Illustration de Dante par Botticelli

Transcription

Illustration de Dante par Botticelli
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Une nouvelle lecture de l'histoire de l'art
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Mathématiques - Histoire de l'art - Ésotérisme - Arts plastiques
La Leçon de
Sandro Botticelli
« Les Géants enchaînés à la margelle du puits »
Illustration pour la « Divine Comédie » de Dante
------------ Yvo Jacquier --------------------------------------------------------------------------
GÉOMÉTRIE COMPARÉE
------------------------------------------------------------------------------ Décembre 2014 -----
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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PARTIE I
LA MÉTHODE ET LE SUJET
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A - LA MÉTHODE
Le présent article est le compte rendu d'une étude sur le dessin :
« Les Géants enchaînés à la margelle du puits »
par Sandro Botticelli (1444-1510)
Illustration pour la « Divine Comédie »
de Dante Alighieri (1265-1321)
Berlin, Kupferstichkabinett
Botticelli/cod. Hamilton 201, Inferno XXXI
1 - La géométrie sacrée
Artiste de la première Renaissance, ou Quattrocento, Botticelli est un
des maîtres de la géométrie sacrée. Mais qu'entend-on exactement par
cette expression ? Cet art de la composition est très ancien. Il
s'appliquait à la peinture et à l'architecture jusqu'à l'avènement du
système perspectif, au cours de la Renaissance. Ce passage est
généralement conçu comme un progrès. En réalité la perspective n'a ni
remplacé ni surpassé la composition des Anciens. Cette technique
nouvelle permet de reproduire la réalité, mais elle cherche le
vraisemblable sans proposer de choix esthétique ou symbolique. C'est
le concret qui décide de la composition. La géométrie sacrée en
revanche donne un sens à l'oeuvre, et ce sont les sujets qui doivent se
plier aux formes et aux figures symboliques. Ultime différence : la
géométrie sacrée se construit sur un quadrillage grâce auquel on peut
traduire par les nombres les figures en langage humain. Cette
symbolique est liée aux mathématiques et de ce fait, elle est
extrêmement rigoureuse. Pendant cinq millénaires, depuis son aube
néolithique jusqu'à son apothéose à la Renaissance, cette vaste culture
à brillé par une profonde unité. Ses grandes écoles trouvèrent des
havres de paix en Mésopotamie, en Égypte, à Byzance, en France
romane et gothique, et enfin en Italie du Nord, où les guildes d'artistes
ont entrepris de rédiger un authentique testament : les tarots. À la
surprise des historiens, tout est dans l'image et rien n'est écrit. La
lecture de cet héritage aura nécessité bien des étapes, depuis la
redécouverte du nombre d'or au XXe siècle, pleine d'émotion, jusqu'à la
mise en place d'une méthodologie scientifique avec la Géométrie
Comparée, discipline qui étudie l'art de la composition.
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2 - La redécouverte du nombre d'or
Au XXème Siècle, dans les années 10, le critique et escrimeur
britannique Theodore Andrea Cook (1867-1928) s'accorde avec son
ami mathématicien américain Mark Barr pour introduire la lettre grecque
Phi (φ) comme symbole mathématique du Nombre d'Or. Ils rendent
ainsi hommage au sculpteur Phidias (-480,-430), célèbre pour sa
maîtrise de la proportion dorée. La consonance de la lettre φ avec celle
de π autant qu'avec le nom de l'artiste, est rapportée par Cook dans
son livre « Les courbes de la vie »*. Il fait le compte des formations en
forme de spirale et de leur implication dans la nature, dans la Science
et dans l'Art. Cook se réfère tout particulièrement aux travaux de
Léonard de Vinci. Le terme « Nombre d'Or » à proprement parler sera
fixé vingt ans plus tard par le Roumain Matila Ghyka** . φ apparaît ainsi
sous plusieurs identités :
1 - Nombre scandaleux car irrationnel (selon Platon)
2 - Proportion d'extrême et moyenne raison (selon Euclide)
3 - Proportion d'Euclide (selon Fibonacci)
4 - Section dorée (sectio aurea, selon Vinci)
5 - Divine proportion (selon Pacioli)
6 - Section d'or (der goldene Schnitt, selon Zeising)
7 - Nombre d'Or (fixé par Ghyka)
8 - Phi ( φ - expression mathématique, selon Theodore Cook)
9 - Proportion dorée (selon l'usage courant)
*
**
Cook, Theodore Andrea, The Curves of Life (1914),
Courier Dover Publications
Ghyka, Matila (1881 – 1965), Le nombre d'or (1931), Gallimard
3 - Une école française d'esthétique
À partir des publications de Ghyka, le nombre d'or devient l'objet d'une
sorte de mysticisme qui se révélera préjudiciable à la culture où il
s'implique. La logique complexe de la géométrie sacrée se trouve en
particulier réduite à une histoire de proportions, et la magie d'un
ensemble de nombres combinés est attribuée au miracle d'un seul, φ,
pour ses prouesses de calcul. De plus, l'omnipotence du nombre d'or,
sa supériorité envers toute autre valeur, rend la traduction symbolique
des oeuvres littéralement impossible. On ne peut développer un
discours à partir d'un seul mot — fut-ce le verbe avoir.
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Rares sont les historiens au XXe siècle qui entreprennent de donner
une forme géométrique cohérente aux fameuses proportions dans les
oeuvres — principalement celles du Moyen-Âge et de la Renaissance.
Par exemple François Avril, Conservateur général du Département des
Manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France. Il étudie l'oeuvre de
Jean Fouquet (1415/20-1478/81) et organise des expositions. Une
véritable école française se développe, dont Elisa Maillard (18...-19...)
est une des figures marquantes. Diplômée de l'École du Louvre et
conservateur au Musée de Cluny à Paris, elle publie, entre 1935 et
1968, de nombreux travaux de recherche sur le Nombre d'Or (dans l'art
comme dans l'architecture). Elle se réclame d'Étienne Souriau (pour
l'esthétique) et de Georges Bouligand (pour les mathématiques).
L'essentiel du matériel qui nous intéresse pour aborder ici la géométrie
sacrée résulte de son travail avant-gardiste. Il est particulièrement
prometteur dans « Les cahiers du Nombre d'Or ». Le Volume IV
analyse les illustrations de Sandro Botticelli pour « La divine comédie »
de Dante Alighieri (1265-1321). Il faut souligner que Elisa Maillard ne
dispose à l'époque d'aucun outil informatique, elle ne bénéficie pas de
la souplesse de cette technologie. Il n'y a pas encore Internet. Ce
réseau donne aujourd'hui accès en quelques secondes aux musées du
monde entier, autant qu'il facilite la correspondance entre chercheurs.
Des calques au crayon gras et des photocopies en noir et blanc...
Dans son introduction des « Cahiers du Nombre d'Or », Elisa Maillard
se montre très diplomate à propos de Heuristique — la méthodologie.
Elle plaide habilement les progrès potentiels de la science, tout en
ménageant la susceptibilité littéraire de ceux qu'elle qualifie par
précaution de « grands auteurs » :
« Alors que les méthodes de la recherche mathématique se sont
imposées dans quantités de domaines, où jadis leur efficacité n'avait
guère été soupçonnée, il n'est encore qu'un très petit nombre
d'esthéticiens et d'historiens qui conçoivent combien elles seraient
nécessaires en heuristique. Certes, elles ne sont pas appelées à
supplanter les méthodes de travail qui permettent à de grands
historiens de l'art de toujours accroître nos connaissances; elles
devront les amplifier à partir de sources encore méconnues. Elles
permettront de nouvelles bases, qui contribueront au complet
« décryptage » des oeuvres d'art, envisagé par le professeur Souriau,
dans son étude « L'art comme source d'énergie » (Annales
d'esthétique, T. II, Athènes, 1963). En préconisant de faire état de
toutes les possibilités de compréhension des oeuvres d'art, ce grand
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esthéticien rejoint les idées émises par le professeur Georges
Bouligand — esthéticien de la mathématique — qui a exposé dans
plusieurs publications, le rôle que les méthodes mathématiques sont
appelées à jouer en heuristique. Est-ce un signe précurseur ? D'année
en année l'intérêt pour la géométrie du Nombre d'Or se répand. Des
publications lui sont consacrées. Mais il est regrettable que la plupart
des chercheurs publient avant d'avoir acquis une connaissance
suffisante des principales possibilités constructives de la proportion
dorée et que certaines de leurs publications soient imprégnées de
traditions ésotériques, dont Matila Ghyka fit, voici trois décennies, un
fort intéressant historique, inclus dans les ouvrages qui contribuèrent
grandement au renouveau d'intérêt pour le Nombre d'Or. »
L'auteure prône ainsi la rigueur, tant envers le mysticisme (ésotérisme)
qu'envers les outils mathématiques. Les ésotéristes du début du XXe
siècle ont commis de lourdes erreurs à propos de ce qu'on désigne
comme « la tradition ». Pour exemple, Oswald Wirth a purement et
simplement gommé les attributs de l'astral dans son Tarot. Un
authentique iconoclasme. Elisa Maillard ne fait pas référence à Erwin
Panofsky : la clé de sa pensée esthétique est une perspective qui
n'entretient aucun rapport avec la symbolique. À ce propos, Dürer
expose dès « MELENCOLIA § I » les possibles supercheries du
système perspectif. La distance focale de la gravure, que j'ai
reconstituée avec Thierry Ciblac, professeur à l'Ecole d'Architecture de
Paris-La Villette, est beaucoup plus courte que ne le veut la norme. En
termes clairs, l'oeuvre déborde amplement du cône de la vision
humaine. Quand à l'échelle, aucun artisan ne prendrait le risque de la
construire, par crainte d'un procès de la part de son commanditaire...
4 - BIBLIOGRAPHIE DE ELISA MAILLARD
« LES CAHIERS DU NOMBRE D'OR »
Paris, André Tournon et Cie. Avec le concours du CNRS.
- Volume I — Albert Dürer, 1960.
- Volume II — Églises byzantines, 1962.
- Volume III — Églises du XIIe au XVe siècle, 1964.
- Volume IV — Botticelli, 1965. ISBN : 5550002447372
- Volume V — Le Parthénon, 1968.
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DE LA MÊME AUTEURE :
- « Recherches sur l'emploi du Nombre d'Or par les artistes du Moyen
Âge »
Congrès international d'Esthétique, Paris, 1935. (T. II, p.262-265)
- « Étude géométrique de l'église Saint-Jean de Messembrie »
Bulletin de l'institut archéologique bulgare, 1937. (T. XI, p. 243-248)
- « Du Nombre d'Or. Diagrammes des chefs-d'oeuvre »
André Tournon et Cie, 1943.
- « Du Nombre d'Or à Santa Maria dei Miracoli »
Congrès international d'esthétique, Venise, 1961. (p. 634-637, 2 pl.)
- « La proportion du Nombre d'Or dans les oeuvres à deux
dimensions »
Revue d''Esthétique, 1961. (T. 14, p. 349-363, fig.)
- « Structure géométrique du vitrail de la Crucifixion, de la cathédrale
Saint-Pierre de Poitiers ». Actes du Congrès National des Sociétés
savantes. Section d'archéologie. Poitiers, 1962. (p. 329-337)
AUTRES OUVRAGES :
- « Les Sculptures de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers »
Poitiers, 1921.
- « L'église de Saint-Savin-sur-Gartempe »
Laurens, 1926.
- « Décor intérieur et Meubles de la Maison française (1610-1815 »
Albert Lévy, 1925.
- « Old French Furniture and its surrounding (1610-1815) »
Trad. par Iver Percival.
- « Les styles français »
Hachette, 1927.
- « Mobilier et Orfèvrerie du XVIIe siècle »
Histoire de l'Art d'André Michel.
- « Catalogue des Bois sculptés et Meubles du Musée de Cluny »
(en collaboration avec Edmont Haraucourt et F. de Montremy), 1925.
- « Guide officiel du Musée de Cluny »
(en collaboration avec J.-J. Marquet de Vasselot et F. de Montremy),
1935.
- « Houdon »
Rieder, 1935
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B - LE DESSIN DE S. BOTTICELLI
À la page 7 du Cahier consacré à Botticelli, Elisa Maillard fait référence
à Luca Pacioli (1445-1517) et à sa « Divina Proporzione » (1509,
Venise). Or c'est lui qui a transmis l'essentiel du savoir byzantin à l'Italie
du Nord. L'ouvrage est écrit à Milan entre 1496 et 1498 et il est publié à
la veille de la mort de Botticelli (1444/45-1510). Celui-ci n'a donc pas
acquis par le livre le savoir immense qu'il développe dans ses oeuvres.
Selon toute vraisemblance il a reçu ces leçons de la bouche même du
maître. Son cadet Albrecht Dürer (1471-1528) pratique un même type
de géométrie, plusieurs études l'établissent franchement. Ces
mathématiques sont d'un niveau extrême, et elles ont un « caractère »
qu'il est impossible de développer en autodidacte. Les trois voyages en
Italie de Dürer l'ont forcément conduit aux personnages clé de cette
histoire, notamment Pacioli et Botticelli.
1 - L'ILLUSTRATION de DANTE
Chaque oeuvre de Botticelli se traduit à l'étude par un roman, aussi
nous devrons choisir parmi ses illustrations du texte de Dante Alighieri
(1265-1321). La première de ce Cahier semble convenir pour prolonger
le travail de recherche de Elisa Maillard.
« Les Géants enchaînés à la margelle du puits »
par Sandro Botticelli (1444-1510)
Illustration pour la « Divine Comédie »
de Dante Alighieri (1265-1321)
Berlin, Kupferstichkabinett
Botticelli/cod. Hamilton 201, Inferno XXXI
Elisa Maillard a utilisé une copie (calquée à la main) des contours du
dessin de Botticelli. Le trait est ici forcé pour améliorer sa lisibilité, et les
propositions géométrique sont construites sur cette trame graphique.
Pas de zoom mais une loupe bien réelle, pas de déplacement sélectif
des tracés, pas de “regrets” selon une expression de peintre. Il est
notamment impossible d'effectuer des recoupements à partir de
plusieurs calques complémentaires. Ce détail a une réelle importance.
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Il est difficile de reconstituer correctement une partition quand on ne
peut considérer qu'un seul accord à la fois. En dépit des limites
techniques de son temps, Elisa Maillard livre des structures précises et
complexes, qui trouvent le chemin de la pensée par son sens de
l'interprétation :
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Ce fichier est le scan de la page du livre où l'on a imprimé la photo d'un
calque. L'on peut soupçonner que ce calque lui-même ne s'est pas
basé directement sur l'oeuvre puisqu'il était hors de question de mettre
en péril l'original. Le calque a donc été constitué à partir d'une photo.
Ce constat limite considérablement la fiabilité des mesures, et l'on
constatera au final que l'unité en largeur est 4 % plus faible que celle du
fichier de travail que nous allons choisir. Il nous faut un fichier de
référence avec le dessin original de Botticelli. Les propositions ne sont
pas légion sur Internet, néanmoins une Web Gallery of Art en propose
un, légèrement tronqué en bas. Ce support se révélera suffisant. La
complexité et la cohérence des résultats constituent le meilleur
jugement, pour ne pas dire le seul qui vaille. Commençons par donner
un peu d'espace à ce dessin. La géométrie déborde souvent le cadre.
Que sait-on de cette illustration ? L'essentiel semble dans son titre. On
sait également que le géant qui sonne du cor, évoqué au tercet 10,
s'appelle Nemrod. C'est lui qui eut l’idée de construire la tour de Babel.
(src. Pictura, Univ. de Provence). Personnage biblique, parmi d'autres
issus de la mythologie grecque.
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Elisa Maillard complète ce premier discours en se concentrant sur le
périple initiatique. Les cinq duos de personnage à taille humaine sont à
chaque fois Dante suivant son guide Virgile. On reconnaît Nemrod à
son cor « dont le son aurait étouffé celui du tonnerre ». Ensuite, les
deux amis rencontrent Ephialte, « par cinq fois enchaîné ». Plus loin ils
se dirigent vers Antée qui, à la demande de Virgile, les prendra dans sa
main pour les descendre au fond du puits, de l'abîme.
2 - Compléments d'enquête sur la « Divine Comédie »
Préambule - Cherchez la femme
La porte de tout conte est une femme
Amin Zaoui
Simonetta Cattaneo de Vespucci est la modèle de Sandro Botticelli
(1444/45-1510) pour sa « Naissance de Vénus » (1486). Née à Gênes
en 1453, elle meurt de la tuberculose à Florence en 1476 — à l'âge de
23 ans. Surnommée « la bella Simonetta » ou encore « La Sans
Pareille », elle est à la fois la femme de Marco Vespucci et la maîtresse
de Julien de Médicis — le jeune frère de Laurent, Pierre-François et
Giovani. Considérée comme la plus belle femme de son époque, elle
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inspire de nombreuses oeuvres majeures de la Renaissance, et de
nombreux poèmes. Elle ne semble pas avoir de relation amoureuse
avec Sandro Botticelli. C'est elle pourtant qu'il choisit, dix ans après sa
mort tragique, pour symboliser l'Amour.
