Dossier - académie de Caen

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Dossier - académie de Caen
Bernard Buffet (1928-1999),
La Chapelle de Saint-Céneri-le-Gérei, 1976,
huile sur toile
L'artiste
Dès l'âge de vingt huit ans, après une formation à l' École Nationale Supérieure des Beaux-arts de
Paris, Bernard Buffet a connu un succès fulgurant auprès du public, puis a été boudé par les
critiques. Néanmoins, il a été reconnu comme un peintre majeur au XXe siècle et fut élu membre de
l'Académie des Beaux-arts, section Peinture, en 1974. Un musée lui est dédié au Japon et son œuvre
a fait l'objet de plusieurs monographies. Malraux ne l'aimait pas mais Giono, Aragon, Cocteau,
Druon, Pierre Bergé ou encore Simenon l'admiraient. Figure solitaire, dans le contexte artistique
des années 50 qui s'orienta vers la modernité de l'abstraction, Bernard Buffet resta toujours attaché
à la figuration; son style est très reconnaissable, mêlant un dessin expressif, tout en lignes brisées
élancées, à l'instar de sa signature qui figure ici en haut à droite du tableau, à une coloration plus
délavée et très personnelle relevée parfois par des accents matiéristes.
Bernard Buffet a abordé tous les genres, la nature morte(Nature morte au poulet, 1947), la scène de
genre (La Ravaudeuse de filet, 1948), le portrait, avec les célèbres représentations de clowns ou
encore les Portraits d' Anabel, son épouse, ainsi que des tableaux d'inspiration religieuse, dont
certains sont au Vatican . A chaque fois, il en donne une vision bien particulière, empreinte de
mélancolie, de compassion mais qui restitue également d'une manière sous-sous-jacente la violence
du monde. Marqué comme de nombreux artistes des années 50 par les horreurs de la Seconde
Guerre Mondiale, le peintre propose une vision du monde qui n'oublie jamais la fragilité du destin.
Chaque œuvre représente un questionnement sur l'existence.
« D'une enfance blessée, marquée par l'absence du père et la mort prématurée de la mère Blanche,
l'adorée qui le laisse orphelin pour la vie, Buffet tient sans doute sa tristesse profonde.
Traumatisme jamais guéri. L' Occupation, la découverte des horreurs de la guerre titre l'un de ses
chefs-d' œuvre et thème récurrent de sa peinture marquent aussi l'adolescent. Buffet semble porter
sur ses épaules, tel un pessimiste Atlas, toutes les misères du monde. Le mal hante ses tableaux. Le
désespoir les habite. De ses personnages maigres, réduits au squelette, aucun ne sourit jamais.
Même ses clowns pleurent. Ses villes, ses jardins, ses maisons, ses fleurs les plus colorées sont
tristes et la fleur qu'il préfère est l'épineux chardon. »Dominique Bona, Bernard Buffet, peintre de
la solitude, 2008, canalacadémie. com
L'œuvre
Ici Bernard Buffet aborde le genre du paysage comme il l'a fait précédemment (« Le paysage a
quatre siècles et Bernard Buffet vingt quatre ans » avait énoncé le poète Aragon en 1953 pour en
souligner la modernité) et toujours d'une manière très expressive voire expressionniste.
Pour commencer, en regardant cette peinture de biais, sur la tranche, nous pouvons apercevoir des
empâtements noirs de peinture à l'huile, composant une première matière du paysage.
« Toujours ce noir de nuit profonde, ce noir de deuil ou de cauchemar des enfers de Buffet. Poésie
et violence. Éclat tranchant des traits durs qui strient la toile. »Dominique Bona, op. cit.
Le noir est omniprésent dans ce paysage représentant la chapelle de Saint -Céneri, bien connue des
ornais. Cette modeste construction du XIVe siècle se trouve au bord de l'eau, dans un pré, entouré
de champs, délimité par des haies et non loin de la forêt. Elle est ici parfaitement reconnaissable.
