PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS DOCUMENTAIRE

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PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS DOCUMENTAIRE
PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS
DOCUMENTAIRE SUR JOHN BECKWITH
Produit et présenté par Eitan Cornfield
JOHN BECKWITH : Ce que j’aimerais beaucoup voir avec la musique canadienne, et
que je ne verrai probablement pas, mais je garde toujours l’espoir, c’est que des
Canadiens s’approprient les pièces du répertoire canadien comme ceux qui s’approprient
les romans de Margaret Laurence ou les peintures de A.Y. Jackson.
KATHLEEN McMORROW : Il possède une carrure assez compacte, avec des mains et
des pieds larges et une figure très expressive. Il a été comédien dans sa jeunesse et c’est
de là qu’il a conservé sa façon flamboyante d’exprimer des émotions de toutes sortes. Il
travaille sur une très vieille planche à dessin. Il n’utilise pas l’ordinateur pour composer,
certainement pas de la manière dont les compositeurs âgés de moins de 50 ans le font de
nos jours; en fait, il travaille toujours avec un crayon ou plusieurs crayons et ça doit
absolument être des crayons 2B.
KENNETH WINTERS : Il a toujours été un grand passionné de la natation et du
cyclisme. Le vélo est son principal mode de transport. Non seulement il sillonne toute la
ville en vélo mais aussi le monde entier. Chaque année, Kathleen et lui planifient un long
voyage en vélo.
JOHN BECKWITH : Nous sommes allés de la Colombie-Britannique à la Catalogne,
de la Vallée de l’Ohio à Costwolds. À partir de février, quand il y a beaucoup de gadoue,
on commence à dire : Où allons-nous aller cette année ? et Oh ! ce n’est pas une
mauvaise idée, on a jamais été là. Achetons des cartes. Oh ! oui, on pourrait faire cela.
Achetons un guide de voyage. Oh ! oui, appelons notre agent de voyage.
KATHLEEN McMORROW : Je crois que l’année dernière c’était notre 25e année. On
fait quelque chose – en fait, on fait généralement quelque chose de dramatique, chaque
année, et ça tourne généralement autour de montagnes et de rivières, et idéalement de
châteaux et de musées, mais l’année dernière ça n’a été que des montagnes, des rivières
et des forêts. Nous avons pédalé à travers le Maine.
EITAN CORNFIELD : John Beckwith est reconnu comme étant un des représentants de
l’expression musicale la plus caractéristique du Canada anglais. Il nous a rappelé que la
musique a toujours fait partie intégrante des communautés canadiennes. Il croit que l’on
devrait étudier notre histoire et l’enrichir d’analyses diverses. Il croit que notre histoire
devrait parler de la pratique musicale contemporaine. S’il le pouvait, il appellerait cette
étude « Canmuse en contrepoids à Canlit » (musique canadienne versus littérature
canadienne). Beckwith a fait le lien entre la composition, la recherche et l’enseignement
tout au long de sa carrière. Celle-ci célèbre la musique canadienne. Le compositeur John
Weinzweig est un ami depuis toujours.
Nous reconnaissons l'appui financier du ministère du Patrimoine canadien pour la traduction de ce documentaire.
We acknowledge the financial support of the Department of Canadian Heritage for the translation of this documentary.
© Canadian Music Centre / Centre de musique canadienne 2005, www.musiccentre.ca / www.centremusique.ca
JOHN WEINZWEIG : Voilà, je le dis comme suit : Je crois que John a plus de
connaissance sur la musique canadienne que tout autre compositeur de ce pays,
certainement plus que tout autre musicologue. Sa connaissance est authentique. Il n’est
pas surprenant de voir que les différents éditeurs d’encyclopédies de ce monde l’invitent
à contribuer par des articles sur la musique au Canada parce que personne d’autre que lui
ne pourrait le faire aussi bien.
EITAN CORNFIELD : Les étudiants de John Beckwith ont aussi analysé la musique
des autochtones, les chansons folkloriques, les hymnes et le jazz, la musique de tous les
jours en Amérique du Nord, tout cela au moment où la musique classique européenne
faisait son entrée en Amérique. L’ethnomusicologue Beverley Diamond a étudié avec
John Beckwith en 1960.
