iD4D transition energetique bruxelles

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iD4D transition energetique bruxelles
Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
jeudi 28 avril 2016 au Parlement européen, Bruxelles
Conférence idées pour le développement :
« Transition énergétique :
comment l’accompagner au Sud ? »
jeudi 28 avril 2016
au Parlement européen, Bruxelles
Conférence-débat animée par Sandrine MERCIER, journaliste chez RFI, avec :
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Christian DE GROMARD, référent énergie et chef de projet senior, Agence française de
développement (AFD) ;
Cyril LOISEL, responsable de politiques, unité B1 « Relations internationales et
interinstitutionnelles », DG CLIMA, Commission européenne ;
Philippe MÉCHET, directeur des relations institutionnelles et européennes, groupe EDF ;
Ali ZEROUALI, directeur de la coopération et du partenariat, Agence marocaine de l’énergie
solaire (MASEN) ;
Gilles PARGNEAUX, député européen français, vice-président de la commission de
l’Environnement et membre suppléant de la commission des Affaires étrangères du Parlement
européen.
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
jeudi 28 avril 2016 au Parlement européen, Bruxelles
Synthèse
Aujourd’hui, un changement de modèle énergétique s’impose tant au Nord qu’au Sud, pour des
raisons de sécurité énergétique, d’équité dans l’accès aux services énergétiques, de lutte contre
les changements climatiques, mais aussi pour atteindre les ODD. Pour cela, plusieurs
adaptations politiques et techniques sont nécessaires, tant au niveau local qu’à l’échelle
internationale. À quelles difficultés les acteurs de la transition énergétique sont-ils confrontés ?
Comment les partenaires du développement peuvent-ils appuyer les pays du Sud dans leur
volonté d’opérer ce tournant ?
Élargir l’accès à l’énergie
Le développement durable des pays du Sud implique de relever deux défis énergétiques. Le premier
est de renforcer l’accès à l’énergie. « Aujourd’hui, trois quarts des enfants africains n’ont pas accès à
l’électricité » (G. Pargneaux). Cette carence est particulièrement marquée en Afrique subsaharienne, où
le niveau d’électrification dépasse rarement les 25 % au niveau national.
Ce déficit a des conséquences à la fois économiques, sociales et politiques. Il handicape l’accès aux
soins primaires tels que l’eau potable ou les services de santé, et fragilise les systèmes d’éducation et
l’activité économique. Ces enjeux sont particulièrement importants en Afrique, dont la population
passera d’un à deux milliards d’habitants d’ici 2050. « Pour accompagner le développement du
continent et satisfaire la demande, la production d’énergie devra au moins doubler d’ici 2030, et
même tripler en matière d’électricité » (G. Pargneaux).
L’enjeu de la transition énergétique
Le second défi est celui du modèle énergétique. « Dans les quinze prochaines années, la croissance de
la consommation énergétique se concentrera dans les pays du Sud. La consommation énergétique est
désormais relativement stable au Nord. Les enjeux de transition énergétique, c’est-à-dire de
changement de modèle énergétique, concernent donc désormais aussi le Sud » (C. de Gromard). Ce
défi pose notamment la question de la diversification du mix énergétique et de l’efficacité
énergétique. En Afrique ou encore au Moyen-Orient, les bâtiments publics et les hôtels climatisés sont
par exemple souvent maintenus à des températures de 16-18°, ce qui génère une consommation
d’énergie excessive.
Des ressources durables mais inexploitées
De l’hydraulique à l’éolien en passant par le solaire thermique ou photovoltaïque, les pays du Sud
disposent de nombreuses sources d’énergie durable, particulièrement adaptées à ces défis. Plusieurs
projets illustrent ce potentiel, comme le barrage d’Inga en République démocratique du Congo ou la
centrale de Ouarzazate au Maroc, la plus grande centrale thermosolaire du monde, mise en service en
février 2016. « D’ici 2018, elle fournira de l’électricité à 1,1 million de Marocains, permettant
d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre de 760 000 tonnes par an, et de réduire la
consommation de pétrole de 2,5 millions de tonnes par an » (G. Pargneaux).
Toutefois, ce potentiel énergétique durable reste largement inexploité. En Afrique, par exemple, « les
initiatives photovoltaïques restent embryonnaires, et seulement 7 % des capacités hydrauliques et
moins de 1 % des capacités géothermiques sont exploitées » (G. Pargneaux). Ce déficit tient parfois au
contexte sécuritaire : « Il reste très difficile d’attirer des capitaux privés internationaux dans certaines
zones aux conditions délicates » (C. Loisel).
Déployer l’aide à toutes les échelles
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
jeudi 28 avril 2016 au Parlement européen, Bruxelles
Le développement des énergies renouvelables dans les pays du Sud peut être soutenu à différentes
échelles. Certaines stratégies sont d’ampleur régionale : l’Initiative pour les énergies renouvelables en
Afrique, lancée en 2015 dans le cadre de la COP21, vise ainsi à « accroître la production d’électricité
renouvelable en Afrique de 10 gigawatts d’ici 2020 et de 300 gigawatts supplémentaires d’ici 2030 »
(C. Loisel). On peut également songer au projet d’électrification du continent africain, porté par JeanLouis Borloo dans le cadre de la fondation Énergies pour l’Afrique.
D’autres stratégies ciblent les zones où l’accès à l’énergie est le plus limité. C’est le cas d’ElectriFI1,,
« la facilité d’investissement de la Commission européenne qui soutient notamment l’électrification en
zone rurale dans les pays africains les plus pauvres » (C. Loisel).
Le clivage rural-urbain est un enjeu fondamental de l’accès à l’énergie. « Dans nombre de pays
d’Afrique subsaharienne, il n’est pas rentable d’apporter du réseau » (P. Méchet). Résoudre cette
difficulté implique de déployer des dispositifs plus souples ou plus aisés à mettre en service, comme de
petits kits photovoltaïques ou des microbarrages. « À la frontière chinoise du Kirghizistan, EDF a mis
en place des microbarrages dans un village hors réseau, donc moins intéressant pour l’État. […] Cela
a permis de faire émerger une économie locale, de développer l’état sanitaire du village et de soutenir
l’école locale » (P. Méchet).
Soutenir le développement des énergies renouvelables requiert également d’agir sur la tarification du
carbone, par exemple en éliminant les subventions sur les énergies fossiles. Or cette stratégie peut avoir
un coût social important dans les pays du Sud. « Il est indispensable d’accompagner les États dans
cette transition. L’Union européenne offre son assistance technique au travers de la Banque mondiale
pour aider certains pays à développer des solutions alternatives » (C. Loisel).
