La boulimie et ses déterminants sociaux
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La boulimie et ses déterminants sociaux
UNIVERSITÉ DE TOULOUSE II - LE MIRAIL CENTRE D’ÉTUDES DU TOURISME, DE L’HÔTELLERIE ET DES INDUSTRIES DE L’ALIMENTATION MASTER ALIMENTATION Parcours « Sciences sociales appliquées à l’alimentation » MÉMOIRE DE PREMIÈRE ANNÉE La boulimie et ses déterminants sociaux Présenté par : Pauline HIRONDELLE Année universitaire : 2009 – 2010 Sous la direction de : Tristan FOURNIER Le CÉTIA de l’Université de Toulouse II – Le Mirail n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les projets tutorés et mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e). La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 UNIVERSITÉ DE TOULOUSE II - LE MIRAIL CENTRE D’ÉTUDES DU TOURISME, DE L’HÔTELLERIE ET DES INDUSTRIES DE L’ALIMENTATION MASTER ALIMENTATION Parcours « Sciences sociales appliquées à l’alimentation » MÉMOIRE DE PREMIÈRE ANNÉE La boulimie et ses déterminants sociaux Présenté par : Pauline HIRONDELLE Année universitaire : 2009 – 2010 Sous la direction de : Tristan FOURNIER 3 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tout particulièrement, Tristan FOURNIER, pour son suivi et ses conseils qui m’ont permis de mener à bien ce mémoire. Il a su répondre à mes interrogations tout au long de l’année. Je remercie également Laurence TIBERE, pour son attention particulière à mes préoccupations, et son soutien permanent. Pour leur écoute attentive et le temps précieux que mes proches m’ont consacré. 4 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 SOMMAIRE REMERCIEMENTS ................................................................................................ 4 SOMMAIRE ............................................................................................................ 5 Introduction Générale ............................................................................................. 8 PARTIE 1 : La boulimie ........................................................................................ 10 1 2 La boulimie : un phénomène non médical ..................................................... 11 1.1 La boulimie chez les Romains ................................................................. 11 1.2 Les repas de fêtes chez les romains ....................................................... 11 La boulimie perçue progressivement comme une maladie. .......................... 13 2.1 Avant le XIXème siècle ........................................................................... 13 2.2 Au XIXème siècle. ................................................................................... 14 2.3 Au début du XXème ................................................................................ 15 2.4 Moitié du XXème siècle, vers une autonomisation du syndrome boulimique. ....................................................................................................... 17 3 Evolution des définitions de la boulimie........................................................ 18 3.1 Définition ................................................................................................. 18 3.2 Explication d’une crise............................................................................. 21 3.2.1 Les circonstances de l'accès. ........................................................... 21 3.2.2 La pré-crise. ...................................................................................... 22 3.2.3 La crise. ............................................................................................ 23 3.2.4 La fin de la crise................................................................................ 24 5 La boulimie et ses déterminants sociaux 3.2.5 4 5 2009-2010 La post-crise. .................................................................................... 24 Facteurs de vulnérabilité ............................................................................... 26 4.1 Facteurs biologiques ............................................................................... 26 4.2 Facteurs sociaux et environnementaux ................................................... 28 Modèle d’autorégulation des différentes émotions d’un individu ................... 31 5.1 L’estime de soi ........................................................................................ 34 5.2 Stratégie de coping ................................................................................. 34 5.3 L’autocontrôle .......................................................................................... 36 5.4 Les buts personnels de vie...................................................................... 36 PARTIE 2 : Le rapport au corps des femmes ....................................................... 39 1 2 Le corps de la femme dans nos sociétés ...................................................... 40 1.1 Rapport de sexe ...................................................................................... 40 1.2 Les normes corporelles dans la société .................................................. 44 1.3 Les femmes face à leur corps ................................................................. 48 1.4 Le corps et son évolution au sein de la société ....................................... 52 Le rôle des institutions médicales et sociétales............................................. 57 2.1 Les médias et leur influence .................................................................... 58 2.2 Le culte de la minceur véhiculé par les médias ....................................... 60 Partie 3 : L’alimentation au sein des troubles du comportement alimentaire ........ 65 1 Comportement alimentaire ............................................................................ 66 2 Le mangeur ................................................................................................... 69 6 La boulimie et ses déterminants sociaux 3 2009-2010 2.1 La pensée magique ................................................................................. 69 2.2 Le paradoxe de l’homnivore (ROZIN, 1976 et FISCHLER, 1990) ........... 70 2.3 Le principe d’incorporation (C.FISCHLER, 1990) .................................... 71 2.4 Le triangle du manger ............................................................................. 72 Les évolutions des manières de manger ....................................................... 75 3.1 Manger à notre époque ........................................................................... 75 3.1.1 La modernité et surabondance alimentaire ....................................... 76 3.1.2 Affaiblissement des normes autour du repas .................................... 78 3.2 Evolution des troubles alimentaires ......................................................... 79 Conclusion Générale ............................................................................................ 82 BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................. 83 SOMMAIRE DES ANNEXES ............................................................................... 86 ANNEXE 1............................................................................................................ 87 « Il bagno », BOTTERO, ...................................................................................... 87 ANNEXE 2............................................................................................................ 88 Le bain turc », INGRES, ....................................................................................... 88 ANNEXE 3............................................................................................................ 89 « L’espace social alimentaire » ............................................................................ 89 Table des matières ............................................................................................... 90 7 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Introduction Générale L es végétaux, autotrophes, ont besoin d’eau et de minéraux ainsi que d’énergie solaire pour vivre. Les animaux, hétérotrophes, ont besoin de constituants organiques vivants ou morts. Les herbivores, mangent des végétaux. Les carnivores, ont besoin des prédateurs herbivores pour survivre. Nous, « êtres humains », sommes des omnivores qui avons la possibilité de varier notre alimentation grâce à une grande diversité d’aliments. Tous les êtres vivants, sur la terre, et depuis des milliards d’années, vivent et évoluent grâce à la reproduction et à l’alimentation. Il faut se reproduire pour créer et il faut se nourrir pour maintenir notre organisme vivant. Manger, est donc un acte vital pour tous. Depuis cinq ans, l’alimentation est au cœur de mon parcours professionnel. D’abord par une approche fonctionnelle et diététique, puis sous son aspect « distribution » c'est-à-dire la restauration. Cette année, enfin, par le biais de la sociologie. J’apporte une attention toute particulière depuis des années à l’alimentation sous tous ces aspects. Sujet de découverte, d’échange, de rassemblement mais également de préoccupation omniprésentes. D’abord, conviviale : l’alimentation permet de se réunir entre amis, en famille, pour partager un repas. Puis, son intérêt « découverte », ayant des amis d’origine diverse, elle draine de la curiosité et des échanges. De plus, l’aspect lié « à la santé » m’interpelle profondément. Qui n’a pas dans son entourage des connaissances touchées par un souci de poids, de silhouette ou peut-être de malêtre liées à l’alimentation ? Tout un panel de situations suscitant mon désir de mieux saisir les fonctionnements de l’organisme et bien évidemment de l’esprit. Tout étant très intimement lié. 8 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 L’alimentation est au cœur de tous les sujets médiatiques et bien présente dans les discutions de la population. En effet, ce thème est abordé de différentes manières ; qu’est-ce que nous mangeons ? Comment mangeons-nous ? Comment les denrées son fabriquées et distribuées ? et finalement quel est l’impact de l’alimentation sur notre corps ? Dans les pays développés, le manque de nourriture n’est pas un problème quotidien à l’inverse de certains pays. Néanmoins, nous vivons dans une société contradictoire. Le plus souvent notre alimentation est rythmée par le plaisir et le stress. En effet, entre surabondance alimentaire et idéal de minceur, la population se perd. Que manger pour rester en bonne santé ? Ne pas grossir ? Adhérer à différents groupe sociaux ? Autant de questions sur lesquelles les mangeurs modernes s’interrogent. Les troubles du comportement alimentaire, non récents dans l’histoire des populations ont pourtant fortement évolué depuis des années surtout dans les pays industrialisés. Ces troubles sont une cause sérieuse de dégradation de l’état de santé d’une personne. Ils peuvent entrainer la mort. Les taux de prévalence des individus touchés par ces troubles restent encore approximatifs du fait du déni des individus. L’anorexie et la boulimie sont les exemples parfaits des troubles alimentaires à l’origine desquels on retrouve de nombreux facteurs psychologiques, biologiques, familiaux, mais aussi culturels. Les individus sont prisonniers d’un comportement destructeur. On peut comparer cette attitude à un comportement de « toxicomanie ». 9 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 PARTIE 1 : La boulimie 10 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 1 La boulimie : un phénomène non médical Les phénomènes boulimiques sont apparus il y a bien longtemps. Cependant toutes les premières descriptions nous montrent qu'il ne s'agit pas d'une pathologie médicale. 1.1 La boulimie chez les Romains Il semblerait que les premiers cas de boulimie dateraient de l’époque romaine. En effet, sous l’empire romain, on peut remarquer d'après de nombreux récits historiques que manger, puis se faire vomir était un comportement habituel. On peut illustrer cela par cette citation de SENEQUE (philosophe) : « Ils vomissent pour manger et mangent pour vomir ». « L’Empire romain étant la période post-républicaine de la civilisation de la Rome antique, caractérisée par une forme autocratique du gouvernement et une grande exploitation territoriale en Europe et tout autour de la Méditerranée ». A cette époque, d'immenses banquets étaient préparés quotidiennement. Les Romains de la haute société se livraient ainsi à de véritables orgies alimentaires interrompues par des vomissements provoqués, ce qui leur permettait de continuer leur repas gargantuesque. Chaque banquet comprenait bien sûr : hors-d'œuvre, plusieurs plats de résistance, desserts. Mais si cela peut ne pas nous paraître excessif au premier abord, il faut réaliser que chaque sous-partie du banquet comportait à elle-seule plusieurs plats copieux. 1.2 Les repas de fêtes chez les romains Il existe une forte inégalité entre les repas, même de fête, chez un paysan et chez un gros propriétaire rural (qui vit en ville, approvisionné par ses fermes), chez un ouvrier de la ville et un riche citadin. De plus, pour les Romains qui ont les moyens, les voyages se multipliant, leur permettent de découvrir des mets issus de régions auparavant inconnues ou inaccessibles et entraînent, chez eux des 11 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 fantaisies culinaires coûteuses (Sénèque, « Consolation à Helvia ») et plutôt nocives à la santé. Les Romains, au niveau socialement élevé, organisent des repas et des banquets très codifiés et font servir une abondance de plats arrosés de vins excellents et forts millésimés. De plus, c’est avec un grand art que sont présentés ces mets. Dès le premier siècle avant J.-C, les Romains ont le goût du luxe, du grand, du gigantesque…Il y a une recherche de l'énorme et de la mise en scène. Non seulement ils multiplient le nombre de plats, mais ils construisent des pièces montées comme on édifie des thermes. C'est une façon comme une autre de prouver son pouvoir : à travers l'accumulation des ingrédients parvenus de tout l'Empire dans les marchés de la ville, Rome et ses habitants se donnent à euxmêmes et à leurs visiteurs l'image de leur force. Dans " les plaisirs à Rome ", J.N. ROBERT nous apporte une description détaillée d'un menu de l'époque : Hors d'œuvre : coquillages, poule grasse sur asperges, terrines d'huîtres et de palourdes, filet de chevreuil et de sanglier, pâté de volailles grasses… Plats de résistance : tétines de truie, hure de sanglier, plat de poissons, canards, sarcelles bouillies, rôtis de volaille. Dessert : crème à la farine, biscuits. Pour parvenir à bout d’un repas si copieux, on comprend mieux la nécessité qu'avaient les Romains de se faire vomir. 12 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 2 La boulimie perçue progressivement comme une maladie. Nous avons effectivement vu dans la partie précédente que le concept de boulimie est apparu il y a bien longtemps et avait une signification bien différente d’aujourd’hui. En effet, la boulimie n'était pas un phénomène médical à l'époque des Romains. C'est à partir du XVIIIème siècle seulement que le regard sur ce comportement alimentaire changea radicalement puisque les médecins vont démontrer peu à peu qu'il s'agit d'un trouble et donc d'une maladie. L'évolution des critères diagnostiques de la boulimie encore en cours montre bien qu'il s'agit là d'une entité nosographique1 nouvelle. STEIN (1988) pense que la boulimie n'est pas en elle-même un concept nouveau mais qu'elle a attiré récemment l'attention en raison de la multiplication actuelle des cas. 2.1 Avant le XIXème siècle Avant le XIXème, il est très peu fait mention de la boulimie dans la littérature. En ce qui concerne l'étiologie, le médecin grec GALIEN décrivait " une grande faim " caractérisée par des prises d'aliments à intervalles très courts, comme une pathologie digestive. Il affirmait que cette " grande faim " était associée à une pâleur des téguments, une froideur des extrémités, une sensation de réplétion gastrique et un pouls faible. Cependant, STEIN, en 1988, nous fait part des plus anciennes références anglaises se trouvant dans le " dictionnaire médical " de QUINCY (1726) et dans le " physical dictionary " de BLANKAART (1708). Tous deux évoquent, pour définir 1 Nosographique : description, classification des maladies. 13 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 la boulimie, un appétit excessif, voire extraordinaire, qu'ils mettent en rapport avec un désordre purement gastrique. Dans le " dictionnaire médical " de JAMES, en 1743, il reprend le terme " bulimus " employé par GALIEN (Médecin grecque du IIe siècle après J.C) –que ce dernier définit par une froideur des extrémités et un poids faible- JAMES redéfinit ce terme en notant une préoccupation intense de la nourriture. 2.2 Au XIXème siècle. STEIN (1988) toujours, cite le " dictionnaire d'EDINBURGH " en 1807 qui définit la boulimie comme une affection chronique caractérisée par des évanouissements et/ou des vomissements suivant immédiatement l'absorption d'une énorme quantité de nourriture. Le « New Dictionary of Medical science » donne déjà la définition suivante du terme « boulimie » : « de bœuf et de faim - (faim de bœuf) l'appétit féroce - se voit quelques fois dans l'hystérie, et au cours de la grossesse, rarement dans d'autres circonstances ». C. COUVREUR nous fait part, dans son ouvrage, « la Monographie de la revue Française de Psychanalyse », d'une description de la boulimie de P.F. BLACHEZ en 1869 qui précise que la faim persiste même après des repas qui distendent l'estomac, au point que l'alimentation ne peut se poursuivre. Cet auteur compare ces sujets, après leurs crises, à des " reptiles gorgés d'un énorme repas gobé entier ». Il parle d'un état de torpeur suivant l'accès boulimique et précise que la nourriture devient chez ces boulimiques une préoccupation primaire et obsessionnelle. BLACHEZ faisait donc déjà en 1869 de la boulimie un symptôme particulier, si ce n'est un syndrome à part entière. Il tente de définir la boulimie comme un syndrome et propose d'une part un diagnostic différentiel détaillé et d'autre part, une classification différentiant les cynorexia, formes avec vomissements, et les lycorexia, forme avec un transit intestinal accéléré. C. COUVREUR, toujours dans la Monographie de la Revue Française de Psychanalyse, évoque une étude sur l'anorexie mentale de W.GULL (1873). A 14 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 travers cette étude, comme avec BLACHEZ, on remarque que l'alternance entre des périodes d'anorexie et des périodes de boulimie existait déjà. GULL nous montre en 1873 que certains patients anorexiques présentent des épisodes d'appétit extrêmement vorace, qui les fait même renoncer temporairement à leur quête de minceur. LASEGUE dès 1873, parle d'un " faux appétit impérieux " en rapport d'inversion avec l'anorexie mentale, s'observant chez quelques hystériques victimes « d’une faim imaginaire ». Quant à E. LITTRE et CH. ROBIN (1878), ils définissent la boulimie comme une " anomalie " de la digestion, tout comme le disait déjà GALIEN, à son époque. Cette anomalie digestive consiste en une faim excessive, dans un besoin de prendre une quantité d'aliments beaucoup plus grande qu'à l'ordinaire. 