BEVERLEY DIAMOND : C’était terriblement important. Ça nous donnait le sentiment
que, ce que notre communauté faisait en musique était aussi important, et très légitime. Je
ne crois pas que l’ethnomusicologie aurait progressé au Canada sans l’apport de John
Beckwith, qui, grâce à son attitude, a incité un grand nombre de personnes à étudier les
autres pratiques musicales de notre pays.
EITAN CORNFIELD : La lutte de Beckwith pour la reconnaissance de la musique
canadienne a été motivée par autre chose qu’un simple besoin de nationalisme. Il sentait
que cette tâche était moralement impérative et cela s’étendait non seulement à son
enseignement et à son écriture mais aussi à sa composition. L’historien de la musique,
Helmut Kallmann.
HELMUT KALLMANN : Il nous fallait montrer que nous vivions dans un pays qui
s’appelle Canada, que notre tâche consistait à connaître ce pays, et à faire ce qu’on
pouvait faire de mieux, et pour Beckwith, c’était de composer. La composition avait alors
automatiquement un lien avec la vie au Canada. On ne se disait pas, il faut que j’écrive
une sonate canadienne, ou « quelque chose qui avait une consonance canadienne ». Non,
il voulait juste être de ce pays, et faire quelque chose, ici. L’intérêt spécifique qu’il avait,
était une combinaison de musique moderne – et il a écrit tout un corpus de ce qu’on
appelle musique moderne – et de musique historique canadienne.
JOHN WEIZWEIG : J’ai toujours pensé que son désir de porter bien haut la musique
canadienne, de lui faire accorder une reconnaissance, était basé sur son sens du devoir : il
fallait que cela soit fait. . Ça se reflète aussi dans sa façon de composer aussi bien que
lorsqu’il écrit sur la musique. Il y a une certaine justice, un certain équilibre. Il fait ce que
personne ne fait et qui devrait être fait. Il va le faire et il l’a fait.
BEVERLEY DIAMOND : Il croit que ce n’est pas juste que les compositeurs canadiens
ne soient pas reconnus. Il sent qu’on attaque son sens de la justice.
EITAN CORNFIELD : Kathleen McMorrow est la Directrice de la bibliothèque de la
Faculté de musique de l’Université de Toronto, et la partenaire de vie de Beckwith.
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KATHLEEN McMORROW : Les compositeurs danois, belges sont appuyés par une
étiquette nationale de disque, par exemple et à cause de cela, ils gagnent des prix.
Pourquoi pas la même chose pour les compositeurs canadiens ? Est-ce seulement parce
qu’ils sont du Canada ? La BBC a des « journées de compositeurs ». pourquoi n’en ontils pas une, pour Harry Somers ? Je pense que ce sens de la justice provient du fait qu’il
est né dans une famille de trois et qu’il était dans le milieu.
EITAN CORNFIELD : Les racines de John Beckwith plongent profondément dans le
passé du Canada. Les ancêtres de son père se sont installés en Nouvelle-Écosse en 1760.
Il est lui-même né à Victoria le 9 mars 1927. Son père était un avocat, et sa mère
enseignait et était aussi une directrice d’école. Beckwith a vécu à Victoria dans un
univers calqué sur l’ancienne bourgeoisie.
JOHN BECKWITH : Quand j’étais petit, eh ! bien c’était Victoria et la ColombieBritannique. Le nom du journal local était « Le Colon ». Nous étions de fiers Canadiens
mais le fond de notre âme était britannique. Je me souviens d’avoir conservé des photos
de la famille royale. Maintenant, ça ne m’intéresse vraiment plus, mais quand j’avais huit
ans, dix ans, je conservais dans un album toutes les photos et les articles sur ce que faisait
la famille royale. C’était un endroit magnifique, une société plutôt restreinte mais pas
trop péquenaude. Nous n’avions pas un orchestre symphonique mais d’excellentes
harmonies navales. Et le 24 mai, c’était la plus grande fête de l’année. Il y avait une
gigantesque parade, des feux d’artifice dans le parc Beacon Hill face à la mer et il y avait
toujours des fanfares et des orchestres de cornemuse. Mes parents voulaient me donner
une culture musicale et m’ont emmené assister aux concerts et aux récitals d’artistes de
passage dans la ville. J’ai entendu Marian Anderson, Rubenstein, Mischa Ellman, Yehudi
Menuhin, bien sûr. La plupart de ces artistes jouaient au Théâtre Royal Victoria, à
Victoria, même si ce n’était pas grand. Il y avait beaucoup de concerts de ce genre et j’ai
été chanceux d’avoir des professeurs de musique de grande qualité.