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http://www.electrifi.org/
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jeudi 28 avril 2016 au Parlement européen, Bruxelles
Compte rendu révisé des débats
Introduction
Sandrine Mercier, journaliste chez RFI
Le 22 avril 2016, 175 États ont signé l’accord de Paris sur le climat à l’ONU. Ils doivent désormais le
ratifier chacun de leur côté. Face à cette décision de tourner le dos aux énergies fossiles, quels sont les
potentialités et les défis énergétiques, notamment dans les pays du Sud ? À quelles difficultés les
acteurs de la transition énergétique sont-ils confrontés ? Comment les appuyer dans ce tournant ?
Gilles Pargneaux, député européen français, vice-président de la commission de l’Environnement
et membre suppléant de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen
Le sujet de la transition énergétique des pays du Sud est brûlant d’actualité. Historiquement, ce sont
les pays du Sud qui ont le moins pollué et qui en sont les plus grandes victimes. Lors du sommet
de la COP21 à Paris, j’étais rapporteur de la résolution adoptée au Parlement européen le 15 octobre
2015. En tant que membre de la délégation européenne, j’ai suivi le travail de négociations développé
entre les institutions.
Avec nos négociateurs, nous avons particulièrement tenu à ce qu’une mention claire de l’accès aux
énergies renouvelables soit inscrite dans le texte final. Dans l’avant-dernier considérant du texte, nous
avons ajouté une mention sur « la nécessité de promouvoir l’accès universel à l’énergie durable
dans les pays en développement, en particulier en Afrique, en renforçant le déploiement
d’énergies renouvelables ». Cet objectif fixé, les défis restent nombreux, y compris simplement en
matière d’accès à l’énergie.
L’accès à l’énergie est l’enjeu du XXIe siècle, en particulier pour le continent africain. Aujourd’hui,
trois quarts des enfants africains n’ont pas accès à l’électricité. D’ici à 2050, l’Afrique passera
d’un à deux milliards d’habitants. La part des moins de 25 ans dans la population restera de deux tiers.
Les conséquences de ce déficit sont nombreuses :
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un accès difficile aux besoins primaires, que ce soit à l’eau potable ou à des services de santé
qualitatifs ;
une diminution des possibilités de lecture, qui fragilise l’éducation publique et se répercute sur
le niveau d’emploi ;
un déficit économique et social, facteur d’obscurantisme et d’extrémisme.
Sans accès efficace à l’énergie, toute une société peut partir à la dérive. Pourtant, l’Afrique, et le
Sahel en particulier, dispose d’énormes ressources naturelles capables de lui assurer une sécurité
énergétique. Les bassins hydrauliques d’Afrique centrale, la vallée du Grand rift qui s’étend de la
vallée de la Bekaa au Liban jusqu’au Mozambique, ou encore l’ensoleillement dont bénéficie le
continent sont des sources d’énergie renouvelable (hydrauliques, géothermiques et solaires) peu
égalées dans le reste du monde.
Néanmoins, seule une infime partie de ce potentiel est exploitée. L’Afrique souffre d’un manque de
capacités énergétiques, et notamment de capacités électriques. Les initiatives photovoltaïques restent
embryonnaires, et seulement 7 % des capacités hydrauliques et moins de 1 % des capacités
géothermiques sont aujourd’hui exploitées.
Dans son rapport du 5 octobre 2015, l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA)
explique que, pour accompagner le développement du continent et satisfaire la demande, la
production d’énergie devra au moins doubler d’ici 2030, et même tripler en matière d’électricité.
En Algérie, l’ensoleillement annuel moyen est évalué à 2 000 heures, avec un ensoleillement quotidien
moyen de 6,57 kWh par mètre carré. Fort de son positionnement géographique et d’un territoire
composé de désert à 85 %, le pays possède le champ solaire le plus important du monde. Le potentiel
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solaire algérien équivaut à huit fois les réserves de gaz naturel du pays. Le potentiel solaire est
également considérable au Maroc. Avec une capacité d’environ 20 000 mégawatts et un ensoleillement
moyen de plus de 3 000 heures par an, le pays jouit d’une irradiation quotidienne d’environ 5 kWh par
mètre carré.
Certains pays ont déjà compris la richesse que ces ressources représentent. Le 4 février 2016, le roi
du Maroc Mohammed VI a par exemple inauguré la centrale thermosolaire de Ouarzazate, la
plus grande centrale thermosolaire du monde. D’ici 2018, elle fournira de l’électricité à 1,1 million
de Marocains, permettant d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre de 760 000 tonnes par an, et
de réduire la consommation de pétrole de 2,5 millions de tonnes par an. Le Maroc capitalise également
sur son potentiel vert. La part des énergies vertes dans le mix énergétique du royaume sera de 42 %
d’ici 2030. Elle atteindra les 52 % d’ici 2050.
Ces perspectives sont également intéressantes pour les Européens : à terme, si des interconnexions
électriques sont efficacement implantées, près de 15 % de la consommation énergétique de
l’Union européenne proviendra de la production d’énergies renouvelables africaine. C’est l’enjeu
des différentes plateformes développées aujourd’hui par la Commission européenne au Maroc, en
Algérie, en Tunisie ou encore en Égypte. Le partenariat énergétique avec le Sud de la Méditerranée
doit rester l’horizon politique européenne : nous avons besoin d’un véritable Plan Marshall pour aider
l’Afrique à s’électrifier. L’initiative de Jean-Louis Borloo, menée dans le cadre de la fondation
Énergies pour l’Afrique, doit permettre d’impulser une nouvelle dynamique pour soutenir
l’électrification du continent. Ce sujet énergétique est aussi un formidable relais de croissance pour
l’Union européenne.
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Intervention des panélistes
Sandrine Mercier
Quels blocages peut-on rencontrer dans cette transition énergétique ?
Cyril Loisel, responsable de politiques, unité B1 « Relations
interinstitutionnelles », DG CLIMA, Commission européenne
internationales
et
Au sein de l’Union européenne, nous travaillons beaucoup sur la « transition énergétique ». Mais le
terme de « transition énergétique » peut paraître étonnant à de nombreux pays du Sud, dont la
clé d’entrée dans les négociations sur le climat reste l’accès à l’énergie. Si les négociations
reviennent à entraver les potentialités de développement en contraignant les options énergétiques, il
sera difficile de conclure une alliance gagnante entre le Nord et le Sud. Il s’agit de montrer que
l’action sur le climat résout des problèmes de développement et contribue aux stratégies nationales à
bien des égards.
Christian de Gromard, référent énergie et chef de projet senior, AFD
Le terme de « transition » signifie simplement partir d’un point pour en rejoindre un autre. Dans les
quinze prochaines années, la croissance de la consommation énergétique se concentrera dans les
pays du Sud. La consommation énergétique est désormais relativement stable au Nord. Les enjeux de
transition énergétique, c’est-à-dire de changement de modèle énergétique, concernent donc
désormais aussi le Sud. Comment le Nord peut-il dès lors accompagner le Sud sur ces
questions ? Ce changement de modèle est un problème qui affecte tous les pays. Le terme de
« transition » est à prendre avec précaution, mais il explique bien un changement de situation auquel
nous devons faire face aujourd’hui.