Dante Alighieri (1265-1321) est issu d'une famille de petite noblesse.
En 1274, il n'a que neuf ans quand il croise une fille de un an sa
cadette, Bice De Folco Portinari, dont il tombe amoureux. Il reverra
Béatrice deux fois, dix ans plus tard, mais pour autant sans faire sa
connaissance, et sans même lui adresser la parole... C'est pour elle
qu'il écrira la Vita Nuova (la nouvelle vie), et c'est encore elle qui
occupera une place prépondérante dans la Divina Commedia (la
« Divine Comédie ») ! Béatrice se marie avec Simone De Bardi et elle
meurt en 1298 à l'âge de 32 ans. Pendant 10 ans, Dante se perd dans
les plaisirs les plus fugitifs. Ensuite seulement, vers 1307, il commence
à écrire la « Divine Comédie ». Il est alors en exil, et il l'achève le texte
peu avant sa mort, en 1321.
À propos de Botticelli
Certains historiens comme Jacques Mesnil* affirment que Botticelli “ne
s'intéressait pas qu'aux femmes”. Néanmoins l'artiste — à qui la
perspective du mariage inspirait des cauchemars, a souhaité être
enterré aux pieds de Simonetta Vespucci. Ce fut le cas en l'église
Ognissanti.
* Michael Rocke « Forbidden Friendships : Homosexuality and Male
Culture in Renaissance Florence », Oxford University Press, 1996,
ISBN 9780195069754
À propos de Dante
« Le passage particulièrement intime des reproches de Béatrice, si
poignants, face à une tempête de larmes chez Dante, en pénitence, qui
domine les Cantos XXX et XXXI du Purgatoire, est peut-être le
p r o b l è m e l e p l u s é p i n e u x d e l a « Divine Comédie » . L e s
commentateurs ont versé beaucoup d'encre en essayant de déterminer
la nature exacte des fautes commises par Dante, pouvant justifier une
telle confession, une repentance publique en présence des anges et de
l'Église Militante au sommet de la montagne du Purgatoire. »
Extrait de la revue « Le monde catholique », publié par la Société
missionnaire de Saint Paul Apôtre dans l'État de New York, mai 1954.
Jean Boccace présente Dante comme un libertin, autant dans sa
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jeunesse que dans sa maturité, mais cela ne le rend pas forcément
“coupable” d'homosexualité. Les reproches que Dante se fait par
ailleurs à lui-même dans la « Divine Comédie » montrent la définition
exigeante que la foi chrétienne imprime à la morale. La rigueur des
moeurs est alors le reflet d'une pensée entièrement dirigée vers Dieu,
où même la philosophie devient suspecte.
3 - La « Divine Comédie »
L'écriture de Botticelli dans ce dessin se rappelle de la bande dessinée,
et ce procédé narratif est en usage depuis l'âge de pierre, sur les parois
des cavernes. Si le problème du musicien est de respecter le temps,
celui du peintre est de l'arrêter.
L'Enfer est la première partie (cantica) de la « Divine Comédie » de
Dante Alighieri. Il puise son inspiration dans l'oeuvre de Virgile, poète
latin du Ier siècle AEC, qui doit lui même son propos à Homère, poète
grec de la fin du VIIIe siècle AEC. La conception du monde dantesque
est géographique; cela explique en partie l'intérêt de Botticelli qui trouve
l'opportunité d'un récit pictural. Le monde est divisé en deux
hémisphères distincts : l'un entièrement formé par les terres émergées
et l'autre complètement recouvert par les eaux. Le système est
ptolémaïque, id est géocentrique. Quand, au début des temps, Lucifer
se rebelle contre Dieu, ce dernier le précipite sur la Terre depuis le
Paradis situé au Ciel — au-delà du système. À l'endroit de sa chute, la
terre se rétracte de terreur, créant ainsi une énorme cavité en
entonnoir, qui devient l'Enfer. La matière rétractée ré-émerge dans
l'hémisphère opposé, jusque lors couvert par les eaux, et elle forme la
montagne du Purgatoire qui soudain se dresse au milieu de la mer.
Lucifer se retrouve confiné au centre de la Terre, au point le plus
éloigné de Dieu, et il est immergé jusqu'au buste dans le Cocyte. Ce lac
souterrain est constamment gelé à cause du vent froid que produit le
mouvement des six ailes du Diable. Le Cocyte engloutit les traîtres, et
sa surface glacée est transparente comme le verre et plus dure que la
pierre. Depuis le centre de la Terre, à partir des pieds de Lucifer,
s'ouvre un long corridor conduisant vers la Montagne du Purgatoire.
L'Enfer proprement dit est en forme d'entonnoir, et sa structure est
composée de neuf cercles qui se rétrécissent jusqu'au centre de la
Terre. Dante et Virgile poursuivent leur chemin jusqu'au fond, et le
nombre de pécheurs en punition diminue au fur et à mesure qu'ils
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s'enfoncent. Plus grand est le poids du péché, et plus l'on s'éloigne de
Dieu. Le neuvième et dernier cercle qui délimite le puits profond où
réside le lac Cocyte se divise en quatre régions. Ce 4 est diablement
terrestre. Les régions prennent chacune un nom en référence à un
pensionnaire “favori”. Caïna. Ceux qui ont trahi leurs parents sont
enfoncés jusqu'au cou dans la glace. Anténora. Ceux qui ont trahi leur
patrie/cité sont plongés dans la glace et leurs larmes gèlent à leurs
paupières. Ptoloméa. Ceux qui ont trahi leurs bienfaiteurs alors qu'ils
avaient un rang comparable sont couchés à la renverse, le visage
découvert et enchaînés étroitement par d'énormes glaçons; leurs
larmes ne peuvent même pas couler. L'âme des traîtres y est parfois
plongée avant même que la mort les ait frappés. Juda. Ceux qui ont
trahi leurs bienfaiteurs d'une condition supérieure à la leur sont
recouverts de glace. Ils paraissent au travers tel un fétu dans un verre.
Six géants se tiennent dans le passage du huitième au neuvième
cercle, enterrés jusqu'à la ceinture. Nous avons identifié Nemrod et son
cor, Ephialte le plus grand et Antée qui se penche sur le duo des
visiteurs. Il reste Briarée, Titye et Typhon.
4 - Compléments d'enquête sur les Géants
Nous avons besoin de plus d'éléments sur les Géants avant d'aborder
leur géométrie. Celle-ci prépare leur figuration, opération par laquelle
l'image cherche le rapport le plus pertinent avec son motif. En cela la
géométrie sacrée ne se fie pas aux apparences, comme la perspective,
elle s'appuie sur des valeurs symboliques. C'est un langage.
Dans la mythologie grecque, Briarée (ou Égéon) est un des trois
Hécatonchires. Son nom signifie « le fort, le redoutable ». Thétis lui
offre la main de Cymopolé pour avoir sauvé Zeus d'une conspiration qui
visait à l'enchaîner. Dante le présente comme malfaisant, alliant la ruse
et la raison à la force. Le personnage de profil, à gauche, méditant sur
sa chaîne et l'anneau, correspond à cette définition multiple. Titye (ou
Tityos) ensuite, est un Géant, fils de Zeus et d'Élara. Pour avoir montré
trop d'ardeur envers Leto, mère d'Apollon et d'Artémis, il est condamné
à avoir le foie éternellement rongé par deux vautours dans le Tartare —
supplice prométhéen. Sur ce dessin, on identifie ce personnage par
défaut, l'attribution des autres rôles étant beaucoup plus claire. Le
dernier, Typhon (ou Typhée) le diabolique, est ici particulièrement
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expressif. Parfois surnommé « la fumée », cette divinité primitive est
malfaisante. Typhon est le fils de Gaïa (la Terre) et de Tartare. Dans
plusieurs religions, il est l'équivalent du Diable.
Les trois géants auparavant identifiés méritent eux aussi d'être
approfondis. Cité dans la Genèse — personnage biblique donc,
Nemrod (ou Nimrod) est le premier héros sur la Terre, et le premier roi
d'après le Déluge. Il est décrit avec une pointe de raillerie comme
« chasseur héroïque devant Dieu ». C'est un rebelle — et ceci rime
avec Babel. Sa mort est particulièrement humiliante. Un moustique
s'introduit dans son nez, provoquant d'atroces migraines. Celui qui se
prend pour un Dieu meurt ainsi victime d'un ridicule insecte...
Dans la mythologie grecque, Éphialte (ou Éphialtès), « cauchemar » est
un Géant, fils de Gaïa (la Terre) et d'Ouranos (le Ciel) ou de Tartare
(les Enfers). Il est tué lors de la Gigantomachie d'une flèche dans
chaque œil, l'une décochée par Apollon, l'autre par Héraclès — le point
noir du dessin trouve ici son explication. Enfin Antée (ou Antès) est le
fils de Gaïa (la Terre) qu'elle engendre seule ou avec Poséidon. Il a la
particularité d'être pratiquement invincible tant qu'il reste en contact
avec le sol car sa mère, la Terre, ranime ses forces chaque fois qu'il la
touche — le dessin de Botticelli est particulièrement habile pour en
rendre compte. Il est vaincu par Héraclès alors que celui-ci est à la
recherche des pommes d'or — du jardin des Hespérides. Le héros a
l'idée de le soulever de terre pour étouffer Antée.
5 - Les nombres des Géants et leur message
Chaque géant est en quelque sorte lié à un entier selon la configuration
de ses chaînes. Antée n'en a pas, il représente donc le zéro. Ce 0
pourrait souligner l'absence de père que rapportent certains récits.
D'ailleurs le bout de son sexe, pointé par le pentagramme inversé, est
une des marques de composition pour tracer le grand cercle initial.
Ensuite Nemrod a une chaîne une autour du cou, il est donc lié au 1.
Le un représente la nature divine que ne cesse de revendiquer ce
premier héros sur terre, ce premier roi après le déluge, ce « number
one » . Titye exhibe deux chaînes, écho des deux vautours qui lui
dévorent le foie. Ensuite l'on devine les trois tours de chaîne autour de
Briarée, et c'est justement l'un des trois Hécatonchires. La chaîne fait
quatre fois le tour de Typhon à partir d'un anneau. Dans la tradition
symbolique, le 4 est terrestre. Or Typhon est le fils de Gaïa (la Terre) et
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de Tartare (endroit le plus bas du monde souterrain). Enfin, Ephialte
est présenté comme cinq fois enchaîné. Le 5 lui revient de ce fait. Au
besoin, sa main ouverte d'aveugle le proclame.
Cette distribution peut paraître désordonnée, or il n'en est rien.
Première observation - Les attitudes des Géants vont par paire. Deux
sont tournés vers l'arrière — et debout, deux s'orientent vers la gauche —
en baissant la tête, enfin deux Géants portent leur regard vers l'avantdroite. Les couples de nombres correspondants sont :
0-3
1-5
2-4
Deuxième observation - Les géants s'associent par trois selon la
logique 0-1-2 et 3-4-5 pour former, vu d'en haut, deux triangles
dans le cercle — à la façon d'un hexagramme.
Le processus de construction des compositions montrera que les
couples ont chacun plusieurs points communs. Et Botticelli place un
message dans cette organisation des nombres. Il suffit de superposer
les lignes des ternaires et de représenter les relations de couple par un
trait. Ainsi le 0 est associé au 3 (le lien forme un I). Le 2 s'associe au 4
et le 1 cherche le 5 pour former une croix (X).
Antée
Nemrod
Titye
0
1
2
I
X
3
4
5
Briarée
Typhon
Ephialte
Le résultat est IX = 9 (en chiffres romain) et aussi le “Chrisme” :
Le Chrisme associe les lettres grecques I (iota) et Χ (chi) des initiales
de Ἰησοῦς Χριστός (Jésus-Christ). La signature de ce dessin porte ainsi
deux révélations : le neuf de l'Enfer de Dante, le nombre de ses cercles,
fait référence au pentagramme avec l'éventail des 9° qui le génère,
mais encore au Chrisme du Messie.
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PARTIE II
LA COMPOSITION
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A - COMPOSITION D'ENSEMBLE
1 - Le grand cercle de la composition
Plusieurs planches de Botticelli font référence au cercle de façon
explicite. Dans le cas de ce dessin, il est évoqué au sol sous la forme
d'une ellipse “assez capricieuse”. Voici la proposition qui s'est imposée
à l'étude, légèrement différente de celle de Elisa Maillard.
Première remarque - la souplesse de l'informatique décuple les
possibilités de propositions. Il est facile de faire varier le diamètre d'un
cercle et de le déplacer à souhait.
Deuxième remarque - la méthodologie de la Géométrie Comparée est
beaucoup plus complète que celle dont on dispose en 1960. La
reconstitution du corpus de « Géométrie avec les yeux » offre un
vocabulaire complet de figures, alors que le pionniers ne pensaient
qu'au Nombre d'Or.
Les oeuvres deviennent des sources à part entière, elles sont
indépendantes de toute forme écrite — documents d'époque,
commentaires et analyses. Les observations deviennent précises (on
parle même de marges de précision) et l'on intègre des considérations
complémentaires comme les « marques de composition ». Ces signes
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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brillent par leur inutilité, et dans le cas de cette illustration ils sont
parfaitement intégrés au dessin. Ainsi deux petits cercles (annotés 1 et
2) permettent de caler le tracé que nous entreprenons. Le nombril d'un
géant en 1, le bout du sexe de Antée, en 2. Le dessin de l'index de
Nemrod, en 3, fait un angle droit qui achève de préciser le grand cercle.
Cet anneau sera trait d'union entre toutes les figures.
Deux angles d'or viennent d’emblée confirmer le choix de ce tracé.
L'angle montant sur la gauche, passe entre le nez et la bouche du
corniste. Très exactement sous le nez de Nemrod — quel moustique l'a
piqué ? Rappelons l'histoire : un insecte s'introduit dans le nez du
Géant, provoquant d'atroces migraines, et celui qui se prend pour un
Dieu meurt victime d'une créature ridicule !
L'angle descendant passe exactement entre les personnages de Dante
et Virgile. Et c'est la seule scénette qui se produit à l'intérieur de la
fosse, et du grand cercle de la composition. Belle symétrie entre ce
souffle montant et cette descente aux enfers, où l'on gage que nos
visiteurs retiendront leur souffle plus d'une fois.
La suite de l'étude confirmera ce choix avec une extrême précision. La
richesse des propositions, comme la cohérence de leur propos
géométrique, démontreront un niveau d'exigence insoupçonné. Cette
géométrie est recevable dans des marges d'observation très strictes.
Changer l'unité de 1 pixel sur 159, à propos d'un cercle qui en comporte
5, revient à brouiller toute l'étude. En règle générale, un changement
d'unité de 4‰ est rédhibitoire. Cette tentative (appelé crash test)
provoque un véritable séisme : toutes les figures cessent soudain d'être
identifiables, sans que d'autres puissent les remplacer pour autant.
C'est sans doute pourquoi le peu qui se soit révélé de la géométrie
sacrée concerne le Nombre d'Or. Il est facile à identifier selon les
pirouettes calculées dont il est le maître incontesté.
L'Enfer, quand Botticelli interprète Dante
Imaginons l'état d'esprit de Botticelli quand il décide de tracer ce cercle.
L'idée du cercle lui-même coule de source quand l'artiste entreprend
d'illustrer ceux de l'enfer. Première question basique : sur son tracé,
quel point le géomètre peut-il choisir en tant que point de vue idéal ?
Tout simplement, le point le plus bas.
L'on sait par ailleurs que Dante associe le nombre 9 à l'enfer. Or
justement il existe un développement mathématique qui associe ces
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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deux considérations. Cette propriété fait partie du corpus de
« Géométrie avec les yeux »*. Une figure lie un point du cercle, le 9, et
le pentagramme. Un éventail de 20 angles de 9° trouve les 20 points
d'un polygone régulier (inscrit dans ce cercle). Botticelli utilise cet
éventail par deux fois dans « La naissance de Vénus ».
* « Géométrie avec les yeux », reconstituée en collaboration avec
l'IREM. La plupart de ses fondamentaux sont inconnus des manuels de
géométrie — à commencer par la définition du nombre d'or !
http://www.jacquier.org/IREM/Yvo_Jacquier-Geometrie_egyptienne-2014.pdf
N.B. : les yeux constituent des marques importantes de la composition.
Par exemple, l'oeil d'Ephialte colle à une de ces lignes.
2 - Les pentagrammes
Ce cercle est légèrement plus petit que celui de la proposition de Elisa
Maillard. Les différents calques de la composition seront autant
d'occasion de le vérifier. Par exemple ces quatre pentagrammes,
orientés de façon cardinale.
