Progrès dans l`histogenèse des tumeurs épithéliales de l

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Progrès dans l`histogenèse des tumeurs épithéliales de l
mise au point
Progrès dans l’histogenèse
des tumeurs épithéliales
de l’ovaire :
un éclairage nouveau,
de nouvelles perspectives
Revisiting ovarian carcinogenesis;
new insights and perspectives
P. Beuzeboc*
P
* Département d’oncologie médicale,
Institut Curie, Paris.
lusieurs hypothèses étaient proposées jusqu’à
présent concernant les processus physiologiques sous-tendant le risque de transformation
de l’épithélium ovarien dans les tumeurs épithéliales
qui survenaient hors d’un contexte génétique connu
(90 % des cas).
On pensait que la plupart de ces cancers ovariens
se développaient à partir de l’épithélium de surface
ou de kystes d’inclusion postovulatoires sous l’influence d’une exposition prolongée à des hormones
ou autres cytokines (1-3).
La connaissance du rôle des oncogènes et des antioncogènes dans la carcinogenèse des tumeurs épithéliales a beaucoup progressé ces dernières années.
L’activation de la machinerie de réparation de l’ADN
et l’accumulation de la p53 ont rapidement été identifiées parmi les modifications les plus précoces (4).
Des séquences d’altérations géniques de complexité
croissante entraînant des modifications morphologiques jusqu’au stade de transformation en tumeur de
phénotype malin ont maintenant été démontrées. Les
sous-types endométrioïde et mucineux, notamment,
présentent de telles séquences.
Il est vite apparu que les cancers séreux de haut
grade constituaient une entité particulière fondamentalement différente sur le plan biologique. Pour
ces tumeurs, l’absence d’identification de lésions
précancéreuses et préinvasives a longtemps posé
300 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 6 - juin 2009
problème, d’autant que leur faculté d’extension
précoce et rapide dans le pelvis et le péritoine rendait
leur détection à un stade limité rare.
C’est la pratique des ovariectomies avec annexectomies prophylactiques des patientes présentant des
mutations de BRCA1 et BRCA2 qui a été à l’origine
de la majorité des données émergentes sur l’histogenèse des tumeurs séreuses (5).
Il apparaît, en fait, qu’un pourcentage élevé de ces
cancers séreux de haut grade pourraient prendre
naissance au niveau de l’extrémité terminale de la
trompe et coloniser l’ovaire, ce qui expliquerait que
les carcinomes primitifs du péritoine et de la trompe
présentent un profil clinique, moléculaire et génétique similaire (6-8).
Deux articles, publiés en 2008 dans le Journal of
Clinical Oncology (9, 10), ont fait une remarquable
synthèse sur le sujet.
Ovariectomies avec
annexectomies des patientes
ayant une mutation de BRCA1
ou BRCA2 : nouvelles données
La majorité des tumeurs découvertes de façon fortuite
sont localisées dans la partie distale de la trompe de
Résumé
Mots-clés
Les données moléculaires récentes, corrélées aux données cliniques, histologiques et moléculaires, permettent
de classer les tumeurs ovariennes épithéliales en deux principales catégories. La pratique des annexectomies prophylactiques chez les patientes présentant des mutations de BRCA1 et BRCA2 a été à l’origine des
données émergentes sur l’histogenèse des tumeurs séreuses de haut grade. De nombreux éléments font
penser que les lésions initiales de ces tumeurs se développent non au niveau de l’ovaire, mais au niveau
de l’extrémité de la trompe de Fallope.
Fallope (11). Dans la série la plus récente (12), une
seule patiente présentait une lésion initiale localisée
au niveau de l’ovaire exprimant p53.
J.M. Piek et al. (13) ont été les premiers à décrire des
modifications dysplasiques au niveau des trompes
de Fallope, chez 12 patientes présentant un risque
familial de cancer de l’ovaire et chez 13 contrôles
sans augmentation du risque.
M.L. Carcangiu et al. (14) ont rapporté des lésions
d’hyperplasie atypique chez 9 % des patientes
(2 sur 22) présentant une mutation de BRCA1.
Il faut également noter que des mutations de
p53 ont été décrites dans les carcinomes tubaires
intra-épithéliaux (tubular intraepithelial carcinomas
[TIC]) de patientes présentant des mutations de
BRCA1 (15).
