la cour penale internationale et le senegal

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la cour penale internationale et le senegal
LA COUR PENALE INTERNATIONALE ET LE SENEGAL:
DIRECTIVES POUR LA MISE EN OEUVRE DU STATUT DE ROME
AU SENEGAL
Analyse préparée en vue du séminaire d’experts du 23-25 octobre 2001 à Dakar pour la mise
en oeuvre du Statut de Rome en droit sénégalais1
1
Analyse préparée sous la supervision de Me Kébé, ONDH, par Gaelle Laroque, consultante sur l’Afrique
auprès du programme justice internationale de Lawyers Committee for Human Rights, Habibatou Touré,
doctorante attachée de recherche au CEDIN de Paris X-Nanterre et Dieynaba Diaboula, juriste, ONDH, sur la
base d’une note de recherche préparée par Me Mélanie Deshaies, Avocate au Barreau du Québec et détachée
auprès de l’ONDH entre octobre 2000 et février 2001 dans le cadre d’un partenariat entre le Ministère des
affaires étrangères canadien, la Coalition pour la CPI (CICC) et l’ONDH. Cette analyse a été préparée avec
l’aide de différentes sources documentaires relatives à la CPI dont notamment les sources suivantes: Amnesty
International, The International Criminal Court : Summary Checklist for effective implementation, AI Index :
IOR 40/15/00 [ci-après : « AI Checklist »] ; La Cour pénale internationale – Manuel de ratification et de mise
en œuvre du Statut de Rome, Collaboration de Droits & Démocratie et Le Centre international pour la réforme
du droit criminel et la politique en matière de justice pénale, Vancouver, 2000 [ci-après : « Manuel canadien »] ;
B. Broomhall, The International Criminal Court : A Checklist for a national implementation projet mené sous
les auspices de International Human Rights Law Institute (DePaul University) et International Institute for
Higher Studies in Criminal Sciences (Siracuse, Italie) [ci-après : « Directives Broomhall »].
PLAN DE L’ANALYSE
Introduction:
La mise en oeuvre du Statut de la Cour pénale internationale: Pourquoi adopter une loi de
mise en oeuvre du Statut de Rome au Sénégal ?
CHAPITRE 1: Coopération
SECTION 1 : Immunités
SECTION 2: Dispositions générales relatives aux demandes de coopération
SECTION 3: Coopération en matière d’arrestation et remise de suspects à la Cour
SECTION 4: Coopération en matière d’enquêtes et preuve
SECTION 5: Atteintes à l’administration de la Justice
SECTION 6: Exécution des peines
CHAPITRE 2: Complémentarité
SECTION 1: Compétence de la CPI et compétence des juridictions nationales
I.
Compétence de la CPI
II.
Compétence des juridictions sénégalaises et compétence universelle
SECTION 2: Conséquences du principe de complémentarité en matière de mise en oeuvre:
les enquêtes et poursuites menées au niveau national
I.
Définition des crimes et détermination des peines applicables
II.
Responsabilité pénale individuelle
III.
Moyens de défense et prescriptions
IV.
Implications du Statut de Rome en matière de justice et pratique millitaires
2
Introduction
La mise en oeuvre du Statut de Cour pénale internationale:
Pourquoi adopter une loi de mise en oeuvre du Statut de Rome au Sénégal ?
Le Sénégal a été le premier Etat à ratifier le Statut de Rome le 2 février 1999 marquant ainsi
sa volonté de contribuer à la lutte contre l’impunité dans l’ensemble de la région Afrique. Il
est essentiel que le Sénégal continue à jouer un rôle moteur en faveur de la mise en place
d’une Cour pénale internationale juste et efficace.
La mise en place d’une Cour pénale internationale juste et efficace requiert des Etats Parties
qu’ils procèdent à une adaptation de leur droit interne. Cette adaptation comporte deux volets
essentiels qui consiste, d’une part, à assurer leur coopération avec la Cour et, d’autre part, à
délimiter la compétence respective de la Cour et des juridictions nationales compte tenu du
principe de complémentarité de la Cour. Ces deux volets emportent aux termes du Statut de
Rome des conséquences différentes en ce qui concerne la mise en oeuvre du Statut en droit
interne. Afin d’assurer la mise en oeuvre efficace du Statut, le Sénégal devrait donc procéder
à une adaptation de son droit interne. Le Sénégal est, d’une part, tenu par les obligations
souscrites dans ce sens lors de la ratification du Statut. D’autre part, la Constitution
sénégalaise confère aux traités internationaux une autorité supérieure aux lois et implique
donc l’adaptation des lois de manière à les rendre compatibles avec un traité international.
Bien que la Constitution ne crée pas d’obligation de mettre en oeuvre un traité international,
certaines ambiguïtés subsistent, qui au regard de la nature particulière du Statut de Rome,
semble appeler à une telle mise en oeuvre.
1. Les ambiguïtés liées au mécanisme d’incorporation des traités internationaux en
droit sénégalais
La Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 prévoit que les traités internationaux ont de
jure une valeur supra législative lorsque les critères cumulatifs qu’elle énonce sont remplis.
En principe, les dispositions des traités internationaux cohabitent pleinement avec les autres
sources du droit dans le corpus juris sénégalais.
Or, si le mécanisme d’incorporation des traités en vigueur au Sénégal s'adapte bien aux
particularismes des traités bilatéraux ou des textes régissant les rapports Etats/citoyens, il
n’en va pas de même avec un instrument aussi singulier que le Statut de Rome. L’objet de ce
Statut est de créer un nouvel organe juridictionnel international : la Cour pénale
internationale (CPI). Cette Cour sera, à terme, compétente pour juger les pires crimes connus
de l’humanité en complémentarité des juridictions pénales nationales des Etats Parties. Or, la
Constitution sénégalaise semble conditionner la valeur supra-législative des traités à une
exigence de réciprocité a priori incompatible avec la nature et l’objet du Statut de Rome2.
D’autre part, la Constitution sénégalaise ne règle pas le sort des dispositions conventionnelles
2
La réserve de réciprocité pose en effet problème au regard des traités de droit de l’homme et de droit
humanitaire dont l’application ne repose pas sur ce principe. Le Conseil constitutionnel français a écarté
l’exigence de réciprocité pour certains traités multilatéraux relatifs aux droits fondamentaux (Décision 99-408
DC). Il a également statué dans ce sens au regard du Statut de la Cour pénale internationale dans sa décision du
22 janvier 1999 où il a conclu que “la réserve de réciprocité mentionnée à l’article 55 de la Constitution n’a pas
lieu de s’appliquer “compte tenu du fait que eu égard à cet objet [l’objet du Statut de Rome], les obligations nées
de tels engagements s’imposent à chacun des Etats parties indépendamment des conditions de leur exécution par
les autres Etats parties”(Décision no. 98-408 DC).
3
opérant par renvoi à la législation nationale (alors que le Statut de Rome comporte de telles
dispositions)3. Ces dispositions laissent en effet au législateur national l’entière liberté
d’imaginer les dispositifs permettant d’honorer les engagements ratifiés tout en créant une
obligation de résultat de mise en oeuvre.
Ces incertitudes menacent la pleine exécution des obligations souscrites lors de la ratification.
L'arrêt Habré du 4 juillet 2000, confirmé par la Cour de Cassation dans sa décision en date du
20 mars 2001, en est d’ailleurs l’illustration parfaite. La Chambre de la Cour d'Appel de
Dakar s'est prononcée sur le traitement constitutionnel des dispositions de renvoi prévues aux
termes d'un traité international, en l’espèce les articles 4 et 5 de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants de 1984. Les
conclusions de la Cour de Cassation et de la Chambre de la Cour d’Appel de Dakar plaident
vivement en faveur d'une intervention du législateur national dans de tels cas de figure. La
Cour d'Appel a estimé en l'espèce que les juridictions sénégalaises ne pouvaient connaître des
allégations de torture du fait que le législateur n'avait pas conséquemment modifié le Code de
Procédure Pénale plus précisément l'article 669 de ce Code qui énumère limitativement les
cas pour lesquels des poursuites peuvent être engagées contre des étrangers au Sénégal. Ainsi
les juridictions sénégalaises ne peuvent pas connaître des faits de torture commis par un
étranger en dehors du territoire sénégalais car le libellé de l’Article 669 exclut cette
compétence.
A la lumière des problèmes évoqués ci-dessus, la mise en œuvre législative du Statut de
Rome au Sénégal apparaît indispensable juridiquement. L’adoption d’une loi d’adaptation
faciliterait également le travail du juge national ou des autorités administratives chargées de
coopérer avec la Cour et contribuerait ainsi à assurer le respect des principes de sécurité et
prévisibilité juridique.
2. Les obligations souscrites en vertu du Statut de Rome
La spécificité du Statut de Rome, les dispositions de renvoi ainsi que le principe de
complémentarité constituent les fondements juridiques de l’obligation de mise en oeuvre du
Sénégal. A strictement parler, le Statut de Rome n’oblige les Etats Parties qu’à entreprendre
des mesures d’exécution en matière de coopération avec la Cour4. Cependant, l’examen des
procédures de contestation de la recevabilité des affaires devant la CPI révèle que des
aménagements législatifs sont à priori requis si le Sénégal entend préserver la primauté
juridictionnelle de ses tribunaux.
Spécificité du Statut de Rome
Le caractère technique du Statut et les exigences qu’il prévoit pour assurer sa mise en œuvre
effective rendent indispensable l’adoption de lois au niveau national. L’adoption de lois
nationales est d’autant plus indispensable qu’il s’agit d’une cour pénale et que le principe de
3
Voir les articles 88, 89(1) et 93(1).
Le Statut prévoit que la compétence de la Cour est complémentaire à celle des juridictions nationales qui
conservent donc la responsabilité première d’enquêter sur les crimes du Statut et de poursuivre leurs auteurs.
Cependant, le Statut ne contient pas d’obligations explicites de poursuivre au niveau national, ni d’incorporer
les crimes du Statut en droit interne. A la différence notamment des articles 49/50/129/146 communs aux quatre
Conventions de Genève du 12 août 1949 et de l’article 80(1) du Protocole additionnel aux Conventions de
Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes de conflits armés internationaux du 8 juin 1977 et
article 80(1) du Premier protocole additionnel de 1977. Cependant, le principe de complémentarité, et par
conséquent le fonctionnement efficace de la Cour, implique que les juridictions nationales aient la capacité de
poursuivre les auteurs présumés de crimes relevant du Statut.
4
4
complémentarité implique des modifications du droit pénal des Etats Parties. Au regard des
principes généraux du droit pénal et notamment du principe nullum crimen sine lege, il
apparaît essentiel que les Etats adoptent des lois d’adaptation/transposition qui assureront le
respect du principe de légalité.
Dispositions de renvoi
Le Statut de Rome renvoie au droit interne et requiert que les Etats disposent de procédures
nationales permettant la réalisation de toutes les formes de coopération prévues par le Statut5,
notamment en ce qui concerne les modalités d’arrestation et de remise des personnes
recherchées par la Cour, le rassemblement et la préservation d’éléments de preuve, la
transmission de documents, le gel ou la saisie du produit des crimes et la protection des
victimes et des témoins (Chapitre IX du Statut, en particulier Articles 86, 88, 89 et 93). Ainsi
non seulement les procédures au niveau national doivent permettre l’exécution des demandes
de coopération de la Cour, mais elles doivent assurer que l’exécution de ces demandes soit
accomplie conformément aux modalités du Statut, qui tout en renvoyant aux procédures
nationales, instaure également des exigences particulières. A ce titre, il faut noter que les
Etats disposent d’un pouvoir de discrétion restreint et que le Statut limite les conditions dans
lesquelles un Etat peut refuser de coopérer avec la Cour.
Complémentarité
L’adoption de lois incorporant directement, ou par référence, les définitions des crimes et
principes généraux du droit pénal figurant dans le Statut de Rome est nécessaire pour
permettre aux juridictions nationales de poursuivre les auteurs de tels crimes: la Cour
n’intervient que de manière subsidiaire et les enquêtes et poursuites relèvent de la
responsabilité première des juridictions nationales.
Il résulte donc du Statut de Rome que les Etats Parties ont l’obligation de mettre en place des
procédures nationales de coopération avec la Cour et que, bien que le Statut ne prévoit pas
explicitement d’obligation de modifier le droit en vigueur dans les autres domaines, la
criminalisation des crimes du Statut en droit interne ainsi que l’incorporation des principes
généraux et des motifs d’exonération devraient être envisagées au nom du principe de
complémentarité ainsi que du principe de prévisibilité et de sécurité juridique en droit interne.
A la lumière des questions exposées ci-dessus, cette analyse entend donc nourrir les
réflexions qui doivent être menées sur le sujet de la mise en oeuvre du Statut en droit
sénégalais en identifiant les problèmes de compatibilité entre le Statut et le droit sénégalais.
Cette analyse est divisée en deux chapitres qui s’attachent à identifier les principales
obligations du Statut de Rome appelant à un aménagement de la législation sénégalaise. Le
chapitre premier traite de l’obligation de coopération internationale et d’assistance judiciaire
et le chapitre second du principe de complémentarité et de ses conséquences en matière de
mise en œuvre.
5
Article 88 du Statut: Procédures disponibles selon la législation nationale
Les Etats Parties veillent à prévoir dans leur législation nationale les procédures qui permettent la réalisation de
toutes les formes de coopération visées dans le présent chapitre.
5
CHAPITRE 1:
MISE EN OEUVRE DES DISPOSITIONS DU STATUT DE ROME
RELATIVES A LA COOPERATION
Introduction:
La coopération des Etats Parties est essentielle afin d’assurer le fonctionnement efficace de la
Cour pénale internationale. En vertu des dispositions du Chapitre IX du Statut de Rome
(«Coopération internationale et assistance judiciaire »), ainsi que des autres dispositions
citées ci-après, les Etats sont tenus de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et
poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. Les Etats Parties doivent
notamment veiller à prévoir dans leur législation nationale des procédures qui permettent la
réalisation de toutes les formes de coopération prévues par le Statut, au premier rang
desquelles figurent l’arrestation et la remise d’un suspect à la Cour. L’obligation générale de
coopération est prévue par les articles 86 et 88 du Statut dans les termes suivants:
Art. 86
Conformément aux dispositions du présent statut, les Etats parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les
enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence
Il faut noter que cette obligation générale de coopérer “pleinement” avec la CPI s’applique à
l’ensemble des dispositions du Statut de Rome et non pas uniquement aux obligations
prévues par le Chapitre IX. Sauf indication contraire, les dispositions du Statut relatives à la
participation d’un Etat doivent toutes être interprétées comme une exigence de pleine
coopération. L’article 88 est le corollaire de l’article 86 en cela qu’il vise à s’assurer que la
législation nationale permet l’exécution de toutes les formes de coopération prévues au sein
du Chapitre IX du Statut:
Art. 88
Les Etats Parties veillent à prévoir dans leur législation nationale les procédures qui permettent la réalisation
de toutes les formes de coopération visées dans le présent chapitre.
En vertu des dispositions du Chapitre IX, les Etats sont donc tenus de coopérer avec la Cour
pour l’arrestation et la remise des suspects ainsi que dans le cadre des enquêtes et poursuites
de la Cour (Sections 2, 3 et 4). Les Etats sont également tenus de coopérer avec la Cour en
vertu d’autres dispositions du Statut notamment en cas d’atteintes à l’administration de la
justice commises sur le territoire national ou par un ressortissant national ainsi que pour
l’exécution des peines prononcées par la CPI (Section 4 et 5). Dans tous les cas, l’existence
d’immunités ne peut justifier un refus de coopérer avec la Cour (Section 1).
6
SECTION 1:
Les immunités
Les immunités au sens du Statut de Rome sont celles prévues par les Etats Parties et dont
pourraient se prévaloir des personnes pour se soustraire aux juridictions nationales ou à la
juridiction de la Cour lors de la mise en œuvre du Statut. La présente section traite également
des privilèges qui protègent le personnel judiciaire de la Cour et des juridictions sénégalaises
et les auxiliaires de justice dans l’application des dispositions du Statut.
I.
Immunités liées à la qualité officielle
A. Articles 27 et 98 du Statut de Rome
• Les immunités au service de la stabilité du régime politique
Les crimes relevant de la compétence de la CPI sont des crimes d’une gravité telle que la
qualité officielle et les immunités qui s’y attachent perdent toute pertinence. L’octroi
d’immunités aux agents de l’Etat fait partie intégrante de la plupart des systèmes nationaux.
La raison d’être des immunités est de contribuer à la stabilité du régime en protégeant les
représentants de l’Etat contre des poursuites fondées sur des motifs politiques ou dérisoires.
Bien que les immunités jouent un rôle essentiel dans le maintien de la stabilité politique au
niveau national, elles n’ont pas pour dessein de permettre aux agents de l’Etat de perpétrer
des crimes tels que le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
Le droit international, en vertu de traités internationaux tels que la Convention sur le
Génocide ou la Convention contre la torture, ainsi que du droit international coutumier,
reconnaît que les immunités ne couvrent pas la perpétration de tels crimes6. L’article 27 du
Statut de Rome réaffirme ce principe.
Art 27: défaut de pertinence de la qualité officielle
1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle.
En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un
parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au
regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.
2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne,
en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard
de cette personne
• Les immunités ne doivent pas faire obstacle à la coopération avec la CPI
La qualité officielle d’une personne et le fait qu’elle bénéficie d’une immunité ne fait donc
pas obstacle à l’exécution d’une demande d’arrestation ou de remise présentée par la Cour.
Par conséquent, lorsque les immunités sont prévues au sein même de la Constitution, il peut
6
Jonathan Huston, L’immunité liée à la qualité de chef d’Etat et autres immunités liées à la qualité officielle,
Présentation faite lors de la conférence d’Accra sur la mise en oeuvre nationale du Statut de Rome en février
2001.
7
être nécessaire de réviser la Constitution7 de manière à ce que ces dispositions n’empêchent
pas l’Etat de coopérer avec la Cour et donc de s’acquitter des obligations souscrites en vertu
du Statut de Rome8.
• L’immunité des ressortissants d’Etats tiers
L’article 27 doit être lu en conjonction avec l’article 98(1). Contrairement à l’article 27 qui
s’applique à tous les titulaires d’une qualité officielle ou diplomatique, l’article 98 ne
s’applique qu’aux ressortissants d’un Etat tiers se trouvant sur le territoire national et
bénéficiant d’une immunité.
Article 98(1):
Coopération en relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise
1. La Cour ne peut présenter une demande d’assistance qui contraindrait l’Etat requis à agir de façon
incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunités des Etats ou
d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un Etat tiers en vue de la levée de l’immunité.
.
L’article 98 est une règle procédurale et ne constitue pas un motif de refus de coopérer pour
un Etat Partie. Il semble qu’il appartienne à la Cour d’apprécier discrétionnairement si la
requête est incompatible avec les obligations internationales de l’Etat requis9. Seules les
immunités reconnues en droit international sont susceptibles d’être un obstacle à la remise: la
Cour procèdera donc à une détermination sur la nature de l’immunité. Il en résulte donc
qu’un Etat ne pourra pas invoquer les immunités prévues dans sa législation interne ou dans
sa constitution si celles-ci ne sont pas reconnues en droit international.
Concrètement, l’Etat dont est ressortissant un ambassadeur suspecté de crimes de guerre,
crime contre l’humanité ou génocide, pourrait refuser de lever son immunité et par là même
empêcher l’arrestation et la remise à la Cour10. Cependant, il résulte de la lecture conjointe de
l’article 27 avec l’article 98(1) qu’une telle incompatibilité n’est susceptible de se présenter
qu’en rapport avec des Etats qui ne sont pas parties au Statut de Rome. Les Etats Parties
ayant accepté le principe codifié dans l’article 27 sont présumés avoir levé l’immunité de la
personne faisant l’objet de la demande de remise. L’acceptation de l’article 27 a pour
conséquence d’obliger les Etats à lever les immunités en ce qui concerne les crimes relevant
de la compétence de la Cour d’où la distinction qui doit être opérée à cet égard entre
ressortissants d’Etats tiers parties et ressortissants d’Etats tiers non parties au Statut de Rome.
7
Sur la question des obstacles constitutionnels: Helen Duffy and Jonathan Huston, Implementation of the ICC
Statute: international obligations and constitutional considerations, published in “The Rome Statute and
Domestic Legal Orders, Volume I: General Aspects and Constitutional Issues” Clauss Kress and Flavia Lattanzi
(eds), Nomos Verlag, Baden-Baden, 2000.
8
Art 86 : Les Etats sont notamment tenus de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites
qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence.
9
En effet les termes de l’article 98(1) selon lesquels “la Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de
remise ou d’assistance” indiquent que l’évaluation de la compatibilité des immunités avec le droit international
sera faite préalablement à l’examen de la demande, de manière à ce que les demandes incompatibles avec le
droit international ne soient même pas envoyées. Voir e les Directives Broomhall, p. 32-33
10
William Bourdon et Emmanuelle Duverger, La Cour pénale internationale, le Statut de Rome commenté,
Editions du Seuil, Collection Points: Essais, mai 2000.
8
Récapitulatif de la distinction entre national et ressortissant étranger pour les bénéficiaires
d’immunité
Titulaires nationaux d’une qualité officielle
(Chef d’Etat ou de gouvernement, membre de
gouvernement ou d’un parlement, représentant
élu ou autres représentants de l’Etat )
1. Défaut de pertinence de la qualité officielle
2. Obligation de coopérer avec une demande
d’arrestation et de remise de la Cour.
1. Un Etat Partie est tenu de remettre une
personne qui jouit de l’immunité
diplomatique lorsque la Cour demande la
remise après avoir obtenu la coopération de
l’Etat tiers pour ce qui est de la
renonciation à l’immunité (art 98(1)).
Titulaires étrangers d’une qualité officielle
(diplomates)
2. Lorsque la Cour demande la remise d’une
personne, mais que l’Etat requis ne peut
normalement remettre cette personne sans
contrevenir à ses obligations en vertu du
droit international ou d’un accord
international avec un Etat tiers, l’Etat
requis est tenu à la remise si la Cour a
obtenu le consentement préalable de l’Etat
tiers à cet égard.
3. L’Etat requis est également tenu lorsque
l’Etat tiers est un Etat Partie.
4. La Cour apprécie si il y a incompatibilité
entre la demande d’assistance et le droit
international en matière d’immunité avant
de présenter la demande.
• Immunités et complémentarité
Il est essentiel que les Etats Parties révisent leurs droits internes pour s’assurer que la
Constitution et la législation permettent une coopération totale concernant leurs ressortissants
nationaux bénéficiant d’une immunité tenant à leur qualité officielle, conformément aux
dispositions du Statut telles que décrites à l’article 27. Les immunités accordées par le droit
national aux ressortissants, ou aux biens, des Etats tiers ne devraient pas non plus empêcher
la coopération avec la Cour.
Le Statut ne crée pas d’obligation explicite pour les Etats d’enquêter ou de poursuivre euxmêmes leurs représentants officiels, mais si un Etat est dans l’incapacité de juger une
personne en raison des immunités dont elle bénéficie en vertu du droit interne, la Cour pourra
se déclarer compétente11. Les Etats pourraient donc, par exemple, limiter le champ des
immunités aux crimes d’une gravité moindre que ceux du Statut. La raison d’être des
11
En considérant que l’Etat n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité d’enquêter ou de poursuivre si les
immunités font obstacle au déclenchement ou au déroulement de poursuites pénales nationales.
9
immunités serait alors respectée puisque les immunités ne visent en aucun cas à permettre la
perpétration de tels crimes par des représentants de l’Etat.
B. Les immunités en droit sénégalais
1. Les dispositions de la Constitution du 7 janvier 2001
La nouvelle constitution ne contient que des modifications mineures en ce qui concerne les
immunités des députés, des magistrats des juridictions suprêmes, et du Président de la
République, ainsi que des membres du gouvernement.
a) Députés
En vertu de l’article 61 de la nouvelle Constitution12, et des articles 43 et 44 du Règlement
intérieur de l’Assemblée Nationale13, les députés ne peuvent être poursuivis ou arrêtés
qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale sauf cas de flagrant délit, dans quel cas
l’autorisation du Bureau de l’Assemblée n’est pas requise
b) Membres des juridictions suprêmes
L’article 97 de la nouvelle constitution dispose que «sauf en cas de flagrant délit, les
membres du Conseil Constitutionnel ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en
matière pénale qu’avec l’autorisation du Conseil et dans les mêmes conditions que les
membres du Conseil d’Etat, de la Cour de Cassation et de la Cour des Comptes ». Les
conditions dans lesquelles ces derniers peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en
matière pénale est déterminée par la loi organique portant Statut des magistrats14. Seuls les
magistrats du Conseil constitutionnel bénéficient donc de cette protection particulière : les
membres des autres juridictions suprêmes peuvent faire l’objet de poursuites.
c) Le Président de la République et les membres du gouvernement
L’article 101 est identique à l’ancien article 87. Il dispose que le Président de la République
n’est pas responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions sauf haute trahison.
Le Premier Ministre et les autres membres du gouvernement sont pénalement responsables
des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment
12
Article 61 (ancien article 50):
. Aucun député ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis
par lui dans l’exercice de ses fonctions.
. Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou
correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée Nationale.
. Le député pris en flagrant délit ou en fuite après la commission des faits délictueux et poursuivi par la clameur
populaire peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale.
. Aucun député ne peut hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée Nationale sauf
en cas de flagrant délit tel que prévu par l’alinéa précédent ou de condamnation pénale définitive.
. La poursuite d’un député ou sa détention du fait de cette poursuite est suspendue si l’Assemblée le requiert.
. Le député qui fait l’objet d’une condamnation pénale définitive est radié de la liste des députés de l’Assemblée
Nationale sur demande du Ministre de la justice.
13
Article 43 et 44 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale: L’article 43 reprend l’article 61 de la
Constitution. L’article 44 dispose: « il est constitué, pour chaque demande de levée d’immunité parlementaire
d’un député ou pour chaque demande de suspension de poursuites déjà engagées, une Commission ad hoc de
onze membres nommés selon la procédure prévue à l’article 20 ».
La Commission doit entendre le député intéressé, lequel peut se faire représenter par un de ses collègues.
(Loi no. 93-04 du 4 février 1993) Dans les débats ouverts par l’Assemblée nationale, en séance publique, sur les
questions d’immunité parlementaire, peuvent seuls prendre la parole, le Président, le Rapporteur de la
Commission, le Gouvernement, le député intéressé ou son représentant et un orateur contre.
14
Loi n°92-27 du 30 mai 1992 (Journal officiel du 04 juin 1992).
10
où ils ont été commis. Le Président, comme le Premier Ministre et les autres membres du
gouvernement, sont jugés par la Haute Cour de Justice. La Haute Cour de Justice est liée par
la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines, telles qu’elles
résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis.
2. Les immunités constitutionnelles et le Statut de Rome
Bien que le Conseil Constitutionnel sénégalais n’ait pas été saisi sur la question de la
compatibilité du Statut à la Constitution, les dispositions mentionnées ci-dessus sont
problématiques au regard de l’article 27 du Statut de Rome. Certaines d’entre elles sont
susceptibles de faire l’objet d’une interprétation qui assure leur conformité au Statut mais le
régime de l’immunité applicable au Président de la République semble exiger l’introduction
d’un amendement constitutionnel. De plus, au regard du principe de sécurité juridique, il
apparaît essentiel d’envisager l’introduction d’une disposition constitutionnelle relative à la
CPI.
a) Immunités des députés et membres du Conseil Constitutionnel
Les dispositions relatives aux immunités parlementaires et à celles des membres du Conseil
Constitutionnel ne posent pas de véritable problème au regard du Statut de Rome. Celles ci
sont en effet susceptibles de faire l’objet d’une interprétation selon laquelle le Bureau de
l’Assemblée et le Conseil Constitutionnel autorisent automatiquement l’arrestation et les
poursuites d’un député ou d’un membre du Conseil Constitutionnel poursuivi par la Cour
pénale internationale pour la perpétration d’un crime de génocide, crime contre l’humanité ou
crime de guerre. On pourrait également envisager une interprétation plus large selon laquelle
le Bureau de l’Assemblée, ou le Conseil Constitutionnel, autorisent l’arrestation et la
poursuite d’un député ou membres du Conseil Constitutionnel lorsque celui-ci est inculpé
pour ces crimes, que la procédure ait lieu devant une juridiction nationale ou internationale.
Cette deuxième formule implique que les crimes du Statut soient incorporés dans le Code
Pénal et puisse donc faire l’objet de poursuites au niveau national.
Dans les deux cas, la levée de l’immunité se justifie par la nature particulièrement grave des
crimes et le fait que la perpétration de tels crimes ne rentrent en aucun cas dans leur mandat
et ne justifie donc pas l’existence d’une immunité. En ce qui concerne les immunités des
députés et des membres du Conseil Constitutionnel, l’interprétation des dispositions
constitutionnelles dans un sens conforme au Statut de Rome permet de surmonter la difficulté
sans procéder à une révision constitutionnelle. Néanmoins, pour des raisons tenant à la
sécurité juridique, il serait utile que la règle selon laquelle l’immunité est levée
automatiquement en cas d’allégations de perpétration de crimes du Statut soit inscrite soit
dans la Constitution, si la révision de la Constitution s’avère une initiative acceptable, soit
dans le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale et du Conseil Constitutionnel.
b) Immunité du Président de la République et des membres du gouvernement:
L’article 101 de la Constitution est la seule disposition constitutionnelle qui pose
véritablement problème au regard de l’article 27 du Statut. Le Président dispose en effet
d’une immunité absolue pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions (sauf haute
trahison). Par contre, le Premier Ministre et les membres du gouvernement sont pénalement
responsables des crimes perpétrés dans l’exercice de leurs fonctions. Dans tous les cas, le
Président, comme le Premier Ministre et les autres membres de gouvernement, ne peuvent
être jugés que devant la Haute Cour de Justice, à défaut donc de toute autre juridiction et par
11
conséquent de la Cour pénale internationale. Face à cette difficulté, plusieurs éléments de
solution peuvent être envisagés.
En effet, l’article 101 de la Constitution dispose que le Président de la République “n’est
responsable des actes commis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison”.
A contrario, cette disposition signifie donc que le Président est responsable des actes commis
en dehors de ses fonctions. L’étendue de la responsabilité du Président dépend donc de
l’interprétation des actes s’inscrivant dans “l’exercice de ses fonctions”. Il apparaît cependant
difficile d’avancer l’argument selon lequel la perpétration par un Chef d’Etat d’un crime de
génocide, crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre entrerait dans le cadre de ses
fonctions. Par conséquent, le Président de la République, le Premier Ministre et les autres
membres de gouvernement pourraient être tenus responsables de la perpétration de tels actes.
Dans tous les cas, le renvoi à la Haute Cour de Justice comme juridiction de jugement reste
problématique à moins de considérer que la Constitution confère à celle ci une compétence
exclusive au niveau national mais n’exclue pas l’intervention d’une juridiction internationale.
D’un point de vue pratique comme juridique, il apparaît cependant plus prudent d’introduire
dans la Constitution une disposition permettant de régler ces questions.
c) La solution française
La Constitution française comportant une disposition similaire à l’article 10115, la France a
été confrontée à cette question de la compatibilité du Statut de Rome et a saisi le Conseil
Constitutionnel sur plusieurs points dont “le respect des dispositions de la Constitution
relatives à la responsabilité pénale des titulaires de certaines qualités officielles”. Le Conseil
Constitutionnel a conclu, inter alia, que l’article 27 du Statut était contraire aux régimes
particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 68-1 de la Constitution
française et qu’il était nécessaire de réviser la constitution avant de ratifier le Statut de la
CPI16. Une révision constitutionnelle a eu lieu par laquelle un nouvel article 53-2 a été
incorporé dans la Constitution française aux termes duquel: “La République peut reconnaître
la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé
le 18 juillet 1998 ”.
15
Article 68 de la Constitution française: Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis
dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux
assemblées statuant par un vote identique au scrutin public à la majorité absolue des membres les composant; il
est jugé par la Haute Cour de Justice.
Article 68-1: Les membres du gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice
de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis.
Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
16
Décision no. 98-408 DC du 22 janvier 1999: « (…) Considérant qu’il résulte de l’article 68 de la Constitution
que le Président de la République, pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions et hors le cas de
haute trahison, bénéficie d’une immunité; qu’au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité
pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même
article; qu’en vertu de l’article 68-1 de la Constitution, les membres du gouvernement ne peuvent être jugés
pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République;
qu’enfin les membres du Parlement, en vertu du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution bénéficient
d’une immunité à raison des opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions, et, en application du
deuxième alinéa du même article, ne peuvent faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, hors les cas
de flagrance ou de condamnation définitive, d’une arrestation ou de tout autre mesure privative ou restrictive de
liberté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont ils font partie; Considérant qu’il suit de là que
l’article 27 du Statut est contraire aux régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26, 68 et 681 de la Constitution (…)».
12
Cette formulation couvre implicitement les questions de coopération avec la Cour relatives
aux immunités: si la Cour pénale internationale demandait à la France de procéder à
l’arrestation et à la remise d’un officiel français, la France ne pourrait refuser de coopérer en
se fondant sur l'immunité de l'officiel, conformément aux obligations souscrites en vertu de
l’article 27 du Statut. Néanmoins, le régime des immunités prévu dans la Constitution
française continuerait à s’appliquer normalement par ailleurs et la Constitution ne serait
modifiée que de manière à permettre la pleine coopération avec la Cour pénale internationale
dans les conditions définies au sein du Statut de Rome. Cette option est politiquement la plus
facile à faire accepter et pourrait donc s’avérer appropriée si le climat politique s’avère plutôt
défavorable à un amendement de la Constitution relatif aux immunités.
d) Autres éléments de solution
Cependant la solution adoptée par la France n’est pas entièrement satisfaisante au regard du
Statut de Rome dans la mesure où le langage adopté est vague et ne règle donc pas
explicitement les questions ayant justifié l’amendement de la constitution. A ce titre, il
apparaît donc essentiel que tout amendement constitutionnel incorpore explicitement
l’obligation de coopérer avec la Cour, et l’absence de pertinence des immunités liées à la
qualité officielle devant la Cour, voire dans tous les cas où le crime allégué est un des crimes
du Statut de Rome.
Affirmer explicitement l'obligation de coopérer avec la Cour : Il est possible d’envisager
que la Constitution sénégalaise prévoit explicitement la nécessité de coopérer avec la Cour.
Par exemple, la disposition constitutionnelle pourrait être adoptée dans les termes suivants:
"la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les
conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998, et coopérera avec la Cour en
conformité avec les conditions prévues par le Traité."
Immunité des officiels en cas de poursuites devant les tribunaux nationaux : Le Statut ne
crée pas d'obligation pour le Sénégal de poursuivre en justice les auteurs des crimes prévus
dans le Statut. Cependant la Cour pénale internationale sera une institution complémentaire
aux juridictions nationales et ne devrait donc intervenir que de manière subsidiaire. Ainsi,
dans l’hypothèse où un officiel sénégalais aurait commis un crime de génocide, crime contre
l’humanité ou crime de guerre, les juridictions sénégalaises devraient être à même de
poursuivre l’auteur des crimes. Cependant, si ces officiels bénéficient d’immunités en vertu
de la Constitution, les tribunaux nationaux ne seront pas à même d’exercer leur compétence.
Afin de permettre aux juridictions nationales de poursuivre et juger elles même les auteurs de
ces crimes odieux, il serait souhaitable que les immunités prévues en droit interne ne
couvrent pas les crimes prévus par le Statut. Cette question est susceptible de faire l’objet de
controverses importantes mais il est néanmoins essentiel de souligner qu’il ne s’agit pas de
supprimer les immunités du Chef de l’Etat, des membres de gouvernement et parlementaires
mais simplement de permettre qu’ils soient jugés devant les juridictions dans l’hypothèse
exceptionnelle où ils auraient commis des crimes d’une telle gravité. Il est donc important
que le Sénégal envisage d’amender sa Constitution afin d’être en mesure de coopérer
pleinement avec la CPI, y compris dans l’hypothèse où la Cour présenterait au Sénégal une
demande d’arrestation ou de remise d’un officiel bénéficiant de l’immunité en vertu de la
Constitution.
3. Immunités diplomatiques
13
Les immunités diplomatiques ne présentent pas de difficultés constitutionnelles. Elles
émanent de l’existence et de l’acceptation générale par la plupart des Etats de la Convention
de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires. Les immunités diplomatiques
devraient faire l’objet d’une discussion dans le cadre de la mise en oeuvre de l’article 27 et 98
en droit interne afin d’incorporer les éléments de l’article 98 à l’aide des modèles élaborées
par le Canada, la Nouvelle Zélande, le Royaume Uni et la Suisse. La disposition adoptée par
le Canada en la matière s’applique aux immunités des officiels nationaux comme à celles des
diplomates. En dehors de la modification des textes, il semble judicieux de s’interroger sur la
politique adoptée par le gouvernement canadien. Ce dernier a adopté une politique selon
laquelle les diplomates accrédités dans un Etat sont informés qu’ils ne bénéficieront pas
d’immunités en cas de demande d’arrestation ou de remise présentée par la CPI. Il appartient
à chaque Etat d’envisager, ou non, l’adoption d’une politique similaire.
C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
¾ Canada : Art. 3 et 48
Le Canada a adopté une disposition qui reprend l’article 27 du Statut de manière explicite17.
¾ Royaume Uni : Art. 23
La loi britannique a adopté la distinction entre Etats Parties et Etats non Parties: l’immunité
s’attachant à une personne pour des raisons liées au lien existant entre cette personne et un
Etat Partie au Statut de la CPI n’empêche pas l’arrestation et la remise de cette personne à la
Cour. En ce qui concerne, les ressortissants d’Etats non parties, la loi prévoit une procédure
de demande de levée de l’immunité. Il faut également noter que la loi prend en compte la
situation exceptionnelle où le Conseil de Sécurité serait amené à saisir la Cour d’une affaire
relative à un ressortissant d’un Etat non-Partie bénéficiant d’une immunité: l’immunité ne fait
pas obstacle à la remise à la Cour dans cette hypothèse18.
¾ Suisse : Art. 5 et 6
La loi suisse relative à la coopération avec la Cour confère au Conseil fédéral un pouvoir
d’appréciation en cas de demande de la Cour tombant sous le coup de l’article 98. Il est
cependant entendu que la Cour procédant à l’appréciation de l’incompatibilité au préalable, le
Conseil fédéral sera tenu de remettre le suspect à la Cour si celle-ci a considéré soit que le
suspect ne bénéficiait pas d’immunité au regard du droit international, soit qu’il n’y avait pas
incompatibilité avec le droit international ou un accord international19.
¾ Nouvelle Zélande : Art. 31, 98, 66 et 120
La loi adoptée par la Nouvelle Zélande réaffirme le principe selon lequel l’immunité ne fait
pas obstacle à la remise d’une personne à la Cour est réaffirmé20.
17
Loi concernant le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et visant la mise en oeuvre du
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, et modifiant certaines lois en conséquence, adoptée le 29 juin
2000.
18
La loi relative à la Cour pénale internationale a été adoptée en deuxième lecture le 9 mai 2001.
19
La loi suisse reste un projet de loi à la date de la rédaction de cette analyse. Elle devrait être adoptée de
manière imminente sous réserve de la tenue d’un référendum populaire. Dans tous les cas, ce projet de loi
devrait être adopté en date du 23 octobre 2001.
20
Art. 31(1) de la loi sur les crimes internationaux et la cour pénale internationale, loi adoptée le 1er octobre
2000 : « International Crimes and International Criminal Court Act 2000, Accession No. 026, 1 October 2000 ».
14
RECAPITULATIF : Immunités d’Etat et immunités diplomatiques
1. STATUT: DEFAUT DE PERTINENCE DES IMMUNITES
L’article 27 du Statut dispose que le Statut s’applique à tous, y compris au Chef de l’Etat, de manière
égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. Les immunités ne sont donc pas
opposables à la Cour.
L’article 98 dispose que la Cour ne peut pas présenter une demande qui contraindrait l’Etat à agir de
façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international, notamment en
matière d’immunités des Etats ou d’immunité diplomatique ou en vertu d’accords internationaux. La
CPI apprécie si l’article 98 est applicable :
- à l’égard de ressortissants d’Etats Parties au Statut : la Cour est susceptible d’adopter une
interprétation de l’Art. 98 selon laquelle il n’y a pas incompatibilité avec les obligations
internationales des Etats Parties car ils ont accepté l’article 27.
- à l’égard de ressortissants d’Etats non Parties au Statut : Si la personne bénéficie d’une
immunité reconnue en droit international, la Cour peut demander sa remise sauf si l’Etat non Partie
dont la personne est ressortissante consent à lever l’immunité.
- Lorsque le Conseil de Sécurité saisit la Cour d’une affaire, les Etats doivent exécuter la
demande de remise présentée par la Cour, indépendamment de l’existence d’une immunité, que la
personne soit ressortissante d’un Etat Partie ou non.
2. MISE EN ŒUVRE
Les Etats Parties ont l’obligation de prendre des mesures de mise en oeuvre permettant la poursuite et
remise de leur Chef d’Etat, ainsi que du chef de gouvernement, des membres du gouvernement ou du
parlement, et de tout autre représentant élu ou agents de l’Etat bénéficiant d’une immunité en vertu du
droit interne.
¾
¾
¾
¾
Art 3 de la loi canadienne
Art 5 de la loi de Nouvelle Zélande
Art 77 de la loi britannique
Art 53-2 de la Constitution française
3. REGIME DES EXCEPTIONS PREVUES PAR L’ARTICLE 98 DU STATUT
¾ Les exceptions prévues en vertu de l’article 98(1) ne sont applicables que lorsque les obligations
qui incombent à l’Etat au regard des diplomates ou chefs d’Etats sont reconnus par le droit
international; l’article 98(2) est applicable lorsqu’il existe des accords internationaux requérant le
consentement de l’Etat d’envoi.
¾ Article 48 de la loi canadienne portant création de l’article 6.1 de la Loi sur l’Extradition.
¾ Article 31, 66 et 120 de la loi néo-zélandaise (procédure de l’article 98 du Statut).
¾ Article 23 de la loi du Royaume Uni (distinction entre Etats Parties et Etats non Parties).
15
DROIT SENEGALAIS
Dispositions de la Constitution
Mise en œuvre du Statut
Députés
¾ Les députés ne peuvent être poursuivis ou
arrêtés
qu’avec
l’autorisation
de
l’Assemblée Nationale sauf cas de flagrant
délit, dans quel cas l’autorisation du
Bureau de l’Assemblée n’est pas requise.
Membres du Conseil Constitutionnel
¾ Sauf en cas de flagrant délit, les membres
du Conseil Constitutionnel ne peuvent être
poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en
matière pénale qu’avec l’autorisation du
Conseil et dans les mêmes conditions que
les membres du Conseil d’Etat, de la Cour
de Cassation et de la Cour des Comptes.
1.
L’interprétation
des
dispositions
constitutionnelles dans un sens conforme au
Statut permet de surmonter la difficulté sans
procéder à une révision constitutionnelle.
2. Néanmoins il serait utile que la règle, selon
laquelle l’immunité est levée automatiquement
en cas d’allégations de perpétration de crimes
du Statut, soit inscrite dans la Constitution, si la
révision de la Constitution s’avère une initiative
acceptable, ou dans la loi de mise en œuvre
et/ou dans le règlement intérieur de l’Assemblée
Nationale et du Conseil Constitutionnel.
Le Président de la République et les membres du
gouvernement
1. L’irresponsabilité du Président de la
République est problématique mais le Premier
Ministre et les autres membres de gouvernement
pourraient être tenus responsables de la
perpétration des crimes du Statut. Cependant, le
¾ Le Président de la République n’est pas
responsable des actes accomplis dans l’exercice Président de la République n’est pas
responsable de ses actes uniquement lorsque
de ses fonctions sauf haute trahison.
ceux-ci sont accomplis dans l’exercice de ses
fonctions. Or, la perpétration de crimes du
¾ Le Premier Ministre et les autres membres du
Statut ne rentre pas dans l’exercice des
gouvernement sont pénalement responsables
fonctions.
des actes accomplis dans l’exercice de leurs
fonctions et qualifiés crimes ou délits au
2. Le renvoi à la Haute Cour de Justice comme
moment où ils ont été commis.
juridiction de jugement reste problématique à
moins de considérer que la Constitution confère
¾ Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice.
à celle ci une compétence exclusive au niveau
national mais n’exclue pas l’intervention d’une
juridiction internationale.
3 D’un point de vue pratique comme juridique,
il apparaît cependant plus prudent d’introduire
dans la Constitution une disposition permettant
de régler ces questions.
Corps diplomatique et autres ressortissants
étrangers bénéficiant d’immunités
1. Ressortissants d’un Etat Partie : l’immunité
ne devrait pas être opposable à une demande de
la Cour.
2. Ressortissants d’un Etat non Partie : il est
nécessaire de prévoir une procédure de demande
de levée de l’immunité avec l’Etat dont la
personne est ressortissante.
3. Affaire déclenchée par le Conseil de
Sécurité : l’immunité n’est pas opposable à la
CPI.
Convention de Vienne sur les privilèges et
immunités diplomatiques
16
II.
Immunités et privilèges du personnel de la Cour
A. L’article 48 du Statut et ses implications en matière de mise en oeuvre
La CPI est une organisation internationale émanant d’un traité et n’est pas un organe des
Nations Unies. Par conséquent, son personnel ne sera pas protégé par les lois nationales en
vigueur concernant le personnel des Nations Unies. L’article 48 du Statut prévoit que les
juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier bénéficieront, pendant et après
l’expiration de leur mandat, de l’immunité pour les paroles, écrits et actes relevant de
l’exercice de leurs fonctions officielles21. Cette disposition vise à prévenir des poursuites à
caractère politique, ainsi qu’à éviter que des mesures de représailles soient exercées contre
ces personnes à l’issue de leur mandat.