EITAN CORNFIELD : Cette description des leçons de musique dans une petite ville est
tirée du livre de John Beckwith : Twelve Letters to a Small Town. Il l’a écrit en
collaboration avec le poète James Reaney. Ce duo a produit près de 20 ouvrages sur cinq
décennies, y compris quatre opéras. Il partage une nostalgie taquine et réelle qui peut
émaner de ce genre de petites villes du Canada. Berverley Diamond.
BERVERLEY DIAMOND : En fait, je pense que tout ce qui l’a motivé a avoir avec le
sens du lieu; c’est pour cela qu’il s’intéresse à une « sonorité » canadienne distincte. Il
aime découvrir les environnements sonores, fabriqués par les humains et d’autres, qui
l’influencent énormément. Il utilise les bruits naturels, ceux des sabots de chevaux sur les
pavés comme dans son oeuvre The Upper Canadian Hymn Preludes, par exemple. Il
s’intéresse à donner un sens au lieu, de la même manière que fait un réalisateur de film
qui veut capturer par des images précises quelque chose qui permet d’identifier
immédiatement le lieu où se déroule l’action. Il y a un certain sens de théâtralité, je crois,
à propos de la musique de Beckwith qui émane de tout cela. Il aime célébrer l’aspect
local et ressentir une résonance émotionnelle caractéristique de la vie dans de petites
villes ou communautés.
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EITAN CORNFIELD : Tout au long de l’enfance de John Beckwith, sa famille
démontre tous les signes apparents de la foi mais sans insister sur la profondeur
religieuse. Sa mère était anglicane, son père baptiste n’allait jamais à l’église. John et ses
soeurs sont allés à l’église anglicane pour chanter dans la chorale. Le premier amour de
John a été le théâtre. Il a joué régulièrement au théâtre à partir de l’âge de dix ans et il se
souvient avec émotion de son rôle de chenille dans Alice au pays des merveilles. À
l’adolescence, il a même gagné une bourse pour étudier l’art dramatique au Centre d’art
de Banff. Mais, une autre passion commençait déjà à poindre. Se souvient-il quand sa
passion pour la musique l’a conquis ?
JOHN BECKWITH : On m’a déjà posé cette question et j’ai répondu que je n’avais pas
choisi la musique mais que c’était la musique qui m’avait choisi. C’est vraiment ce que
j’ai ressenti ou ce que je pensais ressentir, de ce point de vue, à tout le moins. À l’âge
adulte, je n’ai pu mettre le point exact dessus.
EITAN CORNFIELD : À l’âge de 17 ans, John Beckwith savait qu’il deviendrait un
musicien. C’était au moment où il se présentait à un examen pour obtenir une bourse pour
étudier avec un important professeur de piano de Toronto.
JOHN BECKWITH : L’examinateur était Alberto Guerrero qui était professeur de
piano au Conservatoire de musique de Toronto. Il m’a recommandé pour cette bourse
d’étude. Il ne me l’a pas accordée directement. Il m’a seulement donné une
recommandation pour venir étudier le piano à Toronto. Mes parents étaient plutôt
sceptiques, mais comme ils étaient des personnes libérales, ils ont dit que, si je voulais
essayer pour un an, ils seraient d’accords. À peine la première moitié de l’année écoulée,
j’étais accroché. C’était merveilleux d’étudier avec lui. Il est devenu l’une de mes
principales sources d’influences dans ma vie. Il était un merveilleux musicien, pas
seulement un excellent pianiste, mais aussi un être humain magnifique, un esprit musical
impressionnant, je dirais. Cela a grandement enrichi mon expérience par rapport à ce que
j’avais acquis à Victoria.
EITAN CORNFIELD : C’est John Vickers qui chante Parting at a Wine Shop tirée de
Five Lyrics of the T’ang Dynasty, première oeuvre éditée de John Beckwith. Il l’a écrite
en 1947 lorsqu’il étudiait à l’Université de Toronto. À ce moment-là, il s’était déjà
engagé dans la carrière musicale, mais à quel titre ?
JOHN BECKWITH : Je voulais jouer du piano autant que possible. Mais si vous
m’aviez demandé si je voulais devenir pianiste de concert, qui fait quatre concerts par
semaine, j’aurais été réticent et dit : Non, ce n’est pas tout à fait ce que j’envisage. Puis,
si vous m’aviez demandé : Voulez-vous être compositeur ? J’aurais été tout aussi timide
pour affirmer quoique ce soit. C’est pourquoi je me demande souvent pourquoi je ne suis
pas allé immédiatement étudier avec John Weinzweig qui était le professeur de
composition le plus éminent en ville. Pour les deux situations, j’étais aussi timide et peu
sûr de moimême.
