Bel-Ami - biblio
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Bel-Ami Guy de Maupassant Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 47 établi par Sylvie Herbinet, certifiée de Lettres classiques, professeur en lycée Sommaire – 2 SOMMAIRE A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3 T A B L E D E S CO RP U S ........................................................................................ 4 R É P O N S E S A U X Q U E S TI O N S ................................................................................ 5 Bilan de première lecture (p. 346) ..................................................................................................................................................................5 Première partie, chapitre II (pp. 24 à 36)........................................................................................................................................................5 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 37-38).................................................................................................................................5 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 39 à 45)..................................................................................................................7 Deuxième partie, chapitre VIII (pp. 287 à 299).............................................................................................................................................11 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 300-301)...........................................................................................................................11 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 302 à 312)............................................................................................................14 Deuxième partie, chapitre X (pp. 324 à 334)................................................................................................................................................19 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 335-336)...........................................................................................................................19 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 337 à 345)............................................................................................................20 C O M P L ÉM EN T S A U X B I B L I O G RA P H I E L E C TU RE S D ’ I M A G E S ................................................................ 26 CO M P L É M EN TA I R E ...................................................................... Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2007. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com 31 Bel-Ami – 3 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Bel-Ami de Guy de Maupassant permettra d’étudier le genre romanesque, le personnage de roman et l’utilisation du registre satirique. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. Table des corpus – 4 TABLE DES CORPUS Corpus « Miroir, mon beau miroir… » (p. 39) Pris(e) en flagrant délit d’adultère (p. 302) L’arriviste (p. 337) Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau(x) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire De quelle manière les différents personnages voient-ils dans le miroir ? Texte A : Extrait du chapitre II de la première partie de Bel-Ami de Guy de Maupassant (p. 24, l. 505, à p. 25, l. 539). Texte B : Extrait des Métamorphoses d’Ovide (pp. 39-40). Texte C : Extrait du Rouge et le Noir de Stendhal (pp. 40-41). Texte D : Extrait du Horla de Guy de Maupassant (pp. 41-42). Texte E : Extrait de « Deux Images dans une conque » de Giovanni Papini (pp. 42-43). Document : Autoportrait de Johannes Gumpp (p. 43). Texte A : Extrait du chapitre VIII de la seconde partie de Bel-Ami de Guy de Maupassant (p. 294, l. 4155, à p. 297, l. 4278). Texte B : Extrait de L’Argent d’Émile Zola (pp. 303-304). Texte C : Extrait d’Antony d’Alexandre Dumas père (pp. 305-306). Texte D : Extrait du Dindon de Georges Feydeau (pp. 306-308). Texte E : Extrait de L’Amant d’Harold Pinter (pp. 309-310). Document : Le Verrou de Jean Honoré Fragonard (p. 311). Roman et nouvelle : le récit (Seconde) Théâtre : la notion de registre (Seconde) Théâtre : texte et représentation (Première) Question préliminaire Quelle scène préférez-vous ? Justifiez votre choix. Texte A : Extrait du chapitre X de la seconde partie de Bel-Ami de Guy de Maupassant (p. 333, l. 5065, à p. 334, l. 5104). Texte B : Extrait des Caractères de La Bruyère (pp. 337-338). Texte C : Extrait du Tartuffe de Molière (p. 339). Texte D : Extrait du Père Goriot d’Honoré de Balzac (pp. 339-340). Texte E : Extrait de Topaze de Marcel Pagnol (pp. 341-342). Texte F : Extrait de Belle du Seigneur d’Albert Cohen (p. 343). Document : Portrait de Monsieur Bertin par Ingres (p. 344). L’argumentation (Seconde et Première) Roman : les personnages (Première) Question préliminaire Quel personnage d’arriviste vous est le plus sympathique ? Indiquez les raisons de votre préférence. Commentaire Vous attacherez de l’importance au regard – regard du narrateur et du lecteur – et à la signification de la scène. Commentaire Vous montrerez notamment en quoi ce passage s’apparente à une scène de théâtre. Commentaire Vous montrerez comment l’auteur fait de son héros un topos du mari cocu et naïf. Bel-Ami – 5 RÉPONSES AUX