Ali Zerouali, directeur de la coopération et du partenariat, MASEN
Il est possible de parler de transition énergétique dans les pays du Sud. La consommation d’énergie
étant extrêmement faible, elle provient principalement de la biomasse. Si le Maroc a atteint un
niveau d’électrification de 99,8% du territoire, beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne ne
dépassent pas les 25%, avec moins de 5% d’électrification dans les zones rurales. Les initiatives
d’électrification comme celle de Jean-Louis Borloo et le développement de centrales d’énergie
renouvelable permettent une véritable transition énergétique en Afrique. L’opportunité du continent
tient paradoxalement à son décalage de développement qui lui a évité les complications d’une
transition énergétique à partir de l’énergie fossile.
L’Afrique développe son électrification à un moment où les énergies renouvelables apparaissent non
seulement comme une évidence mais offrent aussi une forte compétitivité-prix. Au Maroc, l’énergie
solaire est quatre à cinq fois moins chère qu’en Europe. Nous pouvons profiter de la disponibilité de
ces ressources naturelles pour préparer une production à plus grande échelle capable de répondre aux
besoins des populations souffrant d’un manque d’accès à l’électricité et ouvrir ainsi le chemin à une
baisse du prix de la production d’énergie à partir des ressources renouvelables à l’avenir dans les pays
du Sud après la phase d’amortissement des investissements. Il s’agit là d’une vraie transition
énergétique et d’une véritable révolution pour les pays du sud. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle
révolution : la révolution verte, à laquelle cette fois-ci l’Afrique peut et doit prendre part. Les pays
africains sont parmi ceux ayant les plus grandes ressources naturelles. C’est un devoir planétaire de
soutenir les pays du Sud qui en ont la capacité dans cette nouvelle révolution, mais aussi une
obligation de ces pays d’y prendre pleinement part, sous peine de devoir en répondre auprès des
générations futures. L’Europe aurait fort à gagner quant à elle en soutenant les investissements dans la
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production d’électricité verte dans les pays du sud et en important une partie de cette électricité
contribuant ainsi à la concrétisation des accords de Paris.
Cyril Loisel
Au-delà de la volonté politique, le développement de l’électrification est une question économique et
financière. Dans différents pays du Sud, les énergies renouvelables deviennent compétitives pour
des solutions d’électrification. C’est notamment le cas au Chili et en Afrique du Sud, où des solutions
renouvelables ont remporté des appels d’offre ouverts sans que les États aient prescrit un certain type
d’énergie.
L’État peut agir sur la tarification du carbone, en éliminant par exemple les subventions sur les
énergies fossiles. Cette stratégie peut sembler évidente, mais elle soulève des enjeux sociaux et de
pauvreté énergétique dans de nombreux pays. Il est indispensable d’accompagner les États dans la
mise en œuvre de cette stratégie. La Banque mondiale offre son assistance technique pour aider
certains pays à développer des solutions alternatives.
Une fois les structures installées, l’exploitation de l’énergie solaire est peu coûteuse, contrairement à
une centrale thermique conventionnelle. Toutefois les coûts d’investissement sont tels qu’un appui
est nécessaire. Différents instruments émergent comme Electrify, la facilité d’investissement de la
Commission européenne qui soutient notamment l’électrification en zone rurale dans les pays
africains les plus pauvres. Elle dispose d’une dotation initiale de 270 millions d’euros jusqu’à 2017
et cherche à stimuler l’investissement privé.
Christian de Gromard
Les sources d’électricité parmi les moins chères sont effectivement les énergies solaires et
éoliennes intermittentes. Leur coût varie entre 6 et 8 centimes par kWh contre 10 centimes pour les
énergies fossiles. Néanmoins, cette intermittence impose de penser et de gérer différemment les
réseaux électriques. Sur les 8 700 heures que compte une année, les 2000 à 3 000 heures de
fourniture d’électricité solaire nécessitent des compléments. Le déploiement de capteurs et
« d’intelligence » dans les réseaux électriques permet de gérer cette intermittence. Cela contribue
à faire émerger une nouvelle façon de produire et de distribuer l’électricité.
Philippe Méchet, directeur des relations institutionnelles et européennes, groupe EDF
Le groupe EDF n’applique pas la même politique énergétique en Europe et en Afrique. Les énergies
renouvelables sont beaucoup développées dans les pays du Sud, sur le solaire, sur l’éolien, mais
aussi sur l’hydraulique, comme au Laos avec l’établissement d’un barrage de 1 000 mégawattsheures qui respecte les normes internationales et locales en termes de développement durable. Il faut
donc s’adapter dans chaque pays.
En Europe, le besoin en électricité se fait surtout ressentir durant les hivers froids, ce qui renforce
notre niveau d’intermittence sur les énergies renouvelables. Quand on parle du coût du renouvelable
en Europe, on a coutume de le majorer de 25 % pour tenir compte du coût de l’intermittence, des
moyens qui doivent être mis à disposition.
On a évoqué plus haut les 3 000 heures d’ensoleillement du Maroc et les 2 000 heures de l’Algérie.
Des régions comme l’État de Californie bénéficient de plus de 2 000 heures d’ensoleillement : le
photovoltaïque permet d’y alimenter une économie très développée. C’est autant d’espoir et de
ressources pour les pays du Sud dont la géographie se prête au photovoltaïque.
EDF met en œuvre plusieurs types de coopérations sur le renouvelable :
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des projets sur demande qui nécessitent des investissements assez lourds de la part des États :
EDF développe par exemple des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) et une
grande ferme hydrolienne au Maroc, ou encore un barrage au Cameroun ;
des programmes moins connus, comme ACCESS sur l’accès à l’énergie, qui mettent en œuvre
les moyens de production et les savoir-faire au sein d’une société dont la maîtrise est ensuite
cédée aux autorités et à la main-d’œuvre locales.
À la frontière chinoise du Kirghizistan, EDF a mis en place des microbarrages dans un village hors
réseau, donc moins intéressant pour l’État. Pour gérer ce barrage qui fournissait 500 personnes en
énergie, nous avons formé deux personnes : l’une pour faire fonctionner l’hydroélectricité et l’autre
pour la facturer aux usagers. Cela a permis de faire émerger une économie locale, de développer l’état
sanitaire du village et de soutenir l’école locale, à laquelle nous avons également apporté des lecteurs
de DVD. Des programmes comme ACCESS requièrent un investissement au départ mais ils ne coûtent
rien passé cette étape. C’est un programme d’aide intelligent qui donne aux États les moyens de faire
eux-mêmes leur énergie.
