La vente internationale de marchandises au prisme de la diversité

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La vente internationale de marchandises au prisme de la diversité
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE
Ecole liégeoise de Criminologie J. Constant
Département de Droit
La vente internationale de marchandises au prisme de la
diversité normative
Gilles LACHERON
Travail de fin d’études
Master en Droit à finalité spécialisée en Droit des affaires
Année académique 2013-2014
Recherche menée sous la direction de :
Monsieur Nicolas THIRION
Professeur ordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Liège
Nous tenons à remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin,
ont contribué à la réalisation de ce travail de fin d’études. Nous
pensons tout particulièrement à M. le Professeur Nicolas Thirion.
D’une part, pour son travail en tant qu’enseignant. Il a su nous
communiquer le goût pour la matière du droit économique. D’autre
part, en tant que promoteur, pour ses précieux conseils et sa
supervision du présent document.
Nous adressons nos remerciements à M. et Mme les Professeurs Bram
Akkermans et Nicole Kornet qui, au sein de l’Université de Maastricht,
dispensent respectivement les cours de European Contract law et
International Business law. Ils ont suscité chez nous l’intérêt pour la
matière du droit de la vente internationale.
Nous tenons bien évidemment à réserver une place dans ces
remerciements à nos proches et amis qui nous ont soutenu et encouragé
tout au long de nos études et durant la réalisation de ce travail. Merci à
Margaux, à Maxime.
Enfin, un tout grand merci à nos condisciples de droit pour leur
solidarité durant ces années écoulées.
TABLE DES MATIERES
Introduction .......................................................................................................................... 6
Chapitre I – L’uniformisation du droit commercial international ................................. 8
Section I – Origine de la volonté d’uniformisation du droit commercial international.. 8
Section II – L’apport du droit uniforme ......................................................................... 9
Section III – Les voies empruntées pour une uniformisation assistée .......................... 11
Sous-Section I – La voie conventionnelle ............................................................. 11
Sous-Section II – La voie privée ........................................................................... 13
Chapitre II – Les principales sources visant à l’uniformisation du droit international
de la vente ........................................................................................................................... 16
Section I – Les sources conventionnelles ..................................................................... 16
Sous-Section I – La Convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises ......................................................................................................... 16
A.
B.
C.
D.
E.
Contexte ................................................................................................. 16
Champ d’application territorial .............................................................. 17
Champ d’application matériel et personnel............................................ 18
Matières régies ....................................................................................... 18
L’interprétation ...................................................................................... 19
Sous-Section II – La Proposition de Règlement relatif à un droit commun
européen de la vente .............................................................................................. 20
A.
B.
C.
D.
E.
F.
Contexte ................................................................................................. 20
Champ d’application territorial .............................................................. 21
Champ d’application personnel.............................................................. 22
Champ d’application matériel ................................................................ 23
Matières régies ....................................................................................... 24
L’interprétation ...................................................................................... 25
Section II – Les sources privées ................................................................................... 26
Sous-Section I – Les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce
international de 2010 ............................................................................................. 26
A.
B.
C.
D.
E.
Contexte ................................................................................................. 26
Les Fonctions des Principes UNIDROIT ............................................... 27
Champ d’application territorial et matériel ............................................ 28
Matières régies ....................................................................................... 29
L’interprétation ...................................................................................... 29
Chapitre III – Les relations entre ces sources : coexistence, complémentarité ou
concurrence ? ..................................................................................................................... 30
4
Section I – Les Principes UNIDROIT et la CVIM ....................................................... 30
A. Coexistence ............................................................................................ 30
B. Complémentarité .................................................................................... 31
1) Une complémentarité matérielle................................................ 31
2) Une complémentarité par rapport à l’interprétation et au
comblement des lacunes ................................................................. 31
C. Concurrence ........................................................................................... 32
Section II – La CVIM et le DCEV ............................................................................... 33
D. Coexistence ............................................................................................ 33
E. Complémentarité matérielle ................................................................... 34
F. Concurrence ........................................................................................... 34
Section III – Le DCEV et les Principes UNIDROIT .................................................... 35
A. Coexistence ............................................................................................ 35
B. Complémentarité .................................................................................... 36
1) Une complémentarité matérielle................................................ 36
2) Une complémentarité par rapport à l’interprétation et au
comblement des lacunes ................................................................. 36
C. Concurrence ........................................................................................... 37
Conclusion .......................................................................................................................... 38
Bibliographie ...................................................................................................................... 40
5
INTRODUCTION
Le commerce international revêt aujourd’hui une importance capitale pour les entreprises.
Les doctrines libérales qui poussent à l’ouverture toujours plus grande des marchés nationaux
rencontrent un tel succès qu’exporter devient plus que jamais une nécessité dont dépend la
survie même des entreprises. L’exportation, à l’instar de l’importation, se banalise dans
l’esprit et dans la pratique des commerçants1.
Puisque l’offre et la demande de marchandises se réalise désormais à l’échelon planétaire,
la création d’un droit privé mondial et uniforme applicable aux opérations du commerce
international est apparue indispensable. Ce droit permettrait de résoudre les difficultés
juridiques rencontrées par les entreprises, ce qui aurait pour effet de favoriser les échanges
commerciaux internationaux.
Dans l’histoire du droit, le 20ème siècle est marqué par la mise en œuvre de cette perspective.
De nombreuses conventions internationales ayant pour but d’uniformiser le droit matériel
relatif au commerce international sont conclues par les Etats. Par ailleurs, un effort important
est réalisé pour codifier les usages en la matière et mettre au point différents modèles de soft
law pour uniformiser celle-ci.
Le présent travail se limitera cependant à l’étude de la vente internationale de
marchandises «qui demeure de loin, et sans doute pour longtemps encore, le principal
instrument du commerce international »2 et est à l’origine du plus grand chantier
d’uniformisation du droit substantiel jamais entrepris.
Les premiers mouvements d’uniformisation de ce droit se manifestent en 1929 lorsque E.
RABEL3 en suggère la réalisation à la direction de l’Institut international pour l’unification du
droit privé celle-ci. Ce n’est que 35 ans plus tard, en 1964, que sont adoptées les deux
premières conventions relatives à la vente internationale élaborées par cet Institut. Le peu de
succès rencontré par ces deux conventions débouchera sur l’élaboration de la Convention de
Vienne sur la vente internationale de marchandises par la Commission des Nations Unies
pour le droit commercial international Les dispositions de cette convention signée en 1980
constituent aujourd’hui le droit substantiel de la vente internationale dans 804 Etats.
Cependant, les limites de la Convention de Vienne et les difficultés liées à son application
vont susciter des mouvements d’unification du droit plus régionaux. A titre d’exemple, nous
pensons à l’Union Européenne (UE) qui, à la suite d’un long processus de réflexion, a émis sa
1
Les chiffres relatifs à l’évolution du volume mondial des exportations et importations sont disponibles sur
http://stats.oecd.org/Index.aspx?lang=fr.
2
V. HEUZE, « La vente internationale de marchandises : droit uniforme », in Traités des contrats, Paris, LGDJ,
2000, p. 1.
3
Ernst RABEL était un professeur de droit originaire d’Allemagne. Il a eu une influence considérable sur le
développement du droit comparé qui, selon lui, était d’une importance significative pour le développement d’un
projet d’unification du droit.
4
Le 8 mars 2014.
6
proposition de Règlement relatif à un Droit commun européen de la vente le 11 octobre 2011,
largement débattue aujourd’hui encore au sein de l’institution.
Parallèlement à ces normes conventionnelles qui résultent d’un processus législatif, des
règles « privées » jouent également un rôle essentiel en la matière. C’est notamment le cas des
Principes relatifs aux contrats du commerce international5. Ces Principes marquent un
changement de méthode dans l’harmonisation et l’unification du droit6. Leur nature et leur
fonction seront analysées dans le corps du présent travail.
En raison de la multitude des sources appelées à régir, à tout le moins, la vente
internationale et/ou régionale de marchandises, le processus d’uniformisation apparaît
chaotique, particulièrement pour les entreprises européennes. Ces dernières se trouvent
aujourd’hui confrontées à un véritable labyrinthe de règles de droit. Face à ce labyrinthe, nous
nous proposons de tracer les frontières les plus importantes. Ainsi, tout au long de notre
exposé, nous nous efforcerons d’analyser les différents instruments visant à l’uniformisation
du droit de la vente internationale et/ou régionale et d’examiner les relations qu’ils
entretiennent entre eux.
A cet égard, nous entamerons notre étude par quelques considérations sur
l’uniformisation du droit commercial international (Chapitre I). Dans un deuxième temps,
nous examinerons les différentes sources qui visent à uniformiser plus particulièrement le
droit de la vente internationale et/ou régionale (Chapitre II). Nous analyserons ensuite
l’articulation de ces différents instruments. Sont-ils coexistants, complémentaires, voire
concurrents (Chapitre III)? Enfin, nous conclurons notre analyse par une réflexion générale
sur le mouvement d’uniformisation du droit de la vente.
5
Mentionnons également les Principes du droit européen des contrats publiés par la Commission Européenne en
1995. Ces derniers ne seront toutefois pas étudiés dans le cadre du présent travail.
6
M. J. BONELL, « Principes relatifs aux contrats du commerce international », in Revue internationale de droit
comparé, vol. 47 n°3, juillet-septembre 1995, p. 799.
7
CHAPITRE
I
–
INTERNATIONAL
L’UNIFORMISATION
DU
DROIT
COMMERCIAL
Nous tâcherons dans un premier temps d’identifier l’origine de la volonté
d’uniformisation du droit commercial international (Section I). Ensuite, nous décrirons les
différents facteurs qui ont poussé les juristes du XXième siècle à enclencher ce processus
d’uniformisation (Section II). Nous analyserons enfin les deux voies qui ont été empruntées
pour réaliser cette uniformisation (Section III).
Section I – Origine de la volonté d’uniformisation du droit commercial international
L’idée d’un droit privé mondial uniforme qui a vocation à s’appliquer de manière
identique dans tous les Etats7 a traversé les siècles8. Elle n’est ni nouvelle, ni exclusive à notre
époque, les hommes ayant eu très tôt tendance à vouloir propager les règles de droit qu’ils
créaient : c’est l’apparition de l’idée d’une communauté de droit transcendant les frontières9.
Comme le souligne le P. MALAURIE, « l’unité est un besoin qui a toujours hanté les hommes,
pas seulement dans la vie sociale, mais dans tous les domaines, fussent-ils les plus
techniques »10.
Dans le domaine du commerce international, cette unification semble avoir été réalisée11
de manière spontanée12 à l’époque médiévale en Europe. En effet, au sortir de son marasme
économique au 11ème siècle, le besoin d’un corps de règles uniformes qui gouverneraient les
transactions commerciales s’est fait ressentir, le but étant de se débarrasser des obstacles qui
limitaient la croissance du commerce international13.
Ce corps de règles, identifié comme la lex mercatoria, consistait en un ensemble uniforme de
règles coutumières auxquelles obéissaient les marchands du commerce international. Ces
règles étaient appliquées à leurs différends devant des tribunaux composés de juges
7
M. MATTEUCCI, « Introduction à l’étude systématique de droit uniforme », Recueil des cours, Vol. 91, 1957-I,
p. 391.
8
S. MARCHAND, Les limites de l'uniformisation matérielle du droit de la vente internationale, collection
Genevoise, 1994, p. 19; V. ESPINASSOUS, L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois, Paris, LGDJ,
2010, p. 1.
9
Citons par exemple CICERON: “non erit alia lex romae, alia athenis, alia nunc, alia posthac, sed et omnes
gentes et omni tempore una lex et sempiterna et immutabilis continebit” in De la République, 3.22.33, cité par
Roy GOODE, “Reflections on the Harmonization of Commercial law”, in Revue de droit uniforme, 1991, p. 54
10
P. MALAURIE, « Lois uniformes et conflits de loi », in Travaux du Comité français de droit international
privé, 1967, p. 83.