QUESTIONS B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 3 4 6 ) Georges Duroy vit à Paris depuis six mois. v Georges Duroy travaille aux chemins de fer. w Georges Duroy vit à Paris, aux Batignolles. x Saint-Potin se sert d’articles précédemment écrits en modifiant les noms et interroge les concierges des hôtels. y Mme de Marelle glisse de l’argent dans la doublure du vêtement de Duroy. U Georges Duroy devient chef des Échos, sans doute grâce à l’intervention de Mme Walter auprès de son mari. Elle a apprécié l’esprit de conversation et de répartie de Bel-Ami. V Le duel s’achève sans que ni Duroy ni Langremont soient blessés. W Forestier meurt victime de la tuberculose. X Madeleine propose à Georges Duroy un nouveau patronyme, celui de Du Roy du Cantel. at Les nouveaux époux admirent la ville de Rouen. ak Bel-Ami découvre chez lui le comte de Vaudrec. al Mme Walter accorde à Bel-Ami un rendez-vous dans l’église de la Trinité. am Mme Walter révèle à Bel-Ami que l’expédition à Tanger aura bien lieu et lui propose d’acheter pour lui de l’emprunt. an Mme de Marelle découvre dans la boutonnière de Bel-Ami un cheveu gris. ao Bel-Ami propose un marché à Madeleine : ils partageront l’héritage afin d’éviter le scandale. Si Madeleine avait hérité seule, elle aurait pu passer pour la maîtresse du comte de Vaudrec. ap M. Walter veut célébrer devant le Tout-Paris sa réussite après son coup de Bourse, en faisant admirer sa nouvelle demeure et sa dernière acquisition : le tableau Jésus marchant sur les eaux, chefd’œuvre de Karl Marcowitch. aq Bel-Ami surprend avec un commissaire de police sa femme en flagrant délit d’adultère. Ce constat lui permet d’obtenir le divorce. ar Georges Du Roy épouse Suzanne Walter, dans l’église de la Madeleine. u P r e m i è r e p a r t i e , c h a p i t r e I I ( p p . 2 4 à 3 6 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 37-38) L’art de la narration u Le narrateur cherche le plus possible à s’effacer derrière son personnage en adoptant son regard : « Il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. » Le narrateur privilégie donc la focalisation interne, utilisant des verbes de perception : apercevoir, reconnaître (« Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l’ensemble était satisfaisant »). Mais le narrateur utilise aussi le point de vue omniscient quand, au début de l’extrait, il décrit son personnage (« Il montait lentement les marches, […] harcelé surtout par la crainte d’être ridicule ») ou qu’il reproduit le monologue intérieur de Duroy (« Certes il réussirait avec cette figure-là. […] Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage »). Le narrateur connaît intimement son personnage, la manière dont il frise sa moustache « d’un mouvement qui lui était familier ». Il le surprend se parlant à lui-même, « à mi-voix, comme il faisait souvent ». L’expression « un monsieur en grande toilette » appartient bien au langage du personnage qui débute dans la vie parisienne. On sent une proximité entre le narrateur et son personnage dont il pénètre les pensées, les émotions et les sentiments. Réponses aux questions – 6 Le narrateur ne juge pas son personnage. Cependant, l’emploi de l’adjectif « immodérée », épithète du mot « confiance », est une marque de jugement. w Quelques détails réalistes permettent d’imaginer aisément la scène : « une haute glace en pied qui formait […] galerie ». La mention du « petit miroir à barbe », seul miroir possédé par Duroy qui n’avait pu y contempler son image entière, indique la misère dans laquelle il vit. x Les verbes de mouvement – monter (deux occurrences), marcher, courir, sauter, gravir – traduisent les temps de montée lente ou rapide de Georges Duroy. On ne sait d’ailleurs s’il a mis à exécution son « envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage ». Cette montée est interrompue par trois arrêts devant une glace où le personnage est surpris de découvrir sa silhouette d’homme du monde. y Le lecteur découvre la belle prestance et le talent d’acteur de Georges Duroy. v Les effets du miroir Un révélateur est une solution utilisée pour le développement photographique qui permet de rendre visible une image latente. Le miroir joue ici ce rôle. En effet, dans celui-ci, Duroy découvre un aspect inconnu de lui-même : il admire l’homme du monde qu’il est devenu par le port de l’habit. V Duroy craint « d’être ridicule », il « s’affol[e] à l’idée d’être grotesque ». Le personnage est touchant par sa fraîcheur, il n’a pas encore l’expérience du monde. « Un élan de joie le [fait] tressaillir » quand il découvre son reflet dans le miroir. Comme l’écrit André Vial, « il a des joies puériles, presque émouvantes, tant elles évoquent de privations antérieures, devant un miroir où il ne se reconnaît point d’abord sous l’aspect inusité dont le revêt une élégante tenue de location ». Cette apparition d’un être différent, « fort bien, fort chic », renforce son estime de soi : « Il reconnaissait que, vraiment, l’ensemble était satisfaisant. » Il devient spectateur et acteur un peu cabotin qui « minaud[e] ». Son trac est surmonté, son exaltation se traduit par « l’envie de courir, de sauter ». (Voir aussi les réponses aux questions 8 et 15.) W La montée lente initiale avec l’abondance des m (« il montait lentement les marches ») s’oppose à la fin de l’extrait (« il se mit à monter fort vite […]. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage »). La contemplation de ce nouveau personnage lui donne des ailes ; il acquiert une sorte de confiance immédiate, fort d’un premier succès auprès d’une fille, à la fin du chapitre précédent, et des bonnes paroles de Forestier. Il semble avoir perdu toute appréhension : « Puis, tendant la main vers le timbre, il sonna. » X Duroy s’observe et bientôt découvre qu’il peut plaire et séduire : « et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l’œil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu’on les admire et qu’on les désire ». at Duroy est comparé à un acteur : « il s’étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles ». Il participe à la comédie sociale d’une société où l’on cultive l’apparence, l’effet. Ainsi l’objet symbolique qu’est le miroir permet de comprendre la personnalité du héros, soucieux non pas d’être mais de paraître, de s’inventer. Il joue l’ami dévoué auprès de Madeleine Forestier. Après la dégradation de leur relation, jouant l’amoureux transi, il se tourne vers Mme Walter. Bientôt lassé de cette liaison, il se tourne vers sa fille, la jeune Suzanne, jouant les protecteurs et les confidents avant de l’enlever comme un héros romantique. ak La scène est cinématographique : la caméra prend la place du narrateur qui suit Duroy dans les escaliers, puis elle se substitue à Duroy lui-même (« il aperçut »). Se succèdent ensuite des plans fixes, à chaque arrêt du personnage devant une glace, le montrant en pied (plan moyen) puis en plan rapproché des lignes 522 à 526. U La préfiguration d’une réussite Georges Duroy découvre une image flatteuse de lui-même : celle d’un séducteur. Cette découverte est préparée par plusieurs répliques de Forestier dans le chapitre précédent (l. 409, 454 et suivantes). Dès lors, le titre indique que l’ouvrage n’est plus l’étude d’un caractère, mais la mise en scène d’un individu qui joue un rôle et porte un masque. am La polysyndète est une figure d’accumulation. Chaque complément d’objet est ici relié par « et ». Le narrateur met d’abord en avant la « figure » du héros, facteur de sa réussite à venir. Les autres compléments d’objet du verbe réussir (« et son désir d’arriver […] et la résolution […] et l’indépendance de al Bel-Ami – 7 son esprit ») ne sont que des moyens secondaires, découlant du premier. La polysyndète traduit la succession des pensées du personnage qui réfléchit aux différents moyens qui l’aideront à parvenir. an La conjonction de coordination apparaît dans une sorte de brusquerie : « Il marchait bien. Et une confiance immodérée […]. » Il s’agit d’un « et » de mouvement ; « placé en tête de phrases auxquelles il donne une impulsion violente […], il confère à l’ensemble de la seconde une rapidité qui l’oppose à la première », comme l’écrit A. Vial. ao Duroy passe de la surprise à « un élan de joie » presque enfantin. Cette joie soudaine est due à l’opposition entre l’effet attendu (un aspect ridicule) et l’effet réel inespéré (« il se jugea mieux qu’il n’aurait cru »). Saisi d’abord par l’étrangeté, « il s’[est] pris pour un autre ». Il prend confiance peu à peu dans son talent de comédien et de séducteur. ap Le déictique « cette » désigne la figure du miroir. Le miroir objective une image latente du héros. Le lecteur sent dans l’emploi du démonstratif toute la fierté du personnage. aq La montée des trois étages symbolise et préfigure la métamorphose progressive du personnage qui, par étapes, progresse dans sa vie professionnelle et personnelle jusqu’à l’ascension finale. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 39 à 45) Examen des textes et de l’image u Le narrateur, dans le texte d’Ovide, est omniscient et connaît les moindres pensées de Narcisse : « mais il sent naître en lui une soif nouvelle ». On note dans le texte de Bel-Ami une alternance des points de vue : le point de vue omniscient du narrateur (« Il montait lentement ») et le point de vue subjectif (focalisation interne) introduit par le verbe apercevoir (« Il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette »). Dans Le Rouge et le Noir, tantôt le point de vue du narrateur épouse celui de Julien (« Julien vit la croix pectorale »), tantôt il est omniscient (« La richesse du surplis garni de dentelle arrêta involontairement Julien »). Dans l’extrait du Horla et celui de Giovanni Papini, le narrateur parle à la 1re personne, offrant sa propre vision des choses au lecteur. v Dans les extraits de Bel-Ami et Le Rouge et le Noir, les narrateurs ne décrivent que ce que voient Georges Duroy et Julien Sorel. Le lecteur de Maupassant n’en saura pas davantage. La réalité dans le texte de Stendhal n’est perçue que par le regard de son personnage, la vue du lecteur est limitée à celle de Julien (« Il avança et parcourut assez lentement la longueur de la salle, toujours la vue fixée vers l’unique fenêtre »). w Le dédoublement, dans les différents textes, se produit au moyen d’un miroir ou d’une étendue d’eau qui en fait office. Narcisse s’éprend de sa propre image qu’il contemple dans l’eau d’une source avec une attention amoureuse. Il mourra de ne pouvoir atteindre l’objet de son amour. Dans l’extrait de Le Rouge et le Noir, le jeune évêque d’Agde veut vérifier, dans la psyché, l’effet qu’il produira sur les fidèles en donnant des bénédictions. Le miroir est l’outil qui lui permet de s’entraîner et d’améliorer sa prestation en se dédoublant. Le narrateur, dans le texte de Maupassant, est victime du Horla dont la présence dissimule à sa vue