Bernard Buffet a bien restitué sa silhouette au toit pentu, ici légèrement allongée, ainsi que la
couleur claire de sa pierre, aux murs animés par quatre fenêtres en ogive (une par face). L'isolement
de la chapelle, situé au bout d'une des dernières rues du village, est accentuée par la composition,
qui la place au centre du format horizontal de cette toile de grand taille ; c'est le seul élément bâti
dans cette nature sombre ; la chapelle est entourée d'un champ labouré, aux mottes grasses, sur
lesquelles gît une herse abandonnée ; ce champ est représenté par des stries griffant littéralement la
peinture noire et marron, à tel point que la toile du support devient visible. Bernard Buffet utilise le
couteau à peindre ; le mur de la chapelle est alors véritablement « maçonné »par une épaisse couche
de blanc cassé. Les quelques détails de la chapelle, esquissés par de fins traits noirs, n'en ressortent
que plus. La clarté de ces murs en fait un point lumineux, posé là, dans cette nature au traitement
plus sombre et plus violent. En effet, au second plan, apparaît une haie d'arbres, sans feuilles et
comme gravée sur la toile par des mouvements vifs, dont la trace reste visible dans l'épaisseur de la
peinture. Les traits dessinant les troncs des arbres sont verticaux et élancés, de gauche à droite et
plus tordus à droite .
C'est une représentation hivernale du lieu ; elle souligne l' isolement par une absence d'éléments
pittoresques. Cependant derrière ce rideau d'arbres, apparaissent des champs aux teintes plus claires,
ocre, marron, beige délavés, s'étendant en pente arrondies, vers le ciel ; celui-ci compose la dernière
bande horizontale en gris clair. L'horizontalité est donc affirmée ici par trois bandes composant les
trois plans du tableau et sur lesquels se détache l'image de cette chapelle. L'horizontalité renforce
visuellement et symboliquement, par contraste, la forme élancée de cette petite chapelle, lui
conférant toute sa force dans le temps et dans l'espace, comme l'expression d'une rédemption.
C'est là que le sens de cette œuvre s'articule, à travers ce traitement organisé et vigoureux à la fois,
souvent désigné comme un expressionnisme sombre. L'expressionnisme se manifeste par cette
exagération des tons et ou de lignes, souvent brisées ou exprimés d'un geste vif, à la manière d'un
Francis Bacon, autre grand solitaire de la peinture figurative de la seconde moitié du XXe siècle.
Le lieu
Bernard Buffet, à l'instar de nombreux autres artistes, est venu à Saint Céneri-le-Gérei, en 1975,
époque où il peint beaucoup de paysage.
Saint-Céneri se situe aux confins des départements de l'Orne, de la Mayenne et de la Sarthe, dans
les Alpes Mancelles, dans un des méandres de la Sarthe arrivant d'Alençon et s'écoulant vers Le
Mans . Sur son piton rocheux, aux falaises encadrant ses ruelles, son vieux pont et son église
romane, ornée de fresques médiévales, Saint-Céneri est considéré comme un des plus beaux
villages de France, dans une nature sauvage et préservée, où l'habitat ancien a été restauré. Ce lieu a
toujours attiré les artistes, depuis la fin du XVIIIe siècle; c'est Jean-Baptiste Corot qui en fait les
premières représentations au cours de ses séjours à Alençon en 1845 et 1853. L'éditeur de
Baudelaire, l' alençonnais Poulet-Malassis, en liens étroits avec les milieux littéraires et artistiques
de son temps, s'attachera à Saint-Céneri et contribuera à en faire un village d'artistes, où résideront
Paul Saïn, Henri-Joseph Harpignies ou encore Mary Renard; ainsi quelques œuvres tapissent encore
l'Auberge des peintres. Actuellement, il y existe des galeries et ateliers de peintre ; des
manifestations artistiques y sont organisées.
La chapelle de Saint-Céneri n'est pas l'élément le plus spectaculaire du village mais est appréciée
pour sa modestie et son calme, dû à sa situation en plein champ. Cette chapelle du XIVe siècle fut
bâtie sur l'emplacement où aurait vécu Saint Céneri. Elle est composée de fenêtres gothiques, d'une
statue de pèlerinage et d'un bloc de granit ; elle est dédiée aux jeunes filles désirant se marier.
Enfin, elle sert de cadre, ponctuellement, à des interventions d'art contemporain.