Les câbles sous- marins peuvent être un moyen de surveiller
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Les câbles sous- marins peuvent être un moyen de surveiller
VHB/AFP Les câbles sousmarins peuvent être un moyen de surveiller le changement climatique et avoir une fonction d’alerte aux raz de marée 44 Nouvelles de l’UIT 1 | 2011 Janvier | Février 2011 Veille technologique De l’utilité des câbles sous-marins pour surveiller le changement climatique Les câbles sous-marins pourraient constituer un réseau de surveillance en temps réel du climat à l’échelle mondiale. En effet, les prochaines générations de câbles et leurs composants pourraient mesurer directement les variables climatiques comme la température et la salinité de l’eau et la pression des fonds océaniques. En encourageant la normalisation technique, l’UIT peut favoriser cette application. Le présent article s’inspire d’un rapport de la Veille technologique de l’UIT–T intitulé «Using submarine communication networks to monitor climate change». Ce rapport décrit la manière dont les câbles sous-marins peuvent être un moyen de surveiller le changement climatique et avoir une fonction d’alerte aux raz de marée.* La température et la salinité sont des propriétés de base de l’océan. Elles gouvernent la densité de l’eau et, associées aux vents et aux forces solaires, la circulation générale des océans de la planète. Avec la fonte de la calotte glaciaire des pôles sous l’effet du réchauffement planétaire, la capacité de l’océan à emmagasiner les gaz à effet de serre dans ses couches profondes diminue car ces gaz sont d’autant moins solubles que l’eau est chaude. Cela renforce le réchauffement de l’atmosphère. Les masses d’eau profonde qui tapissent le fond des océans proviennent des régions polaires où l’eau plus chaude et salée se refroidit et plonge vers les profondeurs. Il est probable que le changement climatique influencera ce processus au point de modifier complètement le volume et la circulation des eaux profondes des océans. Les océanographes ont à leur service divers équipements pour surveiller l’océan, qui ont tous des avantages et des inconvénients. Les satellites ne peuvent mesurer que les quantités de surface, comme la hauteur de la surface de la mer, la force d’entraînement du vent et la température. Les navires de recherche scientifique peuvent réaliser des mesures précises de la température de l’eau et de sa composition en profondeur, mais seulement à partir d’un infime échantillon d’eau de mer et rarement * Remerciements La fonction de Veille technologique de l’UIT–T surveille le paysage des technologies de l’information et de la communication (TIC) en vue d’extraire de nouveaux sujets pour les activités de normalisation. Les rapports de la Veille technologique évaluent les nouvelles eu égard aux normes existantes de l’UIT–T et d’autres normes ainsi que les implications vraisemblables pour l’avenir de la normalisation. La fonction de la Veille technologique est gérée par la Division Politique et Veille technologique du Bureau de normalisation des télécommunications de l’UIT. Le rapport intitulé «Using Submarine Communications Networks to Monitor the Climate» a été établi par Yuzhu You, de l’Institut des sciences marines, Université de Sydney (Australie), et a bénéficié des commentaires de Bruce Howe et Rhett Butler. L’auteur remercie Bruce Howe de lui avoir signalé l’article de Kordahi sur le câble DCC, paru dans le magazine Sea Technology. L’auteur est également reconnaissant du soutien que lui a apporté le personnel de l’UIT et des commentaires de Giancarlo de Marchis. «Using Submarine Communications Networks to Monitor the Climate» et d’autres rapports de la Veille technologique sont disponibles à l’adresse http://www.itu.int/ITU-T/techwatch Nouvelles de l’UIT 1 | 2011 Janvier | Février 2011 45 Veille technologique De l’utilité des câbles sous-marins pour surveiller le changement climatique avec une périodicité régulière. Un réseau de 3000 flotteurs Argo dérivants mesurent la température et la salinité de l’océan. Mais ces flotteurs ne fonctionnent pas à plus de 2000 mètres de profondeur et ne peuvent être utilisés dans les mers n’atteignant pas cette profondeur car ils risquent de heurter le fond. Les câbles de télécommunication sous-marins constituent quant à eux une possibilité exceptionnelle de surveiller les eaux profondes puisqu’ils reposent sur le fond même des mers. Les signaux électriques émis par les câbles peuvent transmettre des informations sur les océans car les signaux électromagnétiques et la résistance du câble varient en fonction des changements dans les courants et de la température des océans. Les câbles peuvent également servir à assurer l’alimentation électrique des observatoires situés sur les fonds marins ou pour transmettre leurs données. Le système canadien NEPTUNE et le système japonais DONET fonctionnent déjà ainsi. Utiliser les câbles de télécommunication abandonnés et en service pour la recherche scientifique Depuis que le premier câble de communication sousmarin a été posé à travers la Manche en 1850, plus d’un million de kilomètres de câbles de télécommunication ont été déposés sur le fond de tous les océans du globe. Mais seule une infime partie du réseau câblé existant est utilisée pour la recherche scientifique, ce qui apparaît comme une occasion manquée. Parmi les câbles existants, certains sont abandonnés et d’autres encore en service. Les plus anciens des câbles abandonnés sont souvent des câbles coaxiaux, mais un grand nombre de câbles à fibres optiques de première génération ont cessé de servir bien avant la fin de leur durée de vie utile du fait des progrès techniques rapides. 