2.3 Au début du XXème Pierre JANET, en 1903, fait référence à quatre cas de boulimie dont un homme, dans son ouvrage " Les obsessions et la psychasthénie ". Il décrit soigneusement et avec un grand intérêt le cas de Nadia, à travers lequel on retrouve bien la présentation du syndrome toujours actuel « anorexie mentale - boulimie – vomissement ». « En général, Nadia a faim, elle a même très faim… : De temps en temps, elle s'oublie jusqu'à dévorer gloutonnement tout ce qu'elle rencontre…Elle a des remords horribles de cette action mais elle la recommence tout de même ». On retrouve bien cette notion d'ingestion incontrôlable d'une quantité excessive d'aliments et du sentiment de honte, critères diagnostiques du DSM. Nadia a présenté des obsessions qui se sont accentuées à la fin de la puberté et a connu une phase anorexique durant six mois avant de passer à une phase boulimique. JANET mentionne également que Nadia a connu des moments dépressifs sévères et rattache ses troubles du comportement alimentaire à l' « hystérie », définie par lui comme une altération de l'esprit. Le deuxième cas relaté par P. JANET est celui d'une jeune femme de 37 ans qui alternait des phases boulimiques avec vomissements et des phases d'anorexie, tout en présentant parallèlement à ces difficultés alimentaires des idées 15 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 suicidaires avec sentiment d'incapacité, c'est-à-dire un état dépressif majeur. En étudiant ses antécédents, on remarque qu'elle fait deux épisodes dépressifs, l'un à 20 ans et le deuxième à 32 ans et que sa mère s'était suicidée un an après sa naissance. Avec un troisième cas, JANET nous montre une jeune femme de 22 ans, agoraphobe, manifestant des accès boulimiques en situation de stress. Puis, JANET nous présente le cas d'un jeune homme de 17 ans qui manifestait non seulement des accès boulimiques avec vomissements suivant immédiatement ces accès mais également un état dépressif majeur au sens du DSM III, considéré par JANET comme une " neurasthénie ". En effet, ce garçon ressentait une grande fatigue chronique. A travers ces quatre cas présentés par JANET, on remarque bien l'existence d'accès boulimiques au XIXème siècle est déjà bien présent. L'intérêt des descriptions de Janet réside en ce qu'elles confirment l'association entre boulimie et troubles thymiques, ou boulimie et troubles anxieux. FREUD, en 1925, qualifie la boulimie de défense hystérique, et parle du vomissement comme une défense hystérique contre l'alimentation. On peut également ajouter que K. ABRAHAM (1925), ainsi que Thérèse BENEDECK en 1936, rangent la boulimie parmi les " perversions orales " à caractère impulsif. La voie est ainsi ouverte au glissement de la boulimie vers les toxicomanies, ce qui amènera FENICHEL, en 1945, à définir la boulimie comme une "toxicomanie sans drogue". Nous pouvons donc conclure que durant cette période, les approches conceptuelles de la boulimie sont nombreuses mais cette dernière n'est encore perçue et définie que comme symptôme. 16 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 2.4 Moitié du XXème siècle, vers une autonomisation du syndrome boulimique. En 1932, WULFF décrit un syndrome particulier caractérisé par l'alternance de périodes d'ascétisme et de voracité insatiable. Il fait déjà donc implicitement le lien entre anorexie et boulimie. Néanmoins, il faudra attendre les années 60 pour que d'autres psychiatres reconnaissent explicitement ce lien en ne faisant de la boulimie qu'un épiphénomène de l'anorexie mentale. En 1959, STUNKARD, quant à lui, rapproche la boulimie de l'obésité en proposant une classification de l'obésité en fonction du type de comportement alimentaire des sujets. Déjà en 1955, STUNKARD décrivait ce qu'il a appelé le " night-eating syndrome " : il s'agit d'obèses se levant la nuit pour manger de manière impulsive, compulsive, mais qui au réveil, sont incapables d’avaler quoique se soit. KORNHABER, en 1970, parle quant à lui d'un " stuffing syndrome ", (c'est à dire d'un syndrome de bourrage ou de gavage), chez des personnes obèses déprimées, seules et stressées. On peut ainsi conclure que si la boulimie est depuis longtemps citée dans la littérature, ce n'est que très progressivement que la boulimie en tant que syndrome et entité autonome parviendra à se dégager de l'anorexie et de l’obésité. Ce n'est effectivement qu'à la fin des années 70 et grâce entre autres aux travaux, en France, de BRUSSET (1977) et de IGOIN (1979) que la boulimie s'individualise en entité clinique autonome. H. BRUCH, dès 1973, attire l'attention sur une catégorie de sujets qu'elle qualifie de « thin-fat people » (autrement dit des sujets " minces-gras "). Anciens obèses qui ont récupérés un poids normal à force de privation et de régimes, mais chez qui l'image du corps est restée inchangée puisqu'ils se perçoivent toujours, psychologiquement et affectivement comme des obèses. Cette auteure rapporte donc la possibilité de survenue de prises alimentaires compulsives chez ces sujets normo-pondéraux qualifiés de " gros-maigres ". 17 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 C'est en 1975 que l'on découvre enfin, grâce à RAU et GREEN, la description " conduite boulimique impulsive " sans référence ni à l'obésité ni à l'anorexie. L’ensemble des travaux menés sur la boulimie à travers les siècles, place la boulimie en tant que syndrome à part entière, détachée de l’obésité et de l’anorexie. Cependant, si l'on croit être alors arrivé à l'autonomisation du syndrome boulimique, on réalise que cette vision n’est pas universelle puisque l'on peut découvrir, toujours en 1975, dans le manuel alphabétique de Psychiatrie de POROT, qu’il n’est nulle part fait mention de la boulimie. Ce sera seulement en 1984 que l'on trouvera enfin la boulimie décrite comme " un besoin pathologique d'absorber de grandes quantités de nourriture avec le plus souvent sensation de faim ". En retraçant l'historique de la boulimie à travers les siècles, on remarque qu’elle existe effectivement depuis fort longtemps, ces définitions anciennes sont bien différentes du syndrome boulimique actuel. Nous avons vu les descriptions des repas orgiaques chez les Romains. Cependant, la boulimie est bien loin d'être perçue comme pathologique sous l'Empire Romain puisqu'il s'agissait d'un schéma d'alimentation normal de l'époque. D’autre part, la boulimie dans la littérature médicale dès le XVIIIème siècle est considérée comme un symptôme lié à différents tableaux psychopathologiques comme l’anorexie, l’obésité, la dépression, la mélancolie… 3 Evolution des définitions de la boulimie. 3.1 Définition Nous pouvons débuter par une définition de la boulimie apportée par VINDREAU, HARDY et PALMER en 1987 : l'accès boulimique consiste en une ingestion rapide et incontrôlable d'une quantité excessive d'aliments. Il s'agit d'une impulsion incoercible selon les auteurs et malgré le sentiment de honte et de dégoût ressenti par le sujet, rien ne peut arrêter la crise boulimique une fois débutée. 18 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 La boulimie s'individualise petit à petit en entité clinique autonome à la fin des années 70 avec BRUSSET et IGOIN. Actuellement la boulimie peut-être définie par une survenue récurrente de crises, répondant à deux caractéristiques : Une absorption, en une période de temps limitée (ex : moins de 2 heures), d’une quantité de nourriture nettement supérieure aux apports normalement conseillés pour la plupart des gens Un sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise (ex : sentiment de ne pas pouvoir s’arrêter de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce que l’on mange, ou la quantité que l’on mange) De plus, les personnes boulimiques peuvent avoir des comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant à prévenir la prise de poids, tels que : vomissements provoqués, emploi abusif de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres médicaments ; jeûne, exercice physique excessif… Ce trouble peut-être de deux types : - avec vomissements ou prise de purgatifs - sans vomissements ni prise de purgatifs Puis viennent les définitions du DSM III en 1980 et du DSM III R en 1987. Actuellement, ce sont les critères diagnostiques du DSM IV (1994) qui permettent de repérer le syndrome boulimique chez les patients, et il est nécessaire de retrouver chacun d'entre eux chez un même individu pour que l'on puisse parler de boulimie. En effet, depuis l’après-guerre, la communauté scientifique internationale entreprend de manière systématique le recensement des maladies psychiatriques en les définissants pour permettre d’établir au maximum un diagnostic. Actuellement il existe deux classifications : 19 La boulimie et ses déterminants sociaux La classification Internationale des 2009-2010 Maladies, publiée par l'OMS pour l'enregistrement des causes de morbidité et de mortalité touchant les êtres humains à travers le monde. Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) publié par l’Association américaine de psychiatrie Le DSM énumère des critères standardisés pour diagnostiquer les troubles comportementaux. Ce manuel a évolué dans le temps et sont apparus successivement le DSM II, le DSM III, le DSM III-R et le DSM-IV en 1994. En France, l’absence de critères officiels, oblige les professionnels à s’inspirer de ce référentiel pour évaluer les cas relatant de ces troubles. Néanmoins, le DSM comporte certains biais : il prend en compte le diagnostic de la personne à l’instant présent sans prendre en considération son passé, ses antécédents. De plus, il s’agit d’un manuel élaboré par une association, ce qui sous-entend l’interprétation d’un certain point de vue. C’est pourquoi d’autres critères ont été conçus pour diagnostiquer un comportement boulimique ou anorexique. Prenons l’exemple de l’EAT : Eating Attitude Test, de l’EDI : Eating Disorders Inventory … Le DSM-IV comporte cinq axes qui étudient respectivement : - Axe I : les troubles cliniques - Axe II : les troubles de la personnalité et le retard mental - Axe III : affections médicales générales - Axe IV : troubles psychosociaux et environnementaux - Axe V : évaluation globale et fonctionnement Les troubles du comportement alimentaire rentrent dans la catégorie Axe I : les troubles cliniques. Les critères diagnostiques du DSM IV sont au nombre de 5. On observe une notion de jugement qui devient nécessaire pour porter le diagnostic de boulimie :" 20 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 le jugement porté sur soi-même est indûment influencé par la forme et le poids du corps ". N'oublions pas ce que les travaux de JANET ont mis en avant, c'est-à-dire la présence de symptômes dépressifs chez les patients boulimiques, non seulement au moment même de leur trouble alimentaire, mais également dans leur passé. La dépression peut entraîner la boulimie mais pas dans tous les cas, donc nous rechercherons ce qui amène le sujet ayant un vécu dépressif à manifester des troubles du comportement Chacun est libre de se comporter comme il le souhaite face à son alimentation. Les comportements boulimiques, anorexiques, la frénésie sucrée, les syndromes d’alimentation nocturnes sont quelques exemples de troubles de conduites alimentaires. La boulimie a été inscrite au sein de la nomenclature du DSM en 1980. Depuis, elle est reconnu de plus en plus dans les pays occidentaux. Néanmoins, il faut noter que le comportement boulimique n’est pas une attitude de grignotage ou d’hyperphagie, il s’agit d’un comportement bien plus complexe et multifactoriel. Un syndrome boulimique peut-être détaillé et étudié durant différentes phases. J’essaierais d’énumérer les principales phases qui caractérisent un comportement boulimique. Souvent les crises se déroulent « dans un état second, volontiers comparé à l’état somnambulique ou hypnotique »2. 3.2 Explication d’une crise 3.2.1 Les circonstances de l'accès. Les lieux où l'accès survient sont variables. Les sujets choisissent des lieux où leurs accès peuvent rester secrets et ignorés de leur entourage. Lorsque les crises ont lieu au domicile familial, elles se déroulent alors dans la solitude, à l'abri 2 G.APFLERDORFER, « je mange donc je suis, surpoids et troubles du comportement alimentaire » page 123 21 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 des regards (quitte à continuer parfois à effectuer des repas avec la famille). Parfois, les impulsions sont ressenties en dehors du domicile, et comme nous l'avons dit, ces impulsions étant incontrôlables. Les patients succombent alors dans la rue, et peuvent aller de pâtisseries en pâtisseries pour dévorer cette nourriture aussitôt obtenue. Nous pouvons aussi voir fréquemment ces sujets mener une " double vie alimentaire " : - l'une tout à fait conventionnelle en apparence puisque personne ne devinent les difficultés qui les touchent, - l'autre qualifiée de boulimique où les sujets s'adonnent à leurs pulsions alimentaires sans restriction. G.APFELDORFER parle d’une boulimique comme d’une personne dédoublée, simple spectatrice d’elle-même et du mal qu’elle se fait. Les sujets gardent le secret de la maladie qu’elles considèrent comme honteuse. Ces crises sont spontanées, imprévisibles (rappelons le caractère impulsif de ces accès) et le sujet interrompt ses activités pour assouvir immédiatement son besoin compulsionnel de nourriture. Toutefois, les crises ne se manifestent pas toujours de manière imprévisible, elles peuvent être totalement programmées et survenir à horaire fixe. Dans ce cas, le patient achète et stocke sa nourriture à l'avance, programmant ainsi sa boulimie pour s'y livrer plus tard. Exemple de Malika3, 22 ans, qui fait ses courses dans un supermarché, elle remplie un caddy contenant de la nourriture pour nourrir une famille pendant deux semaines. Il ne lui faudra, pour elle, seulement 3 jours pour tout « dévorer » et ensuite se faire vomir. 3.2.2 La pré-crise. La personne se sent envahie d'un sentiment indéfinissable, d'une excitation, d'une tension, d'une angoisse et d'une frénésie à manger. Parfois, le sujet essaie de 3 Génération famille, émission diffusé le 30 novembre 2010 à 20h40 sur M6 22 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 lutter contre son besoin compulsif de nourriture mais la plupart du temps en vain. L’état dans lequel se trouvent les personnes boulimiques avant la crise se rapproche fortement du syndrome de manque des toxicomanes et des alcooliques. La boulimie - toxicomanie sans drogue - est de plus en plus considérée comme une addiction4. 3.2.3 La crise. Au cours de la crise, nous découvrons une façon particulière de s'alimenter que l'on peut qualifier de " sauvage ". En effet, il s'agit d'une ingestion d'une grande quantité de nourriture et le plus souvent sans mastication, provoquant parfois des étouffements. Cette dernière remarque nous fait dire qu'il ne s'agit pas là, d'un plaisir orgiaque comme on pouvait le constater chez les Romains mais bien au contraire. La crise est alors vécue dans un état second, une fébrilité où la notion de plaisir est absente. En ce qui concerne la qualité des aliments, la patiente choisit la plupart du temps des sucres rapides et des lipides, c'est-à-dire des aliments « défendus », susceptibles de faire grossir. Parfois, la patiente mange tout ce qui lui tombe sous la main, aussi bien des aliments non préparés que des aliments congelés ou non. En ce qui concerne la quantité, celle-ci est très importante dans la majorité des cas, représentant plusieurs milliers de calories par crises et pouvant entraîner des complications physiques telles que ruptures œsophagiennes ou gastriques, ischémies… Il semblerait qu’en moyenne une crise de boulimie tourne autour des 3 500 calories5. 4 Pensée de J.McDOUGALL dans « Je mange donc je suis, surpoids et troubles du comportement alimentaire » de G.APFLERDORFER page 127 5 G.APFLERDORFER, « je mange donc je suis, surpoids et troubles du comportement alimentaire » page 124 23 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 3.2.4 La fin de la crise. Après un temps que l'on peut estimer entre 2 heures et 8 heures arrive enfin, la fin de la crise. Un sentiment de réplétion ou une douleur excessive, un vécu de dépersonnalisation, l'arrivée inattendue d'un tiers ou, un rendez-vous, peuvent interrompre l'accès boulimique et ainsi mettre fin à la crise. 3.2.5 La post-crise. La crise est souvent suivie de vomissements et d'une période de bien-être, d'amnésie, d'assoupissement. Puis arrivent les remords, la culpabilité et le sentiment de honte. Les vomissements permettent d’obtenir une vacuité gastrique nécessaire à prochaine crise. La technique qui permet aux personnes de se faire vomir est d’enfoncer deux doigts (l’index et le majeur le plus souvent) au fond de la bouche, jusqu’à la glotte afin de provoquer le réflexe de vomissement. Enfin survient la prise de résolution, des promesses à soi-même « que les crises ne se reproduiront plus ». Certaines boulimiques ne se font pas vomir. Elles alternent crises de boulimie et période de jeûne. Beaucoup d’entre elles ne prennent pas de repas sous forme socialisée. Elles mangent sur un mode de boulimique avec des modes d’alimentation variables tels que le grignotage, l’hyperphagie prandiale…La 24 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 plupart d’entre elles ont néanmoins recours à l’utilisation de laxatifs6 pour éliminer au maximum se qu’elles viennent d’engloutir. La plupart de personnes souffrant de boulimie ont un poids normal. Le corps social ne panique pas comme avec les anorexies mentales qui sont anormalement maigres. La santé de la personne est pourtant bien en danger : lésions de l’estomac et de l’œsophage dues aux vomissements forcés et permanents, troubles intestinaux dus à l’utilisation excessif de laxatifs, déchaussement des dents, fatigue générale, état dépressif… Le syndrome boulimique s’inscrit dans une attitude cyclique. Un cercle vicieux auxquelles les femmes n’arrivent pas à sortir (cf. schéma ci-dessous). CERCLE VICIEUX DES COMPORTEMENTS ALIMENTAIRES Perte de poids Faim Terreur de prendre du Comportements poids : - Régimes - Laxatifs - Vomissements « Le comportement boulimique » de M.SANCHEZ-CARDENAS page 91 6 Accélère le transit intestinal et ramollis les selles. 