La Commission préparatoire de la CPI a adopté lors de sa huitième session22 un Accord
portant sur les Privilèges et Immunités de la Cour (APIC). Cet accord devra faire l’objet
d’une ratification car il constitue un instrument distinct du Statut de Rome. Les Etats Parties
au Statut de Rome sont cependant tenus de ratifier cet instrument accessoire au Statut. Cet
accord concerne le Greffier adjoint, le personnel du bureau du Procureur et le personnel du
greffe. Les avocats, experts et témoins ainsi que les “autres personnes dont la présence est
requise au siège de la Cour” bénéficieront des dispositions de cet accord dans les limites du
“traitement nécessaire au bon fonctionnement de la Cour”. En vertu de l’article 48, les Etats
doivent donc reconnaître d’une part les privilèges et immunités des juges, du Procureur, des
procureurs adjoints et du Greffier, et leur accorder les mêmes immunités qu’aux chefs de
missions diplomatiques. D’autre part, les Etats devraient reconnaître les privilèges et
immunités des avocats, des experts, des témoins et de toutes les “autres personnes dont la
présence est requise au siège de la Cour” conformément aux termes de l’APIC23.
B. Droit sénégalais
Le Sénégal ne dispose pas d’une loi ou d’un règlement relatif aux privilèges et immunités
diplomatiques ou aux missions étrangères et organisations internationales. Il se réfère à la
Convention de Vienne relative aux relations diplomatiques. Il suffirait pour mettre en œuvre
l’article 48 de reconnaître aux juges, au Procureur, aux procureurs adjoints et au Greffier de
la CPI les privilèges et immunités dont bénéficient les chefs de missions diplomatiques.
En ce qui concerne les avocats, les experts, les témoins et toutes les “autres personnes dont la
présence est requise au siège de la Cour”, l’étendue des privilèges et immunités prévus par
l’APIC devraient être reconnus par le droit sénégalais. Il est donc important de prévoir un
mécanisme par lequel ces privilèges et immunités pourront être incorporés en droit
sénégalais. On pourrait envisager que l’étendue des privilèges et immunités des avocats,
experts, témoins et autres soit déterminée dans la loi de mise en oeuvre ou bien qu’elle soit
ultérieurement déterminée par décret lorsque le Sénégal ratifiera l’Accord du 5 octobre 2001.
21
Article 48 du Statut: Privilèges et immunités
La 8ème session de la PrepCom s’est tenue du 24 septembre au 5 octobre 2001.
23
Manuel canadien, p.16-18.
22
17
Indépendamment de la protection accordée par le Statut au personnel de la CPI, il faut noter
que le personnel judiciaire, et notamment les auxiliaires de justice, ainsi que les officiers de
police judiciaire, bénéficient d’une protection minime dans l’exercice de leurs fonctions.
Compte tenu de la gravité et de la particularité des affaires touchant à un crime de génocide,
crime contre l’humanité ou à un crime de guerre, on pourrait envisager une protection
renforcée des agents sénégalais amenés à exécuter des demandes de coopération de la CPI. Il
pourrait également s’avérer opportun d’aller plus loin dans ce sens en inscrivant une
protection renforcée des agents impliqués dans des enquêtes et poursuites relatives à ces
crimes, même si celles-ci se déroulent exclusivement au niveau national24.
C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
¾ Canada: Article 54 portant modification de l’article 5(1) de la Loi sur les missions
étrangères et les organisations internationales.
¾ Nouvelle Zélande: Article 183 portant modification de l’article 10 de la Loi sur les
privilèges et immunités de 1968.
¾ Royaume Uni: Annexe no. 1: Article 1: Personnalité juridique, privilèges et immunités.
¾ Afrique du Sud: Art. 6 du projet de loi25.
RECAPITULATIF: Immunités et privilèges du personnel de la Cour
1. Article 48 du Statut de Rome
•
•
•
La CPI est une organisation internationale émanant d’un traité et n’est pas un organe des
Nations Unies et son personnel ne sera pas protégé par les lois nationales en vigueur
concernant le personnel des Nations Unies.
L’article 48 du Statut prévoit que les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier
bénéficieront, pendant et après l’expiration de leur mandat, de l’immunité pour les paroles,
écrits et actes relevant de l’exercice de leurs fonctions officielles.
L’accord portant sur les privilèges et immunités du personnel de la Cour adopté le 5 octobre
2001 détermine les privilèges et immunités dont bénéficie le Greffier adjoint, le personnel du
bureau du Procureur, le personnel du greffe, les avocats, experts et témoins ainsi que les
“autres personnes dont la présence est requise au siège de la Cour”. Cet accord doit être
ratifié indépendamment du Statut.
2. Mise en œuvre au Sénégal
•
•
•
Les juges, le Procureur, les procureurs adjoints et le Greffier de la CPI devraient se voir
reconnaître des privilèges et immunités similaires aux chefs de mission diplomatiques.
En ce qui concerne les avocats, les experts, les témoins et toutes les “autres personnes dont la
présence est requise au siège de la Cour”, les privilèges et immunités prévus par l’accord du
5 octobre 2001 devraient être incorporés dans la loi de mise en oeuvre ou insérés par décret
lors de la ratification de l’APIC.
Indépendamment des obligations du Statut, on pourrait envisager une protection renforcée
des agents sénégalais amenés à exécuter des demandes de coopération de la CPI. Il pourrait
également s’avérer opportun d’aller plus loin dans ce sens en inscrivant une protection
renforcée des agents impliqués dans des enquêtes et poursuites relatives à ces crimes et qui
se déroulent sur le territoire sénégalais.
24
Art. 185 et s. et Art. 194 à 204. du Code Pénal
Ce projet de loi est devant le Parlement au moment de la rédaction de cette analyse et la date du vote ne
semble pas avoir été fixée. Le gouvernement espère que la loi sera votée d’ici la fin de l’année 2001.
25
18
SECTION 2:
Dispositions générales relatives aux demandes de coopération
I. Statut de Rome
A. Voie de transmission, forme et caractère confidentiel de la demande de coopération
En vertu de l’article 87(1), la Cour est habilitée à adresser des demandes de coopération aux
Etats Parties et ces demandes sont transmises par la voie diplomatique à moins que l’Etat ait
choisi une autre voie appropriée lors de la ratification. Les demandes peuvent également être
transmises par INTERPOL ou par une organisation régionale compétente. Les demandes de
coopération sont faites par écrit et accompagnées des pièces requises par le Statut26. Elles
sont rédigées dans une langue officielle de l’Etat requis ou dans l’une des langues de travail
de la Cour ou accompagnée d’une traduction dans cette langue. Les langues de travail de la
Cour sont l’anglais et le français27. L’article 99(1) dispose que l’Etat requis est tenu de
donner suite aux demandes d’assistance conformément à la procédure prévue par sa
législation. Toutefois, à moins que la législation de l’Etat ne l’interdise, la Cour peut spécifier
le mode d’exécution de la demande et la procédure à suivre ainsi que désigner des personnes
devant être présentes ou devant participer à l’exécution de la demande28. L’Etat est tenu
d’informer la Cour de toute exigence particulière de sa législation nationale (Art. 96(3)). En
vertu de l’article 87(3), les demandes de coopération ont un caractère confidentiel29.
B. Consultations et conséquences du refus de coopérer
Les Etats disposent d’un pouvoir de discrétion limité et ne peuvent refuser de coopérer avec
une demande de la Cour pour des motifs non autorisés par le Statut. Ces motifs seront passés
en revue lors de l’analyse de chaque type de demande de coopération. En cas de difficultés,
un Etat Partie est tenu de consulter la Cour sans tarder en vue de régler la question posant
problème30. Si les consultations échouent, la Cour peut alors saisir l’Assemblée des Etats
Parties ou le Conseil de sécurité du refus de coopérer d’un Etat en vertu de l’article 87(7)31.
C. Sursis à l’exécution de demandes
Art. 94: Sursis à exécution d’une demande en raison de l’engagement d’une enquête ou
poursuite: L'article 94(1) autorise l'Etat requis à surseoir à l'exécution d'une demande de
coopération si son exécution immédiate risque de nuire au bon déroulement de l'enquête ou
des poursuites en cours dans une affaire différente de celle sur laquelle se rapporte la
26
Notamment en vertu des articles 91 et 96 du Statut.
Art. 50(2).
28
Manuel canadien, p.28.
29
Art. 87(3) : L’Etat requis respecte le caractère confidentiel des demandes de coopération et des pièces
justificatives y afférentes, sauf dans la mesure où leur divulgation est nécessaire pour donner suite à la demande.
30
Art. 97: Consultations.
31
Art. 87(7) : Si un Etat Partie n’accède pas à une demande de coopération de la Cour contrairement à ce que
prévoit le présent Statut, et l’empêche ainsi d’exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le présent
Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l’Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de Sécurité
lorsque c’est celui-ci qui l’a saisie.
27
19
demande. Toutefois, ce sursis ne dure que pendant "un temps fixé en commun accord avec la
Cour", et, dans tous les cas, il ne peut durer "plus qu'il n'est nécessaire pour mener à bien
l'enquête ou les poursuites en question". L'article ajoute que "l'Etat examine si l'assistance
peut être fournie immédiatement sous certaines conditions, avant de décider de surseoir à
l'exécution de la demande". Ce dernier cas de figure sera probablement examiné par la Cour
lorsqu'elle décidera du temps à accorder au sursis. Le pouvoir du Procureur conformément à
l'Art.93(1)(j), de demander des mesures de protection des éléments de preuve, ne doit pas être
affecté par le sursis accordé au titre de l'Art.9432. Par conséquent, les Etats Parties sont tenus
mettre en place une procédure lui permettant de vérifier si l’exécution de la demande nuit à
une enquête ou à une poursuite en cours au niveau national. Cette procédure comporterait
probablement une phase de consultation avec toutes les autorités pertinentes puis une phase
de consultation avec la Cour par laquelle pourrait être déterminée d’un commun accord une
période appropriée de sursis à exécution de la demande.
Art: 95: Sursis à exécution d’une demande en raison d’une exception d’irrecevabilité:
L'article 95 autorise l'Etat requis à surseoir à l'exécution d'une demande faite au titre du
Chapitre IX en attendant que la Cour ait statué sur une exception de recevabilité, à moins que
la Cour n'ait expressément décidé que le Procureur pouvait continuer à rassembler des
éléments de preuve en application des articles 18 ou 19. L'exécution d'une demande de remise
peut être différée jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la recevabilité de l'affaire,
conformément à l'Art.89(2).
•
La législation nationale peut prévoir la possibilité de surseoir à l’exécution d’une
demande sous réserve que le sursis à exécution soit conforme aux conditions
énoncées dans les articles 94 et 95. En ce qui concerne le sursis de l’article 94 du
Statut, l’Etat pourrait notamment mettre en place une procédure lui permettant de
vérifier si l’exécution d’une demande nuit à une enquête ou à une poursuite en cours
au niveau national.
D. Dépenses relatives à l’exécution des demandes de coopération
En vertu de l’article 100, les dépenses ordinaires afférentes à l’exécution des demandes sur le
territoire de l’Etat requis sont à la charge de cet Etat. Les frais pris en charge par la Cour à
titre d’exception sont énumérés dans l’alinéa 1 de l’article 100.
E. Exécution des demandes de coopération
Toute législation de mise en œuvre doit déterminer l’autorité compétente pour recevoir les
demandes de coopération de la Cour et les faire exécuter. Il est essentiel que l’exécution des
demandes soit centralisée et que l’autorité chargée d’exécuter les demandes soit un organe
judiciaire compte tenu de la nature judiciaire des demandes qui sont susceptibles d’être
présentées par la Cour.
II. Droit sénégalais
Il semble que la voie de coopération choisie soit par défaut la voie diplomatique. Il reste
néanmoins à déterminer les autorités compétentes pour recevoir les demandes de coopération
de la CPI et leur donner suite. Les autorités compétentes pour recevoir les demandes
d’assistance judiciaire dans le cadre des conventions bilatérales d’extradition et d’assistance
32
Art. 94(2).
20
judiciaire sont le Ministère des Affaires Etrangères33, le Ministère de la Justice34 ou le
Procureur général dans le ressort duquel se trouve le destinataire de l’acte35. Il n’existe donc
pas de structure centralisant les demandes de coopération et d’assistance judiciaire en dehors
du Ministère des Affaires Etrangères.
Cependant, le Ministère des Affaires Etrangères n’est lui même compétent qu’à défaut de
dispositions différentes prévues dans les convention bilatérales. Aux termes des conventions
bilatérales, il apparaît que le recours au Ministre de la Justice ou au Procureur général comme
autorités d’exécution d’une demande de coopération peut s’avérer plus approprié. Compte
tenu de la nature particulière de la Cour et du caractère judiciaire de la plupart de ses
demandes de coopération, il semblerait donc plus opportun que l’autorité chargée de recevoir
les demandes de la Cour relève du Ministère de la Justice. Il serait judicieux de mettre en
place une structure autonome spécialement chargée de la coopération avec la CPI qui
dépendrait du Ministère de la Justice et pourrait également réunir des représentants des
différents ministères susceptibles d’être affectés par une demande de la Cour. La mise en
place d’un bureau chargé des relations avec la Cour, qui serait une cellule de contact unique
avec la Cour, permettrait une communication plus fluide, ainsi qu’une coopération plus
simple et donc plus efficace et plus rapide.
Cependant, il importe également de désigner une autorité d’exécution des demandes de la
Cour distincte de l’autorité gouvernementale chargée de recevoir les demandes de la Cour.
L’autorité d’exécution devrait être un organe judiciaire compte tenu de la nature judiciaire de
la plupart des demandes susceptibles d’être présentées par la Cour (demande d’arrestation, de
remise, de rassemblement et conservation de preuve, d’octroi de réparations aux victimes).
Les demandes de la Cour ne peuvent être exécutées exclusivement par des autorités
gouvernementales et appellent à l’intervention et au contrôle du juge. La juridiction
appropriée reste à déterminer mais il semble souhaitable qu’une juridiction unique ait
compétence sur l’exécution de l’ensemble des demandes de coopération de la Cour, quelle
que soit la partie du territoire sénégalais où la mesure d’exécution doive avoir lieu. Il semble
en effet nécessaire pour des raisons pratiques de ne pas avoir recours aux règles de
compétence territoriale et de centraliser l’exécution des demandes de la Cour au sein d’une
juridiction dont la compétence en la matière s’étendra à l’ensemble du territoire.
Par conséquent, dans une optique d’efficacité, de transparence et de bonne coopération avec
la Cour, il serait souhaitable que les demandes de coopération de la Cour arrivent
simultanément au Ministère de la Justice et directement au Procureur général de la Cour
d’Appel de Dakar, afin que le pouvoir judiciaire soit impliqué dès l’arrivée des demandes
émanant de la CPI. Il faudrait dès lors aménager la procédure de droit commun de manière à
prévoir que le Procureur soit tenu de donner suite aux demandes de la Cour et de les
transmettre au juge d’instruction qui délivre alors les commissions rogatoires nécessaires à
l’exécution de la demande de la Cour. Une autre option est de prévoir que les demandes
33
Le Ministre des Affaires Etrangères est compétent pour recevoir des demandes d’extradition à défaut de
dispositions prévues par une convention bilatérale aux termes de l’article 10 de la loi sur l’extradition (Loi n°7177 du 28 décembre 1971). Il transmet ensuite la demande au Ministre de la Justice.
34
Art. 1 de la Convention de coopération en matière judiciaire entre le Gouvernement de la République
française et Gouvernement de la République du Sénégal, signée à Paris le 29 mars 1974. Art. 8 de la Convention
de coopération judiciaire d’exécution des jugements et d’extradition entre le Royaume du Maroc et la
République du Sénégal.
35
Art. 9 de la Convention relative à la coopération en matière judiciaire entre les Etats membres de l’ANAD,
signée à Nouakchott le 20 et 21 avril 1987.
21
soient directement transmises à la Chambre d’accusation dans quel cas un amendement du
Code de Procédure Pénale dans ce sens s’avérerait nécessaire afin que la Chambre
d’accusation soit en mesure de traiter des demandes de coopération de la CPI36.
•
Il importe de déterminer l’autorité chargée de recevoir les demandes de coopération
de la Cour. Le Sénégal a choisi la voie diplomatique de transmission des demandes
mais il reste à déterminer si une autorité spécifique à la coopération avec la CPI ne
devrait pas être mise en place. La création d’un bureau chargé des relations avec la
Cour rattaché au Ministère de la Justice et composé des membres des différentes
autorités susceptibles d’être concernées par les demandes de la Cour apparaît la
manière la plus simple et efficace d’assurer une voie de communication fluide entre
la Cour et le Sénégal.
•
Il serait souhaitable que les demandes arrivent simultanément au Ministère de la
Justice et au Parquet général qui seraient alors tenus de leur donner suite et de les
transmettre au juge d’instruction qui à son tour délivrerait les commissions
rogatoires nécessaires à l’exécution de la demande de la Cour au Sénégal. Une autre
option consisterait à prévoir la transmission des demandes directement à la
Chambre d’accusation. L’intervention d’une de ces autorités permettrait
l’implication du pouvoir judiciaire dès l’arrivée des demandes émanant de la CPI.
•
Les juridictions compétentes pour l’exécution des demandes devraient être désignées
de manière à assurer une certaine centralisation de l’exécution des demandes. On
pourrait envisager que les juridictions compétentes soient dans un premier temps
celles du lieu d’arrestation puis la Cour d’Appel de Dakar.
III. Solutions retenues par la loi de coopération suisse
A. Voie de transmission, forme et caractère confidentiel de la demande de coopération
•
•
•
Voie de transmission et autorité d’exécution : Art. 2 et 4
Forme et transmission des demandes à la Cour: Art. 9
Procédure d’exécution des demandes de la Cour: art. 39-44
B. Consultations et conséquences du refus de coopérer : Art. 3
C. Sursis à l’exécution de demandes : Art. 40(2) et 24(2)
D. Dépenses relatives à l’exécution des demandes de coopération: Art. 11
36
La procédure de droit commun est énoncée par les articles 32 et 33 du Code de Procédure Pénale. Le mode de
transmission d’une affaire au Parquet figure à l’article 187. Les dispositions relatives à la Chambre d’accusation
figurent à l’article 198.
22
SECTION 3:
Coopération dans l’arrestation et la remise de suspects à la Cour
Cette section présente les différentes formes de coopération mentionnées au Chapitre IX et
les obligations afférentes aux Etats Parties, et en particulier les aménagements juridiques qui
pourraient s’avérer nécessaire afin de garantir que le Sénégal sera en toute occasion en
mesure de satisfaire aux demandes de la Cour en conformité avec les dispositions du Statut
de Rome.
I.
Obligations des Etats en vertu du Statut de Rome
Les Etats sont tenus de répondre et satisfaire à une demande d’arrestation et de remise de la
Cour. Lorsque la Cour présente une demande de ce type, l’Etat a recours aux procédures
nationales d’arrestation et de remise prévues par son droit interne, tout en étant tenu d’assurer
l’arrestation et la remise en conformité aux dispositions du Statut applicables en la matière.
Art. 89(1) du Statut:
La Cour peut présenter à l’Etat sur le territoire duquel une personne est susceptible de se trouver une
demande, accompagnée des pièces justificatives indiquées à l’article 91, tendant à ce que cette personne soit
arrêtée et lui soit remise, et solliciter la coopération de cet Etat pour l’arrestation et la remise de la personne.
Les Etats Parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise conformément aux dispositions du
présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale
Il s’agit par conséquent de concilier la procédure nationale et les garanties et exigences du
Statut. En vertu de l’article 91, la demande d’arrestation et de remise de la Cour est faite par
écrit37. L’article 91(2) énumère les pièces justificatives qui doivent accompagner la demande
de la Cour lorsque cette demande porte sur une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt
délivré par la Chambre préliminaire en vertu de l’article 5838. Ces pièces justificatives
comprennent:
les documents, déclarations et renseignements qui peuvent être exigés dans l’Etat requis pour procéder à la
remise; toutefois, les exigences de l’Etat requis ne doivent pas être plus lourdes dans ce cas que dans celui des
demandes d’extradition présentées en application de traités ou arrangements conclus entre l’Etat requis et
d’autres Etats et devraient même, si possible, l’être moins, eu égard au caractère particulier de la Cour39
Les questions relatives à l’arrestation et à la remise sont intimement liées et le Statut ne
distingue pas véritablement entre les deux aspects de la coopération en dehors de quelques
dispositions énoncées ci-après.
37
Art 91 (1): (…)En cas d’urgence, elle peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite, à condition
d’être confirmée selon les modalités prévues à l’article 87(1)(a).
38
Ces pièces comportent notamment: le signalement de la personne recherchée, une copie du mandat d’arrêt, les
documents et renseignements qui peuvent être exigés dans l’Etat requis pour procéder à la remise.
39
Art. 91(2)(c).
23
A. Arrestation
La Cour dispose de trois procédures lui permettant de demander à un Etat de procéder à
l’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir commis un crime. La Cour peut délivrer un
mandat d’arrêt conformément aux articles 58, 89 et 91. Elle peut délivrer un mandat d’arrêt
provisoire conformément à l’article 58(5) et à l’article 92, dans les cas d’urgence lorsque les
pièces justificatives requises ne sont pas encore disponibles. Elle peut également délivrer une
citation à comparaître conformément à l’article 58(7) lorsque la Chambre préliminaire est
convaincue qu’une citation à comparaître suffira à garantir que la personne se présentera à la
Cour. La citation à comparaître n’est pas une forme d’arrestation mais peut être assortie de
conditions restrictives de liberté et est, pour cette raison, traitée au sein de cette section.
1. Délivrance et exécution des mandats d’arrêt (Art. 58, 89 et 91)
a) Procédure d’arrestation dans l’Etat de détention: Art. 58 et 59
L’article 58 du Statut dispose que, sur la base du mandat d’arrêt, la Cour peut demander la
mise en détention provisoire ou l’arrestation et la remise de la personne conformément aux
dispositions du Chapitre IX. Le mandat d’arrêt est délivré par la Chambre préliminaire, sur
requête du Procureur40. La procédure d’arrestation applicable est la procédure prévue par le
droit national, sous réserve des dispositions de l’article 59:
Art 59: Procédure d’arrestation dans l’Etat de détention
1. L’Etat qui a reçu une demande d’arrestation provisoire ou d’arrestation et de remise prend immédiatement
des mesures pour faire arrêter la personne dont il s’agit conformément à sa législation et aux dispositions du
Chapitre IX du présent Statut.
2. Toute personne arrêtée est déférée sans délai à l’autorité judiciaire compétente de l’Etat de détention qui
vérifie, conformément à la législation de cet Etat:
a. Que le mandat vise bien cette personne;
b. Que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière; et
c. Que ses droits ont été respectés.
3. La personne arrêtée a le droit de demander à l’autorité compétente de l’Etat de détention sa mise en liberté
provisoire en attendant sa remise.
4. Lorsqu’elle se prononce sur cette demande, l’autorité compétente de l’Etat de détention examine si, eu égard
à la gravité des crimes allégués, l’urgence et des circonstances exceptionnelles justifient la mise en liberté
provisoire et si les garanties voulues assurent que l’Etat de détention peut s’acquitter de son obligation de
remettre la personne à la Cour. L’autorité compétente de l’Etat de détention ne peut pas examiner si le mandat
d’arrêt a été régulièrement délivré au regard de l’article 58(1)(a) et (b).
5. La Chambre préliminaire est avisée de toute demande de mise en liberté provisoire et fait des
recommandations à l’autorité compétente de l’Etat de détention. Avant de rendre sa décision, celle-ci prend
pleinement en considération ces recommandations, y compris éventuellement celles qui portent sur les mesures
propres à empêcher l’évasion de la personne.
6. Si la mise en liberté provisoire est accordée, la Chambre préliminaire peut demander des rapports
périodiques sur le régime de la liberté provisoire.
7. Une fois ordonnée la remise par l’Etat de détention, la personne est livrée à la Cour aussitôt que possible.
40
Art. 58(1): (…)lorsque celle-ci est convaincue, après examen de la requête et des éléments de preuve:
a) Qu’il y a de bonnes raisons de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la
Cour; et b) Que l’arrestation de cette personne est nécessaire pour garantir:
i)que la personne comparaîtra;
ii) qu’elle ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, ni en compromettra le déroulement;
ou
iii) le cas échéant, qu’elle ne poursuivra pas l’exécution du crime dont il s’agit ou d’un crime connexe relevant
de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances
24
L’Etat requis est donc tenu de prendre “immédiatement des mesures pour faire arrêter la
personne dont il s’agit conformément à sa législation et aux dispositions du Chapitre IX”.
Néanmoins, l’obligation de procéder à l’arrestation d’une personne soupçonnée d’avoir
commis un des crimes du Statut ne doit pas laisser présumer de la culpabilité du suspect. En
vertu de l’article 66, la présomption d’innocence doit être respectée jusqu’à ce que la Cour ait
établi la culpabilité du suspect41.
•
Sous réserve des dispositions de l’article 59, le Statut renvoie au droit national en
ce qui concerne la procédure d’arrestation.
b) Audience devant une autorité judiciaire compétente
L’intervention d’une autorité judiciaire compétente
Une fois que la personne a été arrêtée par l’Etat, il faut la déférer sans délai à une autorité
judiciaire compétente. Cette autorité vérifiera, conformément à la législation interne, que le
mandat vise bien la personne arrêtée, que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et
ses droits ont été respectés. Si l’autorité judiciaire est confrontée à une difficulté liée à ces
questions, elle est tenue de consulter la Cour sans tarder42. L’autorité judiciaire ne peut pas
examiner si le mandat d’arrêt a été régulièrement délivré43.
Si la personne arrêtée a déjà fait l’objet d’une enquête au niveau national pour la même
infraction, l’Etat doit en aviser la Cour et peut soulever une exception d’irrecevabilité en
vertu des articles 18 et 19 et demander un sursis à l’exécution de la demande conformément à
l’article 95. Si la personne arrêtée a fait l’objet d’une enquête ou purge une peine
d’emprisonnement pour une autre infraction, l’Etat est tenu de consulter la Cour, après avoir
accédé à la demande de remise44. L’autorité judiciaire doit également accorder à la personne
faisant l’objet du mandat d’arrestation et remise de la Cour l’occasion de demander sa mise
en liberté provisoire en attendant sa remise45 (Art 59(2) à (6)). L’autorité judiciaire ordonne
ensuite à la remise de la personne à la CPI sauf exceptions46.
•
L’Etat doit disposer d’une procédure nationale selon laquelle la personne arrêtée
est déférée à une autorité judiciaire compétente qui vérifie que le mandat vise
bien la personne arrêtée, que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et
que ses droits ont été respecté. Cette procédure devrait permettre à l’autorité
judiciaire d’examiner une demande de mise en liberté provisoire.
Droits de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrestation
Toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI a des droits que les autorités
compétentes de l’Etat sont tenues de respecter. La présomption d’innocence stipulée dans
l’article 66 doit être respectée lors de la procédure d’arrestation et de remise. L’article 67 du
Statut prévoit que l’accusé a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et de
façon impartiale. Afin que ces garanties procédurales en faveur de l’accusé soient respectées,
41
Art. 66(1) du Statut: Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie devant
la Cour conformément au droit applicable.(…)
42
Art. 97.
43
Art. 59(4).
44
Art. 89(4).
45
Art. 59(2) à (6).
46
Voir la sous-section sur la remise.
25
l’Etat devrait donc respecter les droits de la personne arrêtée. Les droits de la personne
arrêtée sont énoncés à l’article 55(2) du Statut dans les termes suivants:
a) Être informée avant d'être interrogée qu'il y a des raisons de croire qu'elle a commis un crime relevant de la
compétence de la Cour;
b) Garder le silence, sans que ce silence soit pris en considération pour la détermination de sa culpabilité ou de
son innocence;
c) Être assistée par le défenseur de son choix ou, si elle n'en a pas, par un défenseur commis d'office chaque fois
que les intérêts de la justice l'exigent, sans avoir dans ce cas à verser de rémunération si elle n'en a pas les
moyens; et
d) Être interrogée en présence de son conseil, à moins qu'elle n'ait renoncé volontairement à son droit d'être
assistée d'un conseil.
Les droits mentionnés dans l’article 55(1) devraient également être respectés. Lorsqu’ils sont
liés par d’autres traités internationaux, tels que le Pacte International relatif aux droits civils
et politiques, les Etats sont tenus d’offrir des garanties plus extensives en la matière47.
•
La procédure nationale utilisée pour l’arrestation et la remise d’un suspect doit
être respectueuse des droits de la personne et de la présomption d’innocence. Si
le suspect est interrogé, les droits prévus par l’article 55(2) du Statut doivent être
respectés par les autorités nationales. Les dispositions de l’article 55(1) devraient
également être respectées.
•
En conséquent, les lois applicables aux droits des personnes faisant l’objet d’un
mandat d’arrêt devraient incorporer les garanties mentionnées aux articles 66 et
55, ainsi que les autres garanties prévues par le PIDCP et la Convention contre
la torture48.
Mise en liberté provisoire
Lors de l’audience initiale devant l’autorité judiciaire, la personne arrêtée a le droit de
présenter une demande de mise en liberté provisoire en attendant sa remise. En vertu de
l’article 59(3) et (4), l’autorité judiciaire doit aviser la Cour de toute demande de mise en
liberté provisoire et prendre “pleinement” en considération les recommandations de la Cour à
cet égard, “y compris éventuellement celles qui portent sur les mesures propres à empêcher
l’évasion de la personne”. L’autorité judiciaire doit examiner si “eu égard à la gravité des
crimes allégués, l’urgence et les circonstances exceptionnelles justifient la mise en liberté
provisoire” et si l’Etat peut “s’acquitter de son obligation de remettre la personne à la Cour”.
Si la mise en liberté provisoire est accordée, la Cour pourra exiger des rapports périodiques
sur le régime de la liberté provisoire49.
47
Voir notamment l’article 10 du PIDCP.
Lorsque l’Etat en question est un Etat Partie à ces conventions.
49
Art 59: 3. La personne arrêtée a le droit de demander à l’autorité compétente de l’Etat de détention sa mise en
liberté provisoire en attendant sa remise.
4. Lorsqu’elle se prononce sur cette demande, l’autorité compétente de l’Etat de détention examine si, eu égard
à la gravité des crimes allégués, l’urgence et des circonstances exceptionnelles justifient la mise en liberté
provisoire et si les garanties voulues assurent que l’Etat de détention peut s’acquitter de son obligation de
remettre la personne à la Cour. L’autorité compétente de l’Etat de détention ne peut pas examiner si le mandat
d’arrêt a été régulièrement délivré au regard de l’article 58(1)(a) et (b).
5. La Chambre préliminaire est avisée de toute demande de mise en liberté provisoire et fait des
recommandations à l’autorité compétente de l’Etat de détention. Avant de rendre sa décision, celle-ci prend
pleinement en considération ces recommandations, y compris éventuellement celles qui portent sur les mesures
propres à empêcher l’évasion de la personne.
48
26
•
•
•
La procédure de mise en liberté provisoire doit être prévue par une loi nationale
qui lie l’autorité judiciaire compétente. Cette procédure devrait être aménagée
de manière à inscrire les critères de l’article 59(4) et l’obligation d’informer la
Chambre préliminaire de toute demande de remise en liberté provisoire, et de
prendre “pleinement en considération” les recommandations de la Chambre
préliminaire avant de rendre une décision.
Les Etats devraient considérer si une présomption en faveur de la détention n’est
pas justifiée pour les crimes de la compétence de la Cour, en particulier lorsque
le droit national consacre d’ordinaire le principe de mise en liberté d’une
personne arrêtée.
Une procédure devrait être établie pour que la Chambre préliminaire soit
informée périodiquement sur le régime de la mise en liberté provisoire lorsque
celle ci a été accordée par l’Etat Partie.
2. Arrestation provisoire (Art. 58(5) et 92)
Lorsque la Cour délivre un mandat d’arrêt mais ne dispose pas de l’ensemble des pièces
justificatives requises pour justifier sa demande d’arrestation et de remise, elle peut
néanmoins demander à l’Etat de procéder à l’arrestation provisoire de la personne visée par le
mandat. Cette procédure, prévue par les articles 58(5) et 92, ne peut être utilisée qu’en cas
d’urgence et une telle demande peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite50.
L’Etat est alors tenu d’exécuter la demande immédiatement51.
En vertu de l’article 92(2) et de la Règle 188 du RPP, si l’Etat ne reçoit pas la demande de
remise et les pièces justificatives requises dans les 60 jours à compter de la date de
l’arrestation provisoire, la personne peut être remise en liberté. Cependant, si l’Etat reçoit ces
documents après l’expiration du délai de 60 jours, il devra à nouveau arrêter la personne52.
6. Si la mise en liberté provisoire est accordée, la Chambre préliminaire peut demander des rapports périodiques
sur le régime de la liberté provisoire.
7. Une fois ordonnée la remise par l’Etat de détention, la personne est livrée à la Cour aussitôt que possible.
50
Art.92: 1. En cas d’urgence, la Cour peut demander l’arrestation provisoire de la personne recherchée en
attendant que soient présentées la demande de remise et les pièces justificatives visées à l’article 91.
2. La demande d’arrestation provisoire est faite par tout moyen laissant une trace écrite et contient:
a) Le signalement de la personne recherchée, suffisant pour l’identifier, et des renseignements sur le lieu où elle
se trouve probablement;
b)L’exposé succinct des crimes pour lesquels la personne est recherchée et des faits qui seraient constitutifs de
ces crimes, y compris, si possible, la date et le lieu où ils se seraient produits;
c)Une déclaration affirmant l’existence à l’encontre de la personne recherchée d’un mandat d’arrêt ou d’un
jugement établissant sa culpabilité; et
d)Une déclaration indiquant qu’une demande de remise de la personne recherchée suivra.
3. Une personne provisoirement arrêtée peut être remise en liberté si l’Etat requis n’a pas reçu la demande de
remise et les pièces justificatives visées à l’article 91 dans le délai prescrit par le Règlement de Procédure et de
Preuve. Toutefois, cette personne peut consentir à être remise avant l’expiration de ce délai si la législation de
l’Etat requis le permet. Dans ce cas, l’Etat requis procède aussi tôt que possible à sa remise à la Cour.
4. La mise en liberté de la personne recherchée prévu au paragraphe 3, est sans préjudice de son arrestation
ultérieure et de sa remise si la demande de remise accompagnée des pièces justificatives est présentées par la
suite.
51
Art. 59(1).
52
Art. 92(4)
27
La personne peut également consentir volontairement à être remise à la Cour même si l’Etat
n’a pas reçu les pièces requises, si la législation nationale le permet53.
3. Délivrance d’une citation à comparaître
La citation à comparaître au sens du Statut concerne uniquement le suspect et peut se
substituer à la délivrance d’un mandat d’arrêt lorsque la Cour ne considère pas qu’il est
nécessaire de mettre cette personne en détention préalablement à sa comparution devant la
Cour. La citation à comparaître au sens du Statut se distingue de la comparution de témoins
devant la Cour54. L’article 58(7) permet à la Chambre préliminaire de délivrer une citation à
comparaître au lieu d’un mandat d’arrêt. Une telle citation peut être délivrée avec ou sans
conditions restrictives de liberté si la législation de l’Etat prévoit de telles conditions55. Le
contenu de la citation à comparaître figure dans l’article 58(7)56. Il faut noter que la Chambre
préliminaire ne délivrera une citation à comparaître au lieu d’un mandat d’arrêt que si elle est
convaincue:
Qu’il y a de bonnes raisons de croire que la personne a commis le crime qui lui est imputé et qu’une citation à
comparaître suffit à garantir qu’elle se présentera devant la Cour57.
Par conséquent, lorsque la Cour délivre une citation à comparaître et présente une demande
de coopération à l’Etat, celui-ci est tenu de notifier la citation à comparaître à la personne
qu’elle vise58. Il est donc essentiel qu’une procédure soit mise en place pour assurer la
notification et l’exécution de la procédure sur le territoire national en ce qui concerne les
citations à comparaître. Cette procédure doit permettre de faire respecter les conditions
restrictives de liberté que la Cour aurait imposé, après consultation avec l’Etat (conditions qui
doivent être permises en vertu de la législation nationale).
•
Une procédure nationale doit être mise en place pour exécuter la citation à
comparaître délivrée par la Cour et notifier celle-ci à la personne visée. La
procédure nationale utilisée doit permettre l’exécution des conditions restrictives
de liberté imposées par la Cour.
B. Remise
La délivrance d’un mandat d’arrêt par la Cour et son exécution par les autorités nationales est
suivie de la remise du suspect à la Cour. Comme l’arrestation, la procédure de remise est
soumise au droit interne applicable en la matière conformément aux dispositions du Statut59.
53
Art. 92(3)
La question de la comparution des témoins est traitée dans la section 4 du présent chapitre au sein des
demandes de coopération relatives aux enquêtes et preuves.
55
Par exemple, la législation de l’Etat peut prévoit la confiscation du passeport de la personne visée dans de
telles circonstances.
56
La citation contient: la date de comparution, une référence précise au crime relevant de la compétence de la
Cour que la personne est censée avoir commis et l’exposé succinct des faits dont il est allégué qu’ils constituent
le crime.
57
Art. 58(7).
58
Art. 58(7): La citation est notifiée à la personne qu’elle vise.
59
Art. 89(1): 1. La Cour peut présenter à tout État sur le territoire duquel une personne est susceptible de se
trouver une demande, accompagnée des pièces justificatives indiquées à l'article 91, tendant à ce que cette
personne soit arrêtée et lui soit remise, et sollicite la coopération de cet État pour l'arrestation et la remise de la
54
28
La procédure nationale utilisée ou mise en place aux fins de remise d’un suspect à la CPI doit
respecter l’article 91(2)(c) aux termes duquel:
Les exigences de l’Etat requis ne doivent pas être plus lourdes dans ce cas [remise à la Cour] que dans celui
des demandes d’extradition présentées en application de traités ou arrangements conclus entre l’Etat requis et
d’autres Etats et devraient même, si possible, l’être moins, eu égard au caractère particulier de la Cour.
1. La distinction entre remise et extradition
Le Statut de Rome distingue la procédure de remise visée par le Statut des procédures
d’extradition. L’article 102 du Statut de Rome dispose à cet égard:
a)
b)
On entend par «remise» le fait pour un Etat de livrer une personne à la Cour en application du présent
Statut.
On entend par «extradition» le fait pour un Etat de livrer une personne à un autre Etat en application
d’un traité, d’une convention ou de la législation nationale.
Cette distinction est justifiée par le “caractère particulier” de la Cour et la nécessité pour la
Cour que les Etats disposent d’une procédure simplifiée par rapport aux procédures actuelles
d’extradition qui comportent de nombreux délais. La particularité de la Cour est manifeste
dans la mesure où il ne s’agit pas de remettre un individu aux juridictions d’un Etat où les
garanties judiciaires applicables peuvent s’avérer insuffisantes voire inexistantes. Les critères
applicables aux procédures d’extradition entre Etats (double incrimination, nature politique
du crime, vraisemblance de procès équitable, nationalité de l’Etat requis de l’accusé, règle de
la spécialité) sont justifiés lorsqu’il existe des différences entre les systèmes juridiques et les
normes d’équité judiciaire des juridictions. Le Statut de la Cour pénale internationale a, au
contraire, été spécialement élaboré pour que les auteurs des “crimes les plus graves qui
touchent à l’ensemble de la communauté internationale” soient jugés indépendamment de
toutes considérations politiques et diplomatiques. Tous les Etats Parties ont participé
activement à la rédaction du Statut et des Règles de Procédure et de Preuve et pris soin
d’insérer des garanties de procédure assurant que les auteurs de tels crimes seront jugés
conformément aux normes les plus élevées du droit international. Compte tenu du caractère
particulier de la Cour, le recours aux procédures habituelles d’extradition pour assurer la
remise d’un suspect à la Cour n’apparaît donc ni justifiée, ni souhaitable.
Il faut également noter que les tribunaux ad hoc ont condamné à plusieurs reprises le recours
aux procédures d’extradition par un Etat aux fins de transfert d’un suspect vers le Tribunal60.
Dans les arrêts Barayagwiza (I et II) et Semanza, la Chambre d’Appel du TPIR a ainsi statué
que le fait d’assujettir une demande de transfert issue d’un tribunal international à des
procédures nationales d’extradition est susceptibles de constituer un manquement à
l’obligation de coopération. Dans les deux décisions, la Chambre d’Appel du TPIR a estimé
personne. Les États Parties répondent à toute demande d'arrestation et de remise conformément aux dispositions
du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale.
60
Arrêts Barayagwiza (I et II) et Semanza : dans ces affaires, les accusés Barayagwiza et Semanza ont été
provisoirement détenus au Cameroun à la demande du Procureur du TPIR avant d’être transférés au Quartier
pénitentiaire des Nations Unies à Arusha. En conséquence d’une détention de plusieurs mois au Cameroun, ces
accusés ont notamment saisi la Chambre d’appel du TPIR d’allégations de violations du droit d’être mis en
accusation sans délai et du droit de comparaître sans délai. Sans directement se prononcer sur la responsabilité
de l’Etat camerounais au regard des violations alléguées, la Chambre d’appel du TPIR a formulé certaines
conclusions qui soulignent le rôle indispensable des Etats dans la bonne exécution des demandes de coopération
émises par les tribunaux ad hoc.
29
que la demande de transfert présentée à l’Etat par le TPIR avait été soumise “à tort” aux
procédures d’extradition61.
Ces affaires font donc parfaitement apparaître que le recours aux procédures applicables entre
Etats pourrait provoquer des retards injustifiés, des coûts supplémentaires et, plus grave des
violations du Statut. Cependant, le Statut exige seulement que les procédures utilisées
permettent la remise de la personne concernée à la Cour conformément aux dispositions du
Statut. Par conséquent, le recours à la procédure d’extradition ne pourra pas être remis en
cause si la loi prévoit, dans le cas d'une demande de remise à la Cour, que les critères à
prendre en compte (ou à ne pas prendre en compte) en application du Statut prévalent sur les
critères normalement applicables aux termes de cette législation. En particulier, les
procédures d'extradition pourraient aboutir à une violation du Statut si elles menaient à
considérer des questions comme l'interdiction d'extrader des ressortissants nationaux ou
d'extrader vers les pays qui autorisent la peine de mort, ou autorisaient des contestations de
compétence fondées sur le principe non bis in idem, contraires à l'article 89(2).
.
• Par conséquent, bien qu’il puisse apparaître opportun de considérer la Cour
comme possible interlocuteur d’une procédure d’extradition, le recours aux
procédures applicables entre Etats pourrait provoquer des retards injustifiés,
des coûts supplémentaires et, plus grave, des violations du Statut.
•
Le recours à l’extradition ne pourra être remise en cause si la loi prévoit que,
dans le cas d'une demande de remise à la Cour, les critères à prendre en compte
(ou à ne pas prendre en compte) en application du Statut prévalent sur les
critères normalement applicables aux termes de cette législation.
2. Conséquences: l’absence de motifs de refus d’une demande de remise de la Cour
Le caractère particulier de la CPI entraîne l’irrecevabilité de certains arguments permettant
normalement à un Etat de refuser d’extrader un individu vers un Etat tiers. Compte tenu de ce
particularisme de la CPI, les arguments fondés sur des considérations de souveraineté ou de
diplomatie, et liés aux garanties de procès équitable ne constituent pas des motifs permettant
de refuser la remise d’un individu à la Cour. Ne sont pas opposables à la CPI: le caractère
politique de l’infraction, la possibilité d’une condamnation à un emprisonnement à perpétuité,
l’exigence de la double incrimination ainsi que la nationalité de la personne dont la remise est
demandée. Ce dernier point est examiné ci-dessous.
a)
Certains motifs de refus inadmissibles au regard du Statut de
Rome : La remise de ressortissants nationaux
61
Affaire Barayagwiza II, par. 57. Voir également l’affaire Semanza, note 137 et pars.101 à 104: Saisie
d’allégations quasi-identiques à celles de l’affaire Barayagwiza, la Chambre d’appel du TPIR a conclu dans
l’arrêt Semanza que :« (…) le Tribunal n’est pas responsable du délai qui s’est écoulé avant le transfert de
l’Appelant au Quartier pénitentiaire du Tribunal. Les preuves qui ont été présentées devant la Chambre
d’appel révèlent que le Cameroun n’était pas disposé à transférer l’Appelant avant [la date de son transfert
effectif] [§ 101]. (…) Concernant le délai qui s’est écoulé entre [la date de réception au Cameroun de la
demande de transfert présentée par le TPIR] et [la date du transfert effectif], (…) ce délai est attribuable à des
facteurs d’ordre politique et juridique. L’Ordonnance [de transfert] a été soumise, à tort, à la procédure
camerounaise d’extradition[§ 103]. La Chambre d’appel constate que le délai n’est pas imputable au
Procureur (…)[§ 104]».
30
Le Statut ne prévoit pas la possibilité de refuser la remise à la Cour d'une personne
recherchée, sur la base de sa nationalité. Ainsi, les Etats qui ont adopté des dispositions,
constitutionnelles ou législatives, interdisant l'extradition de leurs ressortissants devraient
envisager que ces dispositions ne s'appliquent pas à la "remise" à la Cour. A cette fin, les
Etats pourraient incorporer en droit national la différence entre l'extradition vers des Etats et
la remise aux juridictions pénales internationales. Les Etats dont les lois interdisent
l'extradition de nationaux doivent garder à l’esprit que la remise à la Cour ne soulève pas les
même questions que celles soulevées par l'extradition vers un autre Etat. Il s’agit de juger les
crimes les plus graves et la Cour offre des garanties suffisantes d'indépendance et d'équité de
la procédure. Sauf à ne pas respecter ses obligations, un Etat ne peut invoquer son
interdiction d'extrader ses nationaux dans ses rapports avec la Cour, quelques soient ses
raisons.
•
L'obligation de coopérer avec les demandes d'arrestation et de remise s'applique
sans distinction fondée sur la nationalité de la personne recherchée. Les
interdictions nationales, d'origine constitutionnelle ou législative, d'extrader des
ressortissants ne devraient pas s'appliquer aux demandes de remise à la Cour, et
les autorités nationales ne devraient pas être capables de refuser la remise sur
cette base.
b)
Règle de la spécialité
Le Statut fait application de la règle de la spécialité. En d'autres termes, en vertu de
l'Art.101(1), une personne remise à la Cour « ne peut être poursuivie, punie ou détenue, à
raison de comportements antérieurs à sa remise, à moins que ceux-ci ne soient constitutifs
des crimes pour lesquels elle a été remise ».