46 Nouvelles de l’UIT 1 | 2011 Janvier | Février 2011 Pour que les câbles abandonnés et les câbles en service fassent office de pourvoyeurs de données sur l’état des océans, il suffit qu’un voltmètre et un ordinateur soient connectés à la station terrestre côtière où aboutissent les câbles. Le courant électromagnétique est induit dans le câble par les mouvements, à travers le champ magnétique terrestre, des courants océaniques, des marées et des tsunamis. Des mesures de la tension sont possibles avec un système de câble normal. Les câbles sous-marins ont été utilisés pour mesurer les courants océaniques à travers le monde. Par exemple, on a pu, à partir d’un câble, mesurer quotidiennement le volume d’eau transporté par le courant de Floride au cours des 25 dernières années, ce qui constitue une des plus longues séries chronologiques de données jamais obtenues sur le transport de l’eau des océans. Les informations fournies par les câbles sont capitales pour calculer la circulation méridionale de renversement dans l’Atlantique (AMOC), qui est un des principaux moteurs de la circulation des eaux océaniques profondes de la planète et un phénomène clé pour les climatologues. Les câbles abandonnés pourraient être déplacés vers des endroits où ils seraient utiles pour la recherche scientifique comme l’Océan austral, actuellement peu équipé en câbles. Une telle réinstallation coûterait en gros moitié moins cher qu’une nouvelle pose de câbles soit environ 20 000 USD par kilomètre dans le premier cas, contre 50 000 USD par kilomètre dans le second. Le don de câbles à des fins scientifiques se heurte néanmoins à des difficultés juridiques et pratiques, liées en particulier au transfert de propriété et de responsabilité des sociétés privées aux organismes de recherche. La première étape de la constitution d’un réseau mondial de câbles serait d’évaluer le potentiel scientifique de l’ensemble des câbles de télécommunication en service Veille technologique De l’utilité des câbles sous-marins pour surveiller le changement climatique NOAA Amarrage de la station océanique d’étude du climat dans le courant de retour des Aiguilles, déployée à 38,5°S, au sud-est de la république sudafricaine et abandonnés. L’UIT pourrait utilement coordonner cette activité en faisant appel à des administrateurs, chercheurs, ingénieurs et experts juridiques des organismes concernés et des institutions des Nations Unies. A l’heure actuelle, l’utilisation des câbles à des fins scientifiques se limite à la connexion d’instruments de mesure aux stations terrestres. Mais à l’avenir, les répéteurs — en général installés à des intervalles de 50 à 150 km pour amplifier le signal de télécommunication d’un câble pourraient être modifiés afin de mesurer l’évolution du climat. L’occasion se présente pour l’industrie des télécommunications de concevoir une nouvelle génération de répéteurs de câble qui fournissent des données sur le climat aux nouvelles parties prenantes en même temps que les services de télécommunication normaux. Les nouveaux répéteurs pourraient être équipés de capteurs intégrés permettant de mesurer les variables climatiques. Ils deviendraient la base d’un réseau rentable de surveillance du changement climatique à long terme. Les mesures de la température et de la salinité permettent de suivre le réchauffement et le rafraîchissement de l’eau créés par le réchauffement de l’atmosphère et la fonte des glaces. Les mesures de la pression renseignent sur les marées et le niveau de la mer. Ces mesures montrent les effets du changement climatique. Elles alertent aussi sur les risques de tsunami. Un réseau mondial de capteurs assurerait une observation efficace des océans de la planète minute par minute et à un coût raisonnable. La précision des résultats serait proportionnelle au nombre de capteurs. Les répéteurs actuels mesurent la température ambiante, la salinité et la pression au moyen de capteurs. Les capteurs sont situés dans le boîtier ou dans l’encastrement du répéteur. Les signaux mesurés sont transmis aux stations côtières au moyen de fibres et de lignes dédiées. A l’avenir, les répéteurs pourraient comprendre des nœuds pour l’alimentation électrique, la communication et les signaux horaires. Les instruments scientifiques pourraient être branchés directement ou indirectement au moyen de modems acoustiques par exemple. Ainsi, les répéteurs deviendraient des observatoires qui non seulement mesureraient la température, la salinité et la pression, mais à travers lesquels on pourrait aussi évaluer d’autres données climatiques comme les courants Nouvelles de l’UIT 1 | 2011 Janvier | Février 2011 47 Veille technologique De l’utilité des câbles sous-marins pour surveiller le changement climatique océaniques, la teneur en oxygène, les niveaux de gaz à effet de serre, l’activité sismique, ainsi que d’autres propriétés géophysiques et biochimiques. On pourrait également mesurer les variations de température à grande échelle par la méthode de la tomographie acoustique et même réaliser une surveillance vidéo et acoustique sous-marine. La difficulté pour les ingénieurs est de trouver du matériel robuste et fiable pouvant constituer une infrastructure souple