25 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 4 Facteurs de vulnérabilité Comme on vient de l’expliquer la boulimie est une maladie complexe et multifactorielle reconnu par de nombreux médecins qui ont tenté de dresser une liste de facteurs explicatifs. Certains facteurs contribuent effectivement « au déclenchement, au maintien et à l’aggravation des troubles alimentaires»7. Il reste néanmoins compliqué de déterminer précisément les facteurs à l’origine de ces troubles. R. SHANKLAND (2009) définit les facteurs de risque comme étant des caractéristiques mesurables chez un sujet, dans une population donné, précédent un trouble observé dans cette population avec une fréquence non négligeable. De plus, la notion de facteurs de risque est statistique. On est donc dans une dimension collective et à l’échelle individuelle. L’origine multifactorielle des troubles des conduites alimentaires est bien reconnue ; facteurs biologiques, psychologiques, culturels, sociaux, familiaux. On expliquera l’influence que peuvent avoir ces différents facteurs sur l’apparence physique des femmes et l’apparition de troubles alimentaires. 4.1 Facteurs biologiques Je commencerais par parler des facteurs psychologiques autrement dit des facteurs individuels c'est-à-dire les potentiels déterminants biologiques, neurologiques et psychologiques (enfance, adolescence, personnalité et éléments gravitant autour du « soi » : régime alimentaire, évènements stressants…) pouvant influencer l’acceptation de soi. Certains médecins avancent des hypothèses d’ordre génétique en indiquant que si des Troubles du comportement alimentaire se sont déjà manifestés par un des membres de la famille, alors il y a un risque de souffrir d’une de ces maladies. De plus, des études (KENLDER et coll) montrent des taux plus élevés que la population générale chez les jumeaux (30% à 50% de risques pour des jumeaux 7 R.SHANKLAND, « Les troubles du comportement alimentaire », Facteurs de vulnérabilité page 39 26 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 monozygotes de développer un trouble alimentaire important et 10% pour des jumeaux dizygotes) ; il existerait donc un facteur héréditaire. Un rapport difficile à l’alimentation au cours de l’enfance peut constituer un facteur de risque d’un trouble alimentaire pendant l’adolescence. En effet, l’étude de Kotler et ses collaborateurs (2001) montre que la présence de conflits autour de l’alimentation vers l’âge de 6 ans prédirait l’évolution vers un trouble des conduites alimentaires par la suite. Nous savons, que l’une des caractéristiques des TCA est la prédisposition qu’on les femmes à tomber dans cette maladie du fait de la pression psychosociale exercée sur les femmes vers un idéal corporel. D’après l’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) les TCA seraient une réponse aux difficultés rencontrées par les jeunes pendant l’adolescence. Certains traits de la personnalité, comme le perfectionnisme, l’obsessioncompulsion, l’impulsivité et la recherche de sensations, le narcissisme et les troubles de l’image du corps, pourraient prédisposer aux troubles alimentaires. Effectivement, dans le cas de l’anorexie il y a corrélation des troubles alimentaires avec la persévérance et une faible recherche de nouveauté. Dans le cas de la boulimie, il est observé une impulsivité et une envie de nouveauté. En raison des préoccupations concernant l’apparence physique, les TCA peuvent être considérés comme un moyen de faire face à une anxiété sociale réelle au sein de la population voulant appartenir à un certain modèle esthétique. Des auteurs pensent les TCA comme une conséquence d’une incapacité à réguler les émotions négatives et angoissantes à travers un processus psychique. Prenons l’exemple de la honte - émotion complexe impliquant une comparaison sociale de son propre corps qui pourrait être un facteur de risque de trouble alimentaire. Des évènements stressants comme un divorce, une rupture sentimentale, une humiliation sont dits comme potentiels déclencheurs d’un trouble. De plus, les agressions ou les abus sexuels durant l’enfance ou l’adolescence peuvent être à l’origine d’un trouble alimentaire ultérieur. Néanmoins, les études faites restent encore contradictoires et à approfondir. 27 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 4.2 Facteurs sociaux et environnementaux Pour continuer cette approche en termes de facteurs explicatifs des troubles alimentaires, je me concentrerais sur les facteurs sociaux et environnementaux autrement dit tout ce qui relève du poids de la culture, des médias, des relations sociales et familiales. Mais aussi des risques que peuvent engendrer les régimes suivis par des individus en désaccord avec leur apparence physique ou les femmes exerçant un métier qui demande une certaine rigueur due à l’image qu’elles renvoient. Depuis la seconde moitié du vingtième siècle, le taux des troubles alimentaires est en nette augmentation. Des premières recherches transculturelles vers les années soixante-dix montrent la rareté des troubles dans les pays non occidentaux. R.SHANKLAND (2009) dans son livre « Les troubles du comportement alimentaire » constate que l’immigration et l’acculturation augmenteraient le risque de trouble alimentaire. En effet, les jeunes migrants adhérents aux nouvelles normes sociales en assimilant l’idéal de minceur et de contrôle de soi implique le développement de trouble des conduites alimentaires. Les médias véhiculent un idéal de minceur au sein des cultures occidentales provoquant une augmentation des troubles alimentaires pour d’autres cultures voulant s’identifier aux nouveaux modèles proposés. Néanmoins, d’un pays à l’autre il y a des différences de prévalence de trouble des conduites alimentaires qui peuvent s’expliquer par les types de régimes alimentaires propres aux pays et aux régions. Concernant l’urbanisation il a été montré (Hoek et al, 1995) que les cas de boulimie existent nettement plus dans les zones urbaines où la disponibilité de nourriture hautement calorique et déséquilibrée est grande. Les facteurs environnementaux sont à prendre en considération dans l’augmentation des troubles alimentaires ou du surpoids, prenons l’exemple des nombreux fast-foods présents aux Etats-Unis, qui influencent une augmentation du surpoids dans la population, provoquant une prise de conscience de la prise de poids et par conséquent une sensation de peur de grossir. Les régions où le risque d’excès de poids est élevé semblent les plus touchées par les troubles alimentaires. Je qualifierais ces régions en termes d’abondance alimentaire : exemple la ville de Toulouse et la ville de Cahors. 28 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 R.SHANKLAND parle de la mise en place « d’un terrain culturel »8 propice au développement des TCA dans les pays occidentaux depuis les années soixante : « jusque là un corps désirable n’est plus un corps en bonne santé mais un corps dont le poids et les formes sont parfaitement contrôlés dans le sens d’une minceur sans cesse plus flagrante »9. Notons l’exemple des jeunes filles préférant jouer avec des poupées fines que des poupées ayant des rondeurs. On ne voit d’ailleurs rarement, voire jamais, la présence de poupée « grosses » dans les magasins… Dès le plus jeune âge et à travers les jouets proposés, on oriente les enfants à un certain modèle esthétique. En effet, l’enfant incorpore certaines valeurs, normes et règles de son groupe d’appartenance. Il apprend et intériorise sa culture. On parle d’un processus de socialisation comme une entrée dans un groupe ou dans la société. La fonction « de parents » est décrite10 comme produisant des normes et des interactions au sein de la famille. Le trouble alimentaire serait une lutte pour acquérir plus d’autonomie, de compétence et de contrôle sur soi. Les médias contribuent à la glorification d’un corps féminin svelte (Boëtsch, 2004), et à la nécessité faites aux femmes d’être de bonnes épouses, de bonne mères, des travailleuses dynamiques et des aimantes attirantes. Ce modèle sociétal normatif induit une forte culpabilité chez les femmes qui ne s’y conforment pas. Même si les modèles présentés par les médias ne correspondent pas aux normes pondérales des femmes en bonne santé, ils influencent les femmes à contrôler leurs poids et leur forme corporelle en prônant les régimes alimentaires et les exercices physiques. Ceci développe chez les femmes une insatisfaction corporelle importante, et augmente l’apparition de divers troubles alimentaires commençant souvent par une dérégulation des repas (restriction alimentaire, saut de repas…). Ce phénomène est aussi perceptible dans les représentations sociales des femmes à propos de leur corps et des régimes alimentaires qu’elles conçoivent dès lors comme des besoins. Thibault de Saint 8 R.SHANKLAND (2009) Les troubles du comportement alimentaire page 41 9 R.SHANKLAND (2009) Les troubles du comportement alimentaire page 41 10 R.SHANKAND (2009) Les troubles du comportement alimentaire page 45 29 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Pol11 (2009) a ainsi mis l’accent sur le décalage important entre poids réel et poids idéal chez les femmes françaises. Ces dernières, les plus minces d’Europe, sont pourtant celles qui sont les plus mécontentes de leur poids. Précisons que cette insatisfaction apparaît souvent chez les jeunes filles dont la puberté survient tôt. La puberté provoque un changement de la forme du corps par une prise de poids naturel (masse adipeuse, formes féminines) à un âge où la jeune fille n’est pas prête à assumer ce corps ayant de nouveaux rôles biologique (procréation) et sociaux (séduction). C’est pourquoi les jeunes filles peuvent potentiellement être sujettes au développement de troubles alimentaires en cherchant à tout prix à faire disparaître leurs formes physiques. Elles restreignent leur alimentation et consomment moins de leur ration quotidienne recommandée. Cela provoque une hyperphagie incontrôlé et par conséquent favorise l’apparition de TCA. Une posture d’hyperempathie est un avantage dans certains métiers « où l’intuition, la perception, la compréhension de l’autre sont essentielles »12. En effet, certains métiers nécessite à se produire devant un public et donc implique un regard sur soi particulier car le jugement d’autrui est permanent. Ces professions sont souvent celles où la pression sociale en faveur de la minceur est fortement exercée. Les domaines de la danse et de la mode sont des métiers considérés « à risques » pouvant provoquer des troubles des conduites alimentaires. On peut donc se demander si certains métiers attirent les sujets à risque de TCA ou si ces troubles surviennent comme résultante des exigences de ces métiers ? Parmi l’élite sportive en plus de la pression exercée par les coachs sur le contrôle du poids, on trouve une focalisation importante sur le corps aussi bien du point de vue esthétique que des performances. En parallèle des coachs très présents sur le plan de l’alimentation de leurs sportifs, certains sportifs soulignent qu’il s’agit 11 Thibaut de Saint Pol, « Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaison européennes », population et sociétés numéro 45, avril 2009 12 G.APFLERDORFER « je mange, donc je suis, surpoids et troubles du comportement alimentaire » page 206 30 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 d’un milieu protecteur et permettant d’être suivi au niveau physique et psychique ce qui leur évitent de nombreux débordements et leurs permet de réguler leurs émotions favorisant un équilibre psychique. 5 Modèle d’autorégulation des différentes émotions d’un individu Un modèle d’autorégulation est organisé autour des efforts qu’une personne fournit pour réaliser ses objectifs dans sa vie. Carver et Scheier ont défini l’autorégulation comme étant l’ensemble des processus volontaires destinés à atteindre des buts personnels de vie. Selon eux, « le principe fondamental des modèles d’autorégulation repose sur le fait que la motivation à changer de comportement apparaît lorsque l’individu souhaite réduire la divergence perçue entre son état réel et un état désiré »13. Carver et Sheier ont décomposé une boucle de Feedback négatif ; processus cyclique doté d’une fonction d’annulation ou de réduction de toute déviation par rapport à une valeur de comparaison. Leur boucle de Feedback comporte quatre éléments : - La fonction d’entrée : perception d’un état actuel - Une valeur de référence : but désiré - Un comparateur : processus cognitif permettant de comparer un état actuel à un état désiré - Une fonction de production : le comportement Lorsque la perception actuelle d’un état et la valeur de référence sont en désaccord, la personne tente de réduire le désaccord en ajustant son comportement. Néanmoins, la boucle de Feedback n’est pas suffisante à elle seule pour expliquer la complexité des comportements. 13 Recherche faite sous la direction du Professeur Elisabeth Spitz, Laboratoire de Psychologie des Universités Lorraines - Equipe de Psychologie de la Santé, Université Paul Verlaine - Metz 31 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Dans le cadre d’une recherche dirigée par le Professeur Elisabeth Spitz au laboratoire de Psychologie des Universités Lorraines sur la détermination des facteurs prédictifs de l’anorexie et de la boulimie, le modèle d’autorégulation des comportements a été présenté afin de comprendre les troubles alimentaires. Ils parlent de l’autorégulation comme l’ensemble ; - Des processus destinés à atteindre un but personnel (définition du sens de sa propre vie) - Et des éléments dysfonctionnels provoquant l’apparition des troubles alimentaires (faible estime de soi, faible contrôle des ses émotions…) Comme le présente le schéma de Carver et Sheier l’autorégulation est un processus d’identification de buts, de leur poursuite, de leur réalisation et de l’identification d’autres buts (cas où aucun problème n’entrave la poursuite du but boucle 1). Lorsqu’une personne rencontre une difficulté, elle peut alors évaluer les chances de réussite de poursuivre son but et ainsi acquérir une meilleure confiance en elle afin de continuer à poursuivre son but (boucle 2). En revanche, si la confiance est faible il y a possibilité d’envisager un but alternatif (boucle 3). Certaines personnes ne trouvant pas de but alternatif peuvent alors ressentir une grande détresse et une perte de motivation. Ce modèle très schématique permet de saisir les différentes possibilités d’autorégulation. Il montre que l’action menant à un certain but peut-être perturbée par des obstacles pouvant être gérés par des évaluations et des prises de décisions. Ils aboutissent soit à la poursuite du but, soit à la mise en place de but alternatif ou encore à un état de détresse de la personne. 32 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Autorégulation d’après Carver et Sheier (1998) Autorégulation Identifier le but 1 Poursuivre le but Atteindre Non le but Problèmes pour 2 poursuivre le but ? Oui Confiance ou non 3 pour poursuivre le Oui but ? Non Oui But alternatif possible ? Non Ressentir vide, A.Brytek-Matera a détaillé des de éléments un la fondamentaux du modèle d’autorégulation afin de mieux cerner les facteurs liés au TCA. 33 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 5.1 L’estime de soi Le premier élément à prendre en compte dans l’apparition des troubles alimentaires est l’estime de soi. Elle peut être considérée comme valeur clé du développement personnel. D’après l’auteur, « l’estime de soi joue un rôle important pour le bien-être émotionnel, moral et physique par la façon dont les individus perçoivent leurs valeurs et leurs capacités en tant qu’être humain ». Le self-feeling –perception de soi- est le résultat d’un effet miroir social : l’image de l’individu est déterminée par la façon dont les autres la perçoivent. L’estime de soi varie selon les situations dans lesquelles se trouvent l’individu au cours de sa vie et selon l’image que l’individu a de lui-même (« Je ne m’aime pas parce que j’ai des kilos en trop) et de ce qu’il voudrait avoir (« Je m’aimerais et je m’accepterais si j’étais plus mince »). Une estime de soi perturbée commune aux anorexiques et aux boulimiques est le résultat de dysfonctionnement cognitif et par conséquent à une difficulté d’autorégulation de leurs émotions. Il semble évident, après avoir relaté les différents facteurs pouvant provoquer un trouble alimentaire, que la préoccupation corporelle et l’apparence physique affecte l’estime de soi. Néanmoins, il me semble important de noter que d’après Geller et al. il n’y a pas d’association entre l’Indice de Masse Corporel (IMC) et l’estime de soi. Selon eux, l’estime de soi serait liée non pas au poids réel de la personne mais à la perception d’être surpondérée. Prenons comme exemple les femmes en surpoids qui s’assument en comparaison de celles qui ont un poids normal et qui se trouvent « trop grosse ». 5.2 Stratégie de coping Les individus souffrant de troubles alimentaires sont en permanence dans une stratégie de coping. Venant de l’anglais to cope : faire face, le terme « coping » est défini comme l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux permettant de gérer les problèmes internes ou externes pouvant mettre à l’épreuve ou excéder les ressources personnelles. Ce processus de stratégie implique le sujet et son environnement. Une stratégie de « coping » doit permettre à l’individu de maitriser une situation stressante et de diminuer un potentiel impact sur son bien34 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 être physique et psychique. Selon Lazarus et Folkman il y a différentes stratégies de coping Souvent, les personnes qui ont des difficultés à affronter la réalité, à surmonter leurs émotions, à exprimer leurs sentiments … se réfugient dans des comportements autodestructeurs (- jeûner chez les anorexiques – vomir chez les boulimiques) ou dans les plaisirs alimentaires (fait de manger trop chez les personnes souffrant d’hyperphagie incontrôlée). Tous ces comportements sont de véritables « stratégies d’ajustement » de la personne à la rencontre d’événements stressants. Les prises alimentaires incontrôlées sont considérées comme des comportements d’évitement de problèmes que le sujet ne parvient pas à surmonter. 