11
Relevons que cette opinion n’est pas partagée par tous les historiens du droit. Voy. à cet égard J. BART, « La
lex mercatoria au Moyen Age : mythe ou réalité ? », in Souveraineté étatique et marches internationaux à la fin
du XXè siècle. A propos de 30 ans de recherche du CREDIMI. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, à
l’initiative de C. LEBEn, E. LOQUIN, M. SALEM, Paris, Litec, 2000.
12
L’unification spontanée est celle qui se réalise sans qu’un organisme ou une institution internationale ne soit
directement à l'origine du processus. Elle résulte des actes posés volontairement par des intervenants
économiques. Voy. à cet égard N. LACASSE, « L’harmonisation du droit commercial international : spontanée ou
assistée », in L’aménagement juridique de l’espace marchand en Europe et dans les Amériques, 1995, p. 7.
13
F. FERRARI, « International Business, Law Merchant, and Law School Curricula, in Yale Journal of Law & the
Humanities, vol. 6 : Iss. I, article 6, 1994, p. 96.
8
marchands14. Une telle « loi des marchands » fit son apparition « dans les grandes foires pour
faire pièce à la territorialité absolue du droit féodal qui présentait trop d’insuffisance et de
rigidité pour des relations rapides et fugitives relevant de souverainetés diverses »15.
A partir de la Renaissance, cette idée d’un jus commune est progressivement abandonnée
pour faire place à un nationalisme juridique. L’affirmation des Etats-nations fait perdre au
droit commercial international son caractère universel16. Les Etats-nations se dotent, sous des
formes diverses, de règles propres en matière commerciale17. Cette « nationalisation » est à
l’origine d’un cloisonnement et marque l’arrivée en force des règles du droit international
privé comme mécanisme de règlement des conflits internationaux18.
Néanmoins, l’intensification des échanges économiques internationaux au XXième siècle a
réactivé, avec un intérêt toujours croissant, cette idée de la nécessité d’un « droit privé
international » lequel passerait par l’uniformisation des droits privés nationaux19.
A cette époque, « on se plaisait à souligner les inconvénients, sinon la contradiction intime,
que présentait la disparité des lois nationales dans un monde où se développaient intensément
les relations entre Etats et qui prétendait organiser une Société des Nations » 20.
Ainsi, sous l’impulsion de H. LEVY-ULLMANN, des juristes attirés par le droit comparé
s’attelèrent à la recherche d’un « droit mondial du vingtième siècle », d’un « droit commun de
l’humanité »21.
Section II- L’apport du droit uniforme
C’est dans le cadre du droit commercial international que la réflexion a d’abord été
menée. Comme déjà indiqué, le XXème siècle fut marqué par une intensification des
échanges économiques internationaux. Il apparaissait dès lors nécessaire, voire indispensable,
de réduire les obstacles à leur fluidité dont l’importance n’est plus à démontrer.
14
A. LEDUC, L'émergence d'une nouvelle lex mercatoria à l'enseigne des principes d'Unidroit relatifs aux
contrats du commerce international: thèse et antithèse, 35 R.J.T. 429, 2001, p. 434 et s ; J. BEGUIN et M.
MENJUCQ, « Droit du commerce international », 2è éd., 2011, p. 10.
15
P. KAHN, « La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverses », McGill L.J., 1992,
p. 413.
16
F. FERRARI, « International Business, Law Merchant, and Law School Curricula, op. cit., p. 96.
17
En France par exemple, l’ordonnance du commerce (1673) (Colbert) jette les bases d’un droit commercial
autonome interne.
18
J. BEGUIN et M. MENJUCQ, « Droit du commerce international », op. cit., p. 11 ; A. LEDUC, L'émergence d'une
nouvelle lex mercatoria à l'enseigne des principes d'Unidroit relatifs aux contrats du commerce international:
thèse et antithèse, op. cit., p. 435.
19
Ibid., p. 436.
20
M. ANCEL, “Rapprochement, unification ou harmonisation des droits ?”, in Mélanges dédiés à Gabriel Marty,
Université des sciences sociales de Toulouse, 1978, p. 3.
21
R. SALEILLES, Congrès international de droit comparé, LGDJ, Paris, 1900, p. 13; B. BRANELLEC, « La
coexistence des règles applicables au contrat de transport international de marchandises par mer: contribution à
l’étude de l’uniformité du droit », Thèse de doctorat, Université de Bretagne Occidentale, 2007, p. 32.
9
Le commerce extérieur s'accommodant mal de la territorialité et de la divergence des
systèmes juridiques nationaux, l’uniformisation du droit du commerce international est très
vite apparue comme la solution la plus appropriée aux besoins des entreprises.
Tout d’abord, l’entreprise d’uniformisation du droit a pour ambition de sécuriser les
relations juridiques. En supprimant le recours aux règles complexes de conflit de lois, rendues
nécessaires par le nationalisme juridique, elle facilite la prévision du droit applicable, c’est-àdire la certitude du droit pour les parties22.
En effet, les règles de conflit de lois ne rencontrent pas l’objectif de prévisibilité qu’exige le
commerce international dans la mesure où le traitement d’une situation juridique, et encore
moins son résultat, ne sont envisageables avec une certitude raisonnable dès lors qu’elles
divergent d’un Etat à l’autre23.
A cet égard, une première vague d’efforts s’est concentrée sur l’uniformisation des règles de
conflit de lois afin de stabiliser la détermination de la loi applicable à la relation entre parties.
Cette uniformisation n’est cependant qu’un pis-aller. En effet, elle ne permet pas d’endiguer
les problèmes d’application, de traduction et de compréhension d’un système juridique
étranger auquel les juges sont confrontés lorsqu’il s’agit d’appliquer des lois étrangères qui ne
leur sont pas coutumières. Or, comme le précise G. BRANELLEC, « la prévisibilité est
généralement associée à la lisibilité et à l’accessibilité de la règle de droit qui sont autant de
caractères de la sécurité juridique »24.
Par ailleurs, l’uniformisation est porteuse de simplification. En effet, en substituant un
droit unique à la multitude des droits nationaux potentiellement applicables, elle améliore la
connaissance du contenu du droit par les parties, nécessaire pour régler leur comportement.
Avec l’internationalisation des échanges, elles ne peuvent connaître le droit de chacun des
Etat où elles trouvent un cocontractant.
Ensuite, l’uniformisation du droit du commerce international offre aux entreprises un
droit plus adapté aux spécificités des situations internationales, contrairement aux droits
nationaux. Les entreprises ne seront plus confrontées à la carence des règles et concepts des
droits nationaux essentiellement conçus pour des situations juridiques domestiques25.
Enfin, l’existence d’un droit uniforme permet également de diminuer les coûts liés à la
diversité des lois applicables dans le cadre des échanges commerciaux. En effet, s’appuyant
sur l’analyse économique du droit de R. COASE, le Professeur WATT démontre que
l’information sur le contenu d’une loi étrangère a un coût économique26.
V. ESPINASSOUS, L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois, op. cit. , p. 3.
N. LACASSE, « L’harmonisation du droit commercial international : spontanée ou assistée », op. cit., p. 4.
24
B. BRANELLEC, « La coexistence des règles applicables au contrat de transport international de marchandises
par mer: contribution à l’étude de l’uniformité du droit », op. cit., p. 34.
25
V. ESPINASSOUS, L’uniformisation du droit substantiel et le conflit de lois, op. cit., p. 2.
26
H. WATT, “Law and economics: quel rapport pour le droit international privé?”, in études offertes à Jacques
Ghestin, LGDJ, Paris, 2001, p. 693 et 694 ; Cet argument est également avancé par l’Union Européenne pour
22
23
10
En définitive, comme le soulignent R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, « dans un monde
où les rapports internationaux ont pris une si grande importance, il convient de donner une
assise sûre à ces rapports. Une entente doit être réalisée entre les divers pays pour que
partout soit appliqué, à un rapport donné, le même droit et ainsi mettre fin aux
divergences »27. Le commerce international a un besoin vital de droit qui apporte stabilité et
sécurité28.
Section III – Les voies empruntées pour une uniformisation assistée
Le XXe siècle a été le théâtre d’initiatives régulatrices du commerce international
résultant de discussions interétatiques ou d’échanges à l’intérieur de groupes privés partageant
des intérêts communs. Dans cette section, nous décrirons les deux voies qui ont été
empruntées pour réaliser cette uniformisation qui devait mettre fin aux difficultés juridiques
auxquelles étaient confrontées les entreprises. Il s’agit de la voie conventionnelle (SousSection I) et de la voie privée (Sous-Section II).
Sous-Section I – La voie conventionnelle
La voie conventionnelle vise l’adoption par les Etats de conventions internationales avec
pour but d’uniformiser leur droit matériel. Cette technique instaure dans les Etats qui ont
conclu et ratifié la convention un droit unique relatif à la matière qui fait l’objet de
l’uniformisation.
Cette voie s’est tout d’abord concrétisée dans le droit des transports maritimes, avec
l’élaboration de la convention de 1924 en matière de connaissement maritime ou encore, avec
l’élaboration des conventions de Genève sur la lettre de change et le billet d’ordre (1930).
C’est encore dans cette perspective qu’a été créé à Rome en 1926 l’Institut international
pour l’unification du droit privé (ci-après « UNIDROIT »). Il se consacre notamment à
l’élaboration de conventions et règles uniformes en vue de promouvoir graduellement
l’adoption d’un système uniforme de droit privé.
C’est sous ses auspices que furent élaborés, dès 1931, les premiers projets d’unification
matérielle du droit de la vente internationale qui aboutirent en 1964 à l’adoption des
conventions de La Haye portant loi uniforme sur la vente et sur la formation des contrats de
vente internationale d’objets mobiliers corporels. L’UNIDROIT est également à l’origine de
nombreuses autres conventions telles que celles relatives au transport international de
marchandises par route (1956) ou encore au crédit-bail international (1988).
justifier l’adoption d’un Règlement de droit européen de la vente. Voy. à cet égard P. WERY, et J.-F. GERMAIN, «
La proposition de Règlement relatif à un droit commun européen de la vente», in La vente: développements
récents et questions spéciales, Larcier, 2013, p. 14.
27
R. DAVID et C. JAUFFRET-SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporain, 11ème éd, Paris, Dalloz, 2002,
n°7, p. 7.
28
J.-M. JACQUET et P. DELEBECQUE, Droit du commerce international, 3è ed Cours, Paris, Dalloz, 2002, n°8.
11
Par ailleurs, l’Organisation des Nations Unies a créé en 1966 la Commission des Nations
Unies pour le droit du commerce international (ci après « CNUDCI ») dont le but est de
promouvoir l’harmonisation et l’unification du droit commercial international.
Sensible au manque d’adhésion suscité par les lois uniformes de La Haye de 1964, la
CNUDCI entreprit de reprendre l’effort d’unification internationale du droit matériel de la
vente sur des bases nouvelles. Ces travaux aboutirent en 1980 à l’adoption de la convention
de Vienne sur la vente internationale de marchandises (ci-après « CVIM). Elle a par ailleurs
participé à l’élaboration des conventions sur le transport de marchandises par mer (1978) ou
sur la cession de créance dans le cadre du commerce international (2001).
Ainsi, au fil des ans, des instruments internationaux se sont implantés lentement et
progressivement pour les besoins du commerce international. On peut toutefois remarquer que
ces initiatives ne se sont pas faites sans heurts29. En effet, ces conventions sont le fruit de
conférences diplomatiques internationales où chaque participant tente d’influencer le débat
pour satisfaire d’abord ses propres intérêts30. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains
qualifient le développement du droit uniforme de chaotique31. Il en résulte, en bout de ligne,
une œuvre de compromis, parfois bien éloignée de la volonté originelle de ses instigateurs.