La Cour peut demander à l'Etat requis de déroger à cette règle, auquel cas "les Etats Parties
sont habilités à accorder une dérogation à la Cour et doivent s'efforcer de le faire"62. Dans ce
cas, les Etats Parties seront tenus par l'obligation d'arrêter et de remettre la personne si un
nouveau mandat est délivré, et les procédures de recevabilité seront applicables garantissant
que la Cour a correctement exercé sa compétence. L'exigence selon laquelle les Etats
"s'efforcent" d'accorder la dérogation requise implique que cette dérogation doit être refusée
de manière exceptionnelle63.
•
Le droit national peut reconnaître la règle de la spécialité en tant que condition à
la remise de personnes à la CPI, conformément à l'Art.101. En cas de demande
de dérogation à la condition de spécialité, les Etats Parties devraient s’efforcer de
l'accorder à la lumière du régime général du Statut.
c)
62
63
L’admissibilité de contestations des demandes de coopération de la
Cour fondées sur le principe non bis in idem (interdiction d’un double
jugement)
Art. 101(2).
Directives Broomhall, pp.17-18.
31
En vertu de l'article 89(2), les autorités nationales seront liées par les décisions de la CPI,
relatives aux contestations fondées sur le principe non bis in idem soulevées en droit national
par les personnes recherchées par la Cour.
Art. 89(2)
Lorsque la personne dont la remise est sollicitée saisit une juridiction nationale d'une contestation fondée sur le
principe non bis in idem, comme prévu à l'article 20, l'État requis consulte immédiatement la Cour pour savoir
s'il y a eu en l'espèce une décision sur la recevabilité. S'il a été décidé que l'affaire est recevable, l'État requis
donne suite à la demande. Si la décision sur la recevabilité est pendante, l'État requis peut différer l'exécution
de la demande jusqu'à ce que la Cour ait statué.
En examinant ces contestations, la Cour prendra en considération non seulement ses propres
procédures, mais aussi celles de n'importe quelle juridiction eu égard au même
comportement. Différer l'exécution de la demande lorsque la décision sur la recevabilité est
pendante constitue un autre cas de figure dans lequel la remise à la Cour impliquera des
exigences moins lourdes que celles liées à l'extradition vers un autre pays64. Eu égard à la
Règle 185, lorsqu’une telle situation se présente, l’Etat est tenu de fournir à la Chambre
chargée de l’affaire tous les renseignements pertinents au sujet de la contestation soulevée par
la personne qui invoque le principe non bis in idem.
•
Le Statut exige que, lorsqu'une personne recherchée par la Cour conteste au
niveau national la recevabilité d'une demande de remise sur le fondement du
principe non bis in idem, les juridictions nationales diffèrent l'exécution de la
demande jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la recevabilité, conformément à
l'article 89(2), au lieu de décider elles-mêmes sur le fond.
3. Demandes concurrentes: Art 90
L’hypothèse éventuelle des demandes concurrentes (pour la remise à la Cour et l'extradition
vers à un autre Etat, relatives au même comportement) est résolu à l'Art.90. L'Etat requis est
tenu d’informer l'Etat requérant et la Cour de cette situation65.
Si l'Etat requérant est aussi un Etat Partie, l'Etat requis doit donner priorité à la demande de
la Cour, si la Cour a déclaré l'affaire recevable66. Si la Cour n'a pas encore pris sa décision
quant à la recevabilité, elle se prononce selon une procédure accélérée, étant informée de la
demande concurrente. En attendant que la Cour prenne sa décision, l'Etat requis peut instruire
la demande d'extradition de l'Etat requérant, mais ne peut procéder à l'extradition tant que la
Cour n'a pas jugé l'affaire irrecevable67.
Si l'Etat requérant n'est pas Partie au Statut, l'Etat Partie requis doit donner la priorité à la
demande de la Cour, si celle-ci a jugé l'affaire recevable, sauf s'il est tenu par une obligation
conventionnelle d'extrader vers l'Etat requérant68. Si l'affaire n'a pas été jugée recevable par la
Cour, l'Etat requis peut, s'il le souhaite, instruire la demande d'extradition de l'Etat
requérant69. Si l'Etat requis est soumis à une obligation internationale d'extrader la personne
64
Directives Broomhall, p.15.
Art. 90(1).
66
Art. 90(2).
67
Art. 90(3).
68
Art. 90(4).
69
Art. 90(5).
65
32
concernée vers l'Etat non Partie requérant, il doit déterminer s'il y a lieu de remettre la
personne à cet Etat ou à la Cour, en tenant compte de toutes les considérations pertinentes
(Art.90(6)). Enfin, si la Cour a jugé une affaire irrecevable et si l'Etat requérant refuse
ultérieurement l'extradition, l'Etat requis doit informer la Cour de cette décision (Art.90(8)),
dans la mesure où l'examen des procédures de l'Etat requérant peut avoir été un élément de la
décision d'irrecevabilité de la Cour, et le refus pourrait provoquer une révision70.
•
La loi relative à la remise à la CPI devrait permettre la résolution des demandes
concurrentes conformément aux règles de priorité précisées à l'Art. 90.
5. Demandes de transit
Aux termes de l’article 89(3), le Statut oblige les Etats Parties, conformément aux procédures
nationales, à autoriser le transport à travers leur territoire d'une personne remise à la Cour par
un autre Etat, sauf dans le cas où le transit par leur territoire gênerait ou retarderait la
remise71. La personne transportée reste détenue pendant le transit. Si la personne est
transportée par air et si aucun atterrissage n'est prévu, aucune autorisation n'est nécessaire. Un
Etat de transit peut exiger de la Cour une demande de transit si un atterrissage imprévu a lieu
sur son territoire. Il place la personne en détention jusqu'à la réception de la demande de
transit ou l'accomplissement effectif du transit, à condition que cette détention n'excède pas
96 heures, si la demande n'a pas été reçue dans ce délai.
•
II.
L’adoption d’une loi de mise en œuvre du Statut devrait garantir la possibilité de
transport d'une personne remise à la Cour à travers le territoire national,
conformément à l'Art. 89(3).
Droit sénégalais
Les procédures d’arrestation et de remise d’un suspect à la Cour par le Sénégal doivent être
mises en place de manière à garantir que le Sénégal sera en mesure de s’acquitter de son
obligation de coopération en vertu du Chapitre X lorsque la CPI présentera une telle
demande. Deux stratégies de mise en oeuvre peuvent être envisagées: recourir à une
procédure nationale existante aménagée de manière à respecter les dispositions du Statut ou
mettre en place une procédure spécifique aux demandes de la CPI. En matière d’arrestation, il
semble nécessaire de recourir à la procédure d’arrestation telle que prévue par le Code de
Procédure Pénale. Cependant, en matière de remise, il apparaît préférable de mettre en place
une procédure distincte de l’extradition et spécifique à la remise de suspects à la CPI.
A.
Arrestation
1. L’exécution des mandats d’arrêt de la Cour par les autorités sénégalaises
La première étape de l’arrestation est la délivrance d’un mandat d’arrêt par la Cour. Les
mandats d’arrêt de la Cour ont une valeur contraignante et l’Etat est donc tenu de les exécuter
d’une manière similaire aux mandats d’arrêts internationaux. Il sera donc nécessaire d’établir
une procédure permettant aux mandats de la Cour d’être exécutés en droit sénégalais comme
s’ils émanaient de l’autorité nationale compétente. Deux possibilités sont envisageables:
70
71
Directives Broomhall, pp.16-17.
La demande de transit peut être faite par tout moyen laissant une trace écrite (Règle 182).
33
conférer une force exécutoire aux mandats de la CPI en les assimilant aux mandats d’arrêt
nationaux ou prévoir la délivrance automatique d’un mandat d’arrêt national sur présentation
d’un mandat de la CPI.
En vertu des articles 110 à 114 du Code de Pprocédure Pénale, il existe quatre types de
mandats: le mandat de comparution, d’amener, de dépôt et d’arrêt. Le mandat de comparution
a pour objet de mettre l’inculpé en demeure de se présenter devant le juge à l’heure et à la
date indiquées sur le mandat. Si l’inculpé fait défaut, un mandat d’amener est décerné contre
lui. Le mandat d’amener est donc l’ordre donné par le juge à la force publique de conduire
immédiatement l’inculpé devant lui. Le juge peut également décerner un mandat d’amener
contre un témoin qui refuse de comparaître. Le mandat de dépôt est l’ordre donné par le juge
au directeur de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir l’inculpé. Le mandat
d’arrêt est l’ordre donné à la force publique de rechercher l’inculpé et de le conduire à la
maison d’arrêt indiquée sur le mandat.
Ces quatre types de mandats sont le plus souvent délivrés par le juge d’instruction. Tout
mandat indique l’identité de l’inculpé et le mandat d’arrêt contient l’énonciation du fait pour
lequel il est décerné et les articles de loi applicables. Les mandats d’amener et de dépôt
mentionnent l’inculpation.
Par conséquent, le mandat de la Cour dans sa forme ne se distingue pas fondamentalement
des mandats sénégalais et la procédure d’exécution des mandats prévue dans le Code de
Procédure Pénale devrait être rendue applicable à l’exécution des mandats de la Cour. Les
mentions et pièces jointes sont les mêmes. Une citation à comparaître de la Cour pourrait
également être exécutée par la délivrance d’un mandat de comparution. Cependant, dans
l’hypothèse du recours au mandat de comparution pour exécuter une citation à comparaître de
la Cour, il faudrait aménager la procédure de manière à ce que le mandat de comparution
puisse être assorti de conditions restrictives de liberté si la Cour demande l’exécution de
telles conditions. En l’état actuel du droit, il n’apparaît pas possible d’assortir le mandat de
comparution de conditions restrictives de liberté, telle que la confiscation du passeport. De
telles mesures sont prévues en matière de détention provisoire mais la citation à comparaître
aux termes du Statut ne rentre pas dans le cadre de la détention provisoire au sens du Code de
Procédure Pénale72.
La procédure de délivrance d’un mandat d’arrêt ou de comparution par un juge d’instruction
sénégalais, ou l’exécution pure et simple du mandat ou de la citation de la CPI, doivent
impérativement relever d’une autorité judiciaire et on pourrait à ce titre envisager qu’une
demande d’arrestation de la Cour soit transmise simultanément à l’autorité judiciaire
compétente pour délivrer/exécuter le mandat et à la cellule chargée de la coopération avec la
Cour au Ministère de la Justice, à titre informatif.
•
72
La procédure d’exécution des mandats de la Cour doit relever d’une autorité
judiciaire: l’autorité judiciaire désignée aux fins d’exécution des demandes
d’arrestation de la CPI pourrait soit conférer directement force exécutoire au
mandat de la Cour, soit délivrer et faire exécuter automatiquement un
mandat d’arrêt selon la procédure du Code de Procédure Pénale sur
présentation d’un mandat de la CPI.
Art. 127 et suivants du CPP.
34
•
La même procédure devrait être applicable aux citations à comparaître de la
CPI. Cette procédure devrait également permettre de donner effet aux
mesures restrictives de liberté dont la Cour peut assortir la citation à
comparaître.
2. Déférer la personne arrêtée à l’autorité judiciaire compétente
a)
“La personne arrêtée est déférée sans délai à l’autorité judiciaire
compétente de l’Etat” (Art. 59(2))
En vertu des articles 122 et 123, la personne arrêtée en vertu d’un mandat d’arrêt est
interrogée dans les 48h73. La procédure est accélérée en cas de mandat de comparution et
l’inculpé doit alors faire l’objet d’un interrogatoire immédiat ou en cas d’impossibilité dans
les 24 heures74. D’autre part, en vertu de l’article 117 Code de Procédure Pénale:
« tout inculpé arrêté en vertu d’un mandat d’amener, qui a été maintenu pendant plus de 24 heures dans la
maison d’arrêt sans avoir été interrogé, est considéré comme arbitrairement détenu »
Les exigences de l’article 59(2) du Statut de Rome seront donc remplies dès lors le juge
d’instruction vérifie à l’occasion de cet interrogatoire, que le mandat vise bien la personne
arrêtée, que celle-ci a bien été arrêtée selon la procédure régulière et que ses droits ont été
respectés. Cette audience devrait également permettre à la personne de présenter une
demande de libération provisoire.
Il convient de déterminer la ou les juridictions compétentes en la matière: d’un point de vue
pratique il apparaît plus logique d’attribuer compétence à la juridiction dans le ressort de
laquelle l’arrestation a lieu. Cependant, aux fins de centralisation de la coopération avec la
Cour, on pourrait également envisager que la Cour d’Appel de Dakar ait compétence en la
matière. Cependant, dans ce dernier cas, il existe un risque que le délai maximum de 48h
entre l’arrestation et l’interrogatoire ne puisse être respecté et que le suspect doive être remis
en liberté pour cause de détention arbitraire. Il apparaît donc plus simple d’attribuer
compétence aux juridictions dans le ressort desquelles le mandat d’arrêt est exécuté (dans
quel cas la Chambre d’Appel de Dakar pourrait être l’autorité chargée de conférer force
exécutoire aux mandats de la Cour ou de délivrer un mandat national et de le transmettre à la
juridiction dans le ressort de laquelle l’arrestation doit avoir lieu).
b)
Droits de la personne ayant fait l’objet d’une arrestation
Les articles 101 à 109 du Code de Procédure Pénale énoncent les droits de la personne lors
d’interrogatoires et consignations. L’article 101dispose:
Lors de la première comparution et avant toute inculpation, le juge d’instruction donne avis à la personne
conduite devant lui de son droit de choisir un conseil parmi les avocats inscrits au barreau ou admis au stage.
Mention de cet avis est faite au procès-verbal.
73
Art.122 et 123 du CPP: Art. 122 : L’inculpé saisi en vertu d’un mandat d’arrêt est conduit sans délai dans la
maison d’arrêt indiquée sur le mandat (…)
Art 123: Dans les 48 heures de l’incarcération de l’inculpé, il est procédé à son interrogatoire. A défaut, et à
l’expiration de ce délai, les dispositions des articles 116(3) et 117 sont applicables (…).
74
Art. 116 du CPP.
35
Ensuite le juge d’instruction constate son identité, lui fait connaître expressément chacun des faits qui lui sont
imputés et l’avertit qu’il est libre de ne faire aucune déclaration. Mention et avertissement est faite au procèsverbal.
Si l’inculpé désire faire des déclarations, celles ci sont immédiatement reçues par le juge d’instruction.
L’assistance d’un défenseur est obligatoire en matière criminelle ou quand l’inculpé est atteint d’une infirmité
de nature à compromettre sa défense. Dans ces cas, si l’inculpé n’a pas fait le choix d’un défenseur, le
magistrat en commet un d’office. (…)75.
L’article 106 prévoit une procédure dérogatoire en cas d’urgence76. L’article 103 consacre
également le droit de l’inculpé de communiquer librement avec son conseil. L’accès à un
interprète en cas de besoin est également envisagé, ainsi que le droit pour la personne de
garder le silence. Les exigences de l’article 55(2) du Statut de Rome semblent être remplies.
Cependant au regard de l’article 55(1) certaines garanties pourraient être renforcées: il ne
semble pas que les dispositions du Code de Procédure Pénale interdise qu’une personne ne
soit “soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à aucune autre
forme de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant” (Art. 55(1)(b) du Statut).
c)
Procédure de mise en liberté provisoire
La mise en liberté provisoire peut être demandée à tout moment au juge d’instruction par
l’inculpé ou son conseil. La procédure de l’article 128 du Code de Procédure Pénale est
applicable à défaut de dispositions législative particulière:
Sauf disposition législative particulière, lorsqu’elle n’est pas de droit, la mise en liberté provisoire peut être
ordonnée d’office par le juge d’instruction après avis du procureur de la République, à charge pour l’inculpé
de prendre l’engagement de se présenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu’il en sera requis et de tenir
informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements(...).
L’article 129 détermine les délais d’octroi de la mise en liberté provisoire: le juge
d’instruction a deux jours pour transmettre la demande au Procureur qui doit retourner le
dossier avec ses réquisitions dans les 10 jours de la transmission du dossier au juge
d’instruction qui doit statuer dans les 5 jours de la réception des réquisitions. Au total, le délai
maximum de mise en liberté provisoire est donc de 17 jours après la demande. L’article 130
détermine la procédure applicable en cas de recours contre un refus de mise en liberté
provisoire. La mise en liberté provisoire peut également être soumise à un cautionnement77.
Si la mise en liberté provisoire est accordée, elle peut néanmoins être assortie de conditions
restrictives de liberté aux termes des articles 127 ter et 130(5) du Code de Procédure Pénale78.
75
modifié par la Loi n.99-06 du 29 janvier 1999, J.O. n. 5847 du 27 février 1999, p.836.
Art 106 CPP: Toutefois, en cas d’urgence résultant soit de l’état d’un témoin ou d’un co-inculpé en danger de
mort, soit de l’existence d’indices sur le point de disparaître, le juge d’instruction peut procéder à des
interrogatoires et confrontations sans observer les formalités prévues à l’article précédent (…).
77
Art. 133 à 137 du CPP.
78
Art 127 ter: Dans tous les cas, le juge d’instruction peut, s’il l’estime nécessaire placer l’inculpé sous contrôle
judiciaire.
Le contrôle judiciaire consiste pour l’inculpé à se présenter à intervalles réguliers, fixés par le juge, soit à luimême, soit à l’officier de police judiciaire qu’il désigne.
Le juge aussi peut prescrire toutes autres mesures qu’il estime nécessaires pour empêcher que l’inculpé ne se
soustrait à l’action de la justice ou éviter qu’il ne continue à commettre l’infraction pour laquelle il est poursuivi.
Il peut notamment ordonner le retrait du passeport de l’inculpé ou interdire qu’il lui en soit délivré.
La violation d’une de ces mesures entraîne l’arrestation immédiate de l’inculpé et sa mise sous mandat de dépôt.
Art 130 CPP: (…) Dans tous les cas où un individu de nationalité étrangère, inculpé, prévenu ou accusé est
laissé ou mis en liberté provisoire, la juridiction compétente peut lui assigner pour résidence un lieu dont il ne
devra s’éloigner sans autorisation, avant non lieu ou décision définitive, sous les peines prévues à l’article 36 du
Code Pénal. (…)
76
36
Le Code de Procédure Pénale prévoit cependant qu’une demande de mise en liberté
provisoire est irrecevable lorsque une personne est inculpée de certains crimes déterminés:
« Sur les réquisitions écrites dûment motivées du ministère public, le juge d’instruction est tenu de décerner
mandat de dépôt contre toute personne inculpée de l’un des crimes ou délits prévus par les articles 56 à 100
[crimes et délits contre la chose publique; attroupements, réunions et rassemblements] et 255 du code pénal [
publication, diffusion de fausses nouvelles entraînant la désobéissance aux lois ou portant atteinte au moral de
la population (…)]
La demande de mise en liberté provisoire d’une personne détenue préventivement pour l’un des crimes ou délits
spécifiés à l’alinéa précédent sera déclarée irrecevable si le ministère public s’y oppose par réquisitions
écrites79. »
La procédure examinée ci-dessus ne semble pas poser de problème particulier. Il sera
cependant nécessaire de procéder à certains aménagements au regard des dispositions de
l’article 59 du Statut. Les critères de l’article 59(4) devraient être insérés dans le Code de
Procédure Pénale afin que le juge d’instruction soit tenu de les passer en revue avant de
prendre sa décision. Le législateur devrait également mettre en place une procédure de
communication directe entre la Cour et le juge d’instruction de manière à ce que la Chambre
préliminaire de la Cour soit informée de la demande de mise en liberté provisoire et qu’elle
puisse immédiatement transmettre ses recommandations. Le législateur devrait aussi obliger
le juge d’instruction à prendre “pleinement en considération” les recommandations de la
Chambre préliminaire. Enfin si la mise en liberté provisoire est octroyée, elle devrait être
assortie du contrôle judiciaire et le juge d’instruction tenu d’informer périodiquement la
Chambre préliminaire de la Cour sur le régime de la mise en liberté provisoire de la personne.
•
La procédure de mise en liberté provisoire prévue par les articles 128 et s. du
Code de Procédure Pénale devrait être aménagée de manière à être en
conformité avec l’article 59 du Statut lorsque elle s’applique à une personne
faisant l’objet d’un mandat d’arrêt et de remise de la Cour.
3. Arrestation provisoire
L’arrestation provisoire visée par les articles 58(5) et 92 du Statut de Rome ne semble pas
avoir d’équivalence en droit sénégalais. Elle se distingue en effet de la détention provisoire
prévue dans le Code de Procédure Pénale dans la mesure où l’arrestation provisoire au sens
du Statut intervient de manière préalable à la remise à la Cour lorsque la Cour ne dispose pas
encore des pièces justificatives requises pour remettre la personne. Cette procédure d’urgence
permet à la Cour de mettre en détention un suspect à l’encontre duquel un mandat d’arrêt a
été délivré par la Cour alors même que la Cour n’est pas encore en mesure de demander la
remise de cette personne. Cette mesure est provisoire et doit être suivie de la remise des
pièces justificatives requises pour la remise de la personne à la Cour dans les soixante jours.
A défaut de délivrance d’un mandat par la Cour dans ce délai, le suspect devra être relâché. A
ce titre l’arrestation provisoire au sens du Statut se distingue de la procédure de détention
provisoire ainsi que du recours au mandat de dépôt prévus au sein du Code de Procédure
Pénale80.
79
Art 139 CPP: modifié par la Loi n.99-06 du 29 janvier 1999, J.O. n. 5847 du 27 février 1999, p.836.
La détention provisoire est régie par les articles 127 et s. du CPP. L’article 113 du CPP traite du mandat de
dépôt.
80
37
Les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition permettent de procéder à une arrestation
provisoire au sens du Statut dans le cadre de procédure bilatérale d’extradition mais limitent
celle-ci à un délai de 20 jours à l’issue desquels la personne arrêtée provisoirement sera
remise en liberté si les documents requis pour son extradition n’ont pas été reçus81. La mise
en œuvre de la procédure d’arrestation provisoire du Statut consisterait donc essentiellement
à s’inspirer de la procédure mise en place par les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition et
de rallonger le délai maximum de remise en liberté de l’individu à 60 jours conformément
aux exigences du Statut.
•
La mise en œuvre de la procédure d’arrestation provisoire prévue par les articles
58(5) et 92 du Statut consisterait donc essentiellement à s’inspirer de la
procédure mise en place par les articles 19 et 20 de la loi sur l’extradition et de
rallonger le délai de remise en liberté de l’individu à 60 jours conformément aux
exigences du Statut.
4. Demandes de transit
L’article 28 de la loi sur l’extradition traite de l’extradition par voie de transit sur le territoire
sénégalais d’un individu de nationalité quelconque livré par un autre gouvernement. Il prévoit
que l’autorisation de procéder au transit est accordée suite à une demande par voie
diplomatique, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’un délit politique ou purement militaire. Ce
régime apparaît exclusivement applicable à l’extradition et semble être en contrariété avec
l’article 89(3) du Statut qui oblige les Etats Parties à autoriser le transport à travers leur
territoire d’une personne remise à la Cour, sauf dans le cas où le transit gênerait ou retarderait
la remise. Le régime du transit en matière d’extradition ne peut donc être transposé au transit
d’une personne remise à la CPI. Il importe en conséquence de prévoir dans la loi de mise en
œuvre l’autorisation de transit par le territoire sénégalais d’une personne remise à la Cour par
un autre Etat de manière conforme à l’article 89(3) du Statut.
•
B.
Les personnes remises à la Cour par un autre Etat doivent être autorisées à faire
escale sur le territoire de l’Etat dans les conditions de l’article 89(3). La
procédure prévue par l’article 28 de la loi sur l’extradition ne semble pas
compatible avec les dispositions du Statut.
Remise et extradition
En l’état actuel du droit, l’extradition est la seule procédure existante qui permette de
procéder à la remise d’un suspect. L’extradition est réglementée par la loi sur l’extradition82.
Cependant, les dispositions de la loi s’appliquent par défaut lorsque la procédure
81
Le délai de 20 jours fixé à l’article 20 de la loi 71-77 du 28 Décembre 1971 est prorogé à un mois si le
territoire de l’Etat requérant est non limitrophe (pays autre que le Mali, la Guinée, la Mauritanie et la Guinée
Bissau). L’article 19 de la loi précitée énonce que “en cas d’urgence et sur la demande directe des autorités
judiciaires du pays requérant, les Procureurs de la République peuvent, sur un avis transmis, soit par la poste,
soit par tout mode de transmission plus rapide laissant une trace écrite, ou matériellement équivalente, de
l’existence d’une des pièces indiquées à l’article 9, ordonner l’arrestation provisoire de l’étranger. Un avis
régulier de la demande devra être transmis, en même temps, par voie diplomatique, par la poste, par le
télégraphe ou par le mode de transmission laissant une trace écrite, au Ministère des Affaires Etrangères. »
82
Loi No. 71-77 du 28 décembre 1971.
38
d’extradition n’a pas fait l’objet d’une Convention entre les Etats concernés83. Le Sénégal a
conclu un certain nombre de conventions de coopération judiciaire et d’extradition qui
réglementent les procédure d’extradition84.
1. Le caractère inapproprié du recours à la procédure d’extradition sénégalaise aux fins
de remise d’une personne à la CPI
Certaines dispositions de la loi sur l’extradition, reprises dans les conventions bilatérales et
multilatérales, ne semblent pas compatibles avec les exigences du Statut de Rome et rendent
la procédure d’extradition particulièrement inappropriée pour la remise de suspects à la CPI.
La procédure d’extradition sénégalaise est incompatible avec les exigences prévues par le
Statut de Rome en ce qui concerne les points suivants.
Interdiction d’extrader les nationaux
En vertu du droit sénégalais, l’extradition n’est pas accordée lorsque la demande vise un
ressortissant sénégalais. Aux termes des articles 3 et 5 de la loi sur l’extradition:
« Art.3: Le Gouvernement sénégalais peut livrer, sur leur demande, aux gouvernements étrangers, tout
individu non sénégalais qui, étant l’objet d’une poursuite intentée au nom de l’Etat requérant ou d’une
condamnation exécutoire prononcée par ses tribunaux, est trouvé sur le territoire de la République. »
« Art.5: L’extradition n’est pas accordée: 1) lorsque l’individu, objet de la demande, est national
sénégalais(… ) »
Les conventions d’assistance judiciaire et d’extradition incorporent toutes l’interdiction
d’extrader des ressortissants nationaux85. Certaines d’entre elles assortissent cette clause d’un
second alinéa dans les termes suivants:
« Si la personne dont l’extradition est demandée est un national de l’Etat requis, cet Etat s’engage, dans la
mesure où il a compétence pour la juger, à la poursuivre si elle a commis, sur le territoire de l’autre Etat, des
infractions punies comme crime ou délit dans les deux Etats86. »
83
Article premier de la loi sur l’extradition: En l’absence de traités, les conditions, la procédure et les effets de
l’extradition sont déterminés par les dispositions de la présente loi qui s’applique également aux points qui
n’auraient pas été expressément réglementés par lesdits traités.
84
Les conventions utilisées aux fins de la rédaction de cette section sont: la Convention de coopération en
matière judiciaire entre la France et le Sénégal, signée à Paris le 29 mars 1974, JOS 1987, p. 182 et S. la
Convention de coopération judiciaire d’exécution des jugements et d’extradition entre le Maroc et le Sénégal, en
date du 3 juillet 1967, JOS 1986, p. 136 et S., la Convention générale de coopération en matière de justice entre
la Guinée et le Sénégal, signée à Dakar le 22 juin 1962, JOS 1966 p. 420, Convention attributive de compétence
aux juridictions nationales pour les infractions commises par les militaires et assimilés engagés dans une action
commune de l’ANAD (Accord de Non-Agression et d’Assistance en Matière de Défense), signée à Nouakchott
le 21 avril 1987, JOS 1988, p.103. Cet accord lie le Sénégal, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Burkina-Faso, la
Côte d’Ivoire et le Togo. Cependant le Sénégal est également lié par les accords suivants: Convention du 13
avril 1954 avec la Tunisie, JOS 1988, p. 201 et S.; Convention du 8 avril 1965 avec le Mali, JOS 1959 p. 136 et
S.; Convention du 28 avril 1973 avec la Gambie, JOS 1983 p. 960 et S.; Convention du 8 janvier 1975 avec la
Guinée-Bissau, JOS 1986 p. 118 et S. et dans le cadre de l’Union Africaine et Malgache (UAM): Convention du
12 septembre 1961, JOS 1967, p. 900: accord liant le Sénégal, Centrafrique, Cameroun, Bénin, Burkina-Faso,
Niger, Tchad, Gabon, Congo, Côte d’Ivoire, Madagascar, Mauritanie.
85
Maroc: Art.39: “L’extradition que chacun des deux pays s’engage à exécuter ne s’applique pas à ses propres
citoyens (…)”; France: Art. 60: “Les deux Etats n’extradent pas leurs nationaux respectifs (…)” ANAD: Art.
43; Guinée: Art. 34.
86
Voire, inter alia, Art. 60 de la Convention avec la France.
39
Dans la mesure où la CPI ne serait de toute manière pas compétente dans l’hypothèse où
l’Etat requis aurait jugé ou commencer à poursuivre un tel crime, rien de justifierait le recours
à cette condition dans la procédure de remise d’une personne à la Cour.
Double incrimination :
La loi sur l’extradition exige que le fait pour lequel l’extradition est demandée soit puni d’une
peine criminelle ou correctionnelle par la loi sénégalaise87. De plus, le gouvernement
sénégalais ne peut livrer un individu, sur demande d’un gouvernement étranger, que si cet
individu est l’objet d’une poursuite intentée au nom de l’Etat requérant ou d’une
condamnation exécutoire prononcée par ses tribunaux88. Les conventions d’assistance
judiciaire confirment le recours à la condition de double incrimination en matière
d’extradition89. Si l’on retient une interprétation large de l’article 4 de la loi sur l’extradition,
sa seule exigence est que les faits incriminés fassent l’objet d’une double qualification pénale,
dans l’Etat requérant d’une part et dans l’Etat requis d’autre part. Cependant, il n’est pas
exclu qu’une interprétation plus stricte soit retenue selon laquelle l’incrimination retenue
dans l’Etat requis et dans l’Etat requérant devraient être similaires. Le recours à une
interprétation stricte serait donc particulièrement problématique au regard du Statut qui ne
prévoit pas que l’exigence d’une double incrimination puisse faire obstacle à la remise d’une
personne recherchée par la Cour. L’exigence de la double incrimination emporte également
des conséquences en matière de complémentarité dans la mesure où si cette exigence était
maintenue dans son sens strict, elle impliquerait d’autant plus que les crimes du Statut soient
inscrits dans le Code Pénal de manière à ne pas faire obstacle à une demande de remise sous
prétexte qu’un crime contre l’humanité n’est, par exemple, pas puni d’une peine criminelle en
l’état actuel du droit90.
Il semble donc que cette exigence n’ait pas, aux termes du Statut, sa place dans une procédure
de remise à la Cour. De plus, on peut envisager qu’un Etat demande l’extradition d’un
individu afin de le juger pour un crime du Statut. Il apparaît essentiel, au cas où une telle
hypothèse se présenterait de prévoir, indépendamment de la procédure de remise, la
possibilité pour le Sénégal d’extrader une personne indépendamment de l’existence d’une
double incrimination des crimes du Statut entre les Etats en question. Il serait souhaitable de
considérer que dès lors que les crimes sont criminalisés par le Statut, le Sénégal puisse
procéder à l’extradition sur cette base même si les crimes du Statut n’ont pas été intégrés en
87
Art. 4 de la loi sur l’extradition: Les faits qui peuvent donner lieu à l’extradition, qu’il s’agisse de la demander
ou de l’accorder, sont les suivantes:
1) Tous les faits punis des peines criminelles par la loi de l’Etat requérant;
2) Les faits punis de peines correctionnelles, quand le maximum de la peine encourue, aux termes de cette loi,
est de deux ans ou au dessus, ou s’il s’agit d’un condamné, quand la peine prononcée par la juridiction de
l’Etat requérant est égale ou supérieure à deux mois d’emprisonnement.
En aucun cas l’extradition n’est accordée par le gouvernement sénégalais si le fait n’est pas puni par la loi
sénégalaise d’une peine criminelle ou correctionnelle.
88
Art. 3 de la loi.
89
Maroc: Art.40: Seront sujets à extradition:
1) les individus poursuivis pour des crimes ou délits punis par la loi des deux Etats contractants d’une peine
minimum de deux ans d’emprisonnement;
2) les individus qui, pour des crime sou délits punis par la loi de l’Etat requis sont condamnés
contradictoirement ou par défaut par les juridictions de l’Etat requérant à une peine minimum de deux mois
d’emprisonnement.
France: Art. 61; ANAD: Art.44
90
Sur ce point, voire le chapitre 2 relatif à la complémentarité et en particulier la première partie de la section 2
relative à la définition des crimes.
40
droit interne (et donc indépendamment de la condition de double criminalisation stricto
sensu).
Discrétion en matière de refus d’extrader et motifs de refus inadmissibles en vertu du
Statut: En vertu de la loi sur l’extradition et des conventions, le Sénégal dispose d’un pouvoir
largement discrétionnaire lorsqu’il décide d’extrader, ou non, une personne vers un Etat
requérant. De nombreux motifs de refus d’extrader sont prévus et la seule véritable obligation
de l’Etat requis est de motiver la décision de refus. La loi prévoit notamment, dans son article
5, que l’extradition n’est pas accordée:
« 1) lorsque l’individu, objet de la demande est national sénégalais, la qualité de national étant appréciée à
l’époque de l’infraction pour laquelle l’extradition est requise;
2) Lorsque le crime ou délit a un caractère politique ou lorsqu’il résulte des circonstances que l’extradition
est demandée dans un but politique.
En ce qui concerne les actes commis au cours d’une insurrection ou d’une guerre civile ou par l’un ou l’autre
des partis engagés dans la lutte et dans l’intérêt de sa cause, ils ne pourront donner lieu à l’extradition que s’ils
constituent des actes de barbaries odieuse et de vandalisme défendus suivant les lois de la guerre, et seulement
lorsque la guerre civile a pris fin;
3) Lorsque les crimes ou délits ont été commis au Sénégal;
4) Lorsque les crimes ou délits, quoique commis hors du Sénégal, y ont été poursuivis et jugés définitivement;
5) Lorsque, d’après les lois de l’Etat requérant ou celles de l’Etat requis, la prescription de l’action s’est
trouvée acquise antérieurement à la demande de l’extradition, ou la prescription de la peine
antérieurement à l’arrestation de l’individu réclamé et d’une façon générale toutes les fois que l’action
publique sera éteinte. »
Compte tenu de ces différents facteurs, le recours à la procédure d’extradition en tant que
telle n’apparaît pas compatible avec les exigences du Statut de Rome. Les possibilités
envisageables sont traitées ci-dessous.
2. Eléments de solutions
Comme l’illustrent les dispositions des lois de mise en oeuvre suisse et canadienne cidessous, deux possibilités s’offrent au Sénégal: aménager une procédure d’extradition
simplifiée et compatible au Statut ou mettre en place une procédure de remise distincte de
l’extradition. Compte tenu des conditions attachées à la procédure d’extradition sénégalaise,
il apparaît plus simple de mettre en place une procédure de remise distincte de l’extradition
inspirée du modèle suisse. Recourir à une procédure simplifiée d’extradition sur le modèle
canadien reviendrait d’ailleurs quasiment à mettre en place une procédure distincte compte
tenu de l’importance des modifications à apporter pour assurer la conformité de la procédure
au Statut de Rome.
III.
Solutions retenues par les autres Etats Parties
A. Arrestation: Loi sur la coopération suisse
•
•
•
•
Art. 17: Recherches, arrestation et saisie
Art. 18 : Mandat de remise
Art. 19 : Détention à des fins de remise
Art. 20 : Elargissement
41
B. Remise
Les deux meilleures législations de référence à l’heure actuelle sont la loi canadienne et la loi
suisse car elles adoptent chacune une approche différente en matière de remise tout en
respectant les dispositions du Statut. La loi suisse met en place une procédure de remise
distincte de l’extradition alors que le Canada a choisi de modifier sa procédure d’extradition
de manière à se conformer aux exigences du Statut.
¾ Loi suisse sur la coopération
• Procédure
La Suisse a introduit une procédure de remise dans son droit interne qui se distingue des
procédures d’extradition. Le contenu de la demande et les pièces justificatives qui doivent
accompagner le mandat d’arrêt délivré par la Cour sont énoncés à l’article 16 de la loi. La loi
met en place une procédure de contestation de la compétence de la Cour en vertu de laquelle
le service central peut ajourner l’exécution de la demande jusqu’à ce que la Cour ait statuée
(art. 15(2) et 21). La loi prévoit la possibilité de remettre un ressortissant suisse à la Cour
sous réserve que celui-ci soit restitué à la Suisse à l’issue de la procédure (art 15(3)). La
procédure établie requiert une autorisation de remise qui est octroyée par le service central en
vertu de l’article 23. La loi établit également une procédure de remise simplifiée lorsque la
personne consent à être remise à la Cour.
•
•
•
•
•
•
Principe et conditions : Art. 15
Décisions de remise : Art. 21 « droit d’être entendu », Art. 22 « Remise simplifiée »,
Art. 23 « autorisation de remise ».
Exécution de la demande de remise : Art. 24, 25 et 27.
Règle de la spécialité : Art. 26
Demandes concurrentes : Art. 13
Transit : Art. 12
¾ Loi canadienne : Art 47 à 53 modifiant la loi sur l’extradition
Le Canada n’a pas choisi d’instaurer une procédure de remise distincte de l’extradition mais a
procédé à des amendements de sa procédure d’extradition aux fins de la remise d’un personne
à la Cour conformément aux dispositions du Statut. Cependant, la spécificité de la procédure
est clairement établie et le texte même de la loi, bien qu’il modifie la loi sur l’extradition,
mentionne les “demandes de remise” de la Cour (et au même titre d’ailleurs que celles des
tribunaux internationaux ad hoc).
La procédure est d’ailleurs profondément différente de la procédure ordinaire d’extradition et
conforme aux dispositions du Statut: en vertu de l’article 48, quiconque fait l’objet d’une
demande de remise présentée par la CPI ne peut bénéficier d’immunités. L’article 52 écarte
l’applicabilité des motifs de refus d’extrader ordinaires. De plus, les délais indiqués sont
réduits de manière à permettre une remise/extradition accélérée. Enfin, l’article 53
réglemente le transit d’une personne destinée à être remise à la Cour et transitant au Canada.
42
RECAPITULATIF: Arrestation et remise
1. Dispositions générales relatives aux demandes de coopération de la
CPI
¾ STATUT
1. Voies de transmission, forme et caractère confidentiel des demandes de coopération de la
CPI : Art. 87(1), 50(2), 91 et 96.
2. Recours à la procédure de consultation avec la Cour en cas de difficultés dans l’exécution des
demandes de coopération présentées par la Cour : Art. 97 et 87(7).
3. Sursis à exécution des demandes de coopération de la Cour : Art. 94 et 95
4. Exécution des demandes de coopération : Art. 99(1)
• Recours à la procédure nationale : L’Etat requis est tenu de donner suite aux demandes de
coopération de la Cour conformément à la procédure prévue par sa législation et doit
communiquer à la Cour les dispositions de sa législation nationale susceptibles d’entraver ou
de retarder l’exécution de demandes de coopération.
• Conférer force exécutoire aux demandes de la Cour : L’Etat Partie doit mettre en place une
procédure de vérification du contenu des demandes d’arrestation et de remise provenant de la
CPI qui permet de transmettre ensuite la demande sous forme obligatoire à l’autorité
compétente pour l’exécuter.
¾ DROIT SENEGALAIS
1. Transmission et exécution des demandes de coopération
•
Il importe de déterminer l’autorité chargée de recevoir les demandes de coopération de la Cour. Le
Sénégal a choisi la voie diplomatique de transmission des demandes mais il reste à déterminer si
une autorité spécifique à la coopération avec la CPI ne devrait pas être mise en place. La création
d’un bureau chargé des relations avec la Cour rattaché au Ministère de la Justice et composé des
membres des différentes autorités susceptibles d’être concernées par les demandes de la Cour
apparaît la manière la plus simple et efficace d’assurer une voie de communication fluide entre la
Cour et le Sénégal.
•
Il serait souhaitable que les demandes arrivent simultanément au Ministère de la Justice et au
Parquet général qui serait alors tenu de leur donner suite et de les transmettre au juge d’instruction
qui à son tour délivrerait les commissions rogatoires nécessaires à l’exécution de la demande de la
Cour au Sénégal. Une autre option consisterait à prévoir la transmission des demandes directement
à la Chambre d’accusation. L’intervention d’une de ces autorités permettrait que le pouvoir
judiciaire soit impliqué dès l’arrivée des demandes émanant de la CPI.
•
Les juridictions compétentes pour l’exécution des demandes devraient être désignées de manière à
assurer une certaine centralisation de l’exécution des demandes. On pourrait envisager que les
juridictions compétentes soient dans un premier temps celles du lieu d’arrestation puis la Cour
d’Appel de Dakar.
•
La procédure mise en place aux fins de l’exécution des demandes doit permettre de respecter le
caractère confidentiel de la demande de coopération présentée par la Cour.
2. Consultations
Le recours à la procédure de consultation prévue par le Statut en cas de difficultés liées à l’exécution
devrait être inscrite dans la loi de mise en œuvre.
43
3. Sursis à exécution des demandes
La législation nationale peut prévoir la possibilité de surseoir à l’exécution d’une demande sous
réserve que le sursis à exécution soit conforme aux conditions énoncées dans les articles 94 et 95. En
ce qui concerne le sursis de l’article 94 du Statut, l’Etat pourrait notamment mettre en place une
procédure lui permettant de vérifier si l’exécution d’une demande nuit à une enquête ou à une
poursuite en cours au niveau national.
¾ SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES
• Suisse : Art. 2, 3, 24(2), 39-44.
2. Demandes d’arrestation d’une personne par la Cour
¾ STATUT : Art. 58, 59, 89 et 91
Sous réserve des dispositions de l’article 59, le Statut renvoie au droit national en ce qui concerne la
procédure d’arrestation.
1. Délivrance et exécution des mandats d’arrêt de la CPI
a) Exécution des mandats de la Cour
Les Etats Parties doivent reconnaître la valeur exécutoire des mandats d’arrêts de la Cour en droit
interne ou mettre en place une procédure afin de permettre leur exécution rapide par les autorités
nationales saisies.
b) Audience devant une autorité judiciaire compétente suite à l’arrestation d’une personne
recherchée par la CPI
• L’Etat doit disposer d’une procédure nationale selon laquelle la personne arrêtée est déferrée à
une autorité judiciaire compétente qui vérifie que le mandat vise bien la personne arrêtée, que
celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière et ses droits ont été respecté (Art. 59(2)).
• L’Etat doit disposer d’une procédure permettant à l’autorité judiciaire d’examiner une
demande de mise en liberté provisoire (Art. 59(3)).
c) Droits de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt
• La procédure nationale utilisée pour l’arrestation et la remise d’un suspect doit être
respectueuse des droits de la personne et de la présomption d’innocence. Si le suspect est
interrogé, les droits prévus par l’article 55(2) du Statut doivent être respectés par les autorités
nationales. Les dispositions de l’article 55(1) devraient également être respectées.
•
Par conséquent, les lois applicables aux droits des personnes faisant l’objet d’un mandat
d’arrêt devraient incorporer les garanties mentionnées aux articles 66 et 55, ainsi que les autres
garanties prévues par le PIDCP et la Convention contre la torture.
d) Mise en liberté provisoire : Art. 59 (4) à (6)
• La procédure de mise en liberté provisoire doit être prévue par une loi nationale qui lie
l’autorité judiciaire compétente. Cette procédure devrait être aménagée de manière à inscrire
les critères de l’article 59(4) et l’obligation d’informer la Chambre préliminaire de toute
demande de remise en liberté provisoire, et de prendre “pleinement en considération” les
recommandations de la Chambre préliminaire avant de rendre une décision.
• Les Etats devraient considérer si une présomption en faveur de la détention n’est pas justifiée
pour les crimes de la compétence de la Cour, en particulier lorsque le droit national consacre
d’ordinaire le principe de mise en liberté d’une personne arrêtée.
• Une procédure devrait être établie pour que la Chambre préliminaire soit informée
44
périodiquement sur le régime de la mise en liberté provisoire lorsque celle-ci a été accordée
(Art. 59(6)).
2. Arrestation provisoire: Art 58(5) et 92
• Une procédure nationale doit être mise en place pour que soit exécutée immédiatement une
demande d’arrestation provisoire de la Cour (Au sens du Statut, l’arrestation provisoire
correspond à une mise en détention sur demande de la Cour alors même que cette dernière ne
dispose pas de l’ensemble des pièces justificatives requises pour justifier sa demande
d’arrestation et de remise).
•
Si l’Etat n’a pas reçu les pièces justificatives dans les 60 jours, il peut remettre la personne en
liberté mais il sera tenu de procéder à une nouvelle arrestation lors de la réception des pièces
justificatives accompagnant la demande de remise.
3. Citation à comparaître : Art. 58 (7)
• Une procédure nationale doit être mise en place pour exécuter la citation à comparaître
délivrée par la Cour et notifier celle-ci à la personne visée. Au sens du Statut, la citation à
comparaître est une alternative au mandat d’arrêt que la Cour peut privilégier. La citation à
comparaître est adressée uniquement à la personne inculpée par la Cour et doit être distinguée
des demandes de comparution de témoins.
• La procédure nationale utilisée doit permettre l’exécution des conditions restrictives de liberté
imposées par la Cour.