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EITAN CORNFIELD : Aussi saugrenu que cela puisse paraître aujourd’hui, 50 ans
auparavant, l’Association canadienne de hockey amateur offrait des bourses aux jeunes
compositeurs pour étudier à l’étranger. Harry Somers en a gagné une en 1949. En 1950,
c’était John Beckwith. Il venait d’épouser l’actrice et metteure en scène Pamela Terry.
Elle est allée à Paris avec lui. Beckwith a étudié avec Nadia Boulanger. Aussitôt revenu
d’Europe, Beckwith s’est lancé dans le milieu émergent de la musique contemporaine
canadienne. Il s’est joint au comité exécutif de la toute nouvelle Ligue canadienne des
compositeurs qui a commencé à collectionner les partitions de musique canadienne qui
sont à l’origine du Centre de musique canadienne. En 1952, il est devenu un permanent
de la CBC, produisant des programmes radiophoniques, et à mi-temps, professeur à
l’Université de Toronto. Il a aussi commencé à avoir des enfants. En 1955, il quittait la
CBC pour se joindre à temps plein à la Faculté de musique de l’Université de Toronto.
Pour être engagé dans la vie académique, cela voulait dire qu’il avait besoin d’un
diplôme de maîtrise. Ceci impliquait qu’il devait étudier avec John Weinzweig. Il était le
seul professeur à prendre des étudiants au niveau maîtrise à l’U. de T. Cela est devenu la
meilleure relation élève/étudiant. John Weinzweig.
JOHN WEINZWEIG : Il avait confiance en moi et cela était important. La relation
devait être basée sur la confiance. Il avait confiance en moi et il savait que je l’appuierais.
Je crois que je pouvais lui apporter quelque chose de spécial avec ma façon d’écrire ce à
quoi il s’intéressait. Je crois qu’il respectait ma façon de travailler le rythme, la forme et
l’orchestration.
EITAN CORNFIELD : Beckwith et Weinzweig partageaient une passion pour l’aspect
théâtral dans la composition musicale ainsi que leur engagement à conserver et à
promouvoir la musique des compositeurs canadiens. On retrouve ces qualités dans la
musique que Beckwith a écrite pour le Canadian Brass, en 1972. John Beckwith.
JOHN WEINZWEIG : C’était une pièce très intéressante. C’était très théâtral. Il avait
placé différents lutrins sur la scène, et je me souviens que les musiciens sont arrivés à
partir de la salle. Ils ont marché, presque paradé, vers la scène. C’était très attrayant.
Même si elle m’est dédiée, je crois que c’est quand même que c’est l’une de ses
meilleures pièces.
EITAN CORNFIELD : Beckwith appelle cette oeuvre Taking a Stand. Un sens du
plaisir émane par le déplacement des musiciens d’un lutrin à l’autre partout dans la salle.
Mais le titre avait également un côté plus sérieux.
JOHN WEINZWEIG : Oui, il a pris position pour les compositeurs de ce pays. Il a écrit
à leur sujet. Il semble en connaître plus que quiconque sur leur musique, presque autant
que pour les compositeurs eux-mêmes. Je me souviens lorsque j’ai essayé de programmer
un cours sur la musique canadienne à la Faculté de musique de l’Université de Toronto.
Les musicologues, qui étaient surtout des Américains, n’étaient pas vraiment intéressés.
J’ai proposé que l’on offre un cours sur la musique de l’Amérique du Nord. Cela est
passé au Conseil ce qui nous a, enfin, permis d’avoir un peu de contenu canadien dans les
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cours. Ce fût le jeune Beckwith qui a eu la responsabilité d’enseigner cette matière et il y
croyait énormément.
EITAN CORNFIELD : Les cours de Beckwith à l’Université de Toronto reflétaient sa
forte conviction que la composition, l’interprétation, et la musicologie devaient oeuvrer
ensembles vers un but commun. Beverley Diamond.
