Alphabétisation et instruction civique des femmes de Fogo (Cap Vert)
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Alphabétisation et instruction civique des femmes de Fogo (Cap Vert)
«ALPHABÉTISATION ET INSTRUCTION CIVIQUE DES FEMMES DE FOGO» (CAP VERT) 1984-1987 EXTRAIT, PRÉPARÉ PAR BABA AKHIB HAÏDARA, d’après le rapport d’évaluation du projet établi en septembre 1989 conjointement par le BREDA et les services compétents du gouvernement Capverdien 2. PROJET D’ALPHABÉTISATION ET D’INSTRUCTION CIVIQUE DES FEMMES DE FOGO (CAP VERT) I. ORIGINE DU PROJET 1. Lors de la 22e session de la Conférence générale de l’UNESCO tenue à Paris, du 25 octobre au 26 novembre 1983, la résolution DR9 a recommandé que dans le cadre du Sous-programme II.4.2 “Généralisation et accès à l’éducation pour les jeunes filles et les femmes”, une attention particulière soit portée à l’alphabétisation et l’instruction des femmes. C’est pour donner suite à cette recommandation que l’UNESCO, en collaboration avec le gouvernement du Cap Vert, a conçu et lancé le projet d’alphabétisation et d’instruction civique des femmes de Fogo. 2. Partie intégrante des dix îles composant l’archipel du Cap Vert, Fogo compte, d’après le recensement de 1989, une population globale de 35.000 habitants comprenant 10.157 analphabètes dont 7.101 femmes et constitue ainsi une des régions du pays où le taux d’analphabétisme est le plus élevé. A l’image de tout le pays, Fogo n’échappe pas au phénomène de l’émigration de la population active masculine qui constitue un frein au développement des zone rurales où l’on ne trouve qu’une prédominance de femmes analphabètes. En raison du rôle que cette couche féminine devrait jouer, le plan opérationnel national d’alphabétisation a accordé une priorité à l’alphabétisation des femmes. 3. Le projet s’inscrit dans ce plan opérationnel dont la mise en oeuvre a commencé au cours du premier Plan de développement national 1982-1985 et se poursuit avec le deuxième Plan 1986-1990. Il s’inscrit par ailleurs dans le cadre du Programme régional d’élimination de l’analphabétisme en Afrique auquel le Cap Vert participe activement. 4. Le projet d’alphabétisation et d’instruction civique des femmes de Fogo trouve ainsi sa justification, d’une part, par rapport au public cible visé, si l’on considère le taux élevé d’analphabétisme chez les femmes de l’île et leur rôle déterminant dans le processus de développement socio-économique, et, d’autre part, par rapport aux efforts du Cap Vert pour développer l’alphabétisation susceptible non seulement d’impulser le dynamisme nécessaire aux plans de développement économique du pays mais aussi d’arriver à l’émancipation de la femme en assurant l’éducation des mères et des jeunes filles. II. CADRE INSTITUTIONNEL 5. Le projet fait partie intégrante du programme national d’alphabétisation exécuté par la direction générale de l’éducation extrascolaire placée sous la tutelle du Ministère de l’Education. Sa mise en oeuvre est réalisée en étroite collaboration avec l’Organisation des femmes du Cap Vert (OMCV). 6. Au niveau local, c’est-à-dire à Fogo, le projet bénéficie du suivi de l’équipe régionale des services de l’alphabétisation dirigés par un coordonnateur régional. Ce dernier reçoit, de façon constante, pour l’organisation des activités du projet, l’appui d’un comité de coordination de l’alphabétisation composé des représentants des différentes institutions politiques, administratives et sociales de Fogo. 3. 7. Le projet bénéficie en outre, sur le plan local, de la collaboration des agents des départements de la santé et des affaires sociales, du développement rural, de l’entreprise nationale des ports (ENAPOR), de l’entreprise nationale d’approvisionnement (EMPA), du projet de développement intégré FOGO-BRAVA et du projet pour la culture du ricin. 8. Les cercles de culture (centres d’alphabétisation) sont encadrés et animés par des alphabétiseurs en grande majorité constitués de femmes issues du milieu paysan. 