Contre la peine de mort : Jules Jouy, La veuve
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Contre la peine de mort : Jules Jouy, La veuve
Histoire des arts Contre la peine de mort : Jules Jouy, La veuve Présentation de l'œuvre 1. Qu'est-ce que c'est ? 2. Par qui cette œuvre at-elle été réalisée ? 4. Dans quel contexte s'inscrit-elle ? 3. De quand date-t-elle ? La Veuve, auprès d'une prison, Dans un hangar sombre demeure. Elle ne sort de sa maison Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure. Dans sa voiture de gala Qu'accompagne la populace Elle se rend, non loin de là, Et, triste, descend sur la place. Voici venir le prétendu Sous le porche de la Roquette. Appelant le mâle attendu, La Veuve, à lui s'offre, coquette. Tandis que la foule, autour d'eux, Regarde frissonnante et pâle, Dans un accouplement hideux, L'homme cracher son dernier râle. Avec des airs d'enterrement, Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve, Elle s'habille lentement, La Veuve. Car les amants, claquant du bec, Tués dès la première épreuve, Ne couchent qu'une fois avec La Veuve. Tranquille, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge, De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Les témoins, le prêtre et la loi Voyez, tout est prêt pour la noce ; Chaque objet trouve son emploi : Ce fourgon noir, c'est le carrosse. Tous les accessoires y sont : Les deux chevaux pour le voyage Et le grand panier plein de son : La corbeille de mariage. Alors, tendant ses longs bras roux, Bichonnée, ayant fait peau neuve, Elle attend son nouvel époux, La Veuve. Dans sa voiture se hissant, Goule horrible que l'homme abreuve, Elle rentre cuver son sang, La Veuve. La Veuve est un poème La Veuve, auprès d'une prison, Dans un hangar sombre demeure. Elle ne sort de sa maison Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure. Dans sa voiture de gala Qu'accompagne la populace Elle se rend, non loin de là, Et, triste, descend sur la place. Voici venir le prétendu Sous le porche de la Roquette. Appelant le mâle attendu, La Veuve, à lui s'offre, coquette. Tandis que la foule, autour d'eux, Regarde frissonnante et pâle, Dans un accouplement hideux, L'homme cracher son dernier râle. Avec des airs d'enterrement, Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve, Elle s'habille lentement, La Veuve. Car les amants, claquant du bec, Tués dès la première épreuve, Ne couchent qu'une fois avec La Veuve. Tranquille, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge, De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Les témoins, le prêtre et la loi Voyez, tout est prêt pour la noce ; Chaque objet trouve son emploi : Ce fourgon noir, c'est le carrosse. Tous les accessoires y sont : Les deux chevaux pour le voyage Et le grand panier plein de son : La corbeille de mariage. Alors, tendant ses longs bras roux, Bichonnée, ayant fait peau neuve, Elle attend son nouvel époux, La Veuve. Dans sa voiture se hissant, Goule horrible que l'homme abreuve, Elle rentre cuver son sang, La Veuve. Jules Jouy 1887 Jules Jouy Né à Paris le 27 avril 1855 et mort le 17 mars 1897, Jules Théodore Louis Jouy, connu comme Jules Jouy est à la fois un chansonnier politique et un artiste de café-concert. Il était surnommé, par ses confrères de la "Butte", "la chanson faite homme". Il eut une enfance difficile, de par ses origines très modestes. Après s'être fait connaître au Chat-Noir et autres cabarets montmartois, il fournit au "Cri du peuple" de Jules Vallès une "chanson au jour le jour". LA CHANSON DE LA GREVE fut souvent reprise les jours de Ier mai. Jules Jouy Ses chansons furent créées par les plus grandes vedettes de l'époque : Yvette Guilbert, Coquelin Cadet, Aristide Bruant. En 20 ans, il en a écrit entre trois et quatre mille. Les meilleures sont, dans des genres différents, "la Soularde", "la Veuve", reprise plus tard par Damia, et "le Tombeau des Fusillés". Les musiques en sont composées par des musiciens réputés : Louis Reynal, Eugène Poncin. Il fut aussi rédacteur de multiples journaux, prestigieux ou éphémères. Il sombra dans la folie, miné par l'absinthe et les excès de toutes sortes. 