Verbatim : Vidéo de présentation du projet Noor
Sous l’impulsion de Sa Majesté le roi Mohammed VI, le développement de Noor, un
réseau de complexes solaires d’envergure, a été lancé en 2009. En tant que promoteur
et aménageur de ces complexes, MASEN garantit le développement de toutes les
infrastructures à même de connecter les centrales Noor au réseau existant. En
témoignent les ouvrages réalisés pour les 3 000 hectares du site Noor Ouarzazate,
dont la capacité totale attendra 580 mégawatts à terme.
Plus de 62 kilomètres de routes ont été construits pour transporter les équipements des
centrales et faciliter l’accès au travail à l’ensemble des employés. Les quatre centrales
Noor Ouarzazate de technologies thermique (CSP) et photovoltaïque livreront leur
électricité sur le poste 225 kilovolts, connecté au réseau national grâce au
renforcement et à la construction de 400 kilomètres de lignes, toutes prises en charges
par l’Office national d’irrigation (ONI).
Pour le fonctionnement des turbines et la maintenance des champs solaires, le
complexe consommera 2,2 millions de mètres cubes d’eau par an, soit moins de 1 %
de la capacité du barrage le plus proche, faisant de ces centrales des infrastructures
particulièrement économes en eau.
MASEN garantit l’approvisionnement de cette eau à partir du barrage et prend en
charge la construction d’un système de pompes Cantilever, abritant des pompes
immergées qui prélèvent directement l’eau du barrage suivant l’état de remplissage du
réservoir. C’est une première au Maroc. Une fois prélevée, l’eau est prétraitée au
niveau de la station de débourbage. Elle est ensuite conduite sur 19 kilomètres grâce à
une station de pompage pour atteindre le réservoir de stockage, d’une capacité de
30 000 mètres cubes, situé au cœur du complexe.
Un réseau d’eau potable a également été réalisé par l’ONI. D’une longueur de près
de 80 kilomètres, il répondra aux besoins de Noor Ouarzazate, mais aussi de 33
douars avoisinant. L’écoulement des eaux pluviales et leur évacuation convoyée sont
assurés par un système de drainage long de 4 kilomètres, développé au nord du
complexe pour protéger les centrales des eaux emportées par la légère inclinaison du
site. Aujourd’hui, Noor Ouarzazate 1 est la première centrale du complexe bénéficiant
de ces infrastructures.
La construction de Noor Ouarzazate 1, la plus grande centrale CSP monoturbine au
monde, a été lancée par Sa Majesté le roi Mohammed VI en mai 2013. Deux ans et
demi plus tard et grâce à l’engagement de l’ensemble des partenaires institutionnels,
financiers et techniques de MASEN, Noor Ouarzazate 1 voyait le jour.
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Sur ses 460 hectares ont été installés plus d’un million de mètres carrés de miroirs
cylindroparaboliques qui collectent la chaleur. L’utilisation de 45 000 tonnes de sels
fondus permet de stocker la chaleur qui, mélangée à de l’eau, crée la vapeur haute
pression nécessaire au fonctionnement de la turbine. Avec une capacité de
160 mégawatts, Noor Ouarzazate 1 permet de répondre à la consommation de 630 000
habitants jusqu’à trois heures après le coucher du soleil.
Plus de 2 000 hommes et femmes, dont 85 % de Marocains, se sont fortement investis,
de jour comme de nuit, pour la construction d’une centrale aux meilleurs standards
internationaux. Près du tiers de la valeur de la centrale a été réalisé par des
entreprises marocaines, fournissant des composants dans des métiers aussi divers que
la métallurgie, le câblage, le BTP ou les services.
La construction de Noor Ouarzazate 1 s’est faite dans une optique de développement
durable, dans la lignée du concept architectural novateur voulu pour l’ensemble du
complexe solaire. Ce concept vise la pleine intégration du complexe dans le grand
paysage de la région de Ouarzazate, contribuant à l’enrichissement de son architecture
traditionnelle et renforçant sa vocation touristique.
Ali Zerouali
Lors de la conception de la centrale Noor Ouarzazate 1, nous ne voulions pas construire la plus grande
centrale thermodynamique au monde. Ce choix s’est imposé pour des questions d’économie
d’échelle : cette taille de centrale permettait d’accéder au prix du kw le plus bas. Nous avons cherché à
aller le plus loin possible dans ce sens. En effet, en termes de compétitivité-prix, les énergies
renouvelables ont franchi un nouveau palier.
Il y a encore dix ans, les énergies renouvelables étaient peu compétitives. Aujourd’hui, le Pérou et le
Mexique fournissent une énergie photovoltaïque à 3,6 centimes de dollars le kilowatt. Le Maroc
détient le record mondial pour l’éolien (3 centimes de dollars le kilowatt) et le CSP (14 centimes
le kilowatt incluant 8 heures de stockage). Pour des prix compétitifs, le CSP permet au Maroc
d’amortir le coût de l’intermittence et de répondre au pic des besoins des usagers le soir (contrairement
aux Européens, plus industrialisés, dont le pic est dans la journée).
Toutes les données plaident aujourd’hui pour cette transition énergétique. Un véritable basculement
s’opère vers les énergies renouvelables. La technologie existe, les financements suivent… L’enjeu
restant est politique. C’est la volonté politique qui mènera au développement à grande échelle de ces
centrales d’énergie renouvelables.
L’Union Européenne dépense plusieurs dizaines de milliards de dollars en subventions aux énergies
renouvelables : 40 milliards pour l’Allemagne et 25 milliards pour l’Espagne, par exemple. Toutefois,
de nouvelles opportunités d’intégration apparaissent aujourd’hui entre le Nord et le Sud. Si
l’Europe a surtout besoin d’énergie pendant l’hiver, le Sud a besoin d’énergie pendant l’été,
notamment pour la climatisation. Avec une même capacité, nous sommes en mesure de répondre aux
deux besoins, placés sur le même fuseau horaire. L’électricité solaire coûte quatre à cinq fois moins
cher dans le Sud qu’en Europe. Pourquoi les industriels européens ne viendraient-ils pas investir
dans les pays du Sud et construire leurs propres centrales pour répondre aux besoins
énergétiques du Nord ? Cela permettrait de supprimer les subventions aux énergies renouvelables et
de créer un nouveau relais de croissance dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord. Cela
permettrait également une meilleure diversification de l’approvisionnement en électricité en Europe,
une meilleure sécurité au niveau des frontières, des créations d’emploi dans les pays du Sud et de
limiter les flux migratoires. Ce serait un exemple concret de codéveloppement et de colocalisation
entre le Nord et le Sud.