9. Il importe de souligner que dans le cadre de la restructuration du Ministère de l’Education, intervenue en 1987, le service de l’éducation extra-scolaire a été érigé en direction générale et conséquemment dotée de moyens humains et matériels. Les nouvelles divisions mises en place dans ce contexte, notamment celles chargées de la formation et de l’élaboration du matériel didactique, ont contribué à l’amélioration qualitative des activités d’alphabétisation. En effet, la présence des équipes mobiles de formation, de suivi et d’évaluation a été de nature à élever le niveau général des compétences de l’encadrement sur le terrain. III. OBJECTIFS DU PROJET III.1 10. Objectifs à moyen terme Dans le plan d’opération signé de commun accord en 1984 entre l’UNESCO et les autorités du Cap Vert, les objectifs à moyen terme du projet sont les suivants : − contribuer à la réalisation du programme national d’alphabétisation ; − renforcer la participation des femmes au développement. III.2 11. Objectifs à court terme L’exécution du projet s’est appuyée sur les dispositions des programmes et budgets approuvés pour 1984-1985, 1986-1987, 1988-1989 (22 C/5, 23 C/5 et 24 C/5). Ces dispositions ont permis de définir les objectifs à court terme du projet selon trois étapes. 12. Au cours de la première étape devant permettre la mise en oeuvre de la 1ère phase d’alphabétisation et d’instruction civique, les objectifs suivants ont été retenus : − améliorer l’alphabétisation, l’instruction civique de 470 femmes environ ; − contribuer à la formation de 46 alphabétiseurs ; − élaborer et produire une série de fiches d’instruction civique (environ 5.000) et d’affiches de sensibilisation et de formation ; − sensibiliser aux thèmes d’instruction civique liés à l’alphabétisation des cadres des organisations de masse et des services techniques concernés. 13. Pour la deuxième étape devant contribuer à l’extension de la 1ère phase d’alphabétisation et d’instruction civique et au lancement des activités de post-alphabétisation, les objectifs ont été les suivants : − former et recycler 51 nouveaux alphabétiseurs ; − reproduire du matériel d’alphabétisation et d’instruction civique ; − ouvrir 51 nouveaux centres d’alphabétisation pour au moins 500 femmes ; 4. 14. − élaborer et produire du matériel didactique de post-alphabétisation ; − former au moins 46 alphabétiseurs de post-alphabétisation. Au cours de la troisième étape devant permettre le renforcement des activités de post-alphabétisation, les objectifs ont été de : − former au moins 51 alphabétiseurs de post-alphabétisation ; − reproduire du matériel didactique de post-alphabétisation ; − former 21 cadres alphabétiseurs dans les domaines des activités socio-économiques (santé, gestion de l’eau et activités productives) liées au programme de la post-alphabétisation ; − élaborer des guides pour les alphabétiseurs et des brochures pour les auditrices dans les domaines des activités socio-économiques de la post-alphabétisation ; − faire l’acquisition de matériels audio-visuels (une unité de vidéo recorder, 4 radio-cassettes, 1 appareil photo et nécessaires) destinés aux activités d’animation communautaires de postalphabétisation ; − faire l’acquisition des équipements et fournitures (petits outillages agricoles, matériels pour la construction des foyers améliorés en engrais...) pour les activités socio-économiques. 