Embellir son CV? Cela se voit!
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Embellir son CV? Cela se voit!
Libre Entreprise Dossier Embellir son CV ? Cela se voit ! Epinglé Des éléments déterminants En un regard. Quels sont les Le chiffre 6 SECONDES Les recruteurs ne consacre raient que 6 secondes pour parcourir un CV et se faire une idée du candidat : à garder ou non. formations. Ou Facebook. Mais pas uniquement : on trouve plein de cho ses sur Internet car les gens laissent toujours des traces”, estime Renaud Dechamps. P Peuton facilement tricher aujourd’hui sur son parcours ? Non. P Les recruteurs disposent de nombreux moyens de vérification. Enquête Solange Berger D irecteur général de Yahoo ! depuis janvier, Scott Thomp son a dû démissionner. Il est accusé par l’un des actionnaires de l’entreprise d’avoir menti sur son CV. Il s’y est présenté comme di plômé en comptabilité et sciences informatiques du Stonehill College. Or cette université n’a commencé à proposer ce cursus qu’en 1983, soit quatre ans après que Scott Thomp son y a fini ses études. Autre exemple récent de CV mensongers : pendant trois mois, Philippe Gaillard a occupé le poste de directeur de l’aéroport interna tional de Limoges. Son CV était en tièrement falsifié. Il prétendait avoir un diplôme d’ingénieur dans la navigation aérienne et être un ancien pilote de chasse. Et il n’en était pas à son coup d’essai. Il aurait PHANIE / REPORTERS points déterminants que les recruteurs regardent en premier sur le CV d’un candidat ? Dans l’ordre, selon une étude sur le recrutement réalisée par The Ladders : - le nom du candidat - son employeur actuel - son ancien employeur - sa fonction précédente - sa fonction actuelle - son diplôme même été condamné à des peines de prison ferme. Et pourtant lors qu’il présente sa candidature au poste de directeur de l’aéroport de Limoges, son casier judiciaire est vierge. “Personne n’a eu l’esquisse d’un début de soupçon. Il a totalement fait illusion”, a déclaré à un quoti Pour un diplôme certifié P CV Trust propose ce service au monde académique. Les candidats ne disent pas toujours la vérité sur leur CV. David Golden berg en est persuadé. Il en a fait l’expérience luimême. “Lorsque je travaillais chez Altran, je devais rencontrer des candidats pour un recrutement et ai eu un contact avec un consultant qui désirait développer un partenariat. Lors de notre entre tien, j’ai eu des doutes sur son par cours. Ce qui était repris sur le CV ne correspondait pas avec la personne que j’avais en face de moi. J’ai décidé de vérifier son CV: tout était faux. Je me suis alors demandé combien de fois j’avais eu en main un CV avec des éléments mensongers.” C’est ce cons tat et cette réflexion qui le poussent à créer, en 2010, CV Trust, une startup qui propose un label d’inté grité pour CV. Au départ du projet, c’était le candidat luimême qui faisait valider son CV en choisissant jusqu’à cinq référents. Il recevait alors un label avec un lien qui per mettait de vérifier les données. Les 2 La Libre Entreprise - samedi 26 mai 2012 recruteurs payaient pour y accéder. Cette idée lui a valu le prix de “Jeune entrepreneur de l’année” dans le cadre du prix Entreprize mis sur pied en 2003 dans la prolonga tion du Fonds des jeunes entrepre neurs de la Fondation Roi Baudouin. Depuis, le concept a évolué. “Le produit ne correspondait pas réelle ment à la demande du marché, re connaît David Goldenberg. Il a fallu le revoir dans son positionnement. Nous nous sommes dès lors concentrés sur le diplôme.” Le produit élaboré par CV Trust et baptisé Smart Di plomaTM se vend au monde acadé mique. L’idée est de permettre aux universités, écoles, centres de for mation,… de fournir aux étudiants un diplôme électronique digital. Les avantages de ces références entière ment sécurisées et certifiées, selon David Goldenberg: une émission instantanée de références, une diminution de la lourdeur adminis trative (pas besoin de duplicatas, pas de perte de temps pour répondre aux demandes de vérification des recruteurs), des diplômes et réfé rences qui ne sont jamais perdus, des données statistiques uniques et, enfin, une prévention de la fraude et la contrefaçon de titres. “Le recru teur sait que si le candidat prétend avoir été dans telle école et qu’il n’a pas de Smart DiplomaTM de cette école, son diplôme est un faux. Le concept est prévu aussi avec un effet