son propre reflet dans le miroir. L’absence de reflet crée un effet inquiétant. Dans la nouvelle au caractère fantastique de Giovanni Papini, le reflet du narrateur est dédoublé par la présence de son double, plus jeune de cinq ans, dans les eaux d’une conque où il aimait naguère se regarder. x Le narrateur prête au Horla des intentions malfaisantes : « il m’épiait lui aussi ; […] il lisait par-dessus mon épaule ». Il éprouve le sentiment de sa présence ; à deux reprises, cette impression est signifiée : « je sentis […] qu’il était là », « sentant bien pourtant qu’il était là ». Il le connaît car il a déjà eu affaire à lui : « il m’échapperait encore ». La disparition de son reflet provoque chez le narrateur peur, affolement et même « épouvante ». L’ennemi est insaisissable, « lui dont le corps imperceptible avait dévoré [son] reflet ». La périphrase « Ce qui me cachait » désigne cet adversaire, sans « contours nettement arrêtés », possédant « une sorte de transparence opaque ». y L’autoportrait de Johannes Gumpp, peintre autrichien du XVIIe siècle, présente la particularité de représenter trois fois le peintre. Vu de dos, il cache son vrai visage au spectateur, qui n’en voit que son reflet à gauche et le portrait qu’il peint à droite. Le spectateur se met donc à la place du peintre vu Réponses aux questions – 8 en train de peindre. Autre originalité : le personnage du miroir regarde le peintre, tandis que celui du portrait regarde le spectateur. Cette mise en scène de soi est une interrogation sur soi, sur le réel et sa représentation. Quel est le vrai visage de l’artiste : celui qu’il voit ou celui que les autres voient ? La mise au point et la diffusion, à la fin du XIVe siècle à Venise, des miroirs de verre ont permis d’offrir une plus grande précision et qualité du reflet et ont favorisé le développement de l’autoportrait. Notons que les premiers miroirs étaient convexes et entraînaient des déformations, que Parmigianino (1503-1540), en 1524, s’est amusé à mettre en scène dans son Autoportrait au miroir convexe. L’autre conséquence d’une telle utilisation du miroir fut que les peintres se représentèrent peignant de la main gauche pour les droitiers et de la main droite pour les gauchers. Enfin, la présence du miroir sur la toile dévoile l’artifice. Travaux d’écriture Question préliminaire Le miroir ou la surface de l’eau qui en fait office jouent un rôle magique ou fantastique dans les nouvelles de Maupassant et Giovanni Papini. Le narrateur du Horla ne voit plus son reflet et paraît dépossédé de son être (cf. Chamisso, L’Étrange Histoire de Peter Schlemihl,1813) ; celui de Deux Images dans une conque voit à la fois les deux images juxtaposées de celui qu’il était et de celui qu’il est (les deux personnages vont coexister pendant quelques jours jusqu’à ce que le narrateur mette un terme définitif à la présence de son double en lui plongeant la tête dans l’eau, se débarrassant ainsi de son moi ancien). Narcisse, victime d’une illusion trompeuse dans Les Métamorphoses, prend son reflet pour l’image d’un autre ; incapable de saisir son reflet, il se laisse dépérir. Le miroir symbolise souvent la vérité qu’il livre à celui qui se regarde. Dans la psyché, le jeune évêque d’Agde cherche à connaître et à parfaire son image. Renseigné sur l’effet qu’il produit, il tente de suppléer à sa jeunesse par la gravité de ses gestes. Bel-Ami, après avoir identifié le « monsieur en grande toilette », fait des mines devant la glace. Dans ces deux derniers cas, le miroir est un auxiliaire précieux de l’acteur qui facilite son jeu dans la comédie humaine (cabotinage de Duroy, bénédictions mécaniques du jeune évêque). Commentaire Introduction Le Rouge et le Noir de Stendhal appartient au roman d’apprentissage. Le héros Julien Sorel hésite entre deux carrières : celle des armes (le Rouge) et celle de la prêtrise (le Noir). Précepteur des enfants de Mme de Rênal, avec laquelle il a une liaison, il fait partie de la garde lors de la venue du roi de *** à Verrières, mais « sous les longs plis de sa soutane on pouvait apercevoir les éperons du garde d’honneur ». À la recherche de l’évêque qui doit présider la cérémonie religieuse, il découvre un jeune homme donnant devant un miroir des bénédictions. L’ironie n’est pas absente de ce passage où Julien Sorel observe avec naïveté la scène. Le champ de vision du lecteur se limiterait au regard du personnage sans l’intervention du narrateur. Cette scène permet d’acquérir une meilleure connaissance du héros. 1. De la naïveté initiale à la découverte finale A. Un regard naïf • Julien surprend « un jeune homme en robe violette et surplis de dentelle » en train de donner des bénédictions. Le narrateur garde, au début du texte, le silence sur l’identité du personnage dont il mentionne à sept reprises la jeunesse (cinq occurrences de « jeune homme » ; « jeune prêtre » ; « jeune »). • L’aspect juvénile du personnage autorise Julien à une certaine identification avec lui : « si jeune […] ; tout au plus six ou sept ans de plus que [lui] !