15. Les objectifs à court terme ainsi fixés sont à la fois quantitatifs et qualitatifs. Du point de vue quantitatif, il s’agissait d’installer au moins 108 centres d’alphabétisation pour assurer la formation de près de 900 femmes et jeunes filles avec l’assistance de 108 alphabétiseurs. Du point de vue qualitatif, la formation des 900 femmes et jeunes filles devait leur permettre : − l’acquisition de connaissances instrumentales en lecture, écriture et calcul qui constituent des − l’éducation civique et la formation socio-économique pour assurer, grâce aux nouvelles outils indispensables pour l’exercice de nouvelles compétences et responsabilités ; connaissances ainsi dispensées, l’amélioration des conditions de vie. 16. Il est important de noter que les objectifs ainsi visés concernent aussi bien l’alphabétisation que la postalphabétisation. En effet, il s’agissait non seulement de mettre en place des moyens consistant à amener les femmes à maîtriser les connaissances instrumentales (lecture, écriture, calcul) et à les former pour leur permettre d’assurer leurs responsabilités civiques et économiques, mais également d’élaborer des mesures de suivi pour maintenir les compétences acquises, et les approfondir. VI. RÉSULTATS ET IMPACTS VI.1 34. Résultats La mise en oeuvre du projet devait permettre du point de vue quantitatif : − l’ouverture et le fonctionnement d’au moins 108 centres d’alphabétisation ; − la formation de 108 alphabétiseurs ; − l’alphabétisation et l’instruction civique d’au moins 900 femmes et jeunes filles ; − l’élaboration et la production de matériel didactique d’alphabétisation et d’instruction civique pour les alphabétiseurs et les apprenantes ; − l’élaboration et la production de matériel didactique de post-alphabétisation pour les alphabétiseurs et les apprenantes ; 5. 35. − l’achat d’équipement divers pour la direction de l’alphabétisation à Fogo ; − l’achat de matériels et équipements pour les activités pratiques et productives. Du point de vue qualitatif, la mise en oeuvre devait permettre la formation des 900 femmes et jeunes filles, d’une part, par l’acquisition de connaissances instrumentales en lecture, écriture et calcul, et, d’autre part, en cultivant en elles des attitudes et aptitudes pour l’amélioration de leur condition socioéconomique. VI.1.1 Résultats quantitatifs 36. Au début du projet, la collecte et l’analyse des données de base sur les résultats quantitatifs du projet ont été difficiles, en raison, d’une part, de l’insuffisance de personnel formé à la direction de l’éducation extra-scolaire à l’époque, et, d’autre part, du niveau des alphabétiseurs qui n’accordaient pas toujours l’intérêt qu’il faut à la tenue des registres. Au fil du temps, les séances de formation conséquente ont permis de doter le personnel de nouveaux instruments méthodiques d’intervention sur le terrain, notamment en technique de collecte de données, d’évaluation et de suivi des centres. Grâce aux compétences ainsi acquises, on peut prétendre à la fiabilité des données collectées. a) Cercles de culture (centres d’alphabétisation) et auditrices 37. Selon les données les plus récentes collectées par les services compétents de la direction générale de l’éducation extra-scolaire et confirmées par la coordination de l’alphabétisation à Fogo, le projet a touché 73 cercles de culture de 1ère phase d’alphabétisation, regroupant 438 auditrices et 44 cercles de culture de 2e phase, regroupant 285 auditrices, soit au total 117 cercles de culture pour 723 auditrices femmes et jeunes filles. La mission de suivi effectuée par le BREDA, du 9 au 16 juin 1987, avait constaté un nombre élevé d’abandons. L’objectif d’alphabétisation de 900 femmes aurait été facilement atteint sans ces abandons qui s’expliquent par l’émigration, les licenciements des travailleurs dans certaines entreprises et par la fermeture de certains chantiers où il existait des cercles de culture. b) Alphabétiseurs 38. Le projet a attaché un grand intérêt à la formation des alphabétiseurs. Ainsi au total, 110 alphabétiseurs ont été formés et périodiquement recyclés. 