¾ DROIT SENEGALAIS
1. Exécution des mandats de la CPI par les autorités sénégalaises
a) Exécution des mandats d’arrêt et des citations à comparaître de la CPI
• La procédure d’exécution des mandats de la Cour doit relever d’une autorité judiciaire:
l’autorité judiciaire désignée aux fins d’exécution des demandes d’arrestation de la CPI
pourrait soit conférer directement force exécutoire au mandat de la Cour, soit délivrer et faire
exécuter automatiquement un mandat d’arrêt selon la procédure du Code de Procédure Pénale
sur présentation d’un mandat de la CPI.
•
La même procédure devrait être applicable aux citations à comparaître de la CPI. Cette
procédure devrait également permettre de donner effet aux mesures restrictives de liberté dont
la Cour peut assortir la citation à comparaître.
b) Audience de la personne arrêtée devant une autorité judiciaire compétente
Les articles 122 et 123 du CPP prévoient, en conformité avec le Statut, que la personne arrêtée est
déférée sans délai à l’autorité judiciaire compétente.
c) Droits de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt
Les droits des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt sont prévus par les articles 101 à 109 du
CPP et semblent en conformité avec l’article 55 du Statut à l’exception notable du fait que le CPP
n’interdise pas qu’une personne soit soumise « à aucune forme de coercition, de contrainte ou de
menace, ni à aucune forme de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant »(Art. 55(1)(b) du
Statut) lors de son arrestation. Le CPP devrait incorporer cette garantie.
d) Mise en liberté provisoire
La procédure de mise en liberté provisoire prévue par les articles 128 et s. du CPP devrait être
aménagée de manière à être en conformité avec l’article 59 du Statut lorsque elle s’applique à une
45
personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt et de remise de la Cour.
2. Arrestation provisoire
La mise en œuvre de la procédure d’arrestation provisoire prévue par les articles 58(5) et 92 du Statut
consisterait donc essentiellement à s’inspirer de la procédure mise en place par les articles 19 et 20 de
la loi sur l’extradition et de rallonger le délai de remise en liberté de l’individu à 60 jours
conformément aux exigences du Statut.
¾ SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES
Voire les articles cités dans les solutions retenues par d’autres Etats Partie en matière de remise.
3. Demandes de remise d’une personne par la Cour
¾ STATUT
1. Distinction entre extradition et remise
•
Art. 102 et Art. 91(2)(c): Les exigences de l’Etat requis ne doivent pas être plus lourdes que
celles des demandes d’extradition présentées en application de traités ou arrangements conclus
entre l’Etat requis et d’autres Etats et devraient même, si possible, l’être moins, eu égard au
caractère particulier de la Cour.
•
Par conséquent, bien qu’il puisse apparaître opportun de considérer la Cour comme possible
interlocuteur d’une procédure d’extradition, le recours aux procédures applicables entre Etats
pourraient provoquer des retards injustifiés, des coûts supplémentaires et, plus grave des
violations du Statut
•
Le recours à l’extradition ne pourra être remise en cause si la loi prévoit que, dans le cas d'une
demande de remise à la Cour, les critères à prendre en compte (ou à ne pas prendre en compte)
en application du Statut prévalent sur les critères normalement applicables aux termes de cette
législation.
2. Absence de motifs de refus d’une demande de remise à la Cour
• Remise de ressortissants nationaux à la Cour :
L'obligation de coopérer avec les demandes d'arrestation et de remise s'applique sans distinction
fondée sur la nationalité de la personne recherchée. Les interdictions nationales, d'origine
constitutionnelle ou législative, d'extrader des ressortissants ne devraient pas s'appliquer aux demandes
de remise à la Cour, et les autorités nationales ne devraient pas être capables de refuser la remise sur
cette base.
• Règle de la spécialité : Art. 101(1)
Le droit national peut reconnaître la règle de la spécialité en tant que condition à la remise de
personnes à la CPI, conformément à l'Art.101. En cas de demande de dérogation à la condition de
spécialité, les Etats Parties devraient d'efforcer de l'accorder à la lumière du régime général du Statut.
• Non bis in idem (Art. 89(2))
Le Statut exige que, lorsqu'une personne recherchée par la Cour conteste au niveau national la
recevabilité d'une demande de remise sur le fondement du principe non bis in idem, les juridictions
nationales diffèrent l'exécution de la demande jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la recevabilité,
conformément à l'article 89(2), au lieu de décider elles-mêmes sur le fond.
3. Demandes concurrentes: Art. 90
La loi de mise en oeuvre devrait permettre la résolution des demandes concurrentes de remise
conformément aux règles de priorité précisées à l'Art. 90.
46
4. Demandes de transit
L’adoption d’une loi de mise en oeuvre du Statut devrait garantir la possibilité de transport d'une
personne remise à la Cour à travers le territoire national, conformément à l'Art. 89(3).
¾ DROIT SENEGALAIS
1. Caractère inapproprié du recours à la procédure d’extradition sénégalaise aux fins de remise
d’une personne à la CPI
Les Articles 3, 4 et 5 de la loi sur l’extradition sont incompatibles avec les exigences du Statut car ils
font obstacle à la remise d’un ressortissant national et conditionne l’extradition à l’existence d’une
double incrimination. L’octroi d’une demande d’extradition étant discrétionnaire, la procédure
apparaît d’autant plus inappropriée à la remise de personnes à la CPI.
2. Options de mise en œuvre
Deux possibilités s’offrent au Sénégal : aménager une procédure d’extradition simplifiée et compatible
avec le Statut ou mettre en place une procédure de remise distincte de l’extradition. Compte tenu des
conditions attachées à la procédure d’extradition, il apparaît plus simple de mettre en place une
procédure de remise distincte de l’extradition sur le modèle suisse.
¾ SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES
•
Suisse : Art. 15-27 : Mise en place d’une procédure de remise distincte de l’extradition
•
Canada : Art. 47 à 53 : Recours à la procédure d’extradition mais la loi instaure une
procédure d’extradition dérogatoire qui est simplifiée et accélérée de manière à être en
conformité avec les exigences du Statut.
47
SECTION 4:
Coopération en matière d’enquêtes et preuve de la Cour
I. Obligations des Etats en vertu du Statut de Rome
A.
Procédure et modalités d’enquête: Art 53 & s. du Statut
1. Enquêtes
Les procédures d’enquêtes peuvent se dérouler sur le sol d’une des Etats Parties :
- à l’initiative de la Cour avec l’assistance de l’Etat Partie
- à l’initiative de la Cour sans l’assistance de l’Etat Partie
- à l’initiative de l’Etat Partie avec l’assistance de la Cour
- à l’initiative de l’Etat Partie sans l’assistance de la Cour
• Procédure d’enquête
L’article 53 du Statut prévoit que l’ouverture d’une enquête est décidée par le Procureur de la
Cour sur la base d’informations portées à sa connaissance91. Ces informations peuvent être
transmises par un Etat Partie en vertu de l’article 14 du Statut92. Le Conseil de Sécurité des
Nations Unies peut également, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
déférer au Procureur une situation où “un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été
commis”(article 13(b)). Le Procureur, enfin, de sa propre initiative, en vertu des pouvoirs que
lui confère l’article 15 du Statut a la faculté d’ouvrir une enquête:
Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes
relevant de la compétence de la Cour.
2. Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. A cette fin, il peut rechercher des renseignements
supplémentaires auprès d’Etats, d’organes de l’Organisation des Nations Unies, d’organisations
intergouvernementales et non gouvernementales, ou d’autres sources dignes de foi qu’il juge appropriées, et
recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour.
3. S’il conclut qu’il y a de bonnes raisons d’ouvrir une enquête, le Procureur présente à la Chambre
préliminaire une demande d’autorisation en ce sens, accompagnée des éléments justificatifs recueillis(…)
.
Dans ce cas, l’ouverture de l’enquête est subordonnée à l’accord de la Chambre préliminaire.
Un refus d’autorisation de la Chambre préliminaire n’empêche pas le Procureur de présenter
ultérieurement une nouvelle demande fondée sur des faits ou des éléments de preuves
nouveaux. Pour prendre sa décision le Procureur prend en considération la crédibilité des
informations reçues, la recevabilité de l’affaire au regard de l’article 17 du Statut,
l’opportunité d’ouvrir une enquête au regard de la gravité des crimes et des intérêts des
victimes.93 Il peut vérifier le sérieux des informations en recherchant des informations
91
Article 53(1): Le Procureur après avoir évalué les renseignements portés à sa connaissance, ouvre une
enquête, à moins qu’il ne conclue qu’il n’y a pas de base raisonnable pour poursuivre en vertu du présent Statut
92
Art. 14: (1) Tout Etat Partie peut déférer au procureur une situation dans laquelle un ou plusieurs des crimes
relevant de la compétence de la cour paraissent avoir été commis, et prier si une ou plusieurs personnes
particulières doivent être accusées de ces crimes.
2. L’Etat qui procède au renvoi indique autant que possible les circonstances de l’affaire et produits les pièces à
l’appui dont il dispose.
93
Pour prendre sa décision, le Procureur examine :
48
supplémentaires. De plus, il ne suffit pas qu’un crime relevant de la compétence de la Cour
soit commis ou en voie de l’être. Le libellé de l’article 53(1) laisse penser que les alinéas
53(1)(a)(b) et (c) sont cumulatifs. Lorsque sa décision de ne pas ouvrir une enquête est
fondée uniquement sur l’existence de raisons sérieuses de penser qu’une enquête ne servirait
pas les intérêts de la justice, le Procureur doit en informer la Chambre préliminaire. Celle-ci
peut étudier la décision du Procureur de ne pas ouvrir d’enquête et demander au Procureur
l’examiner de nouveau.
•
Pouvoirs du Procureur en matière d’enquêtes
Article 54 : devoirs et pouvoirs du procureur en matière d’enquêtes
Le Procureur
a) pour établir la vérité, étend l’enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être utiles pour
déterminer s’il y a responsabilité pénale au regard du présent Statut et, ce faisant, enquête tant à charge
qu’à décharge ;
b) Prend les mesures propres à assurer l’efficacité des enquêtes et des poursuites visant des crimes relevant
de la compétence de la Cour. Ce faisant, il a égard aux intérêts et la situation personnelle des victimes et
témoins, y compris leur âge, leur sexe et leur état de santé ; il tient également compte de la nature du crime,
en particulier lorsque celui-ci comporte des violences sexuelles, violences à motivation sexiste au sens de
l’article 7, paragraphe 3,ou des violences contre des enfants ; et
c) Respecte pleinement les droits des personnes énoncés dans le présent Statut
2. Le Procureur peut enquêter sur le territoire d’un Etat :
a) Conformément aux dispositions du chapitre IX; ou
b) Avec l’autorisation de la Chambre préliminaire en vertu de l’article 57, paragraphe 3, alinéa d)
3. Le Procureur peut :
a) Recueillir et examiner des éléments de preuve ;
b) Convoquer et interroger des personnes faisant l’objet d’une enquête, des victimes et des témoins ;
c) Demander la coopération de tout Etat ou organisation ou dispositif gouvernemental conformément à leurs
compétences ou à leur mandat respectif ;
d) Conclure tous arrangements ou accords qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent Statut et qui
peuvent être nécessaires pour faciliter la coopération d’un Etat, d’une organisation non gouvernementale
ou d’une personne ;
e) S’engager à ne divulguer à aucun stade de la procédure les documents ou renseignements qu’il a obtenus,
sauf s’ils demeurent confidentiels et ne servent qu’à obtenir de nouveau éléments de preuve, à moins que
l’informateur ne consente à leur divulgation ; et ;
f) Prendre, ou demander que soient prises, des mesures assurant la confidentialité des renseignements
recueillis, la protection des personnes ou la préservation des éléments de preuve.
L’article 54(1)(a) prévoit que l’enquête se déroule à charge et à décharge. Tous les faits et
preuves susceptibles d’établir la responsabilité pénale selon le Statut font l’objet d’un examen
dans le cadre de l’enquête. Le Procureur recherche et recueille des éléments de preuve
(Art.54(3)(a)). Il convoque et interroge les suspects, les témoins et victimes. (article 54.3b)).
A cette fin, le Procureur peut enquêter sur le territoire d’un Etat Partie en vertu du Chapitre
IX ou avec l’autorisation de la Chambre préliminaire prévue par l’article 57(3)(d).
Durant le déroulement de l’enquête, le Procureur veille à ce que la confidentialité des
informations et preuves recueillies soit préservée94. Cette confidentialité ne peut être levée
que si la source d’information ou de preuve l’autorise. De plus, l’article 73 du Statut dispose
a) si les renseignements en sa possession donnent des raisons de croire qu’un crime relevant de la compétence
de la Cour a été ou est en voie d’être commis ;
b) Si l’affaire est ou serait recevable au regard de l’article 17 ;
c) S’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une
enquête ne servirait pas les intérêts de la justice.
94
Art. 54(3)(e) et (f).
49
que si les renseignements ou documents demandés par la Cour à un Etat Partie lui ont été
transmis à titre confidentiel, cet Etat est obligé de solliciter l’autorisation de celui qui lui a
remis l’information avant de la divulguer à la Cour. Si la source d’information est un Etat
Partie, il consent à lever la confidentialité attachée aux informations et documents ou
recherche une solution concertée avec la Cour en vertu de l’article 72 du Statut. Si la source
n’est pas un Etat Partie, et refuse la communication de l’information ou du document à la
Cour, alors l’Etat qui détient l’information ne peut la divulguer “en raison d’une obligation
préexistante de confidentialité à l’égard de celui dont il le tient ” (Art. 73).
• Article 57 : Fonctions et pouvoirs de la Chambre préliminaire en matière d’enquête
Lors de l’enquête, la Chambre préliminaire accorde au Procureur tous les mandats et
ordonnances nécessaires 95. Elle collabore étroitement avec le Procureur pour le bon
déroulement de l’enquête. Elle prend, à la demande du Procureur, des mesures relatives à
l’orientation de l’enquête, la désignation d’un expert, la désignation d’un avocat pour la
défense, l’accès au dossier par un avocat de la défense, la collecte et la préservation de
preuves.96 Lorsque le Procureur ne prend pas les mesures appropriées visées à l’article 56, la
Chambre préliminaire le consulte afin de connaître les raisons de cette attitude. Si la Chambre
n’est pas satisfaite par la justification du Procureur, elle peut prendre les mesures qu’elle
estime nécessaires aux termes de l’article 56(3)(a):
a) Lorsque le Procureur n’a pas demandé les mesures visées au présent article mais que la Chambre
préliminaire est d’avis que ces mesures sont nécessaires pour préserver des éléments de preuve qu’elle juge
essentiels pour la défense au cours du Procès, elle consulte le Procureur pour savoir si celui-ci avait de bonnes
raisons de ne pas demander les mesures en questions. Si après consultation, elle conclut que le fait de ne pas
avoir demandé ces mesures n’est pas justifié, elle peut prendre des mesures de sa propre initiative ;
b) Le Procureur peut faire appel de la décision de la Chambre préliminaire d’agir de sa propre initiative en
vertu du présent paragraphe. Cet appel est examiné selon une procédure accélérée.
Elle assure également la protection des témoins, des personnes citées à comparaître, des
personnes arrêtées, des informations relevant de la sécurité nationale d’un Etat Partie et des
95
Art. 85: Indépendamment des autres fonctions qui lui sont conférées en vertu du présent Statut, la Chambre
préliminaire peut :
a) Sur requête du Procureur, rendre les ordonnances et délivrer les mandats qui peuvent être nécessaires aux
fins d’une l’enquête ;
d) Autoriser le Procureur à prendre certaines mesures d’enquête sur le territoire d’un Etat Partie sans s’être
assuré de la coopération de cet Etat au titre du chapitre IX si, ayant tenu compte dans la mesure du possible des
vues de cet Etat, elle a déterminé qu’en l’espèce celui-ci est manifestement incapable de donner suite à une
demande de coopération parce qu’aucune autorité ou composante compétente de son appareil judiciaire n’est
disponible pour donner suite à une demande de coopération au titre du chapitre IX ; (….) ”
96
Article 56(1)(b): La Chambre préliminaire peut alors, à la demande du Procureur, prendre toutes mesures
propres à assurer l’efficacité et l’intégrité de la procédure, en particulier, à protéger les droits de la défense (…).
Article 56(2): Les mesures visées au paragraphe 1, aliéna b), peuvent consister :
a) A faire des recommandations ou rendre des ordonnances concernant la marche à suivre ;
b) A ordonner qu’il soit dressé procès-verbal de la procédure ;
c) A nommer un expert ;
d) A autoriser l’Avocat d’une personne qui a été arrêtée, ou a comparu devant la Cour sur citation, à participer à
la procédure ou lorsque l’arrestation ou la comparution n’a pas encore eu lieu ou lorsque l’avocat n’a pas
encore été choisi, à désigner un avocat qui représentera les intérêts de la défense ;
c) A charger un de ses membres ou au besoin, un des juges disponibles de la Cour, de faire des
recommandations ou de rendre des ordonnances, à sa discrétion, concernant le rassemblement et la préservation
des éléments de preuve ou les interrogatoires ;
f) à prendre tout autre mesure nécessaire pour recueillir ou préserver les éléments de preuve.
50
preuves97. Dans le cas où l’occasion d’obtenir des renseignements ne se représentera pas, la
Chambre préliminaire en est avertie par le Procureur aux termes de l’article 56 et peut
prendre toute mesure propre à assurer l’efficacité et l’intégrité de la procédure et, en
particulier, à protéger les droits de la défense. Dans le cadre d’une enquête, la Cour peut
procéder à une arrestation provisoire telle que définie à la section 2 du présent document en
vertu de l’article 58 du Statut.
2. Preuves
L’article 69 du Statut énonce que :
1. Avant de déposer, chaque témoin, conformément au Règlement de procédure et de preuve, prend
l’engagement de dire la vérité.
2. Les témoins sont entendus en personne lors d’une audience, sous réserve de mesures prévues à l’article 68
ou dans le Règlement de procédure et de preuve. La Cour peut également autoriser un témoin à présenter une
déposition orale ou un enregistrement vidéo ou audio, et à présenter des documents ou des transcriptions
écrites, sous réserves des dispositions du présent Statut et conformément au Règlement de procédure et de
preuve. Ces mesures ne doivent être ni préjudiciables ni contraires aux droits de la défense.
3. Les parties peuvent présenter des éléments de preuve pertinents pour l’affaire, conformément à l’article 64.
La Cour a le pouvoir de demander la présentation de tous les éléments de preuve qu’elle juge nécessaires à la
manifestation de la vérité.
4. La Cour peut se prononcer sur la pertinence et l’admissibilité de tout élément de preuve conformément au
Règlement de procédure et de preuve, en tenant compte notamment de la valeur probante de preuve et la
possibilité qu’il nuise à l’équité du procès ou à une évaluation équitable de la déposition du témoin.
5. la Cour respecte les règles de confidentialité telles qu’elles sont énoncées dans le Règlement de procédure et
de preuve.
6. La cour n’exige pas la preuve des faits qui sont notoires, mais en dresse le constat judiciaire.
7. Les éléments de preuve obtenus par un moyen violant le présent Statut ou les droits de l’homme
internationalement reconnus ne sont pas admissibles
a) Si la violation met sérieusement en question la crédibilité des éléments de preuve ; ou
b) Si l’admission de ces éléments de preuve serait de nature à compromettre la procédure et à porter
gravement atteinte à son intégrité.
8. Lorsqu’elle se prononce sur la pertinence ou l’admissibilité d’éléments de preuve réunis par un Etat, la Cour
ne se prononce pas sur l’application de la législation nationale de cet Etat.
• Admissibilité des preuves
Les règles de preuve se partagent, d’une part, entre le souci de respecter le principe selon
lequel seules peuvent être condamnées des personnes dont la culpabilité est établie au delà
d’un doute raisonnable et, d’autre part, de permettre l’ouverture d’une enquête, l’instruction
et le procès d’une personne sur la base de preuves dont la consistance et la recevabilité sont
assez souples en cas de besoin. L’article 66(3) du Statut exige que «pour condamner l’accusé
la Cour doit être convaincue de sa culpabilité au delà de tout doute raisonnable ». Cette
disposition qui suppose que les éléments de preuve en possession de la Cour doivent établir
sans conteste la culpabilité de l’accusé, est atténuée par la Règle 63 du RPP qui prévoit qu’en
matière de crimes relevant de la compétence de la Cour, et en particulier de crimes sexuels, le
recoupement des informations ne devrait pas être obligatoirement requis par une Chambre de
la Cour.
97
Article 57(c): En cas de besoin, assurer la protection et le respect de la vie privée des victimes et des témoins,
la préservation des preuves, la protection des personnes qui ont été arrêtées ou ont comparues sur citation, ainsi
que la protection des renseignements touchant à la sécurité nationale (…).
51
Sans préjudice du paragraphe 3 de l’article 66, les Chambres n’imposent pas l’obligation juridique de
corroborer la preuve des crimes relevant de la compétence de la Cour, en particulier des crimes de violences
sexuelles98.
L’admissibilité des preuves présentées par le Procureur est un point essentiel car selon
l’article 74 du Statut, «la Chambre de première instance fonde sa décision sur son
appréciation des preuves et sur l’ensemble des procédures». Elle ne peut aller au-delà
des faits et des circonstances décrits dans les charges et les modifications apportées à
celle-ci. Elle est fondée sur les preuves produites et examinées au procès99. Par
conséquent, la mise en cause de la responsabilité pénale de personnes en vertu des
dispositions du Statut dépend de la nature et de la qualité des preuves produites devant
la Cour. En raison des circonstances dans lesquelles les crimes contre l’humanité,
crimes de génocide et crimes de guerre, et notamment les crimes sexuels, peuvent être
commis, la collecte de preuves matérielles irréfutables peut s’avérer très difficile pour
le Procureur.
Règle 69:Accord en matière de preuve
Le Procureur et la défense peuvent convenir que des faits invoqués dans les charges, la teneur d’un document,
le témoignage attendu d’un témoin ou d’autres éléments de preuve ne sont pas contestés; les Chambres peuvent
alors considérer les faits allégués comme établis, à moins qu’elles n’estiment qu’ils doivent être exposés de
façon plus complète dans l’intérêt de la justice et, en particulier, dans l’intérêt des victimes.
Le Règlement de Preuve et de Procédure insiste particulièrement sur les critères qui guident
l’admissibilité et la formes de preuves liées à la qualification des crimes sexuels. Ainsi la
Règle 70 prévoit que :
Dans le cas de crimes de violences sexuelles, la Cour suit et, le cas échéant, applique les principes suivants :
a) Le consentement ne peut en aucun cas être inféré des paroles ou de la conduite d’une victime lorsque la
faculté de celle-ci de donner librement un consentement véritable a été altérée par l’emploi de la force, de la
menace ou de la contrainte, ou à la faveur d’un environnement coercitif;
b) Le consentement ne peut en aucun cas être inféré des paroles ou de la conduite d’une victime lorsque celle-ci
est incapable de donner un consentement véritable;
c) Le consentement ne peut en aucun cas être inféré du silence ou du manque de résistance de la victime de
violences sexuelles présumées;
d) La crédibilité, l’honorabilité ou la disponibilité sexuelle d’une victime ou d’un témoin ne peut en aucun cas
être inférée de leur comportement sexuel antérieur ou postérieur.
• Les formes de preuves
Lorsque les preuves se présentent sous la forme d’un témoignage, ce dernier peut revêtir
différentes formes. La première est le témoignage devant la Cour. Dans ce cas, le témoin doit
prêter serment100. Il peut être oral, de vive voix ou sur un support audio ou audiovisuel
(Art.67 RPP).
Règle 72: Examen à huis clos de la pertinence ou de l’admissibilité des éléments de preuve
1. Si des éléments de preuve doivent être produits ou obtenus, y compris en interrogeant la victime ou le témoin,
pour établir la réalité du consentement de la victime de violences sexuelles présumées, ou pour établir les
paroles, la conduite, le silence ou le manque de résistance de la victime ou du témoin, eu égard aux principes a)
à d) de la règle 70, une notification doit être adressée à la Cour précisant la nature de ces éléments de preuve et
expliquant leur pertinence en l’espèce.
98
Règle 63(4) RPP.
Art. 64 Statut.
100
Règle 65 RPP.
99
52
2. Lorsqu’elles se prononcent sur la pertinence ou l’admissibilité des preuves visées par la disposition 1 cidessus, les Chambres entendent à huis clos le Procureur, la défense, le témoin, la victime ou, le cas échéant, le
représentant légal de celle-ci; elles s’assurent que les éléments produits ont une valeur probante suffisante eu
égard à la question considérée et tiennent compte du préjudice qu’ils peuvent causer, comme le prévoit le
paragraphe 4 de l’article 69. À cette fin, les Chambres prennent en considération le paragraphe 3 de l’article
21 ainsi que les articles 67 et 68, et sont guidées par les principes a) à d) de la règle 70, particulièrement en ce
qui concerne l’interrogatoire proposé des victimes.
3. Lorsqu’elles déterminent l’admissibilité des éléments de preuve visés par la disposition 2 ci-dessus,
les Chambres indiquent au procès-verbal à quelles fins précises ils sont admissibles. Pour apprécier
les éléments de preuve, les Chambres appliquent les principes a) à d) de la règle 70.
• Les éléments de preuve
Le Statut, dans son article 93 (1), énumère une série non limitative de preuves. Parmi les
éléments de preuve que l’Etat Partie ou la Cour doivent rechercher afin d’établir l’existence
d’un crime relevant de la compétence de la CPI, le Statut cite le contenu des fosses
communes, les dossiers et documents officiels, le produit des crimes, matériels et objets
recueillis lors de l’examen de sites et localités. L’article 93 du Statut dispose que les Etats
Parties devront coopérer avec la Cour afin de rassembler toutes sortes d’éléments de preuve.
Cette formulation très générale ne limite pas la Cour qui dispose d’une grande marge de
manœuvre pour mener ses enquêtes.
B. Implications en matière de mise en oeuvre: Art. 93
Les Etats sont tenus de coopérer aux demandes de la Cour en matière d’enquête. Cette
obligation de coopération se fonde sur l’article 93 du Statut:
1. Les Etats Parties font droit conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues
par leur législation nationale, aux demandes d’assistance de la Cour liées à une enquête ou à des poursuites
concernant :
a) L’identification d’une personne, le lieu où elle se trouve ou la localisation des biens ;
b) Le rassemblement d’éléments de preuve, y compris les dépositions faites sous serment, et la production
d’éléments de preuve, y compris les expertises et les rapports dont la cour a besoin.
c )L’interrogatoire des personnes faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites ;
d) la signification de documents, y compris les pièces de procédure;
e) Les mesures propres à faciliter la comparution volontaire devant la Cour de personnes déposant comme
témoins ou experts;
f)Le transfèrement temporaire de personnes en vertu du paragraphe 7;
g) L’examen de localités ou de sites, notamment l’exhumation et l’examen de cadavres enterrés dans des
fosses communes ;
h) L’exécution de perquisitions et de saisies ;
i) La transmission de dossiers et de documents, y compris les dossiers et documents officiels ;
j) la protection des victimes et des témoins et la préservation des éléments de preuve ;
k) L’identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit des crimes, des biens, des avoirs et des
instruments qui sont liés aux crimes, aux fins de leur confiscation éventuelle, sans préjudice des droits des tiers
de bonne foi ; et
l) Toute autre forme d’assistance non interdite par la législation de l’Etat requis propre à faciliter l’enquête
et les poursuites relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour.
2. La Cour est habilitée à fournir à un témoin ou à un expert comparaissant devant elle l’assurance qu’il ne
sera ni poursuivi, ni détenu par elle à une restriction quelconque de sa liberté personnelle pour un acte ou une
omission antérieure à son départ de l’Etat requis.
A la requête du Procureur ou de la Chambre préliminaire, l’Etat doit assister la Cour dans les
matières énumérées à l’article 93. En cas de difficultés de l’Etat de répondre à une demande
53
d’assistance, le Statut prévoit des consultations qui doivent permettre de trouver une formule
d’assistance satisfaisante à la Cour et à l’Etat Partie (Art.93(3))101.
• Droits de la personne
L’enquête se déroule dans le respect des droits de la personne tels que définis par l’article 55
du Statut:
Article 55 : Droits des personnes dans le cadre d’une enquête
1. Dans une enquête ouverte en vertu du présent Statut, une personne :
a) n’est pas obligée de témoigner contre soi-même ni de s’avouer coupable ;
b) n’est soumise à aucune forme de coercition, de contrainte ou de menace, ni à la torture ni à aucune forme de
peine ou de traitement cruel inhumain ou dégradant ;
c) bénéficie gratuitement, si elle n’est pas interrogée dans une langue qu’elle comprend et parle parfaitement,
de l’aide d’un interprète compétent et de toutes traductions que rendent nécessaire les exigences de l’équité ; et
d) ne peut être arrêtée ou détenue arbitrairement, elle ne peut être privée de sa liberté si ce n’est pour les
motifs et selon les procédures prévus dans le Statut.
2. Lorsqu’il y a des raisons de croire qu’une personne a commis un crime relevant de la compétence de la
Cour, et que cette personne doit être interrogée, soit par le Procureur soit par les autorités nationales en vertu
d’une demande faite au titre du chapitre IX du présent Statut, cette personne a de plus les droits suivants, dont
elle est informée avant d’être interrogée :
a) Être informée avant d’être interrogée qu’il y a des raisons de croire qu’elle a commis un crime relevant de la
compétence de la Cour ;
b) Garder le silence, sans que ce silence soit pris en considération pour la détermination de sa culpabilité ou
de son innocence ;
c) Etre assistée par le défenseur de son choix, ou si elle n’en a pas, par un défenseur commis d’office chaque
fois que les intérêts de la justice l’exigent, sans avoir dans ce cas à verser de rémunération si elle n’en a pas les
moyens ;
e) Etre interrogée en présence de son conseil, à moins qu’elle n’ait renoncée à son droit d’être assistée d’un
conseil.
Le Statut protège également les droits de la défense et ceux des victimes. L’article 73(3)
énonce que lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que
leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, aux stades de la procédure qu’elle
estime appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la
défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial. La Chambre préliminaire prend
également des mesures afin d’assister une personne dans la préparation de sa défense (Art.
57(3 )(b))102.
• Protection des victimes
L’article 54(3)(f ) dispose que le Procureur peut “prendre, ou demander que soient prises des
mesures assurant la confidentialité des renseignements recueillis, la protection des personnes
ou la préservation des éléments de preuve”. La Chambre préliminaire a également pour
mission en cas de besoin “d’assurer la protection et le respect de la vie privée et des
témoins, la préservation des preuves, la protection des personnes qui ont été arrêtées ou ont
comparu sur citation (…) ”
101
Article 93(3): Si l’exécution d’une mesure particulière d’assistance décrite dans une demande présentée en
vertu du paragraphe 1 est interdite dans l’Etat requis en vertu d’un principe juridique fondamental d’application
générale, ledit Etat engage sans tarder des consultations avec la Cour pour tenter de régler la question. Au
cours de ces consultations, il est envisagé d’apporter l’assistance demandée sous une autre forme ou sous
certaines conditions. Si la question n’est pas réglée à l’issue des consultations, la Cour modifie la demande.
102
Art. 57(3)(b): A la demande d’une personne qui a été arrêtée ou a comparu sur citation conformément à
l’article 58, [la chambre préliminaire peut] rendre toute ordonnance, notamment en ce qui concerne les mesures
visées à l’article 56 ou solliciter tout concours au titre du chapitre IX qui peuvent être nécessaires pour aider la
personne à préparer sa défense (…).
54
Règle 73(5) RPP
Lorsque la divulgation d’éléments de preuve et de renseignements en vertu du présent Statut risque de mettre
gravement en danger un témoin ou les membres de sa famille, le Procureur peut, dans toute procédure engagée
avant l’ouverture du procès, s’abstenir de divulguer ces éléments de preuve ou renseignements et en présenter
un résumé. De telles mesures doivent être appliquées d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux
droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial.
Règle 73(6) RPP :
Un Etat peut demander à ce que des mesures de protection soient prises à l’égard de ses fonctionnaires ou
agents et des renseignements confidentiels ou sensibles.
C. Limites de l’obligation de coopération
1. Les limites liées au sursis
Le Statut prévoit qu’une enquête peut faire l’objet d’un sursis lorsque les dispositions de
l’article 94 du Statut s’appliquent. Cet article prévoit que lorsque dans le cadre d’une enquête,
une demande peut affecter le déroulement d’une autre enquête préexistante, l’Etat Partie
destinataire de la demande peut surseoir à son exécution. L’article 95 prévoit également un
sursis à exécution d’une demande en raison d’une exception d’irrecevabilité de la Cour. Ces
deux modes de sursis peuvent être invoqués lors d’une enquête diligentée par le Procureur103.
2. Les limites liées à la sécurité nationale
Le principe de coopération qui prévaut en matière d’enquête est limité par l’article 72 du
Statut lorsque l’enquête concerne des renseignements relatifs la sécurité nationale. L’article
93 (4) du Statut prévoit qu’un Etat:
ne peut rejeter totalement, ou partiellement, une demande d’assistance de la Cour que si cette demande a pour
objet la production de documents ou la divulgation d’éléments de preuve touchant à la question de la sécurité
nationale.
L’article 72 réglemente les questions de protection de renseignements touchants à la sécurité
nationale dans les termes suivants:
1. Le présent article s’applique dans tous les cas où la divulgation de renseignements ou de documents d’un
Etat porterait atteinte, de l’avis de cet Etat, aux intérêts de sa sécurité nationale. Ces cas sont en particulier,
ceux qui relèvent de l’article 56, paragraphe 2 et 3, de l’article 61, paragraphe 3, de l’article 64, paragraphe 3
de l’article 67, paragraphe 2, de l’article 68, paragraphe 6, de l’article 87, paragraphe 6 et de l’article 93,
ainsi que les cas, à tout autre stade de la procédure, où une telle divulgation peut être en cause.
2. le présent article s’applique également lorsqu’une personne qui a été invitée à fournir des renseignements
ou des éléments de preuve a refusé de le faire ou en a référé à l’Etat au motif que leur divulgation porterait
atteinte aux intérêts d’un Etat en matière de sécurité nationale et lorsque cet Etat confirme qu’à son avis la
divulgation de ces renseignements porterait atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale.
L’article 73 du Statut protège également les renseignements provenant de tiers qui ne peuvent
être transmis à la Cour par un Etat Partie sans l’accord de ces tiers. Cet obstacle au principe
de coopération ne concerne que les informations ou preuves auxquelles une loi confère un
caractère confidentiel. En cas de difficultés, le Statut prévoit des consultations et des
concertations avec l’Etat Partie qui refuse d’accéder à une demande de coopération de la
Cour en invoquant les dispositions des articles 72 et 73 du Statut car il estime que la
103
Les différents types de sursis sont traités dans la section 1 du Chapitre 1 « dispositions générales relatives
aux demandes de coopération de la Cour ».
55
divulgation d’informations porterait atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale (Art.
72(4)).104 Les mesures que peuvent prendre la Chambre préliminaire et la Chambre
d’instance dans le cadre d’une solution concertée avec l’Etat partie sont exposées dans les
alinéas 5, 6 et 7 de l’article 72.
II. Droit sénégalais
A.
En matière d’enquête
Dans le cadre d'une enquête qu'il dirige, le juge d'instruction peut, par voie de commissions
rogatoires, requérir tout juge d'instruction ou officier de police judiciaire de son ressort de
procéder à des actes d'informations105. La commission rogatoire ou la délégation judiciaire
indique la nature de l'infraction et les actes d'instruction qui y sont liés106
• interrogatoires de témoins
Les articles 32 et 33 de la loi 71-77 du 28 décembre 1971 ne sont pas compatibles avec les
dispositions du Statut. En effet, ils ne permettent pas la comparution contrainte d’un témoin
résidant au Sénégal quelque soit sa nationalité lorsque la demande de comparution émane
d’une autorité étrangère dans le cadre d’une instruction pénale menée à l’étranger. Par
conséquent une demande de comparution devant la Cour ne pourrait être traitée selon les
dispositions précitées107. Il apparaît donc nécessaire d’introduire une disposition qui
104
Article 72(4): “Si un Etat apprend que les renseignements ou des documents de l’Etat sont ou seront
probablement divulgués à un stade quelconque de la procédure, et s’il estime qu’une telle divulgation porterait
atteinte aux intérêts de sa sécurité nationale, cet Etat a le droit d’intervenir en vue d’obtenir le règlement de la
question selon les dispositions du présent article”. L'alinéa 5 de l'article 93 du Statut prévoit que l'Etat qui
invoque les dispositions de l'article 93(4) doit fournir à la Cour des alternatives de coopération.
105
Article 142 al. 1 et al 3 du CPP: le juge d'instruction peut requérir, par commission rogatoire, tout juge
d'instruction ou tout juge de paix de son ressort, et par délégation judiciaire, tout officier de police judiciaire
compétent dans ce ressort, de procéder aux actes d'information qu'il estime nécessaires dans les lieux soumis à la
juridiction de chacun d'eux.
L'officier de police judiciaire accomplit sa mission après en avoir avisé le Procureur de la République, sans être
tenu de solliciter une subdélégation du juge d'instruction territorialement compétent.
106
Article 143 CPP: La commission rogatoire ou la délégation judiciaire indique la nature de l'infraction objet
des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la délivre, et revêtue de son sceau.
Elle ne peut prescrire que des actes d'instructions rattachant directement à l'infraction visée poursuites et sous
réserve des dispositions de l'article 94.
Article 144 CPP: Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour de l'exécution exercent, dans les
limites de la commission rogatoire ou de la délégation judiciaire, tous les pouvoirs du juge d’instruction.
Toutefois, [ils] ne peuvent procéder aux interrogatoires et aux confrontations de l'inculpé. Ils ne peuvent
procéder aux auditions de la partie civile qu'à la demande ou la demande ou avec l'assentiment de celle-ci. Seuls
le juge d'instruction commis rogatoirement peut décerner tous mandats tels que définis aux articles 111, 112,
113 et 114.
Article 147 CPP: Dans l'exécution des délégations judiciaires par les officiers de police judiciaire, aucune nullité
encourue de plein droit du fait de l'inobservation des dispositions des articles 164 et 166.
Toutefois, au cas ou l'inobservation de quelque règle de procédure a été de nature à nuire aux droits des
intéressées, le juge peut refaire les actes irréguliers.
107
Article 32 de la loi 77-71 du 28 Décembre 1971 «lorsque dans une cause pénale instruite à l’étranger, le
Gouvernement étranger juge nécessaire la communication de pièces à conviction ou de document se trouvant
entre les mains des autorités sénégalaises, la demande est faite par voie diplomatique. Il est donné suite, à moins
que des considérations particulières ne s’y opposent, et sous l’obligation de renvoyer les pièces et documents »
Article 33 : « si dans la cause pénale, la comparution personnelle du témoin résidant au Sénégal est jugée
nécessaire par le Gouvernement étranger, le Gouvernement sénégalais, saisi de la citation par voie diplomatique,
l’engage à se rendre à l’invitation qui lui a été adressée. Néanmoins, la citation n’est reçue qu’à condition que le
témoin ne pourra être poursuivi et détenu que pour des faits et condamnations antérieurs à sa condamnation. »
56
permettra également de recourir à une procédure plus simple que celle de l’actuel article 33
de la loi précitée en matière de comparution de témoin et qui pourra être mise en œuvre à
l’égard d’un témoin ressortissant sénégalais aussi bien que d’un témoin de nationalité
étrangère.
Si la Cour souhaite se déplacer ou faire procéder à l’enquête par les officiers de police
judiciaire, la personne dont la Cour recherche le témoignage ou la déposition doit être
localisée et citée à comparaître selon les procédures en vigueur en matière d’assignation de
témoins et d’interrogatoires (articles 91 à 109 CPP). L’article 32 de la loi précitée prévoit que
dans le cadre d’une enquête instruite dans un Etat étranger, les demandes de pièces et
documents détenus par les autorités sénégalaises font l’objet d’une demande par la voie
diplomatique. L’article 32 n’est pas en mesure de traiter de manière adaptée des demandes de
la Cour en matière de comparution de témoins et de communication de pièces qui font l’objet
de dispositions plus contraignantes pour l’Etat Partie requis. Les modifications nécessaires
devront permettre :
- que la Cour ait un statut spécial mentionnée par la loi qui conférera aux demandes de la
Cour liées un effet obligatoire rendant impossible un refus de coopérer ;
- au Procureur de la Cour de faire une demande dans le cadre de son enquête par une voie
accélérée autre que la voie diplomatique habituelle et sans possibilité pour le Gouvernement
sénégalais d’opposer à la Cour une fin de non recevoir autre que celles prévues par le Statut.
Le Code de Procédure Pénale prévoit que les commissions rogatoires émanant d’une autorité
étrangère, avec qui le Sénégal n’est pas lié par une convention de coopération judiciaire qui
en dispose autrement, sont soumises aux dispositions de la loi 71-77 du 28 décembre 1971108.
Dans l’état actuel du droit, il convient donc de prévoir de conférer plein effet juridique aux
demandes de la Cour en matière d'enquête, de collecte de preuve, d'interrogatoire de témoins
et de suspect, de visite de site sur le territoire sénégalais.
• Comparution de témoins
Les significations et demandes de coopération de la Cour à des fins de comparution d’un
témoin109 peuvent être exécutées selon la procédure de citation prévue par le Code de
Procédure Pénale110. Il sera cependant nécessaire d'insérer dans le Code de Procédure Pénale
108
Les articles 30, 31, 32 et 33 de la loi 71-77 du 28 décembre 1971 renvoient aux dispositions de l’article 9 et
10 qui disposent que “la demande d’extradition est adressée au Gouvernement sénégalais par voie diplomatique
et accompagnée, soit d’un jugement ou d’un arrêt de condamnation, soit d’un acte de procédure criminelle
décrétant formellement ou opérant de plein droit le renvoi de l’inculpé ou de l’accusé devant la juridiction de
répressive, soit d’un mandat d’arrêt ou de tout autre ayant la même force et décerné par l’autorité judiciaire,
pourvu que ces derniers actes renferment l’indication précise du fait pour lequel ils sont délivrés et la date de ce
fait. Les pièces ci-dessus mentionnées doivent être produites en original ou en expédition authentique. Le
gouvernement requérant doit produire en même temps la copie des textes de loi applicables au fait incriminé. Il
peut joindre un exposé des faits de la cause ” “la demande d’extradition est, après vérification des pièces,
transmise, avec le dossier par le Ministère des Affaires étrangères au Ministre de la justice, qui s’adresse de la
régularité de la requête (…)”.
109
Le Statut et le Code de Procédure Pénale n’ont pas la même définition de la citation à comparaître. Le Statut
ainsi que le RPP dans les Règles 119(5) et 121 définissent la citation à comparaître comme une procédure
alternative au mandat d’arrêt qui est donc dirigée à l’encontre du suspect. La citation à comparaître, au sens du
Statut, ne concerne pas les témoins qui font, eux, l’objet d’une demande de coopération aux fins de leur
comparution devant la Cour.
110
Art. 538 et suivants du CPP. Article 538 du CPP : "Les citations et signification, sauf disposition contraire
des lois ou décrets, sont faites par exploits d'huissier. Les notifications sont faites par voie administrative.
57
des dispositions permettant au Procureur de demander non seulement la communication de
pièces et documents, la remise de personnes pour les besoins d'une enquête, mais également
de se déplacer sur le sol sénégalais et de diriger les visites et fouilles et interrogatoires
nécessaires à la collecte de preuve.
• Rôle de l’avocat de la défense en matière d’enquête
L’instruction en droit pénal sénégalais est à charge et à décharge. Elle est dirigée par le juge
d’instruction. Les dispositions du Code de Procédure Pénale ne prévoient pas la faculté pour
l’avocat de la défense de participer conjointement avec le juge d’instruction à l’enquête. Ce
dernier est informé de l’évolution de l’enquête, il reçoit communication du dossier avant
chaque interrogatoire (Art. 105 CCP). Il assiste son client durant l’audition du juge
d’instruction et lors des perquisitions et saisies diligentées lors de l’enquête. L’article 108
énonce que les conseils de l’inculpé et de la partie civile ne peuvent prendre la parole que
pour poser des questions et avec l’autorisation du Juge d’instruction.
B.
En matière de preuve
L’admissibilité des preuves en droit interne ne contrarie pas la mise en oeuvre du Statut. Le
juge sénégalais procède par commission rogatoire, délégation de justice et mandat afin de
rechercher tous les éléments de preuve nécessaires pour les besoins de l’enquête. Les
demandes de perquisitions et de collectes de preuves de la Cour doivent avoir le même effet
que les commissions rogatoires du juge d'instruction sénégalais par une demande adressée au
Procureur de la République. Cette voie est plus rapide que celle de la voie diplomatique.
Le tableau récapitulatif figurant à la page suivante reprend les différents types de demandes
de coopération que la Cour peut présenter en matière de preuve et les dispositions
correspondantes en droit sénégalais.
1. Gel et confiscation des produits du crime (Art. 93(3)(k))
Les articles 87 bis et 88 du Code de Procédure Pénale disposent que le juge d’instruction peut
prendre des mesures conservatoires sur les biens de l’inculpé et peut saisir des espèces,
lingots, effets ou valeurs dont il peut autoriser le dépôt à la caisse des dépôts et consignations
si leur conservation en nature n’est pas nécessaire à la manifestation de la vérité ou la
préservation des intérêts des parties. La confiscation peut intervenir à titre préalable sur
demande du Ministère public aux termes des articles 87 bis, 88 et 89 du Code de Procédure
Pénale. Le juge d’instruction est l’autorité compétente pour ordonner la saisie à titre de
mesure conservatoire111. La saisie peut porter sur des documents mais également sur des
L'huissier ne peut instrumenter pour lui-même, pour son conjoint, pour ses parents et alliés et ceux de son
conjoint, en ligne directe à l'infini, ni pour ses parents et alliés collatéraux jusqu'au degré de cousin issu de
germain inclusivement".
111
Article 87 bis CPP: Lorsqu’il est saisi d’un dossier d’information, le juge d’instruction peut d’office ou sur
demande de la partie civile ou du ministère public, ordonner des mesures conservatoires sur les biens de
l’inculpé.
58
espèces, lingots, effets ou valeurs112. Les tiers ayant des prétentions sur les objet saisis
peuvent en réclamer la restitution113.