… » B. Un désir de comprendre • Le monologue intérieur donne au lecteur accès aux pensées du héros qui cherche à démêler la signification de la scène dont il est témoin : « Que peut signifier ceci ? pensa-t-il. Est-ce une cérémonie préparatoire qu’accomplit ce jeune prêtre ? C’est peut-être le secrétaire de l’évêque… » • Certains détails retiennent son attention : « La richesse du surplis garni de dentelle » ou encore la beauté du miroir « magnifique ». Bel-Ami – 9 C. La découverte finale • L’image de Julien apparaît dans la psyché, révélant ainsi sa présence. Mais il n’a pas encore vu de face le jeune « prêtre ». Le rapprochement des deux personnages, l’un comme sujet et l’autre comme objet, s’opère dans la même phrase : « Le jeune homme le vit dans la psyché ». • Julien est doublement étonné, à la fois par le « ton le plus doux » de la voix, au lieu de l’insolence attendue, et par la révélation de l’identité du personnage. L’information « C’était l’évêque d’Agde » est énoncée au moment où Julien fait cette découverte. Coïncidence entre l’information donnée au lecteur et la reconnaissance de Julien. 2. Le regard du lecteur et celui du narrateur A. Le lecteur épouse le regard de Julien • Celui-ci découvre en même temps que le héros une scène de pantomime. Un décor limité à une « salle », une « unique fenêtre », « un miroir mobile en acajou ». • Toute l’attention du héros se porte sur le personnage. Le narrateur ne retient que la perception de Julien (« La beauté de la salle l’avait ému »), son observation de l’acteur qui se compose un air « fâché », « irrité », et qui s’entraîne « à donner des bénédictions exécutées lentement mais en nombre infini, sans se reposer un instant ». Julien est frappé par l’aspect mécanique de son comportement. B. Les informations données au lecteur par le narrateur • Le lecteur est informé à plusieurs reprises qu’il s’agit d’une bénédiction et comprend vite qu’il s’agit en fait d’un simulacre. Les interventions du narrateur permettent au lecteur de voir Julien regarder la scène et la manière dont il regarde. • La présence du « meuble » dans la salle de l’abbaye est incongrue : « Ce meuble semblait étrange en un tel lieu ». • Nous pénétrons dans la conscience du personnage grâce au monologue intérieur : « Il est de mon devoir de parler ». C. L’ironie du narrateur à l’égard de son personnage Le narrateur semble se moquer du regard naïf que jette son héros sur la scène à laquelle il assiste. L’intervention la plus significative est située à la fin de l’extrait : « C’est clair, dit Julien, osant enfin comprendre ». Pour quelle raison Julien n’a-t-il pas compris d’emblée ? Manquerait-il de perspicacité ? 3. La signification de la scène Plusieurs facteurs empêchent Julien de comprendre immédiatement la signification de la scène que le lecteur devine d’emblée. A. Sa sensibilité • La « beauté de la salle l’avait ému ». • Il craint d’être rabroué, comme l’a été l’abbé Chélan par les laquais (passage précédant l’extrait). • Il veut se contraindre à parler, « froissé d’avance des mots durs qu’on allait lui adresser ». • Il est bouleversé, « stupéfait » face au jeune évêque dont l’identité lui est révélée par sa croix pectorale. Son émotion peut gêner sa compréhension. Mais il semble ne pas vouloir comprendre. B. Sa résistance intérieure Sans doute Julien éprouve-t-il une résistance intérieure à accepter ce qu’il voit : un prêtre bénissant un miroir ! Il est impressionné par l’apparence, reste d’un respect enfantin. Il voit dans le jeune évêque un acteur plein de savoir-faire, et non un imposteur. Il est touché par la douceur, l’onction de ses paroles. Il est sans doute étonné qu’une bénédiction, qui a un caractère sacré, puisse donner lieu à une répétition. Il refuse de voir la petitesse de l’exercice. Il n’ose pas comprendre, animé d’un profond respect pour la religion et son représentant dans la figure de ce jeune prélat. Le verbe oser contient sans doute toutes ses réticences. C. Son admiration instinctive pour le personnage Il partage avec lui jeunesse (« Si jeune ») et ambition. Conclusion Cette scène est importante pour la suite de la vie de Julien Sorel ; la rencontre de l’évêque aiguillonne son ambition. Quelques pages plus loin, on peut lire : « L’ambition réveillée par le jeune âge de l’évêque, la sensibilité et la politesse exquise de ce prélat se disputaient son cœur […]. Ce spectacle fit perdre à notre héros ce qui lui restait de raison. En cet instant, il se fût battu pour l’Inquisition, et de bonne foi. » L’intérêt de cette Réponses aux questions – 10 page réside dans l’alternance des points de vue et dans la connaissance plus profonde qu’elle nous donne du héros. Dissertation Marguerite Duras affirmait qu’« on n’écrit rien hors de soi ». Toutes les œuvres littéraires se construisent sur une part d’autobiographie. C’est au sens strict du terme d’autobiographie que nous nous tiendrons, pour examiner si le roman paradoxalement ne permettrait pas une meilleure découverte d’un écrivain que son autobiographie. Les œuvres romanesques et autobiographiques présentent entre elles des traits communs : elles se développent en récits, qui relatent l’histoire d’un personnage au cours des étapes de son existence et qui participent au plaisir du lecteur. Mais l’œuvre autobiographique ne comportet-elle pas en elle-même des limites qui entravent la connaissance de son auteur ? Paradoxalement l’écrivain ne se laisserait-il pas mieux découvrir à travers une fiction et les personnages qu’il crée ? 