Deux classes de tumeurs
ovariennes
Les données moléculaires actuelles corrélées avec
celles fournies par les cliniciens et les pathologistes
permettent de classer les tumeurs ovariennes en
deux types (16) :
➤➤ les tumeurs de type 1, de bas grade et lentement
évolutives, incluant les tumeurs endométrioïdes,
mucineuses et séreuses de bas grade ;
➤➤ les tumeurs de type 2, rapidement évolutives,
représentées par les carcinomes séreux de haut
grade, qui constituent environ 60 % des cancers
ovariens.
Il a été clairement montré que les profils d’expression géniques des tumeurs de haut grade et des
tumeurs de bas grade ou borderline diffèrent totalement (17-19).
En revanche, les tumeurs de bas grade ne peuvent
pas être distinguées des tumeurs borderline.
Les tumeurs séreuses de haut grade sont fortement
associées à des mutations de TP53, alors que les
autres le sont avec des mutations de KRAS, de BRAF,
de PTEN et de CTNNB1/(β1-caténine).
Les mutations de KRAS ont été décrites dans 61 %
des tumeurs borderline, dans 68 % des tumeurs de
bas grade, dans 50 % des tumeurs mucineuses et
dans seulement 5 % des carcinomes séreux de haut
grade (20, 21).
Les adénocarcinomes endométrioïdes présentent
souvent des mutations de PTEN (similaires aux
cancers endométrioïdes de l’endomètre) [22].
Tumeurs séreuses de haut grade (figure 1)
Le développement, l’histologie et les altérations
génétiques propres aux tumeurs séreuses de haut
grade diffèrent de ceux de tous les autres carcinomes
ovariens. Elles atteignent la surface de l’ovaire
(souvent de façon bilatérale), le pelvis et le péritoine.
La pratique des annexectomies prophylactiques des
patientes présentant des mutations de BRCA1 et
BRCA2 a été à l’origine de la majorité des données
sur leur histogenèse.
Une accumulation de données laissent à penser que
la partie terminale de la trompe de Fallope (fimbria)
est le site primitif. Cinq à 10 % des cas de carcinomes
séreux sont des carcinomes TIC, ce qui explique que les
tumeurs tubaires et les tumeurs péritonéales primitives aient le même phénotype, et que la colonisation
péritonéale soit rapide. Des mutations de BRCA1 et
BRCA2 surviennent dans 5 à 10 % des cas. Il existe
une association forte avec des mutations de p53.
Cancers épithéliaux
de l’ovaire
Carcinome ovarien
séreux de haut grade
Carcinome ovarien
mucineux
Carcinomes ovariens
endométrioïdes
Carcinomes tubaires
intra-épithéliaux
Highlights
New growing clinical, histological, and molecular evidences
support the classification of
ovarian epithelial carcinomas
at least in two main categories. The widespread practise of
prophylactic bilateral salpingooophorectomy in BRCA-1- or
BRCA-2-positive women has
provided most of the emerging
insights concerning the carcinogenesis of high-grade serous
ovarian carcinoma. The tubal
fimbria emerges as an origin
for these high-grade serous
ovarian cancers.
Keywords
Epithelial ovarian cancer
High-grade serous ovarian
carcinoma
Mucinous ovarian carcinoma
Endometrioid ovarian
carcinomas
Tubular intraepithelial
carcinomas
Carcinome tubaire intra-épithélial invasif
» Échappement de l’arrêt
du cycle cellulaire
» Mutation BRCA-LOH
» Exfoliation
Signatures p53
» Lésions de l’ADN
» Mutations de p53
Follicules rompus
» Médiateurs inflammatoires
» Milieu riche en hormones
Transformations des cortical
inclusion cysts dérivés
de l’épithélium ovarien de surface
» Métaplasies mülleriennes
» Tumeurs borderline
» Carcinomes de bas grade
Figure 1. Carcinogenèse des adénocarcinomes séreux de haut grade, modèle DNA
damage repair.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 6 - juin 2009 | 301
mise au point
Progrès dans l’histogenèse des tumeurs épithéliales de l’ovaire :
un éclairage nouveau, de nouvelles perspectives
Elles se développent suivant un modèle à 3 étapes :
anomalie de p53, carcinome in situ (TIC) et carcinome invasif après attachement à l’ovaire et
à la membrane péritonéale. HER2 et AKT sont
sur­e xprimés respectivement dans 20 à 67 % et
12 à 30 % des cas.