rétroactif pour les anciens diplômés.” Lancé en février, le concept n’en est qu’à ces débuts. Et pour l’instant, seule l’Insead en France a adhéré au principe. Des contacts sont pris avec l’Ecole de Commerce IMD. “La commercialisation se poursuit. L’inté rêt bien sûr est d’avoir un maximum d’institutions qui l’utilisent, précise David Goldenberg qui réfléchit à mettre en place d’autres produits au fur et à mesure. Pour la validation des expériences professionnelles no tamment.” dien local le directeur de la Chambre de Commerce et d’Industrie, ges tionnaire de l’aéroport. Son impos ture a pris fin en février grâce à l’in tervention d’une femme qui, en voyant sa photo sur le site de l’aéro port, l’a reconnu. Ces exemples sont rares. “Tout sim plement parce qu’une vérification du CV se fait en principe dès le premier contact”, explique Renaud De champs, Public Relations Manager chez Randstad. Mais mentir ou du moins embellir son CV est peutêtre plus fréquent. “Même si ce n’est pas une pratique très courante”, précise Renaud Dechamps qui raconte néanmoins l’anecdote suivante : “Un de mes amis a été en charge du recrutement pour le poste d’un agent de sécurité. Parmi les CV des candidats, l’un mentionnait dans ses expériences précédentes le poste de res ponsable de la sécurité pour une telle entreprise de telle date à telle date. Quelle ne fut pas sa surprise : c’était la fonction que luimême occupait à ce momentlà !” “Ce n’est pas difficile aujourd’hui de procéder à des vérifications. Cela l’était plus il y a vingt ans”, estime Kobe Van de Weghe, Permanent Placement Manager chez Manpower. Pour s’aider, les recruteurs disposent en effet d’une foule d’outils, comme les contacts téléphoniques, les référen ces, les alumni et Internet bien sûr. “Il y a les sites professionnels comme Lin kedIn où l’on trouve de nombreuses in Que vérifient les recruteurs ? Le diplôme tout d’abord. “C’est surtout important pour les jeunes. Quand quelqu’un qui a vingt ans d’expé rience se présente chez nous pour un poste de directeur, on ne lui demande plus s’il a bien fait un master vingt ans auparavant, explique Kobe Van de Weghe. De nombreux employeurs sont d’accord avec le fait qu’à un mo ment, le diplôme n’a plus d’impor tance. J’ai déjà rencontré des gens qui avaient une longue expérience dans des fonctions d’ingénieurs et pourtant qui n’avaient qu’un graduat. Après un certain temps, ce sont les compétences qui priment. Sauf pour les professions qui exigent un diplôme bien sûr, comme les médecins. Et si les entrepri ses regardent le diplôme obtenu, c’est surtout parce qu’il représente des compétences intellectuelles, un certain raisonnement, une capacité à digérer de la matière,… Mentir sur son di plôme n’a pas beaucoup de sens. Mieux vaut être honnête. Car c’est surtout une question de confiance.” Autre point susceptible de vérifi cation : le trajet de carrière. “Le bon sens permet de repérer les anomalies. On constate d’ailleurs que quand quelqu’un triche, les risques d’incohé rence sont plus importants. Concer nant les dates notamment. Elles se chevauchent par exemple”, explique Renaud Dechamps. “Les gens ne mentent pas vraiment, estime Kobe Van de Weghe. Le plus souvent, ils omettent plutôt des choses, comme un “trou” de trois ou quatre mois entre deux emplois.” “Pour les fonctions d’un certain ni veau, des références sont demandées, des vérifications sont faites auprès d’anciens collègues, explique Renaud Dechamps. Nous prenons toujours des références. Cela fait partie du ser vice au client, mais cela nous rassure aussi. Parfois, c’est plus délicat de con tacter l’ancien patron d’un candidat, notamment quand celuici est encore en poste et n’a bien sûr pas prévenu qu’il cherchait ailleurs !” Tricher sur son niveau de langue peut être aussi assez tentant. Il est d’ailleurs parfois difficile de s’esti mer correctement. Et, paraîtil, les femmes sont plus modestes à ce ni veaulà que les hommes. “Cela ar rive que les gens trichent sur leur ni veau de langues, reconnaît Kobe Van de Weghe. Nous les testons immédia tement par téléphone pour ne pas per dre de temps.” Et là, il devient com pliqué de tricher ! Deloitte “Nous procédons à de nombreuses vérifications” Plus de 10000 CV arrivent chaque année chez Deloitte Belgique qui gère tout son recrutement en interne. Pour son année fiscale 2012 qui se clôture fin mai, la société a engagé quelque 650 collaborateurs, dont 300 juniors qui sortent directement des études. “Je suis là depuis deux ans et je n’ai jamais entendu un recruteur me dire qu’il était tombé sur un CV falsifié. Or c’est typiquement le genre d’histoires qui circulent… Nous n’avons jamais discuté non plus de la possibilité de revoir notre processus pour faire face à des CV mensongers, explique Jurgen Moenaert, Head of Recruiting chez Deloitte. Est-ce que cela veut dire que nos candidats ne mentent pas ou alors qu’il y a des trous dans nos process?