Ainsi, des conventions jetant des pans entiers du droit commercial international ont été
conclues. En outre, au sein même du domaine juridique appréhendé, le processus
d’uniformisation reste fragmentaire. C’est notamment le cas de la CVIM qui ne traite que de
la vente et qui laisse hors de son champ d’application les questions liées à la validité du
contrat et au transfert de propriété32. A cet égard, le droit national joue un rôle supplétif en ce
sens qu’il régle toutes les matières qui ne concerne pas l’objet de l’uniformisation. Ce recours
au droit national ne peut être considéré, selon le souhait de RABEL, comme un
« unerwünschter Notbehelf »33, mais bien comme un supplément indispensable au droit
uniforme. S. MARCHAND estime à cet égard que « la qualité substantielle du droit uniforme
risque d’être altérée, de même que l’esthétique d’un tableau peut être compromise par le
choix de son cadre, ou l’éclat d’un joyau terni par la main qui le porte »34.
Par ailleurs, le champ d’action de la convention peut être limité. L’unification sera
partielle ou globale selon que la convention est appelée à régir des contrats internationaux à
l’exclusion ou non des contrats internes. Sur ce point, contrairement à la CVIM, certaines
29
A ce égard, on peut souligner les réticences exprimées par rapport à de cette mouvance, notamment par les
pays de Common Law, lesquels, contrairement aux pays civilistes, prirent plus de temps à entrer dans cette
ronde.
30
A. LEDUC, L'émergence d'une nouvelle lex mercatoria a l'enseigne des principes d'Unidroit relatifs aux
contrats du commerce international: thèse et antithèse, op. cit., p. 444.
31
S. MARCHAND, Les limites de l'uniformisation matérielle du droit de la vente internationale, op. cit., p. 23.
32
Nous y reviendrons plus en détails dans le Chapitre II.
33
Traduction libre: un palliatif indésirable.
34
S. MARCHAND, Les limites de l'uniformisation matérielle du droit de la vente internationale, op. cit., p. 26.
12
conventions35 tendent à la suppression de la pertinence du critère d’extranéité, le régime
juridique adopté se substituant en totalité aux régimes internes des Etats contractants.
Nous pensons à ce propos que, si une telle démarche gagne en simplicité dans les rapports
entre le droit uniforme et le droit interne, elle perd indéniablement en spécificité dans la
résolution des problèmes inhérents à l’internationalité. L’inadaptation des droits nationaux à
régir des situations internationales est d’ailleurs un argument avancé par les défenseurs du
projet d’uniformisation36.
Enfin, l’unification du droit peut être absolue ou relative. Elle est absolue lorsque le
régime juridique qu’elle introduit dans les législations des Etats contractants s’impose aux
juges de ces Etats indépendamment de tout rattachement de l’état de fait à un Etat
contractant37.
Ce principe se retrouve par exemple dans les conventions de La Haye de 1964 qui réprouvent
expressément les règles de droit international privé et qui se déclarent applicables aux contrats
de vente « entre des parties ayant leurs établissements sur le territoire d’Etats différents »
sans exiger qu’il s’agisse d’Etats contractants. Cela peut paraître effrayant pour les Etats
soucieux de réciprocité. A l’inverse, l’unification du droit apportée par la CVIM est relative
en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux contrats conclus entre des parties établies dans des
Etats différents contractants ou lorsque les règles de droit international privé désignent le
droit d’un Etat contractant.
C’est en raison de l’incapacité politique à l’échelle mondiale d’apporter une réponse
complète – et non fragmentaire ou éloignée - aux objectifs recherchés par l’uniformisation du
droit que certaines instances régionales, plus intégrées, ont décidé d’agir. Nous avons cité cidessus à titre d’exemple l’Union Européenne. Nous pensons également à l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA).
Par ailleurs, les conventions jusqu’alors adoptées ayant suffisamment montré leurs limites38,
certaines institutions ont décidé d’emprunter avec plus de vigueur encore la voie
d’uniformisation privée qui existait jusque là de manière plus marginale.
Sous-Section II – La voie privée
Comme évoqué ci-dessus, parallèlement à la réflexion qui a abouti à l’adoption de ces
conventions, plusieurs initiatives émanant de groupes d’intérêts privés ont codifié certaines
pratiques contractuelles dans le domaine du commerce international. Citons par exemple les
35
Tel est le cas par exemple de la convention de Genève portant loi uniforme sur les lettres de change et billets à
ordre du 7 juin 1930 ou de la convention de Genève portant loi uniforme sur les chèques du 19 mars 1932.
36
Voy. Supra, section II – L’apport du droit uniforme.
37
S. MARCHAND, Les limites de l'uniformisation matérielle du droit de la vente internationale, op. cit., p. 24 et
25.
38
M. J. Bonell, « The CISG, European Contract Law and Development of a World Contract Law », in American
Journal of Comparative Law, 2008, p. 15.
13
Règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires ou les Incoterms publiés par
la Chambre de Commerce international qui constituent des instruments de soft law au service
des acteurs du commerce international.
Plus récemment, en 1994, l’UNIDROIT39 a publié ses Principes relatifs aux contrats du
commerce international (ci-après « les Principes UNIDROIT »). Deux autres versions ont été
publiées en 2004 et en 2010. Ces principes consistent en une « codification » non impérative
des usages et coutumes, des pratiques contractuelles ayant cours dans le commerce
international et des « principes à privilégier mais qui ne sont pas nécessairement
répandus »40.
Alors que la première méthode, celle de la voie conventionnelle, dépend de la volonté des
Etats, aucun législateur n’intervient dans la voie privée. Plusieurs conséquences en découlent.
D’abord, cela permet de conférer à l’instrument une portée beaucoup plus large que celle des
conventions. Ensuite, ces instruments sont plus souples et plus facilement adaptables aux
besoins du commerce international : en témoignent leurs nombreuses versions. Enfin, ces
instruments sont dépourvus de toute nature contraignante, ce qui marque un changement de
méthode dans l’uniformisation du droit41.
A la différence des conventions internationales qui risquent de rester lettre morte, faute de
ratifications suffisantes, ces instruments n’ont de valeur qu’en fonction de l’intérêt porté par
ceux à qui ils s’adressent42. En effet, leur force obligatoire est en principe fondée sur
l’autonomie de la volonté des parties qui adoptent expressément le régime codifié pour une
transaction précise.
Cependant, bien que cette opinion soit controversée43, une partie de la doctrine et de la
jurisprudence considère que la force obligatoire de ces instruments ne découle pas du principe
de l’autonomie des volontés accordée par la loi choisie par les parties ou désignée par les
règles de conflit de lois mais bien de leur nature, c’est-à-dire en tant qu’ils constituent des
usages professionnels universels. Ces instruments seraient donc soustraits à l’emprise des lois
nationales impératives ou d’ordre public. Elle estime par ailleurs que, même en l’absence de
référence contractuelle expresse par les parties, ils devraient être appliqués44.
39
Il s’agit bien de l’Institut qui a également élaboré les conventions de la Haye. En effet, en raison de l’échec de
la méthode conventionnelle, l’UNIDROIT a pris le contre-pied et s’est investi dans la méthode privée.
40
Voy. L’Introduction des Principes Unidroit de l’édition de 1994 ; A. LEDUC, L'émergence d'une nouvelle lex
mercatoria à l'enseigne des principes d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international: thèse et
antithèse, op. cit., p. 445 et s.
41
M.-J. BONELL, « Principes relatifs aux contrats du commerce international », in Revue internationale de droit
comparé, vol. 47 n°3, juillet-septembre 1995, p. 799.
42
Ibid. p. 799.
43
Voy. pour une synthèse G. BARON, « Do the UNIDROIT Principles of international commercial contracts
form a new lex mercatoria ? », disponible sur http://www.cisg.law.pace.edu/cisg/biblio/baron.html; A. LEDUC,
L'émergence d'une nouvelle lex mercatoria à l'enseigne des principes d'Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international: thèse et antithèse, op. cit., p. 433 et s.
44
N. LACASSE, « L’harmonisation du droit commercial international : spontanée ou assistée », op. cit., p. 36 ; E.
CHARPENTIER, Les Principes UNIDROIT: une codification de la lex mercatoria? 46 C. de D. 193, 2005, p. 195
et s.
14
Cette opinion est fondée sur la théorie de la lex mercatoria développée dans les années 1960
notamment par B. GOLDMAN45, en référence à la lex mercatoria médiévale. Celui-ci a vu dans
le développement d’usages professionnels46 au XIXe siècle et dans l’essor de l’arbitrage
international l’existence d’un « tiers-droit » autonome, d’un ordre juridique « anational »
constitué des usages et coutumes de la « société internationale des marchands ».
Sans revenir sur la vive controverse qui existe sur son existence, cette lex Mercatoria
moderne constituerait un corpus juridique uniforme « capable of being applied by
decisionmakers (judges or arbitrators) as a source of legal rules, in order to give content to
decisions, in much the same way that decisionmakers would apply a real legal system such as
the lex fori or the lex loci arbitri »47.
Sous réserve de la consécration de la théorie de la lex mercatoria, nous constatons que
l’utilisation de ces instruments ne permet pas d’éviter le recours aux règles de conflit de lois,
ne plus devoir recourir à celles-ci constituant pourtant le premier objectif poursuivi par le
droit uniforme.
45
Voy. à cet égard B. GOLDMAN, « Frontières du droit et Lex Mercatoria », Archives de Philosophie du Droit,
1964, p.177 et s ; B. GOLDMAN, « La Lex Mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux », JDI, 1979.
46
En effet, l’échec des Etats à garantir un droit adapté à l’internationalité des échanges et une prévisibilité du
droit applicable a poussé les acteurs du commerce international à développer une série d’usages transnationaux,
de pratiques contractuelles annihilant ces difficultés. Voy. P. KAHN, « La lex mercatoria : point de vue français
après quarante ans de controverses », op. cit., p. 413 et s ; G. BARON, « Do the UNIDROIT Principles of
international commercial contracts form a new lex mercatoria ? », op. cit.
47
K. HIGHET, “The enigma of the Lex Mercatoria”, 63 Tulane L. Rev., 1989, p. 613 et 617.
15
CHAPITRE II – LES PRINCIPALES SOURCES VISANT À L’UNIFORMISATION
DU DROIT INTERNATIONAL DE LA VENTE
Au sein du droit commercial international, nous nous limiterons à la présentation des
sources qui ont pour objet d’uniformiser le droit international de la vente. A cet égard, nous
distinguerons les sources conventionnelles (Section I) des sources privées (Section II).
Section I – Les sources conventionnelles
La convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises (ci-après CVIM)
ainsi que la Proposition de Règlement relatif à un droit commun européen de la vente (ciaprès DCEV) sont le résultat d’une unification tantôt universelle, tantôt régionale. A ce
propos, les prochaines sous-sections s’attarderont à leur analyse détaillée.
Sous-Section I – La convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises
La CVIM48 fut conclue le 11 avril 1980, sous les auspices de la Commission des Nations
Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Elle porte uniformisation des règles
applicables à la formation du contrat de vente internationale de marchandises et aux droits et
obligations des parties.
A. Contexte
Sensible au manque d’adhésion suscité par les lois uniformes de La Haye de 196449, la
CNUDCI entreprit de reprendre l’effort d’unification internationale du droit matériel de la
vente sur des bases nouvelles. Ses travaux aboutirent à la Conférence diplomatique
convoquée à Vienne par l’Assemblée Générale des Nations Unies du 10 mars au 11 avril
1980. C’est au terme de cette conférence que fut adoptée la CVIM.
La CVIM est entrée en vigueur le 1er janvier 1988. A ce jour50, elle a été ratifiée par 80
Etats, issus de tous les continents. Il s’agit aussi bien de grandes puissances économiques que
d’Etats émergents. Notons que le Royaume-Uni, l’Irlande, le Portugal, le Japon et l’Inde ne
figurent pas parmi les Etats contractants.
La CVIM couvre plus de deux tiers du commerce international51. Elle fait l’objet d’un nombre
croissant de décisions juridictionnelles nationales et arbitrales52. Son succès se mesure
48
www.uncitral.org/uncitral/fr/uncitral_texts/sale_goods/1980CISG.html.