BEVERLEY DIAMOND : À la fin des années ’60, Beckwith était mon professeur à
l’Université de Toronto. J’étais une élève du baccalauréat, et comme plusieurs à ce
moment-là, j’ai eu la chance et le privilège d’étudier la musique canadienne avec lui. La
classe à laquelle j’appartenais était vraiment prête à accepter la nécessité d’étudier la
musique canadienne et le Professeur Beckwith nous inspirait tous. Je crois que chaque
élève de cette classe a ensuite poursuivi un travail direct ou indirect dans la promotion de
la musique canadienne. Quelques-uns sont devenus compositeurs, d’autres des
musicologues, des administrateurs. Nous avons tous été inspirés par son enseignement.
EITAN CORNFIELD : Beverley Diamond est aujourd’hui la Présidente de la Chaire
d’ethnomusicologie de l’Université Memorial de Terre- Neuve.
BEVERLEY DIAMOND : Il a été mon mentor, un grand ami et une inspiration. Ce fut
le professeur le plus important pour moi. Je suis convaincue que je n’aurais pas eu la
permission de faire le travail que j’ai fait s’il n’avait pas été là.
EITAN CORNFIELD : À la fin de la décennie 1960, la Faculté de musique de
l’Université de Toronto cherchait un nouveau doyen. Beckwith s’est proposé comme
candidat à cause d’une question de principe.
JOHN BECKWITH : Pourquoi m’inscrirais-je dans un travail d’administration ? Facile
à dire : j’avais une famille à élever et j’avais besoin d’une sécurité d’emploi. J’ai aussi
pensé au point de vue patriotique. Il n’y avait pas assez de candidats Canadiens et qui
connaissaient la scène canadienne. Alors, je me suis dit que si je m’impliquais peut-être
que d’autres collègues s’impliqueraient.
EITAN CORNFIELD : À sa grande surprise, Beckwith a été nommé doyen de la faculté
de musique. C’était en 1970 et une année après, il écrivait un article intitulé : About
Canadian Music : The PR Failure (Au sujet de la musique canadienne : l’échec des
relations publiques). Cela a été publié dans un Journal relativement peu connu, mais il
aura produit un impact très important.
JOHN BECKWITH : Je voulais démontrer que le Canada n’existait pas sur la carte
musicale mondiale et je voulais que les oeuvres des musiciens créatifs soient mieux
connues. Je voulais dire aux gens ce qui était important dans notre pays. Je suis un «
nationaliste » dans plusieurs de mes oeuvres, pas toutes, mais une bonne partie de ma
musique est associée à des thèmes canadiens. Par contre, je n’avais pas cette exigence
pour les compositeurs dont je parlais. Je parlais de tous les compositeurs canadiens – tous
les compositeurs canadiens professionnels – du passé et du présent. Le milieu s’entend
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pour dire que la composition musicale canadienne a commencé vers 1945 et, pendant que
naissait cette abondance de création musicale, je voulais que les gens se souviennent de
cela aussi.
HELMUT KALLMANN : Cet article a été lu par nul autre que Floyd Chalmers.
EITAN CORNFIELD : Le musicologue et historien de la musique canadienne, Helmut
Kallmann.
HELMUT KALLMANN : Floyd Chalmers a été un mécène très important pour
plusieurs entreprises artistiques : la musique, le ballet, et ainsi de suite. Il a lu cet article
et même s’il n’était pas un musicien, il était bien placé pour soutenir financièrement et
mobiliser les énergies pour faire le travail qui devait être fait dans le milieu culturel au
Canada. Après avoir lu cet article, il a dit : « Il faut faire quelque chose à propos de cela.
»
EITAN CORNFIELD : En fait, il fallait que les Canadiens prennent le problème de
front pour savoir pourquoi les musicologues continuaient d’ignorer ce qui se faisait au
Canada.
KENNETH WINTERS : Et bien, ils ne peuvent pas écrire sur les compositeurs
canadiens car il n’y a rien à lire sur eux et sur ce sujet.
EITAN CORNFIELD : Kenneth Winters est un musicologue et l’un des éditeurs de
l’Encyclopédie de la musique au Canada.
KENNETH WINTERS : Il était temps que nous possédions notre propre encyclopédie.
Nous n’avions pas une encyclopédie sur notre musique et nos musiciens. Il était temps de
le faire. Ainsi, cela créerait une source de documentation pour permettre aux chercheurs
au niveau international de puiser les informations nécessaires pour écrire. Vous savez, les
livres sont au sujet des livres, et les encyclopédies au sujet des encyclopédies. Ce premier
pas a permis d’amasser une bonne documentation qui, ensuite, a donné l’encyclopédie.