35 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 5.3 L’autocontrôle Chez les personnes souffrant de troubles alimentaires, il existe une restriction cognitive qui concerne le degré de contrôle de soi conscient exercé sur leurs comportements alimentaires. On parle d’autocontrôle. Chez les boulimiques, le contrôle de soi est perçu comme un point faible du fait du manque de contrôle pendant les épisodes d’orgies alimentaires. En revanche chez les anorexiques, le contrôle de soi joue un rôle de point fort du fait de la réussite du contrôle de sa silhouette. SELVINI-PALAZZOLI a décrit l’anorexie mentale comme préoccupée de nombreux contrôles ; contrôle du poids, du corps, des pulsions…Les jeunes filles anorexiques - ayant par définition des mères dominantes et contrôlantes - estiment que la seule chose qu’elles peuvent contrôler est leur corps, elles concentrent donc toutes leurs énergies sur ce contrôle permanent. La mère, a tendance à diriger la vie de son enfant comme il lui semble être bon pour elle et non pour son enfant. Elle le surprotège, l’empêchant d’évoluer en individu autonome. BRUCH attribue le sentiment de manque de contrôle et de maîtrise à un comportement boulimique. 5.4 Les buts personnels de vie Nos buts personnels de vie sont définis par l’auteur comme des états désirés que les personnes cherchent à obtenir, à maintenir ou à éviter. Ils permettent de fournir une énergie nécessaire aux activités et les dirigent, donnant ainsi un sens à la vie. Selon FORD (1992), une distinction doit être faite entre l’approche et l’évitement parmi les dimensions des buts : - Les buts d’approche entrainent un mouvement dirigé vers un objectif désiré - Les buts d’évitement entrainent un mouvement d’éloignement d’un objectif désiré Cette distinction étant importante pour les comportements de santé du fait que certains comportements ont un effet protecteur pour la santé on parle ici de but 36 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 d’approche, en revanche d’autres comportements peuvent être néfastes pour la santé on parlera donc de but d’évitement. Par ailleurs, certains buts sont dits spécifiques, comme vouloir maigrir par exemple. Ils appartiennent à un ensemble de buts de vie pouvant être hiérarchisés en deux groupes : - Les buts de vie de niveau élevé correspondant à une philosophie personnelle de vie (le bien-être, la santé, le développement personnel) - Les buts de vie moindre (les buts comportementaux) correspondant à une approche facilitant la réalisation des buts de vie de niveau élevé Néanmoins, certains buts de vie de niveau élevé peuvent entrer en conflit avec certains buts de vie moindre et donc induire une difficulté à réaliser ce dernier. Par exemple des personnes ayant des troubles alimentaires, ne mangent plus en compagnie de leurs amis ce qui les empêchent d’accomplir leur désir d’appartenir au groupe. L’anxiété et la dépression sont reconnues comme étant des troubles psychologiques fréquemment rencontrés chez les individus souffrant d’anorexie ou de boulimie. La problématique en terme de détresse psychologique est de savoir si les troubles anxieux et dépressifs précédent les conduites anorexiques et boulimiques ou si ce sont ces derniers qui induisent un trouble psychologique. L'humeur dépressive peut être plus ou moins intense avec un découragement, des pensées cafardeuses, une influence des circonstances extérieures ou avec un désespoir, des ruminations associées à un sentiment de culpabilité et d'une baisse d'estime de soi. Le diagnostic est uniquement clinique et les psychiatres se basent sur une classification internationale le DSM IV pour parler de la dépression. La présence de symptômes parmi les critères établis par le comité scientifique est nécessaire pour poser un diagnostic. Notons par exemple comme critères : 37 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 - La perte d’intérêt ou de plaisir pour presque toutes les activités - Insomnie ou hypersomnie - Perte de poids en l’absence de régime - Diminution de l’appétit Pour finir, la boulimie n’est pas une maladie récente. Elle touche de nombreux individus depuis des siècles. Contrairement à l’anorexie, visible socialement, la boulimie est une maladie que je qualifierais « d’invisible » la plupart du temps. Elle est à l’origine d’une grande détresse psychologique. La préoccupation, les contextes psychologiques et sociaux que nous venons de détailler, montrent bien que l’origine de troubles des conduites alimentaires n’est pas seulement due à une volonté de maigrir. Ces troubles sont souvent liés à un mal-être de la personne (antécédents familiaux, peur de grossir, pression due à certains groupes sociaux, troubles de la personnalité…). La société n’est pas innocente dans le mal-être des individus. Elle impose des normes qui peuvent prédisposer au développement de troubles alimentaires. 38 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 PARTIE 2 : Le rapport au corps des femmes 39 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 1 Le corps de la femme dans nos sociétés 1.1 Rapport de sexe Nos sociétés modernes sont basées sur une différence des sexes fondée par la Nature ou par la Religion : - Dieu créa l’homme et la femme14. Avec quelques termes de la définition du dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, je discuterai de la différenciation des sexes15 (2000). La différenciation en biologie est fondée sur l’acquisition de propriétés fonctionnelles différentes sur de mêmes cellules. En revanche dans les sociétés, les sexes ont des fonctions différentes dans le corps social. Dans un champ tel que la reproduction, F.HERITIER dit que la fécondité fait la différence entre masculins et féminins. La différence ne se fait pas en fonction du sexe. La domination masculine se fait voir par le contrôle et l’appropriation de la fécondité féminine. Cependant, le sexe et la procréation ne permettent pas de faire une différenciation des tâches de travail selon le sexe/le genre. Dans un cas français16, le service militaire suspendu par Jacques Chirac, a été remplacé par la journée d’appel à la défense (JAPD) obligatoire pour tous les citoyens français hommes et femmes. Le service militaire était un lieu de socialisation sexuée des dominants. Certes, ce service était un apprentissage du maniement des armes et du combat pour protéger un pays. Néanmoins, il aurait été aussi un vecteur de transmission et d’apprentissage de l’ordre hiérarchique entre le masculin et le féminin. Dans une enquête (Devreux, 1992) au sein même d’une caserne, les résultats ont montré que le service militaire permet un apprentissage du rapport hiérarchique en matière de tâches reproductives. En 14 Dans les dix commandements, on retiendra une partie du sixième commandement « Homme et la femme, il les créa… ». Ce sixième commandement comprend l’ensemble de la sexualité humaine. 15 Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie « sexe (différenciation des) » de Pierre Bonte et Izard Michel page 660-664 16 Article « rapports sociaux de sexe et conceptualisation sociologique » Anne-Marie DAUNERICHARD et Anne-Marie DEVREUX. Page 25 40 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 effet, dans les casernes aucune femme n’est présente pour faire le ménage, le rangement des chambres…Au grand étonnement des militaires. La règle serait simple et acceptée par tous. En terme de fonctionnement, l’institution pousse les jeunes à se dégager des tâches jugées inférieures en trouvant une personne inférieure à soi, moins gradée, récemment arrivée sur la caserne par exemple, pour faire le travail à leur place. Il semble intéressant de noter aussi que lorsque les militaires répondent à la question « Quelle personne s’occupe de l’entretien de vos affaires militaires lors de vos permissions ? », ils répondent tous unanimement qu’il s’agit de leur mère, de leur femme ou d’une amie. Le service militaire, transition pour un homme de la période adolescente à l’âge adulte, était un lieu d’expérimentation pour la construction d’une stratégie de positionnement dans la division sexuelle du travail. La « féminité » est un élément constitutif d’un système socioculturel où la masculinité et la féminité sont interdépendantes. Tout deux construisent des relations de hiérarchie et de domination17. En ces temps de «postféminisme», où les femmes revendiquent leur liberté à travers un choix de vie : il y a une réelle prise de conscience individuelle et collective. Ce constat pousse les femmes à enclencher un processus de révolte contre les rapports de sexes et la position subordonnée de la femme. Le féminisme est une manière d’être, de voir et d’agir. La femme a souvent été mise en recul de la société. Sous l’Ancien Régime, l’accès au trône était interdit aux femmes. En 1791, la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne, stipulait que “la femme naît libre et demeure égale à l’homme en droit.” Déclaration qui ne fut jamais votée, son auteur, Olympe de Gouges, fut guillotiné et les femmes écartées du pouvoir. En 1810, sous Napoléon, le code civil mettait la femme sous l’autorité du mari, chef de la famille. Il a fallu attendre 1958 pour voir les droits de la femme changer. 17 Irène Jami, « Ilana Löwy, L’emprise du genre. Masculinité, féminité, inégalité » 41 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 A la Renaissance, l’Eglise décrétât que la femme n’avait pas besoin d’apprendre à lire. Son rôle étant d’être une bonne épouse et une bonne mère. Les universités et les écoles leur sont inaccessibles. Le premier lycée féminin ouvre ses portes en 1881. La loi Jules Ferry, 1882, rend l’instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes âgées de 6 à 13 ans. Dans le monde du travail, l’ascension des femmes est rapide. Dans les années 60, le taux de femmes françaises actives était le plus fort de l’Union Européenne. Cette ascension peut s’expliquer par une scolarité suivie, une généralisation de la contraception, une croissance du secteur tertiaire. Cependant, la volonté des femmes à acquérir une autonomie financière les a conduites à se mobiliser pour faire évoluer les pensées de la société : la femme reste au foyer. Actuellement, les emplois féminins augmentent plus vite que les emplois masculins. Les métiers interdits aux femmes sont rares, mais peu d’entre elles se lancent dans une carrière scientifique ou industrielle. L’accès au poste de cadre et au plus haut niveau de la hiérarchie reste encore rare. Mais les temps changent, les femmes créent de plus en plus leurs entreprises. Elles ont généralement des carrières discontinues en raison des naissances ou de la mobilité professionnelle de leurs maris. Dans le domaine de la politique, en revanche, les Françaises sont « en retard », elles n’obtiennent le droit de vote qu’en 1945 (aux Etats-Unis les femmes votent depuis 1920). A l’Assemblé Nationale, leurs présences se fait encore rare. C’est à la suite de la décision de Lionel Jospin en 1997, que des postes de candidats de son parti socialiste sont réservés à des femmes. Cependant, il y a en France de plus en plus de femmes maires surtout dans les petites villes et villages. La féminisation du travail se reflète dans le langage. En effet, depuis toujours les métiers fermés aux femmes n’avaient pas de féminin. On parlait de Madame le juge, Madame l’ambassadeur, Madame le professeur Il y a toujours eu de grands cuisiniers mais seulement de petites cuisinières, ou encore Coco Chanel qui était un grand couturier. On parlait de Madame le juge, Madame l’ambassadeur, Madame le professeur. Sous Lionel Jospin, les femmes de son gouvernement 42 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 décidèrent de revendiquer la féminisation du titre de ministre. C’est en 1988, qu’une circulaire parue dans le journal officiel imposant la féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres. Aujourd’hui les termes : de « la ministre », « la magistrate », « la maire », « la gendarme », « la professeure »… sont entrés dans le langage courant mais aussi dans les dictionnaires ou sur les sites internet des ministères ou ambassades. Les académiciens, eux, acceptent encore difficilement l’évolution de la langue française. Des auteurs, comme SELVINI-PALAZZOLI (1974), pensent que le statut de la femme contemporaine va à l’encontre du statut traditionnel de la femme (SANCHEZ-CARDENAS, 1991)18. Ils précisent de plus, que ces contradictions peuvent induire des troubles des conduites alimentaires. Comme l’explique CHERNIN (1982,1986), l’épidémie actuelle des troubles alimentaires arrive à un tournant de l’histoire des femmes dans un contexte où le monde extérieur (par opposition au foyer) leur est ouvert. Il semblerait que la femme puisse accéder à des rôles sociaux autrefois réservés aux hommes par « une déféminisation » ; en commençant par l’effacement des formes féminines longtemps appréciées ou encore par l’apparition de l’habillement « unisexe ». Le changement de statut social des femmes, est lié à une obligation de dévier du modèle d’identification légué par sa propre mère c'est-à-dire du rôle féminin traditionnel en retrait de la société pour se diriger vers la femme contemporaine. La relation à l’alimentation rappelle le lien à la mère qui donne son propre corps à manger au cours de la nutrition du nourrisson (LEZINE). De plus, les filles seraient moins nourries au sein que les garçons, et quand elles le sont le sevrage intervient plus tôt pour elles. Néanmoins, les troubles alimentaires ne sont pas apparus récemment, nous savons que ces comportements se sont développés à d’autres moments de l’Histoire. GALIEN décrivait déjà avant le XIXème siècle, « une grande faim » caractérisée par des prises alimentaires à intervalles très courts, associée à des symptômes relatant un mal être corporel. 18 M.SANCHEZ-CARDENAS, « le courant féministe » Le comportement boulimique, page 48 43 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 1.2 Les normes corporelles dans la société La transformation du corps et de ses normes évolue en fonction de la société et du pays où l’on vit. Lors d’une intervention de J.P Poulain pour le DU obésité du Pr TOUNIAN le 3 juin 2010 en région parisienne à l’Hôpital Armand Trousseau. Jean Pierre POULAIN déclare que « le temps s’est arrêté entre 18 et 25 ans ». En effet, dans nos sociétés actuelles les femmes veulent à tout prix ressembler à ce qu’elles étaient lorsqu’elles avaient 20 ans en modifiant leurs apparences (chirurgie esthétique, régime, crème amincissante, soin pour le corps, vêtement « à la mode »…). Les femmes n’acceptent pas de vieillir, de voir leur corps changer. Les troubles des conduites alimentaires entrent dans une psychopathologie de différentiation des sexes. En effet, les hommes et les femmes réagissent différemment par rapport à leurs poids. Les hommes pensent le sous-poids comme un problème et la corpulence importante comme un signe de force19. Cette tendance est inversée pour les femmes. Les jeunes filles, ont un regard sur leur corps en décalage avec leur image réelle. Elles sont nombreuses à se voir en surpoids alors qu’elles ne le sont pas au regard des critères de normes de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Le poids idéal influe beaucoup la vision des individus sur leur corps, c’est un élément essentiel au jugement que l’on porte sur la corpulence. Thibaut DE SAINT POL (2009) explique dans son article « Surpoids, normes et jugement en matière de poids : comparaisons européennes » que le poids idéal est une notion subjective à l’échelle de la société. Néanmoins, il est possible d’établir un consensus au sein de l’Union Européenne avec un IMC reflétant l’idéal corporel à 19,6 pour les femmes et 22,6 pour les hommes. Avec un IMC moyen pour les femmes de 24,5 et de 25,5 pour les hommes, on remarque bien que 19 Thibaut de Saint Pol, « Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaison européennes », population et sociétés numéro 45, avril 2009 44 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 l’écart entre l’idéal et la réalité est plus important chez les femmes que chez les hommes. Encore une fois, on observe une insatisfaction corporelle plus grande chez les femmes. De plus, les facteurs environnementaux comme le pays où l’on réside marquent des différences de satisfaction et d’insatisfaction corporelle. Dans un environnement où la corpulence moyenne est faible (en France), un individu se trouvera gros. En revanche, dans un environnement où la corpulence moyenne est plus élevée (en Autriche) un individu de même poids se sentira mieux dans sa peau. Les femmes françaises valorisent le sous-poids par rapport aux autres Européennes. Elles ont un idéal de corpulence bien plus faible que leurs voisines. Y a-t-il trop de pression exercée sur le corps en France ? Le rapport des femmes à leur corps et à leur poids est en effet très complexe. Dans un dossier d’Estelle MASSON20 (2004) pour les cahiers de l’OCHA, elle annonce que « 14 % seulement des femmes se sentent vraiment complices avec leurs corps » alors que plus de la moitié des femmes ont un poids normal selon les normes médicales de corpulence. Les rondeurs symbolisent pour de nombreuses femmes la maternité, la douceur, la séduction mais actuellement en France l’idéal de légèreté est fortement présent dans les mentalités. Ce qui est intriguant d’après E.MASSON (2004) c’est que les femmes qui souhaitent peser moins sont souvent celles qui ont un poids normal. 