Pour voir l’état des ratifications, voy. http://www.unidroit.org/fr/etat-ulfc-1964. Seulement 13 Etats ont ratifié
ces deux conventions. Aujourd’hui, elles ne sont plus en vigueur que dans 8 Etats.
50
8 Mars 2014.
51
F. FERRARI, “Quelles sources de droit pour les contrats de vente internationale de marchandises? Des raisons
pour lesquelles il faut aller au-delà de la Convention”, RDAI/IBLJ, n°3, 2006.
52
Ces décisions sont reprises dans de nombreuses banques de données. Citons par exemple celle de l’Université
de Pace (www.cisg.law.pace.edu).
49
16
également par rapport à son rayonnement. Elle a influencé plusieurs réformes nationales du
droit de la vente et du droit des contrats mais aussi la rédaction des Principes UNIDROIT
relatifs aux contrats de commerce international53 et celle des Principes du droit européen des
contrats.
B. Champ d’application territorial
La CVIM s’applique aux contrats (internationaux) de vente de marchandises conclus
entre des parties établies dans des Etats différents contractants (art. 1, al. 1, (a) CVIM) ou
lorsque les règles de droit international privé désignent le droit d’un Etat contractant (art. 1,
al. 1, (b) CVIM).
Le champ d’application territorial de la CVIM est considérablement élargi par cette dernière
disposition puisqu’elle lui permet de régir les contrats de vente internationale de marchandises
conclus entre parties établies dans des Etats non-contractants ou entre parties dont l’une est
établie dans un Etat non-contractant.
Dans ces cas, l’applicabilité de la CVIM dépend des règles de conflit de lois du for. Si ces
règles mènent à l’application de la loi d’un Etat contractant, la CVIM – qui fait partie
intégrante du droit de cet Etat contractant – doit s’appliquer. Il est donc possible que les
juridictions d’un Etat non-contractant soient amenées à appliquer la CVIM si ses règles de
conflit de lois mènent à l’application de la loi d’un des 80 Etats parties à la CVIM.
Notons que la CVIM n’est pas impérialiste54 : son article 6 prévoit que « les parties
peuvent exclure l’application de la présente convention ou, sous réserve des dispositions de
l’article 12, déroger à l’une quelconque de ses dispositions ou en modifier les effets ». En ce
sens, la CVIM instaure un système « d’opt-out » : lorsque les conditions d’application visées
par l’article 1er de la CVIM sont réalisées, les parties peuvent manifester leur intention de ne
pas s’y soumettre. Elles peuvent également y déroger partiellement ou en modifier les effets.
La jurisprudence et la doctrine admettent que la CVIM puisse être écartée par les parties de
manière tacite. Cependant, certaines juridictions exigent une mise à l’écart expresse de la
CVIM. Citons par exemple la décision du 6 janvier 2006 par laquelle une juridiction
américaine a jugé que la clause désignant le droit de l’Etat de Géorgie, aux Etats-Unis,
n’excluait pas l’application de la CVIM55.
Par ailleurs, son article 90 prévoit qu’elle « ne prévaut pas sur un accord international
déjà conclu ou à conclure qui contient des dispositions concernant les matières régies par la
présente convention, à condition que les parties au contrat aient leur établissement dans des
Etats parties à cet accord ».
53
Voy. infra, Section II.
P. MALHERBE et T. LEIDGENS, « La vente internationale de marchandises », Manuel de la vente, Kluwer,
2010, p. 514.
55
Ibid., p. 539; US District Court, Pennsylvania, 6 janvier 2006, aff. American Mint LLC c. GO Software, Inc.,
Banque de données Pace.
54
17
C. Champ d’application matériel et personnel
Toujours selon l’art. 1er, la CVIM s’applique aux « contrats de vente de marchandises ».
La CVIM ne définit par la notion de vente. Cependant, au vu de l’énoncé des obligations
respectives des parties, on peut la définir comme étant la livraison et le transfert de propriété
d’une marchandise contre un prix56, même si la CVIM ne se préoccupe pas du transfert de
propriété.
N’ont vocation à être régies que les ventes normales entre marchands. Sont donc exclues :
- les ventes de marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique,
à moins que le vendeur, à un moment quelconque avant la conclusion ou lors de la
conclusion du contrat, n’ait pas su et n’ait pas été censé savoir que ces marchandises
étaient achetées pour un tel usage (art. 2, (a)) ;
- les ventes aux enchères (art. 2, (b)) et
- les ventes sur saisie ou de quelque autre manière par autorité de justice (art. 2, (c)).
La CVIM ne définit pas la notion de « marchandises » que les négociateurs de la CVIM
ont préférée à celle d’ « objets mobiliers corporels » visée par les précédents traités
internationaux, compte tenu de la difficulté de traduire cette dernière expression en anglais57.
Il ne faut cependant pas attacher trop d’importance à cette évolution dans le choix du vocable.
En effet, le terme « marchandises » se rapporte tout d’abord, et principalement, à des objets
corporels. Sont donc exclus du champ d’application de la CVIM, les ventes immobilières et
les contrats de cession de droits intellectuels ou de fonds de commerce58.
En outre, tous les biens mobiliers n’entrent pas dans le domaine d’applicabilité matérielle de
la CVIM. En vertu de l’article 2, sont exclus :
- les valeurs mobilières, les effets de commerce et les monnaies (art. 2, (d));
- l’électricité (art. 2 (f)) ;
- les navires, les bateaux, les aéroglisseurs et les aéronefs (art. 2, (e)).
D. Matières régies
Malgré son intitulé, la CVIM ne régit pas tous les aspects de la vente internationale de
marchandises. En effet, comme déjà indiqué, celle-ci n’aborde pas le transfert de propriété
(art. 4, (b)). Elle ne s’attache pas non plus à la validité du contrat, ni à celle de ses clauses (art.
5, (a)). La CVIM ne règle que la formation du contrat de vente et les droits et obligations
qu’un tel contrat engendre dans le chef du vendeur et dans celui de l’acheteur (art. 4).
56
N. WATTE, “La vente internationale de marchandises: bilans et perspectives”, R.D.C., 1991, p. 380; N. WATTE
et A. NUYTS, “Le champ d’application de la Convention sur la vente internationale. La théorie à l’épreuve de la
pratique”, J.D.I., 2003/2, p. 400.
57
V. HEUZE, op. cit. p. 6.
58
Ibid.
18
Les questions qui ne sont pas tranchées par la CVIM sont délaissées au profit du droit
national désigné par les règles de conflit de lois. Ce dernier joue alors un rôle supplétif59.
Par ailleurs, la CVIM, moins optimiste mais plus pragmatique que les conventions de La
Haye, admet le recours subsidiaire « aux principes généraux dont elle s’inspire » ou « à
défaut de ces principes, (…) à la loi applicable en vertu des règles du droit international
privé » pour combler ses éventuelles lacunes (art. 7, al. 2)60.
La formulation de cet article, très contestée lors de son élaboration, constitue une nouvelle
renonciation à l’exclusion des règles de conflit, « unerwünschter Notbehelf » dans l’esprit des
premiers promoteurs du droit uniforme de la vente internationale61. Elle conduit à ce paradoxe
que le droit d’un Etat non-contractant peut être amené à combler les lacunes de la
convention.62
E. L’interprétation
L’article 7, al. 1 CVIM indique que « Pour l’interprétation de la présente convention, il
sera tenu compte de son caractère international et de la nécessité de promouvoir l’uniformité
de son application (…) ».
Cette disposition consacre tout d’abord l’autonomie de la CVIM en ce qu’elle exclut le
recours au droit national chaque fois qu’il s’agit d’un problème d’interprétation de la
convention. Cela implique une appréhension autonome des concepts de la CVIM qui doit
l’emporter sur les traditions nationales.
Ensuite, l’article 7 indique qu’il sera tenu compte de la nécessité de promouvoir l’uniformité
de son application. La CVIM n’a pas créé une organisation ou un tribunal pour assurer l’unité
de sa jurisprudence. Celle-ci doit donc être assurée par une multitude de juges nationaux qui
doivent consulter la jurisprudence mondiale, recensée, commentée et critiquée par la doctrine
internationale.
Cette recherche d’uniformité est, selon Sylvain MARCHAND, « le cœur du droit uniforme, son
organe de survie par excellence, une garantie contre la réintroduction pernicieuse du conflit
de lois à travers un éventuel conflit d’interprétation »63.
Néanmoins, toute évolution de jurisprudence pourrait être perçue comme un écart par rapport
à ce principe d’application uniforme. In fine, ce principe, organe de survie de
59
S. MARCHAND, op. cit., p. 27.
Les auteurs parlent à cet égard de rôle complétif. Il faut bien distinguer les matières régies par la convention,
mais de façon lacunaire, des matières non réglées par celle-ci (art. 4). Dans le premier cas, le recours au droit
national est subsidiaire aux “principes généraux” alors qu’il est direct dans le second cas.
61
S. MARCHAND, op. cit., p. 29.
62
V. HEUZE, op. cit., n°106.
63
S. MARCHAND, op. cit., n° 152.
60
19
l’uniformisation, contiendrait donc « peut-être les germes mortels de la paralysie du droit
uniforme qui se trouverait face à une lex mercatoria non codifiée, vivante et souple »64.
Sous-Section II – La Proposition de Règlement relatif à un droit commun
européen de la vente65
La « Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit
commun européen de la vente » (ci-après « DCEV ») a été publiée le 11 octobre 2011 par la
Commission européenne66. Cette proposition vise à améliorer l’établissement et le
fonctionnement du marché intérieur en facilitant, d’une part, le développement du commerce
transfrontière pour les entreprises et d’autre part, les achats transfrontières pour les
consommateurs. Cette proposition, si elle est adoptée, constituera un droit autonome et
uniforme et créera un second régime de droit contractuel au sein du droit national de chacun
des Etats membres.
A. Contexte
La proposition de Règlement constitue l’aboutissement du long processus entamé au
début des années 2000 dans le domaine du droit européen des contrats. En effet, suite à sa
communication de 2001 sur « le Droit européen des contrats »67, la Commission européenne
avait ouvert une consultation publique sur la manière dont les problèmes résultant des
divergences entre les droits nationaux des contrats dans l’Union européenne devraient être
traités à l’échelon européen. Sur la base des réponses reçues, la Commission avait publié, en
2003, un programme d’action en matière de droit des contrats68.
Afin d’améliorer la qualité et la cohérence du droit européen des contrats, la Commission
suggérait d’établir un « Cadre Commun de Référence » (CCR) contenant des principes, une
terminologie et des règles communs qui seraient appliqués par le législateur de l’Union lors
de l’adoption ou de la modification de textes législatifs.
Plusieurs groupes de chercheurs ont mené des projets de recherche sur le droit européen
des contrats. Ces travaux ont mené à la publication en 2008 d’un projet académique de Cadre
Commun de Référence (Draft Common Frame of Reference ou DCFR) comprenant des
principes, des définitions et des règles types de droit civil, notamment en matière de droit des
contrats et de la responsabilité délictuelle. Le DCFR est issu de plusieurs projets de recherche
antérieurs en droit des contrats. En particulier, il s’appuie sur les Principes du droit européen
64
Ibid.
Pour une analyse détaillée du DCEV, voy. P. WERY, et J.-F. GERMAIN, « La proposition de Règlement relatif à
un droit commun européen de la vente», in La vente : développements récents et questions spéciales, Larcier,
2013, p. 8 et s.
66
COM (2011) 635 final.
67
Commission, Communication du 11 juillet 2011 concernant le droit européen des contrats (J.O. c. 255/1 du
13 septembre 2001. Cette communication répondait à un appel lancé en ce sens en 1989 par le Parlement
européen (Résolution 12-157/89, J.O C 158/400 du 26 juin 1989).
68
Commission, Communication au Conseil et au Parlement européen: Un droit européen des contrats plus
cohérent. Un plan d’action (J.O., C. 63/1 du 15 mars 2003).
65
20
des contrats publiés dès 2000 par un groupe de chercheurs réunis sous la direction de O.
LANDO.