et stable de transmission des données. Pour assurer l’alimentation électrique et la connectivité par fibres dans un réseau en couches, indépendant d’une transmission des données de télécommunication normale, la société Tyco Electronics Subsea Communications a mis au point un câble biconducteur (DCC) et une unité de branchement à quatre câbles. Le câble DCC a la même structure que les premiers câbles coaxiaux analogiques blindés. Et l’unité de branchement à quatre câbles est équipée de joints spéciaux qui connectent deux conducteurs tout en assurant l’isolation électrique entre les conducteurs et le fond marin. Avec ces nouvelles techniques, les capteurs de surveillance du climat peuvent être intégrés dans le boitier du répéteur et peuvent fonctionner indépendamment des structures de télécommunication. Les câbles et les répéteurs: des systèmes d’alerte aux tsunamis d’un coût raisonnable Le principal dispositif du système d’évaluation et d’enregistrement des tsunamis en mer profonde (DART) mis au point par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des Etats-Unis est un capteur de pression reposant sur le fond marin, qui peut enregistrer une amplitude de houle inférieure à un centimètre en haute mer. Une bouée DART coûte environ 250 000 USD et sa maintenance annuelle environ 125 000 USD, non compris le temps d’immobilisation du navire, lequel peut représenter plusieurs fois le prix de la bouée elle-même. 48 Nouvelles de l’UIT 1 | 2011 Janvier | Février 2011 Avant 2008, les Etats-Unis seuls ont déployé 39 bouées d’alerte aux tsunamis dans le Pacifique. Si l’on installait 200 bouées d’alerte aux tsunamis à travers le monde, le prix d’achat total serait d’un demimilliard USD et le coût de la maintenance d’environ un quart de milliard USD chaque année. En comptant le temps d’immobilisation du navire, le coût annuel total dépasserait le milliard USD. Les bouées classiques n’ont qu’une durée de vie limitée (quatre ans environ) car elles sont alimentées par des batteries. Utiliser des répéteurs avec les capteurs de pression permettraient de disposer d’un véritable réseau d’alerte aux tsunamis en temps réel et à l’échelle mondiale qui serait moins onéreux que le système actuel. Les coûts de maintenance et ceux élevés d’immobilisation du navire (pour installer des bouées) seraient réduits. En outre, les capteurs peuvent être alimentés en énergie pendant des dizaines d’années puisque les câbles et les répéteurs sont alimentés depuis la côte. Cela représente donc un excellent débouché commercial pour les sociétés de télécommunication. La conception d’un nouveau type de répéteurs peut certes s’élever à plusieurs millions USD, mais cet appareil serait fabriqué à des milliers d’exemplaires. On peut penser aussi que les nouveaux types de répéteurs se vendront plus chers que les types actuels. Le nombre de câbles de télécommunication déployés dans les océans ne cessera de croître, et la nouvelle génération de câbles répéteurs fournira des données capitales pour la surveillance du changement climatique. Conclusion Les sociétés de télécommunication ont permis à la communauté scientifique d’utiliser leurs câbles et leurs stations côtières. Mais jusqu’à présent le rôle joué par l’industrie dans le domaine des recherches sur le climat a été plutôt passif. L’occasion est maintenant donnée aux so- ciétés du secteur privé de devenir des acteurs actifs dans la surveillance du changement climatique. Les océans sont l’un des secteurs les plus importants en termes de variabilité climatique. Ils doivent donc être observés avec une grande rigueur. Les régions océaniques abyssales, en particulier, sont largement inexplorées. Faute d’autres moyens efficaces pour effectuer des mesures sur le long terme, l’utilisation des câbles de télécommunication pour surveiller les variations des océans sera décisive dans le suivi du changement climatique planétaire. Les Commissions d’études 15 et 5 de l’UIT–T sont bien placées pour examiner cette question. A sa dernière réunion tenue en novembre 2010, la Commission d’études 5 («Environnement et changement climatique») a créé une nouvelle question pour étudier entre autres, la manière dont les TIC, et en particulier les réseaux de câbles sousmarins à fibres optiques, peuvent être exploités plus efficacement en vue de suivre l’évolution de l’environnement et des écosystèmes, et les nouvelles normes qui seront nécessaires pour permettre aux pays de s’adapter au changement climatique. Ce sujet sera aussi examiné à la Conférence de l’UIT sur «Le passage à l’économie verte par les normes des TIC», qui se tiendra à Rome (Italie) du 22 au 24 mars 2011. Cette réunion vise notamment à: encourager l’utilisation des câbles sous-marins abandonnés pour surveiller les océans; favoriser les échanges entre la communauté scientifique, le secteur privé et les Etats pour faire en sorte que les câbles sous-marins puissent être utilisés aux fins des recherches sur le climat; identifier les techniques permettant l’incorporation de capteurs de surveillance dans les systèmes existants; promouvoir le développement de nouvelles technologies et normes pour les systèmes en couches, y compris des sous-systèmes d’observation de l’océan, au niveau de chaque répéteur, afin d’obtenir une haute résolution spatiale le long du câble. Nouvelles de l’UIT 1 | 2011 Janvier | Février 2011 49 Veille technologique De l’utilité des câbles sous-marins pour surveiller le changement climatique