…” Les recruteurs de Deloitte procèdent à de nombreuses vérifications. “Nous avons plusieurs outils à notre disposition, comme Internet par exemple.” Concernant les diplômes, seuls les juniors doivent le transmettre. “Lorsque les jeunes sont encore aux études lors du processus de recrutement, nous prévoyons une clause conditionnelle qui stipule qu’ils doivent nous transmettre leur diplôme dès qu’ils l’ont. Pour les seniors qui ont, par exemple dix à douze ans d’expérience, nous n’exigeons plus le diplôme. Nous vérifions leurs références professionnelles, en contactant d’anciens collègues ou managers ou même lors de l’interview du candidat, explique Jurgen Moenaert. Si nous avons le moindre doute, nous demandons plusieurs références.” La connaissance des langues est testée lors des interviews ou lors des “Selection Days” qui se font en anglais. Et l’âge? “Cela se voit. Mais c’est vrai que nous ne demandons la carte d’identité que lorsque la personne est engagée et qu’il faut entrer certaines données, pour le payroll notamment.” Selor “Il faut beaucoup de bagout pour mentir à l’entretien” Des filtres, le Selor, qui s’occupe du recrutement pour la fonction publique, en a beaucoup. “Certains sont imposés par la loi, note Cédric Andrien, du département des Ressources humaines du Selor. Déjà quelqu’un qui désire postuler doit s’inscrire sur notre site et fournir plusieurs documents, comme une copie de son diplôme par exemple.” Des références sont aussi exigées. “Dans le public, le candidat est obligé de justifier son expérience pour des questions de barèmes notamment. Il doit fournir une attestation de son ancien employeur qui reprend les dates auxquelles il a travaillé et une description de sa fonction, explique Cédric Andrien qui ajoute: On peut cependant imaginer le cas d’une personne qui aurait inventé une expérience complémentaire, en plus de celle qu’on lui demande, sans qu’on vérifie. Mais cela veut dire qu’il prend un gros risque à l’entretien où les thèmes sont approfondis. Car là, nous allons traiter de la réalité des situations au travail. Si une personne s’est inventé une expérience dans une fonction, on verra tout de suite qu’elle a triché car elle ne pourra pas répondre aux questions. Il faut vraiment beaucoup de bagout pour pouvoir mentir à l’entretien. De plus, lors des sélections, nous sommes accompagnés d’une personne externe liée au domaine pour lequel le candidat postule.” Et puis, filtre supplémentaire, le Selor a accès aux données publiques. “Nos contacts avec les Finances, par exemple, pourraient nous permettre de vérifier les fiches de paye.” P&V “Il est important de pouvoir justifier un trou dans son CV” Des anomalies dans un CV, Christine Hardy, Recruitment specialist chez P&V, en a déjà vu. “Une personne a postulé récemment chez nous. Elle avait une expérience de dix ans dans les assurances, une bonne formation,... En fait, un profil idéal mais, bizarrement, cela faisait déjà un petit temps qu’elle cherchait du travail et n’en trouvait pas. Cela m’a intrigué. Je lui ai alors demandé s’il était possible de contacter son ancien employeur. Quand j’ai eu ce dernier en ligne, il m’a annoncé que ce candidat avait été mis dehors pour avoir détourné de l’argent!”, raconte Christine Hardy, qui évoque le cas d’une autre personne qu’elle connaît. “Celle-ci avait été licenciée après deux ans pour faute grave. Cela fait toujours tache sur un CV bien sûr. Alors, elle a triché, en mentant sur ses autres expériences professionnelles, en les rallongeant pour cacher ces deux années.” Si Christine Hardy évoque ces deux cas, elle constate cependant que cela arrive très rarement. A sa connaissance du moins. “Bien sûr, nous ne pouvons pas toujours tout vérifier. Nous essayons de faire le maximum mais chez P&V nous ne sommes que 3 sur 1700 pour 60 recrutements en cours.” samedi 26 mai 2012 - La Libre Entreprise 3