Christian de Gromard
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Il ne faut pas opposer les 600 mégawatts générés par ces grandes centrales solaires et les petits kits
photovoltaïques. En Afrique, une ligne de partage sépare ceux qui ont le réseau et ceux qui ne
peuvent pas en bénéficier. Cette ligne de fracture recoupe aussi le clivage entre les villes et les
zones rurales.
Dans les zones « hors réseau », il est pertinent d’installer des kits solaires individualisés de
quelques Watts à quelques centaines,de Watts qui permettent aux populations de s’éclairer et de
communiquer. Au Maroc, par exemple, un important programme d’investissement, soutenu
notamment par l’AFD à hauteur de 250 millions d’euros, a permis dans cette logique de passer de 20 à
près de 95 % de population électrifiée en l’espace de douze ans.
On retrouve le même défi en Afrique, qui ne pourra pas être relevé avec le seul équipement de grandes
centrales , et la distribution décentralisée d’électricité s’impose en complément. Le prix des systèmes
photovoltaiques a lui aussi beaucoup diminué. En outre, grâce aux technologies de mobile
banking (« paiement par téléphone mobile » en français), il est possible de les télégérer des
systèmes isolés et de les couper automatiquement si l’usager ne paie pas. Ces opportunités
permettent aujourd’hui d’envisager l’électrification de l’Afrique en réseau et hors réseau dans
les quinze ou vingt années à venir. Par ailleurs, les besoins en subventions peuvent rester limités si
l’on inscrit cette électrification dans un cadre d’investissement et de prêts de longue durée.
Cyril Loisel
À travers l’Union pour l’énergie, nous promouvons l’interconnexion des différents réseaux européens
encore mal connectés entre eux.
Dans le Sud, les zones en réseau connaissent encore certains problèmes comme des coupures de
courant massives, source de mécontentement populaire. Les gouvernements peuvent donc être tentés
d’installer rapidement des centrales à charbon pour pallier ce manque d’énergie. C’est notamment le
cas en Afrique du Sud. Malgré le succès de Noor Ouarzazate au Maroc, il reste très difficile d’attirer
des capitaux privés internationaux dans certaines zones aux conditions délicates.
Pour répondre aux attentes des Africains en matière d’accès à l’énergie durable, une Initiative
pour les énergies renouvelables en Afrique a été lancée en 2015 à l’occasion de la COP21. Cette
initiative a été conçue au sein des instances africaines, poussée par l’Union africaine, par les autorités
françaises et la présidence de la COP21 en amont du sommet et par le gouvernement allemand dans le
cadre de sa présidence du G7. Elle vise à accroître la production d’électricité renouvelable en
Afrique de 10 gigawatts d’ici 2020 et de 300 gigawatts supplémentaires d’ici 2030. Le sommet du
G7 au Japon permettra de confirmer sa mise en place cette année. Il y a deux semaines, les réunions de
lancement se sont tenues à la Banque africaine de développement pour coordonner les capacités de
financement et définir les projets : des projets éoliens, solaires et géothermiques, en Afrique du Sud,
au Kenya et en Éthiopie notamment, mais aussi des projets hydrauliques, par exemple en République
démocratique du Congo.
Sandrine Mercier
Lors de la COP21, les pays du Nord ont promis de verser 100 milliards de dollars par an aux pays du
Sud à partir de 2020. S’agit-il de fonds d’investissement supplémentaires ?
Cyril Loisel
Cette aide est destinée à l’action climat en général. C’est une mobilisation d’investissement dont une
part prendra la forme de transferts des contribuables du Nord vers ceux du Sud. Cette mobilisation
permettra également un effet de levier pour stimuler l’investissement privé du Nord vers le Sud dans
tous les domaines de l’action climat : l’énergie, mais aussi l’adaptation aux effets du changement
climatique, par exemple.
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jeudi 28 avril 2016 au Parlement européen, Bruxelles
Christian de Gromard
Un autre volet de l’énergie est important en Afrique : la biomasse. La biomasse reste la principale
source d’énergie, mais elle est souvent oubliée dans le débat sur les énergies renouvelables de par
son caractère informel. Elle est moins une affaire d’investissement qu’un enjeu de régulation. Elle est
de plus à l’interface de différents enjeux, la forêt, l’énergie, l’agriculture, mais aussi l’urbanisation. Ce
volet soutenu par l’AFD manque souvent de financement, or il est important sur les questions
climatiques. Le développement de la biomasse est la meilleure façon de pomper le carbone accumulé
dans l’atmosphère et, grace à la photosynthèse, de le réinsérer à la fois dans la végétation et dans le
sol.
Philippe Méchet
Il est important de distinguer l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne lorsqu’on parle de
l’Afrique. La consommation énergétique est très différente entre ces deux régions. Au Maroc, la
consommation énergétique est de 700 kWh par an. Au Nigeria, pays de 175 millions d’habitants qui
sera en 2050 le troisième pays le plus peuplé au monde avec une population de 450 millions
d’individus, elle est de 137 kWh.
La distinction entre réseau et hors réseau est également fondamentale. Dans nombre de pays
d’Afrique subsaharienne, il n’est pas rentable d’apporter du réseau. À Madagascar, par exemple,
la compagnie d’électricité malgache Jirama n’a pas l’intention d’électrifier l’intégralité du territoire.
Cette réalité concerne une grande quantité de pays dans lesquels des zones entières n’auront jamais de
réseau. La distribution de kits et les installations locales sont l’unique moyen de subvenir aux
besoins des populations en énergie. D’autant que de nombreux aspects de ce que nous appelons
le « service public » dans les pays du Nord dépendent de l’accès à l’électricité : l’eau, l’hygiène
ou encore l’éducation. Cet enjeu concerne moins les pays du Nord de l’Afrique, dont le niveau de
développement est déjà avancé.
La notion de « réseau » doit toutefois être utilisée avec prudence. Je ne crois pas qu’il soit possible
de distribuer par réseau en Europe de l’électricité venant d’Afrique du Nord. Plusieurs tentatives
ont été menées par EDF, mais les déperditions sont trop importantes. La science progressera peut-être
sur ces problématiques de stockage.
Le hors réseau doit rester la priorité de tous en Afrique subsaharienne. Les populations ont avant
tout besoin d’accès à l’énergie pour pouvoir se développer, que cette énergie soit d’origine solaire,
hydraulique ou issue de la biomasse.
Sandrine Mercier
La Chine investit également le domaine des énergies renouvelables en Afrique, en produisant par
exemple des panneaux solaires de moins en moins chers…
Philippe Méchet
La Chine est surtout intéressée par les mines d’uranium. Aucune entreprise européenne n’a résisté à
la concurrence chinoise sur l’importation des panneaux photovoltaïques. Il en va de même pour
les éoliennes chinoises qui sont deux fois plus productives que l’éolienne la plus rentable produite
en Europe. Sur la technologie et sur son coût, la Chine reste le leader.