1789 La guillotine Le docteur Joseph Guillotin présente aux députés de l'Assemblée Constituante une nouvelle machine servant à exécuter les condamnés à mort. L'engin, mis au point en collaboration avec le chirurgien Antoine Louis, est, selon ses inventeurs, le moyen "le plus sûr, le plus rapide et le moins barbare." Il sera d'abord appelé 'Louison" ou "Louisette" mais très vite les parlementaires et les journalistes lui donneront le nom de "guillotine" en souvenir du nom de son créateur. Le peuple surnommera la machine : "la veuve". La première exécution aura lieu le 25 avril 1792, elle s'appliquera à un bandit de grand chemin. La guillotine fonctionnera jusqu'en 1977. La guillotine est inaugurée lors de l'exécution à Paris de NicolasJacques Pelletier, un voleur de grand chemin. En 1789, le docteur Joseph Guillotin présente sa machine à décapiter à l'Assemblée constituante. En 1791, un décret fixe que "tout condamné à mort aura la tête tranchée". Pendant la Terreur, de septembre 1793 à juillet 1794, près de 50 guillotines seront installées en France et quelques 20 000 personnes seron t exécutées. La guillotine fonctionnera pour la dernière fois en 1977 et la peine de mort sera abolie en 1981. La peine de mort Le premier débat officiel sur la peine de mort en France date du 30 mai 1791, avec la présentation d'un projet de loi visant à l'abolir. Son rapporteur, Louis-Michel Lepeletier de SaintFargeau est soutenu notamment par Maximilien de Robespierre . Cependant, l'Assemblée nationale constituante, promulgue une loi le 6 octobre 1791 refusant d'abolir la peine de mort. C'est également avec cette loi qu'est uniformisée la méthode d'exécution, le privilège d'être décapité qui était réservé à la noblesse est démocratisé. Selon l'article 3 du Code pénal de 1791, qui classe la peine de mort parmi les peines afflictives e t infamantes, « Tout condamné [à mort] aura la tête tranchée ». Cette célèbre phrase restera dans l’article 12 du Code pénal français jusqu'à l'abolition, en 1981. L'usage de la guillotine est alors généralisé pour toute mise à mort de civils. Seuls les militaires sont fusillés par peloton d'exécution pour les crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions (comme la désertion, la mutinerie…). Une triste mariée Le poème se fonde sur une personnification : la veuve dont il parle n'est autre que la guillotine. Le poème est également fondé sur une métaphore : la mise à mort est assimilée à un mariage. La veuve est donc nommée ainsi car, à chaque fois qu'elle épouse quelqu'un, il meurt. Comme une mante religieuse, elle tue celui avec lequel elle s'accouple, d'où sa tristesse au vers 8. Elle est comme condamnée, emprisonnée elle aussi , puisqu' elle « ne sort de sa maison que lorsqu'il faut qu'un bandit meure » vers 3 et 4. Elle vit dans « un hangar sombre » « auprès d'une prison », vers 1 et 2. Le hangar sombre fait écho à la prison. A la fin du poème, il est repris par le terme de « bouge », vers 42, terme extrêmement péjoratif. Champ lexical de la tristesse : « triste », « sombre », « des airs d'enterrement ». C'est une mariée triste « avec des airs d'enterrement » vers 9 qui avance vers son destin. Derrière elle, on voit l'ombre du condamné, qui est dans la même situation, qui ne sort de sa prison que pour avancer tristement vers la mort. La Veuve, auprès d'une prison, Dans un hangar sombre demeure. Elle ne sort de sa maison Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure. Dans sa voiture de gala Qu'accompagne la populace Elle se rend, non loin de là, Et, triste, descend sur la place. Voici venir le prétendu