39. Au début du projet, il y avait deux catégories d’alphabétiseurs : les professionnels qui sont des enseignants détachés et les volontaires recrutés parmi les membres des organisations des femmes et des jeunes. Le niveau initial des alphabétiseurs professionnels était celui de l’enseignement de base complémentaire et la plupart des volontaires avait à peine le niveau de l’enseignement de base élémentaire, c’est-à-dire, quatre ans d’enseignement de base. En 1987, pour suppléer au manque à gagner en nombre d’alphabétiseurs, en plus des professionnels et des volontaires, il a été créé une troisième catégorie : “les brigadistes” qui sont des temporaires payés en fonction du nombre de personnes alphabétisées. Pour toutes les trois catégories d’alphabétiseurs, il a été retenu le niveau initial de l’enseignement de base complémentaire. 6. 40. Il convient de noter que la formation et le recyclage périodique des 110 alphabétiseurs comprenant 65 professionnels et volontaires et 45 “brigadistes”, ont mis l’accent sur les activités d’alphabétisation et d’instruction civique. c) Matériels didactiques 41. Dans le cadre des activités d’alphabétisation et d’instruction civique, un effort important a été consacré à l’élaboration et à la production de matériels didactiques. Dès le début du projet, cet effort a porté sur les affiches d’instruction civique qui ont été produites et distribuées dans tous les centres. Pour le programme de lecture, d’écriture et de calcul, il avait été retenu et distribué dans les centres : − pour la première phase d’alphabétisation le manuel “JA CIGA ORA” (vol. 1 et 2) − pour la deuxième phase, les fiches de lecture et le “Manual de MATEMATICA”. Un guide de l’alphabétiseur accompagnait ces manuels. 42. En 1987, avec l’abandon de la méthode Paolo Freire, de nouveaux manuels de lecture, écriture et calcul ont été conçus et distribués dans les centres. Pour la 1ère phase, il s’agit de : − Manual de Alfabetizacâo - 1a fase ; − Manual de Alfabetizacâo - 1a fase Matematica ; − Caderno de exercicos - 1a fase. Pour la 2e phase, les nouveaux manuels sont les suivants : 43. − Manual de Alfabetizacâo - 2a fase - 1 o caderno ; − Manual de Alfabetizacâo - 2a fase - 2 o caderno ; − Manual de Alfabetizacâo - 2a fase Matematica. La mission de suivi du BREDA effectuée du 9 au 16 juin 1987 avait fait remarquer que le matériel didactique utilisé pour la 2e phase, bien conçu du point de vue pédagogique, était d’un niveau supérieur à celui des auditrices, en particulier pour ce qui concerne l’introduction des textes littéraires. En conséquence, la direction générale de l’éducation extra-scolaire a entrepris une révision de ce matériel didactique. 44. Dans le cadre des activités de post-alphabétisation, suite au séminaire atelier sur les techniques d’élaboration de matériel didactique de post-alphabétisation organisé du 25 mars au 4 avril 1987, avec l’encadrement d’un consultant, il a été décidé d’élaborer et de produire 9 brochures et 9 affiches collectives sur des thèmes approfondis d’instruction civique. Ces brochures et affiches ont été élaborées et seront produites en novembre 1989 pour les centres. 45. Il convient de noter que pour encourager les néo-alphabètes à faire usage des connaissances instrumentales acquises, des efforts ont été déployés depuis mai 1988 pour produire un journal mensuel “Alfa” tiré en 5.000 exemplaires. 7. d) Équipements 46. Dès après le démarrage du projet, il a été fait l’acquisition pour la direction de l’alphabétisation de Fogo de matériels divers : de transport, de production cinématographique, photographique et imprimée, et de documentation. VI.1.2 Résultats qualitatifs 48. Comme déjà indiqué, du point de vue qualitatif, le projet visait à faire acquérir aux femmes et aux jeunes filles concernées, d’une part, des connaissances instrumentales (lecture, écriture et calcul) et, d’autre part, une éducation civique pour l’amélioration de leurs conditions socio-économiques. Il s’agissait, tout en assurant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, d’instruire les femmes et les jeunes filles et de créer chez elles des attitudes positives vis-à-vis des thèmes suivants : − patriotisme ; − santé, hygiène, éducation sociale ; − économie familiale ; − droits civiques ; − problèmes sociaux ; − connaissance du milieu de résidence. a) Résultats qualitatifs sur le plan pédagogique 49. L’évaluation du projet en 1986 avait permis de constater le manque de rigueur dans le suivi et l’évaluation, en somme la faiblesse du système mis en place pour mesurer les aptitudes pédagogiques acquises. Depuis 1987, avec le renforcement de la direction générale de l’éducation extra-scolaire et la création d’une équipe mobile de suivi et d’évaluation, des instruments et un système d’évaluation plus efficaces ont été mis en place. Ainsi, à Fogo, en plus du coordonnateur régional de l’alphabétisation et son adjoint, quatre conseillers pédagogiques ont été formés par l’équipe mobile de la direction générale pour assurer le suivi des cercles de culture. Les alphabétiseurs ont été également formés à l’utilisation des nouveaux instruments de suivi pédagogique qui ont été mis à leur disposition. Tous ces personnels subissent le recyclage périodique organisé par l’équipe mobile lors de ses tournées sur le terrain permettant de constater les insuffisances et les difficultés. 50. Les diverses évaluations, notamment les tests périodiques et le test final pour mesurer les connaissances instrumentales (lecture, écriture, calcul) ont permis de se rendre compte des performances acquises. En effet, sur 723 femmes et jeunes filles ayant régulièrement suivi les cours, on a constaté : − pour la 1ère phase d’alphabétisation regroupant 438 apprenantes, 243 femmes et jeunes filles de niveau satisfaisant et pouvant valablement suivre la 2e phase ; − pour la deuxième phase d’alphabétisation regroupant 285 apprenantes, 141 femmes et jeunes filles de niveau satisfaisant et pouvant accéder à la post-alphabétisation. 8. 51. Il convient de mettre l’accent sur les performances des apprenantes dans le domaine du calcul. En effet, la mission de suivi effectuée par le BREDA du 9 au 16 juin 1987 avait constaté que l’enseignement du calcul était souvent négligé par rapport aux autres disciplines et demeurait à un niveau faible. b) Résultats qualitatifs sur le plan de l’éducation civique 52. Comme déjà énoncé, le programme d’éducation civique se propose d’instruire les femmes sur certains thèmes pour leur permettre de répondre aux exigences d’une communauté qui évolue. 53. Si l’on considère les informations recueillies auprès des différents responsables politiques, administratifs et économiques de Fogo, l’on peut se risquer à admettre, par rapport à la situation prévalant avant l’implantation du projet, la participation plus efficiente des femmes et jeunes filles formées dans la réalisation des programmes de développement destinés à l’amélioration de leur condition de vie. Il convient de noter que ce changement qualitatif ne relève pas uniquement du projet. Il se doit aussi aux services techniques mis à la disposition des femmes comprenant les différents agents de la santé du développement rural, des affaires sociales, etc. VI.2 54. Impacts Il n’est pas toujours aisé pour un projet à caractère éducatif comme celui de Fogo d’en déterminer les impacts à court terme, car il s’agit d’observer de nouveaux comportements et attitudes adoptés par les bénéficiaires grâce à l’alphabétisation et l’éducation civique. Cependant, en dépit de ces difficultés, certains indices sont révélateurs d’adoption de nouveaux comportements acquis grâce, en partie, au projet. 55. Sur le plan individuel, il a été constaté que la motivation des femmes vis-à-vis des activités éducatives est devenue une réalité concrète. Jadis écartées délibérément ou par les tabous, les charges familiales et économiques très lourdes, les femmes et les jeunes filles ont pris conscience de la nécessité pour elles d’être plus rentables et plus utiles. La preuve est fournie dans maintes localités par les démarches qu’elles entreprennent en vue de l’implantation d’un centre d’alphabétisation. Ceci témoigne le fait que par le canal de l’alphabétisation appuyée par les autres services techniques, les femmes comprennent les avantages que l’éducation, l’acquisition d’une culture par le biais de l’écrit, peuvent leur procurer. 