Introduction1 1. Les deux thèses du texte : naissance de la croyance

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Introduction1 1. Les deux thèses du texte : naissance de la croyance
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Introduction1
Quelle est l'origine de la croyance religieuse ? On peut difficilement répondre à cette question sans délivrer son
opinion sur la validité même de cette croyance. Nous semblons enfermés dans une alternative : ou bien la
religion existe parce qu'il existe réellement un Dieu insufflant aux hommes la grâce ; ou bien les hommes croient
en Dieu pour des raisons extra-religieuses (superstition, ignorance, etc.).
Hume paraît adopter le second point de vue. En effet, il tente dans ce texte d'expliquer l'apparition de la
croyance religieuse à partir de ce qu'il appelle les “ affections humaines ” (passions, sentiments ou émotions).
Plus précisément, il affirme que la croyance en l'existence d'une puissance divine naît des affections tristes et non
des affections joyeuses ou agréables. Par quels arguments Hume défend-il ce qu'il avance ? Quelles sont les
implications de ses thèses ? Nous répondrons à ces questions dans une étude détaillée du texte proposé.
1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
1. Les deux thèses du texte : naissance de la croyance religieuse
Dans un premier temps, l'auteur expose ses deux thèses principales : premièrement, la religion peut naître de
n'importe quelle affection humaine ; deuxièmement, elle apparaît de façon privilégiée à l'occasion des affections
tristes ou désagréables.
A. Origine passionnelle de la croyance religieuse
La première thèse de Hume est relativement claire : il affirme que les affections humaines peuvent être à
l'origine de la croyance religieuse. Quel est l'objet de cette croyance ? L'auteur parle d'une “ puissance invisible
et intelligente ”. Il n'indique donc aucune religion particulière, et ne précise même pas s'il s'agit de polythéisme
ou de monothéisme. Sa définition est donc générale et s'applique à l'ensemble des religions ; elle renvoie à un ou
plusieurs êtres qui agissent sur le monde (il s'agit d'une “ puissance ”) tout en demeurant hors du monde (elle
est “ invisible ”).
Nous pouvons d'ores et déjà nous poser la question : pourquoi l'esprit humain peut-il passer d'un sentiment ou
d'une passion à l'idée d'une puissance divine ? Hume n'y répond pas ici mais dans la suite du texte. Nous
pouvons néanmoins dire dès maintenant ce qu'implique sa thèse : Hume explique la naissance de la religion
par des causes extra-religieuses : les passions humaines. Il attribue ainsi à la religion une origine passionnelle.
Quelles sont les conséquences de cette première thèse ?
B. Conséquences de cette thèse : la religion comme invention instinctive
Perfidement, Hume donne implicitement à la religion le statut d'une invention. D'après lui, en effet, les
hommes ne sont pas croyants parce qu'un dieu existe. Ils croient parce que leurs affections (passions, sentiments
et sensations) les y poussent. La religion est donc une invention née des passions humaines, et non de l'existence
d'un dieu.
D'où une deuxième conséquence. La religion est un produit des passions, des sentiments. Les hommes ne
choisissent donc pas de devenir croyants. La croyance en un dieu n'est pas le résultat d'un choix volontaire,
mais le produit d'un instinct. C'est “ sous l'effet ” de la passion que les hommes sont conduits à l'idée d'un dieu
: ils sont passifs dans ce processus. En cela, Hume s'oppose évidemment à la théologie chrétienne, d'après
laquelle seul le libre arbitre de l'homme lui permet de se tourner vers Dieu ou de s'en détourner. Si les
affections font naître l'idée d'une puissance divine, alors la religion est une invention instinctive.
Notons au passage que Hume n'exclut pas d'autres raisons de croire. Il dit simplement que les passions
peuvent conduire à la croyance, sans préciser si d'autres chemins sont susceptibles de mener à la religion. Mais
sans doute son point de vue témoigne-t-il déjà d'un parti pris athée.
C. Les affections tristes y conduisent le plus fréquemment
La deuxième thèse de Hume, que tout le reste du texte s'attachera à prouver, est énoncée dès la deuxième phrase.
Elle est simple : les hommes sont davantage conduits à croire (“ s'agenouiller ”, selon les termes de l'auteur) par
leurs affections tristes (“ mélancolie ”) que par leurs affections gaies (“ passions agréables ”). Plusieurs
remarques s'imposent.