A la suite de la publication du DCFR, la Commission a constitué un groupe d’experts
chargé d’étudier la faisabilité d’un instrument de droit européen des contrats. Dans la foulée,
elle a publié le 1er juillet 2010 un Livre Vert69 dans lequel différentes options70 étaient
imaginées pour consolider le marché intérieur dont celle instituant un règlement optionnel de
droit européen des contrats.
C’est dans ce contexte qu’est publiée le 11 octobre 2011 la Proposition de Règlement (ciaprès « Proposition initiale ») qui consacre le choix de l’instrument optionnel et, quant au
contenu, reprend l’essentiel du texte élaboré par les experts dans leur étude de faisabilité.
Depuis sa publication, la Proposition est étudiée par les organes de l’Union européenne. Lors
de sa réunion en juin 2012, le Conseil européen a approuvé le principe de l’examen de la
proposition de Règlement. En date du 18 février 2013, un projet de rapport a été déposé par la
Commission des affaires juridiques du Parlement, avec différentes suggestions
d’amendements au texte initial de la proposition. Ces amendements ont été adoptés en
première lecture par une Résolution législative du Parlement européen le 26 février 2014 (ciaprès « Proposition amendée »)
B. Champ d’application territorial
La convention doit, pour permettre l’application du DCEV, présenter un caractère
transfrontalier. A cet égard, le DCEV distingue le cas dans lequel le contrat a été conclu entre
professionnels de celui dans lequel il a été conclu entre un professionnel et un
consommateur71 :
-
dans le premier cas, le contrat présente un tel caractère lorsque « les parties ont leur
résidence habituelle72 dans différents pays dont l’un au moins est un Etat
membre » (art. 4 (2));
-
dans le second, lorsque « l’adresse indiquée par le consommateur, l’adresse de
livraison du bien ou l’adresse de facturation est située dans un pays autre que celui où
69
Commission européenne, Livre Vert relatif aux actions envisageables en vue de la création d’un droit
européen des contrats pour les consommateurs et les entreprises, COM (2010) 348/1.
70
(1) La seule publication des résultats du groupe d’experts chargé par la Commission d’étudier la faisabilité
d’un instrument de droit européen des contrats ; (2) une boîte à outils « officielle » à l’intention du législateur
européen ; (3) une recommandation adressée par la Commission aux Etats membres ; (4) un règlement instituant
un instrument facultatif de droit européen des contrats ; (5) une directive relative au droit européen des contrats
(harmonisation a minima) ; (6) un règlement obligatoire de droit européen des contrats ; et (7) un code civil
européen.
71
Voy. point C. pour le champ d’application personnel du DCEV.
72
L’article 4 (4) indique que « la résidence habituelle d’une société ou autre organisation, dotée ou non de la
personnalité morale, est le lieu où elle a établi son administration centrale. La résidence habituelle d’un
professionnel, lorsqu’il est une personne physique, est le lieu de son principal établissement ».
21
le professionnel a sa résidence habituelle et l’un au moins de ces pays est un Etat
membre » (art. 4 (3) (a) et (b))
Ainsi, il suffit que l’une des deux parties puisse être attachée à un Etat membre pour que
le contrat puisse bénéficier de l’application du DCEV. De la sorte, le commerce avec les Etats
tiers est également visé par la Proposition.
Notons que, comme c’est le cas dans la CVIM, les contrats qui présentent un caractère
interne, c’est-à-dire ceux où toutes les parties résident dans un seul et unique Etat membre,
sont exclus du champ d’application du DCEV. Cependant, les Etats membres ont la faculté
d’étendre le champ d’application territorial du DCEV aux contrats présentant un caractère
purement interne (art. 13 (a)).
Enfin, soulignons que le DCEV à un caractère facultatif, c’est-à-dire qu’il n’est
applicable que si les parties aux contrats y consentent. En effet, selon l’article 8 (1) al. 1,
« l’application du DCEV requiert une convention des parties à cet effet ». A cet égard, la
Commission européenne a préféré retenir le mécanisme dit « opt-in » au détriment de celui
d’« opt-out » choisi par les rédacteurs de la CVIM.
C. Champ d’application personnel
Le DCEV ne pourra être appliqué que si le vendeur du bien ou le fournisseur du contenu
numérique est un professionnel73 (art. 7). Ainsi, contrairement à la CVIM qui ne vise que les
ventes faites entre « professionnels »74, le DCEV s’applique également dans le cadre d’une
vente entre un professionnel et un consommateur75. Seuls les contrats conclus entre
particuliers et les ventes faites à des professionnels par des consommateurs76 sont exclus du
champ d’application du DCEV.
Notons par ailleurs que l’article 7 de la Proposition initiale prévoyait que, lorsque toutes
les parties contractantes étaient des professionnels, le DCEV ne pouvait être appliqué que si
au moins l’une d’elles était une PME (art. 7 (1) de la Proposition initiale). La PME était
définie comme « un professionnel qui emploie moins de 250 personnes et dont le chiffre
d’affaires annuel ne dépasse pas 50 millions d’euros ou dont le bilan total annuel n’excède
pas 43 millions d’euros (…) » (art. 7 (2) de la Proposition initiale). En d’autres termes, les
contrats conclus entre « grandes entreprises » ne tombaient pas dans le champ d’application
du DCEV.
73
Le professionnel est défini à l’article 2 (e) comme: “toute personne physique ou morale, qu'elle soit publique
ou privée, qui agit à des fins qui, pour les contrats concernés, entrent dans le cadre de son activité commerciale,
industrielle, artisanale ou libérale”.
74
La CVIM n’emploie par le terme “professionnel” mais indique que la CVIM n’est pas applicable aux « ventes
de marchandises achetées pour un usage personnel, familial ou domestique, à moins que le vendeur, à un
moment quelconque avant la conclusion ou lors de la conclusion du contrat, n’ait pas su et n’ait pas été censé
savoir que ces marchandises étaient achetées pour un tel usage (art. 2, (a)) ».
75
La notion est définie à l’article 2 (f).
76
Par exemple, dans le secteur de la vente de véhicules d’occasion, le vendeur est souvent un particulier et
l’acquéreur un commerçant professionnel.
22
Même si 99% des entreprises européennes rencontrent cette définition de « PME », certains y
ont vu une difficulté supplémentaire pour les entreprises qui devraient s’interroger sur la
nature de celles avec lesquelles elles souhaiteraient contracter. En outre, cette exigence allait
multiplier les régimes juridiques applicables à leurs transactions de vente77. C’est pourquoi
cet article 7 a été amendé. Cette contrainte a été retirée78.
D. Champ d’application matériel
Selon l’article 5, le DCEV est appliqué aux contrats à distance, y compris les contrats en
ligne, qui constituent :
(a) des contrats de vente ;
(b) des contrats de fourniture d'un contenu numérique que l'utilisateur peut stocker,
traiter, réutiliser, ou auquel il peut avoir accès, que ce contenu soit fourni ou non
sur un support matériel ou par tout autre moyen et indépendamment du fait qu'il
soit fourni en contrepartie du paiement d'un prix ou d’une contre-prestation autre
que le paiement d’un prix ou qu’il ne soit fourni en échange d’aucune contreprestation ;
(c) des contrats de fourniture d’un service connexe, qu’un prix distinct ait été convenu
pour ce dernier ou non.
Contrairement à la CVIM, le DCEV indique ce qu’il faut entendre par « contrat de
vente ». Il s’agit de « tout contrat en vertu duquel un professionnel («le vendeur») transfère ou
s'engage à transférer la propriété des biens à une autre personne («l'acheteur») et l'acheteur
paie ou s'engage à en payer le prix »; il comprend les contrats portant sur la fourniture de
biens à fabriquer ou à produire et exclut les contrats de vente sur saisie ou impliquant
l'exercice de la puissance publique (art. 2, (k)). La notion de bien est définie comme « tout
objet mobilier corporel, à l'exclusion: i) de l'électricité et du gaz naturel, ii) de l'eau et d'autres
types de gaz à moins d'être conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée
(art. 2, (h)).
Bien que la notion d’« objet mobilier corporel79 » pourrait recevoir une interprétation
différente dans chaque instrument, la CVIM et le DCEV se recoupent sur ce point.
Néanmoins, le champ d’application du DCEV est plus large en ce qu’il vise aussi la fourniture
de « contenus numériques » et de « services connexes »80 mais il est surtout plus restreint car
77
P. WERY, et J.-F. GERMAIN, op. cit. ; p. 18 et s ; Z. JACQUEMIN, “Le champ d’application et la structure du
droit commun européen de la vente”, in O. DESHAYES, Le droit commun européen de la vente. Examen de la
proposition de Règlement du 11 octobre 2011, coll. Trans Europe Experts, vol. 6, Paris, éd. Société de
Législation comparée, 2012, p. 75.
78
Notons que l’article 13 (b) qui permettait aux Etats membres d’étendre le champ d’application aux parties
professionnelles même si aucune d’elles n’étaient une “PME” n’a pas été abrogé par la résolution législative de
février 2014.
79
Nous l’avons vu, bien que la CVIM utilise le terme “marchandise”, celui-ci renvoie à la notion “d’objet
mobilier corporel”.
80
Ces deux notions sont définies respectivement aux points (j) et (m) de l’article 2 de la Proposition amendée.
23
il ne vise que les « contrats à distance » c’est-à-dire tout contrat conclu sans la présence
physique simultanée des parties81.
Cette restriction ne se trouvait pas dans la Proposition initiale qui visait tous les contrats,
qu’ils soient à distance ou non (art. 5 de la Proposition initiale). Celle-ci s’explique par le
scepticisme que certains affichent à propos de ce règlement et par la volonté de cibler
principalement « the rapidly growing internet sales sector »82. Nous considérons cette
limitation du champ d’application comme regrettable même si elle doit être relativisée. En
effet, à l’heure actuelle, la majorité des contrats de vente transfrontaliers ne justifie plus le
déplacement des parties pour leur conclusion.
E. Matières régies
Le considérant n°26 du Préambule de la Proposition indique que le DCEV couvre,
« outre les droits et obligations des parties et les moyens d’action possibles en cas
d’inexécution », « les obligations d’information précontractuelle, la conclusion du contrat (y
compris les conditions formelles), le droit de rétractation et ses conséquences, l’annulation du
contrat pour cause d’erreur, de dol, de menace ou d’exploitation déloyale et les conséquences
de cette annulation, l’interprétation, le contenu et les effets du contrat, l’appréciation du
caractère abusif des clauses contractuelles et les conséquences de celui-ci, la restitution
consécutive à l’annulation et à la résolution, la prescription et la forclusion des droits » ainsi
que « les sanctions applicables en cas de violation de toutes les obligations qu’il prescrit ».
Nous constatons d’emblée que le DCEV régit beaucoup plus d’aspects du contrat de vente
que la CVIM. Ainsi, par exemple, les questions liées à la validité du contrat, à son
interprétation ou encore celles de la prescription83 y sont directement traitées.
Cependant, certaines questions juridiques importantes, en lien étroit avec le droit de la vente,
demeurent exclues du champ d’application du DCEV. Le considérant n°27 en dresse une liste
non exhaustive : n’est ainsi pas visé par le règlement tout ce qui a trait à « la personnalité
juridique, aux règles de capacité et au régime de la nullité du contrat consécutive à
l’incapacité, à la représentation84, à la cession de créances, à la compensation et à la novation
81
Art. 2 (p) de la Proposition amendée.
Cela est exprimé dans la justification de l’amendement de l’article 5.
83
Notons qu’une convention sur la prescription en matière de vente internationale de marchandises (ci-après la
CPVIM) a été conclue le 14 juin 1974 dans le cadre des Nations Unies. Elle vise à instaurer un délai de
prescription uniforme relatif aux contrats de vente internationale de marchandises. Antérieure à la CVIM, un
Protocole unifiant le champ d’application des deux conventions a été conclu le 11 avril 1980. Certains Etats n’y
ont pas adhéré si bien qu’il existe deux conventions : la CPVIM qui compte 29 Etats parties et la CPVIM telle
que modifiée par son Protocole, à laquelle 22 Etats parties ont à ce jour adhéré.