Christian de Gromard
En matière d’aide publique au développement, la Chine n’observe pas les mêmes règles que les autres
acteurs (notamment en matière d’appels d’offre). Il serait intéressant que la Chine s’accorde avec le
consensus. Par ailleurs, la Chine s’occupe surtout de grandes infrastructures énergétiques comme
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
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les barrages. Elle est moins présente sur les enjeux d’électrification rurale et de transition
énergétique. C’est à la fois un concurrent et un partenaire avec lequel nous avons vocation à coopérer
davantage dans cette coopération triangulaire Europe-Chine-Afrique.
Cyril Loisel
À l’occasion de la COP21, près de 190 pays ont proposé leur action pour le climat. L’Agence
internationale de l’énergie a montré que, pour mettre en œuvre ces contributions nationales, des
investissements considérables devraient être mobilisés : 12 000 milliards d’euros en tout pour le seul
secteur énergétique.
Ce marché considérable se constitue majoritairement en Chine, en Inde et dans différents grands pays
émergents. Lors de la COP21, l’Inde a lancé une alliance solaire internationale avec la France et
les États-Unis qui a vocation à promouvoir la coopération Sud-Sud dans le développement de
l’énergie solaire. Une alliance sur le géothermique a également été scellée. Enfin, un programme
de l’IRENA est en cours pour l’électrification des petites îles.
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Échanges avec la salle
Michel Lavollay, Partenariat public-privé Europe
Sur l’intégration, vous ne faites pas assez le lien avec les dynamiques qui existent en parallèle sur le
climat et sur l’agriculture. Les besoins en Afrique couvrent tous les domaines : à l’avenir, il faudra
être davantage dans une logique d’électrification pour les services de base. Les plateformes de
technologies développées doivent être en lien direct avec les besoins en agriculture, en eau, ou encore
en matière d’adaptation climatique.
Par ailleurs, autour du hors-réseau et de l’intermittence, vous avez émis un commentaire assez rapide
sur le stockage. Le stockage est enjeu est fondamental et de nombreuses technologies adaptées au
continent africain sont en cours de développement sur cette question.
Philippe Méchet
Quand on raisonne en hors-réseau, il faut effectivement penser à des structures souples, de plus petite
taille et adaptées aux populations : ce n’est pas notre mode de fonctionnement habituel. Il y a une
révolution énergétique à entreprendre en Afrique et une révolution culturelle à initier de notre côté
pour l’adaptation de ces moyens.
Concernant le stockage, il y a une tendance très forte à l’amélioration. Il y a un mois, Jean-Louis
Borloo a exprimé son pragmatisme sur ce sujet, affirmant vouloir prendre tout ce qui est bon à prendre
pour répondre à une demande qui est immédiate.
Christian de Gromard
La question du stockage est déjà en marche. Depuis dix ans, des progrès ont été faits sur les batteries
et cela va continuer. Il ne faut pas attendre le stockage parfait, dont la conception prendra du
temps et coûtera cher. En Afrique hors réseau, le moyen de distribution le plus courant reste la
batterie.
Concernant la réponse globale à apporter, notamment sur l’agriculture, il ne faut pas se tromper sur les
véritables besoins électriques. Quand l’électricité s’est développée en Europe, les populations
pensaient qu’elle permettrait d’éliminer le labour et toutes les techniques agricoles. Or dans les zones
rurales, elle a surtout servi à diffuser la transmission sans fil et la radio, à soutenir la communication et
les échanges. La véritable révolution agricole se situe davantage sur les forêts et la biomasse que sur
l’électricité.
Ali Zerouali
Concernant les populations rurales, l’alternative est la suivante :
-
soit nous développons le hors-réseau, qui est moins cher et répond davantage aux besoins de
consommation ménagère ;
soit nous développons le réseau, ce qui permettrait non seulement d’avoir accès à l’électricité,
mais aussi de soutenir une petite industrialisation dans les zones rurales (construction de petits
ateliers de métallurgie, etc.).
Il s’agit donc d’un choix politique à faire au niveau des régions.
Le stockage est l’enjeu majeur des énergies renouvelables. Sur cette question, deux solutions existent
les batteries ou le sel fondu comme c’est le cas pour Noor Ouarzazate : Le Maroc a fait le choix des
sels fondus parce que cette technologie est aujourd’hui la plus compétitive en terme de prix en plus de
possèder la plus forte marge d’optimisation et d’évolution. Notre prix est actuellement de 14 centimes
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
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le kilowatt. Par ailleurs, grâce cette recherche perpétuelle d’optimisation du prix final du kwh produit,
nous sommes par en train de concevoir une centrale hybride PV-CSP de plus de 400 mégawatts..
Thomas Guéret, expert national détaché à la DG DEVCO, Commission européenn
Sur l’efficacité énergétique, la maîtrise de la demande en électricité (demand-side management en
anglais) est essentielle pour assurer la gestion des réseaux. Au-delà des réseaux intelligents, il faut se
poser la question des usages des réseaux en électricité et introduire la notion de « sobriété
énergétique » en se demandant de quoi nous avons vraiment besoin. Une simple lanterne solaire
peut changer totalement la vie d’un village en Afrique.
Concernant le hors-réseau, la difficulté est effectivement de travailler à petite échelle. Lorsqu’on met
en œuvre un gros instrument international, on peut travailler à petite échelle avec des intermédiaires.
On peut aussi dialoguer avec des acteurs de terrain et les autorités locales. Avec la Convention des
maires, qui rassemble plus de 7 000 autorités locales, nous avons développé en Europe un réseau
efficace qui connaît les acteurs de terrain et peut identifier la manière dont ils veulent s’impliquer. Ce
n’est qu’au niveau local que l’on pourra trouver des solutions.
Enfin, au-delà de l’électricité, il faut élargir le débat à la biomasse, qui représente 80 % de l’énergie en
Afrique subsaharienne et dont les conditions d’exploitation ne sont pas durables.
Philippe Méchet
L’efficacité énergétique est un enjeu fondamental. Elle fait partie des actions qui peuvent
véritablement aider les pays africains à utiliser leurs ressources à meilleur escient. En Afrique, les
bâtiments publics et les hôtels sont par exemple maintenus à une température de 16 degrés Celsius.
Cela implique une consommation d’énergie folle.
EDF rencontre des difficultés sur cette question. Nous avons essayé de convaincre et d’accompagner
le Sénégal sur l’enjeu de l’effacement, pour encourager certains acteurs à réduire leur consommation
en cas de pointe pour fluidifier le réseau et le permettre de fonctionner. Mais il y a encore beaucoup de
travail à faire car les acteurs ne sont pas convaincus.