Tout d'abord, Hume trace explicitement un lien entre religion et tristesse. Croire est - le “ plus souvent ”, ditil - l'apanage des mélancoliques et des gens tristes. Cette importante dévalorisation de la croyance religieuse
est ensuite renforcée par l'expression s'“ agenouiller ”, mise à la place de “ croire ” : en l'utilisant, l'auteur pointe
du doigt le caractère le plus avilissant de la religion chrétienne et, par métonymie, l'assimile à la croyance
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religieuse en général. Hume suggère ainsi implicitement que la religion témoigne d'un avilissement de l'espèce
humaine.
Enfin, l'origine de la religion est détachée de tout sentiment à caractère moral. L'homme n'arrive pas à Dieu
comme Saint-Augustin, en contemplant la beauté et la perfection de ses œuvres. C'est sa “ mélancolie ”, sa “
crainte ”, sa “ méfiance ” et sa “ terreur ” qui le mènent à Dieu. Bref, si l'homme arrive à Dieu, c'est par
faiblesse. L'origine de la religion s'en trouve par là même, une fois encore, dévalorisée.
2. L'argumentation de Hume
L'auteur a exposé ses deux thèses, mais ne les a pas démontrées. C'est le travail de la seconde étape du texte, qui
s'attache surtout à prouver la validité de la seconde thèse. Il procède en deux temps : en premier lieu, il montre
pourquoi les affections agréables ou joyeuses ne conduisent pas à une croyance religieuse ; en second lieu, il
explique pourquoi les affections tristes y mènent naturellement.
A. Pourquoi les affections agréables ne suscitent pas la croyance
Deux arguments sont avancés par l'auteur pour démontrer que les affections gaies et agréables ne suscitent pas
l'idée d'une puissance divine.
Tout d'abord, Hume affirme que l'homme ne recherche pas les causes de son bonheur (sa “ prospérité ”), parce
qu'il considère celui-ci comme une possession normale, qui lui est due. En d'autres termes, l'homme estime que
le bonheur est son état naturel ; il n'a donc pas à s'interroger sur ses causes et déboucher sur l'idée d'une
divinité. Cet argument invoque implicitement la nature humaine, car l'auteur emploie un “ nous ” à valeur
universelle ; il affirme en définitive que l'homme est peu enclin aux remerciements. Nous verrons par la suite
qu'il a néanmoins tendance à se plaindre.
Dans un second argument, Hume aborde le problème différemment. Il examine les effets de la prospérité sur
l'homme. Celle-ci provoque toutes sortes d'affections agréables qui accaparent les sens. Or cet état, dit Hume, ne
donne ni le “ loisir ”, ni le “ goût ” de se tourner vers un dieu. Pourquoi ? Parce que les affections agréables
focalisent l'esprit sur la jouissance présente. L'homme ne ressent pas le besoin (“ le goût ”) d'aller chercher
au-delà du présent, puisque le présent le satisfait pleinement. Il n'en a pas non plus le temps (le “ loisir ”) car ces
affections occupent entièrement son esprit.
Bref, le bonheur ne porte pas l'homme vers Dieu, et ceci pour trois raisons : il n'incline pas l'homme à
remercier une hypothétique puissance supérieure ; il maintient l'homme dans la satisfaction du moment présent ;
il occupe tout son esprit. Il reste désormais à savoir pourquoi les affections tristes, quant à elles, suscitent la
croyance religieuse.
B. Pourquoi les affections tristes y conduisent
L'argument de Hume est développé dans la dernière phrase. Le propos est simple : le malheur (l'auteur parle d'“
accident funeste ”, ), contrairement au bonheur, incite à une recherche des causes. L'homme atteint par un
événement malheureux se met naturellement à chercher la cause de cet événement, et cette recherche le mène
insensiblement à l'idée d'une puissance dirigeant le monde.
Pourquoi le malheur suscite-t-il une telle recherche ? La raison en est la suivante : de même que le bonheur
attache l'homme à un état présent de satisfaction, le malheur incite l'homme à sortir d'un état présent de
douleur. De plus, l'événement malheureux provoque une crainte de l'avenir que l'homme désire nécessairement
apaiser. Bref, le malheur “ nous alarme ” et nous fait chercher tous les moyens d'en sortir . C'est pourquoi il faut
trouver au malheur à la fois une cause et un remède. Dès lors, l'homme finit par concevoir une puissance
intelligente, dirigeant le monde, et dont la volonté peut être pliée.