84
Evoquons à cet égard la convention sur la représentation en matière de vente internationale de marchandises
qui fut signée à Genève le 17 février 1983 sous les auspices d’UNIDROIT mais qui, faute de ratifications
suffisantes, n’est toujours pas entrée en vigueur.
82
24
(…) ». Par ailleurs, à l’image de la CVIM, le droit de propriété et les principes régissant son
transfert ne sont pas non plus régis par le DCEV85.
Le DCEV précise que les matières qui ne relèvent pas du DCEV seront régies par les
dispositions du droit national applicable en vertu des règles de conflit de lois pertinentes86.
Sur ce point, à l’instar de la CVIM, un rôle supplétif est laissé aux règles nationales.
Enfin, pour ce qui concerne les questions qui relèvent du champ d’application du DCEV
mais qui ne sont pas expressément réglées par celui-ci, l’article 4 (2) de l’Annexe I du DCEV
stipule qu’elles doivent l’être « conformément aux objectifs et aux principes qui lui sont sousjacents ainsi qu’à toutes ses dispositions ». Notons que, contrairement à la CVIM87, aucune
place subsidiaire n’est accordée par le DCEV au droit national pour combler ses éventuelles
lacunes.
F. L’interprétation
Tout comme la CVIM, la Proposition de Règlement pose le principe d’inteprétation
autonome du DCEV (art. 4 de l’Annexe I de la Proposition). Notons à cet égard que certains
auteurs88 considèrent cette règle comme un leurre. En effet, ils estiment que l’interprétation
du règlement reposera en premier lieu sur les juges nationaux, lesquels auront une tendance à
interpréter le droit uniforme en recourant aux solutions liées aux dispositions nationales
similaires, ce qui aura par ailleurs pour conséquence la mise en péril de l’interprétation
uniforme du Règlement.
Nous estimons cependant que ces considérations, basées sur l’expérience de la CVIM, sont à
relativiser. En effet, d’une part, contrairement à la CVIM qui ne jouit pas d’une juridiction
unificatrice, les principes d’interprétation autonome et uniforme seront garantis par la Cour de
Justice de l’Union Européenne. D’autre part, l’article 186bis de la Proposition amendée (anc.
art. 14 de la Proposition initiale) met en place un mécanisme de communication des décisions
judiciaires appliquant le règlement afin d’éviter ces difficultés.
Cependant, nous nous joignons à ces auteurs lorsqu’ils indiquent qu’afin de permettre à la
Cour de Justice « d’assumer pleinement et efficacement son rôle d’interprète du droit privé
européen, des changements structurels ou procéduraux dans [son] fonctionnement
s’avèreront sans doute nécessaires »89.
85
En revanche, tout comme dans la CVIM (Chapitre 4), le transfert des risques est organisé dans le DCEV
(chapitre 14).
86
Considérant n° 27.
87
art. 7, al. 2.
88
P. WERY, et J.-F. GERMAIN, op. cit., p. 19 ; P. PICHONNAZ, Conférence donnée à Liège le 7 mars 2013 ayant
pour thème « Le droit européen des contrats s’écrit-il à Bruxelles ? ».
89
Ibid, p. 20; D. HIEZ, « l’interprétation et l’application de l’instrument optionnel ; réflexions sur l’article 4 du
droit commun européen de la vente », in O. DESHAYES, Le droit commun européen de la vente. Examen de la
proposition de Règlement du 11 octobre 2011, coll. Trans Europe Experts, vol. 6, Paris, éd. Société de
Législation Comparée, 2010, p. 45.
25
Section II – Les sources privées
Nous n’aborderons dans cette section que les Principes UNIDROIT qui constituent la
référence la plus importante en la matière.
Sous-Section I - Les Principes UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce
international de 2010
Les Principes relatifs aux contrats du commerce international ont été publiés en 1994 par
l’UNIDROIT. Une nouvelle édition de ces Principes est parue en 2004 pour ensuite être
completée par une autre version en 2010. L’objectif de l’UNIDROIT est de proposer un
ensemble de principes non contraignants d’unification du droit90. Ils renferment un ensemble
de concepts adaptés aux besoins des opérations du commerce international que l’on trouve «
dans de nombreux systèmes juridiques, sinon tous (…) mais également les solutions qui sont
perçues comme étant les meilleures, même si elles ne sont pas encore adoptées de façon
générale »91. Nous relevons que, pour ce qui concerne les domaines qui sont couverts par la
CVIM, les Principes UNIDROIT retiennent souvent – mais pas toujours - les mêmes solutions
que celle-ci.
A. Contexte
L’idée de donner naissance à un tel instrument a sans nul doute été suscitée par le constat
que les efforts faits jusqu’alors en vue de l’unification du droit sur le plan international
avaient essentiellement pris la forme d’instruments contraignants qui risquaient souvent de
rester lettre morte et qui étaient fragmentaires92.
C’est pourquoi, dès 1980, un groupe d’experts est chargé de rédiger les différents projets de
chapitres qui constitueront les Principes UNIDROIT. Ce n’est toutefois que 14 ans plus tard
que sa première édition sera publiée. En 2004 et 2010, seront publiées les 2ième et 3ième
éditions de ces Principes. Comme l’indiquent leurs « Introductions » respectives, leur objectif
n’est pas de proposer une révision des éditions antérieures mais plutôt des variations mineures
et surtout le traitement de nouveaux sujets qui présentent un intérêt pour les communautés
juridiques et économiques internationales.
Notons que, dès leur diffusion, les Principes ont rencontré un énorme succès. Cela est
suffisament démontré par le volume considérable de la jurisprudence et de la doctrine
rapporté dans la base de données UNILEX93. Ils ont même influencé les codes civils de
90
Voy. L’Introduction de l’édition de 1994 des Principes Unidroit.
Ibid.
92
Ibid.
93
www.unilex.info.
91
26
Russie et de Lithuanie94. Cet accueil réservé aux Principes témoigne sans aucun doute de la
nécessité qu’il y avait de développer un tel instrument.
B. Les Fonctions des Principes UNIDROIT95
Le Préambule dresse une liste non exhaustive des différentes fonctions assignées aux
Principes UNIDROIT :
(a) d’abord, celle des « Principes en tant que loi régissant le contrat ». A cet égard,
plusieurs hypothèses sont à distinguer :
-
celle par laquelle les parties ont expressément choisi de soumettre leur
contrat aux Principes UNIDROIT. Cette référence faite par les partie sera
considérée comme un accord qui vise à incorporer les Principes au contrat,
en vertu du principe d’autonomie des volontés accordée par la loi régissant
le contrat qui est déterminée sur la base des règles de droit international
privé. Il en résulte que les parties ne seront liées par les Principes que dans
la mesure où ceux-ci ne portent pas atteinte aux règles impératives et
d’ordre public du droit applicable.
Rappelons96 à cet égard que certains estiment que la force obligatoire de
ces Principes n’est pas fondée sur le principe d’autonomie des volonté mais
plutôt sur leur nature d’usages professionnels universels, ceux-ci
constituant un « droit » autonome, la lex mercatoria. Les Principes seraient
donc soustraits à l’emprise des lois nationales impératives ou d’ordre
public.
Le Préambule semble d’ailleurs faire écho à cette théorie, de façon limitée,
en ce qu’il indique que, dans le cadre d’un arbitrage international, les
parties pourront choisir « les Principes comme « règles de droit » en vertu
desquelles les arbitres régleront le différend. Le résultat étant que les
Principes s’appliqueraient à l’exclusion de toute loi nationale
particulière (…)».
-
L’hypothèse dans laquelle les parties n’ont pas choisi expressément une loi
applicable. Bien que la loi normalement applicable devrait être celle
désignée par les règles de conflit de lois, le Préambule des Principes
UNIDROIT indique que ceux-ci peuvent toutefois être appliqués dans le
94
Voy. A. DOUDKO, Hardship in contract: The approach of the UNIDROIT Principles and Legal developments
in Russia, Unif. L. Rev. 2000, p. 483 et s; V. MIKELENAS, Unification and Harmonisation of Law at the turn of
the Millenium: the Lithuanian Experience, Unif. L. Rev. 2000, p. 243 et s.
95
Voy. à cet égard E. CHARPENTIER, Les Principes UNIDROIT: une codification de la lex mercatoria? 46 C. de
D. 193, 2005, p. 195 et s.
96
Ce point a été développé dans la section relative à la voie privée Chapitre I, Section III.
27
contexte de l’arbitrage international car le juge peut appliquer « les règles
de droit » qu’il juge appropriées ».
Encore une fois, une place semble être faite par les Rédacteurs des
Principes à la théorie de la lex mercatoria en ce qu’il considère ces derniers
comme des « règles de droit ».
(b) Ensuite, les Principes UNIDROIT pourraient être utilisés, selon leurs rédacteurs,
en vue d’interpréter ou de compléter d’autres instruments du droit international
uniforme. Le recours à des principes uniformes autonomes et internationaux a été
expressément indiqué, par exemple dans l’article 7 de la CVIM, en vue de
l’interpréter ou de combler ses lacunes. Jusqu’à la publication des Principes, il
appartenait aux juges de trouver de tels principes autonomes. Dorénavant, les
Principes pourraient être une référence dans leurs prises de décisions.
Enfin, le Préambule confère aux Principes deux autres fonctions qui ne seront toutefois
pas abordées dans le cadre du présent travail :
(c) Les Principes pourraient être utilisés afin d’interpréter ou de compléter le droit
national.
(d) Enfin, ils peuvent servir de modèle aux législateurs nationaux et internationaux.
C. Le champ d’application territorial et matériel
Les Principes sont applicables aux « contrats du commerce international »97. En ce sens,
leur portée est beaucoup plus large que celle des deux instruments précédemment étudiés.
En effet, d’une part, leur application territoriale n’est pas limitée à l’exigence de se trouver en
présence d’« Etats contractants » ou d’« Etats membres ». Ainsi, ils ont vocation à pouvoir
s’appliquer dans le monde entier, la seule « contrainte »98 étant que le contrat présente un
caractère international99.
D’autre part, leur champ d’application matériel n’est pas restreint aux seuls « contrats de
vente ». Il englobe les « contrats du commerce » entendus de la façon la plus large possible.
L’idée poursuivie est d’inclure non seulement les opérations de vente de marchandises mais
aussi d’autres types d’opérations telles que les contrats d’investissement ou de concession par
exemple. Cependant, à l’inverse de ce que prévoit le DCEV, les opérations de
« consommation » sont exclues de son champ d’application.
97
Préambule des Principes Unidroit de 2010.
Encore que, bien que ces Principes aient été conçus pour le commerce international, rien n’empêche les parties
de s’entendre pour appliquer les Principes aux contrats purement nationaux.
99
A cet égard, le Préambule indique qu’il convient de donner au concept de contrats “internationaux”
l’interprétation la plus large possible.
98
28
D. Matières régies
Les Principes couvrent un nombre plus important de questions que le DCEV (et donc que
la CVIM). En effet, ils appréhendent de façon plus complète non seulement le contrat, de sa
conception jusqu’à son extinction (formation avec la problématique de la représentation,
validité, interprétation, droits et obligations, exécution, inexécution) mais aussi les questions
liées à la prescription, la compensation, la cession de créances ou de dettes ou encore à la
pluralité de débiteurs ou créanciers. Notons cependant, qu’à l’image de la CVIM et du DCEV,
les Principes UNIDROIT ne traitent pas du transfert de propriété dans le cadre des contrats de
vente. Ils ne règlent pas non plus la question du transfert des risques, matière par contre traitée
par la CVIM et le DCEV100.
Ces questions, restées en dehors du champ d’application des Principes, seront, comme
c’est le cas pour la CVIM et le DCEV, délaissées au profit du droit national applicable.
