Dépression, invalidité longue durée et lien d`emploi… un

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Dépression, invalidité longue durée et lien d`emploi… un
INFO JURISPRUDENCE
Pa r Ma n on G a gn on e t Fr é d é r i c k Pe r r on ,
conseil lers syndi caux
mgagnon@apts q.com et [email protected]
Dépression, invalidité longue durée
lien d’emploi… exemple APTS
et
un
Voici l’histoire d’une salariée de l’APTS à qui l’employeur refusait un
retour progressif au travail et qui avait été congédiée après 36 mois
d’invalidité en raison d’épisodes dépressifs. Or, contrairement à
l’exemple précédent, l’arbitre a estimé que l’employeur était en
mesure de lui fournir un accommodement raisonnable pour
permettre son retour au travail.
L’ A P T S E N R E V U E
NOVEMBRE 2007
L e s f ai ts
Vers la fin des années 90, une salariée d’expérience vit un arrêt de
travail d’environ une année en raison d’une dépression. Elle effectue
ensuite un retour au travail de façon progressive et réussit à
reprendre sa routine normale, et ce, à raison de trois jours par
semaine.
Quelques années plus tard, le médecin diagnostique un trouble
dépressif majeur et lui prescrit un arrêt de travail pour une période
indéterminée. Au fil des semaines, la salariée consulte à intervalles
réguliers son médecin de famille ainsi que le médecin du service de
santé de l’employeur qui reconnaît le diagnostic de dépression et
s’entend sur le maintien de l’arrêt de travail proposé par le médecin
de famille. Un an plus tard, les premiers signes d’amélioration
apparaissent. La salariée, entre autres, pratique des sports régulièrement, dort mieux, est plus positive, effectue des travaux de rénovation
dans sa maison et s’occupe de tâches ménagères.
In val i de ou pa s ?
En avril 2004, elle subit un examen de la part d’un psychiatre désigné
par l’employeur. Ce dernier remet un rapport indiquant qu’elle est
atteinte d’un trouble dépressif majeur, qu’aucun retour au travail ne
doit être envisagé pour les prochaines années et, qu’au surplus, elle
restera avec des limitations permanentes. Le médecin de famille de la
salariée n’est pas de cet avis et, de concertation avec elle,
recommande un retour au travail progressif à raison de deux avantmidi non consécutifs par semaine. L’employeur s’y objecte fortement
en s’appuyant sur l’expertise de son psychiatre. Un premier grief est
alors déposé par la salariée.
Les mois se succèdent et, selon l’opinion de son médecin traitant, la
santé mentale et physique de la salariée continue de s’améliorer. En
février 2005, le psychiatre de l’employeur, sans avoir revu la salariée,
rend un rapport complémentaire accablant en mentionnant que
celle-ci ne peut reprendre ses tâches habituelles de même que tout
autre type d’emploi, et ce, pour le reste de ses jours.
La salariée, à l’initiative du syndicat, subit alors une contre-expertise
détaillée et rigoureuse auprès d’un psychiatre renommé. Le rapport
de ce dernier indique que la salariée semble être sortie d’une impasse
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difficile et qu’elle devrait avoir la possibilité de fonctionner dans son
milieu de travail.
En juin 2005, la compagnie d’assurance qui payait des prestations
d’invalidité longue durée à la salariée, décide de la faire expertiser à
son tour par un psychiatre qui en arrive à la conclusion que la
patiente n’a plus les symptômes de dépression majeure et que sa
condition lui permet de reprendre son travail, dans ses fonctions
habituelles et dans les plus brefs délais. La compagnie cesse alors
immédiatement de verser des prestations à la salariée qui n’est plus
jugée invalide.
Avec l’aide de l’APTS, la salariée dépose un second grief dans lequel
elle invoque la discrimination fondée sur son handicap puisque la
jurisprudence assimile la dépression à un handicap protégé par la
Charte des droits et libertés de la personne. Elle réclame de
l’employeur qu’il l’accommode en lui permettant de revenir
progressivement au travail. En mai 2006, la salariée est congédiée
parce qu’elle est absente du travail depuis plus de trois ans. Un
troisième grief est alors déposé pour contester cette décision.
À l ’ ar bit r e d e t r a n ch e r
Lors de l’audition, l’arbitre chargé de trancher ce litige a entendu
plusieurs témoins, dont la plupart des médecins experts de chacune
des parties. Sur le fond de la question et selon l’APTS, l’employeur ne
pouvait refuser la demande de retour progressif en se fiant à
l’opinion de son psychiatre. En effet, celui-ci a écarté certains
éléments pertinents quant à la situation de la salariée et notamment
le fait qu’elle a fourni une prestation de travail de façon adéquate
pendant plusieurs années. De plus, même pendant son épisode
dépressif, des améliorations étaient remarquées tant par le médecin
de famille que par la salariée elle-même. Le psychiatre de l’employeur
est le seul à établir un diagnostic excessif et négatif, les diagnostics
des autres experts étaient beaucoup plus nuancés.
Pour sa part, l’employeur prétend que l’opinion de son psychiatre est
bien fondée et que les risques de rechute de la salariée sont réels,
qu’elle n’est plus en mesure de fournir sa prestation de travail et que
son congédiement est justifié.
L’arbitre a tranché en concluant qu’il y avait un problème majeur avec
l’opinion du psychiatre de l’employeur dont les prétentions sont
contraires à celles du médecin traitant de la salariée et de tous les
autres experts en psychiatrie qui l’ont examinée de 1999 à 2005.