Sous le porche de la Roquette. Appelant le mâle attendu, La Veuve, à lui s'offre, coquette. Tandis que la foule, autour d'eux, Regarde frissonnante et pâle, Dans un accouplement hideux, L'homme cracher son dernier râle. Avec des airs d'enterrement, Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve, Elle s'habille lentement, La Veuve. Car les amants, claquant du bec, Tués dès la première épreuve, Ne couchent qu'une fois avec La Veuve. Tranquille, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge, De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Les témoins, le prêtre et la loi Voyez, tout est prêt pour la noce ; Chaque objet trouve son emploi : Ce fourgon noir, c'est le carrosse. Tous les accessoires y sont : Les deux chevaux pour le voyage Et le grand panier plein de son : La corbeille de mariage. Alors, tendant ses longs bras roux, Bichonnée, ayant fait peau neuve, Elle attend son nouvel époux, La Veuve. Dans sa voiture se hissant, Goule horrible que l'homme abreuve, Elle rentre cuver son sang, La Veuve. Des noces funèbres Champ lexical du mariage : « la voiture de gala » vers 5, « la noce » vers 14, « le carrosse » vers 16, « la corbeille de mariage » vers 20 (corbeille qui recueillera la tête du condamné) , « son nouvel époux » vers 23, « le prétendu » vers 25, « accouplement » vers 31, « amants » vers 33. Tout y est, y compris « les témoins, le prêtre et la loi ». « Tout est prêt pour la noce ». Une fois prête pour la noce, la veuve est assimilée à une prostituée : « bichonnée » vers 22, « appelant le mâle attendu » vers 27, « à lui, s'offre, coquette » vers 28, comparaison vers 38 « comme, en son boudoir, une fille », « de ses innombrables maris » vers 41. La guillotine avale les hommes, les uns après les autres, sans état d'âme, comme une prostituée. Elle est « tranquille » vers 37, « impassible » vers 41. Elle est assimilée enfin à un monstre : l'accouplement qu'elle offre est « hideux », c'est une « goule horrible » qui s'abreuve du sang des hommes. La reprise de « la veuve » quatre fois, forme d'anaphore, en fin de strophe , résonne comme le glas du condamné (Le glas est la sonnerie de cloche signalant l'agonie, la mort ou les obsèques d'une personne). La Veuve, auprès d'une prison, Dans un hangar sombre demeure. Elle ne sort de sa maison Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure. Dans sa voiture de gala Qu'accompagne la populace Elle se rend, non loin de là, Et, triste, descend sur la place. Voici venir le prétendu Sous le porche de la Roquette. Appelant le mâle attendu, La Veuve, à lui s'offre, coquette. Tandis que la foule, autour d'eux, Regarde frissonnante et pâle, Dans un accouplement hideux, L'homme cracher son dernier râle. Avec des airs d'enterrement, Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve, Elle s'habille lentement, La Veuve. Car les amants, claquant du bec, Tués dès la première épreuve, Ne couchent qu'une fois avec La Veuve. Tranquille, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge, De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Les témoins, le prêtre et la loi Voyez, tout est prêt pour la noce ; Chaque objet trouve son emploi : Ce fourgon noir, c'est le carrosse. Tous les accessoires y sont : Les deux chevaux pour le voyage Et le grand panier plein de son : La corbeille de mariage. Alors, tendant ses longs bras roux, Bichonnée, ayant fait peau neuve, Elle attend son nouvel époux, La Veuve. Dans sa voiture se hissant, Goule horrible que l'homme abreuve, Elle rentre cuver son sang, La Veuve. L'époux Le prisonnier, le condamné n'est jamais nommé en ces termes. Il est d'abord « un bandit », anonyme, un parmi d'autres (article indéfini), « son nouvel époux » l'adjectif « nouvel » indique encore qu'il est un parmi d'autres. Il est ensuite « le prétendu », « le mâle attendu », « l'homme » : il n'existe que pour satisfaire les