidant hors des centres-ville ou consacrant une part importante de
leur revenu à la consommation d'énergie. Le principe de séparabilité stipule que ce phénomène ne
constitue pas en soi un obstacle à la mise en place d'une taxe carbone, à partir du moment où il est
possible de redistribuer entièrement le produit de cet impôt sous la forme de transferts qui laissent
inchangé le revenu des individus taxés : un consommateur qui verrait ses dépenses augmenter en
raison de cette taxe pourrait en principe recevoir un chèque dont le montant serait déterminé par la
prise en compte d'un certain nombre de critères objectifs (revenu, lieu de résidence, nombre d'enfants
vivant dans le ménage, etc.), influençant directement sa consommation d'énergie. La compensation de
l'impact redistributif de cette taxe permet de maintenir l'incitation à moins polluer (les prix relatifs des
biens polluants étant plus élevés avec la taxe carbone, les individus ont moins intérêt à consommer ces
biens) mais sans modifier le niveau de vie relatif des individus.
Le rôle privilégié de la fiscalité comme instrument de redistribution plaide en faveur d'un système
combinant un impôt sur le revenu progressif et des transferts ciblés dépendant du revenu, de la
situation familiale, du lieu de résidence, etc. Un tel système s'apparente au système idéal d'impôt et de
transferts forfaitaires évoqué dans le cadre de la redistribution idéale, tout en s'en distinguant par sa
conditionnalité au revenu. En ce sens, et contrairement à un système de taxation forfaitaire, la taxation
du revenu crée une désincitation au travail qui implique l'existence d'un arbitrage entre redistribution
et efficacité [Mirrlees, 1971]. Malgré ces distorsions, la fiscalité directe reste plus efficace que les
outils de redistribution indirecte.
Document 2 :
L'Etat ne manque pas de moyens pour soutenir les bas revenus. Qu'il s'agisse de lutter contre la
pauvreté ou contre les inégalités, il dispose d'un ensemble impressionnant d'instruments lui permettant
de contrecarrer les inégalités dans la distribution primaire des revenus. Des dispositifs existent à toutes
les étapes de la formation des revenus, du Smic au RSA, en passant par les exonérations générales de
cotisations sociales ciblées sur les bas salaires, la prime pour l'emploi (PPE), appelée à se fondre dans
une nouvelle prime d'activité, ainsi que de nombreuses allocations sous conditions de ressources. Tous
ces dispositifs fiscaux et sociaux complètent des actions non monétaires, déclinées dans le plan de
lutte contre la pauvreté lancé en janvier 2013. Mais face à l'ampleur persistante de la crise, on peut
s'interroger sur la cohérence de ces actions. (…)
Si l'on veut cibler la pauvreté, il faut agir au niveau des ménages en considérant toutes les sources de
revenus. Seul un instrument fiscal qui mobilise potentiellement toute l'information disponible dans les
déclarations de revenus remplit ce cahier des charges. La prime pour l'emploi, instaurée en 2001 par le
gouvernement de Lionel Jospin, entre dans cette catégorie de crédit d'impôt. Mais malgré de
nombreuses réformes tout au long des années 2000, elle est restée, elle aussi, très peu ciblée sur les
ménages pauvres. Elle exclut les ménages les plus éloignés de l'emploi puisqu'il faut travailler pour en
bénéficier et avoir un revenu supérieur à 0,3 Smic. Elle bénéficie en revanche à des ménages aisés, il
est vrai pour des montants faibles. Elle concernait près de 9 millions de bénéficiaires en 2008, soit un
quart des foyers fiscaux. Depuis la réforme du RSA, son barème a été gelé, ce qui a conduit à un reflux
du nombre de bénéficiaires (tombé à 7,7 millions en 2011) et à une baisse de son coût budgétaire
(passé de 4,3 milliards à 3 milliards d'euros). Malgré tous ces ajustements, le défaut originel de la
prime a été conservé : elle donne peu à beaucoup, là où il faudrait donner beaucoup à peu.
Un deuxième défaut rédhibitoire est sa lenteur. Dans un pays comme la France où l'impôt sur les
revenus de l'année n'est payé que l'année n + 1, il peut s'écouler vingt et un mois entre un changement
de situation sur le marché du travail, en janvier, et la date de perception de la prime, qui a lieu en
septembre. Des réformes ont tenté de réduire ce délai, en mensualisant la prime ou en proposant des
avances, mais elles n'ont guère rencontré leur public. (…)
Document 3 :
Faut-il supprimer l’impôt sur la fortune (ISF) ? C’est en tout cas ce que vont proposer la plupart des
candidats à la primaire de droite. Ce serait pourtant une lourde faute politique et économique. (…) Les
maigres marges de manœuvre doivent être consacrées à d’autres priorités : l’allégement de la pression
fiscale et sociale pesant sur le travail (le financement de notre protection sociale repose trop
lourdement sur les salaires), et l’investissement dans la formation et la recherche.