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Les constats se font avant tout « avec les yeux », par l'observation
attentive et minutieuse des lignes. N.B. : le duo Dante-Virgile situé au
centre aura tout au long de l'étude, une grande importance.
Ces lignes additionnelles sont tout à fait comparables à celles de Elisa
Maillard. Les deux petits personnages sur la gauche trouvent leurs
marques.
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3 - De l'obliquité de la Terre - I
Historique
Un texte (ci-dessous en lien) rassemble
l'essentiel des découvertes qui ont
marqué l'histoire de l'astronomie.
L'obliquité de la Terre est établie par
Anaximandre depuis le VIe siècle Av J-C
http://www.art-renaissance.net/Schools/Inferno_Canto_XXXI/Historique-Astronomie.rtf
Les deux traits rectilignes du manteau de Dante, au centre, sont les
seules lignes droites du dessin. Cette particularité les distingue. Or leur
inclinaison par rapport à la verticale est exactement de 23,5°. Cet angle
n'est pas au répertoire habituel de la géométrie sacrée. En revanche
c'est celui de l'obliquité de la Terre. De plus, il trouve sa place en
plusieurs endroits, passant par des points clé du grand cercle,
notamment sa tangente à l'ellipse du puits (qui traduit elle-même un
cercle/orbite en perspective). Cette proposition s'inscrit pour l'instant
dans le domaine spéculatif, cependant d'autres arguments interpellent.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Il nous faut trouver la mesure de ce dessin, l'unité de son quadrillage,
avant de développer. Cette étape de l'étude marque le passage de la
géométrie descriptive à la géométrie symbolique. Cela se produit
souvent avec l'apparition du triangle 3-4-5, figure reine de la géométrie
sacrée qui exprime toutes les valeurs.
Par la symbolique, les nombres deviennent formes
Il nous faut rompre avec la logique du XX e siècle qui voit dans la
géométrie sacrée la pratique du Nombre d'Or seul. Premièrement, les
figures impliquées sont multiples. Cercle, carré, rectangles de diverses
proportions, triangle équilatéral et surtout triangle 3-4-5 — que les
Égyptiens considéraient comme sacré (Triangle d'Isis). Ensuite, cette
géométrie se développe sur un quadrillage qui permet de construire, de
comprendre, de démontrer et de retenir les figures facilement —
particulièrement sans calcul ! Le corpus de « Géométrie avec les yeux »
a pris de longues années à se reconstituer, et a démontrer sa
cohérence mathématique. Cette géométrie pré-euclidienne n'a rien
d'empirique, elle précède celle des Grecs, avec un même respect des
preuves, et ils s'en sont nourri... Enfin les valeurs numériques qui
caractérisent les figures de quadrillage forment un lexique aussi
complet que les figures elles-mêmes. Le nombre d'or est une des
composantes de ce système, qui permet de traduire la symbolique en
objets d'art sacré — peinture sculpture et architecture. Pour ce faire, les
nombres deviennent formes géométriques, qui guident à leur tour le
dessin. La réciproque est tout aussi valable. On peut identifier la
géométrie qui construit les oeuvres, et la traduire en langage humain
par l'interprétation des nombres — qui accompagnent les figures.
L'analyse de la géométrie n'est pas descriptive. Enfin, le discours
narratif des oeuvres doit rejoindre celui de la géométrie. Cohérence.
Les possibilités de l'informatique ont ainsi permis de se rendre compte
que la logique de la géométrie sacrée n'est « pas monotone mais
polyphone ». L'art des proportions, traduites par des figures, prend une
toute autre dimension avec des structures — ensembles de formes
géométriques liées entre elles par une logique complexe, de liens et de
propriétés. Et cet art-là se comporte comme un langage à part entière.
Le discours ne naît pas de l'interprétation, il est dans les fibres de la
composition. Les Anciens considéraient la géométrie sacrée comme la
langue de(s) Dieu(x).
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Il y a lieu de redéfinir la mission de l'Art tel que les Anciens le
concevaient. La logique de proportions que nous leur prêtons avec une
certaine légèreté véhicule un certain nombre de sous-entendus
esthétiques qui nous écartent dangereusement de leur vérité. Notre état
d'esprit s'accorde en cela davantage avec celui qui produira, après la
Renaissance, ces jolies allégories bien proportionnées et définitivement
dépourvues de toute géométrie sacrée. On reconnaît à grand peine leur
mission si ce n'est à leurs titres et à leurs attributs, et les Anciens
auraient considéré ces créations comme « des images sans cervelle ».
Des quatre vertus de l'église Ste Barbe de Kutna Hora, seule la Justice
trahit son identité grâce à son attribut : la balance. Les trois autres
représentent trois mètres cinquante de mystère en bois.
À la Renaissance, le terme de « proportions » a un sens très différent
de celui que nous “calculons” aujourd'hui. La pratique des Anciens ne
se résumait certainement pas au respect de règles figées, qui ferment
immanquablement l'espace de la création et bouchent le ciel de la
spiritualité. La copie des Icônes en offre un bel exemple. Les modèles
ont été conçus avec une géométrie sacrée digne de l'aérospatiale, et
rien n'est plus ambitieux que ces démonstrations d'intelligence.
Malheureusement, suite à l'interdiction de créer de nouveaux modèles,
les copistes se suffisent de repasser les contours sans rien savoir de
leur logique. L'on parle de tradition et de respect et des canons à
propos d'une pratique qui au fil des siècles, a remplacé le travail et la
connaissance par la prière. Un iconoclasme à l'étouffée.
Il n'est pas de meilleur parallèle que celui de l'harmonie en musique. La
composition musicale réclame une grande maîtrise des principes autant
que le souffle de l'inspiration. Les proportions (accords) ne suffisent pas
à la création; il faut les développer avec ardeur. Cependant il n'est pas
de bon compositeur qui n'ait compris la musique avec sa logique
complète, quoi qu'il en coûte ! Face à cela, les peintres auraient-ils
gagné le privilège d'être stupides ?
4 - Triangle et carrés inscrits dans le grand cercle
Ce second calque (couche) de la composition associe deux types de
figures. En noir, un train de sept carrés imbriqués les uns dans les
autres à la façon des poupées russes. En blanc, deux triangles
équilatéraux dits “de l'eau” et inclinés à 15° ou dits “du feu” et dans ce
cas inclinés à 45°.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Le second carré et les triangles se lient pour former un V : une flèche
vers le bas qui pointe le fond du puits en s'appuyant sur ses bords.
Raphaël (1483-1520) utilisera le même type d'argument pour son grand
saint Michel.
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5 - Le triangle 3-4-5
C'est la figure reine de la géométrie sacrée. Le triangle 3-4-5 porte en
lui toutes les valeurs de la symbolique, notamment l'unité que
représente le rayon de son cercle inscrit. Le Nombre d'Or s'y manifeste
de quatre façons complémentaires !
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Ce triangle permet très souvent d'identifier le quadrillage, plus
particulièrement son unité de mesure sans laquelle les figures
resteraient littéralement muettes. Toutes les couches de la composition
s'accordent avec ce diapason. Dans ce cas précis, un triangle 3-4-5
s'inscrit dans le grand cercle de diamètre 5, longueur de l'hypoténuse.
Comme en témoignent les traits en estompe, le placement du cercle
inscrit au triangle a de nombreuses possibilités. Cependant l'une d'entre
elles trouve sa preuve : les deux mains de Virgile, le guide de cette
excursion, tiennent le cercle inscrit. Particulièrement la gauche, qui
désigne également la proportion dorée du triangle. La main droite est
d'ailleurs sur une autre bissectrice du triangle. Une double-preuve,
principe cher à la Géométrie Comparée, vient couronner l'étude : le cor
de Nemrod adopte la courbure du cercle. Grâce à quoi nous tenons
désormais l'échelle du dessin. L'on peut alors tout mesurer et en
conséquence, tout traduire. Pour information, l'unité vaut ici 159 pixels.
6 - De l'obliquité de la Terre - II
Nous allons poursuivre l'investigation commencée plus tôt. Quelle
conception de l'astronomie a Sandro Botticelli ? Est-il au fait des
questions qui torturent les esprits de son temps ? Nous aurons besoin
d'un vocabulaire géométrique. C'est l'occasion de se rappeler la
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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construction initiale du nombre d'or. Il s'est pratiqué par la géométrie
plusieurs millénaires avant que n'apparaissent le calcul et l'écriture :
Un simple cercle pointant au centre d'un double carré, et passant par
les quatre angles de ce double carré, trouve facilement la mesure de φ.
Cela met également en évidence une propriété remarquable des
diagonales.
Le grand angle de la diagonale d'un double carré vaut
deux fois le petit angle de la diagonale d'un rectangle doré.
Les Égyptiens aimaient l'espace des figures, mais les Grecs et autres
Byzantins ont apporté leur contribution arithmétique. Nous allons
l'exploiter. L'expression la plus connue du nombre d'or est : φ² = φ +1
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Il suffit du théorème de Pythagore pour le démontrer.
Dans un cercle de diamètre φ, la largeur d'un rectangle inscrit de
hauteur 1 est simplement √φ.
(√φ)² + 1² = φ + 1 = φ²
En termes poétiques, un couloir horizontal de hauteur 1 révèle à son
croisement sur le cercle de diamètre φ un couloir vertical de diamètre √φ.
Cette figure placée au centre du grand cercle est particulièrement
éloquente. Le couloir qui sépare les grands personnages mesure √φ en
largeur. La cape de Dante pointe son cercle : cela nous invite à
poursuivre.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
30 on 86
Effectuons une rotation de 23,5° de la figure autour de son centre, pour
simuler l'obliquité de la Terre. L'oblique vient alors épouser parfaitement
la cape de Dante, la manche de son mentor trouve la ligne médiane
etc. Les yeux jouent une fois de plus le rôle de repères de composition.
Sandro Botticelli fait ainsi référence plusieurs fois à l'obliquité de la
Terre dans ce dessin.
7 - Le cercle du temps
Il est présenté à cette place puisque l'idée s'en est manifestée en
contemplant Virgile et Dante, au moment où ils amorcent leur descente
dans le puits de l'enfer. C'est entre les deux visages que passe l'angle
d'or descendant, et autre fait remarquable, la distance entre la ligne qui
unit leurs regards et le centre du grand cercle est φ.√2. Le diamètre
mesure en conséquence 2φ.√2, soit φ√8.
Le cercle noir vient épouser le 8e cercle de l'enfer, échancré à droite
pour découvrir le corps de Typhon. N'ayons pas peur d'observer pour
constater l'extraordinaire pertinence de cette composition.
La figure de l'hexagramme manquait au vocabulaire géométrique. Il
s'inscrit dans ce nouveau cercle, en noir, légèrement plus petit que le
principal, en blanc, assorti d'une inclinaison de 3° soit π/60. Cet angle
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
31 on 86
est une évidente référence au temps. L'hexagramme, solaire et
zodiacal, est la figure la plus appropriée pour aborder le temps cyclique
(face au temps continu de Saturne).
Le 6 est attribué au Soleil par l'ésotérisme des nombres (par exemple
les carrés magiques d'origine byzantine rapportés par Pacioli puis
Agrippa). Sur le plan géométrique, l'hexagramme est le fruit du dialogue
entre le 3 et le 4. Le 3 de Saturne et du Céleste choisit les points de la
figure, le 4 de Jupiter et du Terrestre porte les lignes. L'hexagramme
est aussi le résultat de la rencontre du cercle, qui prend la mesure du 4,
et du carré, qui forme une grille de 4.
L'inclinaison de cet hexagramme, de π/60, précise son statut solaire :
Vulnerant omnes, ultima necat
(toutes blessent, la dernière tue)
Traditionnelleent, cette maxime était inscrite sur les horloges et les
cadrans solaires.
L'aspect le plus extraordinaire de cette figure est son hexagramme
inscrit, en rouge. Le cercle circonscrit a pour diamètre φ.√(8/3). Ce
médaillon symbolise le 9e cercle, où se retrouvent justement nos deux
aventuriers et Typhon, image à peine voilée du Diable. Les triangles de
l'hexagramme mesurent φ√2. L'oeuvre traite ainsi par le dessin, la
composition et les nombres, du passage entre le 8e et le 9e cercle.
N.B. : La racine carrée exprime le mystère d'une valeur, et 2φ est un
standard de la géométrie sacrée (proportion dorée du triangle 3-4-5).
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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8 - L'ellipse du puits - conjecture
Aucun commentaire particulier sur ce visuel expérimental.
Telle est la recherche.
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B - LA GÉOMÉTRIE DES GÉANTS
Commençons par les deux géants qui se tiennent de part et d'autre du
dessin, Antée et Briarée. Tous deux sont réputés pour leur force, et leur
procédé de composition est comparable. Dans les deux cas, nous
impliquerons le grand pentagramme inversé, l'un de ses cercles, et les
carrés inscrits au grand cercle. Sandro Botticelli trouvera un parfait
successeur en Albrecht Dürer. Il y a en effet dans cette composition
une véritable clarté pédagogique.
a - Antée, tout à droite.
Toute étude a la faculté de s'approfondir et de se préciser. Cet exemple
est suffisamment didactique pour mériter d'être entièrement exposé.
Première proposition : considérons le triangle d'or que forme la pointe
du pentagramme jusqu'au centre. Son petit côté définit le diamètre d'un
cercle, en vert sur le visuel. Ce diamètre est la largeur d'un rectangle
qui comprend le cercle et pointant en son centre un triangle équilatéral,
de côté égal. Le rectangle se duplique et se met en croix (classique).
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Cette croix se cale latéralement à la pointe du pentagramme.
Verticalement, le bas de sa branche s'aligne avec le grand carré inscrit.
Dans ces conditions, le centre de la croix est proche de la ligne basse
du petit pentagramme cerclé. Il y a d'autres coïncidences de figures,
mais nous nous intéressons aux points communs de la construction des
deux géants.
Le diamètre de ce cercle vert est :
d’ = 5.tg(π/10)
avec tg π/10 = tg 18°
= 1/√(4φ+3)
d’ = 5/√(4φ+3)
≈ 1,624 599 (258 px)
ou encore d’ = φ
(257 px)
La valeur se rapproche en effet de φ à 4 ‰. On peut opter pour les
deux propositions indifféremment, l'épaisseur des traits avale la
différence. La première est plus simple géométriquement, la valeur
arithmétique de la seconde est plus sobre. D'autres éléments de l'étude
aideront à y voir clair, cependant φ présente un argument. La
composition se construit à partir d'un cercle/triangle/rectangle de
mesure φ. Dans ce nombre d'or trois fois énoncé, Antée trouverait la
virilité qu'il n'obtient pas de son père.
N.B. : les développements les plus récents de l'interprétation
considèrent comme “neutres” le 3 Céleste et le 4 Terrestre. La valeur
féminine serait portée par la √3, et sa complémentaire masculine serait
φ, le nombre d'or.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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La proportion du rectangle est (1+√3)/2. Ce qui nous donne une hauteur de :
h’ = 5(1+√3)/2√(4φ+3)
(353 px)
ou encore h’ = (1+√3)φ/2
(351 px)
N.B. : La proportion (1+√3)/2 est parente de φ = (1+√5)/2
La silhouette de Antée est parfaitement inscrite dans le rectangle
vertical. La croix apporte des lignes de compositions additionnelles et
l'ensemble est impressionnant de précision. Le 0 est attribué à Antée
quand c'est le seul géant dont la proportion est irrationnelle. Ce 0 peut
être conçu comme origine ou mieux encore comme néant. Cette notion
correspond au cercle/puits où il plonge nos deux pèlerins.
b - Opposé (Briarée), tout à gauche
Cette fois le cercle de référence est le cercle inscrit au pentagramme. Il
sert de mesure à un rectangle le proportion 3/2 qui se met en croix — le
3 attribué à Briarée. Le calage se fait cette fois non pas dans le sens
haut/bas et gauche/droite mais en diagonale. La pointe du
pentagramme est sur une diagonale de la croix, et un angle de sa
branche (symétrie de construction) se place sur le second carré inscrit.
N.B. : la pointe du pentagramme vise le pouce de Briarée. Les deux
modes de construction Antée/Briarée sont très complémentaires, et
même leurs proportions (1+√3)/2 et 3/2 se font écho.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Le diamètre de ce cercle blanc est :
d’’ = 5.sin(π/10)
avec sin(π/10) = 1/2φ
d’’ = 5/2φ
(245 px)
Ce qui nous donne une hauteur de :
h’’ = 3x5/4φ
(368 px)
Cette expression fait référence au triangle 3-4-5. Justement, une des
deux diagonales du rectangle qui nous a servi à le construire passe au
bas de la figure, là où l'on mesure le personnage.
N.B. : Le pouce de Antée est dans les deux cas visé par les lignes.