besoins de la veuve. Il n'est envisagé que dans son rapport avec elle. « les amants » fait de lui un groupe sans visage, sans identité autre que celle envisagée par rapport à la mort. L'homme n'est plus rien. Il faut qu'il « meure », il crache « son dernier râle », il est tué « dès la première épreuve ». Le poète ne le montre que dans la mort. Son humanité est niée ; la guillotine est inhumaine. La mort est rapide contrairement à la préparation mais extrêmement violente. Les amants meurent comme des animaux dans un claquement de bec. La Veuve, auprès d'une prison, Dans un hangar sombre demeure. Elle ne sort de sa maison Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure. Dans sa voiture de gala Qu'accompagne la populace Elle se rend, non loin de là, Et, triste, descend sur la place. Voici venir le prétendu Sous le porche de la Roquette. Appelant le mâle attendu, La Veuve, à lui s'offre, coquette. Tandis que la foule, autour d'eux, Regarde frissonnante et pâle, Dans un accouplement hideux, L'homme cracher son dernier râle. Avec des airs d'enterrement, Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve, Elle s'habille lentement, La Veuve. Car les amants, claquant du bec, Tués dès la première épreuve, Ne couchent qu'une fois avec La Veuve. Tranquille, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge, De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Les témoins, le prêtre et la loi Voyez, tout est prêt pour la noce ; Chaque objet trouve son emploi : Ce fourgon noir, c'est le carrosse. Tous les accessoires y sont : Les deux chevaux pour le voyage Et le grand panier plein de son : La corbeille de mariage. Alors, tendant ses longs bras roux, Bichonnée, ayant fait peau neuve, Elle attend son nouvel époux, La Veuve. Dans sa voiture se hissant, Goule horrible que l'homme abreuve, Elle rentre cuver son sang, La Veuve. La foule La foule accompagne la veuve dans tous ses mouvements, fascinée par le spectacle qu'elle offre. Le poète utilise un terme péjoratif pour la nommer « la populace » vers 5. Il l'accuse de fascination morbide : « regarde frissonnante et pâle » vers 30. La foule est au spectacle : « sous l'œil du badaud » vers 37. Jouy connait bien cette fascination puisqu'il était lui même fasciné par la guillotine. Il renvoie donc chacun à sa responsabilité : hommes de loi, hommes d'église et simples citoyens, comme lui. Le code pénal de 1791 stipule que l'exécution doit se faire en public, ce qui attire un public appartenant à toutes les couches sociales. Sous la Troisième République, des dizaines de villes disposent de guillotines : il s'y produit des centaines d’exécutions publiques qui peuvent attirer plusieurs dizaines de milliers de curieux. À l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, l’Agence Cook loue plusieurs cars pour conduire les touristes à la double exécution d'Allorto et Sellier. De plus, la foule y déborde le service d'ordre. Devant ces troubles à l'ordre public, le président du Conseil Édouard Daladier fait saisir les numéros de presse avec leurs photographies et promulgue le 24 juin 1939 un décret-loi abolissant les exécutions capitales publiques. La Veuve, auprès d'une prison, Dans un hangar sombre demeure. Elle ne sort de sa maison Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure. Dans sa voiture de gala Qu'accompagne la populace Elle se rend, non loin de là, Et, triste, descend sur la place. Voici venir le prétendu Sous le porche de la Roquette. Appelant le mâle attendu, La Veuve, à lui s'offre, coquette. Tandis que la foule, autour d'eux, Regarde frissonnante et pâle, Dans un accouplement hideux, L'homme cracher son dernier râle. Avec des airs d'enterrement, Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve, Elle s'habille lentement, La Veuve. Car les amants, claquant du bec, Tués dès la première épreuve, Ne couchent qu'une fois avec La