1. Difficultés de la découverte d’un écrivain dans l’autobiographie A. Autosurveillance de l’écrivain • Il s’exhibe – d’où un embellissement inévitable. • Écrire sur soi est paradoxalement à la fois écrire pour soi et pour autrui. L’autobiographe vise à produire un effet sur le lecteur. B. Importance de la sincérité aux dépens de la vérité • Mensonges involontaires ou volontaires sont inévitables dans l’écriture sur soi (cf. le préambule des Confessions de Rousseau). L’œuvre autobiographique est toujours reconstruction. • Au XXe siècle, on met en doute l’idée que chacun détient la vérité sur soi. L’influence de la pensée marxiste et la diffusion de la psychanalyse entraînent un changement de la représentation du moi. L’individu est déterminé par de nombreuses influences. C. La découverte de l’homme oblitère celle de l’écrivain • Intérêt du lecteur pour l’anecdotique. • L’autobiographie apparaît comme un document. 2. Paradoxalement la fiction permettrait une meilleure appréhension et compréhension de l’écrivain que l’autobiographie A. La vérité derrière le mensonge romanesque • Louis Aragon pense que le roman peut « mentir vrai ». • André Gide écrit dans son autobiographie Si le grain ne meurt : « Les Mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman. » Il entreprend alors la rédaction de son roman Les Faux-Monnayeurs. B. Découverte d’un écrivain sous un autre mode que celui de la vérité : celui de l’imagination créatrice, du travail « poétique » Goethe, dans Poésie et Vérité, ne peut admettre, de la part d’un lecteur, la recherche de la vérité, les parallèles entre le je de l’autobiographie et celui de la fiction : « Chacun voulait savoir ce que le roman contenait de vérité. J’en fus très irrité et répondis presque toujours brutalement ; car, pour satisfaire à cette question, il m’aurait fallu mettre en morceaux une œuvre composée de tant d’éléments et dont l’unité poétique m’avait coûté tant de méditations, il m’aurait fallu détruire la forme, de sorte que les parties auraient été sinon anéanties, du moins décomposées. » C. Sous le couvert de la fiction, l’écrivain se surveille moins, se sent plus libre et construit une œuvre, faite de souvenirs, d’événements personnels qu’il recompose Invention de personnages, proches de lui. Mauriac s’en explique dans Le Romancier et ses Personnages : « Le héros du Nœud de vipères ou l’empoisonneuse Thérèse Desqueyroux, aussi horribles qu’ils apparaissent, sont dépourvus de la seule chose que je haïsse au monde et que j’ai peine à supporter dans une créature humaine, et qui est la complaisance et la satisfaction. Ils ne sont pas contents d’eux-mêmes, ils connaissent leur misère. » • Le romancier se découvre dans ses aspirations, ses idées, ses fantasmes… • Transposition d’expériences vécues : Marcel Proust, dans À la recherche du temps perdu ; LouisFerdinand Céline, dans Voyage au bout de la nuit, où les expériences de jeunesse de Ferdinand Bel-Ami – 11 Bardamu, le héros-narrateur, sont largement inspirées de celles de l’auteur ; André Malraux, dont l’œuvre romanesque s’inspire de ses expériences (il tirera La Voie royale de son voyage asiatique)… Conclusion Le caractère voilé, reconstruit, d’événements personnels dans le roman peut parfois permettre davantage d’atteindre à une vérité artistique qu’une œuvre autobiographique et par là même à la découverte plus profonde d’un écrivain. Cependant, on constate aujourd’hui un estompage entre les genres littéraires : ainsi Georges Perec, dans W ou le Souvenir d’enfance, pour parler de lui, recourt-il, dans une construction subtile, au détour de la fiction. Enfin, certaines autobiographies ont en soi une grande valeur littéraire. Écriture d’invention Voici un exemple de sujet rédigé : « Sur la route de mes vacances, dans une campagne reculée, je dus faire halte dans un vieux château qui accueillait des hôtes et fis là une curieuse expérience qui me fait frissonner encore. La nuit était déjà tombée depuis longtemps et mon hôtesse me conduisit à ma chambre, la seule qui restât libre. L’éclairage était faible, seule une veilleuse était allumée. L’heure tardive et une forte envie de dormir ne me poussèrent pas à rechercher les autres sources d’éclairage et à approfondir ma connaissance des lieux. Je me déshabillai promptement et sombrai vite dans le sommeil. Au petit matin, la lumière filtrant à travers les persiennes, je pus commencer à distinguer, malgré la pénombre, la pièce où je m’étais si bien reposé. Je me redressai un peu et regardai en face de moi. Je vis avec frayeur une forme blanche qui s’agitait. Le château était lugubre, et, quoique peu superstitieux et enclin à croire aux fantômes, je fus secoué de tremblements et mon dos fut parcouru de frissons. La forme continuait à s’agiter fébrilement. Je ne voulais pas allumer, pour ne pas attirer l’attention de ce simulacre. Mon imagination amplifiait ma crainte. Je me cachais alors sous les draps pour reprendre un peu mes sens et me dissimuler à l’adversaire. Après quelques minutes, retrouvant mes esprits, je décidai de faire face et d’affronter la créature. Je soulevai légèrement le drap à gauche, levai la tête et vis la chose, l’ectoplasme se redresser du même côté. Je m’allongeai à nouveau et, me dominant, tentai l’expérience du côté droit. La forme s’agita à droite comme si elle avait deviné mon geste. Menaçante, elle m’épiait, attentive au moindre de mes mouvements. Je tentai une sortie discrète hors de mon lit ; accroupi dans la ruelle, j’observais. La forme avait disparu. Cette constatation ne me rassura pas pour autant, bien au contraire. Où le fantôme s’était-il caché ? Sous le lit ? Où et quand allait-il réapparaître ? N’osant même pas regarder sous le lit, je me recouchai vivement et, comme un enfant craintif, je me dissimulai sous les couvertures, pensant