Tumeurs de bas grade et borderline
(figure 2)
Leurs principales caractéristiques sont :
➤➤ De nombreuses données suggèrent que les
tumeurs borderline et de bas grade se développent
à partir de l’épithélium ovarien de surface par transformation de kystes d’inclusion corticaux présentant
un épithélium de type müllerien.
➤➤ L’hypothèse de l’ovulation incessante, reposant
sur l’exposition aux mécanismes de traumatismes et
aux réparations répétés lors des ovulations, pourrait
expliquer les données épidémiologiques (réduction
Ovulation
Vieillissement
Corpus
albicans
Corpus luteum
Métaplasie Épithélium
ovarien
de surface
Dysplasie
Kyste d’inclusion
Oocyte
KRAS
Mucineux
KRAS, BRAF
PTEN
Séreux de bas grade
Endométrioïde
Figure 2. Carcinogenèse des adénocarcinomes séreux de bas grade, endométrioïdes
et mucineux.
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du risque par les contraceptifs oraux et les grossesses répétées, augmentation liée aux stimulations
ovariennes). La probabilité de cancérisation due à un
défaut de réparation est d’autant plus importante
que le nombre d’ovulations est élevé.
➤➤ Les ruptures cycliques, lors de l’ovulation, entraînent la formation de kystes d’inclusion, cortical
inclusion cysts (CIC) piégés dans le cortex ovarien,
subissant une métaplasie müllerienne.
➤➤ L’exposition à des hormones et des stimuli inflammatoires induit un stress réplicatif et des dommages
de l’ADN conduisant à des mutations définies et à
des transformations en carcinomes mucineux, endométrioïdes et séreux de bas grade.
➤➤ Jusqu’à présent, aucune étude n’a démontré que
l’exposition aux gonadotrophines était capable d’induire une transformation de l’épithélium de surface
ovarien en cellules de phénotype malin ; mais, dans
certains modèles animaux, le rôle promoteur de ces
hormones a été démontré.
➤➤ Le rôle de l’inflammation qui accompagne chaque
ovulation suscite de plus en plus d’intérêt, avec tout
son cortège de relargage de cytokines, d’afflux de
cellules immunocompétentes et de réparation
tissulaire. L’utilisation chronique d’aspirine, d’antiinflammatoires non stéroïdiens et d’acétaminophène
diminue le risque (23).
➤➤ On retrouve des mutations de KRAS et de BRAF
dans 30 % à 50 % des tumeurs de bas grade (elles
sont rarement détectées dans les tumeurs invasives
de haut grade).
Conclusion, applications
pratiques potentielles
Cette meilleure connaissance fondamentale laisse
espérer des applications cliniques, en particulier des
traitements cytotoxiques et ciblés mieux adaptés
(inhibiteurs de mTOR dans les cancers endométrioïdes, inhibiteurs de PARP dans les cancers séreux
de haut grade, etc.).
Une chirurgie prophylactique limitée aux trompes et
épargnant les ovaires pourrait-elle être proposée, à
l’avenir, afin d’éviter les conséquences d’une castration précoce, d’améliorer la qualité de vie et de
préserver la fertilité ? Tout cela paraît bien prématuré, mais ne se révèlera peut-être pas impossible.
En tout cas, l’annexectomie s’impose.
Pourra-t-on envisager une détection précoce des
carcinomes intra-épithéliaux tubaires ?
Il semble nécessaire, en pratique, d’analyser les
trompes très minutieusement sur les pièces opéra-
mise au point
toires de chirurgie prophylactique. Une exérèse de
la partie distale de la trompe ne pourrait-elle pas
constituer une alternative à la ligature des trompes
pour réduire le risque de cancer ovarien ? Cela nécessiterait une évaluation prospective.
Pourrons-nous tirer partie des mutations ou de la
non-fonctionnalité de TP53 qui, dans 50 à 80 % des
cas, permet de distinguer les tumeurs séreuses de
haut grade des autres histologies ?
De nouveaux biomarqueurs seront-ils identifiés
pour permettre une détection plus précoce et des
traitements plus spécifiques ?
Enfin, expérimentalement, le développement de
meilleurs modèles animaux pourrait s’avérer utile. ■
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La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 6 - juin 2009 | 303