Il existe donc un mécanisme permettant de saisir des biens ou valeurs à titre conservatoire.
Néanmoins, il importe de mettre en place une procédure permettant de coopérer avec la CPI
compte tenu du fait que les mesures conservatoires précitées ne peuvent être prises que dans
le cadre d’une procédure judiciaire nationale, dans laquelle un juge d’instruction a été
désigné. De plus, la possibilité de saisir des valeurs implique certes leur identification et
localisation, mais pas nécessairement leur gel. La loi bancaire prévoit que les banques sont
tenues de coopérer avec les autorités judiciaires en cas d'information judiciaire mais il
faudrait envisager de réformer certaines dispositions en matière bancaire, afin de permettre la
localisation des produits financiers des crimes, ainsi que les dispositions existantes en matière
de localisation de fonds par l'Administration des Douanes et la Direction du Crédit et de la
Monnaie en liaison avec les autorités monétaires. Il serait donc utile d’envisager l’adoption
d’une procédure reprenant les termes du Statut, quitte à ce que celle-ci ne soit applicable qu’à
des fins de coopération avec la CPI.
112
Article 88 CPP: (…) Le juge d’instruction ne maintient que la saisie des documents utiles à la manifestation
de la vérité ou dont la communication serait de nature à nuire à l’instruction. (….) Si la saisie porte sur des
espèces, lingots, effets ou valeurs dont la conservation en nature n’est pas nécessaire à la manifestation de la
vérité ou la sauvegarde des droits des parties, il peut autoriser le greffier à en faire le dépôt à la Caisse des
dépôts et consignations
113
Article 89 CPP: L’inculpé, la partie civile ou toute personne qui prétend avoir droit sur un objet placé sous
main de justice peut en réclamer la restitution au juge d’instruction.
Si la demande émane de l’inculpé ou de la partie civile, elle est communiquée à l’autre partie ainsi qu’au
ministère public. Si elle émane d’un tiers, elle est communiquée à l’inculpé, à la partie civile et au ministère
public. (…)
59
Dispositions du Statut
Identification des personnes lieux et localisation
de biens (Art. 93 (1) a))
•
•
•
•
Rassemblement d’éléments de preuve
Dépositions sous serment
Production d’éléments de preuve y compris
l’expertise
Conformité en droit sénégalais
Eléments de preuve admis
Revoir la procédure d’obtention de cet
élément notamment Art. 32 et 33 loi 6771 du 28 Décembre 1971
Eléments de preuve admis
Revoir procédure obtention de cet
élément notamment Art. 32 et 33 loi 6771 du 28 Décembre 1971
Pas de difficulté d’application du Statut
• Eléments de preuve admis
• Revoir procédure obtention de cet
élément
Perquisitions et saisie d’éléments de preuve
• Eléments de preuve admis
(art. 93 (1) h))
• Revoir procédure d’obtention de cet
élément
Transmission de dossier et de documents en
• Elément de preuve admis
particulier de documents officiels (art. 93 (1) i))
• Revoir procédure obtention de cet
élément notamment art 32 et 33 loi 67-71
du 28 Décembre 1971
Signification de documents (art.93 (1) d))
Examen de localités et de sites ; notamment de
fosses communes (Art. 93 (1) g)
Préservation d’éléments de preuve (art. 93(1) j) Pas de difficulté d’application du Statut
Identification localisation et gel des produits de Revoir procédure mise en œuvre de mesures
conservatoires sur le sol sénégalais
la criminalité (art. (1)k))
2. Protection des victimes et droits de la défense
• Protection des victimes
Il n’existe pas de loi de portée générale en droit sénégalais organisant la protection des
victimes de crimes. Il existe des dispositions du Code de Procédure Pénale organisant le
témoignage à huis clos, mais pas de protection spécifique hors des locaux de la juridiction
instruisant l’affaire ou le procès. Il conviendra donc de créer un dispositif qui permette la
protection des victimes et témoins lors des enquêtes et procès qui mettent en œuvre le Statut
de Rome. La protection prévue par le Statut à l’article 68 ne concerne que les victimes et
témoins en cas de procès. Bien que l’Etat du Sénégal n’y soit pas tenu par les dispositions du
Statut, il devrait insérer dans son dispositif pénal une protection dans le cadre des enquêtes
afin de faciliter la collecte de témoignages, documents et preuves114.
• Protection des droit de la défense
Les droits de la défense sont organisés de manière satisfaisante par le Code de Procédure
Pénal.
III. Illustration: Loi suisse sur la coopération
•
•
•
114
Article 28: Principe
Article 28a: Actes d'entraide
Art. 30: Respect des règles de procédure indiquées par la Cour
Voire Art. 37 et 89 du RPP.
60
•
•
•
Art. 35: Actes d’instruction sur le territoire suisse:
Article 37(1): Transmission d'éléments de preuve
Art. 38: Transmission à des fins de confiscation (…)
61
RECAPITULATIF : Coopération en matière d’enquêtes et preuves
STATUT
1. Modalités et procédure d’enquête
• Procédure d’enquête : Art. 53, 54 et 57.
• Admissibilité des preuves : Art. 69, 66(3) et Règles 63, 69, 70 et 72.
2. Demandes de coopération en matière d’enquêtes et preuves : Art. 93
• Respect des droits de la personne lors de la procédure d’enquête : Art. 55
• Protection des victimes et témoins : Art. 54(3)(f) et Règles 73(5) et 73(6).
3. Limites à l’obligation de coopération
• Suspension de l’enquête : Sursis : Art. 94
• Refus de coopérer pour des motifs liés à la sécurité nationale : Art. 93(4), 72 et 73.
DROIT SENEGALAIS
1. Exécution des demandes de coopération en matière d’enquête
La plupart des demandes relevant de l’article 93(1) peuvent être exécutées par voie de commission
rogatoire (Art. 142 du CPP).
2. Citation et interrogatoire de témoins
• Demandes de comparution de témoins devant la Cour : La procédure de signification et
citation prévue à l’article 138 du CPP permettrait de citer des témoins sur demande de la Cour
sous réserve du mode d’exécution des demandes retenu. La procédure mise en place par les
articles 32 et 33 de la loi sur l’extradition est problématique car elle est complexe et passe par
la voie diplomatique et surtout ne s’applique pas aux témoins de nationalité étrangère résidant
au Sénégal.
• Rôle des avocats de la défense en matière d’instruction d’une affaire : Les avocats de la
défense devraient être en mesure de procéder à une enquête dans la préparation de leur défense
3. Mesures conservatoires
• Gel et saisie : L’identification, localisation et la saisie de biens et avoirs à titre conservatoire
sont prévus par les articles 87 bis et 88 du CPP. Cependant, la possibilité de geler des avoirs
financiers n’apparaît pas être explicitement prévue. Des aménagements au CPP et à la loi
bancaire pourraient s’avérer nécessaires afin de pouvoir exécuter une demande de gel
présentée par la Cour.
• Protection des victimes et témoins : Il n’existe pas de loi à portée générale relative à la
protection des victimes et témoins. Il serait nécessaire de mettre en place des garanties
conformes au Statut en ce qui concerne des témoins et victimes impliquées dans un dans la
perpétration d’un crime prévu par le Statut. Les victimes de crimes sexuels devraient se voir
reconnaître une protection particulière à cet égard.
SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES
•
•
•
•
•
Suisse : Art. 28-38
Canada : Art. 57, 58, 59, 61-69
Afrique du Sud : Art. 14-19, Art. 21, Art. 30, Art. 35
Nouvelle Zélande : Art. 81- 123, 157-165, Art.166-168.
Royaume Uni : Art. 28- 41.
62
SECTION 5:
Exécution des peines
I.
Statut de Rome
En vertu du principe nulla poena sine lege, toute personne condamnée par la Cour ne peut
être punie que conformément aux dispositions du Statut de Rome115. La CPI peut prononcer
une peine d’emprisonnement à temps de 30 ans au plus ou, si l’extrême gravité du crime et la
situation personnelle du condamné le justifient, une peine d’emprisonnement à perpétuité. A
la peine d’emprisonnement peuvent s’ajouter une amende et/ou la confiscation des profits,
biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime116. La Cour ne peut pas prononcer
la peine de mort. Les peines prononcées par la CPI n’entraînent pas de conséquences sur les
peines prévues par le droit national. L’article 80 du Statut dispose dans ce sens que:
« Rien dans le présent chapitre du Statut n’affecte l’application par les Etats des peines que prévoit leur droit
interne, ni l’application du droit des Etats qui ne prévoient pas les peines prévues dans le présent chapitre. »
Le Chapitre X du Statut traite de l’exécution des peines et distingue d’une part l’exécution
des peines d’amende et des mesures de confiscation ordonnées par la Cour, qui s’imposent à
tous les Etats Parties et, d’autre part, l’exécution des peines d’emprisonnement qui ne
s’imposent qu’aux Etats Parties ayant accepté de recevoir des personnes condamnées par la
CPI.
A. L’exécution des peines d’emprisonnement
• Consentement des Etats
Seuls les Etats qui consentent à recevoir des personnes condamnées par la CPI sont tenus par
les obligations relatives à l’exécution des peines. En vertu de l’article 103(1), les Etats Parties
ne sont pas obligés d’accueillir des détenus à moins qu’ils n’aient expressément manifestés
leur consentement par une déclaration à cet effet. Les obligations concernant l’exécution au
niveau national des peines d’emprisonnement fixées par la CPI s’appliquent donc seulement
aux Etats Parties qui ont volontairement déclaré à la Cour leur volonté d’accepter les
personnes condamnées par la Cour. Ces obligations ne s’appliquent pas aux peines
prononcées par les juridictions nationales à l’issue d’une procédure nationale117. Lorsque la
Cour désigne un Etat d’exécution, elle prend en considération le principe selon lequel les
Etats Parties doivent partager la responsabilité de l’exécution des peines d’emprisonnement
conformément aux principes de répartition équitable énoncés dans le Règlement de procédure
et de preuve ainsi que les autres facteurs indiqués dans l’article 103(3)118.
115
Article 23 du Statut: Nulla poena sine lege
Article 77 du Statut: Peines applicables
117
“Directives Broomhall”, p.37.
118
Article 103(3): Quand elle exerce son pouvoir de désignation conformément au paragraphe 1, la Cour peut
prendre en considération:
a) Le principe selon lequel les Etats Parties doivent partager la responsabilité de l’exécution des peines
d’emprisonnement conformément aux principes de répartition équitable énoncés dans le Règlement de
procédure et de preuve;
116
63
•
Les Etats sont tenus par la durée des peines et les conditions d’exécution prévues
par le Statut:
La peine d’emprisonnement fixée par la Cour lie les Etats Parties qui ne peuvent en aucun cas
la modifier. Cependant, un Etat reste autorisé, lorsqu’il déclare sa volonté de recevoir des
détenus, d’assortir son acceptation de conditions. Ces conditions doivent être agrées par la
Cour et être conformes aux dispositions du Chapitre X du Statut. Les limites imposées par le
Chapitre X sont significatives notamment les limites énoncées dans les articles 103 (2), 105
et 110 du Statut119.
• Conditions de détention
Les conditions de détention sont régies par la législation nationale de l’Etat d’exécution mais
l’Etat est tenu de respecter les “règles conventionnelles internationales largement acceptées
en matière de traitement des détenus”. Les Etats sont en effet liés par l’article 106 du Statut
qui traite du contrôle de l’exécution de la peine et les conditions de détention dans les termes
suivants:
1.
L’exécution d’une peine d’emprisonnement est soumise au contrôle de la Cour. Elle est conforme aux
règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des détenus
2. Les conditions de détention sont régies par la législation de l’Etat chargé de l’exécution. Elles sont
conformes aux règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière de traitement des
détenus. Elles ne peuvent en aucun cas être ni plus ni moins favorables que celles que l’Etat chargé de
l’exécution réserve aux détenus condamnés pour des infractions similaires. (…)120
• Poursuite, extradition ou transfert d’une personne condamnée
Durant l’exécution de sa peine, la personne condamnée ne peut être poursuivie, condamnée
ou extradée vers un Etat tiers pour un comportement antérieur à son transfèrt dans l’Etat
d’exécution, à moins que la Cour ne donne son accord121. Cette limitation cesse de
s’appliquer si la personne condamnée demeure volontairement plus de 30 jours sur le
b) Les règles conventionnelles du droit international généralement acceptées qui régissent le traitement des
détenus;
c) Les vues de la personne condamnée; et
d) La nationalité de la personne condamnée;
e) Toute autre circonstance relative au crime, à la situation de la personne condamnée ou à l’exécution
effective de la peine, susceptible de guider le choix de l’Etat chargé de l’exécution.
119
L’article 103(2) prévoit que l’Etat chargé de l’exécution avise la Cour des circonstances de nature à modifier
les conditions ou la durée la détention. Si la Cour ne peut accepter le changement de circonstances dont elle est
avisée, elle peut désigner un nouvel Etat d’exécution. La Cour peut également à tout moment présenter une
demande de coopération à l’Etat d’exécution, lui demandant de transférer la personne condamnée vers un autre
Etat d’exécution.
Article 110: Examen par la Cour de la question d’une réduction de peine
1. L’Etat chargé de l’exécution de la peine ne peut libérer la personne détenue avant la fin de la peine prononcée
par la Cour.
2. La Cour a seule le droit de décider d’une réduction de peine. Elle se prononce après avoir entendu le
condamné.
Article 105: Exécution de la peine
1. Sous réserve des conditions qu’un Etat a éventuellement formulées comme le prévoit l’article 103, paragraphe
1, alinéa b), la peine d’emprisonnement est exécutoire pour les Etats Parties, qui ne peuvent en aucun cas la
modifier.
2. La Cour a seule droit de se prononcer sur une demande de révision de sa décision sur la culpabilité ou la
peine. L’Etat chargé de l’exécution n’empêche pas le condamné de présenter une telle demande.
120
Voire Règle 211 du RPP pour des précisions complémentaires.
121
Article 108(1).
64
territoire de l’Etat d’exécution après avoir accompli la totalité de sa peine, ou s’il retourne sur
le territoire de cet Etat après l’avoir quitté122. De plus en vertu de l’article 107(1)123, une
personne condamnée qui n’est pas un ressortissant de l’Etat d’exécution peut, après avoir
purgé sa peine, demeurer dans l’Etat d’exécution ou être transféré vers un Etat tenu, ou ayant
accepté de le recevoir124.
B. L’exécution des peines d’amende et des mesures de confiscation et réparation
ordonnées par la Cour
• Principes du Statut
La Cour peut demander à un Etat Partie l’identification, la localisation, le gel ou la saisie du
produit, des biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes aux fins de leur
confiscation éventuelle. L’exécution des peines d’amende et des mesures de confiscation et
réparation ordonnées par la Cour s’impose à tous les Etats Parties. Le Statut prévoit que la
Cour peut ajouter à la peine d’emprisonnement la “confiscation des profits, biens et avoirs
tirés directement ou indirectement du crime, sans préjudice des droits des tiers de bonne
foi”125. L’exécution de ces mesures relève des Etats Parties en vertu de l’article 109 du Statut:
Article 109: Paiement des amendes et exécution des mesures de confiscation
Les Etats Parties font exécuter les peines d’amende et les mesures de confiscation ordonnées par la Cour
en vertu du chapitre VII, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi et conformément à la procédure
prévue par leur législation interne.
2. Lorsqu’un Etat Partie n’est pas en mesure de donner effet à l’ordonnance de confiscation, il prend des
mesures pour récupérer la valeur du produit, des biens ou des avoirs dont la Cour a ordonné la
confiscation, sans préjudice des droits des tiers de bonne foi.
3. Les biens, ou le produit de la vente de biens immobiliers ou, le cas échéant, d’autres biens, obtenus par un
Etat Partie en exécution d’un arrêt de la Cour sont transférés à la Cour.
1.
L’obligation de coopération des Etats les lie donc aux fins de l’exécution des demandes de la
Cour relatives aux peines d’amendes et aux mesures de confiscation du produit des crimes126.
D’autre part, la Cour peut ordonner des mesures de restitution en faveur des victimes ou de
leurs ayants droits, y compris sous la forme de restitution, d’indemnisation et de
122
Article 108(3).
Article 107 du Statut: Transfèrement du condamné qui a accompli sa peine
124
Cette sous-section est très largement inspirée de l’analyse de Bruce Broomhall dans les “Directives
Broomhall”, p. 36-40.
125
Art 93(1): Les Etats Parties font droit, conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures
prévues par leur législation nationale, aux demandes d’assistance de la Cour liées à une enquête ou à des
poursuites et concernant: (…) k) l’identification, la localisation, le gel ou la saisie du produit des crimes, des
biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes, aux fins de leur confiscation éventuelle, sans
préjudice des droits des tiers de bonne foi.
126
La règle 217 (“Coopération et mesures aux fins de l’exécution des peines d’amende, des mesures de
confiscation ou des ordonnances de réparation”) vient renforcer l’obligation des Etats dans les termes suivants:
“Aux fins de l’exécution des peines d’amende, des mesures de confiscation ou des ordonnances de réparation, la
Présidence sollicite, selon le cas, une coopération et des mesures d’exécution conformément aux dispositions du
Chapitre IX; elle communique copie des décisions pertinentes à tout Etat avec lequel la personne condamnée
semble avoir un lien direct en raison de sa nationalité, de son domicile, de sa résidence habituelle ou du lieu de
ses avoirs et de ses biens, ou avec lequel la victime a un lien de ce type. La Présidence, selon qu’il convient,
informe l’Etat de toute demande présentée par un tiers ou du fait que les personnes qui ont reçu notification de
procédures conduites en application de l’article 75 n’ont présenté aucune demande”.
123
65
réhabilitation, dans les conditions définies par l’article 75127. L’article 79 prévoit la création
d’un fonds au profit des victimes et de leurs familles et la Cour peut donc ordonner aux Etats
Parties que le produit des amendes et des biens confisqués soit versé au fonds128. Les Etats
Parties sont alors tenus d’appliquer les décisions prises par la Cour en la matière.
•
Prévoir des procédures nationales permettant l’exécution des demandes de la Cour
Exécution des ordonnances d’amende, de confiscation et de réparation
En obligeant les Etats Parties à donner effet aux peines d’amendes et aux mesures de
confiscation ordonnées par la CPI, l’article 109 présume que les Etats disposeront de lois et
procédures leur permettant de recouvrir les amendes et les confiscations ordonnées en vertu
du Chapitre VII du Statut ainsi que d’exécuter des ordonnances de réparation. Le Statut
prévoit que les Etats Parties doivent donner effet à ce type d’ordonnances “conformément à la
procédure prévue par leur législation interne”129.
Les Etats doivent donc mettre en place des procédure nationales leur permettant d’exécuter
les ordonnances de la Cour. Les droits des tiers de bonne foi doivent être protégés. Les
décisions de la Cour rendues directement contre une personne condamnée doivent être
respectées en matière de :
- détermination de l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causés aux
victimes ou à leurs ayants droit,
- ordonnance indiquant les formes de réparation appropriées (restitution, indemnisation,
réhabilitation130)
Le droit national devrait donc permettre de répondre aux demandes de coopération relatives à
toutes les formes de restitution, indemnisation, réhabilitation prévues par le Statut.
Législation relative aux produits de la criminalité
De nombreuses dispositions du Statut autorise la Cour à demander ou à ordonner
l’identification, la localisation, le gel ou la saisie de produits et d’instruments liés aux
crimes131. Les Etats sont donc tenus d’adopter un régime complet leur permettant de prendre
ces mesures.
Transfert du produit de l’exécution des jugements au Fonds au profit des victimes
La Cour peut ordonner que les sommes, biens, ou produit de la vente de biens résultant de
l’exécution des jugements de la Cour, soient transférés au Fonds au profit des victimes. Les
procédures nationales doivent donc incorporer un mécanisme permettant un tel transfert au
Fonds.
127
Voire Art 75 (“Réparation en faveur des victimes”) et Règle 218 (“Ordonnances de confiscation et
réparation).
128
Article 79(2).
129
Article 109(1).
130
Voir article 75 précité.
131
Article 75(4); 57(3)(e): mesures conservatoires prises par les Etats sur demande de la Cour; Article 93(1)(k).
66
II. Le droit sénégalais
A. Exécution des peines d’emprisonnement
Si le Sénégal déclare consentir à recevoir des personnes condamnées par la CPI, il sera alors
tenu par la valeur obligatoire des peines prononcées par la Cour et tenu de mettre ses lois en
conformité avec les “règles conventionnelles internationales largement acceptées en matière
de traitement des détenus”.
• Valeur obligatoire des peines prononcées par la CPI
Compte tenu des lacunes existantes en droit sénégalais au regard de la spécificité du Statut en
matière d’exécution des peines, il est essentiel que des dispositions relatives à l’exécution de
la peine d’une personne condamnée par la CPI soient incorporées dans le Code de Procédure
Pénale. En ce qui concerne, par exemple, la libération conditionnelle du prisonnier, le recours
à la procédure des articles 699 et 700 du Code de Procédure Pénale serait problématique
lorsque la personne a été condamnée par la CPI132. En effet, il découle de l’article 699, qu’un
prisonnier condamné à l’emprisonnement à perpétuité pourrait bénéficier d’une libération
conditionnelle au bout de quinze ans d’emprisonnement si celui ci a donné des preuves
suffisantes de bonnes conduite. Or, l’article 110 du Statut de Rome prévoit que l’Etat chargé
de l’exécution de la peine ne peut libérer la personne détenue avant la fin de la peine
prononcée par la Cour et que seule la Cour a le droit de prononcer une réduction de peine133.
Par conséquent, il semble nécessaire de mettre en place un régime distinct en matière
d’exécution des peines des personnes condamnées par la CPI.
Cependant, compte tenu du fait que la décision d’accorder la libération conditionnelle
appartient au Ministre de la Justice, il est aussi possible d’envisager une procédure selon
laquelle, lorsque le Ministre est saisi d’une demande de libération conditionnelle relative à
une personne condamnée par la CPI, il saisit la Cour conformément aux articles 110 et 103(2)
du Statut. Cependant, d’autres dispositions sont susceptibles de poser problème notamment
les articles 739 à 754 du Code de Procédure Pénale relatifs à la réhabilitation.
Une formule reprenant le modèle suisse apparaît en l’espèce adaptée dans la mesure où
certaines procédures nationales sont utilisées comme telles (à titre d’entraide en ce qui
concerne les mesures conservatoires) mais la procédure finale (notamment en matière de
confiscation) est une procédure distincte et spécifique à la CPI, qui garantit que l’exécution
soit conforme aux conditions du Statut. Cependant, dans l’hypothèse où une disposition de ce
type serait introduite dans le droit interne, il sera nécessaire de déterminer si certaines
dispositions du Code de Procédure Pénale restent applicables à l’exécution des peines de la
CPI. Les dispositions relatives à l’exécution des sentences pénales devraient notamment
132
Art 699 CPP: 1. Les condamnés ayant à servir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent
bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite et présentent
des gages sérieux de réadaptation sociale.
2. La libération conditionnelle est réservée aux condamnés ayant accompli trois mois de leur peine, si cette
peine est inférieure à six mois, et la moitié de la peine dans le cas contraire (…). Pour les condamnés aux
travaux forcés à perpétuité, le temps d’épreuve est de 15 années.
Art 700 CPP: Le droit d’accorder la libération conditionnelle appartient au ministre chargé de l’administration
pénitentiaire. L’avis conforme du ministre de la justice est nécessairement requis lorsqu' il n'est pas chargé de ce
service (...).
133
Article 105 et 110 du Statut.
67
s’appliquer aux sentences prononcées par la CPI134. Il appartient à cet égard de prévoir une
procédure visant à conférer directement aux sentences de la CPI la même force exécutoire
qu’aux sentences pénales nationales. On pourrait notamment discuter de la transposition, aux
décisions de la CPI, de la procédure prévue par les accords d’entraide judiciaire pour
l’exécution des décisions de justice rendues à l’étranger.
De plus, il est également souhaitable que les dispositions relatives à l’exécution des peines
prononcées par la CPI prévoient la libération et le transfèrement des personnes à l’expiration
de leur peine ou sur ordre de la Cour. Les peines et poursuites relatives à d’autres infractions
devraient faire l’objet de limitations. Il pourrait être également envisagé de prévoir la
procédure à suivre en cas d’évasion d’un détenu condamné par la CPI. La possibilité pour une
personne libérée suite à l’exécution de sa peine de pouvoir rester sur le territoire de l’Etat
d’exécution dans les conditions prévues par le Statut devrait également faire l’objet de
discussions et être prévue dans les mesures internes adoptées dans le cadre de l’exécution des
peines d’emprisonnement.
• Conditions de détention
Les conditions de détention sont régies par la législation nationale de l’Etat d’exécution si
celui-ci accepte de recevoir une personne condamnée par la Cour. Cependant, en vertu de
l’article 106 précité, le Sénégal doit s’assurer que sa législation permet à la Cour d’avoir
accès aux lieux où les personnes condamnées purgent leur peine, et que toutes les
communications entre celles-ci et la Cour sont libres et confidentielles en toutes
circonstances. Les normes relatives aux conditions de détention semblent conformes aux
exigences du Statut135.
B. Exécution des peines d’amende, ordonnance de confiscation et réparations
Les procédures applicables en matière de recouvrement des amendes, confiscation de biens et
réparations en vertu du Code Pénal sont les suivantes:
• Amende et réparations
L’amende est susceptible d’être imposée en matière criminelle aux termes de l’article 11 du
Code Pénal. Les réparations sont prononcées indépendamment des peines136. Aux termes de
l’article 715 du CPP:
134
Art 679 CPP: L’exécution à la requête du ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive(..)
Art 680 CPP: Le procureur de la République et le Procureur général ont le droit de requérir directement
l’assistance de la force publique à l’effet d’assurer cette exécution.
Art 681 CPP: Sous réserve des dispositions de l’article 355, tous incidents contentieux relatifs à l’exécution sont
portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence (…).
Art 685 CPP: La mise à exécution des décisions judiciaires prononçant une peine privative de liberté ou
ordonnant une incarcération provisoire, la garde et l’entretien des personnes qui, dans les cas déterminés par la
loi, doivent être placées ou maintenues en détention en vertu ou à la suite de décisions de justice sont assurés par
l’administration pénitentiaire.
135
Les règles sénégalaises en la matière figurent à l’Annexe II du Code Pénal: Décret no. 66-1081 du 31
décembre 1966 portant organisation et régime des établissements pénitentiaires modifié et complété par le
décret no. 68-583 du 28 mai 1968 et le décret no. 86-1466 du 28 novembre 1986
136
Art 10 Code Pénal: [Restitution]
La condamnation aux peines établies par la loi est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et
dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties.
68
« Les arrêts et jugements contenant des condamnations en faveur des particuliers pour réparation de crimes,
délits ou contraventions commis à leur préjudice sont, à leur diligence, exécutés suivant les mêmes formes et
voies de contrainte que les jugements ou arrêts portant condamnation au profit de l’Etat. »
L’exécution des amendes et ordonnances de réparations peut être poursuivi par la contrainte
par corps137. Le seul aménagement à prévoir en la matière consisterait donc à assurer
l’exécution d’une demande de réparation émanant de la CPI, et non d’une juridiction
nationale.
• Confiscation
L’article 11 du Code Pénal prévoit que la confiscation peut être prononcée comme peine en
matière criminelle. L’objet de la confiscation est soit le corps du délit, quand la propriété en
appartient au condamné, soit les choses produites par le délit ou encore celles qui ont servi ou
qui ont été destinées à le commettre138.
La confiscation peut être prononcée par les juridictions sénégalaises pour certains crimes et
donc exécutée selon les voies d’exécution pénales ordinaires. L’article 30 du Code Pénal, qui
impose la prononciation d’une peine de confiscation pour un certain nombre d’infractions
particulières, dispose que “les juridictions compétentes pourront prononcer la confiscation au
profit de la Nation de tous les biens présents du condamné de quelque nature qu’ils soient,
meubles, immeubles, divis ou indivis”. La procédure de confiscation est prévue dans les
articles 31 et 32 aux termes desquels “l’aliénation des biens confisqués est poursuivie par
l’administration des domaines dans les formes prescrites pour la vente des biens de l’Etat”139.
Les tiers ayant des prétentions sur les objets confisqués peuvent faire une requête à des fins
de restitution140.
Bien que le Code de Procédure Pénale prévoit une procédure de confiscation, certaines
adaptations sont nécessaires afin que cette procédure puisse être applicable aux ordonnances
de confiscation de la Cour pénale internationale. Ces ordonnances doivent se voir conférer
force exécutoire en droit interne afin de pouvoir être exécutées comme les peines de
confiscation prononcées par le juge sénégalais en vertu de l’article 11 du Code Pénal. Il ne
faut pas non plus oublier de prévoir que le produit des biens et valeurs confisqués doit
pouvoir être ensuite transféré à la Cour ou au Fonds au profit des victimes. La procédure
pourrait d’ailleurs s’inspirer de celle prévue en matière d’extradition par l’article 29 de la loi
n°71-77 du 28 décembre 1971141. La mise en place d’une procédure sur ce modèle devrait
137
Art 39 du Code Pénal:
L’exécution des condamnations à l’amende, aux restitutions, aux dommages-intérêts et aux frais, pourra être
poursuivis par la voie de la contrainte par corps.
138
Art 11 du Code Pénal: [amende, confiscation des biens d’origine criminelle]
L’interdiction de séjour, l’amende et la confiscation spéciale, soit du corps du délit, quand la propriété en
appartient au condamné, soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi ou qui ont été destinées
à le commettre, sont des peines communes aux matières criminelles et correctionnelles.
139
Art 32(1) du Code Pénal.
140
Art 347(2) CPP: Lorsque la décision de la Cour d’assises est devenue définitive, la chambre d’accusation est
compétente pour ordonner, s’il y a lieu, la restitution des objets placés sous la main de la justice. Elle statue sur
requête de toute personne qui prétend avoir droit sur l’objet ou à la demande du ministère public.
141
Art. 29 de la loi sur l’extradition: La Chambre d’accusation décide s’il y a lieu ou non de transmettre en tout
ou en partie, les titres, valeurs, argent ou autres objets saisis, au Gouvernement requérant.
Cette remise peut avoir lieu, même si l’extradition ne peut s’accomplir, par suite d’évasion ou la mort de
l’individu réclamé. La Chambre d’accusation ordonne la restitution des papiers et autres objets énumérés ci-
69
également permettre au Sénégal d’affecter les sommes, valeurs et biens confisqués dans le
cadre de poursuites et condamnation de la CPI au Fonds crée par l’article 79 du Statut de
Rome.
•
Exécution des ordonnances de condamnation à des amendes, restitutions, dommages
et intérêts
Les autorités compétentes en matière d’exécution des sentences sont le Ministère Public, les
parties pour les réparations, et le Trésor pour le recouvrement des amendes et
confiscations142. La voie d’exécution est la contrainte par corps à la diligence du Procureur de
la République aux termes de l’article 709 du Code de Procédure Pénale:
Art 709 CPP: [Contrainte par corps]
Les arrêts, jugements, ordonnances et exécutoires portant condamnation au profit de l’Etat à des amendes,
restitutions, dommages et intérêts et dépens en matière criminelle, correctionnelle et de simple police sont
exécutés d’office par la voie de la contrainte par corps, sans commandement préalable, à la diligence du
Procureur de la République qui délivre en double exemplaire les réquisitions d’incarcération tout comme
condamné qui n’aura pas payé volontairement dans les conditions fixées à l’article 711. (…)
Par conséquent, dès lors qu’une condamnation ou une ordonnance de la Cour a force
exécutoire en droit sénégalais, celle-ci pourra être exécuté par la voie de la contrainte par
corps si le Procureur de la République le décide. Cependant, il faut noter que la contrainte par
corps ne peut jamais être appliquée ni en matière d’infraction politique, ni contre des
condamnés mineurs de moins de 18 ans, ni contre ceux qui ont commencé le soixante
dixième année au moment de la condamnation, ce qui est susceptible de poser problème dans
le cas de condamnation de personnes de plus de 70 ans par la CPI143. Enfin, la contrainte par
corps intervient dans un délai de trois mois à compter du jour où la décision est devenue
définitive si la partie condamnée ne s’est pas acquittée de sa dette144.
Au regard des éléments du régime juridique applicable en droit sénégalais à l’exécution des
peines d’amende et des mesures de confiscation et réparation, il apparaît donc essentiel que,
quelle que soit la stratégie de mise en oeuvre retenue, le Sénégal révise le Code Pénal, le
Code de Procédure Pénale et/ou les lois et procédures en vigueur afin d’être en mesure de
coopérer pleinement et rapidement avec la Cour pour faire exécuter les peines d’amende et
les mesures de confiscation.
III. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
¾ Canada
La loi canadienne criminalise la possession de biens d’origine criminelle ainsi que le
recyclage des produits de la criminalité, obtenus ou provenant, en tout ou en partie,
directement ou indirectement, d’un fait, acte ou omission, constituant un des crimes du Statut
de Rome. Ces infractions sont punies d’une peine maximale de 10 ans. Le recyclage des
produits de la criminalité comprend l’utilisation, l’envoi, la livraison à une personne ou un
endroit, le transport, la transmission, la modification ou l’aliénation des biens ou de leur
produit, le transfert de leur possession ou toutes autres opérations effectuées dans l’intention
dessus qui ne rapporte pas au fait imputé à l’étranger. Elle statue, le cas échéant, sur les réclamations des tiers
détenteurs et autres ayant droits.
142
Art 678 CPP.
143
Art 711 CPP.
144
Art 712 et 717 du CPP.
70
de cacher ou de convertir les biens ou produit des biens145. Les produits de la criminalité sont
ceux définis comme tels par le code criminel canadien146. La loi canadienne crée un fonds
national pour les crimes contre l’humanité où sont versées les sommes recueillies par suite de
l’exécution des ordonnances de la CPI au Canada ou de confiscation ou d’amendes. Ces
sommes peuvent être versées au fonds institué en vertu de l’article 79 du Statut de Rome147.
Les demandes de gel ou de saisie de biens d’origine criminelle sont présentées au ministre
qui peut autoriser le procureur général à prendre les mesures d’exécution de l’ordonnance
(procédure d’homologation sur dépôt de l’ordonnance puis exécution de l’ordonnance comme
un mandat national148. La même procédure est applicable pour l’exécution des ordonnances
de réparation ou de confiscation ou d’une ordonnance infligeant une amende149. Une fois
homologuée, l’ordonnance de la Cour a force exécutoire et peut être exécutée selon la
procédure nationale correspondante. Les personnes qui semblent avoir un droit sur les biens
visés sont avisées de la procédure en cours préalablement à l’exécution de l’ordonnance. Le
produit de l’exécution des ordonnances est versé au Fonds pour les crimes contre l’humanité.
¾ Suisse
• Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 50-53
• Exécution des ordonnances de confiscation, réparations et amendes : Art. 38 et 55.
¾ Afrique du Sud
• Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 31
• Exécution des peines d’amende et ordonnances de confiscation, réparation : Art. 25 à 29
¾ Nouvelle Zélande
• Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 139-146
• Exécution des peines d’amende et ordonnances de confiscation, réparation : Art. 111,
112, 124-126 , 132 et 135.
¾ Royaume Uni
• Exécution des peines d’emprisonnement : Art. 42-45
• Exécution des peines d’amende et ordonnances de confiscation, réparation : Articles 37 et
38, et dans les annexes 5 et 6 du projet de loi
145
Biens d’origine criminelle: article 27 et 28.
Article 29 de la loi: (1) les définitions de “juge” et de “produits de la criminalité” à l’article 462.3 du Code
criminel et les articles 462.32 à 462.5 de cette loi s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux poursuites
engagées à l’égard des infractions visées à la présente loi.
(2) Pour l’application du paragraphe (1), la mention, aux articles 462.32 à 462.47 du Code criminel, d’une
infraction de criminalité organisée vaut également mention d’une infraction visée à la présente loi.
147
Fonds pour les crimes contre l’humanité: Articles 30-32.
148
Art 57 portant modification de l’article 9 de la loi sur l’entraide juridique en matière criminelle dans les
terme suivants: 9.1: 1. Lorsqu’une demande est présentée au ministre par la Cour pénale internationale en vue de
l’exécution d’une ordonnance de blocage ou de saisie des biens d’origine criminelle, celui ci peut autoriser le
procureur général du Canada à prendre les mesures d’exécution de l’ordonnance.
2. Lorsqu’il reçoit une autorisation, le procureur général du Canada peut homologuer sur dépôt une copie
certifiée conforme de l’ordonnance au greffe de la cour supérieure de juridiction criminelle de la province dans
laquelle on a des raisons de croire que les biens qui font l’objet de l’ordonnance sont situés.
3. Une fois homologuée, l’ordonnance est exécutée comme si elle était un mandat décerné en vertu du
paragraphe 462.32(1) du code criminel ou comme si elle avait été rendue en vertu du paragraphe 462.33(3) de
cette loi.
149
Art 57 portant modification de l’article 9 de la loi sur l’entraide juridique en matière criminelle.
146
71
RECAPITULATIF: Exécution des peines de la CPI
STATUT DE ROME
Exécution des peines d’emprisonnement
• Art 103(1): Seuls les Etats qui ont volontairement déclaré à la Cour leur volonté d’accepter les
personnes condamnées sont tenus par les obligations prévues par le Statut en la matière:
-
La valeur obligatoire des peines et des conditions d’exécution des peines,
Le respect des règles conventionnelles internationales relatives aux conditions de détention.
La coopération avec la Cour au cours de la détention (communications confidentielles, visites,
transfert vers un autre Etat) et la limitation des poursuites et possibilité de rester sur territoire de
l’Etat à l’issue de l’exécution de la peine.
Exécution des peines d’amendes et des ordonnances de confiscation et réparation
• Art 109: Les Etats doivent disposer de procédures nationales leur permettant de faire exécuter les
peines d’amende et les mesures de confiscation ordonnées par la Cour:
- Conformément à la procédure prévue par leur législation interne (obligation de mettre en place une
procédure),
- Sans préjudice des droits des tiers de bonne foi.
•
Art 93(1): Les Etats doivent disposer de procédures nationales leur permettant d’exécuter les
demandes de coopération de la Cour relatives à l’identification, la localisation, le gel ou la saisie
des produits des crimes, des biens, des avoirs et des instruments qui sont liés aux crimes
conformément aux dispositions du Statut et aux procédures prévues par leur législation nationale.
•
Art 75(2): Les Etats sont tenus de mettre en place une procédure nationale leur permettant
d’exécuter les ordonnances de la Cour relative aux réparations accordées aux victimes, et de
prévoir la possibilité d’un transfert au Fonds en faveur des victimes (art 79).
DROIT SENEGALAIS
1. Exécution des peines d’emprisonnement
•
-
Valeur obligatoire des peines prononcées par la CPI
Il est essentiel que des dispositions relatives à l’exécution de la peine d’une personne condamnée
par la CPI soient incorporées dans le Code de Procédure Pénale.
-
Il est également souhaitable que les dispositions relatives à l’exécution des peines prononcées par
la CPI prévoient la libération et le transfèrement des personnes à l’expiration de leur peine ou sur
ordre de la Cour. Il pourrait être également envisagé de prévoir la procédure à suivre en cas
d’évasion d’un détenu condamné par la CPI.
• Conditions de détention
Les conditions de détention sont régies par la législation nationale de l’Etat d’exécution, donc du
Sénégal lorsque celui-ci accepte de recevoir une personne condamnée par la Cour. Les conditions de
détention au Sénégal semblent conformes au Statut et aux autres aux normes internationales
applicables.
2. Exécution des peines d’amende, ordonnance de confiscation et réparations
• Amende et réparations : L’amende est susceptible d’être imposée en matière criminelle aux
72
termes de l’article 11 du Code Pénal. Les réparations sont prononcées indépendamment des
peines d’emprisonnement. La procédure existante devrait être aménagée pour permettre
l’exécution d’amendes ou réparations ordonnées par la CPI.
• Confiscation : L’article 11 du Code Pénal prévoit que la confiscation peut être prononcée comme
peine en matière criminelle. Certaines adaptations sont nécessaires afin que les procédures de
confiscation puissent être applicables aux ordonnances de confiscation de la CPI. Ces
ordonnances doivent se voir conférer force exécutoire en droit interne afin de pouvoir être
exécutées comme les peines de confiscation prononcées par le juge sénégalais.
• Exécution des ordonnances de condamnation à des amendes, restitutions, dommages et
intérêts de la CPI : La voie d’exécution figurant aux articles 678 à 684 du CPP et le recours à la
contrainte par corps en vertu de l’article 709 du CPP devraient être rendus applicables à
l’exécution des ordonnances de la CPI.
SOLUTIONS RETENUES PAR D’AUTRES ETATS PARTIES
1.
-
Trois options de mise en œuvre
modifier le régime juridique existant OU
créer un régime distinct spécifique à la CPI OU
modifier partiellement le régime juridique existant et incorporer des dispositions spécifiques
2. Saisies et confiscations
¾ Première option: Application des dispositions nationales relatives aux saisies et confiscation et
mécanisme conférant directement force exécutoire aux ordonnances de la CPI en matière de
saisies et confiscations.
•
Canada: Art 27-39 et amendements corrélatifs aux lois nationales pour permettre l’application du
régime juridique général prévu par le droit interne. Les articles 9.1 et 9.2 confère force exécutoire
aux ordonnances.
¾ Seconde option: Mise en place d’un régime distinct spécifique à l’exécution des saisies et
confiscations demandées par la CPI.
•
•
Suisse: Art 28 et 38: Application du droit national en matière de saisie et régime distinct de
confiscation et affectation au Fonds au profit des victimes.
Nouvelle Zélande: Les articles 111 et 112 prévoient l’application du droit national en matière de
saisie; les articles 126 à 130 mette en place un régime distinct en matière de confiscation; L’article
131 permet de substituer le versement d’une somme d’argent à la confiscation et les articles 132 à
135 protège les droits des tiers.
¾ Troisième option: Application des procédures nationales de saisie et gel et procédure permettant
l’exécution directe des ordonnances liant les autorités nationales
•
•
Royaume Uni: Article 37 et annexe 5: pouvoirs d’enquêtes, Article 38 et annexe 6: gel et saisie;
Article 49: force exécutoire des ordonnances de la Cour.
Projet de loi sud africain: Articles 25-29
3. Exécution des peines d’amende et ordonnance de réparation
•
•
Royaume Uni et Canada: dispositions conférant force exécutoire aux ordonnances de la Cour
Nouvelle Zélande: régime distinct pour l’exécution des peines d’amende (Art 125) et des
ordonnances de réparation (Art 124, applicable aux ordonnances de réparations non pécuniaires).
73
SECTION 6:
Atteintes à l’administration de la justice
I.
Article 70 du Statut de Rome
• L’article 70 et les règles du Règlement de Procédure de Preuve
En vertu de l’article 70(1), la Cour a compétence pour connaître de six atteintes à
l’administration de la justice, lorsqu’elles sont commises intentionnellement (art 70(1)).
1.
a)
c)
d)
e)
f)
Article 70(1)
La Cour a compétence pour connaître des atteintes suivantes à son administration de la justice lorsqu’elles
sont commises intentionnellement:
Faux témoignage d’une personne qui a pris l’engagement de dire la vérité en application de l’article 69,
paragraphe 1;
b) Production d’éléments de preuve faux ou falsifiés en connaissance de cause;
Subornation de témoin, manœuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de déposer librement,
représailles exercées contre un témoin en raison de sa déposition, destruction ou falsification d’éléments de
preuve, ou entrave au rassemblement de tels éléments;
Intimidation d’un membre ou agent de la Cour, entrave à son action ou trafic d’influence afin de l’amener,
par la contrainte ou la persuasion, à ne pas exercer ses fonctions ou à ne pas les exercer comme il
convient;
Représailles contre un membre ou un agent de la Cour en raison des fonctions exercées par celui-ci ou par
un autre membre ou agent;
Sollicitation ou acceptation d’une rétribution illégale par un membre ou un agent de la Cour dans le cadre
de ses fonctions officielles.
La Cour décide d’exercer sa compétence au regard des facteurs prévus par la Règle 162 du
Règlement de procédure et de preuve et peut consulter les Etats Parties qui ont compétence
pour connaître des infractions150. La Cour considère notamment les demandes de l’Etat hôte
lorsque celui-ci estime particulièrement important que la Cour renonce à exercer sa
compétence. De plus si la Cour décide de ne pas exercer sa compétence en la matière, elle
peut demander à un Etat partie d’exercer lui même sa compétence151.
Les modalités de la coopération internationale avec la Cour pour la mise en oeuvre de
l’article 70 sont “régies par la législation nationale de l’Etat requis” conformément aux
procédures de la CPI152. Le Statut prévoit les principes, procédures et pouvoirs de la Cour
150
Règle 162 RPP: 1. Avant de décider d’exercer ou non sa compétence, la Cour peut consulter des Etats Parties
qui peuvent avoir compétence pour connaître de l’infraction.
2. Lorsqu’elle décide d’exercer ou non sa compétence, la Cour prend notamment en considération:
a) La disponibilité et l’efficacité des moyens de poursuite dans l’Etat partie;
b) La gravité de l’atteinte commise;
c) La possibilité de joindre les charges visées à l’article 70 avec celles qui sont visées aux articles 5 à 8;
d) La nécessité de diligenter la procédure;
e) Les liens avec une enquête en cours ou un procès porté devant la Cour; et
f) Les questions relatives à l’administration de la preuve (…).
151
Art 70(4)(b) et Règle 162(3) et (4)
152
Art 70(2): voir note ci-après et Règle 167 RPP: “En cas d’atteinte définie à l’article 70, la Cour peut solliciter
la coopération et l’assistance judiciaire d’un Etat sous l’une des formes que prévoit le Chapitre IX. Elle indique
alors qu’elle agit au titre d’une enquête ou de poursuites concernant une telle atteinte. (…)”.