56. L’intérêt pour le processus d’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, et ses répercussions, sont visibles. Individuellement, quand les femmes de Fogo s’expriment sur les gains qu’elles tirent de leur formation, elles donnent des exemples multiples : 57. − écrire une lettre à un parent émigré sans que quelqu’un d’autre la lise ; − signer les différents papiers nécessaires à la banque pour recevoir les envois ; − ne pas être trompé au marché sur la monnaie rendue ; − lire les étiquettes sur les flacons de médicaments ; − lire les instructions des techniciens aidant à la production ; − être capable de lire la bible et les paroles des cantiques. Certains propos et parfois attitudes témoignent des répercussions du projet sur le contrôle et le suivi de l’éducation des enfants des auditrices. Citons en exemple les propos de ces femmes du village de Campanas Baixo, visité lors de la mission d’évaluation : “quand nous n’allions pas au cours d’alphabétisation, nous ne savions pas que nos enfants devaient réviser leurs leçons la nuit à la maison 9. avant d’aller en classe le lendemain. Maintenant nous le savons et, chaque soir, avant de commencer la révision de nos leçons, nous invitons nos enfants à se consacrer à cet exercice.” 58. Le programme d’instruction civique qui répond bien aux besoins des femmes et des jeunes filles notamment par ses thèmes sur le patriotisme, la santé, l’hygiène, l’éducation sociale et l’économie familiale, l’avis de certains alphabétiseurs, contribuent à la mobilisation des femmes pour le planning familial ; il aurait permis dans certaines localités l’intervention efficace de certaines mères de famille dans le cas de premiers soins de santé aux enfants, notamment en ce qui concerne la fièvre et la diarrhée. 59. Selon les agents de la santé de Fogo, il est certain que les campagnes sanitaires générales du gouvernement ont plus de succès dans les villages où les femmes au cours de l’alphabétisation ont appris l’application des notions d’hygiène, des soins de santé primaire, de la planification familiale qui sont autant de contenus véhiculés dans le cadre du programme d’éducation civique. 60. La réalisation et l’usage des foyers améliorés par certaines femmes s’expliqueraient en partie par la contribution apportée par les thèmes d’économie familiale. 61. De l’analyse du Secrétaire à l’organisation du Parti (PAICV) à Fogo, la participation massive des femmes de l’île aux dernières élections législatives de décembre 1985 se doit à la prise de conscience à laquelle le programme d’alphabétisation et d’instruction civique n’est pas étranger. 62. Entre autres impacts, il faut noter les effets induits du projet. Encouragées par l’intérêt suscité par les thèmes d’éducation civique, les autorités nationales ont initié à Boa Vista un projet semblable financé par l’OXFAM (Grande Bretagne). Ce projet concerne 125 personnes pour un budget de 7.000 dollars US. De même, le projet national de l’Organisation des femmes du Cap Vert (OMCV), bénéficiant de l’assistance de la ASD (Agence suédoise pour le développement international), introduit le programme d’éducation civique dans l’alphabétisation de ses 3.000 femmes. VII. CONCLUSIONS 63. Le cadre socio-politique du pays a été très favorable au développement des activités du projet. En effet, beaucoup d’efforts ont été consentis par les autorités nationales pour assurer le succès du projet aussi bien en ce qui concerne la volonté politique constamment exprimée par les plus hautes autorités de l’état en faveur de l’élimination de l’analphabétisme, qu’en ce qui concerne les apports humains et matériels, notamment la mobilisation de tous les secteurs de développement concernés et les primes consenties aux alphabétiseurs volontaires. 