Quant au lien avec les autorités locales, des entreprises comme EDF ne peuvent se passer de ces
interlocuteurs. Des programmes comme ACCESS visent justement à mettre en place des process qui
leur sont ensuite restitués pour que les autorités locales puissent prendre la main sur les sources de
production d’électricité.
Christian de Gromard
L’efficacité énergétique est un point essentiel dans l’action de l’AFD. En lien avec notre ministère,
nous sommes en train de lancer une initiative sur l’efficacité énergétique dans le bâtiment international
pour essayer de lancer et de redynamiser ce volet.
L’efficacité énergétique est un enjeu aussi important que l’énergie renouvelable mais elle reste
compliquée à mettre en place. La simple réhabilitation thermique d’un bâtiment résidentiel n’est pas
une chose facile à faire accepter aux copropriétaires. Ce sujet comme les économies de système sont
encore peu porteurs auprès des États. Il faut aussi que celui qui investit dans l’efficacité énergétique
puisse bénéficier des cash-flow générés pour rembourser son investissement. C’est moins un problème
technique qu’une question de structuration des financements.
Cyril Loisel
La question du financement est particulièrement complexe. L’efficacité énergétique implique de
nombreuses petites opérations très déconcentrées. Dans le cadre du plan Juncker, qui favorise en
particulier les investissements dans les énergies renouvelables, la question de l’efficacité énergétique a
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été identifiée : une facilité d’assistance technique a été montée pour aider les collectivités territoriales
à regrouper des projets pour drainer des investissements.
Concernant la biomasse, nous sommes aujourd’hui dans un contexte où le bois énergie, qui était jadis
une ressource locale dont le transport était peu rentable, commence à s’exporter : en Europe, nous
brûlons des granulés canadiens, sud-africains ou brésiliens. La demande générée par les efforts
européens en matière d’énergies renouvelables peut aider à faire émerger des filières durables et
à créer de la valeur ajoutée dans différentes zones où la capacité de production est importante,
notamment en Afrique. Il faut néanmoins réfléchir à cette stratégie, d’une part pour exploiter la
ressource de façon durable, et d’autre part pour qu’elle ne soit pas captée entièrement par les marchés
internationaux qui ont plus de capacité de rémunérer.
M. Rajaon, ambassade de représentation de Madagascar auprès de l’Union européenne
Le groupe EDF et l’AFD apportent-ils leur aide à la fondation Énergies pour l’Afrique dans son projet
l’électrification de l’Afrique ?
Philippe Méchet
Le groupe EDF finance en partie le projet de Jean-Louis Borloo et l’accompagne sur certaines zones
où il aurait besoin de relais. Mais ce projet est le sien. Nous agissons en tant qu’entreprise et non en
tant qu’ONG.
Christian de Gromard
Nous nous concertons régulièrement avec Jean-Louis Borloo. Mais son projet repose sur énormément
de subventions, qui sont une source de financement non renouvelable. L’électrification est un projet
de long terme qui doit engager des prêts et des politiques nationales. La vraie question est donc :
combien les États sont-ils prêts à affecter dans leur budget d’investissement à l’électrification
rurale, outre la subvention ?
De plus, l’électrification rurale est surtout un enjeu national et local. Ce n’est pas la Commission
européenne qui a électrifié l’Europe. Ce n’est pas EDF qui a électrifié la France : les zones se sont
électrifiées localement puis EDF a permis d’homogénéiser cette dynamique. On peut rêver à une
électrification globale de l’Afrique, mais je crois davantage à une électrification du Niger, du Tchad,
de Madagascar qui ferait ensuite l’objet d’une concertation et d’une amélioration comme au Maroc.
De plus, les ménages dépensent actuellement de l’argent sur l’électrification. Quand ils n’ont pas
l’électricité, ils payent entre 50 et 100 euros le kilowatt-heure. Des fonds doivent donc être remobilisés
sur de l’investissement et du remboursement du service. Ce sont des dynamiques qui peuvent émerger
avec Jean-Louis Borloo, mais j’espère aussi sans lui.
Cyril Loisel
D’importants points communs existent entre ce que nous faisons au niveau européen et ce que propose
Jean-Louis Borloo. Il y a pourtant une composante institutionnelle qui est un peu surévaluée dans son
projet.
Gilles Pargneaux
Le projet de Jean-Louis Borloo implique une action politique forte. Il ne peut être comparé à ce qui a
été fait en Europe lors de la révolution industrielle à partir de la fin du XIXe siècle. Il pointe du doigt
une urgence qui concerne autant le développement économique de l’Afrique que la sécurité de l’Union
européenne. Il nous faut maintenant trouver les mécanismes de financement qui permettent d’allier la
puissance publique, locale ou internationale, aux initiatives privées.
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
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Au Maroc, l’État a impulsé un financement très important, mais tous les États du continent n’ont pas
la possibilité d’aller dans la même direction. D’autres mécanismes financiers doivent être développés.
Le fait que le Maroc soit un hub de développement Sud-Sud est aussi un des moyens d’agréger les
financements qui pourront aller au-delà des autorités locales.
Ali ZEROUALIChaque pays possède ses propres besoins et chaque besoin requiert une solution
adaptée. Aujourd’hui, plusieurs pays nous sollicitent pour transférer partager notre expérience. En
2014, lors d’une tournée royale, des mémorandums d’entente ont été signés sous l’égide de sa
Majesté le roi Mohamed VI avec le Sénégal, la Guinée-Bissau ou encore la Tunisie. Par la suite,
d’autres pays nous ont demandé d’explorer avec eux comment adapter ce type de projet à leur pays.
Que ce soit dans le cadre de la coopération institutionnelle ou de démarches plus commerciales,
le développement de MASEN à l’international accorde une place centrale à l’efficacité
énergétique. Au Maroc, Masen respecte les normes les plus poussées en matière d’efficacité
énergétique dans ses réalisations. Tous les pays visités en Afrique ont conscience de cet enjeu,
preuve en est l’existence d’agences spécialisés dans l’amélioration de l’efficacité énergétique
dans ces pays à l’instar de : l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (ANME) en Tunisie,
l’Agence nationale pour le développement des énergies renouvelables et de l’efficacité
énergétique (ADEREE) au Maroc, l’Agence des énergies renouvelables (AER) au Mali, l’Agence
Nationale des Energies Renouvelables (ANER) au Sénégal qui sont autant d’institutions visant
l’efficacité énergétique.François Misser, journaliste, collaborateur du bulletin Africa Energy
Malgré sa masse critique dans la réponse au défi des énergies renouvelables, l’hydroélectricité a été
pratiquement absente du débat. Les études menées par EDF, Alcom et SNC-Lavalin ont démontré
que le coût du kilowatt-heure varie entre de 2 et 4 centimes de dollars sur un barrage comme
celui d’Inga en République démocratique du Congo.