y être en sécurité, à l’abri de son regard. À travers les draps, je voyais le jour qui perçait. Pris de je ne sais quelle folie, dans un mouvement brusque, je me dégageai des draps et fis face… à mon propre reflet. À la vue surprenante de mon image, je fus pris de tremblements nerveux et d’une sorte de fièvre. Je ne pouvais contrôler mon agitation, bien que je fusse rasséréné par ma découverte. C’est alors que la chambre fut éclairée par le soleil et que je fus comme ébloui. En face de moi était installée une immense glace qui agrandissait considérablement la pièce. Peut-être, pensai-je alors, cette pièce avaitelle accueilli les amours des anciens seigneurs du lieu. Mon malaise cependant demeurait car j’avais l’étrange impression d’être observé et j’espérais que le miroir n’était pas sans tain. » D e u x i è m e p a r t i e , c h a p i t r e V I I I ( p p . 2 8 7 à 2 9 9 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 300-301) Une femme de tête u Madeleine, d’abord troublée par l’arrivée du commissaire, lui répond « d’une voix étranglée ». Puis elle retrouve rapidement son calme (« voyant tout perdu, elle était prête à tout oser »). Par défi et « bravade », elle « allum[e] les dix bougies » et « s’adoss[e] au marbre » de la cheminée. Elle adopte une attitude de femme aux mœurs très libres, peu soucieuse de l’inconvenance de sa tenue (« et tendant au feu mourant un de ses pieds nus, qui soulevait par-derrière son jupon à peine arrêté sur les hanches, elle prit une Réponses aux questions – 12 cigarette dans son étui de papier rose, l’enflamma et se mit à fumer »). Elle garde la tête haute, même si sa réputation est perdue, et avoue « crânement » que Laroche-Mathieu est son amant. Son attitude tranche avec celle du ministre. v Madeleine affecte « de ne pas voir son mari », elle feint de l’ignorer. Elle s’adresse avec « insolence » au commissaire et lui sourit « sous le nez ». Ces attitudes correspondent au personnage que le lecteur connaît. Avant d’épouser Duroy, Madeleine avait fait part à son futur époux de sa conception du mariage : « Comprenez-moi bien. Le mariage n’est pas pour moi une chaîne, mais une association. J’entends être libre, tout à fait libre de mes actes, de mes démarches, de mes sorties, toujours. Je ne pourrais tolérer ni contrôle, ni jalousie, ni discussion sur ma conduite. » w Quelques éléments de décor contribuent au réalisme de la scène. Les amants sont surpris dans un « meublé » et la description se limite à quelques objets révélateurs. La cheminée est garnie de « vilains candélabres ». Les différents vêtements du ministre, « jetés pêle-mêle dans l’appartement », sont précisés, ajoutant au réalisme de la scène : « il avait passé son pantalon, chaussé ses bottines […] son gilet ». À la fin de la scène, il ne lui reste plus qu’à revêtir son « paletot ». Quant à Madeleine, « presque nue », elle n’est vêtue que d’un méchant jupon « à peine arrêté sur les hanches ». x Madeleine est décrite comme une courtisane (l. 4211-4214), très maîtresse d’elle-même. Une scène théâtrale Le coup de théâtre consiste en la révélation, au milieu de l’extrait, de l’identité de « l’homme couché », qui n’est autre que le ministre des Affaires étrangères Laroche-Mathieu. Le narrateur prend soin de le désigner en utilisant de nombreuses périphrases afin de ménager l’effet de surprise : l’homme n’est d’abord qu’« un corps caché sous le drap », « la tête enfoncée sous l’oreiller », « un corps voilé ». C’est Georges Du Roy qui découvre « la figure livide de M. Laroche-Mathieu » et qui, face au mutisme du ministre, indique son identité au commissaire. U L’extrait s’apparente à une scène de théâtre par le recours abondant au dialogue, mené par le commissaire qui procède à l’interrogatoire des deux amants. Le rythme du dialogue s’accélère lors de l’intervention de Georges Du Roy qui soulève la couverture. On dénombre 42 répliques dans cet extrait. La scène débute par l’irruption du commissaire et du plaignant, elle se poursuit par l’interrogatoire, puis l’altercation entre le ministre et le mari trompé, le constat du flagrant délit d’adultère et l’aveu de Madeleine, et elle s’achève par le départ de Du Roy satisfait et du commissaire. Le récit est émaillé de nombreuses remarques qui font office de didascalies, précisant les attitudes des personnages ou leur ton de voix : « Georges, qu’une colère bestiale faisait trembler, cria » ; « Madeleine, immobile, fumait toujours, en souriant » ; « Du Roy se retourna vers lui et souriant avec insolence ». V L’échange des répliques, d’abord un peu lent, s’enchaîne avec vivacité lorsque Du Roy et Laroche-Mathieu s’affrontent. La réplique la plus amusante est celle de Laroche-Mathieu qui s’écrie « brusquement », au moment où le policier décide de l’arrêter : « Ne me touchez pas. Je suis inviolable. » Le ministre fait allusion à l’immunité criminelle et correctionnelle à laquelle son poste de ministre lui donne droit, mais la proximité des deux phrases (« Ne me touchez pas » et « Je suis inviolable ») rend la réplique amusante, compte tenu aussi des circonstances et de l’attitude effarouchée du ministre. Une précédente réplique du même personnage avait déjà produit un effet comique, quand il avait répondu au commissaire, qui lui demandait de se lever, qu’il ne pouvait pas, ajoutant : « C’est que je suis… je suis… je suis tout nu. » W La scène est comique par l’inversion des rôles, le mari n’étant pas ici un cocu ridicule. Le