Par ailleurs, l’article 1.6, 2) indique que les questions qui entrent dans le champ
d’application de ces Principes mais qui ne sont pas tranchées expressément sont, dans la
mesure du possible, réglées conformément aux principes généraux dont ils s’inspirent. En
outre, moins idéaliste que le DCEV, les Principes laissent, comme la CVIM, une place
subsidiaire aux droits internes dans le comblement de ses lacunes101.
E. L’interprétation
Enfin, les Principes posent également le principe d’interprétation autonome et uniforme
de ses dispositions102. Aucune juridiction centrale n’existe cependant pour les garantir. Tout
comme c’est le cas pour la CVIM, il reviendra aux juges nationaux et arbitres de promouvoir
cette interprétation. Notons néanmoins à cet égard qu’une base de données recueillant la
doctrine et la jurisprudence a été mise en place dans le but de faciliter ce travail103.
100
Cfr. Section I.
Voy. les Commentaires de l’art. 1.6.
102
art. 1.6 (1).
103
Voy. www.unilex.info.
101
29
CHAPITRE III – LES RELATIONS ENTRE CES SOURCES : COEXISTENCE,
COMPLEMENTARITE OU CONCURRENCE ?
Imaginons une entreprise allemande spécialisée dans la production de composants
électroniques destinés à être utilisés dans la fabrication de téléphones portables. Cette
entreprise vend ses composants dans le monde entier et notamment de façon régulière à une
entreprise italienne spécialisée dans ce domaine. Pour la plupart de ces entreprises, la vente se
fait à distance.
Au regard de ce qui vient d’être développé dans le chapitre II, les trois instruments sont
susceptibles de s’appliquer au cas d’espèce. Or, quelles relations entretiennent-ils entre eux ?
Peuvent-il être appliqués simultanément et se combiner ? Sont-ils concurrents et exclusifs les
uns par rapport aux autres? Dans quelle mesure sont-il coexistants? C’est à ces questions que
nous nous proposons de répondre.
A cette fin, nous nous proposons d’analyser successivement les rapports entre les
Principes UNIDROIT et la CVIM (Section I), ensuite les rapports entre cette dernière et le
DCEV (Section II), et enfin ceux entre le DCEV et les Principes UNIDROIT (Section III).
Section I – Les Principes UNIDROIT et la CVIM
Dès la publication des Principes UNIDROIT, des voix se sont élevées pour indiquer
qu’en raison de leur champ d’application, ils rentraient en compétition avec la CVIM adoptée
14 ans plutôt.
M. BONELL, l’un des membres du Groupe de Travail chargé de l’élaboration des Principes,
apporte quelques clarifications par rapport à cette problématique104. Selon lui, la CVIM et les
Principes UNIDROIT ne se font pas concurrence mais sont plutôt coexistants (a) et
complémentaires (b).
A. Coexistence105
Il explique ainsi que la CVIM ne traite que les contrats de vente tandis que le champ
d’application des Principes UNIDROIT est beaucoup plus large. En conséquence, leurs
champs d’application ne se chevauchent pas dès lors que les contrats visés ne sont pas des
contrats de vente.
Par ailleurs, même en ce qui concerne les contrats de vente, les deux textes ne sont pas
nécessairement incompatibles et peuvent utilement se supporter. En effet, malgré le succès
mondial de la CVIM, un contrat de vente peut toujours être conclu entre des parties qui ne
sont pas situées dans des Etats contractants et échapper ainsi à son champ d’application. Dans
104
M.J. BONELL, “The Unidroit Principles of international commercial contracts and CISG: Alternatives or
complementary instruments?”, Uniform Law Review, 1996, pp. 26-39.
105
Ibid., p. 33.
30
un tel cas, une place est réservée pour l’application des Principes UNIDROIT comme
instrument alternatif de droit uniforme.
B. Complémentarité106
1) Une complémentarité matérielle
Ensuite, même lorsque la CVIM est applicable, les parties peuvent souhaiter recourir
additionnellement aux Principes UNIDROIT pour les matières qu’elle ne couvre pas107. A cet
égard, l’utilité d’une telle démarche nous paraît faible108. Les parties préféreront sans doute
appliquer un seul régime juridique à leur contrat, celui des Principes UNIDROIT109.
2) Une complémentarité par rapport à l’interprétation et au comblement des
lacunes
M. BONNEL poursuit plus loin en ajoutant que, même en ce qui concerne les matières
régies par la CVIM, les Principes UNIDROIT peuvent jouer un rôle important sans pour
autant entrer en concurrence avec celle-ci, notamment celui de moyen d’interprétation et de
complément de la CVIM110.
Pour soutenir sa thèse, il relève que l’article 7 de la CVIM admet le recours aux principes
généraux internationaux en vue de son interprétation et du comblement de ses lacunes. Ainsi
par exemple, à propos de l’interprétation, l’article 7.3.1 des Principes UNIDROIT pourrait
être utilisé pour une meilleure compréhension du concept de « fundamental breach of
contract » que la CVIM peine à définir de manière non-équivoque (art. 25).
Cette position a été accueillie favorablement par certaines juridictions et notamment par la
Cour de cassation belge dans un arrêt du 19 juin 2009111 qui a fait l’objet de nombreux
commentaires112. Cette décision permet aux Principes UNIDROIT de combler les lacunes de
la CVIM, et précisément la question de savoir si l’article 79 (1), lequel traite de l’exonération
de reponsabilité, couvre le cas de la théorie de l’imprévision ou non.
106
Ibid., p. 34.
Ibid., p. 37.
108
Soit les parties veulent à tout prix voir appliquer les dispositions de la CVIM car, bien que très souvent
semblables, elles présentent quelques différences par rapport aux Principes UNIDROIT, différences auxquelles
elles attachent une grande importance. Soit elles sont guidées uniquement par la volonté d’échapper à
l’impérativité ou au caractère d’ordre public des lois nationales concernant les domaines couverts pas la CVIM.
109
Pour rappel, ceux-ci régissent notamment les mêmes matières que la CVIM.
110
Conformément à la seconde fonction assignée aux Principes UNIDROIT. Celle-ci a été analysée dans le
chapitre II.
111
Cass., 19 Juin 2009, Scafom International BV v. Lorraine Tubes S.A.S.
112
Voy. par exemple A. VENEZIANO, “UNIDROIT Principles and CISG : Change of Circumstances and Duty to
Renegotiate according to the Belgian Supreme Court”, Rev. dr. unif., 2010, p. 137 et s.
107
31
A l’inverse, certains auteurs113 ont refusé de conférer un tel rôle à ces Principes. D’abord,
sur un plan formel, ils indiquent que les Principes UNIDROIT constituent le résultat d’une
production doctrinale postérieure à la CVIM. Par conséquent, ils ne peuvent être utilisés pour
interpréter ou compléter celle-ci. Ensuite, sur le plan substantiel, ils estiment que, malgré son
importance pour les contrats commerciaux internationaux, l’instrument UNIDROIT ne reflète
pas les principes généraux du commerce international.
A cet égard, nous adopterons une position intermédiaire. Nous considérons en effet que
les Principes UNIDROIT peuvent utilement compléter la CVIM pour autant qu’ils soient le
reflet des principes généraux ayant cours dans le commerce international, peu importe qu’ils
soient antérieurs ou postérieurs à la CVIM. Nous estimons en effet qu’adopter une vision
statique de la CVIM et ne pas permettre son évolution, en opposant à l’application des
Principes un argument d’ordre chronologique, serait contraire à la volonté de ses
rédacteurs114. Néanmoins, nous pensons que le caractère général des principes évoqués par la
CVIM (art.7) a toute son importance. Comme les Principes UNIDROIT contiennent des
règles qui sont « perçues comme étant les meilleures, mais pas encore adoptées de façon
générale », les juges devront veiller à établir le caractère général ou non de celles-ci.
C. Concurrence
Quoi qu’en pense M. BONNEL pour qui « within the ambit of sales contracts, there is (…)
no real competition between the two [instruments]115», nous estimons au contraire que les
Principes UNIDROIT et la CVIM se font concurrence à certains égards.
C’est notamment le cas lorsque les Principes UNIDROIT sont utilisés, non pas dans leur rôle
complétif mais dans leur première fonction, celle de « Principes en tant que loi régissant le
contrat ». Ainsi, lorsque des parties établies respectivement dans des Etats contractants116 au
sens de la CVIM sont amenées à conclure un contrat de vente, elles sont confrontées à un
choix, à tout le moins pour les matières qui sont couvertes par les deux instruments.
Lorsque ces parties optent pour l’application des Principes UNIDROIT, des difficultés
pratiques peuvent surgir. En effet, les juges et arbitres pourraient tirer des conclusions
différentes de la référence faite par les parties aux Principes UNIDROIT :
-
d’abord, ils pourraient considérer qu’elle constitue une exclusion de l’application de la
CVIM en vertu de son article 6 (opting out).117 Dans cette hypothèse, le contrat sera
113
A. VENEZIANO cite à cet égard R. HERBER « Lex mercatoria und Principles – gefährliche Irrlichter im
internationalen Kaufrecht », Internationales Handelsrecht, 2003, p. 1 et s ; F. FERRARI, in I. SCHWENZER (Ed.),
Schlechtriem / Schwenzer Kommentar zum Einheitlichen UN-Kaufrecht – CISG, 5 Ed., München-Basel, 2008,
184 et s.
114
A. VENEZIANO, op. cit., p. 141 ; D. PHILIPPE , « Unidroit principles and belgian case law », Diritto del
commercio internazionale, Anno XXVI, Fasc. 4-2012, 2012, pp. 940-942.
115
M.J. BONELL, “The Unidroit Principles of international commercial contracts and CISG: Alternatives or
complementary instruments?”, op. cit., p. 39.
116
Ou lorsque les règles de conflit de lois désignent la loi d’un Etat contractant (art. 1 (b)).
117
Pour rappel, la CVIM est applicable directement dès que les conditions de son article 1er sont réunies.
32
donc régi par la loi nationale que les règles de conflit de lois retiennent et en vertu de
laquelle les parties ont fait usage de leur liberté contractuelle pour l’application des
Principes. Les parties ne seront donc liées par ceux-ci que dans la mesure où ils ne
portent pas atteinte aux règles impératives et d’ordre public du droit applicable ;
-
Ensuite, les juges et arbitres pourraient estimer que cette référence ne constitue pas
une exclusion de la CVIM118. Les parties ont voulu jouir de la liberté contractuelle
offerte par la CVIM119. Dans ce cas, les Principes ne se heurtent plus aux dispositions
nationales impératives en ce qui concerne les domaines couverts par la CVIM (art.
4)120. Ils ne pourront être limités que par l’article 12 qui constitue la seule disposition
impérative de la CVIM121 ;
-
Enfin, dans le cadre d’un arbitrage, les arbitres pourraient considérer que les Principes
UNIDROIT s’appliquent à l’exclusion de toutes lois nationales ou internationales car
ils seraient l’expression de la lex mercatoria122.
En définitive, il appartiendra aux parties de formuler clairement leurs intentions dans la
clause qu’elles rédigent à cet égard.
Section II – La CVIM et le DCEV123
L’analyse des dispositions de ces deux instruments nous enseigne qu’ils entretiennent, à
l’image de ce qui vient d’être développé ci-dessus, une relation de coexistence (a), de
complémentarité matérielle (b) et de concurrence (c).
A. Coexistence
D’abord, la CVIM ne réglemente que les contrats de vente de marchandises alors que le
DCEV a une portée plus large en ce qu’il régit également les contrats de fourniture de contenu
numérique et de « service connexe ».
Ensuite, la CVIM ne gouverne que les relations entre professionnels contrairement au
DCEV qui régit par ailleurs les contrats de consommation. La CVIM ne risque donc pas
118
En effet, certaines juridictions n’admettent pas l’exclusion implicite de la CVIM et requièrent des parties une
clause expresse.
119
Notons que, si la CVIM ne la reconnait pas expressément, il ne fait nul doute qu’elle était bien présente dans
l’esprit de ses rédacteurs. Voy. à cet égard K. NEUMAYER, C. MING, F. DESSEMONTET, « Convention de Vienne
sur les contrats de vente internationale de marchandises – Commentaires », CEDIDAC, 1993, commentaires sur
l’article 6, p. 84.