L’Angola et l’Éthiopie développent activement leur potentiel hydroélectrique. En Angola, le
fleuve Kwanza est mis en valeur grâce au soutien du Brésil. En Éthiopie, le barrage de la Renaissance
est financé pratiquement sur fonds propres. Depuis 2011, la Banque européenne d’investissement est
moins présente sur ces enjeux. Cette absence est-elle liée à la résolution du Parlement européen contre
les grands barrages ?
Cyril Loisel
La Banque européenne d’investissement prend part aux discussions sur le barrage d’Inga avec la
Banque mondiale et d’autres bailleurs. C’est un site prometteur pour l’hydroélectricité. Parfois, le lac
de retenue créé en amont par le barrage est très important, générant des déplacements de populations
mais aussi des problèmes environnementaux. Pour Inga, la zone inondée est une gorge, ce qui permet
de produire une quantité d’énergie colossale dans un espace restreint. Le site est donc particulièrement
porteur. Mais mettre en œuvre ce type de projet prend du temps. De plus gros projets hydroélectriques
africains pourront entrer en ligne dans la prochaine décennie.
Philippe Méchet
EDF dit toujours que l’hydraulique est la plus belle des énergies. Nous travaillons beaucoup sur ce
volet, que ce soit au Cameroun, en République démocratique du Congo ou encore au Maroc. Il faut
aussi étudier la micro-hydroélectricité, qui est utile et plus rapide à mettre en place, mais sur
laquelle nous avons du mal à mobiliser. A contrario, un projet comme le barrage de Nam Theun au
Laos, qui permet certes de produire plus d’énergie qu’une centrale nucléaire et d’exporter de
l’électricité vers la Thaïlande, a mis dix ans pour se mettre en place.
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
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Christian de Gromard
L’hydraulique, c’est comme la prose : c’est tellement naturel que nous n’avons jamais arrêté d’en faire
à l’AFD. Nous participons à tous les grands projets de barrage en Afrique, qu’ils soient d’initiative
publique ou privée. Inga est un fantastique projet qui requiert un investissement de 12 milliards
d’euros. Nous avons également travaillé à la réhabilitation de grands ouvrages hydroélectriques en
Afrique. L’année dernière, avec l’appui de la Commission européenne, l’AFD a par ailleurs travaillé
sur un inventaire des potentiels de petite et moyenne hydrologie. Une étude a été publiée sur ce sujet
sur notre site internet.
Camille Alleguede, policy officer, ERDF
Quels seraient les grands modèles économiques pour électrifier un continent comme l’Afrique ou
l’Asie ? Comment s’organiser pour que les projets durent sur le long terme ?
Christian de Gromard
Dans les pays d’Afrique et les pays en développement et émergents, la stratégie doit être double,
à la fois macro et micro, pour travailler l’en-réseau et le hors-réseau. En dehors de cela, on ne peut
pas considérer qu’il y ait un modèle à l’heure actuelle. Chaque pays doit inventer son propre
modèle. Depuis cinq ans, les évolutions technologiques, sociales, mais aussi politiques, illustrées par
l’accord de Paris sur le climat, amènent de nouveau à questionner les modèles en les adaptant à chaque
pays comme au Maroc.
Sandrine Mercier
Comment réagissez-vous à la baisse du prix du baril de pétrole ?
Cyril Loisel
Il faut saisir cette opportunité pour abattre les subventions aux énergies fossiles et renforcer le prix
du carbone via différents instruments.
Philippe Méchet
Le dossier n’avance malheureusement pas : le prix du carbone reste un sujet de débat permanent.
Il faudrait prendre une décision et je crains qu’elle n’arrive trop tard. Je suis favorable à
l’établissement d’un prix du carbone, mais je regrette sincèrement certains manques dans les prises de
décision. Nous continuons ainsi à construire en Europe des moyens de production thermique qui
dégagent du dioxyde de carbone.
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Conférence idées pour le développement : « Transition énergétique : comment l’accompagner au Sud ? »
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Conclusion
Gilles Pargneaux
La transition énergétique est au cœur de notre organisation économique, mais aussi politique, au sein
de l’Union européenne comme en Afrique. Elle est un enjeu de vivre-ensemble. Je suis membre de la
Commission des affaires étrangères du Parlement européen et suis notamment impliqué dans la relation
politique et institutionnelle entre la rive Nord de la Méditerranée et la rive Sud.
Comment changer de paradigme économique, sur la base de l’accord de Paris sur le climat ? Comment
soutenir la révolution verte dans un contexte de concurrence économique mondialisée ? En tant
qu’Européens, nous devons prendre en compte les objectifs de la COP21 pour faire émerger des
propositions communes à l’Union européenne et à l’Afrique et être ainsi à la hauteur de cette nouvelle
organisation économique.
Parler de la concurrence déloyale de la Chine sur la production des panneaux photovoltaïques revient à
reconnaître que l’Europe n’a pas réussi à construire sa protection industrielle vis-à-vis de la Chine.
Quand Emmanuel Macron défend l’industrie européenne, il dit non à cette reconnaissance d’économie
de marché. Nous devons organiser notre relation politique vis-à-vis de la Chine, de l’Inde, de
l’Amérique du Nord et du Sud. Nous ne pourrons avoir de réponses concurrentielles sans prendre en
compte l’Afrique dans un projet économique commun.
Il est urgent de lutter contre le réchauffement climatique, de faire en sorte qu’il n’y ait pas
200 millions de réfugiés climatiques dans le monde à horizon 2050, de limiter l’augmentation de la
température entre 3 et 4 degrés contre 4,5 et 6 degrés si nous ne faisons rien. Ce changement de
paradigme économique, cette révolution et ce développement des énergies renouvelables supposent de
façon évidente de mettre fin aux subventions pour les énergies combustibles fossiles. Certains pays
comme l’Algérie restent arc-boutés sur ce trésor, mais d’autres comme l’Arabie saoudite commencent
à prendre conscience du virage énergétique à prendre. Le roi du Maroc était la semaine dernière en
Arabie saoudite. Le développement Sud-Sud a été au cœur des échanges.
Nous avons tout intérêt à ce que la prise en compte de ce nouveau paradigme économique soit
complète dans nos financements et dans nos engagements partenariaux avec l’Afrique. L’efficacité
énergétique et l’économie d’énergie sont des efforts à mener de la part des pays du Sud comme ceux
du Nord.
Sur le modèle de financement, les partenariats public-privé doivent être mis en avant. La concurrence
mondialisée doit nous permettre de garder un modèle de financement commun entre les autorités
africaines et européennes pour enfin prendre en compte ces deux milliards d’habitants que représentera
l’Afrique d’ici 2050.
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