74
pour juger ces atteintes153 et les condamner à une peine d’emprisonnement ou à une
amende154 mais la Cour peut aussi demander aux Etats d’y procéder, dans quel cas:
a) Les Etats Parties étendent les dispositions de leur droit pénal qui répriment les atteintes à l’intégrité de
leurs procédures d’enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes à l’administration de la justice
en vertu du présent article commises sur leur territoire, ou par l’un de leurs ressortissants;
b) A la demande de la Cour, un Etat Partie saisit ses autorités compétentes aux fins de poursuites chaque
fois qu’il le juge approprié. Ces autorités traitent les dossiers dont il s’agit avec diligence, en y
consacrant les moyens nécessaires à une action efficace155.
L’obligation de coopérer avec la Cour comprend celle de disposer de lois nationales
permettant de poursuivre, condamner et coopérer dans la poursuite et la condamnation des six
atteintes à l’administration de la justice, en application de l’article 70(1), lorsqu’elles sont
commises intentionnellement156.
•
Les Etats parties sont tenus d’étendre les dispositions de leur droit pénal relatives
aux atteintes à l’administration de la justice aux atteintes prévues par l’article 70(1)
du Statut lorsque ces dernières ont été commises sur leur territoire, ou par l’un de
leurs ressortissants.
Différentes options sont envisageables157. La plupart des Etats Parties disposent de lois
sanctionnant les atteintes à l’administration de la justice dans le cadre des procédures
judiciaires nationales. Lorsque ces atteintes sont proscrites en vertu du Code Pénal, il suffirait
d’amender ces dispositions et d’ajouter un alinéa précisant qu’elles sont étendues aux
personnes impliquées dans des procédures devant la CPI, que ces personnes soient des
ressortissants de l’Etat ou que les atteintes aient été commises sur le territoire de l’Etat. Ces
personnes peuvent être aussi bien des accusés que des victimes appelées à comparaître devant
la CPI ou devant des agents de la CPI. De plus, les Etats Parties doivent s’assurer que les
dispositions de leur droit interne couvrent toutes les atteintes énoncées à l’article 70(1). Le
moyen le plus simple de s’assurer qu’aucune atteinte n’a été omise est de reproduire la
formulation du Statut de Rome.
L’Etat Partie est tenu de punir ces infractions lorsqu’elles sont commises par des nationaux
ou des non nationaux sur son propre territoire et il doit également les punir lorsqu’elles sont
commises par ses nationaux sur les lieux occupés par la CPI ou à tout autre endroit à
l’extérieur de son territoire. Dans ce dernier cas, l’endroit où l’infraction a été commise
n’importe pas. Par conséquent, la disposition applicable aux atteintes à l’administration de la
justice dans le cadre d’une procédure de la CPI doit avoir une application territoriale et extraterritoriale. Le Statut ne précise pas les peines maximales ou minimales qu’un Etat peut
imposer dans le cadre des poursuites à l’égard de ces infractions. Cependant, comme le
153
Art 70(2): Les principes et les procédures régissant l’exercice par la Cour de sa compétence à l’égard des
atteintes à l’administration de la justice en vertu du présent article sont énoncés dans le Règlement de procédure
et de preuve. Les modalités de la coopération internationale avec la Cour dans la mise en oeuvre des dispositions
du présent article sont régies par la législation nationale de l’Etat requis.
154
Art 70(3): En cas de condamnation, la Cour peut imposer une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder
cinq années, ou une amende prévue dans le Règlement de procédure et de preuve, ou les deux.
155
Art 70(4).
156
“Directives Broomhall”, p. 34.
157
Ces différentes options sont présentées par le Manuel canadien, p.18-22.
75
stipule l’article 70(3), une peine maximale de 5 ans constituerait une norme valable pour ce
type d’infractions158.
Enfin la troisième option de mise en oeuvre consiste à adopter une législation spécifique
concernant les atteintes à l’administration de la justice énoncées à l’article 70, ou à inclure
celles ci dans une loi relative à la mise en oeuvre du Statut de Rome en droit interne. Le
gouvernement canadien a adopté cette dernière approche en incorporant dans la loi de mise
en oeuvre des dispositions portant création de nouvelles infractions réprimant ces atteintes au
Canada et, en dehors du Canada, lorsqu’elles sont commises par des citoyens canadiens,
conformément au Statut de Rome.
•
Les Etats Parties sont tenus de saisir les autorités nationales compétentes si la CPI
demande à un Etat d’exercer sa compétence en la matière. Celles-ci doivent “traiter
les dossiers dont il s’agit avec diligence, en y consacrant les moyens nécessaires à une
action efficace”.
Afin de s’acquitter de cette obligation, les Etats doivent au préalable s’assurer que les
tribunaux nationaux ont compétence pour connaître des atteintes prévues à l’article 70 du
Statut. Chaque Etat devrait donc envisager une formule selon laquelle les atteintes à
l’administration de la justice devant la CPI sont ajoutées à la liste des atteintes pour lesquelles
le tribunal en question est autorisé à exercer sa compétence.
•
Les Etats Parties doivent coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et les
poursuites que la Cour mène à l’égard de ces infractions, conformément aux article
70(2) et 86 et au droit interne de l’Etat.
RECAPITULATIF : Article 70
1. L’article 70 (1) énumère six atteintes à l’administration de la justice. La CPI est compétente pour
connaître de ces atteintes lorsqu’elles sont commises intentionnellement mais elle peut aussi
demander à un Etat d’exercer sa compétence en la matière lorsqu’une atteinte de ce type a été
commise sur son territoire ou par un de ses ressortissants.
2. Les Etats ont l’obligation de prévoir que les juridictions nationales ont compétence pour connaître
de ces atteintes.
3. Ces atteintes doivent être prévues dans le Code Pénal ou dans une loi spécifique dans des termes
couvrant toutes les atteintes visées dans l’article 70(1) du Statut.
4. Cette disposition doit être d’application territoriale et extra-territoriale et permettre la poursuite de
ressortissants comme de non ressortissants ayant commis une telle atteinte sur le territoire
national.
II.
Mise en oeuvre de l’article 70 du Statut en droit sénégalais
158
Les Etats peuvent bien entendu prévoir des peines variant en fonction du type d’infraction commise et de son
degré de gravité.
76
Le Code Pénal sénégalais prévoit un certain nombre d’atteintes à l’administration de la
justice au niveau national. Le faux témoignage, la subornation de témoins et la corruption de
témoins et magistrats sont réprimés par le Code Pénal dans les termes suivants:
Dispositions de
l’article 70(1):
[atteintes commises
intentionnellement]
Faux témoignage
(d’une personne qui a
pris l’engagement de
dire la vérité)
Dispositions du Code Pénal sénégalais
Art 355 Code Pénal
Quiconque sera coupable de faux témoignage en matière criminelle
soit contre l’accusé, soit en sa faveur, sera puni de la peine des travaux
forcés à temps de cinq à dix ans.
Si néanmoins l’accusé a été condamné à une plus forte peine que celle
des travaux forcés à temps de cinq à dix ans, le faux témoin qui a
déposé contre lui subira la même peine.
Production d’éléments
de preuves faux ou
falsifiés en
connaissance de cause
Subornation de
témoins, manœuvres
visant à empêcher un
témoin de comparaître
ou de déposer
librement, représailles
exercées contre un
témoin en raison de sa
déposition, destruction
ou falsification
d’éléments de preuve,
ou entrave au
rassemblement de tels
éléments
Intimidation d’un
membre ou agent de la
Cour, entrave à son
action ou trafic
d’influence afin de
l’amener, par la
contrainte ou la
Néant
Art 199 Code Pénal
Sera puni des peines prévues à l’article 198 [un à six mois
d’emprisonnement et/ou 20.000 à 100.000 francs d’amende],
quiconque aura publié, avant l’intervention de la décision
juridictionnelle définitive, des commentaires tendant à exercer des
pressions sur les déclarations des témoins ou sur la décision des
juridictions d’instruction ou de jugement (…).
Art 358 Code Pénal
(1) Le faux témoin en matière criminelle, qui aura reçu de l’argent, une
récompense quelconque ou des promesses, sera puni des travaux forcés
à temps de dix à vingt ans. (…)
Article 359 Code Pénal
Quiconque, soit au cours d’une procédure et en tout état de cause, soit
en toute matière en vue d’une demande ou d’une défense en justice,
aura usé de promesses, offres ou présents, de pressions, menaces, voies
de fait, manœuvres ou artifices pour déterminer autrui à faire ou
délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère,
sera, que cette subordination, ait ou non produit son effet, puni d’en
emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 50.000 à 500.000
francs ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice des
peines plus fortes prévues aux articles précédents, s’il est complice
d’un faux témoignage qualifié crime ou délit.
Article 195 Code Pénal
L’outrage fait par gestes ou menaces ou par envoi d’objets
quelconques dans la même intention, et visant un magistrat ou un juré,
dans l’exercice de ses fonctions, sera puni d’un mois à six mois
d’emprisonnement; et si l’outrage a lieu à l’audience d’une Cour ou
d’un Tribunal, il sera puni d’un emprisonnement d’un mois à deux ans.
Article 200 Code Pénal
77
persuasion, à ne pas
exercer ses fonctions ou
à ne pas les exercer
comme il convient
Violences ou voies de fait contre un magistrat: 2 à 5 ans
d’emprisonnement.
Article 199 Code Pénal précité
Représailles contre un
membre ou agent de la
Cour en raison des
fonctions exercées par
celui-ci ou par un
membre ou agent;
Sollicitation ou
acceptation d’une
rétribution illégale par
un membre ou un agent
de la Cour dans le cadre
de ses fonctions
officielles
Néant
Article 159 Code Pénal: Corruption
1. Sera puni d’un emprisonnement de deux à dix ans et d’une amende
double de la valeur des promesses agrées ou des choses reçues ou
demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à
150.000 francs, quiconque aura sollicité ou agrée des offres ou
promesses, sollicité ou reçu des dons ou présents pour:
1) Etant (…) fonctionnaire public de l’ordre administratif ou
judiciaire (…) faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou
de son emploi, juste ou non, mais non sujet à salaire.
Plusieurs difficultés se présentent au regard de l’article 70 du Statut. D’une part, les
dispositions ci-dessus ne sont pas applicables aux atteintes commises dans le cadre d’une
procédure de la CPI: elles sont applicables uniquement dans le cadre d’atteinte à
l’administration de la justice devant les juridictions nationales.
D’autre part, ces dispositions ne couvrent pas toutes les infractions du Statut. Le faux
témoignage et la corruption de témoins ou du personnel judiciaire sont punis par le Code
Pénal. Cependant, les “manœuvres visant à empêcher un témoin de comparaître ou de
déposer librement ainsi que les “représailles” susceptibles d’être exercées contre un témoin
ou contre le personnel judiciaire, la “destruction ou falsification d’éléments de preuve” et
“l’intimidation” ne semble pas avoir de dispositions équivalentes en droit sénégalais.
Enfin, rien n’indique que les dispositions du Code Pénal s’appliquent de manière extraterritoriale. Le droit applicable aux atteintes nationales à l’administration de la justice ne
couvre donc pas en tant que telles les hypothèses relevant de l’article 70. Le Sénégal pourrait
donc à ce titre difficilement adopter le modèle britannique qui se contente de renvoyer aux
dispositions nationales correspondants à celle du Statut. Si le Sénégal souhaite adopter un tel
modèle, il sera nécessaire de réviser les dispositions nationales. L’incorporation au sein du
Code Pénal d’un titre relatif à la CPI permettrait d’y inclure une disposition relative aux
atteintes à l’administration de la justice de la CPI qui reprendrait les termes de l’article 70
mais ne s’appliquerait que pour des atteintes commises à la CPI dans l’hypothèse où la Cour
demanderait au Sénégal d’en connaître car les atteintes ont été commises sur son territoire ou
par un de ses ressortissants. La compétence des tribunaux sénégalais en la matière devrait être
explicitement prévue par les lois fixant les attributions des tribunaux. A titre d’exemple, la loi
n° 84-20 du 2 février 1984 fixant les attributions des tribunaux départementaux en matière
78
correctionnelle prévoit dans son article 2 la liste des délits réprimés par le Code Pénal dont
ont connaissance les tribunaux départementaux et contient les alinéas suivants:
faux témoignages en matière correctionnelle de la compétence des tribunaux départementaux (art 356, 357, 358
alinéa 2,3 et 4)
subordination de témoins et faux serment commis dans les procédures engagées devant le tribunal
départemental (art 359 et 360)
Afin qu’un tribunal sénégalais puisse connaître des atteintes à l’administration de la justice de
la CPI, il serait donc nécessaire d’ajouter un alinéa selon lequel ils sont compétents pour
connaître de ces atteintes lorsque celles ci ont été commises sur le territoire sénégalais ou, à
l’extérieur du territoire, par un ressortissant sénégalais.
III.
¾
¾
¾
¾
Solutions retenues par les législations d’autres Etats Parties
Canada: Articles 16-26
Afrique du Sud: Article 38
Nouvelle Zélande: Articles 14 à 23
Royaume Uni : Article 54 et 61
Au regard des dispositions ci-dessus, différentes options de mise en oeuvre sont donc
possibles. D’une part, l’adoption d’une loi sur la CPI permet d’incorporer les atteintes de
l’article 70(1) en droit national mais de telle manière à ce que ces atteintes ne soient
applicables qu’au regard d’une procédure de la CPI. Sur ce modèle, le Canada reprend donc
les différentes atteintes du Statut, les définit de manière précise et les assortit de peines. La
Nouvelle Zélande suit essentiellement le même modèle. La Grande Bretagne a, au contraire
choisit, de renvoyer à son droit interne existant et d’appliquer, par équivalence, les infractions
prévues devant les juridictions nationales à des infractions de la CPI. Enfin, le projet de loi
sud africain se contente de reprendre l’article 70 et de renvoyer au Statut. Ces différentes
options pourraient donc servir de modèle au Sénégal.
RECAPITULATIF: Mise en oeuvre de l’article 70
1. Obligations des Etats en matière de mise en oeuvre
•
•
•
Etendre les dispositions du droit pénal interne qui répriment les atteintes à l’intégrité de leurs
procédures d’enquête ou de leur système judiciaire aux atteintes commises dans le cadre des
procédures de la CPI (article 70(4)(a):
. par un ressortissant national ;
. sur le territoire national
Traiter les dossiers avec diligence en y consacrant les moyens nécessaires à une action efficace
(Article 70(4)(b)).
Coopérer pleinement avec la CPI en matière d’enquêtes et de poursuites des atteintes à
l’administration de la justice (article 70(2) et 86).
2. Options de mise en oeuvre
• Renvoi à l’article 70 dans la législation interne
• Modification des dispositions nationales existantes de manière à ce qu’elles couvrent les atteintes
à l’administration de la justice de la CPI
3. Criminalisation des atteintes à l’administration de la justice
79
• Nature des atteintes: article 70(1)
¾ Royaume Uni: article 54: renvoi aux infractions correspondantes en droit interne et liste de ces
infractions.
¾ Nouvelle Zélande: article 15-21: mise en place de nouvelles infractions similaires à celles du Code
Pénal.
¾ Canada: Art 16-23: mise en place de nouvelles infractions similaires à celles du Code Pénal.
• Représailles
¾ Royaume Uni: renvoie à la common law.
¾ Nouvelle Zélande: couvre les représailles contre les juges et agents de la Cour ainsi que les
témoins (art 21 (b) et (c)).
¾ Canada: art 16 et 24 et application du Code pénal si atteintes commises au Canada. Art 24 et 26
en matière d’application extra-territoriale.
•
¾
¾
¾
Mode de participation (tentative, complicité, incitation….)
Royaume Uni: art 55: liste des lois applicables en la matière
Nouvelle Zélande: application des dispositions du code pénal
Canada: application des dispositions du Code Pénal
4. Compétence extra-territoriale des juridictions nationales
¾ Royaume Uni: art 54 et 67: Territoire du Royaume Uni; en dehors du territoire si atteinte commise
par un national; compétence des juridictions militaires au Royaume Uni.
¾ Nouvelle Zélande: Art 14: territoire national, navire de pavillon néo-zélandais ou aéronef
immatriculé en Nouvelle Zélande, ressortissants nationaux.
¾ Canada: territoire canadien (application des dispositions du Code Pénal) et art 9: ressortissants
nationaux (art 24,25 et 26; art 9); aéronefs et navires (application des dispositions du Code pénal);
personnel militaire (application des dispositions du Code Pénal).
5. Autorisation de déclencher les poursuites
¾ Royaume Uni: art 54(5): Ministre de la Justice
¾ Nouvelle Zélande: Art 22: Ministre de la Justice
¾ Canada: art 9(4): Ministre de la Justice seulement en cas de corruption des juges
6. Coopération avec la CPI en cas de poursuites déclenchées par la CPI
¾ Royaume Uni: Application de la section III du projet de loi (relative à la coopération avec la
Cour).
¾ Nouvelle Zélande: Art 23.
¾ Canada: Application de la loi relative à l’assistance judiciaire réciproque dans le domaine pénal.
7. Recommandations relatives à la mise en oeuvre au Sénégal
¾ Toutes les atteintes prévues par le Statut ne figurent pas dans le Code Pénal : il faudrait incorporer
les dispositions manquantes et prévoir qu’elles s’appliquent de manière extra-territoriale.
¾ Il est nécessaire de conférer compétence aux juridictions sénégalaises pour qu’elles puissent
connaître d’une atteinte à l’administration de la justice commise dans le cadre d’une procédure de
la CPI.
80
Chapitre 2:
COMPLEMENTARITE
Il est du devoir de chaque Etat de poursuivre les responsables de crimes internationaux. Cette
obligation de poursuivre et de punir les responsables de crimes choquant la conscience de
l’humanité est inscrite de manière explicite dans les Conventions de Genève, ainsi que dans
la Convention sur la prévention et répression du crime de génocide. Bien que le Statut de
Rome ne contienne pas d’obligation explicite de poursuivre au niveau national, il consacre le
principe de complémentarité. En vertu de ce principe, il incombe en premier lieu aux
juridictions nationales d’entamer des poursuites contre les responsables de crimes de
génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre . Lorsqu’un Etat à décidé d’instruire
une affaire, la Cour ne peut donc en principe s’en saisir.
SECTION PREMIERE:
Compétence de la Cour pénale internationale et compétence des juridictions nationales
I.
Compétence de la CPI
L’article premier du Statut de Rome prévoit que la CPI « est complémentaire des juridictions
pénales nationales ». Il ressort des articles 17 à 20 que la CPI ne pourra connaître d’une
affaire que dans les trois cas de figure suivants:
¾ Un Etat n’a pas entrepris d’enquête ou de poursuites au regard d’une affaire et demeure
inactif alors que la CPI ouvre une enquête sur cette affaire ;
¾ Un Etat décide volontairement de céder une affaire à la CPI ;
¾ Un Etat manque de volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien
l’enquête ou les poursuites qu’il a entreprises;
A l’exception des situations précitées et tant que les procédures d’enquête et/ou de poursuites
entreprises au niveau national respectent les limites fixées aux articles 17 à 20 du Statut de
Rome, la CPI n’exercera donc pas sa compétence. Inversement, un Etat Partie qui le souhaite
pourra requérir l’assistance de la CPI sur la base de l’article 93(10).
Lorsqu’une enquête ou des poursuites seront entreprises devant la CPI et qu’un Etat voudra
demander le dessaisissement du Procureur ou de la Cour, il devra procéder selon les
modalités des articles 18 (Décision préliminaire sur la recevabilité) et 19 (Contestation de la
compétence de la Cour ou de la recevabilité d’une affaire). Les deux critères principaux de
recevabilité d’une affaire par la CPI sont donc le manque de volonté de mener à bien les
procédures (I), l’incapacité d’un Etat à mener à bien les procédures (II). Le principe non bis
in idem justifie quant à lui, en principe, l’irrecevabilité de l’affaire par la CPI (III).
81
A.
Le manque de volonté à mener à bien les procédures (Art. 17(1)(a)(b) et (2))
Les dispositions 17(1)(a) et (b) prévoient que la CPI pourra être saisie d’une affaire en dépit
de procédures entreprises au niveau national lorsqu’il y aura manque de volonté de l’Etat
visé. C’est le paragraphe 2 de l’article 17 qui définit le « manque de volonté » aux termes du
Statut de Rome :
« Pour déterminer s’il y a manque de volonté de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour considère l’existence, eu
égard aux garanties judiciaires reconnues par le droit international, de l’une ou de plusieurs des circonstances
suivantes:
a) La procédure a été ou est engagée ou la décision de l’Etat a été prise dans le dessein de soustraire la
personne concernée à sa responsabilité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour visés
à l’article 5;
b) La procédure a subi un retard injustifié qui, dans les circonstances, dément l’intention de traduire en
justice la personne concernée;
c) La procédure n’a pas été ou n’est pas menée de manière indépendante ou impartiale mais d’une manière
qui, dans les circonstances, dément l’intention de traduire en justice la personne concernée. »
Il faudra attendre la jurisprudence de la CPI afin de déterminer l’interprétation précise qu’il
convient de donner aux termes de l’article 17. Dans tous les cas, les procédures pénales
nationales ainsi que les garanties applicables à l’indépendance des juges et du Ministère
public devraient respecter les “garanties judiciaires reconnues par le droit international”159.
Bien que la Cour puisse se référer aux garanties d’un procès équitable reconnues par le droit
international, le manquement à ces règles ne pourra en lui même motiver une décision de
recevabilité. Ce manquement pourra motiver une telle décision seulement s’il mène au, ou est
accompagné de la preuve d’un “dessein de soustraire la personne concernée à sa
responsabilité pénale” aux termes de l’article 17(2)(a) ou d’une “incompatibilité avec
l’intention de traduire en justice la personne concernée” aux termes de l’article 17(2)(b) et
(c).
B. L’incapacité d’un Etat à mener à bien les procédures (Art. 17(1)(a)(b) et (3))
Les dispositions 17(1)(a) et (b) prévoient que la CPI pourra être saisie d’une affaire en dépit
de procédures entreprises au niveau national lorsque l’Etat visé est incapable de mener à bien
l’enquête ou les poursuites initiées. L’incapacité à agir est définie selon les termes suivants en
vertu de l’article 17(3) aux termes du Statut de Rome :
159
Ces garanties devraient notamment comprendre les dispositions suivantes: - la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme, Arts.9, 10, 11; - le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, Arts.4, 6, 9, 14,
15; - la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, art.7; - la Convention Américaine des Droits de
l'Homme, Arts.4, 7, 8, 9, 27; - la Convention Européenne des Droits de l'Homme, Arts. 2, 5, 6, 7, 15; Protocole
6; Protocole 7, arts.2, 4; - les Conventions de Genève, article 3 commun (conflit non international, toutes les
personnes ne prenant pas directement part aux hostilités); - la Troisième Convention de Genève de 1949,
Arts.84-88, 99, 100-107 (conflit international, prisonniers de guerre); - la Quatrième Convention de Genève de
1949, Arts.33, 64-77 (conflit international, civils); - le Protocole Additionnel I de 1977, Art.75 (conflit
international, toutes les personnes au pouvoir d'une Partie au conflit); - le Protocole Additionnel II, de 1977,
Art.6 (conflit non international, personnes accusées de crimes en relation avec le conflit); les Principes
fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature; les principes directeurs des
Nations Unies applicables au rôle des magistrats et du parquet; les Principes de base des Nations Unies relatifs
au rôle du barreau (ainsi que les dispositions des chapitres 5 et 6 du Statut, qui fournissent un certain nombre
d’indications à cet égard).
82
« Pour déterminer s’il y a incapacité de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour considère si l’Etat n’est pas en
mesure, en raison de l’effondrement de la totalité ou d’une partie substantielle de son propre appareil judiciaire
ou de l’indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de preuve et les témoignages
nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure. »
Par conséquent, les décisions de la Cour concluant à une incapacité de mener à bien les
procédures devraient s’avérer assez rares. De plus, compte tenu du fait que l’article 17(3) vise
les hypothèses d’effondrement de l’appareil d’Etat, son recours devrait être limité à cette
hypothèse, dans le cas où l’effondrement des institutions nationales est tel que l’Etat n’est
même plus en mesure de céder volontairement sa compétence à la Cour.
C.
Le principe non bis in idem (Art. 17(1)et 20(3))
Une affaire sera jugée irrecevable devant la CPI lorsque le principe non bis in idem
s’appliquera à l’affaire visée160. L’article 17(1)(a) vise le cas des enquêtes et des poursuites
en instance. L’article 17(1)(b) vise le cas d’enquêtes antérieures ayant aboutit à la décision de
ne pas entreprendre de poursuites. L’article 17(1)(c) vise pour sa part les cas d’une enquête
antérieure ayant débouchée sur des poursuites et un procès au niveau national. L’article 20(3)
énonce les critères au regard desquels la CPI pourra juger si une affaire est irrecevable au
regard de l’article 17(1)(c) en vertu du principe non bis in idem. L’article 20(3) stipule que :
« Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles
6,7 ou 8 ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l’autre juridiction:
a) Avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de
la compétence de la Cour; ou
b) N’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties
prévues par le droit international, mais d’une manière qui, dans les circonstances, démentait l’intention de
traduire l’intéressé en justice. »
Par conséquent, au regard des articles 17(1) et 20(3), la manière la plus sûre pour un Etat
Partie de garantir la compétence de ses juridictions nationales, militaires et civiles, est de
réviser son droit applicable, pour s’assurer de sa compatibilité avec les garanties relatives au
procès équitable prévues par le droit international.
La procédure de recevabilité est établie par les articles 18 et 19. L’article 19 permet
notamment à un Etat, sur le territoire duquel le crime a prétendument été commis, ou dont le
ressortissant est l’auteur, ou à un Etat compétent, du fait qu’il mène, ou a mené des enquêtes
ou exercé des poursuites, de contester la recevabilité d’une affaire en vertu de l’article 17 ou
la compétence de la Cour (article 19(2)(b) et (c)).
•
Il n’existe aucune obligation expresse aux termes du Statut obligeant les Etats
Parties à prohiber les crimes relevant de la compétence de la Cour dans leur
droit interne. Néanmoins, le contenu des lois nationales et leur application
par les autorités nationales seront pris en considération dans l’examen par la
Cour de la recevabilité. L’absence, en droit interne, d’interdiction de certains
actes, ou l’absence de principes généraux du droit pénal, de motifs
d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le Statut pourrait
160
Art. 20 du Statut : Non bis in idem: Principe de droit pénal en vertu duquel une personne ne peut être jugée
deux fois pour un même acte.
83
motiver une décision de recevabilité de la Cour fondée sur le manque de
volonté ou l’incapacité de mener à bien les procédures au niveau national.
II. Compétence des juridictions sénégalaises et compétence universelle
La compétence universelle permet de poursuivre les auteurs présumés des crimes les plus
graves (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, actes de tortures etc.) Elle peut
être définie comme étant le “système donnant vocation aux tribunaux de tout Etat sur le
territoire duquel se trouve l’auteur de l’infraction pour connaître cette dernière quel que soit
le lieu de perpétration de l’infraction et la nationalité de l’auteur ou de la victime ”161.
Dans son préambule, le Statut de la Cour pénale internationale reconnaît à chaque Etat un
rôle premier dans la répression du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de
guerre. Il est ainsi solennellement rappelé qu’ “il est du devoir de chaque Etat de soumettre à
sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux”. Le Statut ne contient
pas d’obligation pour les Etats parties de conférer à leur juridiction nationale une compétence
universelle. Cependant la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves que sont le
génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre implique que les tribunaux
nationaux puissent être compétents quels que soient la nationalité des auteurs des crimes, ou
le lieu où les crimes ont été commis.
Dépasser des principes de compétence strictement territoriaux ou fondés sur la nationalité est
une nécessité afin que certains Etats ne deviennent pas le refuge des auteurs de ces crimes.
Les crimes prévus par le Statut ne devrait pas seulement relever du droit pénal interne, mais
avant tout «d’un ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles
extraditionnelles qui en découlent, sont fondamentalement étrangères162 ».
Le droit sénégalais est très en retrait sur la question, comme a pu l’illustrer l’affaire Habré. Le
Sénégal ne peut juger les auteurs de ces crimes uniquement lorsqu’il existe un lien de
rattachement personnel ou territorial de droit commun (crime commis contre ou par un
sénégalais, crime commis au Sénégal). La nécessité d’intégrer en droit sénégalais les
dispositions du Statut de la Cour pénale internationale doit permettre au Sénégal de combler
un vide juridique dans son droit interne, et s’agissant des crimes les plus graves, lui donner
les moyens de poursuivre, s’ils se trouvent sur son territoire, les auteurs de ces crimes163.
A. Le Statut de Rome et les fondements juridiques de la compétence universelle
1. La compétence universelle au regard du Statut de Rome
161
“ La Rosa Anne-Marie, Dictionnaire de droit international pénal, PUF, 1998, P. 10.
Selon les termes énoncés dans l’affaire Klaus Barbie en France. App. Lyon, Ch. Acc., 8 juillet 1983 et Cass.
fr. (crim.), 6 oct. 1983, JDI, 1983, pp. 782 et 785, note Edelman : “Attendu qu’en raison de leur nature, les
crimes contre l’humanité dont Klaus Barbie, de nationalité allemande selon sa propre revendication, est inculpé
en France où ils auraient été commis, ne relèvent pas seulement du droit pénal interne français, mais encore d’un
ordre répressif international auquel la notion de frontière et les règles extraditionnelles qui en découlent, sont
fondamentalement étrangères”.
163
Nous remercions Me Kébé, Chargé du programme Justice internationale à l’ONDH et Jeanne Sulzer,
Chargée du programme Justice internationale à la FIDH d'avoir bien voulu partager leur expertise avec nous
dans la rédaction de cette sous-section.
162
84
Au moment de la Conférence Diplomatique à Rome, une majorité des Etats présents
soutenaient que la Cour devrait pouvoir exercer une compétence potentiellement universelle.
Néanmoins, par souci de compromis, il a été décidé que la Cour ne serait compétente que
lorsque les crimes auront été commis sur le territoire d’un Etat Partie, ou par le national d’un
Etat Partie (la seule exception étant lorsque le Conseil de Sécurité défère une situation au
Procureur)164. La compétence de la Cour est donc relativement limitée.
La majorité des délégations réunies à Rome étaient en faveur d’une compétence de la Cour
fondée sur la notion “d’Etat d’arrestation”, ce qui aurait permis à la Cour d’avoir compétence
si un suspect était trouvé sur le territoire d’un Etat Partie. Cependant, le compromis adopté à
Rome omet cette compétence fondée sur “l’Etat d’arrestation”. Ceci peut conduire à un
traitement différent de suspects trouvés sur le territoire d’un Etat Partie, suspects ayant, le cas
échéant, commis des crimes sur le territoire d’un Etat non Partie. Alors que la Cour peut
réclamer la remise de suspects ressortissants d’un Etat Partie, elle est dans l’impossibilité de
demander la remise de suspects ressortissants d’un Etat non Partie, ces suspects ayant
pourtant commis les mêmes crimes.
En l’absence de reconnaissance du principe de compétence universelle, un Etat serait alors
contraint de laisser partir libres les nationaux d’un Etat non Partie, mais de remettre à la Cour
les nationaux d’un Etat Partie. La compétence universelle permet d’éviter une telle inégalité :
un Etat peut lancer des poursuites contre les nationaux d’un Etat non Partie trouvé sur son
territoire, garantissant ainsi que tous les criminels soient soumis à la justice, que cette justice
soit rendue par la Cour ou par des tribunaux nationaux.
La Cour est donc uniquement compétente pour poursuivre en justice les auteurs de crimes
commis sur le territoire d’un Etat Partie, ou les auteurs ressortissants d’un Etat Partie.
Pratiquement, étant donnés les ressources et le budget dont la Cour bénéficiera dans un
premier temps, il est très probable qu’elle ne pourra instruire qu’un nombre limité d’affaires
par an. Cela risque donc de s’avérer très insuffisant. Refuser de reconnaître la compétence
universelle pour ces crimes équivaudrait dans certains cas, à accepter l’impunité pour des
crimes d’une gravité extrême. C’est pourquoi les juridictions sénégalaises devraient avoir la
possibilité de poursuivre en justice les auteurs des crimes prévus par le Statut, quand bien
même la Cour serait aussi compétente.
2. Les fondements juridiques de la compétence universelle
La compétence universelle trouve son origine dans un certain nombre d’instruments
juridiques internationaux. Il faut cependant noter qu’un certain nombre d’Etats a adopté des
lois incorporant le principe de compétence universelle pour certains crimes. On peut citer à
titre d’illustration non exhaustive le cas de la France et de la Belgique. La France a ainsi
introduit le principe de compétence universelle dans les lois de 1995 et 1996 portant
adaptation de la législation française aux dispositions du Conseil de Sécurité instituant les
tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et la Rwanda165. Le Code de Procédure Pénale français pose
164
Article 12 du Statut.
Loi n°95-1, portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de
Sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’exYougoslavie depuis 1991 ; J.O. Numéro 2 du 3 janvier 1995, p. 71, Article 2 : « les auteurs et complices des
infractions mentionnées à l’article 1er peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises s’ils sont
165
85
le principe de compétence universelle dans son article 689-1 lorsque celle-ci est prévue par
des conventions internationales166. La Belgique reconnaît le principe de compétence
universelle dans sa forme la plus étendue dans une loi de 1993, modifiée en 1999, qui
reconnaît aux juridictions belges compétence universelle pour connaître des crimes de
génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre167.
a) Crime de torture
Les dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention contre la torture et autres
traitements inhumains, cruels ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984
établissent la règle de la compétence universelle en faisant obligation à tout Etat partie
d’établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions au cas où l’auteur présumé
de celles-ci se trouverait sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l’extrade pas
conformément à l’article 8 vers l’un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article ainsi
que sur celles de l’article 7 de la même Convention qui, de façon encore plus impérative,
prévoit que l’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une
infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans
les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale.
Cette règle de la compétence universelle est affirmée dans nombreuses décisions judiciaires
récentes. La plus remarquable est probablement la jurisprudence du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie, qui dispose, dans l'affaire Furundzija :
« Il semblerait que l’une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à l’interdiction de la torture par
la communauté internationale fait que tout État est en droit d’enquêter, de poursuivre et de punir ou d’extrader
les individus accusés de torture, présents sur son territoire. En effet, il serait contradictoire, d’une part, de
restreindre, en interdisant la torture, le pouvoir absolu qu'ont normalement les États souverains de conclure des
traités et, d’autre part, d’empêcher les États de poursuivre et de punir ceux qui la pratiquent à l’étranger. Ce
fondement juridique de la compétence universelle des États en matière de torture confirme et renforce celui qui,
de l'avis d'autres juridictions, découle du caractère par essence universel du crime168. «
b) Crimes de guerre
Les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 prévoient l'obligation de juger ou
extrader des personnes responsables d’infractions graves aux Conventions de Genève quelque
soit leur nationalité169.
trouvés en France ». Voire également la loi n°96-432 en ce qui concerne le Rwanda ; J.O. Numéro 119 du 23
janvier 1996, p. 7695.
166
L’article 689-1 encadre cependant le principe dans deux limites tenant à ses conditions d’application. En
effet, il y est affirmé que la compétence universelle est d’utilisation facultative, et qu’elle est en outre soumise à
une condition de territorialité, l’auteur présumé du crime devant se trouver sur le territoire français. L’Art. 689-1
dispose : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et
jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors
du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. »
167
Moniteur Belge du 5 août 1993. Voire également l’article de E. David, la loi belge sur les crimes de guerre ,
Revue Belge de Droit International, 1995, p. 668.
168
Le Procureur c/ Anto Furundzija, Affaire IT-95-17/1-T 10, 10 décembre 1998 para 156 du jugement.
169
Article 146.de la quatrième Convention de Genève, Art. 49 de la première Convention, Art. 50 de la
deuxième Convention et Art.129 de la troisième Convention : - Les Hautes Parties contractantes s'engagent à
prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes
ayant commis, ou donné l'ordre de commettre, l'une ou l'autre des infractions graves à la présente Convention
définies à l'article suivant.
Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis, ou d'avoir
ordonné de commettre, l'une ou l'autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux,
quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre
86
La Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
ne crée pas expressément de compétence universelle mais renforce le concept de crimes qui
par leur nature devraient être poursuivis indépendamment de toute considération de
frontières. La résolution 3074 (XXVIII) de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 3
décembre 1973 énonce également que « les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité,
où qu’ils aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire
l’objet d’une enquête, et les individus contre lesquels il existe des preuves établissant qu’ils
ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justices et, s’il sont
reconnus coupables, châtiés(§1) ».
Le Sénégal étant partie aux Conventions de Genève, il serait paradoxal qu’il n’intègre pas les
mécanismes de compétence universelle contenus dans les Conventions de Genève et leurs
protocoles lors de l’intégration en droit interne du Statut de la Cour pénale.
c) Crimes contre l’humanité
La compétence universelle du juge en matière de crimes contre l’humanité résulte de diverses
résolutions adoptées par l’Assemblée Générale des Nations Unies. On peut citer notamment
les résolutions 3 (I) du 13 février 1946, 170 (II) du 31 octobre 1947, 2840 (XXVI) du 18
décembre 1971 et 3074 (XXVIII) du 3 décembre 1973 - qui obligent les Etats à poursuivre
les auteurs de faits constitutifs de crimes contre l’humanité sans tenir compte de leur
nationalité, de celle de leurs victimes ou du lieu du crime. Ainsi, la résolution 2840 (XXVI)
("Question du châtiment des criminels de guerre et des individus coupables de crimes contre
l'humanité") du 18 décembre 1971 qualifie de violation du droit international le fait pour un
Etat de ne pas coopérer à l'arrestation, aux poursuites ou à l'extradition de l'auteur de crimes
de guerre ou de crimes contre l'humanité.
Dans un sens analogue, la résolution 3074 (XXVIII) du 3 décembre 1973 intitulée "Principes
de la coopération internationale en ce qui concerne le dépistage, l'arrestation, l'extradition et
le châtiment des individus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité"
énonce comme premier principe :
« Les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, où qu'ils aient été commis et quel que soit le
moment où ils ont été commis, doivent faire l'objet d'une enquête, et les individus contre lesquels il
existe des preuves établissant qu'ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits
en justice et, s'ils sont reconnus coupables, châtiés (§ 1).
Ces résolutions imposent donc une obligation de poursuivre ou d'extrader. Si les résolutions
de l’Assemblée Générale des Nations Unies n’ont pas de valeur contraignante, elles attestent
pour autant sans aucun doute de l’existence d’une volonté politique des Etats, élément
indispensable à la formation d’une norme coutumière.
La jurisprudence internationale consacre également le principe de compétence universelle à
l’égard du crime contre l’humanité, y compris en l’absence de dispositions internes attribuant
législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que
cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.
87
expressément une telle compétence aux juridictions nationales. Ainsi, dans l’affaire
Furundzija, le Tribunal Pénal international pour l’ex-Yougoslavie observe :
[…] l’une des conséquences de la valeur de jus cogens reconnue à l’interdiction de la torture par la
communauté internationale fait que tout Etat est en droit d’enquêter, de poursuivre et de punir ou
d’extrader les individus accusés de torture, présents sur son territoire. […] Ce fondement juridique
de la compétence universelle des Etats en matière de torture confirme et renforce celui qui, de l’avis
d’autres juridictions, découle du caractère par essence universel du crime. On a estimé que les
crimes internationaux étant universellement condamnés quel que soit l’endroit où ils ont été commis,
chaque Etat a le droit de poursuivre et de punir les auteurs de ces crimes.
Comme le dit de façon générale la Cour suprême d’Israël dans l’affaire Eichmann170, de même
qu’une juridiction des E.-U. dans l’affaire Demjanjuk, ‘c’est le caractère universel des crimes en
question (c.-à-d. des crimes internationaux) qui confère à chaque Etat le pouvoir de traduire en
justice et de punir ceux qui y ont pris part’171.
Ces précédents démontrent que même en l’absence de dispositions expresses dans le droit
interne de l’Etat poursuivant, le droit international confère au juge interne le pouvoir
d’exercer la compétence universelle pour les crimes contre l’humanité.
d) Crime de génocide
L'incrimination du génocide est à la fois coutumière172 et conventionnelle. L'art. IV de la
Convention de 1948 énonce que:
« Les personnes ayant commis le génocide ou l'un quelconque des actes énumérés à l'art. 3 seront
punies, qu'elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers173. »
Cette disposition laisse entendre que l'incrimination est universelle dans la mesure ou elle
n'est pas limitée par des critères de nationalité de l'auteur ou de la victime ou de localisation
de l'infraction. Toutefois, l'art. VI prévoit que :
« Les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'art. III
seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis,
ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties
contractantes qui en auront reconnu la juridiction. »
Hormis le renvoi de l'accusé devant une cour criminelle internationale, on constate que
l'article limite la compétence des Etats Parties à la Convention au territoire où le fait a été
commis. La Convention se limiterait-elle donc à ne prévoir qu'une compétence territoriale ?
Ce serait la priver d'une grande partie de sa portée et de son utilité. En réalité, cette restriction
ne signifie pas que d'autres Etats ne peuvent connaître de l'infraction : elle confère
simplement une compétence prioritaire au tribunal de l'Etat où le crime a été commis, mais
170
Affaire Eichmann, cf. ILR, 36, p. 298. Pour Demjanjuk, voir 612 F. Supp. 544 (N.D. Ohio 1985).
Affaire IT-95-17/1-T, 10 décembre 1998, § 156.
172
TPIR, Chbre. I, aff. ICTR-96-3-T, Rutaganda, 6 déc. 1999, § 46.
173
L'art III dispose : "Seront punis les actes suivants :
a) le génocide;
b) l'entente en vue de commettre le génocide;
c) l'incitation directe et publique à commettre le génocide;
d) la tentative de génocide;
e) la complicité dans le génocide."
171
88
elle n'exclut pas la compétence d'autres Etats174 dès lors que leur droit connaît des principes
de compétence extra-territoriale dont rien n'exclut l'application à des faits de génocide175.
Peut-on aller plus loin et dire que la Convention non seulement permet, mais même oblige
tout Etat à poursuivre l'auteur d'un crime contre l'humanité alors que ce crime a été commis
sur le territoire d'un Etat étranger ? Il n’existe aucune disposition de compétence universelle
explicite dans la Convention qui permettrait de l’affirmer. On peut toutefois se demander
aujourd'hui si, eu égard à l'évolution du droit pénal international et à la lettre de l'art. 1er de la
Convention, tous les Etats parties ne devraient pas réprimer pareil crime quels que soient le
lieu où il a été commis, la nationalité de son auteur ou celle de la victime. Selon l'art. 1er, en
effet :
« Les Parties Contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en
temps de guerre, est un crime du droit des gens qu'elles s'engagent à prévenir et punir. »
Pour la Cour Internationale de Justice, cet article montre que "toutes les parties ont donc
assumé l'obligation de prévenir et de punir le crime de génocide"176. De manière encore plus
précise, elle affirme dans son arrêt du 11 juillet 1996 :
[…] les droits et obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes.
La Cour constate ainsi que l'obligation qu'a chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de
génocide n'est pas limitée territorialement par la convention. 177 (Nous soulignons)
Cette conception élargie de la compétence prévue par la Convention tend à montrer que
l'incrimination du génocide est devenue coutumière 178. Le principe de complémentarité et
l'obligation de répression qui pèse sur les Etats Parties au Statut de la CPI tendent aussi à
confirmer l'obligation des Etats d'exercer une compétence universelle à l'égard du génocide.
D’ailleurs, les tribunaux allemands, en condamnant un Serbe pour sa complicité dans des
faits de génocide, ont estimé que l'application de la compétence universelle était conforme au
droit international 179. La Belgique également, en amendant le 10 février 1999 la loi du 16
juin 1993 sur la répression des violations graves du droit international humanitaire s'est dotée
d'une compétence universelle pour réprimer tant le génocide que les crimes contre
l'humanité180.
La loi de mise en oeuvre du Statut de la Cour pénale internationale fournit ici au Sénégal
l’occasion de se mettre en conformité avec ses obligations internationales en vertu de la
Convention contre la Torture et des Conventions de Genève tout en comblant un vide
174
GLASER, S., Droit international pénal conventionnel, Bruxelles, Bruylant, 1970, p. 108; voire aussi Affaire Eichmann,
I.L.R., 36, pp. 303-304; U.S. Senate's Report, p. 9, loc.cit., p. 765.
175
Les juridictions françaises ont été saisies de la question : voire Comp. réquisitoire du procureur général
devant la ch. m. acc. de la Cour d' Appel de Nîmes cité dans le jugement du 20 mars 1996 en l'affaire
Munyeshiaka, réf. 96/0160, inédit, R.G.D.I.P., 1996, p. 1085; voire aussi La justice internationale face au
Rwanda, Paris, Karthala, 1996, pp. 214-215.
176
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures conservatoires,
ordonnances du 8 avril et du 13 sept.1993, C.I.J., Recueil 1993, p. 22 § 45 et p; 348.
177
CIJ Rec. 1996, p. 616, § 31; voire aussi Fed. Crt. of Australia, Nulyarimma and Buzzacott, 1st Sept. 1999,
per Wilcox J, §§ 18-19, ILM, 2000, p. 23.
178
En ce sens, TPIR, Chbre. I, aff. ICTR-96-4-T, Akayesu, 2 sept. 1998, § 495; en ce sens, Fed. Crt. of
Australia, Nulyarimma, loc. cit., p. 23.
179
Oberlandesgerichtshof, 30 avril 1999, 3 StR 215/98, cité in RICR, 1999, p. 690.
180
Moniteur Belge, 23 mars 1999.
89
juridique important de sa législation interne et surtout lui permet d’aller au delà de ses
obligations conventionnelles stricto sensu en établissant le principe de la compétence
universelle des juridictions sénégalaises pour connaître des crimes de génocide et crimes
contre l’humanité.
B. La compétence universelle en Afrique et au Sénégal
Le juge interne est donc fondé à puiser dans la coutume internationale la source de son droit
d’exercer sa compétence pour poursuivre les auteurs d’un crime contre l’humanité. Il est donc
indispensable pour le Sénégal d’intégrer dans son droit interne un article prévoyant la
possibilité de poursuivre, selon le principe de compétence universelle, les crimes de guerre et
autres infractions graves au droit international humanitaire, ainsi que les crimes contre
l’humanité.