Bien sûr, John faisait partie du conseil d’administration de l’encyclopédie, un membre
très intelligent et très utile. Je ne crois pas que nous aurions pu aller jusqu’au bout sans la
ténacité de John, et son essai merveilleux sur Sir Ernest. C’était vraiment un excellent
article, vous savez, un de ces articles que nous aurions pu publier tout seul. Toutes ces
choses que John faisait en dehors de la composition étaient très importantes.
EITAN CORNFIELD : John Beckwith s’est toujours organisé pour trouver du temps
pour ces choses « extras ». Il avait un sens du travail qui s’alliait à un attachement pour
l’ordre et la discipline. Kathleen McMorrow.
KATHLEEN McMORROW : Il aime la cohérence et la routine. C’est pour cela qu’il
m’aime : je suis très cohérente et routinière. À titre de soutien à la création, je suppose
que c’est probablement normal que les artistes aient besoin d’une routine quotidienne et
d’une certaine régularité. Je veux dire qu’il doit se lever à une certaine heure, déjeuner,
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lire le Globe and Mail, se fâcher au sujet de nombreux articles qu’il lit, et ensuite
poursuivre sa journée. Donc, il aime la régularité et que les choses soient en place pour
qu’il puisse les trouver rapidement et ne pas perdre son temps. Il a été élevé avec cette
notion de ne jamais perdre son temps. Vous devez faire ce qui doit être fait, les faire
correctement, vous occupez et ne pas perdre de temps. C’est difficile de vivre de cette
manière, mais ça peut être inspirant.
EITAN CORNFIELD : Pour son inspiration musicale, Beckwith a trouvé des modèles
qui répondent à sa propre obsession pour la structure et l’efficacité. Le fils du
compositeur, Larry Beckwith.
LARRY BECKWITH : Une de ses fascinations des premières années, je pense, se
rapporte à quelque chose qui était alors, nouveau et révolutionnaire pour le style
d’écriture. Je pense plus particulièrement à la musique de Webern qui a été si importante
pour les compositeurs, vous savez, ceux de l’aprèsguerre, et spécialement au Canada. Les
structures très serrées de la musique de Webern ont réellement influencé mon père. On
peut les entendre et les ressentir même lorsqu’on regarde une partition.
EITAN CORNFIELD : L’exigence d’une forme très serrée pour Beckwith est modérée
par son inclination pour la scène, pour la narration et le public; ajoutez à cela une passion
pour l’histoire du Canada. Helmut Kallmann.
HELMUT KALLMANN : L’élément théâtral est toujours très fort dans ses oeuvres.
Même lorsqu’il joue du piano, il le fait avec une gestuelle assez théâtrale. Il a toujours été
intéressé par les collages. Par exemple, cette pièce Keyboard Pratice, j’écoutais le disque
encore ce matin, et on y retrouve beaucoup de collages. Vous entendez toutes sortes
d’instruments à clavier qui jouent en même temps. Ce n’est pas véritablement une
chanson sentimentale. Sa caractéristique unique est la fusion des techniques modernes
avec le matériau historique.
EITAN CORNFIELD : En 1960 et malgré l’époque, Beckwith était un homme de son
temps. Il pouvait écrire de la musique qui était difficile, ascétique et utiliser des
techniques sérielles. Est-ce que cela en faisait un moderne ? Beverley Diamond.
BEVERLEY DIAMOND : Et bien, je ne sais pas si on a défini le modernisme de façon
aussi claire et même depuis les deux dernières décennies. Je crois qu’avec la fin de cette
période, on a commencé à définir ce qui c’était vraiment passé, et comme on fait souvent,
peut-être qu’on a défini les choses de façon un peu trop étroite. Le modernisme a été
associé souvent avec la tradition surréaliste qui provenait de l’Autriche et qui a évolué
dans différentes directions tout en oubliant qu’il existe aussi plusieurs autres sortes de
modernisme.
JOHN BECKWITH : L’autre jour, il y avait la visite de Pierre Boulez au Canada et les
journaux titraient : Le dernier des modernes. Balivernes ! Plusieurs d’entre nous se
qualifient encore de modernes. Nous, les gens de ma génération de composition, on se
demande : où va la musique ? Vers quelle direction se tournera la musique de demain ?