Les deux poids-lourds de l'équipe forment un vis à vis. Briarée a pour
largeur 5/2φ, est-il plus logique d'attribuer 5/√(4φ+3) à Antée ou bien φ ?
Attendons d'avoir une vision de l'ensemble des mesures et proportions
avant d'en juger.
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c - Nemrod - le « number one »
La composition de Nemrod inverse le rôle des figures des deux
précédentes. Botticelli choisit un carré du set, cette fois le 3ème, pour
donner la largeur, et il se sert du pentagramme pour placer le rectangle.
La chute du Géant est claire.
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38 on 86
La largeur est de 5/2√2 et la proportion du rectangle est 12/5, soit
(3x4)/5. Serait-ce en référence au triangle, dont le cercle inscrit guide la
courbe du cor ? La hauteur mesure en conséquence 3√2.
Trois lignes se croisent au « point du moustique », la narine où entra le
moustique qui terrassa le colosse. La branche du pentagramme, une
diagonale à 45° du rectangle (diagonale d'un simple carré, le 1 étant le
nombre de Nemrod) et la ligne de l'angle d'or ascendant — pour
rappeler que même s'il joue trop fort, l'effort musical est positif.
d - Ephialte aux yeux percés
La largeur du rectangle est un standard pour les duos chronologiques :
√φ. Est-ce une façon d'impliquer le 5 ? Le 5 est censé être humain, le
fait de prendre la racine du Nombre d'Or élude les problèmes
d'identification. La proportion du rectangle est entière : 3. Le 3 est
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
39 on 86
céleste, comme Ouranos son père dans certaines versions. Ephialte
tombe pendant la gigantomachie, guerre céleste entre les fils de Gaia
et les Dieux de l'Olympe, sous les flèches d'Apollon et Héraclès.
Le calage se sert uniquement des lignes du pentagramme inversé.
La rencontre du dessin et des lignes de la composition est redoutable.
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40 on 86
En impost : un rectangle qui est celui des voyageurs, au centre du
dessin. Sa hauteur est √φ et sa proportion (1+√2)/2. Le cor joue donc
un rôle parallèle au couple qui nous « annonce l'obliquité terrestre ». La
proportion (1+√2)/2 est parente de (1+√3)/2 et de (1+√5)/2=φ. On la
retrouve par exemple chez Jean Fouquet (1415/20-1478/81) dans son
portrait de Charles VII.
e - Titye, Prométhée aux deux vautours
Tityos est fils de Zeus et d'Élara. Zeus la cacha profondément sous
terre à son épouse, Héra. Pour cette raison Tityos est parfois considéré
comme le fils de Gaïa, la Terre. Il a la même largeur que Typhon (13/9).
La largeur du rectangle et sa proportion sont égales : 13/9. Cette
répétition augure le supplice perpétuel du Géant. L'arcane 13 des tarots
est l'Arcane sans nom, l'Ankou, ou encore la Mort. Son sort est
particulièrement triste.
Le milieu de la composition se cale sur la "jambe gauche" des
pentagrammes (debout cela donne la même ligne). Et une fois encore
le 13/9 se manifeste : l'angle de 55,3° a pour tangente 13/9.
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41 on 86
Les deux diagonales du rectangle, en blanc, puis la ligne de l'angle à
55,3° semblent s'acharner sur Dante. Par trois fois elles le trouvent.
f - Typhon, préfiguration de Lucifer avant
l'ultime descente
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La reconstitution du rectangle de Typhon s'est faite à l'estime en
s'appuyant sur le fichier de Elisa Maillard. Les résultats numériques et
graphiques sont très probants sur le plan symbolique, suffisamment
pour revendiquer la proposition.
Fils de Gaïa (la Terre) et de Tartare (entrailles de la terre), Typhon est
définitivement marqué par le 4 terrestre. Son profil, dessiné par
Botticelli, est le plus proche du Diable, et certaines traditions vont
jusqu'à les confondre. C'est une divinité primitive et malfaisante. Il
s'identifie au Dieu égyptien Seth , le vilain oryctérope du Cap qui
découpe Osiris en morceaux. Et si Typhon est enterré sous l'Etna, Seth
croupit sous le lac Serbonis.
Ce sixième géant partage la même largeur que Tityos, 13/9, mais sa
proportion est 4/3, qui intègre le 4 de ses chaînes terrestres.
Comme pour Titye, ce sont les angles qui décident du placement. Une
ligne à 45° (π/4), en bleu, vient depuis le pentagramme chercher l'angle
du rectangle. L'angle d'or descendant, en rouge, trouve le milieu d'un
côté. Enfin doit-on s'en étonner, le centre du rectangle et le centre du
grand cercle dessinent un axe incliné de 23,5° : l'obliquité terrestre.
L'inclinaison de la Terre est aussi celle du Géant. Une signature.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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g - Visuel synoptique
Toutes les mesures et proportions sont réunies sur un même visuel. On
remarque que le choix difficile de la largeur du rectangle de Antée
penche raisonnablement en faveur de φ.
h - Les trois duos de Géants
Rappel de la partie I - L'observation de l'oeuvre permet d'associer les
Géants par paires. Selon les nombres associés aux personnages, la
vue de dessus montre deux triangles dans le cercle de la fosse
(hexagramme) : 0-1-2 et 3-4-5. La synthèse de cette double structure
binaire-ternaire donne la clé de l'oeuvre :
Antée
Nemrod
Titye
0
1
2
I
3
X
4
5
Briarée
Typhon
Ephialte
Le résultat est IX = 9 (en chiffres romain) et aussi le “chrisme”
______________ Fin du rappel ________________
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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La structure binaire se confirme à chaque étape de l'étude géométrique.
La construction et le placement des six compositions des Géants ont
ainsi des affinités qui les répartissent en trois couples. Doit-on s'en
étonner quand la « Divine Comédie » met en scène le duo d'un maître
et son disciple ?
Nous allons lister les principaux éléments constitutifs des compositions.
Le nombre directeur (de 0 à 5), la mesure du rectangle de composition,
le processus de placement de sa croix. En addition, un constat
étonnant : l'angle que fait la “ligne des centres” — ligne qui joint le
centre d'une composition et celui du grand cercle initial. Les résultats du
couple 2-4 sont exacts, et l'approximation des autres est plus
modestement “recevable graphiquement”.
À l'occasion de cette étude, une approximation de l'obliquité s'est
révélée —sans oublier bien sûr qu'elle varie dans le temps… Ceci
demeure :
tan 23,5° ≈ (1+√3)/2π à 10-5
Cette approximation extrême est à mettre en parallèle avec cette autre :
π ≈ (6/5)(φ+1) à 10-5
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Le couple 0-3
0 — Antée :
Cercle de φ,
proche du côté du triangle d'or du pentagramme.
Placement :
Pentagramme et Carré de 5/√2
Angle de la ligne des centres : tan ≈ 2/5
- Horizontal
3 — Briarée :
Placement :
Le cercle inscrit au pentagramme donne la mesure.
Pentagramme
Carré de 5/2
Angle de la ligne des centres : tan ≈ 1/5
- Horizontal
Le couple 1-5
1 — Nemrod :
Le carré de 5/2√2 donne la mesure
Placement :
Pentagramme
Angle de la ligne des centres : # 15° (π/12)
- Horizontal
5 — Ephialte :
Mesure de 13/9
Placement :
Pentagramme
Angle de la ligne des centres : # 8,57° (π/21) - Horizontal
Le couple 2-4
2 — Titye :
Mesure de 13/9
Placement :
Angle de # 55,3°
Angle de la ligne des centres : idem
—> tan 55,3° = 13/9
- Vertical
4 — Typhon :
Mesure √φ
Placement :
Pentagramme
Angle de 23,5°
—> tan 23,5° ≈ (1+√3)/2π à 10 -5
Angle de la ligne des centres : idem
- Vertical
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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C - LES TABLEAUX
STROBOSCOPIQUES DES VISITEURS
La seule proportion irrationnelle des Géants est celle de Antée,
objectivement déchaîné, qui prend en charge les visiteurs avec
délicatesse. Ceux-ci adoptent pour leurs quatre premiers tableaux une
hauteur « standard » de √φ, et elle devient la largeur du cinquième. Le
2 est omniprésent dans les cinq configurations - la dernière étant
9/10=3x3/5x2.
Serait-ce le 2 du partage, au dénominateur ? Les
numéros des tableaux sont attribués à dessein pour reprendre le
vocabulaire des géants (voir en Partie III).
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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PARTIE III
RÉFLEXION
Nous avons rassemblé les arguments historiques du dessin et établi la
géométrie et les nombres qui l'accompagnent. Les faits.
Maintenant nous pouvons entreprendre l'interprétation.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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A - TOUT EST NOMBRE
Les nombres entiers du dessin
La culture de Botticelli repose toute entière sur la valeur des nombres.
Les géants sont assortis de 6 nombres entiers de 0 à 5, et cette
attribution est précise. Chaque personnage est historiquement attaché
à son nombre. Rassemblons l'essentiel dans un tableau synoptique :
http://www.art-renaissance.net/Schools/Inferno_Canto_XXXI/Inferno_12-Tableau_Geants.pdf
Une part des valeurs (mesures et proportions) est rationnelle, l'autre ne
l'est pas. En résumé, tout ce qui contient des racines carrées (noté √)
est irrationnel, y compris le nombre d'or [φ = (1+ √5)/2].
Parité et rationalité
Quand le nombre est pair, les mensurations et la proportion sont de
même nature (qu'elle soit irrationnelle ou rationnelle). Dans le cas des
nombres impairs, la nature des mensurations est différente de celle de
la proportion. En clair, la nature des mensures s'accorde à celle du ratio
du rectangle quand le nombre de référence est pair, et pas quand le
nombre est impair. Ce constat vaut pour les six géants. On peut
étendre cette remarque aux apparitions du couple des visiteurs, en les
notant exactement de la même façon, de 0 à 4. Le 4 correspond
justement au moment où Virgile et Dante descendent au plus profond
de la Terre (le 4 est terrestre). Même constat sauf dans le dernier cas,
où la proportion est établie sommairement à 9/10 faute de précision
graphique suffisante. 10 objets répondent au mêmes critères, l'on peut
laisser en suspens ce 11e, plus difficile à apprécier techniquement.
Pair/impair ou premiers ?
Mais cette différentiation se produit-elle vraiment entre pair et impair.
Pour les mathématiques actuelles, les nombres n'ont pas de « sens ».
Si la physique définit ses unités de poids et mesure, les mathématiques
se veulent définitivement neutres. En revanche sur le terrain de la
symbolique, chaque nombre porte une valeur. La séparation du spirituel
et des mathématiques est historiquement assez récente, le phénomène
s'est produit à la fin de la Renaissance. La science émerge quand la
géométrie sacrée s'efface peu à peu des esprits.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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La présence du zéro pose problème. Dans la Grèce antique, les
mathématiciens considèrent le 2 comme le premier nombre pair et le 3
comme le premier nombre impair. Or la symbolique se réfère
davantage au travail de Pythagore qu'à celui de Cauchy-Schwarz...
Historiquement, la parité ne se présente donc pas comme un critère
pertinent. Il serait plus satisfaisant de distinguer les nombres premiers.
Malheureusement, le nombre 2 pose problème : il est premier. Il faut
donc nous résoudre à retenir la parité pour critère.
- Quand un nombre est pair, Sandro Botticelli accorde la nature
des mesures et de la proportion d'un sujet, et il procède
inversement pour les autres nombres.
- Le zéro est lui-même considéré comme un nombre pair.
Le zéro de Dante et de Botticelli
L'enquête rebondit ! L'aurait-on oublié, Botticelli traduit par l'image
l'oeuvre de Dante Alighieri (1265-1321). Les six Géants sont marqués
par la plume de l'auteur et Sandro Botticelli ne fait que reprendre ce
lexique. Dans ces conditions, la présence du zéro peut surprendre. Un
élément historique légitime ce vocabulaire dans l'esprit cultivé de
Dante. C'est l'italien Leonardo Fibonacci (v.1175 - v.1250) qui impose
ce Zéro à l'Europe, dans son livre le « Liber Abacci » en 1202. Il
s'adresse avant tout aux commerçants, pour qui cette nouvelle
numération représente un formidable gain de temps et d'énergie.
Le périple du-dit zéro est impressionnant. Les Babyloniens l'auraient
pratiqué au moins deux siècles avant notre ère. Par la suite, on le
trouve en Inde (Brahmagupta - VII e siècle), puis dans un monde arabe
en pleine expansion — pendant que les Européens continuent à
compter sur leurs doigts romains. Le mathématicien Gerbert d'Aurillac
assume le passage de l'an mille comme Pape, sous le nom de
Sylvestre II, mais il échoue à introduire ce « cinq moins cinq ». Les
Chrétiens finiront par adopter la nouvelle numération à l'époque de
Botticelli, justement (fin XVe s). Le zéro restera l'objet de suspicions au
delà du XIIIe Siècle et de Fibonacci, essentiellement à cause de ses
origines... Cependant pas dans l'esprit encyclopédique de Dante, qui
plus est Italien, comme Fibonacci.
Le zéro est un symbole sinon de la science, au moins de l'esprit qui
permet son avènement. Les artistes participent activement à cette
marche en avant du savoir. Léonard de Vinci par exemple, précise les
règles de l'expérimentation plus d'un siècle à l'avance.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
50 on 86
Pour la deuxième fois au cours de cette étude, nous trouvons la trace
objective d'un savoir hors champ de la symbolique antique et du
religieux traditionnel. La première référence concernait l'obliquité de la
Terre. Ce zéro montre comment Dante autant que Botticelli entendent
intégrer toutes les formes du savoir. Pour autant, leur symbolique ne se
contredit pas. Nous le verrons par la suite, pour eux progrès n'est pas
synonyme de contradiction. Les deux siècles qui les séparent ne
changent pas leurs fondamentaux. Et si le zéro est revendiqué comme
pair par le dessin de Botticelli, Dante le considère déjà comme tel. En
toute honnêteté il semblerait logique de rapprocher ici les principes de
parité et de genre (m/f), et de se référer aux pythagoriciens. Cependant
une bande de grands types musclés, ces gardiens du 9 e cercle, ne
semble pas la meilleure façon d'aborder la “théorie du genre”.
Le zéro d'Antée
Cette autre approche semble plus productive : la particularité de la
naissance de Antée - qui n'a pas de père. Ce zéro nous parlerait-il de
l'Alpha*, symbole de la naissance du Christ ? Pour être clair, Antée ne
représente pas le Christ; il se réfère au 0 par sa naissance, comme le
Christ. Zéro est ici synonyme d'Origine. Et pour compléter cette idée,
Antée meurt étouffé alors que ses pieds ne touchent plus le sol. C'est
ce qui se produit physiquement avec le supplice de la croix.
* L'Oméga (Ω) représente le jugement dernier, d'où la balance qu'il
dessine. Cette découverte résulte de l'étude du Tympan de Conques,
où le signe est gravé dans la pierre :
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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B - Science et Symbolique selon S. Botticelli
L'astronomie en question
Rappel :: Un historique de l'astronomie est disponible à l'adresse :
http://www.art-renaissance.net/Schools/Inferno_Canto_XXXI/Historique-Astronomie.rtf
Nicolas de Cues (1401-1464)
Il achève une vie bien remplie comme vicaire général du pape
« humaniste » Pie II (1405-1464). Cet esprit œcuménique est connu
comme diplomate, mathématicien, théologien et sa cosmologie de
nature essentiellement spéculative représente l'une des premières
grandes alternatives à l'univers fermé de la scolastique aristotélicienne.
Ce grand voyageur est de ceux qui préparent la révolution
copernicienne. Il puise inspiration et savoir dans l'ésotérisme
(l'hermétisme et la Kabbale). Deux siècles plus tard, à la cour de
Rodolphe II, Kepler adoptera une attitude comparable, et l'empereur
fera venir à prix d'or depuis Venise une oeuvre de Dürer, pour disposer
de ses secrets. L'artiste était lui-même en relation indirecte avec
Copernic, par exemple à travers son ami Conrad Celtes. Sandro
Botticelli (1444-1510), comme son plus que probable disciple Albrecht
Dürer (1471-1528), sont à la fois des érudits et de grands curieux. Ils
participent à tous les débats de leur temps et l'astronomie est à l'ordre
de tous leurs jours.
Maintenant, une double-question qui se pose : Que sait Botticelli des
progrès de l'astronomie ? Ensuite dans quelle mesure fait-il référence à
ce sujet ? La même question se pose à propos de Dante; cependant
son oeuvre offre plus de prise directe à l'étude par la nature-même de
l'écrit —l'oeuvre de Botticelli doit livrer sa géométrie savante, si
longtemps ignorée, pour s'expliquer.