1. La compétence universelle en Afrique
En Afrique, bien que la compétence universelle soit un principe connu, peu de pays
l’appliquent181. Ceci tient au fait que la plupart des pays africains ne semblent pas reconnaitre
le droit international coutumier comme source de droit d’une part, et, d’autre part, au fait que
très peu d’Etats ont adopté des lois de mise en oeuvre des traités internationaux qu’ils ont
ratifiés. Dans ces conditions, la compétence universelle ne peut s’appliquer que de façon
timide. Deux affaires nous permettent d’illustrer l’état de la compétence universelle en
Afrique : l’affaire concernant L’ancien Président éthiopien Mengistu Haïlé Mariam et
l’affaire Habré au Sénégal.
L’ancien Président éthiopien, Mengistu Haïlé Mariam, bénéficiait de l’asile politique au
Zimbabwe et ne pouvait donc être jugé pour ses crimes alors même qu’il faisait l’objet de
poursuites pour crimes de génocide en Ethiopie. L’Ethiopie a saisi l’occasion d’un séjour de
l’ancien Président en Afrique du Sud pour requérir son extradition. Cependant, l’Afrique du
Sud n’a pas pu accorder l’extradition en l’absence d’accord d’extradition entre l’Afrique du
Sud et l’Ethiopie, et compte tenu du fait que l’Ethiopie applique au crime de génocide la
peine de mort et que l’Afrique du Sud refuse l’extradition dans un tel cas de figure. Suite à ce
refus d’extrader, les partisans de l’arrestation de M. Mengistu ont suggéré qu’en tant Etat
Partie à la Convention de 1984 sur la Torture et à la Convention sur le génocide, l’Afrique du
Sud pouvait elle-même arrêter M. Mengistu et le traduire devant ses juridictions. Cette
demande n’a cependant pas eu de suite dans la mesure où l’Afrique du Sud n’ayant pas mis
en œuvre les conventions dans son droit interne, elle n’était pas en mesure de poursuivre un
présumé coupable de crime de torture, génocide ou crimes contre l’humanité. Devant cet
obstacle dirimant, il fut suggéré que le droit international coutumier permettait l’inculpation
de ce dernier, mais les juridictions sud-africaines leur rétorquèrent que le droit international
coutumier ne lie pas la justice sud-africaine.
181
En Afrique, vingt pays environ consacrent le principe dans leur législation. Voire Christopher Hall : National
implementation of Universal Juridisction for International crimes - communication soutenue au colloque
organisé par AFLA on African Perspectives on Universal Jurisdiction for International Crimes au Caire les 30 et
31 juillet 2001.
90
Il faut cependant noter que cette affaire connaîtrait aujourd’hui un résultat différent dans la
mesure où l’Afrique du Sud a reconnu le principe de compétence universelle comme un
élément essentiel de la lutte contre l’impunité et a inscrit la compétence universelle des
juridictions sud-africaines en matière de crime de génocide, crime contre l’humanité et crime
dans l'article 4 du projet de loi de mise en œuvre du Statut de Rome.
La situation est toute autre au Sénégal où l’affaire Habré a permis de connaître la position des
juridictions sénégalaises sur la question.
2. Le Sénégal et l’affaire Habré
Le 25 janvier 2000, des victimes de M. Hissène Habré regroupés autour de l’Association des
Victimes de Répression au Tchad ont porté plainte contre M.Hissène Habré qui bénéficiait de
l’asile au Sénégal depuis qu’il avait quitté le pouvoir en 1990. Les plaignants réclamaient
l’inculpation et l’arrestation de M. Habré en se fondant sur les motifs ci-après :
-
M. Habré est coupable de torture et d’actes de tortures visés par la Convention de 1984
sur la torture ;
-
M. Habré est également coupable de crimes contre l’humanité en vertu du droit
international coutumier ;
-
M. Habré est coupable du crime de disparition lequel a été consacré judiciairement
comme un crime de torture permanent et donc comme un crime continu.
Les plaignants soutenaient que les juridictions sénégalaises étaient compétentes pour inculper
et juger Monsieur Habré en vertu du principe de la compétence universelle. Suite à
l’infirmation par la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar de l’inculpation de
M. Habré182, la Cour de Cassation a été saisie par les plaignants. Dans sa décision du 20 mars
2001, la Cour de Cassation a rejeté leur pourvoi au motif :
« qu’aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaises en vue de
poursuivre et de juger, s’ils sont trouvés sur le territoire de la République les présumés auteurs ou complices de
faits qui entrent dans les prévisions de la loi du 28 août 1996 portant adaptation de la législation sénégalaise
aux dispositions de l’article 4 de la Convention lorsque ces faits ont été commis hors du Sénégal par des
étrangers. »
Par cet arrêt, la Cour de Cassation pose deux règles. Premièrement, il n’apparaît pas possible de reconnaître
aux juridictions sénégalaises compétence universelle sur des crimes de droit international en l’absence d’une
norme interne légiférant dans ce sens, et, deuxièmement, des poursuites fondées uniquement sur une convention
multilatérale ratifiée par le Sénégal ne peuvent aboutir si la République n’a pas mis en oeuvre une loi
d’adaptation183.
182
Cour d’Appel de Dakar: Chambre d’Accusation Arrêt N° 135 du 04 Juillet 2000. Ministère Public et
François Diouf c/ Hissene Habré.
183
L’article 4 de la Convention oblige les Etats Parties à incorporer dans leur législation les crimes retenus par
la Convention; quant à l’article 5 il dispose que “Tout Etat Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa
compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans le ces où l’auteur présumé e celle ci se
trouve sur tout territoire sous sa juridiction”. Voire sur cette question, la communication de Mouhamed Kébé:
“The Habré Case: Chronicle and Perspectives of a symbolical trial”: communication soutenue au colloque
organisé par AFLA sur: « African perspectives on Universal jurisdiction for international crimes » au Caire le
30 et 31 juillet 2001.
91
L’arrêt Habré permet de retenir que les juridictions sénégalaises ne pourraient retenir une
compétence universelle que si le Sénégal incorporait dans son droit interne les crimes de droit
international. Le principe de la compétence universelle est en effet indissociable du principe
de la légalité des infractions, ce qui signifie que si le crime visé n’est pas prévu dans la
législation d’un Etat, aucune de ses juridictions ne pourra en connaître.
Il faudrait d’autre part que le Sénégal adopte des lois d’adaptation pour l’ensemble des traités
multilatéraux qu’il a ratifié184. Il apparaît de plus essentiel que le Sénégal prévoit dans sa
future loi de mise en oeuvre du Statut de Rome des dispositions expresses reconnaissant aux
juridictions sénégalaises une compétence universelle pour tous les crimes visés par le Statut
sur le modèle retenu par d’autres Etats Parties.
•
Au regard de l’objet et des principes énoncés par le Statut de Rome, ainsi que
des instruments internationaux précités, au titre premier desquels la Convention
contre la Torture et les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels,
le Sénégal devrait envisager d’inclure dans sa loi de mise en œuvre du Statut de
Rome une disposition attribuant aux juridictions sénégalaises compétence
universelle pour connaître du crime de génocide, crime contre l’humanité et
crimes de guerre.
•
L’affaire Habré a révélé un vide juridique qui devrait être comblé de manière à
assurer que le Sénégal ne devienne pas un lieu de refuge pour des ressortissants
étrangers responsables de crimes de droit international.
•
Le Sénégal pourrait donc au minimum attribuer compétence à ses juridictions
pour connaître des crimes prévus par le Statut lorsque ceux-ci ont été commis en
dehors de son territoire, par un ressortissant étranger qui se trouve sur le
territoire sénégalais. Cette limitation de la compétence territoriale par une
condition de présence sur le territoire sénégalais limiterait l’étendue des affaires
et faciliterait la tâche de la justice qui disposerait de l’individu présumé
responsable des crimes.
•
Dans tous les cas, le Sénégal devrait consacrer le principe « aut dedere, aut
judicare », extrader ou punir. A ce titre, si le Sénégal n’était pas en mesure de
poursuivre un étranger résidant, ou de passage au Sénégal, pour des crimes
commis à l’étranger, il pourrait à défaut extrader la personne recherchée vers un
Etat qui serait en mesure de le poursuivre et désireux de le faire (sous réserve de
garanties judiciaires suffisantes et notamment dans l’hypothèse de l’exercice de
sa compétence universelle par l’Etat requérant).
C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
¾ Canada: Art. 6 "Infractions commises à l'étranger" et Art. 8 "Compétence"
184
La Convention de 1984 est à notre connaissance la seule convention ratifiée par le Sénégal qui a fait l’objet
d’une loi de mise en oeuvre; mise en oeuvre du reste incomplète puisqu’elle n’a concerné que l’article 4 qui a
été incorporé dans le Code Pénal par la Loi 96-16 du 26 Août 1996 portant Article 295-1 du Code de Procédure
Pénale.
92
Le Canada retient le principe de la compétence universelle pour les crimes du Statut et rend
cet article applicable de manière rétroactive. Les juridictions canadiennes sont compétentes si
l'une des conditions de l'article 8(a) est réunie, au titre desquelles est prévue la présence de
l'auteur de l'infraction présumée au Canada (Art. 8(a)(b)).
¾ Afrique du Sud: Art. 4 du projet de loi
L'article 4 du projet pose le principe de la compétence universelle pour les crimes du Statut.
Les juridictions sud africaines pourront connaître d'un crime commis à l'étranger s'il a été
commis par ou à l'encontre d'un ressortissant sud africain, ou en Afrique du Sud mais
également s'il a été commis par une personne qui réside habituellement en Afrique du Sud, ou
qui est présente sur le territoire sud africain après avoir la perpétration du crime. Le
déclenchement des poursuites dans ces hypothèse est cependant soumis à autorisation.
¾ Nouvelle Zélande: Art.8
La Nouvelle Zélande retient le principe de compétence universelle pour les crimes du Statut.
¾ Royaume Uni: Art. 51 et 58
Le Royaume Uni n'a pas retenu le principe de la compétence universelle.
93
RECAPITULATIF :
Délimitation de la compétence de la CPI et des juridictions nationales
1. COMPETENCE DE LA CPI : Critères de recevabilité d’une affaire devant la CPI (Art 17
du Statut)
Un Etat n’a pas entrepris d’enquête ou de poursuites au regard d’une affaire et demeure
inactif alors que la CPI ouvre une enquête sur cette affaire ;
Un Etat décide volontairement de céder une affaire à la CPI ;
Un Etat manque de volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête
ou les poursuites qu’il a entreprises
Il n’existe aucune obligation expresse aux termes du Statut obligeant les Etats Parties à prohiber
les crimes relevant de la compétence de la Cour dans leur droit interne. Néanmoins, le contenu
des lois nationales et leur application par les autorités nationales seront pris en considération dans
l’examen par la Cour de la recevabilité. L’absence, en droit interne, d’interdiction de certains
actes, ou l’absence de principes généraux du droit pénal, de motifs d’exonération de la
responsabilité pénale prévus par le Statut pourrait motiver une décision de recevabilité de la Cour
fondée sur la manque de volonté ou l’incapacité de mener à bien les procédures au niveau
national.
2. COMPETENCE DES JURIDICTIONS NATIONALES : COMPETENCE
UNIVERSELLE
•
Au regard de l’objet et des principes énoncés par le Statut de Rome, ainsi que des
instruments internationaux précités, au titre premier desquels la Convention contre la
Torture et les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, le Sénégal devrait
envisager d’inclure dans sa loi de mise en œuvre du Statut de Rome une disposition
attribuant aux juridictions sénégalaises compétence universelle pour connaître du crime de
génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre.
•
L’affaire Habré a révélé un vide juridique qui devrait être comblé de manière à assurer
que le Sénégal ne devienne pas un lieu de refuge pour des ressortissants étrangers
responsables de crimes de droit international.
•
Le Sénégal pourrait donc au minimum attribuer compétence à ses juridictions pour
connaître des crimes prévus par le Statut lorsque ceux-ci ont été commis en dehors de son
territoire, par un ressortissant étranger qui se trouve sur le territoire sénégalais. Cette
limitation de la compétence territoriale par une condition de présence sur le territoire
sénégalais limiterait l’étendue des affaires et faciliterait la tâche de la justice qui
disposerait de l’individu présumé responsable des crimes.
•
Dans tous les cas, le Sénégal devrait consacrer le principe « aut dedere, aut judicare »,
extrader ou punir. A ce titre, si le Sénégal n’était pas en mesure de poursuivre un étranger
résidant, ou de passage au Sénégal, pour des crimes commis à l’étranger, il pourrait à
défaut extrader la personne recherchée vers un Etat qui serait en mesure de le poursuivre
et désireux de le faire (sous réserve de garanties judiciaires suffisantes et notamment dans
l’hypothèse de l’exercice de sa compétence universelle par l’Etat requérant).
94
SECTION 2:
Conséquences du principe de complémentarité en matière de mise en oeuvre: les
enquêtes et poursuites menées au niveau national
Le Statut de Rome n’impose donc pas aux Etats Parties d’obligation expresse de prohiber
dans leur législation nationale les crimes relevant de la compétence de la CPI. Cependant, afin
d’éviter que la Cour déclare une affaire recevable devant elle alors qu’un Etat souhaite
administrer ladite affaire, la législation nationale devrait être compatible avec les dispositions
pertinentes du Statut de Rome. A l’occasion d’un examen mené sur la base des articles
17(2)(a) et (c) ou 20(3)(a) et (c), la Cour devra considérer tous les éléments pertinents de
l’espèce. A ce titre, l’état de la législation nationale risque de peser lourd s’agissant de savoir
si une enquête et/ou des poursuites avaient pour effet de soustraire la personne concernée de
sa responsabilité pénale au regard des crimes relevant de la compétence de la CPI. Pour un
Etat, le meilleur moyen d’éviter que la Cour puisse juger une affaire recevable est
d’harmoniser sa législation nationale avec les dispositions du Statut relatives à la définition
des crimes et aux peines applicables, aux moyens de défense admissibles et aux principes
généraux du droit pénal185.
I.
Définition des crimes et détermination des peines applicables
Lorsqu’un comportement interdit par le Statut fait l’objet d’une enquête et d’un procès
correctement menés au niveau national, le fait que ce comportement soit jugé comme un
crime ordinaire, et non pas comme un crime de génocide, crime contre l’humanité ou crime de
guerre ne rend pas en lui-même l’affaire recevable devant la CPI. Toutefois, la Cour pourra
aussi admettre la recevabilité d’une affaire sur la base de l’inaction des autorités nationales.
A. Dispositions du Statut
1. Définition des crimes
1) Le crime de génocide
Le crime de génocide peut être commis en temps de paix ou de guerre, au cours d'un conflit
armé international ou non international. La nécessité de "l'intention de détruire, en tout ou
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel" constitue la spécificité
même de ce crime. Les crimes qui ne satisfont pas l'exigence de cette intention particulière
pourraient toujours constituer des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre en vertu
du Statut. Le crime de génocide consiste en une intention spéciale contenue dans le chapeau
de l'Art.6, accompagnée de l'un quelconque des cinq actes listés à l'Art.6(a)-(e). Les crimes
ainsi listés impliquent des actes contre "les membres du groupe" (Art.6(a) et (b)), "le groupe"
(Art.6(c) et (d)) et "les enfants du groupe" (Art.6(e)). Cette définition implique des restrictions
d'ordre quantitatif (il s'agit d'actes commis contre plus d'un individu). Néanmoins, l'intention
de détruire un groupe "en tout ou partie" ne requiert pas une tentative de détruire le groupe sur
une grande échelle. L'étendue des actes sera sans aucun doute prise en considération par la
Cour dans le cadre de l'examen prévu à l'Art.17(1)(d), afin de savoir si l'affaire est
185
Directives Broomhall, p. 36.
95
suffisamment grave pour justifier l'exercice de la compétence de la Cour. Bien qu'aucun plan
ou politique ne soit requis, la présence de l'un, comme l'existence d'un conflit armé, serait
pertinente pour déterminer la gravité de l'acte, conformément à l'Art.17(1)(d).
2) Les crimes contre l'humanité
Comme le crime de génocide, les crimes contre l'humanité peuvent être commis quelque soit
le contexte, et ne doivent pas nécessairement être liés à un conflit armé, qu'il soit international
ou non international. Les crimes contre l'humanité consistent en l'un des onze actes listés à
l'Art.7(1)(a)-(k), tels que définis à l'Art.7(2)(a)-(I), lorsqu'ils sont commis "dans le cadre d'une
attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance
de cette attaque". "Une attaque dirigée contre toute population civile" est définie comme "tout
comportement qui consiste en la commission multiple d'actes visés au paragraphe 1 à
l'encontre d'une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la
politique d'un Etat ou d'une organisation ayant pour but une telle attaque" (Art.7(2)). Ainsi,
avec l'exigence d'une attaque et de la connaissance de celle-ci, le seuil des crimes contre
l'humanité est relativement élevé. Les définitions prévues à l'Art.7(2)(a)-(I) peuvent décrire
des crimes qui ne sont pas visés par les législations pénales ou les codes militaires. Par
exemple, "l'extermination" comprend la privation de nourriture et de médicaments, la
"réduction en esclavage" la traite des personnes ("en particulier des femmes et des enfants"),
et la "déportation" est limitée aux motifs admis en droit international.
3) Les crimes de guerre
La Cour exercera sa compétence sur les crimes de guerre "en particulier lorsque ces crimes
s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font partie d'une série de
crimes analogues commis sur une grande échelle" (art.8(1)). L'existence de ce plan ou de cette
politique formera par conséquent une part importante de la décision de la Cour adoptée en
vertu de l'article 17(1)(d), afin de déterminer si le crime est suffisamment grave pour être
recevable. Néanmoins, les mots "en particulier" font bien comprendre que l'exigence d'un plan
ou d'une politique ne constitue pas une exigence absolue, et que les crimes de guerre
particulièrement graves commis en dehors d'un tel lien seraient potentiellement recevables. En
conséquence, l'incorporation en droit national des interdictions listées à l'article 8(2)(a), (b),
(c) et (e), sans aucune exigence de plan ou de politique, constituerait une approche plus
compatible avec l'esprit du Statut. Les interdictions de l'article 8(2)(c) et (e) sont limitées aux
"conflits armés ne présentant pas un caractère international" et ne s'appliquent donc pas "aux
situations de troubles et de tensions internes telles que les émeutes, les actes de violence
sporadiques ou isolés ou les actes de nature similaire" (art.8(2)(d) et (f)). L'article 8(2)(a) et
(b) s'applique aux conflits armés internationaux.
2. Détermination des peines applicables
Afin de permettre le déclenchement d’enquêtes et poursuites relatives aux crimes de génocide,
crimes contre l’humanité et crimes de guerre, le Code Pénal doit criminaliser les actes
constitutifs de ces crimes dans des termes conformes aux définitions du Statut. Cependant,
l’introduction de nouveaux types crimes au sein du Code Pénal implique également la
détermination de la peine qui punira la perpétration du crime. En vertu du principe nulla
poena sine lege, consacré dans l’article 23 du Statut, l’introduction des définitions des crimes
au sein du Code Pénal constituerait le fondement juridique de la détermination des peines
correspondantes.
96
Le Statut ne détermine pas la durée des peines applicables au niveau national. En vertu de
l’article 80 :
« Les peines prévues en droit interne ne sont pas affectées par les peines de la Cour: les Etats n’ont pas
l’obligation de modifier les peines prévues en droit interne pour les crimes du Statut »
Néanmoins, au regard du principe de complémentarité, les Etats Parties devraient instaurer
des peines qui reflètent la gravité des crimes. La détermination de peines minimes pourraient
en effet déclencher l’intervention de la Cour au titre du principe de complémentarité dans la
mesure où la condamnation d’une personne à une peine minime serait susceptible d’être
interprétée par la Cour comme un manque de volonté de l’Etat de mener à bien la procédure.
Par conséquent, bien que les Etats ne soient nullement tenus d’harmoniser leur peines
nationales avec celles prévues par le Statut, ils pourraient néanmoins envisager de transposer
les peines du Statut en droit interne, ou de s’en inspirer pour mettre en place une échelle des
peines similaires. En vertu de l’article 77 du Statut, la Cour peut prononcer une peine
d’emprisonnement à temps de 30 ans au plus, une peine d’emprisonnement à perpétuité «si
l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient ».
B. Etat du droit sénégalais au regard des crimes du Statut
1. Criminalisation et définition des crimes
Le Sénégal a ratifié la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l’homme
mais n’a pas incorporé les dispositions de ces conventions en droit interne compte tenu de leur
autorité supra-législative conférée par la Constitution. Le droit pénal ne prohibe que les
crimes de droit commun tels que le meurtre, le viol ou autres crimes qui constituent un
élément constitutif des crimes du Statut de Rome sans refléter la spécificité de ces crimes
lorsque ceux ci sont commis dans des conditions telles qu’ils tombent sous le coup de la
définition du génocide (intention de détruire un groupe) ou du crime contre l’humanité. En ce
qui concerne les crimes de guerre, la plupart d’entre eux font partie intégrante du droit interne
sénégalais dans la mesure où le Sénégal est partie aux Conventions de Genève et aux deux
Protocoles additionnels aux Conventions de Genève186. Cependant, en l’absence de
transposition des Conventions en droit interne, il n’est pas sûr qu’elles fournissent en elles
même un fondement juridique suffisant pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre
devant les juridictions sénégalaises. Le principe de légalité187 et la spécificité du droit pénal
appellent donc à la criminalisation de ces actes et donc à l’amendement, en conséquence, du
code pénal ou du code de justice militaire.
a. Crime de génocide et crimes contre l’humanité
Ni le crime de génocide, ni le crime contre l’humanité ne sont des crimes en droit pénal
sénégalais. Certains des éléments constitutifs de ces crimes sont punis par le Code Pénal
sénégalais au titre de crimes ordinaires. Un certain nombre de dispositions relatives aux
crimes et délits sont donc pertinentes au regard de la complémentarité de la compétence de la
Cour pénale internationale car le fait qu’un comportement prohibé par le Statut de Rome soit
jugé au niveau national comme un crime ordinaire, et non pas en tant que crime de génocide,
186
Le Sénégal a ratifié les Conventions de Genève le 18 mai 1963 et les deux Protocoles additionnels le 07 mai
1985.
187
Article 4 du Code Pénal: Nul crime, nul délit, nulle contravention ne peuvent être punis de peines qui
n’étaient pas prévues par la loi ou le règlement avant qu’ils fussent commis.
97
crime contre l’humanité ou crimes de guerre, ne rend pas en lui même l’affaire recevable
devant la CPI188.
Cependant, les dispositions du Code Pénal sénégalais relatives à la torture, au meurtre, au viol
ou à d’autres actes inclus dans les éléments constitutifs des crimes du Statut de Rome sont
insuffisantes car elles ne reflètent pas le caractère particulièrement odieux, ni la dimension
internationale de ces crimes qui portent atteinte à la communauté internationale des Etats dans
son ensemble. De plus, elles n’excluent pas complètement la possibilité que la CPI se saisisse
de l’affaire si elle estime que les critères de recevabilité examinés ci-dessus sont remplis.
Par conséquent, le Sénégal devrait incorporer les crimes du Statut dans son Code Pénal.
L’insertion du crime de génocide, crime contre l’humanité et des crimes de guerre en droit
sénégalais dans des termes similaires ou compatibles avec la définition du Statut permettra
aux juridictions sénégalaises de poursuivre les responsables de tels crimes et de conserver sa
primauté juridictionnelle dans l’éventualité où surviendrait un conflit de compétence entre la
juridiction sénégalaise compétente et la Cour pénale internationale.
Les définitions des crimes en droit interne doivent, dans ce sens être similaires ou compatibles
avec celles des crimes du Statut, telles qu’établies dans le texte final des Eléments des crimes
adoptés à l’issue de la Commission préparatoire de juin 2000. A des fins d’harmonisation,
l’échelle des peines applicable à ces crimes devraient également être déterminée d’une
manière cohérente au regard des peines prévues par le Statut de Rome.
b. Crimes de guerre
En plus des remarques préliminaires ci-dessus relatives à l’autorité des Conventions de
Genève et de leurs protocoles additionnels en droit sénégalais, il faut noter qu’un certain
nombre de dispositions du Code Pénal couvrent également des éléments constitutifs des
crimes de guerre issus des Conventions de Genève. Par contre ils ne couvrent pas les crimes
issus du droit humanitaire dit de «La Haye ». D’autre part, le Code de Justice Militaire établit
les règles régissant le comportement des troupes sénégalaises lors de conflits armés
internationaux ou non internationaux. Les infractions d’ordre militaire prévues dans le Titre
II, Livre deuxième, du Code de Justice Militaire comprennent le port illégal d’uniforme, de
décorations, de signes distinctifs et militaires, les pillages, et les destructions.
Port illégal d’uniforme, de décorations, de signes distinctifs et militaires
Le droit humanitaire international, notamment les Conventions de Genève et le Statut de
Rome, prohibe l’utilisation indue d’uniforme et de signes distinctifs et militaires189. Le Code
de Justice Militaire a incorporé ces règles par référence en son article 138190.
188
L’exemple de la torture est particulièrement pertinent en l’espèce. La criminalisation de la torture par
transposition de la définition de la Convention contre la torture est une exception notable qui illustre que la mise
en oeuvre d’un traité international est parfois nécessaire. Le Sénégal a en effet transposé la définition de la
torture prévue dans la Convention contre la Torture (à laquelle le Sénégal est partie). L’article 295.1 du Code
Pénal criminalise la torture dans les termes suivants : « Constituent des tortures, les blessures, coups, violences
physiques ou mentales ou autres voies de fait volontairement exercés par un agent de la fonction publique ou par
toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec consentement express ou tacite, soit dans
le but d’obtenir des renseignements ou des aveux, de faire subir des représailles, ou de procéder à des actes
d’intimidation, soit dans un but de discrimination quelconque ».
189
Art. 8(2)(b)(vii)-(1) Statut de Rome: Utilisation indue d’un pavillon parlementaire; Art. 8(2)(b)(vii)-(2) Statut
de Rome: Utilisation indue du drapeau, des insignes ou de l’uniforme de l’ennemi; Art. 8(2)(b)(vii)-(3) Statut de
Rome: Utilisation indue du drapeau, des insignes ou de l’uniforme des Nations Unies; Art. 8(2)(b) (vii)(4) Statut de Rome: Utilisation indue des signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève ; Art. 8(2)(b)
98
Pillage
Les actes de pillage sont également prohibés par le droit international humanitaire et les lois et
coutumes de la guerre191. Ces actes sont prohibés par le Code de Justice Militaire sénégalais
dans les termes suivants des articles 143 et 144192.
Destructions
Les destructions prohibées par les articles 145 à 149 du Code de Justice Militaire ne semblent
pas couvrir toutes les hypothèses envisagées par le droit international humanitaire. Ces
articles ne concernent que la destruction de biens à l’usage des forces armées et ne punissent
pas la destruction de biens à caractère civil ou d’autres biens protégés en vertu du droit
humanitaire international193.
Cependant au regard des dispositions du Code de Justice Militaire et du Code Pénal, la plupart
des crimes de guerre à l’égard desquels la CPI a compétence ne sont pas prohibés en droit
sénégalais. Le Sénégal a, en principe, incorporé ces crimes au droit national en ratifiant les
Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels mais ni le Code Pénal, ni le Code de
Justice Militaire ne fournissent, à l’heure actuelle, de fondement juridique permettant de
poursuivre les auteurs de crimes de guerre non expressément mentionnés dans les codes. Le
Sénégal ne semble donc pas en mesure à l’heure actuelle d’enquêter sur, ou de poursuivre les
auteurs de tels crimes.
A l’instar des modèles de mise en oeuvre exposés ci-dessus, il apparaît souhaitable, en vertu
du principe de légalité mais également du principe de prévisibilité juridique, d’incorporer les
crimes du Statut à savoir le crime de génocide, le crime contre l’humanité et les crimes de
guerre dans le Code Pénal sénégalais et de reprendre textuellement, ou par référence, les
définitions prévues par le Statut et les Eléments des crimes. A cet égard, le Statut de Rome
n’ajoute d’ailleurs pas aux obligations juridiques du Sénégal qui, en tant qu’Etat partie aux
Conventions de Genève et à ses protocoles, et, entres autres, à la Convention sur la prévention
et la répression du crime de génocide, a d’ores et déjà accepté les définitions figurant au sein
de ces instruments, et, s’est engagé à mettre en oeuvre ces conventions en réprimant ces
et 8(2)(e)(ii) Statut de Rome: Attaque contre des biens ou des personnes utilisant les signes distinctifs prévus par
les Conventions de Genève; Art. 39 du Protocole I aux Conventions de Genève.
190
Est puni d’un emprisonnement de un à cinq ans tout individu, militaire ou non, qui, en temps de guerre, dans
la zone d’opération d’une force ou formation, en violation des lois et coutumes de guerre, emploie indûment les
signes distinctifs et emblèmes définis par les conventions internationales pour assurer le respect des personnes,
des biens, ainsi que des lieux protégés par ces conventions.
191
Voire, entre autres, les article 8(2)(b)(xvi) et 8(2)(e)(v) du Statut de Rome : « Pillage » ; et l’article 33 de la
IVème Convention de Genève
192
Article 143 du Code de Justice Militaire: Sont punis des travaux forcés à perpétuité, tous pillages ou dégâts de
denrées, marchandises ou effets commis en bande par les militaires ou par des individus embarqués soit avec des
armes ou à force ouverte, soit avec des bris de portes et clôtures extérieures, soit avec violences envers les
personnes (…) Néanmoins, si dans les cas prévus par l’alinéa 1 du présent article, il existe parmi les coupables,
un ou plusieurs instigateurs, un ou plusieurs militaires ou assimilés pourvus de grades, la peine des travaux
forcés à perpétuité n’est infligée qu’aux instigateurs et aux militaires ou assimilés les plus élevés en grade. (…)
Article 144 du Code de Justice Militaire: Tout individu, militaire ou non qui, dans la zone d’opérations d’une
force ou formation:
- dépouille un blessé, malade, naufragé ou mort, est puni des travaux forcés à temps de cinq à dix ans.
- exerce sur un blessé, malade, ou naufragé des violences aggravant son état en vue de le dépouiller est puni des
travaux forcés à perpétuité.
193
Voire, entre autres, Article 8(2)(b)(ii) du Statut de Rome : Attaque contre des biens de caractère civil ; Article
8(2)(b)(ix) et 8(2)(e)(iv) du Statut de Rome: Attaque contre des biens protégés ; Article 52-56 du Protocole I
additionnel aux Conventions de Genève ; et Article 53 de la IVème Convention de Genève.
99
crimes au niveau national. La mise en oeuvre du Statut de Rome est donc l’occasion
d’incorporer les dispositions de ces différentes conventions au sein du Code Pénal.
•
Les crimes du Statut doivent être incorporés dans le Code Pénal dans des termes
similaires ou compatibles avec les définitions du Statut.
3. Détermination des peines applicables
Le Code Pénal prévoit quatre types de peines en matière criminelle: la peine de mort, les
travaux forcés à perpétuité, les travaux forcés à temps et la détention criminelle194. La durée
de la peine de détention criminelle ne dépasse pas vingt ans195. Les peines d’amende font
l’objet de la sous-section suivante. A titre indicatif, le crime d’assassinat est puni de la peine
de mort et la torture est punie d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100
000 à 500 000 francs196.
Le Code Pénal ne prévoit pas de peines applicables aux crimes prévus par le Statut puisque
ceux-ci ne sont pas criminalisés en l’état actuel du droit. Il appartiendra donc lors de la mise
en œuvre des crimes du Statut de déterminer la peine qui leur sera applicable en vertu du
Code Pénal sénégalais. En vertu de l’article 80 du Statut, le Sénégal n’est nullement tenu de
reproduire les peines prévues par le Statut de Rome. Il serait cependant souhaitable de
reprendre les peines prévues par l’article 77 du Statut ou bien de s’en inspirer pour mettre en
place une échelle des peines similaire. Cette solution permettrait d’éviter que la Cour puisse
intervenir en invoquant la mauvaise volonté de l’Etat dans des hypothèses où une juridiction
sénégalaise aurait, en application du Code Pénal, condamné une personne à une peine minime
ne reflétant pas la gravité du crime et où la Cour se prévaudrait de cette peine en invoquant
que celle-ci aurait pour dessein de soustraire l’individu à sa responsabilité pénale aux termes
du Statut. Il est donc essentiel que les peines dont seront punis ces crimes en vertu du Code
Pénal reflètent la gravité des crimes. La détermination de peines similaires à celle prévues par
l’article 77 du Statut remplirait cette exigence.
•
Des peines punissant le crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de
guerre devront être introduites dans le Code Pénal. Ces peines devraient refléter
la gravité des crimes. La détermination d’une échelle des peines similaire à celle
prévue par l’article 77 du Statut remplirait cette exigence.
•
Le Code de Justice Militaire étant dérogatoire au Code Pénal et au Code de
Procédure Pénale, il apparaît plus opportun d’introduire les crimes prévus par le
Statut au sein du Code Pénal et d’introduire un renvoi au Code Pénal au sein du
Code de Justice Militaire en ce qui concerne ces crimes197.
C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
¾ Canada
194
Article 7 du Code Pénal (peines en matière criminelle).
Art 18 Code Pénal: La durée de la peine de la détention criminelle sera, selon les cas spécifiés par la loi, soit
de dix à vingt ans, soit de cinq à dix ans.
196
Art 287 et 295.1 du Code Pénal.
197
Les articles 34 et 35 du Code de Justice Militaire apparaissent en effet insuffisant en la matière. L’insertion
d’une disposition dans le Code Pénal comblerait cette lacune.
195
100
La loi canadienne porte modification du Code criminel canadien et incorpore les crimes du
Statut, tels que définis par le Statut, au sein des crimes prohibés par le droit pénal national.
Les crimes prohibés en vertu de la loi canadienne dépassent par ailleurs le cadre du Statut et
incorporent les règles du droit international coutumier. Les crimes du Statut, lorsqu’ils font
l’objet de poursuites et d’un procès au niveau national, sont passibles d’une peine
d’emprisonnement à perpétuité198.
¾ Nouvelle Zélande
La loi de mise en oeuvre néo-zélandaise confère une compétence aux juridictions nationales
pour connaître du crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre quel que soit
le lieu où ces crimes aient été commis et la nationalité de l’auteur des crimes, ainsi que le lieu
où se trouve cet individu199. La loi renvoie aux définitions du Statut par référence et prévoit
l’application des peines nationales existantes par équivalence. Le crime de génocide, ou de
complicité dans la perpétration d’un crime de génocide est passible de la peine applicable en
matière de meurtre lorsqu’il est constitué d’un acte ayant causé la mort intentionnellement.
Dans les autres cas, il est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité200.
Les mêmes peines sont applicables au crime contre l’humanité et aux crimes de guerre201.
¾ Suisse
La Suisse n’a adopté qu’une loi relative à la coopération. La législation interne suisse permet
déjà d’entamer des enquêtes et poursuites contre les auteurs de crimes de guerre car elle a
mise en oeuvre les Conventions de Genève lors de la révision du code pénal militaire du 5
octobre 1967, qui permet aux juridictions militaires suisses de juger les auteurs de crimes de
guerre, quel que soit le lieu où le crime ait été commis et que l’auteur du crime soit un civil ou
un militaire 202 . La Suisse a également mis en oeuvre la Convention contre le génocide suite
à sa récente ratification. En ce qui concerne le crime contre l’humanité, la Suisse devrait
adopter une loi courant 2002.
¾ Royaume Uni
La loi renvoie dans son chapitre V aux articles 6,7 et 8 du Statut, ainsi qu’aux éléments des
crimes et transpose ainsi les crimes du Statut en crimes de droit interne203. L’autorisation du
Ministre de la Justice est requise pour l’engagement de poursuites. Si le crime a été commis à
l’étranger, il sera instruit comme s’il avait été commis au Royaume Uni. Lorsque le crime
commis comprend un crime de meurtre, la peine applicable est celle prévue pour le crime de
meurtre en vertu de la législation nationale. Dans les autres hypothèses, l’auteur du crime est
passible d’une peine maximale d’emprisonnement de 30 ans204.
¾ Afrique du Sud: Art. 3(d) et 4.
198
Article 4.
Article 8 : Jurisdiction in respect of international crimes
200
Article 9.
201
Articles 10 et 11.
202
Affaire Niyonteze, Décision du Tribunal militaire de Cassation du 27 avril 2001 qui infirme la décision du
Tribunal militaire d’appel du 26 mai 2000. Voir également la décision du Tribunal militaire de Lausanne,
Décision du 30 avril 1999: Le Tribunal a condamné Fulgence Niyonteze à la réclusion à vie en vertu de l’article
116 du code pénal suisse. Les infractions retenues ont été l’assassinat, l’instigation à l’assassinat et les
infractions graves aux dispositions des Conventions de Genève. Voir également la ratification récente de la
Convention contre le génocide et la loi de mise en oeuvre du crime de génocide en droit suisse.
203
Art. 50.
204
Art. 53: Trial and punishment of main offences.
199
101
II.
Responsabilité pénale
A. Dispositions du Statut de Rome
Les principes de responsabilité pénale des individus établis par le Code Pénal doivent
permettre de punir les responsables de crimes dans les mêmes conditions que le Statut. Le
Statut n’exige pas des Etats qu’ils reproduisent les dispositions du Statut mais simplement
qu’ils s’assurent que les modalités d’engagement de la responsabilité individuelle prévue en
droit interne permettent d’engager la responsabilité d’un individu dans les conditions prévues
par le Statut. Les articles 25, 28 et 33 du Statut de Rome fixent les conditions à l’occasion
desquelles la responsabilité pénale d’un individu est engagée. Au sein des ces articles, il faut
distinguer la responsabilité pénale individuelle d’une part et la responsabilité des supérieurs
militaires et autres supérieurs hiérarchiques. Les motifs d’exonération de la responsabilité
pénale relèvent également de la responsabilité pénale individuelle mais seront traités de
manière distincte dans la sous-section suivante.
1. Responsabilité pénale individuelle (Art. 25 du Statut)
L’article 25 du Statut de Rome est intitulé «responsabilité pénale individuelle » et traite
essentiellement du mode de participation à la perpétration du crime. L’article 25(3) énumère
les différents modes de participation au crime qui sont susceptibles de conduire la CPI à
reconnaître un individu responsable pénalement.
3. Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime
relevant de la compétence de la Cour si:
a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par
l’intermédiaire d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable;
b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime, dès lors qu’il y a commission ou
tentative de commission de ce crime;
c) En vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte son aide, concours ou toute autre forme
d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les
moyens de cette commission;
d) Elle contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission d’un tel crime
par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être intentionnelle et, selon le
cas :
i)
Viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité
ou ce dessein comporte l’exécution d’un crime relevant de la compétence de la Cour;
ou
ii)
Être faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime.
e) S’agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le commettre;
f) Elle tente de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel, constituent un
commencement d’exécution mais sans que le crime soit accompli en raison de circonstances
indépendantes de sa volonté. Toutefois, la personne qui abandonne l’effort tendant à commettre le
crime ou en empêche de quelque autre façon l’achèvement ne peut être punie en vertu du présent Statut
pour sa tentative si elle a complètement et volontairement renoncé au dessein criminel.
Sont donc punis :
- la commission du crime;
- l’ordre de commettre un crime ou la sollicitation, l’encouragement à commettre un crime ;
- l’aide, le concours, l’assistance à commettre un crime;
- toute autre contribution à la commission d’un crime par un groupe de personnes sous
réserve que celle ci soit intentionnelle et vise à faciliter l’activité ou le dessein criminel du
groupe, ou qu’elle soit faite en connaissance de l’intention du groupe;
- la tentative.
102
En ce qui concerne le crime de génocide, l’alinéa e) criminalise l’incitation publique et directe
à le commettre. Ces différents modes de participation au crime constituent l’acte criminel.
S’ajoute à l’acte l’élément psychologique constitutif du crime (means rea) que le Statut
définit dans son article 30205. Afin de permettre aux Etats Parties de s’assurer que leurs
juridictions puissent poursuivre au niveau national les personnes commettant un des crimes du
Statut, il pourrait s’avérer nécessaire pour ces Etats d’incorporer au sein de leur législation de
mise en œuvre les principes de responsabilité pénale individuelle prévus par le Statut.
2. Responsabilité des supérieurs militaires et civils
L’article 28 du Statut de Rome traite de la responsabilité des commandants et autres
supérieurs hiérarchiques dans les termes suivants :
Article 28 : Responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques
Outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du présent Statut pour des crimes relevant de la
compétence de la Cour :
1. Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable
des crimes relevant de la compétence de la Cour car commis par des forces placées sous son commandement et
son contrôle effectif, ou sous son autorité et son contrôle effectif, selon le cas lorsqu’il n’a pas exercé le contrôle
qu’il convenait sur ces forces dans les cas où :
a) Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces
commettaient ou allaient commettre ces crimes; et
b) Ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en
son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins
d'enquête et de poursuites;
2. En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a),
le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis
par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle
qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où :
a) Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a
délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement;
b) Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs; et
c) Le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son
pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins
d'enquête et de poursuites.
L’article 28 opère une distinction entre chefs militaires et supérieurs hiérarchiques non
militaires. La responsabilité des supérieurs non militaires est plus difficile à prouver que
celles des chefs militaires dont la responsabilité est strictement définie compte tenu de la
structure des organisations militaires et de la nécessité de maintenir cette discipline militaire.
Les chefs militaires sont tenus responsables des crimes commis par leurs soldats s’ils savaient
ou auraient dû savoir que ces crimes étaient commis et s’ils ont omis de prendre les mesures
nécessaires pour prévenir ou réprimer ces crimes.
Les supérieurs non militaires seront tenus responsables des crimes commis par leurs
subordonnés : lorsqu’ils savaient, ou ont volontairement fermé les yeux sur des informations
indiquant clairement que les subordonnés étaient en train de commettre ou sur le point de
205
Art. 30 du Statut: 1. Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison
d’un crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime accompagne d’intention et
de connaissance. 2. Il y a intention au sens du présent article lorsque : a) Relativement à un comportement, une
personne entend adopter ce comportement ; b) Relativement à une conséquence, une personne entend causer
cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements. 3. Il y a
connaissance, au sens du présent article, lorsqu’une personne est consciente qu’une circonstance existe ou
qu’une connaissance adviendra dans le cours normal des événements. « Savoir » et « connaître » s’interprètent
en conséquence.
103
commettre des crimes relevant de la juridiction de la CPI, lorsque ces crimes sont liés à
l’activité sous le contrôle des supérieurs, et que ces derniers ont omis de prendre les mesures
nécessaires pour prévenir ou réprimer ces crimes, ou ont omis d’en saisir les juridictions
compétentes. Le niveau de preuve exigé est supérieur car il faut établir que le supérieur avait
connaissance de la commission du crime ou a délibérément ignoré le crime.
Le pouvoir hiérarchique est une condition nécessaire à la mise en cause de la responsabilité
d’un supérieur. Le facteur déterminant au regard du lien de subordination est la possession
réelle d’un pouvoir de contrôle et d’autorité sur les agissements des subordonnés que ce
pouvoir soit exercé de droit ou de fait206.
•
Il importe pour les Etats Parties de s’assurer que les dispositions de leurs codes
pénaux et de justice militaire prévoit la responsabilité des chefs militaires et autres
supérieurs hiérarchiques dans des termes similaires à ceux du Statut de Rome.
B. Etat du droit sénégalais
1. Responsabilité pénale individuelle
• Tentative
Le droit sénégalais punit la tentative en vertu des articles 2 et 295.1(2) et (3) du Code
Pénal207.
• Complicité
La complicité est punie de la même peine que la perpétration du crime208 et est définie dans
les termes suivants par l’article 46 du Code Pénal :
Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délits ceux qui, par dons, promesses, menaces,
abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action ou donné des
instructions pour la commettre.
Ceux qui auront procuré des armes, des instruments ou tout autre moyen qui aura servi à l’action sachant qu’il
devait y servir.
Ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action, dans les faits qui
l’auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l’auront consommée, sans préjudice des peines qui seront
spécialement portées par le présent Code contre les auteurs de complots ou de provocations attentatoires à la
sûreté de l’Etat, même dans les cas où le crime qui était l’objet des conspirateurs ou des provocateurs n’aurait
pas été commis209.
L’ordre de commettre un crime, ainsi que la plupart des hypothèses de participation à la
perpétration d’un crime prévues par l’article 25 du Statut semblent prise en compte dans cet
article. Certains articles mentionnés ci-après disposent également de règles plus spécifiques.
Les articles 47 à 49 du Code Pénal prévoient également la responsabilité des personnes qui :
206
Manuel canadien, p. 105-107.
Art 295.1 (torture) alinéa 2 & 3 du Code Pénal : La tentative est punie comme l’infraction consommée.
Les personnes visées au premier alinéa coupables de torture ou de tentative seront punies d’un emprisonnement
de cinq à dix ans et d’une amende de 100 000 à 500 000 F.
Article 2 du Code Pénal : Toute tentative qui aura été manifestée par un commencement d’exécution, si elle n’a
pas été suspendue ou si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son
auteur, est considérée comme le crime même.
208
Art 45 : Les complices d’un crime ou d’un délit sont punis de la même peine que les auteurs eux mêmes de ce
crime ou de ce délit sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement.
209
CA N°398 du 27 juillet 1978 Mpet USB c/ FALL : la complicité suppose nécessairement un auteur principal et
un fait principal.
207
104
-
connaissant la conduite criminelle des auteurs de crimes leur fournissent habituellement
logement, lieu de retraite ou de réunion (article 47) ;
ayant connaissance qu’un crime tenté ou consommé, n’ont pas averti les autorités
compétentes, alors qu’il était encore possible de prévenir le crime ou d’en limiter les effets
(article 48) ;
auraient pu empêcher un crime ou un délit contre l’intégrité corporelle par leur action
immédiate sans risque pour elle ou pour des tiers (article 49) ;
ne sont abstenus volontairement de porter assistance à une personne en danger (article 49).