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D’accord, il y a eu le romantisme, l’impressionnisme, l’expressionnisme. Quelle sera la
prochaine direction ? Il y a eu aussi la musique par les machines, de là vers quoi allonsnous ? Nous sommes toujours intéressés pas ces questions et nous évoluons dans toutes
sortes d’orientations : le surréalisme total, l’aléatoire, et tout autre style. C’est très
excitant. Mais à un moment donné, vous arrivez là où vous préférez aller et cela devient
votre propre style, vos propres habitudes personnelles.
BEVERLEY DIAMOND : Les compositeurs des années ’60 se considèrent comme les
porteurs du modernisme au Canada et cela, en fait, reflétait assez bien ce que se passait à
ce moment-là. Maintenant, les choses ont changé assez radicalement. Ce qui distinguait
Beckwith, de ses autres collègues compositeurs, c’est peut-être qu’il était vraiment
intéressé à produire quelque chose de tout à fait canadien, un son canadien. C’est pour
cela qu’il s’intéressait aux traditions vernaculaires et à insérer dans sa musique des sons
musicaux qui représentaient le monde autour de lui.
EITAN CORNFIELD : Beckwith pouvait écrire de la musique pure et abstraite. Webern
avait fourni le modèle de base qui parfois amenait les compositeurs à arranger leur
musique comme pour une courtepointe, mais si Beckwith voulait apporter une spécificité
temporelle et spatiale pour la rendre plus distinctement canadienne, il devait trouver
ailleurs ses modèles. Il les a trouvés dans la musique de l’Américain, Charles Ives.
JOHN BECKWITH : Cela a réellement été une source d’inspiration pour moi, un
souffle nouveau. L’élément nord-américain arrivait à réellement me parler. Cela a élargi
mes connaissances de la musique populaire et de la musique d’église. En mettant tout
cela ensemble, ça se fait souvent en musique, et je pense que cela était réussi.
EITAN CORNFIELD : La quête de Beckwith pour une musique spécifiquement
canadienne l’a conduite vers le riche passé du Canada. Sa musique est imprégnée des
hymnes religieux du XIXe siècle comme dans The Children of Peace. Il a également bien
rendu le sens du temps et du lieu évoqué par d’excellents écrivains. Il a collaboré avec
James Reaney, Margaret Atwood, Nichol et mis en musique des textes de Margaret
Laurence et Dennis Lee. Il a toujours été soucieux lorsqu’il empruntait des sources ou se
laissait influencer par elles que cela ne soit pas seulement fait à titre décoratif. Un
collègue compositeur, Istvan Anhalt, souligne l’éclectisme de Beckwith et ses emprunts
et influences. Il sait qu’il leur laisse une partie de leur identité mais, ils acquièrent aussi
un nouveau rôle. John Becwith.
JOHN BECKWITH : Susan Sontag a dit : « La nostalgie est une piètre émotion. J’ai été
un peu piqué par ce commentaire parce que je crois que la nostalgie est un sentiment
important. Une certaine forme d’amertume, ou tout autre sentiment au sujet de votre
passé ou de son évocation, le passé de votre environnement, ou le simple passé du
monde, tout cela compte. Je lis beaucoup et je crois que je peux m’assimiler à certaines
personnalités du passé, probablement. Je ne pense pas que ce sentiment se reflète
consciemment dans ma musique mais je sais que cela en dégage, que je le veuille ou non.
Parfois, je le veux, parfois je choisis un ancien passage dans ma musique plus récente.
J’utilise de plus en plus des citations et je crois que j’ai appris comment le faire avec la
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musique d’Ives. Je trouve qu’il utilise les citations de façon très spéciale. Il ne vous sort
pas cela directement sans préparation, au contraire, il entremêle tout cela comme dans un
rêve, et delà émane la texture de la musique, comme si un quatuor de Mozart venait à
vous pendant que vous rêviez. Deux phrases, ou un chant patriotique, ou un hymne
scolaire du dimanche ou quelque chose comme ça.
EITAN CORNFIELD : Le traitement de Beckwith dans son cycle vocal The Harp of
David s’inspire du livre des prières communes et de fragments de chants de différentes
périodes et traditions de psaumes canadiens. Pour Larry Beckwith, cela est beaucoup plus
éloquent. C’est plus que l’expression d’une simple nostalgie pour un choeur anglican.
Cela remonte à l’enfance du compositeur.