20 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » Dossier d’Estelle MASSON « Le mincir, le grossir, le rester mince » 2004 45 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Qu’est ce qu’un poids normal ? Selon les normes médicales, l’indice de masse corporel (IMC) détermine des typologies de corpulence en fonction de la taille et du poids. IMC = poids / (taille)² en kg/m² Interprétation Moins de 16.5 Dénutrition Entre 16,5 et 18,5 Maigreur Entre 18,5 et 25 Corpulence normale Entre 25 et 30 Surpoids Entre 30 et 35 Obésité modérée Entre 35 et 40 Obésité sévère Plus de 40 Obésité morbide Cet indice a été défini par l’Organisation Mondiale de la Santé comme le standard pour évaluer les risques liés au surpoids et à la maigreur. Il me semble important de noter que l’IMC est un indicateur et non une donnée absolue. En effet, la morphologie d’une personne est à prendre en compte. Une personne peut-être longiligne mais avoir une masse graisseuse importante et à l’inverse une personne trapue peut présenter très peu voire pas de graisse. Les sportifs qui, du fait de leur masse musculaire, ont un IMC élevé sont un exemple. De plus, prenons l’exemple de différents pays, les femmes asiatiques ont une morphologie bien plus fine et allongée que les françaises. Leur IMC peut être à 18 kg/m² sans présenter de danger. Cet indicateur peut aussi être critiquable. En effet, pour passer de la catégorie « corpulence normale » à « surpoids » il ne faut, pour certaines personnes, que quelques kilos21. Or, ce changement de catégorie est 21 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » 2004 Dossier d’Estelle MASSON « Le mincir, le grossir, le rester mince » page 2 46 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 très lourd de sens. La création de catégorie induit un jugement des différences corporelles22. Seule une catégorie « - corpulence normale - » amène du positif dans la vision d’un corps. Les autres « maigres, surpoids, obésité… » expriment le trop ou le pas assez par rapport au bien. Dans notre société marquée par le culte de la minceur, il est clair que certaines catégories sont des stigmates auxquels les femmes veulent échapper. Certains pays ont pris des mesures concernant ces IMC afin de combattre les risques d’anorexie chez les jeunes femmes influençables. Le gouvernement régional de Madrid, en collaboration avec la société espagnole d’endocrinologie et de nutrition (SEEN), a interdit aux mannequins ayant un IMC inférieur à 18 kg/m² de défiler. En effet, d’après l’OMC une femme dont l’IMC serait inférieur à 18 kg/m² n’est pas considérée en bonne santé. Une enquête23 a été réalisée au sein de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris auprès d’étudiantes (N=142) âgées entre 18 et 25 ans. Aucune n’avait de problème de poids, seulement quatre femmes de l’échantillon étaient en surcharge pondérale (IMC > 25). Dans l’échantillon, les milieux sociaux étaient élevés et les parents appartenaient le plus souvent à une CSP24 élevée (annexe 1). Une des parties du questionnaire concernait l’estimation de l’IMC. Elles sont peu nombreuses à avoir estimé correctement leur IMC. En général, il s’agit plutôt d’une surestimation de l’IMC. Chacune d’elle rencontre des difficultés à évaluer la normalité pondérale. Elles se voient toutes plus rondes qu’elles ne le sont. 22 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influences » 2004 MASSON « Le mincir, le grossir, le rester mince » page 2 Dossier d’Estelle 23 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influences » 2004 Dossier d’Annie LACUISSECHABOT et Cécile NATHAN-TILLOY et coll. « l’impérialisme de la minceur » page 116-118 24 CSP : Catégories socioprofessionnelles déterminé par l’INSEE dans le but de classer la population française active. 47 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 La plupart du temps les femmes se trompent de 2 points d’IMC, comme on peut le constater sur le schéma25. Autrement dit, une femme dont l’IMC indique une maigreur se voit mince. Une femme mince se voit normale, ainsi de suite. Il semblerait d’après les auteurs que les jeunes femmes habitant en zone urbaine surestiment plus leur IMC que les femmes provenant de zones rurales. L’enquête a pu révéler des résultats qui montrent la complexité qu’ont les femmes à accepter leur corps tel qu’il est. Nombreuses sont celles qui se trouvent « trop grosses » alors que leur IMC est dans la catégorie « corpulence normale ». Elles restent pour la plupart conscientes que leur poids ne pose aucun problème d’un point de vue médical mais d’un point de vue esthétique, elles sont prêtes à « tout » pour maigrir ou du moins améliorer l’image que leur corps dégage 1.3 Les femmes face à leur corps L’âge, autrement dit le passé d’une personne à un rôle dans l’alimentation des femmes. En effet, les femmes plus âgées ont subi des périodes de privation alimentaire et les femmes plus jeunes se trouvent dans une période d’abondance de nourriture26. Ceci n’est pas une généralité mais on peut remarquer que la plupart des femmes ayant un IMC faible sont surtout les femmes jeunes, alors que les IMC élevés se trouvent plus chez les femmes âgées. Les femmes ayant vécu 25 Schéma tiré du Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence », L’impérialisme de la minceur Dossier LACUISSE-CHABOT.N et NATHAN-TILLOY.C, 2004, page 117 26 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » les femmes ne vieillissent jamais Dossier de Gilles BOËTSCH, 2004, page 65 48 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 la privation se « rattrapent » dans une société d’abondance alimentaire. Comme un effet inconscient de potentiel retour à la privation, elles préfèrent faire des réserves. En revanche, les jeunes femmes actuelles vivent dans une abondance alimentaire avec la pression d’avoir un corps svelte. « Une femme sur deux est une habituée des régimes, une sur deux n’en a jamais fait »27 voilà ce qu’annonce E.MASSON (2004). Il semblerait que le facteur âge marque une différence dans l’expérience de faire des régimes. . Les femmes d’environ 24 ans, ont déjà fait plus de la moitié des régimes par aux femmes qui ont actuellement entre 50 et 65 ans. La plupart du temps, on remarque que de nombreuses femmes font des régimes non seulement en lien avec leurs poids mais aussi et surtout avec le désir d’être quelqu’un d’autre au regard de la société. Elles sont en permanence dans le contrôle de soi et de leur alimentation. Néanmoins, il y a les femmes qui font un régime à l’approche de l’été, pour les vacances autrement dit au moment de sortir le maillot de bain. Ces femmes mènent un combat annuel de perte de poids. Elles sont constamment à la recherche d’un régime qui leur permettrait de perdre du poids rapidement, facilement, et sans faire trop d’effort. Souvent, elles abandonnent ces régimes parce qu’elles n’ont pas la patience d’attendre leurs effets. Elles « craquent » face à leurs pulsions alimentaires. Il s’agit là, d’un régime privatif c'est-à-dire que les femmes se privent de ce qu’elles aiment manger. Or, nous savons qu’une alimentation équilibrée et variée permet de faire des écarts raisonnablement et donc de limiter les frustrations souvent causes des échecs de régimes. Il me semble ingénieux de supprimer le terme de régime et le remplacer par un terme d’équilibre alimentaire. Le terme régime renvoi vraiment à un contrôle, à des privations. Les femmes préfèrent se mettre au régime, utiliser des « coupe faims » au lieu d’avoir une conduite alimentaire correcte. Ce qui reste inquiétant est le fait que certaines de ces femmes évitent les repas entre amis 27 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » 2004 Dossier d’Estelle MASSON « Le mincir, le grossir, le rester mince » page 3 49 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 durant cette période de restriction, provoquant ainsi une rupture sociale. Dans un dossier d’E.MASSON28 (2004), une typologie de femmes concernant le rapport à leur corps a été établie. Dans un premier temps, elle a remarqué que « les femmes au corps complice » correspondent à des femmes qui s’acceptent telles qu’elles sont. « Les femmes au corps qui parle » correspondent à des femmes qui oscillent entre un corps aimé et un corps détesté. La plupart du temps lorsqu’elles rencontrent des problèmes dans leurs vies, le corps devient la première cible de leur mal-être. Il s’agit d’une attitude qui suit les états d’âmes de la personne. Certaines, « les femmes au corps résigné » semblent accepter passivement leur corps. Il s’agit d’un état de résignation quant au fait de perdre du poids. Elles ne parviennent pas à atteindre les buts voulus. Les femmes mal dans leur corps qui ne s’acceptent pas, vivent dans un combat permanent de minceur. Ce sont « Les femmes au corps en souffrance » qui la plupart du temps se trouve dans la spirale infernale des régimes yoyos. Pour finir les typologies détaillées par E.MASSON (2004), il y a « les femmes au corps objet » qui sont les plus sensibles au modèle de minceur exposé par la 28 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » 2004 Dossier d’Estelle MASSON « Le mincir, le grossir, le rester mince » page 5 50 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 société actuelle. Elles considèrent leur corps comme un objet qu’elles contrôlent en permanence. On pourrait classer dans ces catégories, les femmes souffrant de troubles alimentaires. En effet, il y a un contrôle quotidien du corps et de l’alimentation. Elles s’imposent des règles strictes quant à leur hygiène de vie. « Les pratiques alimentaires en tant qu’activités socioculturelles sont des médiatrices puissantes du souci corporel »29 (DUBOYS DE LABARRE, 2004). En effet, depuis de nombreuses années les femmes se soucient de plus en plus de leur alimentation et des répercussions sur leur corps. Actuellement, perdre du poids tend à être un acte banalisé chez les femmes. La cause de cette préoccupation vient de la pression exercée par les médias d’un modèle de corps svelte comme une référence au féminin. Un modèle de corps varie selon les pays, les sociétés, les époques dans lesquels évoluent les individus. Le corps est le siège de l’identité, le portrait moral et social d’un individu. Comme l’explique C.DEREZ30 (2002), le corps est une construction sociale dépendante du temps et de l’espace. Le corps a longtemps été perçu comme résultat de la nature, mais dés le début de la sociologie du corps, celui-ci devient alors un produit d’une construction identitaire. Il est observé en tant qu’objet car il implique des savoirs, des valeurs et des pratiques. On peut dire qu’il s’agit d’un objet à part entière : objet culturel, objet social, objet de société. La perception de notre corps a fortement évolué au fil du temps31. Au moyen-âge, les rondeurs étaient associées à la santé et à la richesse. En effet, la nourriture 29 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » 2004 Dossier de Matthieu DUBOYS DE LABARRE « L’expérience du régime féminin » page 1 30 DETREZ Christine, « la construction sociale du corps » 2002 31 EYER J., FAVRE R., ZWICK M., “Les perceptions sociales de l’alimentation et du corps chez les jeunes” Recherche de l’Université de Fribourg octobre 2004 page 22 51 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 était un bien précieux. Il était bon à cette époque d’avoir le teint pâle, d’être bien portant. Les gens aisés pouvaient accéder à la nourriture et donc se différencier des classes sociales plus pauvres. L’idéal à atteindre était les rondeurs contrairement à notre société actuelle qui les stigmatise. En plus de faire partie de la classe aisée, les gens enrobés résistaient mieux aux famines ou aux virus que les personnes des classés plus faibles. Un corps sain et en bonne santé était à cette époque un corps avec des rondeurs. Les peintres par exemple peignaient des femmes rondes. Au 20ème siècle : BOTTERO avec une de ces toiles « Il bagno » (cf. Annexe 1) met en scène une femme aux rondeurs bien prononcées nue et de dos devant son miroir dans sa salle de bain. Autre exemple, au 19ème siècle : INGRES avec une de ces toiles « le bain turc » (cf. Annexe 2) représentant de nombreuses femmes nues toutes ayant des formes et de belles rondeurs. 1.4 Le corps et son évolution au sein de la société Le corps appartient à différents domaines. Celui du biologique qui met en avant la santé, le bien être et celui du social qui prône l’apparence, l’attitude…Nous naissons tous avec un corps qui évolue tout au long de la vie. La transformation de notre corps, nous pouvons la subir ou la choisir32. Tout est déterminé selon les normalités de la société. Une des normes est la généralisation et l’uniformisation des goûts en matière d’esthétique. En l’absence de critères normatifs, le jugement du corps (beauté ou laideur) est estimé en fonction de sujets dont le corps, l’apparence, le visage, ont été jugés (beaux ou laids) par d’autres sujets. Aucune règle, lois ou autre ne fixent des traits physiques précis à atteindre. Il me semble nécessaire de faire passer le message qu’il n’existe pas « une beauté » mais « des beautés » au sein de la société. 32 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » 2004 Dossier de Gilles BOËTSCH « Les femmes ne vieillissent jamais » page 67 52 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Comme le montre le psychologue américain W. SHELDON ; il y a décrit trois types corporels dans les années 40. Il est parti des bases de données de l’embryologie qui distingue trois couches de tissus : l’endoderme, le mésoderme, et l’ectoderme. En établissant ces typologies des corps humains 33 on s’aperçoit qu’il y a une corrélation entre les corps et les traits de personnalités qui ne sont seulement des caricatures comportementales et psychologiques. Il s’agit de l’endomorphe, le mésomorphe, et l’ectomorphe. L’endomorphe correspondrait aux fortes corpulences avec une tendance d’un corps mou, et des muscles peu développés. Ces sujets sont de type sociable, à la découverte de nouvelle saveur, aimant manger… Il aurait un développement important du système digestif en particulier l’estomac. 33 Image disponible sur http://www.pponline.co.uk/encyc/body-type-training-are-we-slaves-our- body-type-genes-39798 consulté le 2 juin 2010 53 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Le mésomorphe est corrélé à un tempérament courageux, énergétique, actif, qui aime prendre des risques. Il est marqué par une musculature et un système circulatoire fortement développés. L’ectomorphe a tendance à être mince, élancé. Son tempérament serait sensible, timide, introverti. Ce type de corps est associé à un grand développement du système nerveux et du cerveau. Concernant le corps de la femme, le corps jugé « le plus beau » serait l’ectomorphe avec des formes longilignes. Marilyn Monroe, Claudia Schiffer ou Laetitia Casta représentent les sex-symbols d’une époque. Avec un corps mince, mais des formes généreuses au niveau de la poitrine et des hanches. En revanche, le corps idéal des hommes seraient celui du mésomorphe. Aujourd’hui dans nos sociétés occidentales, l’aspect physique et la ressemblance à un être idéal est devenue une caractéristique d’intégration sociale. L’idéal de la minceur a pris place. Il ne s’agit plus d’être gros pour être bien vu par la société, bien au contraire. L’abondance alimentaire a fortement changé les habitudes de consommation de la population. En effet, certains individus ne craignent plus les famines, ils ne sont plus obligés de stocker la nourriture en absorbant de grande quantité de nourriture. Etre gros – marqueur d’une certaine richesse au Moyenâge – est actuellement à la portée de tous par rapport à l’abondance de nourriture. Si on remonte au temps du Moyen-âge, on constate deux profils : celui d’un paysan ou artisan ayant une peau bronzé, marquée, musclé par une forte activité physique à l’extérieur. Ces corps sont des outils de travail, l’apparence n’est pas une priorité. A l’inverse, les nobles dont la corpulence est plutôt imposante souligne une sédentarité, une abondance de nourriture, et un manque d’activité physique. Le rapport au corps est bien différent selon les origines sociales des individus. Une prise de poids importante rime maintenant avec pauvreté, manque du contrôle de soi... Dans les années 30, les femmes changent leur vision du corps, 54 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 elles veulent et doivent être minces, sans forme, « sans poitrine ni hanches au corps de garçonne »34… Apparus en France le 20 juin 1936, les congés payés ont renforcé l’idéal de minceur. En effet, le déplacement des familles vers les plages en été entraine un regard nouveau sur le corps. Les corps dénudés fixent des nouvelles normes corporelles35. Les individus semblent se diriger vers une sphère individuelle qui nécessite une attention particulière de leurs corps. Le corps va devenir de plus en plus un lieu d’identité personnelle. Les médias, les publicités et les magazines féminins vont choisir des mannequins incarnant ce nouvel idéal de minceur. Les rondeurs disparaissent petit à petit. Il faut « être mince » pour être bien dans son corps. C’est une nouvelle norme qui apparaît, en plus d’être mince il faut être bien dans sa peau, sûr de soi, bien dans son corps...Cet idéal qui nécessite un entretien du corps permanent, nous montre que le corps devient le support de l’identité personnelle d’un individu. « Tout ce qui altère notre image du corps, nous altère en profondeur, nous touche au cœur de notre être »36. Effectivement, le corps est le biais par lequel un individu montre son identité et sa personnalité. Le langage du corps joue un rôle essentiel dans la vie des individus : lors d’un entretien, lors d’un rendez-vous…Il semblerait que la gestuelle compte pour plus de la moitié lors d’une discution avec autrui. Prenons l’exemple du livre «Le langage universel du corps : comprendre l’être humain à travers la gestuelle » de Philippe Turchet qui traite du décodage de nos gestes, de nos mimiques… Lors d’un premier contact avec un individu ,on se base tous sur « la première impression » en partie fondée sur l’apparence corporelle. Sous la forme d’un rapide aperçu on soupçonne sa personnalité, son milieu social, son tempérament… Le corps est un support de valeurs qui évoluent 34 APFELDORFER, G. « Traité de l’alimentation et du corps » page 647 35 EYER J., FAVRE R., ZWICK M., “Les perceptions sociales de l’alimentation et du corps chez les jeunes” Recherche de l’Université de Fribourg octobre 2004 page 24 36 G.APFELDORFER, « Je mange, donc je suis, surpoids et troubles de comportement alimentaire » page 64 55 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 au fil des époques. Nous vivons dans une société où l’apparence physique semble valoir socialement plus qu’une présentation morale. Selon G.Apflerdorfer « le corps est devenu un objet de consommation, dont la forme reflète la valeur de l’individu »37. Ce qui veut dire explicitement qu’un corps gros reflète l’idée d’un manque de maîtrise de soi, à l’inverse un corps mince véhicule l’idée d’un individu ayant certaines valeurs comme la maitrise de soi. Prenons l’exemple des adolescents, qui se voient dans l’obligation de maitriser leurs corps en permanence. La catégorisation « maigre » et « gros » est rentrée dans les mœurs trop rapidement pour que les individus s’en séparent. Le sport, familièrement appelé l’activité physique, est accessible à toutes les classes sociales. Le sport devient alors indispensable pour garder son corps « en bonne santé ». Les médecins, en effet conseillent l’activité physique pour prévenir des potentielles maladies cardio-vasculaires ou autres. Aujourd’hui notre société est devenue « lipophobe »38. Elle valorise les corps minces, sveltes, musclés. La nouvelle norme est donc bien celle d’un corps mince, renforcée par le regard d’autrui qui compte énormément pour de nombreux individus. Comme on dit souvent « on est jamais content de se que l’on a ou de ce que l’on est », les individus ne se contentent jamais de ce qu’ils sont, ils veulent ressembler à « des canons » de beauté. Même si ces canons sont difficilement atteignables , par exemple C.FISCHLER dit que seulement 5% des femmes des Etats-Unis de 20 à 29 ans pourraient prétendre avoir le poids et la taille des canons qui participent aux concours de beauté. La nouvelle norme « être mince » reste donc inaccessible pour la plupart des femmes de notre société. Malgré tout, ces femmes ne reculent devant rien pour accéder à cet idéal de beauté. Elles sont prêtes à détériorer leur santé en essayant de nombreuses méthodes pour perdre du poids. 