Le Code de Justice Militaire se contente de prévoir la responsabilité pénale individuelle des
personnes qui commettent des crimes à l’encontre des militaires210 et ne traite que de manière
tout à fait insuffisante de la responsabilité individuelle du personnel militaire211 . L’article
135(1) illustre cette insuffisance dans la matière où il constitue une des rares dispositions du
Code de Justice Militaire définissant certains principes de responsabilité pénale individuelle,
notamment « l’incitation à commettre des actes contraires au devoir ». Cependant, la portée
de cet article reste limitée et ce d’autant plus que la notion de devoir n’est pas définie212. Le
Code de Justice Militaire étant dérogatoire, les principes de responsabilité pénale individuelle
de droit commun devraient s’appliquer au personnel militaire à défaut de dispositions
contraires dans le Code de Justice Militaire. En l’espèce, il apparaîtrait cependant préférable
de procéder à un renvoi express aux principes de droit commun sus-mentionnés prévus dans
le Code Pénal.
• Associations ou ententes criminelles
La mise en place d’associations ou d’ententes dans le but de préparer ou de commettre un ou
plusieurs crimes ou délits contre les personnes est également punie aux termes des articles
238 à 240 du Code Pénal modifié par la loi n°99-05 du 29 janvier 1999.
• Provocation et incitation
L’incitation à commettre une action qualifiée de crime ou délit par des moyens de diffusion
publique213 est punie en vertu des articles 249 à 252 du Code Pénal214. En vertu de l’article
210
Les articles 32 et 33 du Code de Justice Militaire disposent que les auteurs, co-auteurs ou complices d’une
infraction contre des forces armées sénégalaises ou contre les établissements ou matériels sont justiciables des
juridictions ordinaires à formation spéciale si cette infraction est réprimée par la loi pénale sénégalaise, et ce
qu’elle que soit la nationalité des auteurs.
211
Le Code de Justice Militaire prévoit plusieurs catégories de personnes relevant de sa compétence qui sont :
1) les personnels militaires des Armées de Terre, Air et Mer, des services de Gendarmerie nationale, du
Groupement national des Sapeurs Pompiers
2) les personnels des corps paramilitaires, la Police de la douane, des Parcs nationaux, du Service national
d’hygiène sont régis par des statuts qui renvoient au Code de Justice Militaire
3) les personnes qui sans être militaires ou paramilitaires sont soit portées présentes dans l’équipage d’un bateau
ou d’un aéronef militaire, soit dans un équipage de prise et les prisonniers de guerre relèvent du Code de Justice
pour les infractions commises par eux durant leurs transports
4) les personnes même non militaires, auteurs ou complices, d’une infraction contre les forces armées
sénégalaises ou contre les établissements ou matériels militaires lorsque les infractions commises par elles sont
punies par le Code Pénal sénégalais (Préambule de la Loi 94-44 du 27 Mai 1994 portant Code de Justice
Militaire, JORS n° 5602 du 15 Octobre 1994, p 451).
212
L’article 135(1) du Code de Justice Militaire prévoit que «est puni en temps de paix d’un emprisonnement de
six à deux ans tout militaire ou individu embarqué qui sans intention de trahison, incite par quelque moyen que
ce soit un ou plusieurs militaires ou assimilés à commettre des actes contraires au devoir ou à discipline».
213
Les moyens de diffusion publique sont définis par l’article 248 du Code Pénal dans les termes suivants:
Sont considérés comme moyens de diffusion publique la radiodiffusion, la télévision, le cinéma, la presse,
l’affichage, l’exposition, la distribution d’écrits ou d’images de toutes natures, les discours, chants, cris ou
105
252, tout acte d’apologie d’un crime est puni en tant que provocation215. L’article 251 du
Code Pénal doit être particulièrement souligné en cela qu’il établit une règle particulière en
matière de provocation adressée, entre autres, à des militaires «dans le but de les détourner de
leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur
commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires »216. Le Code de Justice
Militaire punit également «l’incitation à commettre des actes contraires au devoir » dans les
termes suivants217 :
Est puni en temps de paix d’un emprisonnement de six mois à deux ans, tout militaire ou tout individu embarqué
qui, sans intention de trahison, incite par quelque moyen que ce soit un ou plusieurs militaires ou assimilés à
commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline (…)
En ce qui concerne l’élément psychologique, le Code Pénal semble l’inclure au sein même de
la définition de chaque type de crime218. Au regard des dispositions sus-mentionnées, il
apparaît que la plupart des modes de participation au crime envisagé par l’article 25 du Statut
de Rome sont couverts par le droit sénégalais et engagent donc la responsabilité pénale
individuelle des auteurs de telles actions.
•
Les dispositions du Code Pénal relatives à la responsabilité pénale individuelle
semblent conformes aux dispositions de l’article 25 du Statut mais les dispositions
du Code de Justice Militaire relatives à la responsabilité pénale individuelle du
personnel militaire sont insuffisantes et devraient être complétées par un renvoi
explicite aux principes prévus par le Code Pénal.
2. Responsabilité des supérieurs
a) Autorités militaires
Les dispositions traitant de la responsabilité des supérieurs en droit sénégalais sont les
suivantes :
menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, et généralement tout procédé technique destiné à atteindre
le public.
214
Art 249 du Code Pénal : Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délits ceux qui, par
l’un des moyens visés à l’article 248 auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite
action, si la provocation a été suivie d’effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation
n’aura été suivie que d’une tentative d’infraction punissable.
215
Art 252 du Code Pénal : Seront punis d’un emprisonnement d’un à trois ans et d’une amende de 20 000 à 200
000 francs, ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 248, auront fait l’apologie d’un crime ou d’un
délit.
216
Art 251 Code Pénal : Toute provocation par l’un des moyens énoncés en l’article 248 adressée à des
militaires, gendarmes ou gardes républicains, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de
l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et
règlements militaires, sera punie d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 20 000 à 300 000
francs.
217
Article 135 du Code de Justice Militaire: alinéas 2 et 3:
Si le coupable est d’un grade supérieur à celui de tous ceux qui ont été incité à commettre lesdits actes, il est puni
d’un emprisonnement de un à cinq ans.
Lorsque les faits sont commis en temps de guerre ou sur un territoire en état de siège ou d’urgence, le coupable
est puni des travaux forcés à temps de cinq à dix ans, dans les cas prévus à l’alinéa 1 du présent article, et du
maximum de cette peine dans celui prévu à l’alinéa 2.
218
A titre d’illustration, voire les articles 286 et 294 du Code Pénal dans lesquels l’exigence d’un acte
« volontaire » correspond à «l’élément psychologique » au sens de l’article 30 du Statut.
106
Article 41 du Code de Justice Militaire
« Lorsque les infractions visées aux articles 38 et 40 sont commises à titre principal par un subordonné, et que
ses supérieurs hiérarchiques ne peuvent être recherchés comme coauteurs, ils sont considérés comme complices
dans la mesure où ils auront organisé, toléré ou volontairement tu les agissements criminels de leur
subordonné. »
Art 301 du Code Pénal
« Les crimes et délits prévus dans cette section et dans la section précédente, s’ils sont commis en réunion
séditieuse, avec rébellion ou pillage, sont imputables aux chefs, auteurs, instigateurs et provocateurs de ces
réunions, rébellions ou pillages qui seront punis comme coupables de ces crimes ou de ces délits et condamnés
aux mêmes peines que ceux qui les auront personnellement commis. »
Le droit international impose aux supérieurs hiérarchiques l’obligation d’empêcher les
personnes sous leurs ordres d’enfreindre les règles du droit international humanitaire. Les
articles 86(2) et 87 du Premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève ont codifié
ce principe.
Le principe de responsabilité pénale du supérieur militaire du fait de ses subordonnés qui peut
être induit de la lecture des article 41 et 135 du Code de Justice Militaire ne permet pas une
application complète des dispositions du Statut. En effet, la responsabilité des supérieurs
militaires est limitée au champ d’application des article 38 à 40 du Code de Justice Militaire.
Ce principe de responsabilité pénale coexiste avec les dispositions des articles 157, 168 (1) et
(2), et 173 du Code de Justice Militaire et les articles 46, 47, et 48 du Code Pénal qui ne
posent pas expressément le principe de la responsabilité pénale du supérieur militaire du fait
de son subordonné.
Il convient donc de modifier le Code Pénal et le Code de Justice Militaire afin que les
responsabilité des supérieurs militaires du fait de leurs subordonnés puisse être mise en cause.
De plus, lors de la mise en œuvre de cette responsabilité, une difficulté pourrait se présenter
en matière de qualification du lien de subordination. Le Statut prévoit un lien de contrôle
effectif . Or, il n’est pas certain que le lien de subordination envisagé dans les articles susmentionnés couvre des hypothèses de contrôle effectif d’un supérieur sur des troupes qui ne
sont pas soumises pas à son pouvoir hiérarchique légal.
Par conséquent, en l’état actuel du droit sénégalais, le lien de subordination défini par le Code
Pénal ne semble prendre en compte que la hiérarchie légale. Par conséquent, les dispositions
du Code Pénal et du Code de Justice Militaire sont insuffisantes au regard du Statut dans la
mesure où elles n’établissent pas la responsabilité pénale d’un supérieur militaire disposant
d’un contrôle effectif sur des subordonnés indépendamment de tout texte normatif. Les codes
précités devraient donc être complétés en ce sens.
b) Autorités hiérarchiques civiles
Le principe de la responsabilité pénale des autorités hiérarchiques civiles du fait de préposés
ou des personnes agissant sous leurs ordres ne figure pas dans le droit pénal sénégalais.
Les différents textes régissant le droit de la Fonction Publique au Sénégal219 ne prévoient pas
expressément une telle responsabilité. L’absence de responsabilité pénale des supérieurs
219
Loi 61-33 du 15 Juin 1961 modifiée par la loi 65-12 du 4 Février 1965 et la loi 68-01 du 4 Janvier 1968décret 63-520 du 17 Juillet 1963 portant statut du cadre des fonctionnaires de justice (JORS N°° 3620 du 10 août
1963, p 1112)- Loi 66-07 du 18 Janvier 1966 relative au statut des forces de polices ainsi les dispositions non
contraire du Décret N° 63-361 du 26 Juin 1963 portant statut particulier du cadre de fonctionnaire de police
(JORS DU 17 avril 1967 p 555 et JORS du 20 Janvier 1963 p 992) – Décret 61-11 112 du 15 Mars 112 du 15
107
hiérarchiques civils du fait des actes commis par leurs subordonnés et de leurs préposés crée
une difficulté pour la recherche de responsables d’actes incitatifs ou d’ordres ayant pour but la
perpétration de crimes relevant du Statut.
En effet, dans l’hypothèse où des agents de l’Administration participeraient à des crimes
relevant du Statut, la mise en cause de la responsabilité pénale de leurs supérieurs
hiérarchiques ne serait pas possible220. Il est nécessaire de combler cette lacune en droit pénal
afin que les autorités de l’Etat (Préfets, Sous Préfets, Gouverneurs, autres représentants de
l’Etat sur le territoire) puissent voir leur responsabilité pénale recherchée pour les faits de
leurs subordonnés.
•
La responsabilité des supérieurs militaires est prévue par le Code Pénal et le
Code de Justice Militaire mais elle est limitée à des hypothèses déterminées et les
critères de responsabilité sont plus étroits que ceux prévus par l’article 28 du
Statut de Rome. La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques civils
semble, quant à elle, inexistante en droit sénégalais. Par conséquent, il apparaît
nécessaire de revoir les principes de la responsabilité des supérieurs au regard de
l’article 28 du Statut de Rome afin de s’assurer que les juridictions sénégalaises
puissent connaître d’affaires relatives à la responsabilité de supérieurs sans
risquer d’être dépourvues de leur compétence par la CPI.
C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
¾ Canada
La loi a incorporé les exigences du Statut de Rome relatives au mode de participation dans
son article 4. En ce qui concerne la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, celle-ci est
prévue dans les articles 5 et 7 de la loi.
¾ Nouvelle Zélande
La loi néo-zélandaise renvoie par référence aux articles 25 et 28 du Statut et prévoit leur
applicabilité dans le cadre de poursuite au niveau national221.
¾ Royaume Uni
Les articles relatifs au crime de génocide, crime contre l’humanité et crime de guerre
criminalisent également les infractions inchoatives222. La section 55 définit les infractions
inchoatives en renvoyant aux lois anglaises définissant la responsabilité pénale individuelle et
les modes de participation aux crimes. Au total, le renvoi au droit interne apparaît couvrir
toutes les hypothèses du Statut et ne pose donc pas problème223. En ce qui concerne la
responsabilité des supérieurs hiérarchiques civils et militaires, l’article 65 de la loi reprend les
dispositions du Statut et les rend applicables en droit interne.
mars 1961 fixant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la
Fonction Publique(JORS n°3444 du 8 avril 1961 p 496- Loi 73-60 du 19 Décembre 1973 modifiant la loi 61-33
du 15 Juin 1961 JORS 4333 du 28 Décembre 1973 p 2277
220
Il n’est pas certain que cette responsabilité du supérieur civil puisse exister en droit civil
221
Article 12: General Principles of criminal Law et Article 9.
222
Articles 51, 52 et 53.
223
Article 55 et 62.
108
III.
Causes d’exonération et imprescriptibilité
Le défaut de pertinence de la qualité officielle a été traité dans la section consacrée aux
immunités et ne sera donc pas abordé dans la présente section. Il est cependant utile de
rappeler qu’en vertu de l’article 27 du Statut, la “qualité officielle de chef d’Etat ou de
gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou
d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale”, ni ne constitue un
motif de réduction de la peine.
A. Statut de Rome
1. Causes d’exonération
Les Etats n’ont pas l’obligation d’introduire les mêmes motifs d’exonération que ceux prévus
par le Statut dans leur droit pénal mais ils devraient cependant s’assurer que les moyens de
défense existant dans leur propre système de justice pénale ne permettent pas aux personnes
inculpées de se soustraire à leur responsabilité pénale à l’égard de crimes relevant de la
compétence de la CPI. L’article 31 du Statut définit la plupart des motifs d’exonération de la
responsabilité pénale:
Article 31: Motifs d’exonération de la responsabilité pénale
1.Outre les autres motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le présent Statut, une personne
n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause:
a) Elle souffrait d’une maladie ou d’une déficience mentale qui la privait de la faculté de comprendre le
caractère délictueux ou la nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer aux
exigences de la loi;
b) Elle était dans un état d’intoxication qui la privait de la faculté de comprendre le caractère délictueux ou la
nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer aux exigences de la loi, à moins
qu’elle ne se soit volontairement intoxiquée dans des circonstances telles qu’elle savait que, du fait de son
intoxication, elle risquait d’adopter un comportement constituant un crime relevant de la compétence de la
Cour, et qu’elle n’ait tenu aucun compte de ce risque;
c) Elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou, dans le cas des crimes de guerre,
pour défendre des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une
mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, d’une manière proportionnée à l’ampleur
du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés. Le fait qu’une personne
ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif
d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa.
d) Le comportement dont il est allégué qu’il constitue un crime relevant de la compétence de la Cour a été
adopté sous la contrainte résultant d’une menace de mort imminente ou d’une atteinte grave, continue ou
imminente à sa propre intégrité physique ou à celle d’autrui, et si elle a agi par nécessité et de façon
raisonnable pour écarter cette menace, à condition qu’elle n’ait pas eu l’intention de causer un dommage
plus grand que celui qu’elle cherchait à éviter. Cette menace peut être:
i) Soit exercée par d’autres personnes;
iii)
Soit constituée par d’autres circonstances indépendantes de sa volonté.(…)
Les moyens de défense prévus par le Statut sont la déficience mentale, l’intoxication, la
légitime défense et l’état de nécessité. La plupart de ces moyens de défense sont déjà
reconnus dans les droits nationaux et il convient par conséquent de vérifier que les
dispositions en vigueur sont conformes à celles du Statut et, le cas échéant, d’adapter les
dispositions en vigueur aux moyens de défense prévus par le Statut. Une révision du droit
national allant dans le sens d’une harmonisation avec le Statut aurait l’avantage d’uniformiser
les procédures et de permettre notamment à une personne accusée devant une juridiction
nationale d’invoquer les mêmes motifs d’exonération de la responsabilité pénale que devant la
CPI.
109
2. La défense d’ordres supérieurs
En vertu de l’article 33 du Statut, le fait qu’un crime de génocide, crime contre l’humanité ou
crime de guerre ait été commis sur l’ordre d’un supérieur hiérarchique, militaire ou civil,
n’exonère pas la personne qui l’a commis de sa responsabilité pénale. Ce principe connaît
néanmoins une exception qui s’applique lorsque les trois conditions énumérées ci-dessous
sont réunies:
Article 33 : Ordre hiérarchique et ordre de la loi
1. Le fait qu'un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis sur ordre d'un gouvernement ou d'un
supérieur, militaire ou civil, n'exonère pas la personne qui l'a commis de sa responsabilité pénale, à moins que :
a) Cette personne n'ait eu l'obligation légale d'obéir aux ordres du gouvernement ou du supérieur en question;
b) Cette personne n'ait pas su que l'ordre était illégal; et
c) L'ordre n'ait pas été manifestement illégal.
2. Aux fins du présent article, l'ordre de commettre un génocide ou un crime contre l'humanité est manifestement
illégal.
Ces conditions sont cumulatives et l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre
l’humanité est toujours manifestement illégal. Ce moyen de défense a fait l’objet de
controverses. Les Chartes des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, comme les Statuts du
TPIY et du TPIR, indiquent que la défense d’ordre supérieur n’est pas recevable et que l’ordre
de commettre un crime étant illégal en lui-même, il ne peut justifier le comportement d’un
subordonné. L’article 33 reflète cependant le droit interne de la plupart des Etats dans la
mesure où l’ordre supérieur est un moyen de défense sauf lorsque l’ordre donné était
manifestement illégal ou si la personne savait que cet ordre était illégal.
Les Etats Parties ne sont pas obligés de modifier leur droit interne si celui-ci ne prévoit pas la
possibilité pour un accusé d’invoquer ce moyen de défense. Pour les Etats qui disposent d’une
loi prévoyant la possibilité d’invoquer ce moyen de défense, la seule modification à apporter
consisterait à préciser que la défense d’ordres supérieurs ne peut être invoquée lorsque l’ordre
en question concernait un crime contre l’humanité ou un génocide. Cependant, dans un souci
d’harmonisation du droit interne aux dispositions du Statut, les ajustements qui pourraient être
envisagées seraient:
-
de déclarer la défense d’ordres supérieurs généralement irrecevable.
de ne considérer l’ordre supérieur comme un moyen de défense que si l’accusé avait
l’obligation légale d’obéir aux ordres, et ne savait pas que l’ordre était illégal, et que
l’ordre n’était pas manifestement illégal.
De plus, la défense d’ordre supérieur est systématiquement irrecevable lorsque l’accusé a
reçu l’ordre de commettre un crime contre l’humanité ou un génocide;
Les règles applicables à la défense d’ordres supérieurs doivent être les mêmes que l’ordre
ait été donné par une autorité militaire ou civile224.
3. Imprescriptibilité
La CPI n’a pas compétence pour juger les crimes qui ont été commis avant l’entrée en vigueur
du Statut. Toutefois, à compter de son entrée en vigueur, les auteurs des crimes décrits au
Statut pourront toujours être jugés et punis par la Cour, quel que soit le nombre d’années
écoulées entre le crime et l’acte d’accusation puisque les crimes soumis à la juridiction de la
CPI ne seront sujets à aucune forme de prescription en vertu de l’article 29 du Statut.
224
Manuel canadien, p. 103-104.
110
Article 29: Imprescriptibilité
Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas.
Les Etats Parties doivent, en conséquent, prévoir la possibilité de remettre une personne à la
CPI, même lorsque, en vertu du droit national, le crime pour lequel elle est accusée serait
prescrit. Enfin, en vertu du principe de complémentarité, et afin que les juridictions nationales
puissent exercer leur compétence, les Etats parties pourraient introduire l’imprescriptibilité
des crimes du Statut dans leur législation nationale, même lorsqu’ils ne sont pas parties à la
Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité,
adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1968225. Dans tous les cas, les Etats
sont tenus de prévoir, au sein de leur loi de mise en oeuvre, la possibilité de remettre un
accusé à la Cour, même si le crime dont il est accusé est prescrit en vertu du droit national.
B. Etat du droit sénégalais
1. Causes d’exonération
L’article 51 du Code Pénal dispose que “Nul crime ou délit ne peut être excusé (…) que dans
les cas et dans les circonstances où la loi déclare le fait excusable (…)”.
Les moyens de défense prévus par le Statut sont la déficience mentale, l’intoxication, la
légitime défense et l’état de nécessité. En dehors de l’intoxication, les autres moyens de
défense sont explicitement prévus par le Code Pénal sénégalais. La démence semble être
définie largement et il est envisageable qu’un “état d’intoxication” puisse être assimilé à un
“état de démence au temps de l’action” dans les termes de l’article 50 du Code Pénal226. La
provocation, la légitime défense et l’état de nécessité font l’objet des articles 309 et 316227 et
de l’article 168 du Code de Justice Militaire228. Il faut de plus noter qu’en ce qui concerne les
actes de torture:
Aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de
guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout acte d’exception, ne pourra être invoquée pour justifier la
torture229.
•
Les moyens de défense prévus par le Code Pénal correspondent aux motifs
d’exonération de l’article 31 du Statut de Rome et ne nécessitent donc pas de
modifications.
2. La défense d’ordres supérieurs
225
Ils pourraient également envisager de ratifier cette convention à l’occasion.
Art 50 du Code Pénal: Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de
l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister.
227
Art 309 du Code Pénal: Le meurtre ainsi que les blessures et les coups sont excusables, s’ils ont été
provoqués par des coups ou violences graves envers les personnes.
Art 316 CP : Il n’y crime, ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la
nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui.
228
L’article 168 prévoit que « est puni de six mois à cinq ans d’emprisonnement tout militaire ou assimilé qui,
hors le cas de légitime défense de soi-même ou d’autrui exerce des violences sur un subordonné. Toutefois il
n’y a ni crime ni délit si les violences ont été commises à l’effet de rallier des fuyards en présence de l’ennemi
ou de bande armée ou d’arrêter soit le pillage ou la dévastation soit le désordre grave de nature à compromettre
la sécurité d’un bâtiment de la marine ou d’un aéronef militaire ».
229
Art 295.1 (torture) alinéa 4 du Code Pénal. Voire également articles 311-313 en ce qui concerne les crimes
pour lesquels des conditions particulières s’appliquent au regard des moyens de défense.
226
111
L’ordre supérieur n’est jamais une défense en matière de torture en vertu de l’article 295(1)
alinéa 5 du Code Pénal:
L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne pourra être invoqué pour justifier la torture.
Cependant, en ce qui concerne les autres crimes, rien en semble indiquer que les ordres
supérieurs ne soient une défense. Certaines dispositions semblent pourtant établir une
obligation indifférenciée d’obéir aux ordres d’une autorité légitime comme l’indique les
article suivants :
Art 315 du Code Pénal
Il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés
par l’autorité légitime.
Article 155 du Code de Justice Militaire
Tout commandant militaire ou assimilé régulièrement saisi d’une réquisition légale de l’autorité compétente, qui
refuse ou s’abstient de faire agir les forces sous ses ordres, est puni de un à deux ans d’emprisonnement.
Article 157 du Code de Justice Militaire
Est puni d’un emprisonnement d’un à deux ans, tout militaire, tout assimilé ou tout individu embarqué qui refuse
d’obéir, ou qui, hors le cas de force majeure, n’exécute pas l’ordre reçu(..).
Article 173 du Code de Justice Militaire:
Tout militaire ou assimilé qui viole une consigne générale donnée à la troupe ou une consigne qu’il a
personnellement reçue mission d’exécuter ou de faire exécuter ou qui force une consigne donnée à un autre
militaire, est puni d’un emprisonnement de deux mois à 3 ans.
La portée de ces articles au regard du Statut de Rome n’est pas claire. Le droit sénégalais ne
semble pas considérer que l’ordre d’un supérieur puisse être invoqué comme moyen de
défense. Il oblige cependant les subordonnés, et en particulier les subordonnés militaires, à
obéir aux ordres de manière indifférente, sans laisser de marge de manœuvre à une personne
tenue d’exécuter un ordre manifestement illégal. Ce dernier point justifie une révision du
Code de Justice Militaire et du Code Pénal qui permette d’incorporer les principes de l’article
33 et déclare notamment que :
•
•
•
•
La défense d’ordres supérieurs est généralement irrecevable.
L’ordre supérieur ne peut être considéré comme un moyen de défense que si l’accusé
avait l’obligation légale d’obéir aux ordres, et ne savait pas que l’ordre était illégal,
et que l’ordre n’était pas manifestement illégal.
La défense d’ordre supérieur est, dans tous les cas, systématiquement irrecevable
lorsque l’accusé a reçu l’ordre de commettre un crime contre l’humanité ou un
génocide.
Les règles applicables à la défense d’ordres supérieurs doivent être les mêmes que
l’ordre ait été donné par une autorité militaire ou civile.
3. Imprescriptibilité
Ni le Code Pénal, ni le Code de Procédure Pénale ne contiennent de dispositions sur
l’imprescriptibilité des crimes tels que le crime de génocide, crime contre l’humanité et crime
de guerre, ou d’autres crimes. Aux termes du Code de Procédure Pénale, la prescription est de
dix ans en matière de crimes et trois ans en matière de délit (la prescription en matière de
délits est pertinente dans la mesure où la torture et les actes de barbarie sont qualifiés de
112
délits)230. Au regard de l’article 29 du Statut, il apparaît donc souhaitable de modifier le droit
de manière à permettre aux juridictions sénégalaises de connaître de la perpétration de crimes
de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre indépendamment de la prescription
existant pour les crimes ordinaires. A défaut, les juridictions sénégalaises ne seront pas en
mesure de poursuivre les auteurs de ces crimes une fois la période de prescription expirée et la
CPI exercera sa compétence sur ces crimes.
•
L’imprescriptibilité des crimes du Statut devrait être inscrite dans le Code de
Procédure Pénale en vertu de l’article 29 du Statut. La loi de mise en oeuvre
devrait au moins permettre au Sénégal de coopérer avec la Cour si celle-ci
déclare une affaire recevable du fait de l’inaction des autorités sénégalaises
lorsque cette inaction est due à la prescription du crime en droit interne.
C. Solutions retenues par d’autres Etats Parties
Les pays de common law ne prévoient généralement pas de prescriptions, ce qui explique
l’absence de dispositions relatives à l’imprescriptibilité des crimes du Statut dans les lois de
mise en oeuvre. Les crimes sont donc imprescriptibles malgré le silence des lois citées cidessous.
¾ Canada
• Article 11: Moyens de défense
• Article 14: Moyens de défense: Ordre d’un supérieur
¾ Nouvelle Zélande
La loi néo-zélandaise renvoie par référence aux articles 29, 31 et 33 du Statut et prévoit leur
applicabilité dans le cadre de poursuites au niveau national231.
¾ Royaume Uni
Les articles 56 et 63 prévoient que lorsque les juridictions nationales connaissent d’un crime
du Statut, elles appliquent les principes généraux de droit applicable en Angleterre, en Ecosse
et en Irlande du Nord.
IV.
Implications du Statut de Rome en matière de justice et pratique militaires
A. Dispositions du Statut de Rome
Les questions qui se posent eu égard au Statut de Rome sont, premièrement, de savoir si les
juridictions militaires ou de droit commun devraient être utilisées pour enquêter sur, et
poursuivre, les crimes relevant de la compétence de la Cour et, deuxièmement, de savoir si
ces enquêtes et poursuites peuvent engendrer des modifications conséquentes en matière de
pratique militaire et de justice militaire.
1. L'utilisation des juridictions militaires
Le Statut de Rome ne prend pas position sur l'utilisation du système de justice militaire en tant
que tel contrairement au système de justice de droit commun. Dans la mesure où le Statut ne
distingue pas entre ces procédures, les mêmes règles de bonne foi, d'équité, d'indépendance et
230
Articles 7 et 8 du Code de Procédure Pénale
t231 Article 12(1)(a)(ix) et 12(1)(a)(xi) (“General Principles of Criminal Law”)
113
d'impartialité, prises en compte pour déterminer la recevabilité d'une affaire, s'appliquent à
ces deux instances. Toutefois, les systèmes de justice militaire utilisent parfois des procédures
plus rapides offrant des garanties moins protectrices que les juridictions de droit commun, et
pourraient ainsi engendrer des décisions de recevabilité plus facilement.
D'autre part, si les crimes de guerre sont commis uniquement en situation de conflit armé
(international ou non international) conformément à l'article 8, les crimes contre l'humanité
(Art.7) et le crime de génocide (Art.6) peuvent avoir lieu en dehors de tout conflit armé, et
peuvent être commis par des entités non militaires comme des forces de police civile ou des
groupes armés non étatiques. Ainsi, l'étendue de la compétence des juridictions militaires
pourrait ne pas être suffisamment large pour permettre à un Etat de mener, de manière
satisfaisante, des enquêtes sur et des poursuites pour tous les crimes prévus par le Statut. Un
Etat Partie pourrait cependant décider de faire appliquer les procédures prévues par le Statut
de Rome par ses seules juridictions de droit commun, ou à la fois par ses juridictions de droit
commun et ses juridictions militaires232.
•
Les Etats Parties devraient revoir les relations entre leurs juridictions militaires et
celles de droit commun afin de s'assurer que toute personne (militaire ou civile)
suspectée d'avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour soit
soumise aux enquêtes et aux poursuites appropriées.
•
Si les systèmes de justice militaires doivent être utilisés pour connaître des crimes
relevant de la compétence de la CPI, ils devraient être capables, comme les
juridictions pénales ordinaires, d'engager la responsabilité pénale conformément aux
dispositions du Statut, prenant en compte les définitions des crimes, les motifs
d'exonération de responsabilité et les principes généraux du droit applicables.
•
En examinant la recevabilité d'une affaire, la Cour examinera les règles
internationales relatives à l'indépendance, l'impartialité et l'équité d'un procès, que
les procédures nationales en question soient menées devant les juridictions militaires
ou celles de droit commun.
2. Les effets indirects sur la justice et la pratique militaire
L'adaptation du droit national au Statut devrait avoir des effets directs et indirects sur la
justice et la pratique militaire. Toutes les interdictions résultant des définitions du crime de
génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre selon le Statut devraient
notamment être applicables à l'égard du personnel militaire. Une incorporation directe des
définitions du Statut dans le Code de Justice Militaire ou un renvoi explicite dans le Code de
Justice Militaire à la disposition du Code Pénal incorporant les crimes, permettrait d'atteindre
ce but. De plus, le Code de Justice Militaire devrait prendre en compte les principes généraux
du droit pénal, les motifs d'exonération de la responsabilité pénale et les peines, de manière à
ce que tout le régime de culpabilité défini par le Statut soit applicable aux militaires. A cet
égard, les garanties d'indépendance, d'impartialité et d'équité du procès devraient être prévues.
Certaines dispositions du Statut pourraient affecter plus largement les militaires. Les manuels
militaires, mais également l'entraînement et la formation militaires devraient incorporer les
modifications apportées par le Statut sur des questions relatives, entre autres, aux objectifs
militaires, aux ordres supérieurs et à l'utilisation de certaines armes. Ces modifications
232
Directives Broomhall, p.58-60.
114
seraient souhaitables, non pas parce que le Statut oblige les Etats en ce sens, mais plutôt à titre
de mesure préventive. Bien qu'une grande partie des Etats reconnaisse le droit international
existant, des dispositions spécifiques en la matière permettraient d’aller au-delà de ce que
prévoit le droit national. Les Etats Parties devraient également s'assurer que leurs forces
militaires n'entretiennent pas de relations avec des paramilitaires ou des forces armées
irrégulières, d'une manière qui engage leur responsabilité pénale en application du Statut.
La Cour aura, de plus, compétence pour les crimes de guerre (commis dans le contexte de
conflit armé international ou non international) "en particulier lorsqu'[ils] s'inscrivent dans le
cadre d'un plan ou une politique" (Art.8(1)). Les politiques en matière militaire, les
règlements, les règles relatives au lancement des attaques, ou des documents similaires qui
appellent à, ou semblent excuser, des comportements interdits en application de l'Art.8,
pourraient être présentés comme une preuve que les crimes de guerre ont été commis dans le
cadre d'une politique, ou "en application de la politique d'un Etat ou d'une organisation"
(Art.7(2)(a)) dans le cas des crimes contre l'humanité233.
•
Le Code de Justice Militaire ainsi que les politiques en matière militaire, les
règlements, les codes disciplinaires, les directives en matière de lancement des
attaques, et les manuels de formation devraient être révisés de manière à éviter les
actes susceptibles d’être qualifiés de crimes en vertu du Statut.
B. Droit sénégalais
1. Présentation du système de justice militaire
La justice militaire est rendue sous le contrôle de la Cour de Cassation en temps de paix
comme en temps de guerre, selon les règles du Code de Procédure Pénale234. Ce sont donc les
juridictions de droit commun qui sont compétentes pour instruire et juger les infractions
commises par les personnels militaires et paramilitaires avec la particularité que les magistrats
professionnels sont assistés d’assesseurs militaires ou paramilitaires235. Le Code de Justice
Militaire est donc dérogatoire au Code Pénal et au Code de Procédure Pénale au niveau de la
reconnaissance aux autorités ministérielles de certains pouvoirs de poursuite en liaison avec
les parquets et de l’existence d’infractions typiquement militaires.
Les juridictions qui rendent la justice militaire sont des “juridictions ordinaires à formation
spéciales” et ont compétence pour connaître des infractions d’ordre militaire, des infractions
de toute nature, commises par des militaires dans le service, dans les casernes, quartiers et
établissements militaires et chez l’hôte, et des infractions prévues par les statuts des corps
paramilitaires236. Le Code couvre donc toutes les infractions que les personnels militaires et
paramilitaires pourraient commettre sans que le Code Pénal les ait sanctionnés. Le Code Pénal
reste donc une source essentielle du droit applicable et de la compétence des juridictions, y
compris en matière militaire.
2. Les infractions militaires
Seules les infractions strictement militaires, et qui ne figurent donc pas dans le Code Pénal,
sont prévues par le Code de Justice Militaire. Par infraction militaire, on entend l’infraction qui
ne se conçoit que dans le milieu militaire, ou qui est aggravée par le caractère militaire de ses
233
Directives Broomhall, p.60-66.
Article 1 et 2 du Code de Justice Militaire (CJM).
235
Article 7 du CJM.
236
Article 27 du CJM.
234
115
auteurs ou des lieux où elle est commise. En revanche, pour les infractions de droit commun
commises par des personnels militaires ou paramilitaires, les peines prévues par le Code Pénal
sont applicables par les juridictions ordinaires à formation spéciale. Au sein des infractions
prévues par le Code de Justice Militaire figurent, entre autres: la corruption, le vol, la
provocation adressée à des militaires, les infractions contre le devoir et l’honneur militaire237,
la trahison, les pillages et destructions, les infractions aux règles de discipline dont le refus du
service dû légalement238, le refus d’obéissance 239.
3. La procédure applicable devant les juridictions ordinaires à formation spéciale
Dans la phase de rassemblement des preuves et de l’appréhension des auteurs, les autorités
ministérielles, investies des pouvoirs spéciaux par le Code de Justice Militaire sont, en vertu
de l’article 44, habilitées à procéder ou à faire procéder à tous les actes nécessaires à la
recherche et à la poursuite des infractions. Elles disposent à cet effet d’officiers de police
judiciaire militaire.
Dans la phase de poursuite, une fois la procédure établie par l’officier de police judiciaire
militaire ou ordinaire, il revient à l’autorité ministérielle de juger de l’opportunité des
poursuites et de saisir le Procureur de la République de Dakar par un ordre de poursuite.
Cependant, l’article 60 fait obligation aux autorités ministérielles de donner l’ordre de
poursuite lorsque l’infraction est dénoncée par un juge d’instruction, par un Procureur de la
République ou par un Procureur général ou par la Chambre d’accusation. Une fois l’ordre de
poursuite délivré, le dossier est instruit et il appartient ensuite au juge d’instruction de
communiquer le dossier au Procureur de la République pour ses réquisitions240.
Les autorités ministérielles n’interviennent ni dans la phase d’instruction, ni dans la phase de
jugement. La procédure applicable devant les juridictions militaires est respectueuse des
droits de la défense241. Des voies de recours sont prévues contre certaines ordonnances du
juge d’instruction ou contre la décision rendue par la juridiction242. La seule prérogative que
le code reconnaît aux autorités ministérielles militaires une fois le jugement rendu est la
possibilité de demander la suspension de l’exécution du jugement. Ce pouvoir exorbitant de
droit commun est reconnu à ces autorités uniquement pour leur permettre de disposer de
certains condamnés militaires en temps de guerre ou de crise.
•
En dehors des crimes de guerre, qui semblent véritablement avoir leur place
au sein du Code de Justice Militaire, les autres crimes du Statut de Rome
devraient donc relever du Code Pénal, même lorsqu’ils sont commis par des
militaires.
•
La procédure applicable devant les juridictions militaires ne semble pas laisser
préjuger de difficultés pouvant mener à une décision de recevabilité d’une
affaire par la CPI.
237
Articles 106 à 149 CJM.
Art 155 et 156 CJM.
239
Art 157-159 CJM.
240
Articles 65-67 CJM.
241
Article 26 et 63 CJM.
242
Articles 68-80 CJM.
238
116
•
Certaines garanties pourraient être renforcées et les points abordés tout au
long de la présente section relative à la complémentarité devraient être
incorporés dans le Code de Justice Militaire ou le Code Pénal ou dans les deux
codes. Enfin, on pourrait également envisager de les incorporer uniquement
dans le Code Pénal et d’inscrire une disposition de renvoi explicite dans le
Code de Justice Militaire.
C. Solutions retenues par les autres Etats Parties
Les lois de mise en œuvre existantes n’abordent pas la question des rapports entre juridictions
ordinaires et militaires et attribuent compétence aux juridictions ordinaires pour connaître des
crimes du Statut, même lorsque ceux ci sont commis en temps de guerre et par des militaires.
La tradition juridique des pays de common law ne pose pas de problème dans ce sens et il a
semblé plus adapté de poursuivre les auteurs de tels crimes devant des juridictions ordinaires
et sur la base du Code Pénal.
Cependant, la Suisse, seul pays de tradition civiliste, ayant pris des mesures de mise en oeuvre
à l’heure actuelle, est confrontée à la nécessité de réviser son Code de Justice Militaire243. Les
tribunaux militaires suisses peuvent connaître des crimes de guerre, comme l’a illustré
l’affaire Nytoneze244.
243
Un amendement est en cours d’élaboration à l’heure de la rédaction de cette analyse.
Voir sous-section relative à la définition des crimes. La décision la plus récente est celle de la Cour suprême
militaire en date du 27 avril 2001.
244
117
RECAPITULATIF :
Conséquences du principe de complémentarité en matière de mise en œuvre
L’absence, en droit interne, d’interdiction de certains actes, ou l’absence de principes généraux du droit pénal, de
motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le Statut pourrait motiver une décision de recevabilité
de la Cour fondée sur la manque de volonté ou l’incapacité de mener à bien les procédures au niveau national.
I.
Définitions des crimes et détermination des peines
¾ STATUT DE ROME
-
Définitions des crimes : La CPI a compétence pour connaître des crimes de génocide, crimes
contre l’humanité et crimes de guerre tels que définis par les articles 5 à 8 du Statut et par les
éléments des crimes.
-
Détermination des peines : Art. 77, 80 et 23 du Statut : Le Statut n’impose aucune obligation aux
Etats Parties en ce qui concerne les peines prévues par le Code pénal punissant les crimes précités.
¾ DROIT SENEGALAIS
-
Définition des crimes : Le Code Pénal sénégalais ne punit pas le crime de génocide, le crime
contre l’humanité et les crimes de guerre. La stratégie de mise en oeuvre la plus simple
consisterait à harmoniser la législation nationale avec les dispositions du Statut relatives à la
définition des crimes, et par conséquent à incorporer les crimes du Statut, dans les termes du
Statut, au sein du Code Pénal sénégalais.
-
Détermination des peines : Des peines punissant le crime de génocide, crime contre l’humanité et
crime de guerre devront être introduites dans le Code Pénal. Ces peines devraient refléter la
gravité des crimes. La détermination d’une échelle des peines similaire à celle prévue par l’article
77 du Statut remplirait cette exigence.
¾ SOLUTIONS RETENUES PAR D'AUTRES ETATS PARTIES
•
•
•
Canada : art. 4 et 6
Nouvelle Zélande : art. 8-11
Royaume Uni: art 50& s.
118
II.
Responsabilité pénale
¾ STATUT DE ROME
•
•
Responsabilité pénale individuelle : Art. 25
Responsabilité pénale des supérieurs militaires et civils : Art. 28
¾ DROIT SENEGALAIS
•
•
Responsabilité pénale individuelle : Les dispositions du Code Pénal relatives à la responsabilité
pénale individuelle semblent conformes aux dispositions de l’article 25 du Statut mais les
dispositions du Code de Justice Militaire relatives à la responsabilité pénale individuelle du
personnel militaire sont insuffisantes et devraient être complétées par un renvoi explicite aux
principes prévus par le Code Pénal.
Responsabilité pénale des supérieurs militaires et civils : La responsabilité des supérieurs
militaires est prévue par le Code Pénal et le Code de Justice Militaire mais elle est limitée à des
hypothèses déterminées et les critères de responsabilité sont plus étroits que ceux prévus par
l’article 28 du Statut de Rome. La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques civils
semble, quant à elle, inexistante en droit sénégalais. Par conséquent, il apparaît nécessaire de
revoir les principes de la responsabilité des supérieurs au regard de l’article 28 du Statut de Rome
afin de s’assurer que les juridictions sénégalaises puissent connaître d’affaires relatives à la
responsabilité de supérieurs sans risquer d’être dépourvues de leur compétence par la CPI.
¾ SOLUTIONS RETENUES PAR D'AUTRES ETATS PARTIES
•
•
•
Canada: Art. 4, 5 et 7
Nouvelle Zélande: Art. 12
Royaume Uni: Art. 51, 52, 53, 55 & 65
119
III.
Causes d’exonération et imprescriptibilité
¾ STATUT DE ROME
•
•
•
Art. 31(“Motifs d’exonération de la responsabilité pénale”)
Art. 33 (“Ordre hiérarchique et ordre de la loi”)
Art. 29 (“Imprescriptibilité”)
¾ DROIT SENEGALAIS
•
Causes d’exonération: Les moyens de défense prévus par le Code Pénal correspondent aux motifs
d’exonération de l’article 31 du Statut de Rome et ne nécessitent donc pas de modifications.
•
Défense d’ordres supérieurs: Il semble nécessaire d’affirmer les principes suivants de manière
claire dans le Code Pénal et le Code de Justice Militaire:
-
La défense d’ordres supérieurs est généralement irrecevable;
L’ordre supérieur ne peut être considéré comme un moyen de défense que si l’accusé avait
l’obligation légale d’obéir aux ordres, et ne savait pas que l’ordre était illégal, et que l’ordre n’était
pas manifestement illégal;
La défense d’ordre supérieur est, dans tous les cas, systématiquement irrecevable lorsque l’accusé
a reçu l’ordre de commettre un crime contre l’humanité ou un génocide.
Les règles applicables à la défense d’ordres supérieurs doivent être les mêmes que l’ordre ait été
donné par une autorité militaire ou civile.
•
Imprescriptibilité : L’imprescriptibilité des crimes du Statut devrait être inscrite dans le Code de
Procédure Pénale en vertu de l’article 29 du Statut. La loi de mise en oeuvre devrait au moins
permettre au Sénégal de coopérer avec la Cour si celle-ci déclare une affaire recevable du fait de
l’inaction des autorités sénégalaises lorsque cette inaction est due à la prescription du crime en
droit interne.
¾ SOLUTIONS RETENUES PAR LES AUTRES ETATS PARTIES
•
•
•
Canada: Art. 11 et 14
Nouvelle Zélande: Art.12
Royaume Uni: Art. 56 et 63
120
IV.
Implications du Statut de Rome en matière de justice et pratique militaires
¾ IMPLICATIONS DU STATUT DE ROME
•
Les Etats Parties devraient revoir les relations entre leurs juridictions militaires et celles de droit
commun afin de s'assurer que toutes personnes (militaires ou civiles) suspectées d'avoir commis
des crimes relevant de la compétence de la Cour soient soumises aux enquêtes et aux poursuites
appropriées.
•
Si les systèmes de justice militaire doivent être utilisés pour connaître des crimes relevant de la
compétence de la CPI, ils devraient être capables, comme les juridictions pénales ordinaires,
d'engager la responsabilité pénale conformément aux dispositions du Statut, prenant en compte les
définitions des crimes, les motifs d'exonération de responsabilité et les principes généraux du droit
applicables.
•
En examinant la recevabilité d'une affaire, la Cour examinera les règles internationales relatives à
l'indépendance, l'impartialité et l'équité d'un procès, que les procédures nationales en question
soient menées devant les juridictions militaires ou celles de droit commun.
•
Les politiques en matière militaire, les règlements, les codes disciplinaires, les directives en
matière de lancement des attaques, et les manuels de formation devraient être révisés de manière à
éviter les actes susceptibles d’être qualifiés de crimes en vertu du Statut.
¾ DROIT SENEGALAIS
•
En dehors des crimes de guerre, qui semblent véritablement avoir leur place au sein du Code de
Justice Militaire, les autres crimes du Statut de Rome devraient relever du Code Pénal, même
lorsqu’ils sont commis par des militaires.
• La procédure applicable devant les juridictions militaires ne semble pas laisser préjuger de
difficultés pouvant mener à une décision de recevabilité d’une affaire par la CPI. Certaines garanties
pourraient être renforcées et les points abordés tout au long de la présente section relative à la
complémentarité devraient être incorporés dans le Code de Justice Militaire ou le Code Pénal ou
dans les deux codes. Enfin, on pourrait également envisager de les incorporer uniquement dans le
Code Pénal et d’inscrire une disposition de renvoi dans le Code de Justice Militaire.
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