LARRY BECKWITH : Je crois, et peut-être que je vais trop loin dans sa musique, mais
je crois que, surtout dans sa musique chorale, que j’aime beaucoup, il y a un sens du
religieux, il me tuerait s’il m’entendait dire cela, pas dans le sens traditionnel parce qu’il
n’est pas croyant ni pratiquant. On y trouve un sens de l’éternité, quelque chose qui
dépasse le quotidien. C’est ce que je ressens surtout dans sa musique pour choeur.
EITAN CORNFIELD : En écoutant The Harp of David, The Three Motets on Swan’s
China, Sharon Fragments, et The Upper Canadian Hymn Preludes, on pourrait conclure,
dans le même sens que son fils Larry, que John Beckwith est un compositeur
essentiellement spirituel. Kathleen McMorrow.
KATHLEEN McMORROW : Bien sûr, on ne parle pas dans le sens religieux du terme.
Ces hymnes sont le genre de musique qu’il a entendu et a chanté durant son enfance, et il
pense qu’ils sont des musiques très utiles, que des gens dans les siècles passés ont
également entendu ces hymnes et que ça les rend intéressants.
LARRY BECKWITH : Je crois qu’il a canalisé ses énergies spirituelles dans la
musique. En fait, on peut dire que la musique est comme une religion pour lui. Cela
devient une métaphore pour la quête d’un être supérieur, ou quelque chose d’autre, je ne
sais pas. Peut-être que je vais trop loin dans l’interprétation de ses motivations, mais cela
lui a donné l’énergie et la force d’explorer en profondeur des expressions intellectuelles
et émotionnelles.
KATHLEEN McMORROW : Et bien, il a de la difficulté à comprendre pourquoi
quelqu’un ne ferait pas la seule chose qu’il doit faire c’est-à-dire aller à un concert un
soir. C’est pour cela qu’il ne comprend pas les gens qui sont capables d’endurer la
musique d’arrière-plan. La musique existe pour qu’on lui porte attention, la musique est
la vie.
EITAN CORNFIELD : John Beckwith a pris sa retraite de l’Université de Toronto en
1990, mais vous allez continuer de le voir sur son divan ou avec son chandail ou à vélo
autour du campus. Malgré sa surdité croissante, la vie dans la musique continue. Il
compose encore, plus récemment Pibroch for Highland Pipes, Percussion and Strings; il
y a aussi une chanson pour 150 jeunes de la maternelle. Il continue à fouiller le passé
Nous reconnaissons l'appui financier du ministère du Patrimoine canadien pour la traduction de ce documentaire.
We acknowledge the financial support of the Department of Canadian Heritage for the translation of this documentary.
© Canadian Music Centre / Centre de musique canadienne 2005, www.musiccentre.ca / www.centremusique.ca
musical du Canada pour La Société du patrimoine musical canadien. Et, l’Encyclopédie
de la musique au Canada, ouvrage auquel il fut si impliqué, est sur le point d’entrer dans
sa troisième phase de publication. Sa curiosité pour la musique est sans limites. Il y a très
peu de concerts où John n’est pas là. Malgré tous ses accomplissements, il demeure
humble face à la musique. Est-ce qu’il en fait une religion ?
JOHN BECKWITH : Je crois que je trouve dans la musique un sens très profond. Je
trouve beaucoup de profondeur dans l’expérience musicale qui représente pour moi les
profondeurs insondables de la vie, et je ne peux exprimer cela autrement que par la
musique. J’ai trouvé intéressant de parler de religion dans mon étude de Moses and
Aaron, l’opéra de Schoenberg qui décrit la rencontre de Moïse avec Dieu comme étant
une expérience indescriptible. Il n’utilise même pas le mot Dieu, il fait des circonlutions
lorsqu’il en parle. Moïse est représenté comme un « muet », langue liée, incapable
d’expliquer à quiconque dans des mots ce qu’il pense être sa vision de la vie ou sa
mission dans la vie. Cela m’a frappé – en fait j’ai senti que Schoenberg n’était pas
capable lui-même d’exprimer son sentiment religieux en mots, de façon articulée, tandis
qu’il le pouvait en musique. J’ai un grand sens de mon propre échec, et je pense que,
lorsqu’on me pose de telles questions, je dois réfléchir, je n’ai pas encore trouvé de
réponse. Me voilà dans ma soixante-dizième année et je n’ai toujours pas trouvé la
réponse. Peut-être ne la trouverai-je jamais.
- transcription de Mara Zibens
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