120
Pour ceux qu’elle ne couvre pas, la première hypothèse est d’application.
121
En effet, l’art. 6 prévoit que « les parties peuvent exclure l’application de la présente convention ou, sous
réserve des dispositions de l’article 12, déroger à l’une quelconque de ses dispositions ou en modifier les
effets ».
122
Voy. supra.
123
Voy. N. KORNET, “The common European Sales Law and the CISG: complicating or simplifying the legal
environment?”,
Maastricht
European
private
law
institute,
2012,
disponible
sur
http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2012310.
33
d’entrer en concurrence avec le DCEV dès lors que les contrats visés sont des contrats de
consommation.
Enfin, même en ce qui concerne les contrats de vente entre professionnels, les deux
normes ne sont pas nécessairement incompatibles. D’une part, le DCEV n’a vocation à
s’appliquer qu’aux contrats à distance alors que la CVIM ne formule pas une telle exigence.
D’autre part, si aucune des parties n’est établie dans un Etat membre de l’UE, le DCEV ne
peut s’appliquer, laissant place ainsi à la CVIM.
B. Complémentarité matérielle
Conformément à l’article 8 (3) de la Proposition amendée et à l’article 1 (2) de l’Annexe
de la Proposition, « dans les relations entre professionnels124, le droit commun européen de la
vente peut être appliqué partiellement (…)». Ainsi, lorsque la CVIM et le DCEV trouvent
chacun à s’appliquer à une même relation, les parties ont la faculté de compléter, pour les
matières qui ne sont pas régies par la CVIM, le régime juridique applicable avec le DCEV.
C. Concurrence
Cependant, si deux parties professionnelles à un contrat de vente à distance sont situées
dans des Etats contractants125 de la CVIM et que l’un de ces Etats au moins est également
membre de l’UE, alors les deux instruments se font concurrence, à tout le moins pour les
matières couvertes par les deux.
Si les parties optent pour l’application du DCEV, ce dernier se trouvera en conflit avec la
CVIM qui est applicable directement dès lors que les conditions de son article 1er sont réunies.
Dans cette hypothèse, nous estimons que l’application de cette dernière doit être écartée.
Deux arguments permettent de soutenir notre point de vue :
-
tout d’abord, nous considérons ce choix par les parties comme une exclusion implicite
de la CVIM (art. 6). C’est d’ailleurs la position qui a été adoptée par les rédacteurs du
DCEV lorsqu’ils déclarent dans le Considérant 25 de la Proposition que « lorsque la
convention des Nations unies sur la vente internationale de marchandises trouverait à
s'appliquer au contrat en question, le choix de recourir au droit commun européen de
la vente devrait impliquer l'accord des parties contractantes d'exclure cette
convention »;
-
Ensuite, l’article 90 de la CVIM, lequel semble être passé sous silence par certains
auteurs126, indique précisément que « la présente convention ne prévaut pas sur un
accord international déjà conclu ou à conclure qui contient des dispositions
124
Relevons que cette faculté est exclue dans le cadre de relations entre professionnels et consommateurs.
Ou lorsque les règles de conflit de lois désignent la loi d’un Etat contractant (art. 1 (b)).
126
S. GÖSSL et J. BISCHOFF, “Regional vs. Universal unification?”, Reflections on Transnational Litigation and
Commercial Law, 2012, disponible sur http://blogs.law.nyu.edu/transnational/2012/08/regional-vs-universalunification/.
125
34
concernant les matières régies par la présente convention ». Cette diposition nous
semble de nature à convaincre les juridictions qui exigent une clause expresse
d’exclusion de la CVIM127.
Cependant, pour éviter tout problème, il serait judicieux que les parties prévoient dans
leur contrat, en sus de la clause selon laquelle elles optent pour l’application du DCEV, une
clause expresse d’exclusion de la CVIM.
Section III – Le DCEV et les Principes UNIDROIT
La dernière relation que nous analyserons est celle qui existe entre le DCEV et les
Principes UNIDROIT. A nouveau, trois rapports existent entre ces deux instruments, celui de
coexistence (a), de complémentarité (b) et de concurrence (c).
A. Coexistence
Un rapport de coexistence peut être trouvé entre les deux instruments à plusieurs égards.
Tout d’abord, comme déjà indiqué, le DCEV, a trait uniquement aux contrats à distance,
conclus tantôt entre professionnels et tantôt entre un professionnel et un consommateur alors
que les Principes UNIDROIT excluent de leur champ d’application « toutes opérations de
consommation » et ne formulent aucune exigence quant au critère « à distance » ou non du
contrat.
Ensuite, au niveau des contrats qu’ils régissent, le champ d’action du DCEV est plus
restreint que celui des Principes UNIDROIT dans la mesure où ces derniers visent les contrats
de commerce « dans le sens le plus large possible »128 tandis que le DCEV ne couvre que les
contrats de vente, de fourniture de contenu numérique et de « service connexe ».
Enfin, d’un point de vue territorial, les Principes UNIDROIT ont vocation à s’appliquer à
l’échelle mondiale alors que le DCEV ne s’appliquera que lorsqu’une des parties
contractantes au moins est située dans un Etat membre de l’UE.
B. Complémentarité
1) Une complémentarité matérielle
A l’inverse des deux situations de complémentarité matérielle décrites ci-dessus,
l’hypothèse dans laquelle les Principes UNIDROIT peuvent compléter le DCEV, et
inversément, semble beaucoup plus restreinte. En effet, comme nous l’avons vu dans le
127
Notons cependant que l’article 90 exige que « les parties au contrat aient leur établissement dans des Etats
parties à cet accord ». En conséquence, la situation dans laquelle le DCEV est susceptible de s’appliquer aux
contrats conclus avec une partie située dans un Etat hors de l’UE ne semble pas visée par la disposition.
128
Voy. Préambule des Principes UNIDROIT.
35
Chapitre II, les matières régies par ces deux instruments sont très nombreuses et souvent
identiques.
Il conviendra donc d’identifier avec précisions les différentes matières qui ne sont pas
régies respectivement par chacun des instruments. A titre d’exemple, nous pouvons citer la
matière du transfert du risque qui est régie par le DCEV, lequel pourrait ainsi venir en appui
des Principes UNIDROIT qui ne la traitent pas. A l’inverse, les Principes UNIDROIT
pourraient compléter le DCEV par rapport aux questions liées à la compensation et à la
cession de créances ou de dettes.
2) Une complémentarité par rapport à l’interprétation et au comblement des
lacunes ?
Lors de l’entrée en vigueur du DCEV, pourrait se poser la question de savoir si les
Principes UNIDROIT, conformément à la deuxième fonction qui leur est assignée, peuvent
servir de base dans le cadre de l’interprétation du DCEV ou venir combler ses lacunes, à
l’image de ce qui a été développé à propos de la CVIM.
Rappelons à cet égard que l’article 4.1 du DCEV stipule qu’il doit être inteprété et comblé,
pour les questions qui relèvent de son champ d’application mais qui ne sont pas expréssément
règlées par lui, « conformément à ses objectifs et aux principes sous-jacents à celui-ci ».
Dans le cadre de la relation entre la CVIM et les Principes UNIDROIT, nous avons admis
que ces derniers pouvaient compléter la CVIM alors même qu’ils ne constituaient pas à
proprement parler des « principes généraux dont [la CVIM]s’inspire »129. Nous ne réitérerons
toutefois pas cette position à propos du DCEV.
En effet, partant du postulat que les Principes UNIDROIT, tout comme la CVIM ont une
vocation internationale alors que le DCEV est le fruit d’une unification régionale qui retient
des solutions appropriées pour les entreprises européennes, nous soutenons l’idée que les
Principes UNIDROIT ne peuvent adéquatement compléter et interpréter le DCEV. Ce rôle
doit être affecté aux principes posés dans le Cadre Commun de Référence publié en 2008 et
dans les Principes du droit européen des contrats, lesquels principes ont servi de jalons dans
le cadre de la recherche pour le développement du DCEV.
C. Concurrence
Comme dans le cas des deux précedentes sections, nous relevons un rapport de
concurrence entre le DCEV et les Principes UNIDROIT. Ce rapport survient lorsqu’un
contrat de vente à distance est conclu entre deux parties professionnelles dont l’une au moins
fait partie d’un Etat membre de l’UE.
129
art. 7 CVIM.
36
Dans cette hypothèse alors, les parties ont la faculté d’opter pour l’un des deux instruments.
Notons toutefois que, dans le cas d’espèce, les parties ne seront confrontées à aucune
difficulté pratique. En effet, le DCEV et les Principes UNIDROIT constituant tous deux des
instruments optionnels, le choix porté par les parties sur l’un ou l’autre outil ne risque pas
d’entrer en conflit avec l’autre instrument, contrairement à ce qui peut survenir avec la CVIM.
37
CONCLUSION
L’analyse des relations entre les différents instruments montre que les acteurs,
principalement européens, du commerce international sont confrontés à un véritable dédale de
règles qui ont toutes pour objet l’uniformisation internationale et/ou régionale de la vente.
Face à ce dédale, nous nous sommes efforcé, au travers de notre exposé, d’en tracer les limites
et de présenter les connexions qui existent entre les trois instruments.
Un constat doit être posé : la profusion des sources de droit internationales et régionales
potentiellement applicables à la vente et la concurrence qui existe entre elles sont autant
d’embûches à l’uniformisation souhaitée, socle pourtant de la mise en place de chacun de ces
instruments. Ainsi, l’uniformisation au travers de laquelle un droit unique devait se substituer
à une multitude de droits nationaux potentiellement applicables se retrouve in fine en proie à
une myriade d’instruments internationaux uniformisateurs.
Nous l’avons vu, la superposition de ces instruments trouve son origine dans le
développement chaotique d’un droit uniforme mené par différentes instances. Tout d’abord,
l’UNIDROIT s’est attaché à la confection d’instruments internationaux contraignants que sont
les conventions de La Haye. Ensuite, eu égard à l’échec de celles-ci, la CNUDCI a développé
la CVIM. En raison des limites que présente cette dernière, l’UNIDROIT s’est par la suite
attelé à la codification non contraignante des usages et pratiques contractuelles développés par
les acteurs du commerce international. Enfin, l’Union Européenne devrait adopter
prochainement son règlement optionnel relatif au droit commun européen de la vente.
En résumé, partant d’instruments contraignants à vocation internationale, nous sommes
passés par la codification non législative de principes internationaux pour aboutir
prochainement à l’adoption d’un Règlement optionnel régional européen.
L’uniformité internationale est difficile pour ne pas dire inconcevable dans les domaines
où les divergences sont trop fortes130. Même dans les branches du droit ou dans les matières
les plus propices comme le droit international commercial ou, plus spécifiquement, le droit de
la vente internationale, le processus d’uniformisation international ne semble pas réalisable
aujourd’hui de manière contraignante. Une telle uniformisation ne serait possible que par le
biais d’une unification politique mondiale tout comme les codifications nationales du
XIXème siècle ont été rendues possibles par la « puissance de l’Etat »131.
L’idée de tendre vers l’uniformité ne doit pas pour autant être abandonnée, ses avantages
pour le commerce international n’étant plus à démontrer. A cet égard, les instruments
développés par l’UNIDROIT et l’UE doivent être accueillis avec beaucoup d’enthousiasme.
130
MONTESQUIEU écrivait déjà que « [les lois] doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont
faites que c’est un très grand hasard si celle d’une nation peut convenir à une autre » in De l'Esprit des lois, L. I,
ch. III.
131
F. GÉLINAS, “Codes, silence et harmonie – Réflexions sur les principes généraux et les usages du commerce
dans le droit transnational des contrats”, Les cahiers de droit, vol. 46, n° 4, 2005, p. 942.
38
Nous ne pouvons que regretter la complexité de leurs relations et de celles qu’ils entretiennent
avec la CVIM ainsi que la superposition souvent inefficace de ces trois instruments.
39
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