37 G.APFELDORFER, Nutrition infos Numéro 5, 3eme trimestre 2008, « Troubles alimentaires – à l’écoute des ados » page 21-23 38 C.FISCHLER, L’homnivore, le goût, la cuisine, le corps, page 297 56 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 La plupart des messages de santé publique sont délivrés par la communication médiatique. Or, les comportements des individus sont fortement influencés sur ces messages véhiculés par des revues ou des publicités. La contradiction est telle que les médias, les revues… retouchent les corps des mannequins pour en faire des modèles irréalistes de la société. Il est évident que cela a des conséquences sur les jeunes : des complexes de minceur chez les jeunes filles ou des complexes de musculature chez les jeunes hommes par exemple. La volonté de perdre du poids est impulsée. Nous devons alors, faire face à de nombreux cas de personnes utilisant tous les moyens possibles pour « maigrir ». Souvent, comme le dit G.APFELDORFER, les conditions de restrictions peuvent constituer une entrée dans des troubles alimentaires tels que l’anorexie ou la boulimie. Les individus « hors norme » en termes de norme corporelle de la société sont rapidement stigmatisés. La stigmatisation est un « processus de discréditation et d’exclusion qui touche un individu considéré comme anormal, comme déviant »39. 2 Le rôle des institutions médicales et sociétales Une adolescente de 16 ans déclare pour le programme de recherche de l’OCHA sur l’alimentation des adolescents en France 40 « J’en ai marre des magazines ou du cinéma, ils nous montrent des femmes qui n’existent pas, une vrai femme à un peu de cellulite, des rides, la peau est pas lisse comme dans les magazines, tout le monde a des cernes, des boutons, une fois dans sa vie, ces femmes sont belles mais j’ai jamais vu une femme comme ça dans la rue » 39 Définition de J.P Poulain cous de Master 1 alimentation « L’obésité au sein de la société » 2009/2010 40 Programme sous la direction de Nicoletta DIASIO, Annie HUBERT, Véronique PARDO. Cahier de l’OCHA numéro 14, septembre 2009 57 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 On se compare toujours à un référent en termes d’esthétique corporelle. C’est pourquoi, le corps de l’autre est pris comme référence de comparaison. Les organismes médicaux ne sont pas innocents dans la prise de conscience collective d’un idéal de minceur à atteindre. En effet, ils sont nombreux à véhiculer le message suivant : « pour se sentir bien dans sa peau et être en bonne santé, il faut être mince »41. Le discours des professionnels de la santé sur le corps a beaucoup évolué depuis quelques années, ce qui rend inquiétant les répercussions sur la population actuelle. En effet, nous sommes tous influencés par la médecine. Ces institutions médicales participent au renforcement des contraintes liées au corps en légitimant la normalisation de la beauté et de la minceur par la santé. L’opposition est telle qu’il semblerait que les individus dépassant légèrement leur poids idéal est une santé meilleure que les individus maigres, qui eux présentent des risques plus importants de mortalité. Même constatation pour les régimes qui seraient plus dangereux pour la santé qu’un léger excès de poids. On ne parle bien évidemment pas d’une obésité morbide. 2.1 Les médias et leur influence Le corps est sur-médiatisé et l’image qu’on nous propose est un corps harmonieux, aux mensurations idéales. Média provient du latin médium (milieu, environnement). Les médias sont des moyens de communication impersonnelle de diffusion d’informations ou d’opinions vers une population. La radio, la télévision, la presse, la publicité…permettent de communiquer vers un très grand nombre 41 EYER J., FAVRE R., ZWICK M., “Les perceptions sociales de l’alimentation et du corps chez les jeunes” Recherche de l’Université de Fribourg octobre 2004 page 26 58 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 L’idéal de minceur prôné par les médias est celui d’un corps dont la maigreur n’étonne même plus la population. Ce culte de la minceur est un signe de la femme active, qui sait se contrôler, qui a une maitrise de soi. Les troubles du comportement ravagent toutes les populations féminines, aux Etats-Unis, en France, en Angleterre, en Allemagne, au Japon… Dans n’importe quels pays les profils de jeunes femmes anorexiques ou boulimiques se dessinent. Les médias nous montrent constamment des images de corps féminin jeunes, très mince, n’ayant aucun défaut de peau. Selon des spécialistes, l’enjeu de présenter cette obsession de la minceur par les médias, serait pou une part économique. En effet, la présentation d’un idéal difficile à atteindre et à maintenir assure une certaine sureté financière pour les industries de produits amincissantes ou cures de remise en forme. Les femmes inquiètent de leur apparence sont susceptibles de dépenser leur argent pour des produits de beauté, des produits de régime, d’amincissements…En voulant atteindre cet idéal de beauté inaccessible pour la plupart d’entre elles, les femmes mettent non seulement leur budget en péril, mais également leur santé physique et psychologique. A vouloir trop changer leurs apparences, ces femmes risquent de montrer des signes de dépression, d’éprouver une mauvaise estime de soi, et de développer des troubles alimentaires. La jeunesse s’impose de plus en plus au côté de la minceur comme critère de beauté. Le plus souvent les industries jouent sur deux aspects : le vieillissement des femmes et leur perte de poids. Les discours véhiculés par les médias sur la minceur ne cessent de répéter aux femmes que leur corps est imparfait. Le magazine américain Teen en 2003, annonce que 35% des jeunes filles âgées de 6 à 12 ans ont déjà fait un régime alors qu’elles avaient un poids normal. Selon l’Institut canadien de la recherche sur la condition physique et le mode de vie, le fait de maigrir est perçu chez les filles comme un moyen d’améliorer leur estime de soi. 59 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 2.2 Le culte de la minceur véhiculé par les médias En effet, la frénésie à propos du schéma corporel est véhiculée par un vecteur, qui est fortement médiatique. Auparavant, les interventions corporelles se limitaient à l’alloplastie (vêtements, maquillage…), aujourd’hui les préoccupations se tournent vers l’autoplastie (régimes, chirurgie esthétique, crèmes amincissantes…). Ce changement est fortement dû à la sur-médiatisation de l’idéal corporel véhiculé par la publicité, la télévision…Le modèle imposé ne laisse pas de place aux autres types d’individus. Les magazines sont remplis de photos retouchées et d’articles vantant la nouvelle « diète » en vogue ou la nouvelle crème pour diminuer « l’aspect peau d’orange ». Crème pour mincir en dormant : […] La microcirculation est activée (effet lymphotonique). Résultat, les jambes sont plus légères, la silhouette s’affine et la cellulite s’estompe. Le produit promet, au bout de 28 jours, une perte volumétrique en moyenne de -1,33 cm pour le ventre, de -1,1 cm pour les fesses et de -1,2 cm de tour de taille. […] 42 Les publicités faisant la promotion de la minceur des femmes sont beaucoup plus nombreuses que celle concernant les hommes. En feuilletant des magazines, on s’aperçoit que la plupart d’entre eux comprennent un titre concernant notre apparence physique et les manières de la modifier par le biais de régime, d’exercices physiques, de chirurgie esthétique… De plus, il me semble important de noter que la cible des revues est souvent plus âgée que les mannequins présentés sur les publicités. Prenons l’exemple des crèmes antirides, les femmes qui sont dans ces publicités sont la plupart du temps pas encore en âge de mettre ce type de crème. Notons également, que le cinéma et la télévision marquent aussi un certain idéal de minceur. Les actrices étant de plus en plus minces et de 42 Dossier minceur sur ELLE magazine, disponible sur www.elle.fr 60 La boulimie et ses déterminants sociaux plus en plus jeunes. 2009-2010 Néanmoins, les médias semblent faire certains efforts, comme la rédactrice en chef Lise Ravary du magazine Châtelaine qui s’est engagé à ne plus retoucher les photos qu’ils publient et ne plus présenter les mannequins ayant moins de 25 ans. « La dys - morpho – pondéro – phobie »43 est un réel problème de la société actuelle. En quelque sorte une peur d’avoir une morphologie en désaccord avec les silhouettes présentées dans les publicités ou autre. Les jeunes filles sont fortement touchées par cette influence médiatique. Si on regarde autour de nous lorsqu’on se ballade dans la rue, on peut remarquer que sur les kiosques, les panneaux publicitaires, les arrêts de bus, dans les couloirs du métro se sont des images de mannequins longilignes et de plus en plus dénudées que l’on remarque. Comment une femme, ayant quelques rondeurs, passant tous les matins devant une affiche prônant une silhouette mince, et sans défauts peut se sentir bien dans sa peau ? Des étudiants de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris se sont intéressés à la question de l’évolution des photos à la « Une » des magazines depuis 198044. Leur but étant de noter une évolution nette de la mise en valeur de la femme dans les magazines. Ils ont considéré trois période de trois ans ; de 1980 à 1982, de 1990 à 1992 et de 1999 à 2002. Les résultats sont vraiment remarquables dans la mesure où ils ont montré que les femmes étaient de plus en plus dénudées, les tenues semblaient être de plus en plus sexy, et les corps des femmes de plus en plus minces. Certains magazines ou catalogue comme « la Redoute » identifie leur collection aux saisons de l’année ; « Printemps – Été » ou « Automne – Hiver ». Les étudiants de l’étude ont cependant remarqué une évolution de ces magazines. Entre 1980 et 1982, les mannequins présentent des tenues très habillées (manteau, écharpe, gants, bonnets…). En arrivant dans les années 43 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » 2004 Dossier d’Annie LACUISSECHABOT et de Cécile NATHAN-TILLOY et coll. « L’impérialisme de la minceur » page 113 44 Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence » l’impérialisme de la minceur Dossier d’Annie LACUISSE-CHABOT et de Cécile NATHAN-TILLOY et coll. 2004 page 114 61 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 1990, les filles ont quittée leurs épais manteaux et dans les années 2000 les femmes sont légèrement vêtues dès février. Le graphique45 ci-dessus nous montre bien l’évolution du nombre de femmes dénudées ou nues dans les magazines en fonction de l’évolution de la société. Tous les magazines ont augmenté leur nombre de femmes dénudées ou nues sur les pages. On remarque néanmoins, que pour le magazine Marie-Claire, destiné plutôt aux femmes mûres, l’augmentation entre les années 1980 et 2000 est de 30,2 %. Alors que pour un magazine comme Biba, destiné aux jeunes femmes, l’augmentation est de 58,7 %. En vingt ans, on remarque une évolution de l’exposition du corps de la femme dans les magazines. Au début de l’étude (1980), ils ont noté que les photographes ne s‘intéressaient qu’aux visages des femmes sur les publicités. Arrivé dans les 45 Schéma tiré du Cahier de l’OCHA n°10 « corps de femmes sous influence », L’impérialisme de la minceur Dossier LACUISSE-CHABOT.N et NATHAN-TILLOY.C et coll, 2004, page 115 62 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 années 1990, c’est le buste qui est valorisé et mis en avant. Et en fin de période (2000), il s’agit d’exposer la silhouette des femmes. L’impact visuel des corps a donc bien progressé au fil du temps. On peut dire que nous avons à faire à un effet de mode qui touche de nombreuses femmes. Les classes dominantes, ici représentées par les médias, imposent des valeurs de minceur à la population qui essai tant bien que mal de les suivre. Les médias jouent avec les femmes et leurs comportements. Le message que les médias veulent faire passer est certes un modèle de beauté, mais aussi un certain statut social qui lui est associé. Une fois les valeurs intégrées par la plupart de la population, les médias changent de stratégies pour toujours marquer une différence avec la population. Ceci pourrait expliquer les fluctuations de la conformité corporelle au sein de la société46. Les femmes attentives aux effets de mode auront une idée de la conformité corporelle différente selon les époques. Néanmoins, là je parle de l’ensemble du corps et non pas seulement de « kilos » que les femmes doivent contrôler. A chaque époque, on vit une stigmatisation des gens différents d’une certaine norme. Actuellement, on peut remarquer que l’industrialisation de masse implique une standardisation des corps et par là même par à une intolérance aux gabarits gênants. Prenons, l’exemple de G.APFLERDOFER (2002) de l’industrie vestimentaire, les individus non-conformes aux tailles standards se voient rejetés des magasins. Ils se voient contraints de se tourner vers des enseignes qui font du sur-mesure. Encore une preuve de discrimination et de standardisation en termes de norme corporelle. On retrouve cette différence pour les places d’avion, de métro, d’automobiles, de théâtre et de cinéma correspondant à des normes trop standardisées. Comme le mentionne G.APFELDORFER « Pour éviter le rejet par le corps social, pour plaire aux autres et à soi-même, pour réussir sa vie professionnelle et affective, pour 46 G.APFLERDORFER, « je mange donc je suis – surpoids et troubles du comportement alimentaire- » effet de mode page 53 63 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 être jugé digne d’appartenir à l’élite sociale »47 il faut impérativement être conforme aux différents canons de beauté présenté en temps T. Malheureusement, l’accès à la minceur n’est pas égale au sein de la population. Les familles aisées, plus riche, plus cultivés ont plus de facilité à accéder aux connaissances diététiques et acheter des aliments à faible valeur énergétique souvent onéreux. En consacrant du temps, de l’argent, et de l’énergie, les familles en haut de l’échelle sociale parviennent à garder la ligne. Pour conclure, ce qui fait la différence avec les époques précédentes réside dans la finalité esthétique de notre rapport au corps. Une représentation de soi, attirante, flatteuse est bien mieux perçue par la société. Ce corps est valorisé, à l’inverse d’un corps disgracieux auquel la société n’accorde que peu de valeur. Les métamorphoses corporelles sont maintenant consacrées à l’embellissement du corps. L’idéal corporel est un support commercial à valeur économique mais il devient de plus en plus un objet de consommation. La population est amenée à s’adapter et à accepter les banalisations, les codifications uniformisantes, concernant le schéma corporel de minceur prôné par la société. La satisfaction de son propre corps est liée à une certaine satisfaction de soi. Les gens « satisfaits » de leur corps semblent être plus sûrs d’eux, plus heureux, plus avenants… Percevoir son corps, c’est une manière de se voir soi. 47 G.APFLERDORFER, « je mange donc je suis – surpoids et troubles du comportement alimentaire - » la pression sociale actuelle en faveur de la minceur page 56 64 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Partie 3 : L’alimentation au sein des troubles du comportement alimentaire 65 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 L’alimentation, indispensable à notre fonctionnement en tant qu’être humain. Sur un plan nutritionnel, biologique, physiologique, et social le rapport à l’alimentation de l’homme est un champ d’étude complexe. L’acte alimentaire, qu’il soit riche en signes, symboles, représentations, maintient le mangeur dans un système de significations. Par la transmission du savoir, l’alimentation transmet des valeurs au sein d’une société. Par ses pratiques, elle permet aux individus de se distinguer et d’appartenir à des groupes sociaux. 