L'obliquité comme symbole
Peut-on considérer l'obliquité comme un argument aux débats sur le
système solaire ? Tout simplement non. Cette inclinaison de la Terre
est établie par un certain Anaximandre, au VI e siècle av. J.-C., bien
avant que Aristarque de Samos ne remette en cause le géocentrisme —
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
52 on 86
pour la première fois dans l'histoire. Et l'obliquité concerne les deux
“visions rationnelles” de la cosmologie. C'est l'occasion pour nous de
prendre un certain recul. Nous entreprenons tous ces sujets avec des
lunettes contemporaines. Elles nous permettent de voir certaines
choses mieux que d'autres. Cependant nous pensons un peu vite
science pour vérité, calcul pour preuve, et perpective pour progrès. Ce
n'est pas forcément l'opinion, encore moins le propos pictural de
Botticelli ou de Dürer. La vision des artistes de la Renaissance est plus
proche de celle des Égyptiens — par la mythologie — que de celle
d'Aristote et de Copernic. Pour preuve, nombre d'oeuvres de Dürer
comportent des pyramides à l'horizon. Les maîtres de la Renaissance
ne sont pas contre la science mais à ses côtés. Pour être simple : nous
rêvons d'aller sur Mars quand les Égyptiens rêvaient de vie éternelle.
Plus loin encore dans la méprise, nous nous extasions devant la
performance technique de leurs pyramides au point d'oublier la
motivation qui a poussé ces hommes à les construire. Botticelli a toutes
les chances de connaître et d'apprécier le courant de pensée qui
aboutira à la révolution copernicienne, mais sa première préoccupation
est de donner du sens à ses oeuvres à travers la symbolique,
certainement pas de calculer la masse du Soleil.
Pour autant, quand il s'agit de mathématiques, la symbolique prend les
leçons du progrès. Saint Jean fait ainsi référence à la fraction 265/153
dans sa « pêche miraculeuse » parce que c'est une excellente
approximation de √3. Or il doit ce travail aux savants d'Alexandrie !
Par deux fois, Botticelli fait référence à la science. À propos du zéro
(dont Dante a préparé la trame en choisissant ses personnages), et à
propos de l'obliquité. Le zéro a trouvé son sens avec l'Alpha. L'obliquité
doit trouver le sien de façon toute aussi symbolique, et c'est très
vraisemblablement une histoire de saisons, de zodiac, de temps
cyclique. L'effet concret de l'obliquité est de donner ce relief à la
révolution terrestre.
La Terre comme symbole
Doutons que Sandro Botticelli prenne pour vérité scientifique la place
de l'enfer au centre de la Terre, de même qu'il investisse le moindre
denier pour en localiser l'entrée. Cette plaisanterie restera, au XXe
siècle, comme l'un des hauts faits de l'idéologie nazie. Celle qui, par
ailleurs, inspirera des fusées et des chars particulièrement performants,
dignes de l'admiration technologique que nous vouons aux pyramides !
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
53 on 86
La symbolique prend la terre pour centre, et elle n'est pas une “valeur
astrologique” au contraire du Soleil. Le Terrestre se distingue du
Céleste et pas du “Saturnien” ou autre “Vénusien”. Aristote oppose un
monde terrestre imparfait à un monde céleste parfait. Soit un “monde
sublunaire” et un “monde supralunaire”. La Lune est considérée comme
frontière entre les deux mondes car contrairement aux autres corps
célestes elle change de forme constamment. La vision héliocentrique, si
elle devient le nouveau dogme, demande au symboliste de s'asseoir
sur le Soleil et de le remplacer par la Terre (R.I.P. Icare). L'opération se
traduit par une fin de la lumière, solaire porteuse de vérité, au profit d'un
matérialisme terrestre, marqué par l'imperfection.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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C - Retour aux sources
Les Géants de ce dessin sont des fils primaires de la Terre (Gaïa). Par
sa mort, l'homme retourne à la terre. C'est par ce premier message
concret que Dante marque l'ultime étape des visiteurs de l'Enfer.
Botticelli prend acte des acteurs de la pièce, cependant une question se
pose : quel besoin avait Dante d'associer les Géants à six nombres
entiers de 0 à 5 ? Quel besoin avait-il de poser ce vocabulaire s'il
n'avait le projet de s'en servir ? La lecture du Chrisme (IX) devient
évidente avec les indications du dessin de Botticelli. Mais peut-on
considérer cet accomplissement comme apocryphe, face à sa source
originale : la « Divine Comédie » ? Le socle de nombres sur lequel
repose le Chrisme est-il un simple bloc de pierre, stérile ? Ou encore
était-il destiné à un autre type de sculpture, tel celui qui enfanta le
David de Michel-Ange, laissé à l'abandon après l'échec de plusieurs
autres sculpteurs ?
En dépit des controverses qu'inspire la personnalité de Dante, l'image
de la foi que renvoie sa « Divine Comédie » est particulièrement
exigeante; l'auto-critique de l'auteur comme son repentir y prennent une
dimension impressionnante. En conséquence le Chrisme est tout à fait
“compatible” avec la trame écrite de cette épopée, la signature du
Christ intervient comme la marque la plus appropriée de cette
authentique profession de foi. La revendication du symbole est explicite
dans le dessin : Botticelli place les nombres 0-1-2 et 3-4-5 en deux
triangles séparés dans le cercle de la fosse. Et il paraît difficile de
détacher ce message final de ce qui lui permet de se construire,
particulièrement quand il s'agit de nombres et de sacré : d'ésotérisme.
Botticelli et Dante, même s'ils ne travaillent pas la même matière, se
réclament d'une seule et même culture.
C'est l'occasion pour nous de mieux comprendre un point essentiel de
l'histoire : le savoir byzantin qui irriguera l'Italie du nord pour provoquer
la révolution de la Renaissance n'attendra pas la chute de
Constantinople. Dès le « trecento », l'école vénitienne avec des
peintres comme Paolo Veneziano (v.1290-1358/62) en témoignent.
Byzance est l'école majeure de la géométrie sacrée — cet art des
formes qui traduit les nombres.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
55 on 86
Et cette culture de tradition orale se caractérise par un aspect qu'il va
nous falloir intégrer :
le sens est tout entier dans les oeuvres qu'elle produit.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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D - LA FRACTION 13/9
1 - Introduction
1.1 - L'art des proportions
En douze années de recherche sur la composition à étudier les oeuvres
d'art et d'architecture, j'ai naturellement acquis un certain “métier”. Un
mélange de connaissances, de méthodes, mais aussi d'habitudes et de
réflexes. Les articles ne rapportent qu'une faible part de la réalité du
laboratoire, ils se concentrent sur les preuves, particulièrement sur la
façon de les présenter (l'écriture et la pédagogie). Ce chapitre est l'un
des plus importants qu'il m'ait été donné d'écrire. Pour une fois, j'ai
envie de confier ce qui m'a “mis la puce à l'oreille” quand il fallait
résoudre une équation géométrique hors du commun.
La composition de chaque géant commence par un rectangle. La
proportion de ce rectangle est différente dans les six cas. Et c'est
précisément face à ces nombres qu'intervient le métier, l'habitude de
voir et de travailler avec des proportions au point qu'elles deviennent
familières. Celles de quatre géants sont totalement usuelles et même
banales :
(1+√3)/2
pour (0) Antée
3/2
pour (3) Briarée
4/3
pour (4) Thyphon
3
pour (5) Ephialte
La proportion d'un rectangle est inhabituelle, sans devenir improbable :
12/5
pour (1) Nemrod
5 et 12 sont deux termes consécutifs des réduites de 1+√2 (dite
proportion d'argent). Ensuite Nimrod est le seul homme (le 5 devient
légitime). Enfin, il ne sort pas de la Mythologie Grecque comme les
autres Géants, mais de la Bible (le 12 devient à son tour légitime). L'on
pourrait approfondir ce sujet mais il y a plus important, plus intéressant,
avec la proportion de Titye.
Une proportion est inhabituelle pour ne pas dire carrément improbable :
13/9
pour (2) Titye
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
57 on 86
Sans autre élément de réflexion, cette exception resterait du domaine
de l'inexpliqué, et l'on peut également soupçonner une erreur en amont.
Pour qu'elle se maintienne, le statut de cette fraction inclassable doit se
construire sur le dur de l'étude, des faits, et pas sur le sable de la
subjectivité à laquelle l'histoire de l'art voue un culte.
1.2 - Titye - Le numéro 2
Titye semble le personnage le plus effacé du tableau, et pourtant il est
à l'origine de cette longue réflexion. Nous savons que son mythe est
marqué par le nombre 2. Deux mères potentielles (Élara ou Gaïa), deux
tueurs (la lunaire Artémis et le solaire Apollon, enfants de Léto), enfin
deux vautours pour une punition prométhéenne. En écho, 13/9 sert à la
fois de première mesure, de proportion et de tangente au centre à
Titye. Cette répétition de la fraction correspond à un triple appel de
phare — flanqué de deux arcs ! Il faut situer cette remarque dans
l'atmosphère religieuse où se produit le récit de Dante. Ce triolet
symbolique rappelle le triple mea culpa que le pécheur ponctue du
poing en se frappant la poitrine. Cette accumulation, cette insistance
même, écarte “à l'usure” l'opinion d'une coïncidence.
Pour couronner le tout, à la façon d'une double-preuve, nous avons
établi au cours de la partie III-A que les personnages pairs, dont Titye
fait partie, accordent le caractère de leur mesure et de leur proportion.
En l'occurrence, la mesure comme la proportion doivent être toutes les
deux rationnelles.
Une première question se pose alors. Est-ce une citation picturale, qui
servirait de marque comme nous l'avons déjà vu avec l'apparition du
Chrisme ? Serait-ce par exemple, comme le ‘IX’, une signature de la
Chrétienté ? Tout d'abord, les signes n'apparaissent pas dans les
mêmes conditions. Le Chrisme se suffit de l'observation du dessin, hors
géométrie, et il est simple à comprendre. Le 13/9 ne propose aucune
explication triviale, et il est au cœur de la géométrie sacrée du dessin,
au fond d'un puits de réflexion tout au bout de l'étude. Les deux signes
n'ont pas le même statut ; ils n'ont en conséquence pas la même
lecture. Le Chrisme montre un Christ en majesté, à qui il suffit de
paraître pour régner. Ce 13/9 est le point de convergence de plusieurs
constructions que Dante et Botticelli ont savamment mis au point. Pour
les décrypter, il nous faut appliquer plusieurs méthodes, et confronter
plusieurs réalités : celles de la mythologie, de la géométrie — de
construction, et aussi celle des nombres. Et raisonner.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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1.3 - Précautions minimales d’usage
Au-delà de leurs “matières”, les différentes approches que nous allons
confronter pour comprendre la fraction 13/9 de ce dessin de Botticelli
n’ont pas un seul et même statut méthodologique. La reconstitution de
l’intention originale de l’auteur est la seule véritable constante de cette
part de l’étude. Elle ne dépasserait pas le stade de la préoccupation
sans un phénomène qui se produit dès que la géométrie d’une oeuvre
est révélée — avec son quadrillage. Toutes les approches s’accordent
et se confortent. Chaque discipline gagne soudain en éloquence et
améliore son degré de définition. C’est particulièrement remarquable
dans le champ de l’interprétation des nombres, dont on peut dire qu’il
est à l’aube de sa reconstruction — à commencer par les basiques du
Céleste/Terrestre et du masculin/féminin.
La mythologie a la juste réputation d’être insondable et “logophage”.
Elle fait désormais appel à la théorie mathématique des sousensembles flous pour s’expliquer (Réf. 1). Ses spécialistes choisissent
avec précaution les concepts qu’ils impliquent, autant que les substrats
qui leur servent de référence. Le texte est ainsi conçu comme une
source potentielle parmi d’autres, dont l’image, pour approcher une
notion toujours en mouvement, et dont les frontières restent
perméables. Il n’est pas rare de trouver trois ou quatre discours
narratifs différents à propos d’une même “entité”.
Dans le cas de ce dessin de Botticelli, l’astrologie est le filtre adéquate
pour limiter les égarements qu’induisent les strates historiques qui
surchargent les mythes. Les valeurs astrologiques s’accordent en effet
à l’intérieur d’un système dynamique général, contrairement aux récits
où chaque auteur produit sa version propre sans avoir de comptes à
rendre aux autres. L’astrologie apparaît ainsi comme une tentative de
« normation » des mythes devenant symboles. Les artistes et
architectes ont cette même préoccupation. Leur géométrie en est la
conséquence, et il est logique que leur discours symbolique se
nourrisse de l’astrologie.
Ce chapitre n’est pas une tentative de reconstruction de la mythologie
dans son ensemble. Il met à profit un aspect cohérent de la symbolique
qui résonne avec celui de l’oeuvre que nous étudions. Cela ne veut pas
dire que la mythologie se résume à cette part utile et efficace, ni qu’il
faille cesser d’étendre son étude avec des concepts plus sophistiqués.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
59 on 86
D’une façon générale, la confrontation que nous allons entreprendre
met en évidence des lignes communes et des intersections pour
retrouver l’élan de la symbolique dans ses formes les plus synthétiques.
La modernité sépare souvent les objets et les notions, elle divise les
sujets pour en faciliter l’analyse. Mais en cela, on s'écarte du symbole
en le réduisant à des codes, des conventions où peu de notions, à part
celle de pouvoir, résistent [ce terme de pouvoir est désormais le plus
fréquent dans les publications historiques].
Les différentes approches que nous allons pratiquer sont liées entre
elles par tant de liens qu'aucun ordre dans leurs paragraphes ne saurait
être satisfaisant. Les idées partent en étoile à chaque proposition alors
que l'écrit se déroule de façon linéaire. L'ordre ici proposé est sans
doute le moins mauvais parmi les choix.
Réf. 1 : « La voix actée ». Pour une nouvelle ethnopoétique, sous la
direction de Claude Calame, Florence Dupont, Bernard Lortat-Jacob,
Maria Mancia, Paris : Éditions Kimé, 2010, 328 p., EAN
9782841745319. Cette transversale est à rapprocher de celle de
Lucien Stephan, qui se réfère aux “prédicats de ressemblance familiale”
du philosophe Wittgenstein pour aborder la société tribale africaine.
Dans les deux cas, on se dote d’un outil qui ne crée pas de frontière
abrupte par son effet de ciseau. N.P. : l’art de la mosaïque réclame ce
type d’approche, juste avec les yeux.
2 - Étude mythologique
2.1 - Apollon et Artémis
Tytios, comme Antée, appartiennent à la seconde génération de
Géants. Leur définition est moins stricte et elle peut varier selon les
auteurs. Pour ce dessin de Botticelli, nous devrons nous référer à la
lignée Homère-Virgile-Dante. La Mythologie que nous allons étudier va
nourrir équitablement la fraction 13/9 et la figure de la Vesica Piscis. À
l'époque où Botticelli exécute son dessin, les tarots sont encore en
gestation. Or ce sont eux qui abreuvent le plus simplement la fraction
rustique 13/9. La cohérence de la culture symbolique dans le temps
nous autorise à prendre ces cartes en référence. On constate, en Italie
du nord, que leur ordre est établi dès le Visconti (~ 1450).
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
60 on 86
Comme nous allons le comprendre concrètement, la fraction 13/9 et la
Vesica Piscis sont liées par la mythologie de Titye, et une simple
opération permet d'en rendre compte : (2+6+5)/(1+5+3) = 13/9.
Titye ou Tityos (littéralement « le fils de la terre ») figure au récit
d'Homère en des termes peu élogieux. Le onzième chant de
« l'Odyssée » décrit un supplice perpétuel du Géant où deux vautours
se repaissent de son foie qui ne cesse de se renouveler. Pour les
Grecs, le foie est le siège des désirs brutaux, et Titye est puni après
avoir abusé de Léto — soulignons qu'il le fait sous l'influence de la
jalouse Héra. Par ailleurs, le même auteur ferait état de la taille de la
sépulture du Géant par ce vers :
Neuf arpents tout entiers lui servent de tombeau...
Le VIIII de l'Hermite et le XIII de la Mort se profilent, pour former la
fraction 13/9.
Les propres enfants de Léto punissent le méchant. Le solaire Apollon
est le jumeau de la lunaire Artémis. Cette attribution Lune/Soleil est
sujette à des variations dans le temps, en revanche l'attribution de la
nature sauvage à Artémis et de l'agriculture à Apollon est une
constante. Le point commun de ces deux mondes est la reproduction
(chapitre sur lequel Tityos manquerait de discernement). La thème de
la fertilité est central. Le cercle sauvage et paléolithique d'Artémis y
retrouve le cercle néolithique et agricole d'Apollon, comme le culte de la
maternité de la Vierge à l'enfant partage ce principe commun avec celui
de la fécondité des Vénus gravétiennes.