64. Le projet peut se réclamer de résultats quantitatifs appréciables : − 17 cercles de culture ont été ouverts sur 97 initialement prévus ; − 723 femmes et jeunes filles ont été touchées sur 900 femmes prévues ; − 110 alphabétiseurs ont été formés et régulièrement recyclés, la prévision initiale étant de 97 ; − le matériel didactique (lecture, écriture, calcul et instruction civique) a été produit en quantité suffisante pour couvrir les besoins des alphabétiseurs et des apprenantes. 10. 65. Du point de vue qualitatif, il convient de noter les performances pédagogiques des apprenantes. Pour l’acquisition des connaissances instrumentales (lecture, écriture et calcul), on relève 384 femmes et jeunes filles de niveau satisfaisant sur un total de 723, soit plus de 50 %. Par rapport à la situation prévalant avant l’exécution du projet, le programme d’éducation aurait permis aux femmes et jeunes filles une participation plus efficiente à l’amélioration de leur condition de vie. 66. Sur le plan des impacts, il existe la preuve d’une conscience de soi qui s’élève parmi les femmes et jeunes filles concernées qui expriment la satisfaction d’être plus indépendantes, de mieux se débrouiller qu’auparavant, grâce à l’alphabétisation. Grâce également au programme d’éducation civique, ces femmes et jeunes filles font de plus en plus preuve de capacité de conjurer certaines conditions préjudiciables à leur épanouissement individuel et au développement de leur communauté. Les causes des abandons étant connues, elles devront faire l’objet d’une étude plus minutieuse pour trouver des solutions qui permettraient de retenir les auditrices, tel par exemple le lancement de groupements pré-coopératifs. 70. Si le projet a permis de mettre en place un système novateur d’éducation, il est à observer que les femmes et jeunes filles qui ont bénéficié de cette éducation pourraient avoir d’énormes difficultés à retenir les acquis. Elles restent exposées à l’analphabétisme de retour au cas où des mesures de renforcement de ces acquis ne seraient pas mis en place. Il s’agit : − de récupérer les déperditions, notamment les femmes et jeunes filles qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ont abandonné les cercles de culture ; − de remettre à niveau les connaissances de celles qui ont entièrement suivi la formation, mais dont les acquis ont été jugés insuffisants ; − 71. de renforcer les connaissances de celles dont le niveau a été jugé satisfaisant. Tenant compte de l’évolution des centres de 2e phase vers la post-alphabétisation dans une perspective d’éducation permanente, le projet devrait effectivement étendre ses activités dans ce domaine. Ces activités viseraient : − le maintien et le renforcement des connaissances ; − le transfert des responsabilités ; − la création d’un environnement lettré. L’introduction de ces activités nécessiterait la mise en oeuvre d’un programme de formation du personnel, d’élaboration et de production du matériel de post-alphabétisation. 11. BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR BABA AKHIB HAÏDARA (Mali) 1962-1974 Au Mali, successivement professeur de physique au lycée de Bamako et Directeur de l’Ecole normale d’ingénieurs, Inspecteur général de l’enseignement secondaire, professeur de physique à l’Ecole nationale supérieure de Bamako, Directeur de l’enseignement technique et professionnel, et Directeur général des enseignements supérieurs et de la recherche scientifique. 1974-1979 Spécialiste du programme, puis Chef de l’Unité de coordination et d’évaluation, Secteur de l’éducation, UNESCO. 1979-1990 Directeur du Bureau régional d’éducation pour l’Afrique (BREDA) à Dakar, Coordonnateur régional de l’UNESCO. 1990-1991 Directeur du Bureau du Directeur général adjoint pour le programme (UNESCO). 1992-1993 Ministre d’Etat chargé de l’éducation nationale du Mali. Depuis 1993 Membre du Conseil exécutif de l’UNESCO. Présentement Ministre conseiller spécial du Président de la République du Mali.