1 Comportement alimentaire Manger, est un acte banal pour chacun d’entre nous. Il s’agit d’une nécessité vitale. A chacun le choix de manger ce qu’il veut, où il veut, quand il veut, avec qui il veut. Cette liberté permet de nous définir comme être vivant, appartenant à une époque, à une culture, à une catégorie sociale. D’un point de vue biologique, le corps ressent des signaux physiologiques qui nous amènent à nous nourrir. Tout part de l’hypothalamus (glande de notre cerveau) qui est sensible à différentes informations provenant de tout l’organisme. Ces informations sont destinées à provoquer le reflexe de la faim. L’estomac et le pancréas informent notre cerveau par des hormones de la nécessité de « nourrir » nos cellules. Le cerveau déclenche alors le processus de la faim. Il ne faut pas confondre le « manger » physiologiquement déterminé par des signaux hormonaux et le « manger » compensatoire qui permet de se calmer, de lutter contre l’arrêt du tabac, de lutter contre l’ennui…Il s’agit de grignotage et non d’une faim physiologique. D’un point de vue culturel, nous mangeons des symboles, de l’imaginaire. Effectivement, suivant l’endroit où l’on vit, la culture dans laquelle on est, l’aliment est chargé de valeurs et de sens. Deux caractéristiques aux mangeurs humains : la classification du mangeable et du non mangeable et le principe d’incorporation (C.FISCHLER, 1990). Toutes les cultures sélectionnent dans leur environnement un nombre plus ou moins important de produits qu’ils qualifieront d’aliments comestibles ou non 66 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 comestibles. Chaque culture possède des prescriptions ou interdictions de manger tel ou tel aliment. Exemple des Massaï ; tribu qui ne mange pas le tangue (forme de hérisson). Lors d’un combat, cet animal adopte une attitude de recul vis-à-vis de l’adversaire. La tribu Massaï, constituée de combattants, considère ce comportement de recul comme une attitude lâche. De ce fait, les Massaï ne mangent pas cet animal, pour ne pas acquérir ces caractéristiques. C.FISCHLER pose le principe d’incorporation, qui correspond à l’appropriation des aliments par le mangeur. Dans un champ physiologique, le mangeur devient ce qu’il consomme. Ce qui est relativement vrai, d’un point de vue nutritionnel : les nutriments pénètrent nos cellules pour les faire vivre. Exemple : des acides aminés qui deviennent le corps de nos muscles. Dans le champ de l’imaginaire, le mangeur incorpore les caractéristiques symboliques de l’aliment selon le principe « je deviens ce que je mange ». Exemple : de l’écureuil qui est interdit aux femmes enceintes par les fangs du Gabon. Cet animal a pour caractéristique de pénétrer dans les troncs des arbres. L’imaginaire de ces peuples leur renvoi l’idée que si la femme enceinte consomme de l’écureuil, le fœtus imitera la bête et refusera d’évacuer l’utérus de la jeune maman. Inconsciemment toutes les cultures possèdent des codes et des usages au niveau des aliments. Nous mangeons suivant des règles et des prescriptions culturelles. Selon J.P.POULAIN48, les modèles alimentaires, permettent de lier les groupes humains à leurs milieux (entre culture et nature). Ces modèles contribuent à la construction identitaire et à la différenciation sociale à l’intérieur d’une même population. Ils sont transmis de génération en génération. En effet, les modèles alimentaires évoluent dans le temps et dans l’espace. Ils établissent des règles socialement définies qui fixent le choix des aliments, la manière dont les aliments sont préparés, le mode de consommation et le rythme de consommation. J.P.POULAIN expose « l’espace social alimentaire » (cf. Annexe 3) pour essayer de comprendre les modèles alimentaires. C’est G.CONDOMINAS (1980) qui est à 48 POULAIN J.P, Manger aujourd’hui, Attitude, normes et pratiques, Editions Privat, Paris, 2002, pages.23-38 67 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 l’origine de ce concept « d’espace social ». Il le définit comme « espace déterminé par l'ensemble du système de relations, caractéristique du groupe considéré »49. J.P.POULAIN (1985), lui, développera le terme d’espace social alimentaire en appuyant son concept sur la notion de dynamique de l’alimentation, et la notion de corrélation entre nature et hommes. L’espace social alimentaire se définit par la capacité d’un individu ou d’une population à adapter son alimentation en fonction de sa culture tout en prenant en compte les contraintes physiologiques, économiques, et en respectant un certain espace de liberté. Six dimensions constituent l’espace social alimentaire : - l’espace du mangeable : sélection des substances naturelles (minérales, végétales, animales) mis à disposition des hommes par la nature. Cette sélection définit les aliments que les Hommes considèrent mangeables. De plus, l’aliment doit répondre à des critères nutritionnels, biologiques et culturels. - le système culinaire : correspond à l’ensemble des structures technologiques et sociales qui permettent à un aliment d’arriver jusqu’au consommateur. Ce système culinaire comprend toutes les étapes de production des produits alimentaires ainsi que les acteurs de la filière alimentaire. - l’espace culinaire : c’est l’ensemble des actions techniques, des opérations symboliques et des rituels effectués par les individus pour participer à la construction de l’identité alimentaire d’un produit naturel et pour le rendre consommable (technique culinaire, répartition sexuelle des tâches, organisation et aménagement de la cuisine…) - l’espace des habitudes alimentaires : cet espace recouvre les rituels et les règles qui entourent l’acte alimentaire : définition du repas, son organisation, la structure des repas, les manières de tables … 49 CONDOMINAS George, L’espace social à propos de l’Asie du Sud-Est, Flammarion, Paris, 1980 68 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 - la temporalité alimentaire : s’inscrit dans des cycles temporels socialement déterminés par les cycles de la vie des hommes (alimentation du nourrisson, de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte, du vieillard), mais aussi par des cycles de rythme des saisons et du rythme journalier (temps de travail, temps de repos, loisirs, horaires des repas…) - l’espace de différentiation sociale : l’alimentation marque des frontières identitaires entres des groupes humains de différentes cultures, mais aussi des groupes d’individus d’une même culture. Un aliment sera accepté par un groupe et rejeté par un autre marquant ainsi une appartenance à des groupes sociaux. 2 Le mangeur Comme on vient de l’expliquer, l’être humain est commandé par un sentiment de faim avant l’acte alimentaire. Il existe différentes façon de travailler sur l’alimentation. Une approche interactionniste qui s’intéresse à l’individu dans la société, une approche en termes d’espace alimentaire qui fonde son travail sur les normes sociétales. Et une approche en termes d’imaginaire qui étudie le comportement de l’individu face à son alimentation. Considérons cette dernière approche présentée par C.FISCHLER afin d’essayer de comprendre comment l’individu se construit à travers son alimentation. 2.1 La pensée magique Cette théorie est fondée sur une croyance imaginaire entre le mangeur et le mangé. Il s’agit d’une contamination imaginaire de l’aliment. Elle répond à deux lois qui sont : La loi de contagion (ROZIN, 1976) : tout aliment mis en contact avec un cafard se cafardise pour toujours. La loi de similitude : l’image de l’aliment égale l’aliment. 69 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Cette pensée magique fonctionne sur un mode négatif mais aussi sur un mode positif ( la cuisine de ma grand-mère, me rappelle des souvenirs). Dans la religion juive, un produit « pur » touché par un « non-juif » devient un produit « impur » et sera donc non-consommable. On est dans le principe de la loi de contagion. Dans la religion musulmane, un produit qui n’a pas la certification « Hallal » ne sera pas consommé par les musulmans. Il s’agit pour ces deux exemples de contaminations spirituelles et non sanitaires. 2.2 Le paradoxe de l’homnivore (ROZIN, 1976 et FISCHLER, 1990) Le statut d’Omnivore50 donne à l’homme des possibilités d’adaptation supérieure à celles des mangeurs spécialisés comme les herbivores. En effet, il est capable de se nourrir d’une infinité de produits. Néanmoins, l’homme est doté d’une génétique qui le limite dans ses capacités métaboliques, mais qui le laisse libre dans ses choix alimentaires. L’omnivore a une certaine autonomie, liberté et adaptabilité en termes de choix alimentaire. Pour vivre, il a besoin de jouer sur la variété. En effet biologiquement l’homme est condamné à cette variété alimentaire car le corps ne synthétise et ne stocke pas toutes les substances indispensables à l’organisme. Il est libre de se déplacer, de changer d’alimentation, mais celui-ci reste sur une alimentation connue. L’omnivore est tiraillé entre le désir de l’innovation (néophilie) et l’anxiété, la peur de la nouveauté (néophobie). 50 C.FISCHLER, Gastronomie et gastro-anomie. Sagesse du corps et crise bio-culturelle de l’alimentation moderne, revue Communications, Année 1979, Volume 31, Numéro 1, page 189 – 210 70 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 La néophobie : peur de l’inconnu. Apparenté au conservatisme alimentaire ; on consomme ce que l’on connaît de peur de se contaminer. La néophilie : se définit par le besoin de changement. Innover et expérimenter pour satisfaire les besoins métaboliques du corps humain. 2.3 Le principe d’incorporation (C.FISCHLER, 1990) L’acte de manger correspond au processus de faire entrer en soi un objet étranger. En mangeant l’homme s’intègre dans un espace social culturel. La nourriture, les manières de manger, la cuisine, insèrent le mangeur dans un univers social. Processus d’incorporation : l’homme observe, l’homme pense, l’homme devient. Le principe d’incorporation peut être vu sur trois plans différents : objectif, imaginaire, sociologique : Sur un plan objectif : l’aliment consommé pénètre notre corps, et participe à son fonctionnement et sa constitution. Les aliments procurent aux individus tout ce dont le corps a besoin pour remplir ces fonctions vitales. Ce qui est incorporé modifie l’état de l’organisme (les acides aminées, les vitamines…) Sur un plan imaginaire : les propriétés d’un aliment sont censées devenir celles du mangeur. L’homme consomme des aliments chargés de significations. Exemple de l’exo-cannibalisme : l’individu s’approprie des caractéristiques de la victime en la dévorant. Sur un plan sociologique : manger est un acte qui contribue à la construction identitaire des individus. Une personne qui ingère un produit valorisé par un groupe social, est aussitôt intégrée dans ce groupe. L’acte alimentaire définit un sentiment collectif d’appartenance. L’anxiété du mangeur face à l’ingestion d’un aliment est basée sur la perte d’identification et de connaissance de l’aliment. Le mangeur perd son identité. 71 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 2.4 Le triangle du manger Pour parler de l’alimentation, J.P.CORBEAU identifie un mangeur, un aliment et une situation. Ces trois éléments fondent le triangle du manger51. Tous les mangeurs s’inscrivent dans le « triangle du manger ». Le mangeur : produit et suit des modèles, des normes de comportements alimentaires socialement définies. Sa position sociale influe sur ses habitudes alimentaires, et son comportement alimentaire. Afin de comprendre le mangeur, il nous faut l’appréhender dans l’espace et dans le temps. L’aliment : un des trois sommets du triangle est représenté pas les aliments. Les aliments véhiculent des symboles par leurs histoires avec les mangeurs. Ils sont inconsciemment source de peur ou au contraire ils rassurent les mangeurs. La situation : elle permet de développer des formes de sociabilité entre les mangeurs. Elle peut être habituelle ou exceptionnelle. On peut être dans une situation de commensalité (manger avec autrui) ou bien être seul. Comme l’aliment, la situation rassure ou stress le mangeur. 51 CORBEAU.J.P, « pour une approche plurielle de notre alimentation », Cholé-doc, novembre-décembre 2007, numéro 104, page 1-6 72 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Le triangle du manger52 varie en fonction du temps et de l’espace. 52 Schéma du cours de Sociologie de l’alimentation de T.FOURNIER, Master 1 alimentation « sciences sociales appliquées à l’alimentation » 2009/2010 73 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 J.P.CORBEAU tente de définir le mangeur comme un individu pluriel. Il serait en effet capable de s’adapter aux différents contextes sociaux qu’il fréquente, aux types d’aliments qu’il consomme. Le mangeur modifie son comportement suivant son milieu. Afin d’expliquer la pluralité des comportements des mangeurs, J.P.CORBEAU s’intéresse aux trois groupes de mangeur définis par LEDRUT (1979) auquel il rajoute une catégorie : Les complexés du trop : ces mangeurs sont anxieux face à l’alimentation. Manger est porteur de risque. On peut distinguer dans cette typologie de mangeurs, quatre sous-catégories. Tout d’abord, « les pathologies alimentaires » : on y retrouve les troubles du comportement alimentaire. Puis, « la trajectoire du paraître social » : où le modèle de minceur et d’esthétique pèse énormément. Ensuite, « la trajectoire de la santé » : on trouve ici des mangeurs qui se soucient des effets de l’alimentation sur leur santé. Enfin, « les trajectoires fondées sur des croyances ou idéologies religieuses » qui correspondent à des mangeurs construisant leur alimentation autour des interdits religieux. Les tenants du nourrissant léger : ces mangeurs sont à l’écoute des informations diététiques. Ils suivent un équilibre entre le plaisir de manger et le souci d’être en bonne santé. Les tenants du nourrissant consistant : correspondent à des mangeurs traditionnels. Dans cette typologie l’importance est mise sur la valeur énergétique des aliments. Catégories majoritairement constituées de personnes âgées. Les gastrolastress : vient du mot « gastrolâtre » de Rabelais. Désigne des mangeurs alternant restauration rapide, déstructuration des repas en période de stress, avec une alimentation gastronomique le week-end et le soir après les temps de travail. 74 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Il s’agit bien évidemment d’une typologie idéale des mangeurs. La réalité ne se confond pas aussi simplement avec ces catégories. Dans l’univers actuel des mangeurs, une pathologie de l’alimentation quotidienne est apparue. Elle est caractérisée par des dérèglements de l’appétit, des poussées boulimiques ou anorexiques, des grignotages importants et compulsifs. Nous ne vivons plus dans une société du bon repas mais plutôt dans une société marquée par un grand grignotage. 3 Les évolutions des manières de manger 3.1 Manger à notre époque Actuellement, nous ne mangeons plus comme on l’a fait pendant longtemps. Les bon repas chargés en plats et en calories ne se vivent plus dans le plaisir. En effet, nous mangeons avec un sentiment de culpabilité permanent. Chaque bouchée avalée est accompagnée d’une prise de conscience du poids que l’on peut prendre. Notre alimentation a évolué. Les nouveautés dans les domaines agro-alimentaires et agronomiques ont transformé notre alimentation. Elle s’est industrialisée. Parlons des engrais et pesticides qui permettent d’augmenter les récoltes. La génétique qui augmente le rendement de différents produits végétaux. Ou encore la mécanisation des exploitations agricoles qui facilite le travail des agriculteurs. L’augmentation du tourisme et des échanges internationaux ont permis de découvrir de nombreux produits et les manières de les consommer. Tous ces exemples, montrent bien que notre alimentation est de plus en plus robotisée, transformée et venue d’ailleurs. Actuellement, la plupart de nos aliments sont passés aux mains de l’industrie. Dans nos sociétés, le terme de risque a fortement augmenté avec l’abondance alimentaire dans laquelle nous vivons. Ce risque a longtemps été significatif d’un manque de nourriture pour la population. Mais aujourd’hui, il s’agit d’un risque sanitaire dont les consommateurs sont conscients. On parle d’intoxication 75 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 d’origine chimique ou microbiologique : car nos aliments passent par tout un tas de procédés avant d’être consommable et mis sur le marché. Etrangement, le monde dans lequel nous vivons se divise en deux populations : ceux qui ont peur de manquer de nourriture et ceux qui ont peur des aliments. Il me semble important de noter que plus les études, les tests sont élaborés pour justifier une bonne hygiène ou encore les modes méthodes de production des aliments , plus le public se pose des questions. Nous évoluons dans une société d’abondance alimentaire certes, mais aussi dans une société de stress permanent concernant notre santé, notre corps… 3.1.1 La modernité et surabondance alimentaire Dans nos sociétés occidentales, la modernité alimentaire est un terme défini par un affaiblissement des normes sociales encadrant l’acte alimentaire. Cela entraîne une augmentation de la prise de conscience des mangeurs sur leur rapport à l’alimentation. Les usines se voient récupérer des tâches qui s’effectuaient à l’époque en cuisine. Le temps consacré à la préparation des repas a fortement diminué. Les nouvelles techniques de conservation, de préparation, ou autre, des industries agroalimentaires sont bien ancrées dans cette nouvelle société industrielle dans laquelle nous vivons. Les progrès de distribution des denrées alimentaires, par différents transports, permettent la consommation de produits venus du monde entier. Autrefois consommés que très rarement et par la classe haute de la société ayant les moyens d’acheter ces produits dit « exotiques ». Les pays riches ont vu disparaître l’anxiété des famines grâce à l’industrialisation du secteur de l’agroalimentaire et à la modernité de l’agriculture. C.FISCHLER (1979) dit « une partie de l’humanité s’est trouvée comblée de tous les bienfaits alimentaires que son ancêtre paléolithique aurait pu rêver ». En effet, l’homme chasseur-cueilleur que nous étions avant n’avait pas le plaisir de s’offrir viandes, fruits et légumes, graisse et sucreries à tous les repas. 76 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Dans les années soixante, sont apparues les premières grandes surfaces. Ce qui a révolutionné les comportements alimentaires et les habitudes de consommation de la population. Toutes ces denrées déjà transformées, prêtes à la consommation ont petit à petit réduit les tâches culinaires effectuées au sein de la famille. Une forme de transmission de savoir tend à s’effacer peu à peu. La cuisine est un lieu d’apprentissage de normes et de valeurs. Les femmes ont une vie active de plus en plus marqué, elles passent moins de temps en cuisine. Le travail prenant une place prépondérante dans la vie, le temps consacré aux repas est donc devenu limité. Aujourd’hui, ce n’est plus l’alimentation qui rythme nos journées, mais plutôt le travail qui règle nos habitudes de consommation. Les individus habitant de plus en plus loin de leurs lieux de travail déjeunent, pour la plus part sur place, et rentrent tard chez eux. Comme énonce C.FISCHLER (1979) : « le mangeur moderne est un mangeur solitaire ». Le repas, hautement socialisé, devient de plus en plus un mode d’alimentation qualifié de snack fondé sur un grignotage important, c’est à dire plusieurs petites prises alimentaires tout au long de la journée…L’aliment devient un objet de pure consommation, il perd tout symbole et valeur. Le lien entre le mangeur et le mangé s’estompe. Autrefois, le choix alimentaire était dicté par les ressources, par un groupe, par des traditions, des rituels…Actuellement, le régime alimentaire est un choix individuel. Le mangeur moderne est seul, livré à lui-même dans cette société d’abondance. La modernité alimentaire est basée sur un mode de déstructuration. Reprenons les propos de J.P.POULAIN53 qui n’hésite pas à parler « d’un système dé » : dé-structuration, dé-socialisation, dé-sinstitutionnalisation, dé-implantation des horaires, dé-ritualisation…Cette situation met le mangeur moderne face à ses choix. 53 POULIAIN.J.P, sociologies de l’alimentation, , Paris, Edition PUF, 2005, page 52 77 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 C.FISCHLER parle de « gastro-anomie » qui se définit par l’absence de règles autour de l’acte alimentaire. Mais reprenons une de ses interrogations : la gastroanomie aboutirait-elle à de nouvelles gastronomies54 ? 