LE CINEMA HOLLYWOODIEN : UN SYSTEME
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LE CINEMA HOLLYWOODIEN : UN SYSTEME
LE CINEMA HOLLYWOODIEN : UN SYSTEME INDUSTRIEL ET IDEOLOGIQUE … Depuis les années 1920, le cinéma hollywoodien domine le cinéma mondial : les studios californiens ont élaboré une puissante industrie dont l’efficacité économique et idéologique ne s’est pas vraiment affaiblie (actuellement, le cinéma indien produit davantage de films mais son influence est plus limitée…). Il est LE cinéma de référence, qu’on s’y oppose ou qu’on tente de le copier (« le cinéma américain, ce pléonasme », écrit Serge Daney).: il est donc incontournable dans l’histoire du septième art. Mais ce cinéma hollywoodien, assez homogène des années 1920 aux années 1950, peut aussi intéresser l’enseignant d’histoire quand on envisage deux aspects : l’organisation économique de ce secteur très rentable et les représentations idéologiques véhiculées par les films des studios californiens. Un cinéma industriel A partir des années 1910, les studios qui s’installent sur la côte californienne, mettent progressivement en place un système économique rationnel. Dans les années 1920, quelques grandes sociétés exercent leur domination sur le milieu du cinéma (les fameuses 5 Majors - MetroGoldwyn-Mayer, Warner Brothers, Paramount, Fox, 20th Century - touchent 75 % des recettes de l’industrie du cinéma). Ces studios bénéficient de plusieurs atouts : des installations importantes souvent au cœur même d’Hollywood, le contrôle des salles d’exploitation, une spécialisation extrême des différentes tâches de création, un système contraignant pour les artistes (les réalisateurs et les stars signent alors des contrats léonins, qui les obligent à ne travailler que pour une seule compagnie), une organisation très avancée de la profession (dès les années 1920, création du syndicat des producteurs, la MPDA, mise en place du code Hays, système qui assure la « bonne tenue » des films hollywoodiens, célébration annuelle des Academy Awards, qui assure la promotion du cinéma des studios…). Ainsi, le cinéma américain fonctionne de manière quasi industrielle (l’organisation des studios n’est pas sans rappeler la taylorisation alors appliquée dans les entreprises américaines) : le temps de fabrication est limité (en général, quelques semaines) et le « produit » est même testé au cours de séances d’avant premières destinées à mesurer les réactions du public (les previews). Pour assurer leur succès commercial, les studios produisent des films de plus en plus standardisés, avec des méthodes qui ont fait la preuve de leur rentabilité : le récit est simplifié et elliptique, insistant sur les temps forts pour garder l’attention du spectateur. Les personnages sont stéréotypés (la star, masculine ou féminine, le « bad boy » à la mine patibulaire, immédiatement reconnaissable…). Les studios se spécialisent dans quelques genres appréciés du public : le cinéma d’aventures, le western, le mélodrame, la comédie musicale, voire le film de gangsters…Cette efficacité fait du cinéma américain un des plus rentables et du productifs du monde (dans les années 1920, la production de films aux Etats-Unis s’élève à 750, près de 400 en Allemagne, entre 100 et 200 en France, moins de 100 en URSS). Un cinéma idéologique Mais cette machine hollywoodienne n’est pas seulement, comme le prétendent les studios, « une usine à rêves » : elle produit également des valeurs idéologiques, d’autant plus affirmées que les grands patrons des Majors sont en général issus de l’immigration : ces hommes, souvent d’origine modeste (les frères Warner, Louis Mayer, Samuel Goldwyn…), sont de fervents admirateurs de l’american way of life et de ce pays qui leur a permis de réussir. Ainsi, l’histoire des Etats Unis vue par Hollywood relève plus du mythe que d’une approche érudite. En particulier, les films qui évoquent la conquête de l’Ouest (les westerns de John Ford, Cecil B. De Mille ou Raoul Walsh) justifient sans état d’âme l’extermination des populations indiennes. Le système politique américain est décrit comme le meilleur du monde (certains films de Frank Capra –Mr Smith au Sénat ou L’extravagant M. Deeds par exemple- sont quasiment des leçons d’éducation civique, qui montrent qu’un seul homme de bonne volonté –en général incarné par Gary Cooper ou James Stewart-peut remettre en marche la démocratie américaine, s’il advenait qu’elle soit menacée…). De même, le cinéma hollywoodien dénonce sans nuance les révolutionnaires de tous temps (Dans Les deux Orphelines de D.W Griffith, les Montagnards sont curieusement assimilés…à des Bolcheviks !). Les minorités ethniques sont ignorées ou caricaturées (dans Autant en emporte le vent réalisé en 1939, les personnages afro-américains sont le plus souvent présentés de manière négative…). Mais ces pesanteurs économiques et idéologiques n’ont pas empêché certains metteurs en scène de réaliser de véritables chefs d’œuvre (on pense à certains films de John Ford, Charlie Chaplin, d’Howard Hawks, d’Ernest Lubitsch, d’Alfred Hitchcock, de John Huston, sans parler d’Orson Welles, qui réalise Citizen Kane en 1940 pour la RKO alors qu’il n’a que 25 ans et la liste n’est pas exhaustive…) En tout état de cause, le cinéma hollywoodien a donc joué un rôle essentiel dans l’élaboration et la diffusion des mythes fondateurs de l’idéologie américaine. Selon Jean-Michel Frodon, « le cinéma assume l’essentiel de la constitution de l’image de la nation américaine, pour elle-même et pour le reste de la planète » (La projection nationale, 1998). Déclin et renaissance d’Hollywood Au cours des années 1950, le cinéma hollywoodien entre dans une période difficile : au point de vue économique, les studios sont obligés par le gouvernement américain de se séparer de leurs réseaux de salles d’exploitation et ils sont frappés de plein fouet par la concurrence de la télévision. D’un point de vue idéologique, le monde du cinéma est affecté par « la chasse aux sorcières » qui s’attaque à ce milieu particulièrement sensible : les plus engagés sont exclus des studios (les fameux « Dix d’Hollywood ») et les magnats des grands studios promettent de ne plus employer de « personnes suspectes » (certains réalisateurs célèbres comme Joseph Losey, Jules Dassin, Charlie Chaplin quittent alors le territoire américain).Certains films des années 1950 témoignent aussi de la crise des valeurs de la société américaine : plusieurs westerns remettent en cause la vision manichéenne de la conquête de l’Ouest (La flèche brisée de Delmer Dawes est présentée comme l’un des premiers films pro-indiens du cinéma américain. John Ford lui-même réalise Les Cheyennes qui revient sur le sort tragique de cette tribu pourchassée par l’armée…). Le film de Nicholas Ray, La fureur de vivre, avec le jeune acteur James Dean, insiste sur les difficultés au sein d’une famille de la classe moyenne…Pendant près d’une décennie, les studios d’Hollywood vont connaître une période difficile, et ce n’est que dans les années 1970, avec une nouvelle génération de cinéastes (George Lucas, Steven Spielberg, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Brian de Palma) que les studios vont renouer avec leur puissance d’antan. Le cinéma hollywoodien est ainsi intimement lié à l’histoire contemporaine des Etats-Unis, et l’étude de cet art particulier peut être une manière très stimulante – à la fois pour les élèves et les enseignants- d’aborder certaines périodes au programme dans notre discipline. Pascal Bauchard