Surtout, l’impôt sur le patrimoine mériterait une vraie réflexion et une réforme d’ensemble, qui devrait
prendre en compte non seulement l’ISF mais surtout la taxe foncière, qui en France comme dans tous
les pays est de très loin le principal impôt sur le patrimoine : plus de 25 milliards d’euros de recettes,
contre 5 milliards pour l’ISF. La taxe foncière constitue un impôt extrêmement lourd et injustement
réparti pour des millions de personnes cherchant à accéder à la propriété, et il est regrettable que les
responsables politiques – de droite et parfois de gauche – n’aient d’yeux que pour les contribuables
ISF. En rapprochant les deux impôts, on pourrait constituer à terme un impôt unifié et progressif sur le
patrimoine net, prenant en compte à la fois l’immobilier, les actifs financiers et les dettes. Cela
permettrait d’alléger la charge fiscale des plus modestes et de favoriser la mobilité du patrimoine.
Commençons par rappeler que les ménages français possèdent en 2016 plus de 10 000 milliards
d’euros de patrimoine (net de dettes), soit environ 200 000 euros en moyenne pour chacun des
quelques 50 millions d’adultes. La répartition est fortement inégale autour de cette moyenne. La
moitié la plus pauvre de la population détient à peine 5% du total, contre près de 60% pour les 10% les
plus riches. Parmi les 50% les moins dotés en patrimoine (au-dessous de 100 000 euros), ainsi que
parmi les 40% suivants (entre 100 000 et 400 000 euros), on trouve nombre de ménages lourdement
endettés, souvent sur des durées de plus en plus longues, compte tenu des prix de l’immobilier. On
notera aussi que la concentration des patrimoines reste extrêmement élevée à l’intérieur de chaque
classe d’âge (par exemple, elle est presque aussi forte parmi les plus de 60 ans que pour la population
dans son ensemble). Au total, sur les 10 000 milliards de patrimoine net, l’immobilier correspond à
près de 5000 milliards (6000 milliards pour la valeur brute des logements, dont il faut déduire plus de
1000 milliards d’emprunts), les actifs financiers à environ 4500 milliards (assurance-vie, actions,
obligations, dépôts et livrets bancaires), et les actifs professionnels des indépendants à plus de 500
milliards. Qu’en est-il des impôts sur le patrimoine ? L’ISF concerne les contribuables disposant de
plus de 1,3 millions d’euros de patrimoine net, avec un taux d’imposition progressif qui monte
graduellement de 0% à 1,5% (au-delà de 10 millions). Il existe de multiples exonérations et
abattements (par exemple de 30% sur la résidence principale), et l’impôt touche à peine 1% de la
population. Compte tenu de la prospérité de ce groupe social (environ 25% du patrimoine total détenu
par les 1% les plus riches, soit 2500 milliards d’euros), les recettes représentent tout de même un peu
plus de 5 milliards d’euros, soit un taux d’imposition moyen d’à peine 0,2%.
La taxe foncière suit une logique différente, puisqu’elle repose sur l’ensemble de la population
détenant des biens immobiliers. Les recettes n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, et
dépassent maintenant les 25 milliards d’euros, soit près de 0,5% de la valeur des biens concernés. La
taxe foncière est en principe proportionnelle (avec d’énormes variations locales) : chacun paie en
moyenne 0,5% de son bien (soit 1000 euros par an pour un bien de 200 000 euros, et 5000 euros pour
un bien d’un million). Mais comme les actifs financiers et les dettes ne sont pas pris en compte, le
système est en réalité violemment régressif. Par exemple, une personne possédant un bien de 200 000
euros et une dette de 150 000 euros (soit un patrimoine net de 50 000 euros), paie la même taxe
foncière qu’une personne qui aurait hérité du même bien et qui détiendrait en outre des actifs
financiers de 300 000 euros (soit un patrimoine net de 500 000 euros). Cette situation aberrante
s’explique par le fait que le taxe foncière a été créée il y a plus de deux siècles, de même que les très
lourds systèmes de « property tax » en vigueur aux Etats-Unis et dans la plupart des pays, à une
époque où la propriété prenait essentiellement la forme de terrains et de biens immobiliers, et où les
actifs financiers et les dettes n’existaient quasiment pas. Il est plus que temps de moderniser cet impôt
vénérable, en commençant par unifier les taux et les bases d’imposition au niveau national (source
d’injustice supplémentaire), et en introduisant la déduction des dettes et la prise en compte des actifs
financiers. (…)