3.1.2 Affaiblissement des normes autour du repas Halbwachs (1912) pose le repas comme une institution sociale jouant un rôle dans le processus de socialisation et de transmission de normes. Les pays développés traversent une période de changement de leurs systèmes normatifs concernant les pratiques et les représentations alimentaires. Le repas est un moment de partage, d’écoute, de socialité. Il répond à des règles en fonction de chaque peuple, chaque tradition, chaque culture. Ces règles sont transmises de génération en génération. En France, la norme sociale concernant la structure des repas est une unité de quatre items : entrée, plat garni, fromage, dessert. Or, on constate une simplification de cette norme à trois items : entrée, plat garni, dessert. Le plus souvent, nous faisons trois repas par jour : le petit-déjeuner, le déjeuner et le diner. Cependant, il semblerait qu’à l’heure actuelle, les individus prennent de plus en plus un « petit-déjeuner simplifié55 » c'est-à-dire boisson et céréales. Le déjeuner et le diner, sont constitués d’un plat principal et d’un item. C’est sûrement une nouvelle norme qui apparaît. Cette transformation est liée aux nouvelles manières de vivre en société. Le déjeuner est pris, soit dans un restaurant d’entreprise soit dans une restauration rapide que l’on trouve actuellement à chaque coin de rue. Le soir, il s’agit de faire à manger rapidement. C’est là que les individus utilisent les produits prêt à l’emploi des grandes surfaces : les congelés, les conserves, les légumes 54 FISCHLER Claude, Gastronomie et Gastro-anomie, 1979, Communication, Volume 31, N°1, pp. 189-210 55 Cours de J.P.POULAIN, la modernité alimentaire, Master 1 alimentation sciences sociales appliquée à l’alimentation, Toulouse, université du Mirail – CETIA, 2009/2010 78 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 prélavés, accompagnés d’assaisonnement et de sauces déjà élaborés, ou les consommateurs se tournent vers les plats cuisinés…Toutes sortes de nourriture variées qui pourraient peut-être nous inquiéter quant à l’alimentation future de nos enfants. Y a-t-il encore des enfants qui savent que la purée se fait aussi avec des pommes de terres et non pas seulement en versant les flocons d’un sachet dans l’eau ! Une cuisine plus traditionnelle retrouve sa place dans les foyers, le week-end. Les familles ont le temps de faire le marché (retour aux produits frais) et surtout de cuisiner les produits avec un réel plaisir !. 3.2 Evolution des troubles alimentaires La société, les modes de vies, les normes, les valeurs, la socialisation jouent un rôle dans notre rapport à l’alimentation. Là, où l’abondance alimentaire et le culte de la minceur sont mis au devant de la société, les troubles du comportement alimentaire se développent fortement au sein de la population surtout féminine et auprès des jeunes. En effet, on évolue dans un contexte qui nous incite à maitriser notre corps et qui nous propose de manger à profusion. Les troubles des conduites alimentaires sont une façon de se faire exister. En manque d’identité, les personnes boulimiques en transformant leurs corps se donnent l’impression de se recréer une identité. Dans cette société en perte de certaines normes ou en construction de normes, l’individu est perdu. Comme l’ont souligné plusieurs auteurs : « le mangeur moderne est un mangeur solitaire ». Les jeunes aujourd’hui, ont une conception de leur vie totalement différente de celle de leurs parents ou de leurs grands-parents. Cette ouverture de vie implique excitation et anxiété. Actuellement, les valeurs de la société tendent vers une contrainte de la performance et de la réussite personnelle. Il faut en permanence se référer à un comparatif, un idéal souvent difficile à atteindre. Il faut toujours faire mieux, faire ses preuves... C’est bien le constat de l’anorexie qui pousse l’individu à toujours perdre plus de kilogrammes. 79 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 L’adolescence est une période de la vie caractérisée par des changements physiologiques et sociaux. Les jeunes délaissent leur personnalité d’enfant et progressent vers une personnalité d’adulte. Durant cette période de transition, les jeunes peuvent « tomber » dans les troubles du comportement alimentaire. Devoir se construire une identité, évoluer vers une société inconnue, tous ces changements perturbent le jeune dans sa construction. L’abondance alimentaire, le nombre important de restauration rapide ouverte à n’importe quelle heure, poussent nos jeunes à adopter des comportements alimentaires dits de : « street food 56».Déjeuner à l’extérieur attire les jeunes, ils se sentent plus libres, plus autonomes. Ils sont maîtres de leur temps, alors Ils réinventent des codes, et des normes en termes d’alimentation. C’est une nouvelle institution, hautement socialisée, qui s’élabore. …En région parisienne, (exemple : près du boulevard Saint Michel) les jeunes se retrouvent de plus en plus dans ce quartier ,entre copains : partager une pizza, une bouteille de soda, s’asseoir sur un banc, discuter, partager des moments conviviaux On remarque que les industries ont bien pris en compte ce phénomène, en portant une attention spéciale aux emballages. Des produits nouveaux apparaissent : des yaourts à boire, des salades composées munies de leurs couverts…tous ces produits plaisent beaucoup aux adolescents. L’adolescence est une période de construction identitaire importante dans la vie d’un individu. Le jeune sera toujours en décalage, d’un individu à l’autre .Un malêtre profond ou une souffrance peuvent se traduire par une agressivité envers l’autorité parentale ou des adultes. Les jeunes cherchent à fuir l’espace familial. Par exemple, ils essaient de manger dans des lieux non occupés par des adultes. 56 CERIN, Pour les ados le meilleur endroit pour manger c’est la rue, Alimentation santé et petit budget, octobre 2009, numéro 47, page 3-7 80 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 L’adolescent, est face à ce qu’il est, à ce qu’il a en lui. Il doit se construire. Les troubles du comportement alimentaire marquent souvent un manque d’estime de soi, et une image négative de soi. Ces adolescents doutent de leurs capacités. Leur image corporelle exerce une influence sur leurs pratiques alimentaires. Dorothée GUILHEM et Meryem SELLAMI57 ont établi trois catégories d’adolescentes suivant leurs restrictions alimentaires : Premier cas : le but des adolescentes est de s’imposer des interdits. Ils correspondent le plus souvent à des aliments gras, sucrés comme les chips, le chocolat, les sodas…ou encore de s’interdire le grignotage. Ces jeunes veulent résister à la tentation de consommer certains aliments qui pourraient les faire grossir. Deuxième cas : des adolescentes préfèrent diminuer leur ration quotidienne. En évitant de se resservir ou alors en ne prenant qu’un seul item pendant le repas (soupe, salade…). Elles sautent parfois un repas, souvent celui du midi, qui est sans surveillance parentale. Troisième cas : il s’agit des troubles du comportement alimentaire comme la boulimie ou l’anorexie. Le but étant de manger puis d’aller se faire vomir. L’adolescence est donc une période « critique ». Elle peut être à l’origine du développement des troubles alimentaires. Effectivement, le jeune découvre de nouveaux apprentissages, il apprend à gérer différentes situations et son temps. Contrairement à l’enfant qui lui est encore éduqué dans ses choix. L’adolescent, quant à lui, est confronté à ses propres choix 57 D.GUILHEM et M.SELLAMI, Alimentation des adolescents en France, « Embellir son corps en mangeant », Cahier de l’OCHA numéro 14, septembre 2009,, page 84 81 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Conclusion Générale L’alimentation fait partie des processus de construction identitaire d’une personne. Néanmoins, il faut prendre en compte que les normes et les valeurs édictées par l’alimentation évoluent au fil du temps. Nos cultures, guident nos façons de percevoir et de construire nos relations sociales. Elles changent d’une population à l’autre, d’un pays à l’autre. La société d’aujourd’hui connaît une augmentation des pathologies alimentaires sûrement liée au paradoxe : surabondance alimentaire et idéal de minceur. Cependant, cet idéal influence le comportement alimentaire des individus mais il n’est pas la seule cause d’un certain mal-être. Les troubles alimentaires étaient déjà bien connus à l’époque des Romains. Les troubles du comportement alimentaire sont des pathologies médicales, mais pour mieux les comprendre et les traiter, nous devons appréhender l’individu dans sa globalité. En effet, certaines pathologies nécessitent une connaissance médicale stricte mais pour d’autres nous devons étudier le comportement de l’individu en tant que mangeur dans ’une société en perpétuelle évolution. Le traitement de ces pathologies est donc un travail inter pluridisciplinaire réunissant de nombreux spécialistes : médecin, nutritionniste, diététicienne, psychologue, sociologue…sans oublier les parents et bien sûr le jeune. 82 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 BIBLIOGRAPHIE « L’ère du post-féminisme », sciences humaines, avril 2010 - mensuel n°240 « L’Espagne refuse les mannequins trop maigres », [En ligne], consulté le 19 mai 2010 disponible sur http://femmes-sans-complexes.fr/2006/09/11/28/lespagnerefuse-les-mannequins-trop-maigres/ « Pouvoir des apparences - beauté et idéal corporel - », [En ligne], consulté le 20 mai 2010 disponible sur http://bodyline.chez.com/apparences.htm « Soins minceur » - rubrique minceur - [En ligne], consulté le 30 mai 2010 disponible sur http://www.elle.fr/elle/Minceur/Soins-minceur/ APFELDORFER.G, Je mange donc je suis - surpoids et troubles du comportement alimentaire -, Paris, Edition Payot, 1993, 328 pages Article « rapports sociaux de sexe et conceptualisation sociologique » Anne-Marie DAUNE-RICHARD et Anne-Marie DEVREUX, Recherches féministes, vol. 5, n° 2, 1992, p. 7-3 [en ligne], consulté le 18 avril 2010 disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/057697ar BOËTSCH.G, « Les femmes ne vieillissent jamais », Corps sous influence, 2004, cahier de l’OCHA n°10 page 63-74 BONTE-IZARD, « La différenciation des sexes », dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, Edition PUF, 2002, 864 pages BouliAna « Anorexie, boulimie : victime de la mode » [En ligne], consulté le 26 mai 2010 disponible sur http://www.bouliana.com/site/ Catéchisme de l’Eglise catholique, vie chrétienne, les dix commandements, [en ligne], consulté le 25 mai 2010, disponible sur http://viechretienne.catholique.org/cec/ CORBEAU.J.P, «les canons dégraissés : de l’esthétique de la légèreté au pathos du squelette», Corps sous influence, 2004, cahier de l’OCHA n°10 page 47-62 83 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 DE SAINT POL.T, « Surpoids, normes et jugements en matière de poids : comparaison européennes », population et sociétés numéro 45, avril 2009, page 1-4 DETREZ.C, la construction sociale du corps, Paris : Édition SEUIL 2002, 257 pages Dc CHEVALLIER.L, Tout savoir sur les aliments, Paris, Fayard 2007, 368 pages DIASO.N et PARDO.V, « corps, alimentation et santé : de surprises adolescentes au besoin d’une éducation alimentaire..et non d’une éducation nutritionnelle », Cholé-doc, septembre-octobre 2009, numéro 15. 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2009-2010 ANNEXE 3 « L’espace social alimentaire60 » POULAIN.J.P 60 Schéma de J.P.POULAIN, Cours master 1 alimentation sciences sociales appliquées à l’alimentation, Toulouse, université le Mirail – CETIA, 2009/2010 89 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Table des matières REMERCIEMENTS ................................................................................................ 4 SOMMAIRE ............................................................................................................ 5 Introduction Générale ............................................................................................. 8 PARTIE 1 : La boulimie ........................................................................................ 10 1 2 La boulimie : un phénomène non médical ..................................................... 11 1.1 La boulimie chez les Romains ................................................................. 11 1.2 Les repas de fêtes chez les romains ....................................................... 11 La boulimie perçue progressivement comme une maladie. .......................... 13 2.1 Avant le XIXème siècle ........................................................................... 13 2.2 Au XIXème siècle. ................................................................................... 14 2.3 Au début du XXème ................................................................................ 15 2.4 Moitié du XXème siècle, vers une autonomisation du syndrome boulimique. ....................................................................................................... 17 3 Evolution des définitions de la boulimie........................................................ 18 3.1 Définition ................................................................................................. 18 3.2 Explication d’une crise............................................................................. 21 3.2.1 Les circonstances de l'accès. ........................................................... 21 3.2.2 La pré-crise. ...................................................................................... 22 3.2.3 La crise. ............................................................................................ 23 3.2.4 La fin de la crise................................................................................ 24 90 La boulimie et ses déterminants sociaux 3.2.5 4 5 2009-2010 La post-crise. .................................................................................... 24 Facteurs de vulnérabilité ............................................................................... 26 4.1 Facteurs biologiques ............................................................................... 26 4.2 Facteurs sociaux et environnementaux ................................................... 28 Modèle d’autorégulation des différentes émotions d’un individu ................... 31 5.1 L’estime de soi ........................................................................................ 34 5.2 Stratégie de coping ................................................................................. 34 5.3 L’autocontrôle .......................................................................................... 36 5.4 Les buts personnels de vie...................................................................... 36 PARTIE 2 : Le rapport au corps des femmes ....................................................... 39 1 2 Le corps de la femme dans nos sociétés ...................................................... 40 1.1 Rapport de sexe ...................................................................................... 40 1.2 Les normes corporelles dans la société .................................................. 44 1.3 Les femmes face à leur corps ................................................................. 48 1.4 Le corps et son évolution au sein de la société ....................................... 52 Le rôle des institutions médicales et sociétales............................................. 57 2.1 Les médias et leurs influences ................................................................ 58 2.2 Le culte de la minceur véhiculé par les médias ....................................... 60 Partie 3 : L’alimentation au sein des troubles du comportement alimentaire ........ 65 1 Comportement alimentaire ............................................................................ 66 2 Le mangeur ................................................................................................... 69 91 La boulimie et ses déterminants sociaux 3 2009-2010 2.1 La pensée magique ................................................................................. 69 2.2 Le paradoxe de l’homnivore (ROZIN, 1976 et FISCHLER, 1990) ........... 70 2.3 Le principe d’incorporation (C.FISCHLER, 1990) .................................... 71 2.4 Le triangle du manger ............................................................................. 72 Les évolutions des manières de manger ....................................................... 75 3.1 Manger à notre époque ........................................................................... 75 3.1.1 La modernité et surabondance alimentaire ....................................... 76 3.1.2 Affaiblissement des normes autour du repas .................................... 78 3.2 Evolution des troubles alimentaires ......................................................... 79 Conclusion Générale ............................................................................................ 82 BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................. 83 SOMMAIRE DES ANNEXES ............................................................................... 86 ANNEXE 1............................................................................................................ 87 « Il bagno », BOTTERO, ...................................................................................... 87 ANNEXE 2............................................................................................................ 88 Le bain turc », INGRES, ....................................................................................... 88 ANNEXE 3............................................................................................................ 89 « L’espace social alimentaire » ............................................................................ 89 Table des matières ............................................................................................... 90 92 La boulimie et ses déterminants sociaux 2009-2010 Titre : La boulimie et ses déterminants sociaux De nombreuses personnes sont victimes des troubles du comportement alimentaire. Dans neuf cas sur dix, ce sont des femmes. La mode prône un idéal de minceur, que toutes les femmes veulent atteindre. La plupart ont tout pour plaire. Néanmoins, elles vont quand même s’enfermer dans des comportements nuisibles pour leur santé afin de modifier leur corps et son apparence. Dans ce mémoire, nous essaierons de regarder de plus près ce qui pousse les individus à avoir des attitudes autodestructrices. Mots clefs : alimentation, boulimie, comportement, corps, minceur, normes pathologie, société, Title: Bulimia and her social determinants Nowadays, many people are suffering from psychological eating disorders. Most of them will be women. Fashion industry and advertising advocate “the” perfect body that all women should strive to achieve. Most of them are already very attractive but will still behave in dangerous and unhealthy ways in order to modify their body and the way they appear. In this essay, we will look closely at what brings people to self- destruction. Key words: food, bulimia, behavior, body, thinness, norm, pathology, society, 93