Les éléments mythologiques offrent un bel ancrage à la Vesica Piscis, à
ces deux cercles jumeaux partageant une vulve. L'aspect céleste doit-il
se justifier : les acteurs sont des dieux, et l'on considère l'influence
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
61 on 86
féconde du Céleste sur le Terrestre, pour laquelle l'humanité a prié
pendant des siècles (Apollon est un des cultes majeurs de l'antiquité,
pour ne pas dire le principal). Artémis et Apollon, écho du 2 représenté
par Titye, croisent leurs arcs pour constituer les bords de l'amande.
Parallèlement, la fraction 13/9 doit répondre à la √3, puisque c'est la
taille arithmétique de l'amande, sa caractéristique la plus importante.
Cette Vesica se manifeste à l'occasion de la mort de Titye (cf. l'arcane
XIII des tarots), soit du passage du Terrestre à l'au-delà.
N.B. : ce passage se rappelle de l'Astral, pont entre les mondes
terrestre et céleste.
La déesse Artémis protège sa virginité. Elle est un peu maladroite avec
les hommes (Orion en fait les frais). Comme son frère, elle est
terriblement susceptible et vengeresse (encore le XIII de la Mort). Selon
Jean Richer et Pierre Chantraine, Artémis est également Régente de la
loi de l'Ourse, constellation qui se confond avec l'ordre même du ciel.
Ces révélations ont du sens pour aborder la √3, sa féminité et sa
signification numérique : celle du mystère céleste. Homère voit encore
Artemis guider les égarés, les étrangers et les esclaves en fuite au
cœur de la nuit. Cette image se rappelle de l'Hermite des tarots (arcane
VIIII). Enfin, pour conforter la pertinence de ce thème de la fécondité :
la représentation sacrée de la déesse peut prendre la forme d'un buste
atteint de polymastie :
Apollon apporte sa contribution à ce tableau : la Vesica Piscis est
l'apanage de Vénus dans toutes les formes de représentation, et le 7
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
62 on 86
est l'un de ses nombres (avec √3, 3 et 8), qu'elle partage avec Mars.
Apollon est né le 7e jour du mois. On le voit également avec un trépied,
comme sur cette poterie grecque, où il se dispute avec Héraclès. La
vesica n'est pas loin :
Dernière touche : les archers ne sont pas nombreux dans le Ciel des
Grecs. Le troisième Dieu à maîtriser cet art est Cupidon, fils de Vénus !
Ces éléments mythologiques se fondent dans un ensemble qui intègre
tous les aspects. Cette synthèse cohérente offre un visage que l'on dira
honnête de la symbolique.
En résumé, Dante met en scène six géants qui portent chacun un
nombre entier de 0 à 5. Cette distribution des nombres croise la
distribution spatiale du dessin de Botticelli pour former le Chrisme,
premier message de l'oeuvre. Pour le comprendre, il suffit de la
mythologie des personnages et de l'observation du dessin. Tityos porte
le nombre 2. Son histoire construit également une Vesica Piscis à
travers les personnages qui accompagnent sa mort : les jumeaux
archers Apollon et Artémis. Une fraction inclassable, 13/9, investit trois
fois la composition géométrique du Géant. Elle intervient comme la
confirmation du rôle de cette Vesica, par la √3 qui est sa marque.
265/153 est en effet une approximation connue de ce nombre, dont
13/9 est la contraction théosophique (par la somme des chiffres). Le
dessin revendique cette √3 avec force. Moyennant quoi, √3 est la
réponse que Botticelli apporte à la question/définition de la valeur 2.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
63 on 86
2.2 - Les Tarots
Les tarots sont une véritable encyclopédie de la symbolique. Christophe
de Cène a reconstitué la structure pyramidale des cartes avec leurs
combinaisons de dés. Chaque lame majeure est liée à deux entiers (de
1 à 6), et les six doublons de la base nourrissent les étages supérieurs
selon les lien en diagonale que produit la disposition des cartes en
quinconce.
http://www.melencoliai.org/farandole/numerique/Pyramide_numerique-1.jpg
Ex : la carte du Jugement XX (combinaison 3.5) est liée à la carte III de
l'impératrice (combinaison 3.3), et à la carte V du Pape (5.5).
http://www.melencoliai.org/farandole/numerique/Pyramide_numerique-2.jpg
La pyramide expose les couples selon une symétrie droite-gauche, et la
somme de leurs nombres-codes est égale à 7.
Ex : la Tempérance arcane XIV et combinaison 3.2 forme un couple avec la
Justice, arcane VIII et combinaison 5.4
avec 3+ 4 = 2+ 5 = 7.
L'article complet est accessible à l'adresse :
http://www.jacquier.org/Christophe_de_Cene-Pyramide_numerique_tarots
Les deux cartes des tarots représentant cette fraction sont l'Arcane
sans Nom, autrement appelé la Mort ou Ankou, et noté XIII, et
l'Hermite, noté VIIII. Selon le code de Cène qui relie les arcanes aux six
fondamentaux, leurs combinaisons sont 6.4 pour la Mort et 2.1 pour
l'Hermite. Christophe de Cène, spécialiste de ces nombres, trouve le
point fort de ce couple à l'apparence improbable dans la somme de ses
nombres affichés : XIII + VIIII = XXII. Ce nombre se réfère [ceci est un
raccourci] au Mat, Géant s'il en est, qui lui-même se rapporte au chaos.
Comme nous l'avons évoqué plus haut, à l'époque où Botticelli exerce
son art les tarots sont encore en gestation dans les guildes d'artistes en
Italie du nord. Le projet serait d'origine byzantine, et il sera achevé par
Albrecht Dürer parallèlement à ses Meisterstiche — dont la fameuse
« MELENCOLIA § I » (1514). La présente investigation montre la
formidable stabilité de la symbolique dans le temps, autant que sa
cohérence dans « l'espace chrétien » — expression la plus pertinente.
Nous avions besoin des tarots pour référence avant d'aborder le
prochain développement mythologique.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
64 on 86
2.3 - Chronos et Cronos
• Cronos est le plus jeune des Titans. La version d'Hésiode le relie au
dieu romain Saturne. Son attribut originel est une faucille de pierre,
avec laquelle il émascule son père Ouranos. Cronos est ici la
préfiguration du dieu de l'agriculture et du temps, avec pour attributs la
faucille et le sablier.
• Chronos appartient essentiellement au courant orphique de la
mythologie, pour qui il est un dieu primordial, représentation du temps
et de la destinée. Sa représentation la plus moderne le montre avec
deux ailes noires, une faux et un sablier :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b2/Chronos__Naturmuseum_Senckenberg_-_DSC02284.JPG
• Dans les vieilles traditions orphiques, Chronos est un serpent à trois
têtes : la première est humaine, la seconde est bovine, et la troisième
est celle d'un lion. Il épouse un autre reptile : Ananké, personnification
de la Nécessité.
Les racines linguistiques des deux noms ne sont pas les mêmes,
cependant le partage d'une même thématique, le temps, comme
l'aboutissement final sous les traits d'un même Saturne justifient leur
rapprochement.
La vieille image orphique de Chronos va nous servir de point de départ.
On y retrouve le « tétramorphe astrologique », constitué des quatre
pôles cardinaux du zodiaque. Le lion de St marc, le Boeuf (Taureau) de
St Luc, la face d'ange (Verseau) de St Mathieu et le serpent/aigle
(scorpion) de St Jean. Dans ce tétramorphe, les quatre signes fixes du
Zodiac correspondent aux quatre Évangiles.
Ce tétramorphe est au sommet de la Roue de Fortune*, l'arcane X des
tarots (combinaison de Cène 6.5). Cette carte forme un couple avec
l'Hermite (arcane IX et code 1.2). Les temps cyclique (X) et de temps
continu (IX) sont ici exposés par un couple en symétrie.
http://www.melencoliai.org/Tarots/Nicolas-Conver-1760-G/13-Mort.jpg
http://www.melencoliai.org/Tarots/Nicolas-Conver-1760-G/9-Ermite.jpg
http://www.melencoliai.org/Tarots/Nicolas-Conver-1760-G/10-Roue_de_fortune.jpg
* Le Sphinx qui trône au sommet de la roue de fortune arbore la queue
du taureau, les ailes de l'aigle, les pattes du lion, et le visage humain du
verseau. Le signe '≈' est placé au niveau de sa bouche pour nous
l'assurer. Et si l'on retire ces quatre attributs au dessin, il reste la
chrysalide du papillon (sphinx), seul animal à connaître quatre stades.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
65 on 86
Ainsi le Chronos orphique originel est une représentation du zodiaque.
Un temps délibérément cyclique, par opposition à celui du sablier,
continu. Ce temps cyclique est en quelque sorte biologique, c'est celui
du corps, face au temps de l'âme. Dans sa célèbre gravure « Le
Chevalier, la Mort et le Diable » de 1513, Dürer place le sablier dans les
mains de la Mort. Dans les tarots, on sait que l'Hermite est une
représentation de Saturne. Or justement, dans la confrontation des
cartes à « MELENCOLIA § I », véritable toile de fond des cartes, la
lanterne de l'Hermite se superpose au sablier de la gravure de Dürer :
http://www.melencoliai.org/composition-BM/051-presentation-frise.jpg
À la racine, Chronos et Cronos/Sarurne se répartissent ainsi deux
définitions/notions complémentaires du temps.
La lettre 'H' joue le rôle d'intrus. En effet, l'Ermite hérite du H (d'où
l'orthographe du nom : Hermite) qui manque au titre de la gravure
« MELENCOLIA § I » pour avouer son sens « LEO IN MIC(H)AEL ».
Dürer a remplacé le H par le signe § dans le titre, et il l'a placé devant le
nom de l'ermite, alors que sa racine n'a jamais comporté de H*... Ce ‘H’
pourrait se rappeler de l'Hermétisme. Une autre gravure des
Meisterstiche (de Dürer) en est l'indice : « St Jérôme dans sa cellule »,
datant de 1514 comme Melencolia.
* ermite : vient du latin eremita (ermite), depuis le grec ερημίτης (du
désert). Il n'a jamais été question de H devant ce mot.
En résumé, Chronos est lié à la Roue de Fortune par la notion de
temps cyclique et zodiacal, celui du corps biologique, face à la seconde
carte du couple, l'Hermite, qui porte la notion du temps saturnien, celui
de l'âme représenté par un sablier.
Le pont entre les deux se fait avec la faux de l'Ankou. C'est l'occasion
de se rappeler la fraction 13/9 qui préside à ce chapitre. Le XIII de la
Mort. Cette Faux est d'une part le grand modèle de la faucille. C'est au
sens stricte l'outil de la récolte, elle augure le bilan, le résultat d'une
saison ou d'une vie. Pour le corps, c'est une fin et pour l'âme, le début
d'une autre vie.
2.4 – Lucifer
Le temps est l'espace primordial dans lequel se déploie l'action. La
fraction 13/9 ouvre un cadre, une fenêtre dans laquelle la
démonstration de Botticelli advient. Nous allons une fois de plus nous
plonger dans la mythologie grecque, très précisément celle de Tityus.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
66 on 86
Dans un premier temps, le mythe a révélé le sens de sa mort, sous les
flèches d'Apollon et Artémis. Son châtiment apporte un autre lot
d'informations. Son foie, qui se régénère sans cesse (comme c'est le
cas dans la nature), est dévoré par deux vautours, selon un cycle
éternel. Au cours de ses douze travaux, Héraclès (Hercule) le prend en
pitié et allège sa peine.
Le châtiment de Tityus se rapproche bien évidemment de celui de
Prométhée. Prométhée est un Titan de la seconde génération. Il aurait
créé les hommes, détail qui ne semble pas retenir beaucoup l'attention,
avec de l'eau et de la terre. Athéna, née en jaillissant de la tête de
Zeus, introduit alors le souffle de la vie dans ces corps d'argile.
Prométhée aide ensuite les hommes à grandir, physiquement et
intellectuellement. Il leur apporte même le feu des dieux de l'Olympe,
caché dans une tige de roseau. Cela fait de lui un porteur de lumière,
un “Lucifer”. Lucifer est le nom d'un dieu romain mineur, correspondant
au Phosphoros grec. Il personnifie l'Étoile du Matin, Vénus. Selon J.
Tondriau et R. Villeneuve le luciférisme est
« … l'adoration de Lucifer, considéré comme Lucibel ou Ange de
Lumière, qui doit libérer l'homme de la servitude du Créateur. Certains
le font présider à l'Orient, l'associant à Vénus et le disent Roi des
Enfers, supérieur même à Satan. »
Ce constat intervient comme la double-preuve du premier discours
mythologique, celui qui associe le 2 de Tityus à la Vesica Piscis de
Vénus. La liaison du personnage à Vénus se remarque à la fois dans
sa mort, et dans le châtiment qui lui est infligé.
Par delà les dangers que comporte tout accès à la connaissance, ce
dessin de Botticelli énonce une √3, id est l'expression du mystère de la
trinité, en réponse au nombre 2. Cette attitude a du sens sur le plan
théologique, particulièrement à la Renaissance, époque de transfert du
savoir byzantin en Italie du nord. Dans son ouvrage la « Divine
Proportion », Fra Luca Pacioli, grand passeur de cette culture,
expliquera les principes de la symbolique des nombres et l'importance
d'une proportion dont les caractéristiques concordent avec des
« attributs qui appartiennent à Dieu » :
« Le premier est l'unicité... Le second attribut concordant est celui
de la Sainte Trinité; c'est-à-dire que, de même qu'en Dieu une seule
substance réside en trois personnes, le Père, le Fils et l'Esprit Saint, de
la même façon, il convient qu'un même rapport ou proportion se trouve
toujours entre trois termes. »
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
67 on 86
3 - Étude des nombres
3.1 - La Kabbale
Pour les kabbalistes hébreux, le nombre 13 se rapporte au serpent, au
dragon, à Satan, dans une ambiance de meurtre. La Kabbale décrit
treize esprits du mal. Le 9 est quant à lui conçu comme le nombre de
l'accomplissement de la volonté divine. Les deux nombres ne
discordent pas avec l'enfer selon Dante, pour autant que l'on puisse
expliquer leurs rapports. Le bon sens nous propose alors une première
lecture. La barre de fraction placerait le propos du numérateur « dans la
mesure » du dénominateur. Dans ce cas, de façon littérale, « un monde
de serpents, de dragons et d'esprits du mal dans la mesure de la
volonté divine ». Cette traduction est compatible avec l'esprit de la
« Divine Comédie ». Cependant le discours peut paraître sommaire et
manquer de complexité face à celui de la géométrie. Il nous faut trouver
des points d'appui pour développer cette étude en se rapprochant de
l'oeuvre. À cet égard, une volonté “centripète” est essentielle. Il nous
faut éviter les pièges que proposent des horizons trop éloignés, nous
devons considérer leur ouverture potentielle comme une fuite. Nombre
de thèses butinent d'un mythe à l'autre, mêlant allégories et parallèles.
Ces voyages, aussi bucoliques qu'il soient, n'ont d'autre destination que
leurs auteurs. Face à cette tendance, je n'ai personnellement pas
l'intention d'écrire un texte que je n'aurais pas envie de lire.
3.2 - La racine de trois
Il nous faut un outil plus puissant pour faire parler ce 13/9, pour que son
discours se hisse à la hauteur de celui de la géométrie dans ce dessin
de Botticelli. Les nombres doivent confirmer le propos de la géométrie,
comme c'est toujours le cas en mathématiques — y compris
symbolistes. Et ils méritent d'être étudiés avec méthode, comme la
géométrie de quadrillage dont le corpus est désormais reconstitué.
Nous trouverons des convergences avec les autres approches et nous
comprendrons la formidable cohérence des mathématiques
symboliques, i e de la mythologie, des figures et des nombres.
Le point de départ de ce prolongement est une simple remarque. La
fraction 13/9 n'est pas une proportion habituelle de la géométrie sacrée,
alors qu'elle se produit dans un ensemble cohérent. Une maigre piste
se dessine, une curieuse coïncidence. L'une des approximations les
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
68 on 86
plus connues de la √3 est en effet la fraction 265/153. La précision est
de l'ordre de 10-5. Or la somme des chiffres de cette fraction est :
(2+6+5) / (1+5+3) = 13/9
Ce procédé est appelé théosophique, mais cela n'a pas de réelle
incidence ici dans la mesure où il n'est pas suivi d'un raisonnement
théosophique en règle.
Le ratio 265/153 est particulièrement connu car le dénominateur (153)
est le nombre de poissons de la « pêche miraculeuse » rapportée par
St Jean. Ces poissons sont une façon très imagée de nous rappeler
que √3 est la hauteur de l'amande d'une Vesica Piscis (en français :
tripes de poisson) élémentaire — deux cercles de rayon 1 pointant
chacun sur le cercle jumeau :
Nous aurons besoin d'outils mathématiques pour poursuivre cette
approche. En attendant, nous allons étudier la mythologie du dessin. La
fraction doit avant tout y trouver sa légitimité. On remarquera que ces
deux premières approches (Kabbalistique, tarots) sont compatibles
avec l'oeuvre sans en rendre compte totalement. Et c'est tout à fait
normal, puisqu'on ne considère que la fraction 13/9 et pas celle qui se
cache derrière, 265/153.