Par ce processus et en l'absence d'autres connaissances, l'homme considère que son destin est entre les mains
d'une puissance supérieure (il pense que son “ sort ” en “ dépend entièrement ”, dit Hume). En définitive, l'idée
de cause divine a pour origine les sensations douloureuses, les sentiments tristes et certaines passions
comme la crainte. Les affections tristes conduisent ainsi à l'idée d'une causalité très particulière, qui dirige le
monde tout en se trouvant hors du monde : celle d'une puissance divine.
3. Commentaire : un athéisme de Hume ?
Nous avons montré comment notre auteur explique la naissance de la religion à partir des affections humaines.
On peut désormais s'interroger sur le point de vue qu'il porte sur la religion elle-même : celui d'un religieux ?
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d'un moraliste ? d'un anthropologue ? d'un athée ? Bref, il faut nous demander comment Hume définit la
religion.
A. La religion naturalisée
Comme nous l'avons déjà souligné, Hume réduit l'origine de la religion à un instinct. En d'autres termes,
l'homme ne choisit pas de croire en un dieu : ses affections l'inclinent à croire. Quelles sont les conséquences de
cette thèse ? D'une part, l'existence de la religion est expliquée par une propriété de la nature humaine : la
capacité d'éprouver des affections. La religion est donc, par nature, liée à l'homme.
Mais d'autre part, et c'est l'essentiel, les causes qui produisent la croyance religieuse ne sont pas d'ordre
religieux. Elles relèvent plutôt de la psychologie, voire même de la physiologie : il s'agit des sensations,
passions et sentiments que l'auteur regroupe sous le terme d'“ affections ”. L'origine de la croyance est donc à
rechercher non seulement dans la nature humaine, mais encore dans la nature elle-même. Hume accomplit ainsi
une naturalisation de la croyance : il la fait dériver de propriétés qui appartiennent à la nature.
À cet égard, Hume est proche à la fois de Spinoza et des matérialistes de l'Antiquité comme Épicure et
Lucrèce. Tous ensemble expliquent la naissance de la religion par les passions humaines, et en particulier par la
crainte. De même, ils considèrent que l'homme est nécessairement porté à croire en vertu des lois de la nature
elle-même.
B. Une analyse anthropologique
Mais par quel type d'analyse Hume explique-t-il la naissance de la religion ? D'une part, nous avons vu qu'il
naturalise la religion et la fait dériver de propriétés appartenant à la nature humaine. D'autre part, les
explications de Hume concernent l'homme en société plutôt que l'homme individuel. L'auteur utilise
notamment le “ nous ” collectif et s'inclut dans ce “ nous ” : il est bien question des hommes en général. De
même, il décrit à plusieurs reprises le comportement de l'homme en société (“ les hommes s'agenouillent ” ; “
plaisirs de la société ”). De plus, il s'agit pour lui d'expliquer l'origine de la religion en général, et non de telle ou
telle religion particulière. Qu'est-ce à dire ?
Il est clair que Hume adopte ainsi une démarche anthropologique : il recherche l'explication d'un phénomène
collectif et universel (la religion) en faisant appel à des lois qui rendent compte de l'attitude de l'homme en
société. Qui plus est, ses arguments sont, de son propre aveu, fondés sur l'expérience qu'il a de lui-même et des
autres hommes (“ si nous examinons notre propre cœur ou observons ce qui se passe autour de nous ”). Sa
démarche est donc en même temps empirique : elle se fonde sur l'expérience.
Quel peut être alors le point de vue de l'auteur sur la religion ? Parce qu'il fait de la religion une invention, parce
qu'il émet des réserves quant à l'existence d'une puissance divine (“ pensons-nous ”), on serait tenté d'en faire un
athée. Mais en réalité, Hume ne se prononce jamais sur l'existence d'un dieu. Il ne contredit jamais l'idée
qu'un dieu puisse exister et laisse toute latitude au croyant. Il se borne à donner une cause de l'apparition des
religions. La démarche de l'auteur fait donc seulement abstraction de l'existence réelle des puissances divines,
mais elle ne la contredit pas.
Conclusion
Au terme de l'analyse, la croyance religieuse apparaît donc comme le résultat d'une tendance de la nature
humaine. Hume lui-même, en employant le “ nous ” universel, ne s'exclut pas du reste de l'humanité, mais
renforce au contraire l'idée que l'homme a une tendance naturelle et universellement observée à croire en une
puissance divine. Ce faisant, il laisse ouverte une autre interrogation possible concernant l'existence même de ces
puissances.
Ouvertures
LECTURES
- Spinoza, Éthique, Appendice à la première partie, Garnier-Flammarion.
- Lucrèce, De natura rerum, livre V, Gallimard, coll. “ Tel ”.
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