Veuve. Tranquille, sous l'œil du badaud, Comme, en son boudoir, une fille, La Veuve se lave à grande eau, Se dévêt et se démaquille. Impassible, au milieu des cris, Elle retourne dans son bouge, De ses innombrables maris Elle porte le deuil en rouge. Les témoins, le prêtre et la loi Voyez, tout est prêt pour la noce ; Chaque objet trouve son emploi : Ce fourgon noir, c'est le carrosse. Tous les accessoires y sont : Les deux chevaux pour le voyage Et le grand panier plein de son : La corbeille de mariage. Alors, tendant ses longs bras roux, Bichonnée, ayant fait peau neuve, Elle attend son nouvel époux, La Veuve. Dans sa voiture se hissant, Goule horrible que l'homme abreuve, Elle rentre cuver son sang, La Veuve. Conclusion Pour dénoncer la peine de mort, Jouy s'appuie sur l'instrument qu'elle utilise en le personnifiant et en en faisant le centre de son poème. Tour à tour veuve triste derrière laquelle on devine l'image du condamné qui est emmené vers la mort, mariée qui se pare d'atours, prostituée sans état d'âme, la guillotine se transforme peu à peu en monstre qu'on a lâché pour s'abreuver de sang et que l'on remet dans sa cage lorsqu'elle est repue. La mise à mort, assimilée à un accouplement hideux, est présentée de manière très violente. Le condamné est présenté uniquement comme victime ; il n'a pas d'identité, il fait partie des innombrables proies de la bête qu'il faut sustenter. La guillotine, et donc la peine de mort, est inhumaine, elle est monstrueuse et il est de la responsabilité de chacun de s'affranchir de la fascination qu'elle produit pour la combattre comme la bête hideuse, horrible qu'elle est. Prolongement Victor Hugo Les Misérables 1862 Victor Hugo, Les Misérables, 1862 L 'échafaud, (…) quand il est là, dressé et debout, a quelque chose qui hallucine. (…) L'échafaud est vision. L'échafaud n'est pas une charpente, l'échafaud n'est pas une machine, l'échafaud n'est pas une mécanique inerte faite de bois, de fer, de cordes. Il semble que ce soit une sorte d'être qui a je ne sais quelle sombre initiative ; on dirait que cette charpente voit, que cette machine entend, que cette mécanique comprend, que ce bois, ce fer et ces cordes veulent. Dans la rêverie affreuse où sa présence jette l'âme, l'échafaud apparaît terrible et se mêlant de ce qu'il fait. L'échafaud est le complice du bourreau ; il dévore ; il mange de la chair, il boit du sang. L'échafaud est une sorte de monstre fabriqué par le juge et le charpentier, un spectre qui semble vivre d'une espèce de vie épouvantable faite de toute la mort qu'il a donnée. L'échafaud : désigne l'estrade sur laquelle est installée la guillotine. Rapprochement Comme dans le poème de Jules Jouy, Hugo montre le pouvoir de fascination de l'échafaud : « a quelque chose qui hallucine », « l'échafaud est vision », « dans la rêverie affreuse où sa présence jette l'âme ». L'échafaud est personnifié : « il dévore ; il mange de la chair ; il boit du sang » et est assimilé à un monstre : « une sorte de monstre », « un spectre ». Hugo nie d'abord la réalité concrète de l'échafaud : « pas une machine », « pas une mécanique inerte faite de bois et de cordes », avant de l'animer, de lui prêter vie : « une sorte d'être », « cette charpente voit », « cette machine entend », « cette mécanique comprend », « ce bois, ce fer, ces cordes veulent ». C'est le sang des condamnés qui lui donnent vie, « une vie épouvantable faite de toute la mort qu'il a donnée », comme chez Jules Jouy, la Veuve ne sort de son repère, ne s'éveille à la vie que pour s'abreuver du sang des condamnés. Les images utilisées par Jules Jouy ne sont donc pas novatrices. Elles sont, en effet, utilisées fréquemment pour dénoncer la peine de mort et marquer les esprits. Elles veulent produire le dégoût et la terreur chez les lecteurs afin de les convaincre du bien fondé de l'abolition de la peine de mort.