Ainsi, les autres psychiatres concluent à des améliorations significatives et constantes de la salariée et à la possibilité d’un retour
progressif au travail. Selon le tribunal, la salariée avait la capacité
d’offrir une prestation de travail à temps partiel, de façon progressive,
et l’employeur devait lui offrir un tel accommodement raisonnable. À
cet effet, le tribunal cite un passage d’une décision de la Cour
d’appel selon laquelle :
« L’obligation d’accommodement impose à l’employeur d’être proactif et
innovateur, c’est-à-dire qu’il doit poser des gestes concrets d’accommodement, ou alors démontrer que ses tentatives sont vaines et que toute autre
solution, laquelle doit être identifiée, lui imposerait un fardeau excessif. Il ne
suffit pas d’affirmer qu’il n’y a pas d’autres solutions, encore faut-il en faire
la démonstration1.»
L’arbitre a donc ordonné à l’employeur de réintégrer la salariée dans
son poste, à raison de trois jours par semaine et de compenser les
pertes (monétaires et autres) subies par la salariée rétroactivement
au 10 novembre 2004, puisqu’il s’agit de la date où le médecin de
famille avait recommandé un retour progressif au travail.
Dans ce contexte, l’obligation de mitiger les dommages comporte
deux volets : faire un effort raisonnable pour se trouver un emploi
dans le même secteur d’activités ou dans un domaine connexe, selon
ses qualifications et ne pas refuser une offre d’emploi qui dans les
circonstances est raisonnable.
Selon le syndicat, comme la salariée travaillait depuis de nombreuses
1
Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’HydroQuébec c. Hydro-Québec et Gilles Corbeil, Cour d’appel de Montréal no 500-09015085-046, le 7 février 2006.
E t l e s do m ma g e s mo rau x?
Selon l’arbitre, en ce qui a trait à la demande de compensation pour
dommages moraux, l’employeur n’a pas respecté son devoir
d’accommodement. Par conséquent, il a violé un droit fondamental
reconnu par la Charte et a ainsi causé un préjudice direct à la salariée.
L’arbitre a déclaré que l’employeur par ses agissements :
« lui a causé un préjudice moral qui excède de beaucoup le préjudice normal
qui découle d’un congédiement, même fait sans cause juste et suffisante. [...]
l’employeur, en refusant de la réintégrer au motif qu’elle était dans un état
d’invalidité totale permanent et incapable de satisfaire aux exigences «de tout
type d’emploi» à son établissement, a pris une décision qui a eu pour effet de
la démoraliser, la dévaloriser à ses yeux et aux yeux de son entourage. Elle a
déclaré qu’elle a subi du stress, des angoisses, des inquiétudes, attendu que
son avenir professionnel était remis sérieusement en question.2»
Fait plutôt rare en droit du travail, l’arbitre a contraint l’employeur à
verser une somme de 3 000 $ à la salariée à titre de dommages
moraux.
Dans le cas de cette salariée, contrairement au cas décrit dans
l’article précédent, une analyse particulière de sa situation
commandait l’application d’un accommodement raisonnable.
2
Extrait de la sentence arbitrale de Me Gabriel-M. Côté, 12 septembre 2007.
NOVEMBRE 2007
L’employeur a tenté de démontrer que la salariée n’avait pas fait tout
ce qui était en son pourvoir pour minimiser ses pertes salariales. Par
exemple, se trouver un autre emploi dans son domaine ou dans un
domaine connexe dans sa région où, selon l’employeur, les perspectives d’emploi dans sa profession sont très bonnes. Son but était de
faire en sorte que la réclamation de la salariée soit considérablement
réduite sous prétexte qu’elle n’aurait pas tenté de « mitiger ses
dommages ».
L’arbitre, après analyse de la preuve, en est venu à la conclusion « que
la mitigation des dommages ne devait pas recevoir application ». Le
médecin de l’employeur, en déclarant la salariée inapte en permanence, la plaçait dans une situation où il lui était presque impossible
de se trouver un autre emploi. De plus, en se cherchant un travail dans
un autre secteur, la salariée a démontré avoir fait les efforts
nécessaires en ce sens.
L’ A P T S E N R E V U E
Co m m e nt «m i ti ge r» s e s dom m a ge s ?
Malgré cette décision rendue le 6 février dernier, les parties se sont
présentées à nouveau devant le même arbitre afin que celui-ci évalue
les pertes salariales encourues et une éventuelle compensation pour
dommages moraux.
années auprès d’une clientèle spécifique, il lui était très difficile de se
trouver un autre emploi. De plus, avec la fusion des établissements,
l’employeur « contrôlait » un grand territoire de sorte qu’il lui était
difficile de se trouver un emploi dans le même secteur. Précisons qu’en
vertu d’une règle du réseau de la santé et des services sociaux, une
salariée n’est pas tenue de se trouver un emploi à plus de 50 kilomètres de son lieu de travail. Le syndicat a également indiqué que
l’employeur n’avait pas raison en argumentant que la salariée devait
se trouver un autre emploi alors qu’il la considérait comme totalement
inapte, et ce, d’une façon permanente. En effet, pourquoi serait-elle
inapte pour son établissement et apte pour un autre? Notons que la
salariée a, en vain, essayé de se trouver un emploi dans un autre
domaine.
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