3.3.1 - Les fractions continues, ADN des nombres
Un chapitre particulier des mathématiques, appelé « fractions
continues », va nous aider à préciser le statut de l'approximation
265/153. Nous avons besoin de ces éléments théoriques pour aborder
la synthèse finale. Le niveau de cette culture a un prix.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
69 on 86
La première grande révélation de la Géométrie Comparée est la totale
cohérence du savoir mathématique impliqué dans la composition des
oeuvres d'art. La « Géométrie avec les yeux » n'est aucunement
“empirique”, comme trop d'auteurs se plaisent à l'écrire. Ces
mathématiques pré-euclidiennes limitent leurs axiomes à ceux que
Thalès (625, 547 AEC) ramena d'Égypte, et elles se passent
littéralement de calcul au profit “d'évidences” : concrètement, une série
de figures démonstratives sur un quadrillage. La géométrie sacrée évite
le calcul par peur d'effrayer les nombres... Pour autant, cette « pensée
d'avant l'écriture » n'ignore pas le calcul. D'ailleurs a-t-on jamais vu,
dans le champ des mathématiques classiques, un discours algébrique
qui contredirait celui de la géométrie ? Les traces du passage de la
culture de quadrillage, géométrique, à celle des nombres, abondent (la
tablette Plimpton 322 est un bel exemple). Autant que les indices de la
coïncidence de l'avènement de l'écrit et du calcul. Et quand Botticelli
entreprend son illustration de Dante, il s'appuie sur plusieurs millénaires
de réflexion sur les rapports entre la géométrie et les nombres, autant
que sur les nombres eux-mêmes.
Tout nombre peut être décomposé comme une somme d'entiers et de
résidus selon un processus unique (ici l'exemple de la racine de 2) :
http://upload.wikimedia.org/math/d/1/2/d12c854854016d41841cedae13951cd2.png
La suite des nombres entiers de cette fraction en escalier s'écrit :
√2 = [1, 2, 2, 2 etc]
• Passons au cas de la racine de trois : √3 ≈ 1,732 050 8...
Appelons n le rang de la décomposition.
Pour n=0
1,732 050 8... = 1 + 0,732 050 8...
Pour n=1
1 + 0,732 050 8... = 1 + 1/(1+0,3660254...)
Pour n= 2
1 + 1/(1+2,7320508...) = 1 + 1/(1+1/(2+ 0,7320508...) )
etc...
√3 = [1, 1, 2, 1, 2, 1, 2 etc]
Cette suite d'entiers se présente comme le code génétique du nombre.
Le mathématicien Euler (1707-1783) a démontré que le code des
racines carrées devient périodique à partir d'un certain rang (répétition
d'une même séquence d'entiers à l'infini). Voici la liste synoptique des
valeurs irrationnelles courantes en géométrie sacrée :
• (1+√5)/2 =
[1, 1, 1 etc]
Nombre d'Or
• 1+√2 =
[2, 2, 2 etc]
Proportion d'argent
• (3+√13)/2 =
[3, 3, 3 etc]
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
70 on 86
• √2 =
• √3 =
• 1+√3 =
• (1+√3)/2 =
• (1+√2)/2 =
• √5 =
• 1+√5 =
[1, 2, 2, 2 etc]
[1, 1, 2, 1, 2, etc]
[2, 1, 2, 1, 2, 1 etc]
[1, 2, 1, 2, 1, 2 etc]
[1, 4, 1, 4, 1, 4 etc]
[2, 4, 4, 4 etc]
[3, 4, 4, 4 etc]
Diagonale d'un simple carré de 1
Hauteur de l'amande de la Vesica
Ratio de [Triangle equi.+ Cercle]
Diagonale d'un double carré de 1
Proportion dorée du Triangle 3-4-5
3.3.2 - Les fractions réduites
Les « réduites » sont une suite de fractions qui se rapprochent
successivement de leur nombre. Elles négligent le résidu qui les sépare
du nombre référent. Ce, pour être rationnelles c'est à dire le rapport de
type a/b, avec a et b entiers. Chaque fraction est repérée selon sa
place dans la série, appelée rang n, depuis n=0 (place de la part entière
du nombre).
• La formule de passage depuis une réduite jusqu'à la suivante est :
an+1 / bn+1 = (an-1 + qn+1.an) / (bn-1 + qn+1.bn)
• Les fractions réduites de la √3 (les nombres premiers sont en rouge)
0 1
2
3
4
5
6
7
8
9
1/1 2/1 5/3 7/4 19/11 26/15 71/41 97/56 265/153 362/209
10
989/571
11
1351/780
12
3691/2131
13
5042/2911
14
13775/7953
• Visuel synoptique et didactique des réduites :
http://www.art-renaissance.net/Schools/Inferno_Canto_XXXI/Fractions_reduites-racine_3.jpg
• En 9ème position des réduites (n=8, précision à 10-5) :
265 = 5 x 53
153 = 9 x 17
153 = 1 + 2 +...+ 17
• En 13ème position des réduites (n=12, précision à 10 -7) :
3691 est premier
2131 est premier
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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3.3.3 - Le ratio des numérateurs
Un autre train de proportions se révèle à l'intérieur de cette suite de
nombres. Christophe de Cène s'est intéressé aux rapports des
numérateurs (les dénominateurs ont le même comportement). Ces
ratios s'approchent plus vite encore de leur limite, à savoir :
(1+√3)/2 pour n+1 impair, et 1+√3 pour n+1 pair
0
1
1
2
2
2
5
2,5
3
4
5
6
7
8
9
7
19
26
71
97
265
362
1,4 2,714 1,368
2,732 1,366 2,732
1,366
-3
-4
-5
2%
2‰
10
10
10
10-5
10
989
2,732
1,366
-6
10
10-7
11
1351
12
3691
2,732
10-7
13
5042
1,366
10-8
14
13775
2,732
10-8
Cet autre aspect de la suite des réduites ouvre un autre espace de
recherche, que nous traiterons à part. Préfiguration : la √3 est la valeur
féminine de la géométrie sacrée, face au nombre d'or, φ, la valeur
masculine. Contrairement à l'opinion courante, LE 3 Céleste et LE 4
Terrestre sont neutres.
3.4 - À propos de Vénus - Ses nombres associés
Ce paragraphe généraliste apporte un soutien à cette étude. Vénus est
une entité fondamentale de la symbolique et sa longue histoire justifie à
elle seule la complexité de ses expressions, notamment numériques.
• Les trois représentations de Vénus
Vénus a trois représentations dans les Tarots. L'Étoile, sa
représentation charnelle et terrestre, est la maîtresse du signe du
Taureau. Le nombre de cette carte est XVII, et son addition
théosophique « I+VII = VIII » pointe sur une autre représentation de
Vénus, archétypale celle-là, la Justice (combinaison 5.4 en langage de
Cène). La combinaison de l'Étoile est 4.2 et cette expression charnelle
de Vénus invite à la multiplication : « 4 x 2 = 8 » également. La même
multiplication appliquée à la Justice « 5 x 4 = 20 » pointe sur la carte du
Jugement (XX - combinaison 5.3), qui lui rend la pareille en son
addition théosophique « 5 + 3 = 8 ». Enfin, la troisième représentation
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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de Vénus est céleste, et c'est l'Impératrice (III, combinaison 3.3). « 3+3
= 6 » ce qui nous conduit à l'Amoureux (VI, combinaison 4.3), où l'on
retrouve le fils de Vénus et de Mars, Cupidon. Or justement « 4+3 = 7 »
pointe sur le Chariot (VII, combinaison 5.2), qui est une représentation
de Mars !
N.B. 1 : Le jeu des combinaisons de Cène est éloquent avec les trois
représentations de Vénus, auxquelles se joignent la carte de
l'Amoureux, grâce à Cupidon, et le Chariot, représentation de Mars. Les
correspondances n'ont pas cette évidence dès que l'on s'écarte de
cette “famille”.
N.B. 2 : Les trois représentations de Vénus, valeur ancestrale, sont une
préfiguration de la Trinité dont elle partage le mystère à travers la √3.
• La Vesica Piscis
Le symbole géométrique de Vénus est la Vesica Piscis. Ce symbole a
une origine très lointaine, le culte paléolithique de la fécondité (cf les
Vénus gravétiennes). La Vesica Piscis est la figure exclusive de Vénus,
et dans la composition des tarots, elle est constituée de deux cercles de
diamètre 7.
Contrairement à l'idée-reçue, aucune
représentation du Christ n'emprunte
ce schéma pour construire sa
mandorle. Les centres sont toujours
hors des cercles. La géométrie
sacrée respecte en quelque sorte
l'antériorité de Vénus.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Ici, le tympan de Conques — XI/XIIe
siècle roman. La mandorle du Christ
mesure 3 fois la distance entre les
centres de ses cercles. Si 1 est
cette distance, le rayon R1 du
cercle est : (√10)/2 = √(5/2).
L'archéologue Geneviève von Petzinger a cherché des traces de cette
vesica piscis au paléolithique (son champ de recherche), mais en vain.
Ma déception fut provisoire car elle a provoqué une réflexion de fond :
la figure de la vesica piscis est typique d'une géométrie de quadrillage
qui s'affirme comme une composante du « faisceau néolithique », un
ensemble des facteurs qui caractérisent et surtout qui permettent de
comprendre la révolution néolithique (ou néolithisation). Sur le plan
spirituel, les hommes passent fondamentalement du magique au
religieux/sacré. La figure de Vénus offre le parfait exemple de
concrétisation d'une pensée nouvelle, autant que d'une évolution dans
l'expression du spirituel.
• La Vesica et l'Étoile
Cette Vesica a de nombreuses liaisons par le nombre qui la caractérise,
√3. Le dénominateur de sa célèbre réduite 265/153 nous mène à la
Vénus charnelle des tarots, ce qui renforce son aspect procréateur.
153 = 9 x 17 = 1 + 2 +...+ 17.
• Le 8 astronomique
Enfin, la réalité astronomique de Vénus ancre le 8 dans la réalité
physique. Christophe de Cène nous rappelle que la Lune fait le tour de
la terre en 28 jours (29,5 est le nombre du cycle soli-lunaire). Vénus a
une période de révolution de 8 cycles lunaires (8 x 28 = 224 jours), et le
Soleil une révolution apparente de 13 cycles lunaires (13 x 28 = 364 j).
—> l'article sur le zodiaque des nombres :
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
74 on 86
http://www.jacquier.org/Christophe_de_Cene-zodiaque-nombres.pdf
N.B. : Il est a noter que l'étoile des tarots qui coiffe Vénus a huit
branches en or (plus 8 rouge sang). Les sept autres étoiles qui couvrent
le ciel de l'Étoile “hésitent” entre ce huit et le sept.
• Le carré magique d'ordre 7
7 est également attaché à Vénus, particulièrement dans les carrés
magiques byzantins. Importés en Italie du nord par Fra Luca Pacioli, ils
seront repris et publiés par Cornélius Agrippa. Ce 7 relie Vénus à Mars
(lame VII, combinaison 5.2) L'addition théosophique est cette fois « 5 +
2 = 7 ». On retrouve cette liaison dans la lame XVII car 17 est congru à
7 modulo 10, base qui construit les nombres. La généralisation de cet
ascenseur est des plus difficiles à expliquer. L'exemple le plus
didactique est celui de la petite lanterne de l'Hermite (VIIII) face à la
grande lumière du Soleil (XVIIII).
4 - Synthèse symbolique (à propos du 13/9)
Il est utile de le rappeler, le but de cette étude est de reconstituer la
pensée, la volonté des auteurs, Dante et Botticelli. Cette longue
investigation ne sert que leur vérité historique, avec la plus grande
transparence. Mes propres convictions religieuses, comme celles du
lecteur, ne sont pas en jeu.
Comme nous l'avons exposé au début de ce chapitre, l'insistance avec
laquelle la fraction 13/9 est exposée lui donne une extrème importance.
Botticelli ne s'est pas donné tant de peine à afficher un ratio incongru
sans raison. La précision comme la richesse de la géométrie du dessin
invitent à chercher un prolongement tout aussi complexe et précis.
L'égalité « (2+6+5)/(1+5+3) = 13/9 » ouvre une voie que la réflexion
ancre très vite dans la réalité de l'oeuvre et de son époque. La
mythologie constitue un écrin qui accueille la vesica piscis, dont
265/153 est une signature.
Quand j'ai entrepris l'étude de ce dessin, je savais prendre le risque de
trouver des éléments de preuve se rapportant à « la Gnose », telle
qu'elle est présentée par une majorité d'ésotéristes : une thèse dualiste,
où le Diable et Dieu se partagent la création du monde (cosmogonie).
Cette vision de l'histoire, qualifiable de dominante aujourd'hui, présente
la Renaissance comme une période de développement de la pensée
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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dualiste. Et par une logique qui ne cesse de chercher à s'établir, les
courants néoplatoniciens et humanistes lui sont rattachés — avec de
terribles conséquences sur la pensée contemporaine. Il y aurait ainsi
une religion pour les pauvres, allégée au point d'être totalement
erronée, et une religion d'élite, aux fondements particulièrement
terrifiants.
Les artistes de la Renaissance ont anticipé les débats de notre temps,
et pour cause : ils les ont affrontés à leur époque. Ces débats sont
récurrents dans l'histoire du sacré, au-delà de la Chrétienté... Botticelli
ne pouvait pas éluder la question du dualisme qui hante l'ésotérisme. Et
c'est fort logiquement à propos de Titye, représentant du nombre 2, qu'il
a posé son affirmation : le 2 pointe en direction de la √3, qui se précise
comme la mesure de la Vesica Piscis avec ses deux cercles croisés,
symbole de Vénus et de la fécondité. L'incarnation est un des
fondamentaux de la Chrétienté. La √3 est également une expression du
mystère de la trinité, céleste s'il en est. Cette √3 intervient comme la
proclamation du Dieu vivant, né d'une Vierge devenue céleste, autant
que de son mystère. Le Chrisme que nous avons vu est une
“introduction”.
5 - Ultimes questions
5.1 - À propos de Typhon
Typhon (n°4, préfiguration du Diable) s'empare du 13/9 en largeur, mais
tout ce qu'il arrive à produire en sa hauteur est une proportion de 4/3 (le
Terrestre, « dans la mesure » du Céleste, qui ainsi ne perd pas le
contrôle). Et au final, Typhon s'incline selon l'obliquité de la Terre.
5.2 - À propos de la trinité
Une autre dimension de la √3 se rapporte au mystère de la Trinité,
origine du Céleste. Ce n'est pas le premier propos de Botticelli dans ce
dessin, il répond avant tout à la question du dualisme. Comme son
disciple Dürer, il s'inscrit dans la grande tradition de l'église, que la
dimension ésotérique approfondit sans la contredire.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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5.3 - À propos de Dante et Botticelli - de l'écrit au dessin
Nous ne pouvons perdre de vue que le dessin de Botticelli illustre une
oeuvre de Dante écrite plus d'un siècle auparavant. Quelle est la part
qui revient à chacun dans ce développement ? La part mythologique
est forcément celle de Dante, et elle n'a pas pu échapper à Botticelli. Au
delà de cette limite, nous entrons dans le mystère. De quoi disposait
exactement Botticelli. Du texte de Dante seul, de sa version
commentée selon des codes perdus, ou carrément d'une histoire
“additive” non écrite et qui aurait circulé en Italie jusqu'à son oreille
attentive ? Nombre de questions se tiennent en double file. Les mythes
entrent-ils dans les formes de la composition à l'occasion de leur
représentation, ou les compositions sont-elles le développement de
principes amorcés par les mythes ?
Le produit fini que constitue ce dessin est parfaitement cohérent.
Botticelli accorde tous les aspects, qui semblent même se nourrir les
uns des autres.
5.4 - À propos du choix d'Artémis et Apollon
Pourquoi Dante puis Botticelli ont-ils choisi l'entremise d'Apollon et
Artémis au lieu de citer directement Vénus ? Ils ont évité le risque d'une
confusion. Vénus est très souvent rattachée au Pentagramme. Et les
faits abondent dans ce sens, y compris en astronomie. Sa période de
révolution est proche de 1/φ, et ses conjonctions avec le Soleil
esquissent un pentagramme dans le ciel. Cependant le pentagramme
n'est pas la figure de Vénus. Pour qu'il se produise, il faut réunir le trio
Terre-Vénus-Soleil.
Vénus apporte le nombre d'or aux hommes, mais sa
figure reste la Vesica Piscis. Une mauvaise
interprétation, une méprise, bouleverserait les rôles
et inverserait même les sexes ! Nous verrons au
chapitre suivant que la valeur féminine est la √3 face
au nombre d'or, qui est la valeur masculine. Et pour
conclure, attribuer à une entité résolument Céleste
la figure la plus humaine, le pentagramme (5,
nombre de l'homme), serait un comble.
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E - LE MASCULIN ET LE FÉMININ
1 - Les Traditions
Pour ce que les symbolistes appellent « la tradition », le nombre 3 est
céleste, féminin et sacré, face au nombre 4, terrestre et masculin. J'ai
personnellement cherché (et trouvé) beaucoup d'arguments dans les
oeuvres qui vont en ce sens, jusqu'au moment où j'ai pris conscience
que les preuves du 3 Céleste sont directes, alors que celles du 3
féminin sont indirectes. Par exemple la Vesica Piscis, vulve déïque et
féminine, est marquée par la √3, et non directement par le 3... Autre
exemple, assez embarrassant : le carré magique d'ordre 3, d'origine
byzantine, est attribué à Saturne. La planète marque la limite du visible
sans télescope, l'option du Céleste est donc légitime. En revanche la
virilité du “vieux taciturne” ne s'accorde pas à la féminité que la
“tradition” attribue au 3. Saturne doit être soulagé de ce mauvais rôle, et
LE Céleste doit prendre une “distance raisonnable” face à ce qui
devient LE Terrestre.
1.1 - Mythologies
Le 3 et le 4 sont neutres par essence, les genres devront se définir
autrement que par surcroît. Pour commencer, les doutes sur la féminité
du 3 ont un large ancrage historique (idem pour la virilité du 4). Ainsi les
mythes de la Grèce ancienne “inversent” les rôles du Ciel (Ouranos,
masculin), et de la Terre (Gaia, féminine). La mythologie coupe même
le sexe masculin d'Ouranos. De leur côté, les pythagoriciens
associeraient le 2 à la femme (cet argument pourrait être versé au
chapitre précédent) et le 3 à l'homme. Le triangle isiaque Égyptien
consacre le côté 4 à Isis, et celui du 3 à Osiris (et le 5 à leur fils Horus).
L'Isis terrestre, symbole des lois cachées de la Nature, fait face à un
Osiris céleste, dieu funéraire et juge des âmes. Ces définitions vont
évoluer avec le temps en Égypte, notamment pour des préoccupations
politiques. Enfin, l'Afrique tribale de l'ouest attribue le 3 à l'homme et le
4 à la femme. Dans bien des cas, les qualificatifs masculin et féminin
sont inversés par rapport à ce que prévoit la “tradition”. Trop de
définitions y tiennent lieu de preuves et de démonstrations.
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1.2 - La leçon des tarots - Les ailes du céleste
Les tarots sont une véritable encyclopédie de la symbolique.
http://www.melencoliai.org/Tarots/Costumes.html
Christophe de Cène a reconstitué la structure pyramidale des cartes
par leurs combinaisons de dés (voir chapitre précédent, D § 2.2)
http://www.melencoliai.org/farandole/numerique/Pyramide_numerique-2.jpg
L'Impératrice porte le III, et sa combinaison associée (3.3). Cinq autres
cartes ont ce 3 en commun : XVI-6.3 La Maison Dieu - XX-5.3 Le
Jugement - VI-4.3 L'Amoureux - XIV-3.2 La Tempérance - XII-3.1 Le
Pendu. De façon méthodique, ces six lames exposent les différentes
façons d'investir l'espace céleste. Il faut, soit :
• 3.1) Se suspendre physiquement par les pieds comme cet homme
Pendu, et apprécier ce monde à l'envers, méditer.
• 3.2) Être un ange debout, comme la Tempérance (une des deux
représentations de St Michel) et manier les fluides magiques.
• 4.3) Être un Dieu ailé, par exemple Cupidon pour la carte de
l'Amoureux, et savoir tirer à l'arc.
• 5.3) Être un ange sur son nuage comme celui du Jugement. La
pratique de la trompette semble facultative.
• 6.3) Se jeter du haut d'une tour comme les deux personnages
humains de la Maison Dieu. Un détail est caché dans cette carte dans
le panache de fumée/éclair : la colombe du St Esprit. Le mythe d'Icare
n'est pas loin.
• 3.3) Rêver, comme l'impératrice, et laisser pousser les ailes
filigranées de la spiritualité.
N.B. 1 : les ailes sont ici l'apanage des anges et des oiseaux. Les ailes
de l'Impératrice sont des ombres bleues, et l'oiseau de l'Étoile bat des
ailes, mais il ne vole pas. La précision de ces images nous invite à faire
preuve de la plus grande rigueur à propos des nombres.
N.B. 2 : La seule lame purement féminine de cet ensemble est
l'Impératrice. La féminité du Céleste est donc loin de s'établir dans les
tarots.
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1.3 - L'Amoureux des tarots
La carte de l'Amoureux (VI) est le croisement de
l'Impératrice (III) et de l'Empereur (IIII). La tradition
décrit cette carte comme « union du Ciel et de la
Terre ». C'est l'occasion de constater ce que la
Tradition du XXe siècle a oublié de la Renaissance.
Le tarot de Conver, dont le modèle remonte à
Dürer lui-même, expose la scène d'un contrat de
mariage sous les hospices de Cupidon. Sa flèche
ne saurait être parfaitement verticale, pas
davantage le sceptre de Dieu dans la Sainte Trinité
de Rublev : la liberté humaine est en jeu.
Sur la droite, la femme porte une coiffure typique
des jeunes mariées, et sa mère adoube le jeune
amoureux.
Dans une version personnelle Oswald Wirth
place un bellâtre entre deux jeunes femmes
dignes des magazines de mode. Le
dessein de ce trio laisse une grande marge
à l'interprétation, bien au-delà des limites
du mariage... La carte du Conver est déjà
souvent interprétée comme celle d'un choix :
le jeune homme hésiterait entre une femme
vieille et riche et une autre, jeune et pauvre.
En ce cas, que fait Cupidon dans cette
pièce ? Ses flèches n'ont pas la réputation
de supporter le doute ! En réalité l'amour
céleste (qu'atteste sa présence) prend ici
une dimension terrestre, qui se solde par
un contrat de mariage (que confirme
notamment la coiffure de la jeune femme).
La scène représente l'alliance de l'amour
céleste et du social terrestre. L'amour n'est
pas plus féminin que le Céleste, et l'aspect social n'est pas davantage
masculin que le terrestre. Sentiments et réalité sociale sont partagés
par les deux futurs époux.
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2 - La leçon des Égyptiens
2.1 - La quatrième pyramide de Gizeh
L'étude du plan au sol des pyramides de Gizeh fut l'occasion de
retrouver la source de la géométrie sacrée. Aristote proclame dans « La
Métaphysique » :
Aussi l'Égypte a-t-elle été le berceau des arts mathématiques
Thalès (-625, -547) est le premier des Grecs à étudier la géométrie en
Égypte. Pythagore (-580, -497) y apprend même la langue
pharaonique, puis “les doctrines secrètes relatives aux dieux”.
Démocrite (-460, -370) y fait ses classes (en géométrie). L'astronome
Eudoxe (-406, -355 ) passe quinze mois avec les prêtres égyptiens.
Enfin, suite à sa rencontre avec les Pythagoriciens, Platon (-428, -347)
séjourne en Égypte chez les prêtres du haut clergé.
Le plateau de Gizeh nous offre un festival du plus haut niveau. Pour
l'art de la composition, la notion de progrès est très précaire. Cette
culture démontre à chaque étude une formidable unité, depuis les
temples d'Uruk jusqu'à la Renaissance. Ce fondamental était établi
quand commença l'étude des pyramides, sur l'invitation de Jean-Paul
Guichard, un spécialiste de l'histoire des mathématiques des IREM. La
construction géométrique se livra rapidement. La précision du plan
établi par le physicien John A.R. Legon (synthèse des arpentages) était
un atout. Cette précision était le gage de certitude pour toute
proposition valable.
Les Égyptiens pratiquent l'esprit de simplicité dans l'action, ils font une
place à la complexité quand elle a du sens : quand il s'agit de sacré. Et
justement, alors que la logique des figures et de leur redoutable
enchaînement était établie, j'ai personnellement éprouvé le sentiment
d'une lacune sur le terrain de la réalité, à laquelle il faut toujours se
référer. Les trois hommes de la famille, Khéops, Khéphren et
Mykhérinos, étaient impliqués dans une sorte de grand scénario
géométrique, chaque ligne servait son référent avec une logique
impeccable, et cependant une droite restait désespérément orpheline. Il
n'était pas question de la déplacer, encore moins de la supprimer : elle
restait désespérément anonyme. En tout bon sens, les trois grandes
pyramides du père, fils et petit fils ne suffisaient pas ! J'ai alors cherché
la place exacte de la pyramide consacrée à la reine Hénoutsen, femme
de Khéops et mère de Khéphren. Et tout s'éclaira.
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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Deux lignes, dirigées selon
deux principes liés au nombre
d'or, φ, et à la √3, depuis les
pyramides respectivement de
Khéops (le père) et Hénoutsen
(la mère) se croisent au pied
de la pyramide de Khéphren (le
fils). Les deux nombres φ et √3
construisent ici un discours sur
la procréation !
2.2 - Le nombre d'or et la racine de trois
La première définition du nombre d'or est purement géométrique, et sa
propriété est justement de “réapparaître” spontanément : quand on
retire un carré à un rectangle doré, le rectangle résiduel est de même
proportion. En vis à vis, quand on retire un carré à un rectangle de
proportion √3, le rectangle résiduel adopte la proportion de (1+√3)/2. Le
cours de mathématiques que nous avons abordé au chapitre précédent
précise la particularité de ces comportements. √3 et (1+√3)/2 ont un
code génétique très proche selon les fractions continues. φ et √3 ont en
commun une sorte de capacité à la reproduction.
• La construction “à l'égyptienne” du nombre d'or.
La deuxième figure est la première définition du nombre d'or, la
troisième figure servira à Dürer pour composer « MELENCOLIA § I ».
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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En géométrie avec les yeux, la
proportion d'un rectangle se définit par
la diagonale. D'où la méprise sur l'art
des proportions dont on croit à tort qu'il
est une affaire de mesure.
Cette mesure est précisée dans un
second temps. Dans ce cas précis du
nombre d'or, la diagonale du rectangle
d'or horizontal est la bissectrice de la
diagonale d'un double carré vertical
(figure >•<)
L'identité des proportions par retrait d'un carré n'est qu'une propriété,
une conséquence de la définition originelle.
http://www.melencoliai.org/compo-tarots/phi-01.jpg
Un cercle pointant au centre d'un double carré permet de simplifier la
construction à l'extrême. C'est le départ du cours magistral de Dürer
dans sa célèbre gravure « MELENCOLIA § I ».
Enfin, le triangle 3-4-5 recèle en sa structure une formidable structure
dorée. http://www.art-renaissance.net/mathematiques/final-14.jpg
• Les propriétés géométriques de la racine de trois
Elles sont aussi méconnues que celles du nombre d'or. La leçon du
tympan de Conques date du XI/XIIe siècle. Quand on retire un carré à
un rectangle de proportion √3, le résidu est de proportion (1+√3)/2
La démonstration avec les yeux est
étonnante de simplicité, et elle suscite
l'intérêt des mathématiciens :
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
83 on 86
3 - Le code génétique de φ et √3
3.1 – Les formats
Les proportions qui ont des comportements intéressants par division ou
retrait d'un carré sont peu nombreuses. Observons les rectangles les
plus courants de la géométrie sacrée. Les valeurs rationnelles de type
4/3 ou 3/2 ne produisent rien d'intéressant, il faut nous tourner vers les
valeurs “quadratiques”, id est les racines carrées.
N.B. :
Un rectangle de proportion
√n avec n entier en contient
n du même type.
Au final trois proportions se distinguent :
• La √2 produit, par division ou duplication, une proportion identique.
C'est le cas des formats usuels de type A que nous utilisons
quotidiennement.
A4 = 21,0 x 29,7 cm
A3 = 2x A4 = 42,0 x 29,7 cm
A0 = 84,1 x 1 18,9 cm
—> La surface de A0 est de 1m²
√2 =
[1, 2, 2, 2 etc]
Diagonale d'un simple carré de 1
• φ produit par retrait d'un carré, un format identique.
(1+√5)/2 = [1, 1, 1 etc]
φ - le Nombre d'Or
• √3 produit par retrait d'un carré, un format (1+√3)/2
√3 =
[1, 1, 2, 1, 2, etc] Hauteur de l'amande de la Vesica
(1+√3)/2 = [1, 2, 1, 2, 1, 2 etc] Ratio de [Triangle equi.+ Cercle]
On remarque la similarité des codes de ces deux proportions.
3.2 – La reproduction
Une différence fondamentale distingue ces comportements. La division
ou la multiplication par deux n'a pas le même sens symbolique que le
retrait ou l'ajout d'un carré. Dans le premier cas, il y a duplication à
l'identique, ce phénomène est assimilable à une division cellulaire.
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Dans le deuxième cas, on fait intervenir le principe de l'unité (le carré
représente une unité de quadrillage), et pour les Anciens cette unité se
rapporte à Dieu, qui signe ainsi sa présence.
La procréation n'est pas une simple multiplication, elle suppose la
création d'un nouvel individu, d'une nouvelle entité. Et depuis le
paléolithique, cet événement est considéré comme un miracle divin à
travers le culte de la fécondité. En revanche, la duplication de type √2
procède du clonage, elle prend “l'individu initial” pour référence, comme
s'il se contemplait dans un miroir.
• Deux équations résument la nature de φ et de la √3
si on appelle H = (1+√3)/2 :
H√3 = H + 1
cette égalité se rappelle de :
φ² = φ + 1
3.3 – Le masculin et le féminin et leur système
Un couple de valeurs symboliques se révèle : la √3 de la Vesica Piscis,
féminine par essence, face à φ, le nombre d'or, masculin. L'on peut
projeter ces valeurs selon deux figures classiques : l'hexagramme et le
pentagramme. L'hexagramme serait donc féminin, et le pentagramme
masculin. D'un côté la fixité et l'équilibre de l'hexagramme, dont les
triangles mettent en commun tous leurs centres. De l'autre, la mobilité
du pentagramme, son orientation et sa capacité à la combinaison (on le
voit en chimie notamment avec des quasicrystals désormais nobélisés).
On remarquera à cette occasion que les deux figures se réclament de
leurs principes, φ et √3 au-delà des nombres 5 et 6. L'interprétation
symbolique doit tenir compte des deux niveaux de lecture.
La carte des tarots de combinaison 5.5 est celle du Pape, lame V. Il est
lié au Roi de Coupes des mineures. La combinaison 6.6 est celle de la
Force, lame XI. Elle est liée à la Reine de Bâtons. Une nature à la fois
souve-Reine et maîtrisée face au dogme religieux du Christ Roi.
Maintenant les principes du féminin et du masculin doivent s'intégrer à
un ensemble, au sein d'un vaste système de représentation
symbolique. Le Céleste et le Terrestre doivent notamment se confronter
au masculin et au féminin. Leur association directe ne convainc pas, on
ne peut dire que le Céleste et le Terrestre soient marqués par une
seule des deux natures. La symbolique propose trop de “contreexemples”. Sauf à ne pas considérer la cohérence de cette noble
Yvo Jacquier - Géométrie Comparée : La leçon de Sandro Botticelli - Illustration de Dante
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discipline, il nous faut trouver une explication générique qui rende
compte de tous les cas. Il est un exemple de ce type de problème
parfaitement résolu : les quatre éléments, par la façon dont ils sont
expliqués dans la tradition...
Deux double-principes s'associent pour générer les quatre éléments. Le
chaud et le froid, le sec et l'humide. Il est à noter que toutes ces notions
ont une sorte d'affinité, justement comme le Céleste et le Terrestre avec
le féminin et le masculin. Ainsi :
- L'AIR est la combinaison du chaud et de l'humide
- La TERRE est la combinaison du froid et du sec
- Le FEU est la combinaison du chaud et du sec
- L'EAU est la combinaison du froid et de l'humide
De même on peut confronter les notions de Céleste/Terrestre à celles
de féminin/masculin. Les tarots, cette véritable encyclopédie de la
symbolique, nous renseignent :
- L'EMPEREUR, lame IV, combinaison 4.4
est une représentation du Terrestre au masculin
- L'IMPÉRATRICE, lame III, combinaison 3.3
est une représentation du Céleste au féminin
- La JUSTICE, lame VIII, combinaison 5.4
est une représentation du Terrestre au féminin
- La TEMPÉRANCE, lame XIV, combinaison 3.2
est une représentation du Céleste au masculin
Ces exemples ne sont pas les seuls, mais cette première approche
ouvre une voie à la réflexion, touchant les thèmes classiques des
rapports entre le pouvoir et la loi, ceux de la Justice et de la
jurisprudence, quand de façon plus générale 'un idéal d'ordre céleste se
confronte à la réalité terrestre... Curieusement, des nuances
apparaissent avec la sexualité.
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