personnage ridicule est en fait l’amant qui craint de se montrer, de révéler son identité, et fait piètre figure. Madeleine, dans la situation embarrassante où elle se trouve, parvient, à la différence de son amant, à conserver sa dignité. Différentes sortes de comique sont présents dans ces pages : – le comique de situation ; – le comique de répartie : « Allons donc… levez-vous… Puisque vous vous êtes déshabillé devant ma femme, vous pouvez bien vous habiller devant moi » ; la réplique finale « C’est votre tour, monsieur le commissaire de police. Je suis presque chez moi, ici », où Georges Du Roy retourne au commissaire sa précédente politesse (cf. l. 4087) ; y Bel-Ami – 13 – comique de gestes, le mari et l’amant étant prêts à en venir aux mains : « Ils étaient face à face, les dents près des dents, exaspérés, les poings serrés, l’un maigre, et la moustache au vent, l’autre gras et la moustache en croc. » X Le narrateur recourt au style direct, dont Maupassant fait un usage étendu. Les personnages acquièrent ainsi relief et vie. André Vial souligne cet usage du dialogue : « Du théâtre, Maupassant […] subit très tôt l’attrait. […] Le romancier garda la nostalgie de ce moyen de “représentation directe” : le mot même dont il usait pour définir l’objet de son effort dans la création romanesque est emprunté à la langue du théâtre, comme son synonyme “mise en scène” dont il se servait aux mêmes fins. Enfin lorsque l’écrivain inclina pour le roman d’analyse, le dialogue s’offrit à lui comme un instrument d’investigation ou plutôt de révélation d’une sensibilité extrême, qui dispensait l’artiste de recourir à la description abstraite du psychologue. […] C’est précisément un des mérites les plus difficilement contestables de Maupassant que le réalisme stylistique et l’intensité signifiante de son dialogue » (L’Art du roman, Nizet, 1954). at Le registre comique domine. Le sourire de Madeleine est assez semblable à celui de son mari et il donne à ces deux personnages une forme de supériorité sur Laroche-Mathieu, qui paraît être le dindon de la farce, tombé dans le panneau du délit d’adultère. Du Roy rend la scène comique par la force de son insolence et de ses réparties. Il a beau jeu d’ironiser sur son rival qu’il méprise. Le triomphe de Du Roy ak À plusieurs reprises, Georges Du Roy souhaite exercer sa force mais se retient : « Il se pencha vers lui et, frémissant de l’envie de le saisir au cou pour l’étrangler, il lui dit, les dents serrées » ; « Du Roy s’élança vers lui, comme pour le terrasser, et il lui grogna dans la figure » ; « Georges, qu’une colère bestiale faisait trembler, cria » ; « Ils étaient face à face, les dents près des dents, exaspérés, les poings serrés, l’un maigre, et la moustache au vent, l’autre gras et la moustache en croc ». Du Roy est en position de force : il est accompagné d’un commissaire et dans son bon droit (« Il y a flagrant délit… […] Je peux vous faire arrêter, si je veux… oui, je le peux »), et il porte à son adversaire le coup final en répondant, à la place du commissaire, au ministre qui demande à se retirer : « Pourquoi donc ? Nous avons fini. Vous pouvez vous recoucher, monsieur ; nous allons vous laisser seuls. » al Du Roy enrage face au ministre qui l’a joué. C’est un sentiment de colère qui l’anime. À aucun moment il ne semble éprouver de la jalousie. Pourtant ce sentiment ne lui est pas inconnu, en particulier depuis la mort de Forestier. Enfin, pas un instant il ne prête attention à son épouse ni ne la regarde. am Le rival offre l’image d’un médiocre et d’un lâche. Il se cache « la tête enfoncée sous un oreiller », ne répond pas au commissaire qui le somme de se nommer et ne met aucun empressement à sortir du lit, prenant sa nudité comme excuse. Son attitude face au mari et au commissaire le rend même ridicule, « tena[n]t le drap serré contre son cou et roula[n]t des yeux effarés ». an Le sommet de la scène est atteint au moment où les deux rivaux se font face. Georges Du Roy réplique à l’insulte de Laroche-Mathieu en jetant son ruban rouge au feu et en ajoutant : « Voilà ce que vaut une décoration qui vient de salops de votre espèce. » Seule l’intervention de l’officier de police met un terme à leur passe d’armes : « ils se turent et se tournèrent les talons. » ao Du Roy ne peut souffrir l’idée qu’il doit sa décoration non à ses propres mérites (sinon celui d’être un mari trompé) mais à la générosité de l’homme qui le trompe avec sa femme. Aussi arrache-t-il sa décoration et la jette-t-il au feu. Dans le conte de Maupassant Décoré, M. Sacrement désire par-dessus tout être décoré. Il fait agir sa femme auprès du député Rosselin qui l’envoie en mission. Revenant un jour chez lui sans prévenir, il découvre dans la chambre à coucher un pardessus dont « la boutonnière portait un ruban rouge ». Affolée, son épouse balbutiante lui avoue qu’il sera bientôt décoré grâce à l’entremise du député Rosselin. S’échappe alors du pardessus un petit papier blanc où l’on peut lire : Rosselin, député… Dans les deux cas, il s’agit de maris trompés ; à la différence de Georges Du Roy, M. Sacrement est un homme très naïf qui perd tout jugement à l’annonce de la prochaine remise de sa décoration. ap Les différentes étapes du constat d’adultère sont les suivantes : – Du Roy et un commissaire de police pénètrent dans l’appartement en en forçant la porte ; – le commissaire décline ses nom et qualité ; – Madeleine Du Roy acquiesce à leur énoncé ; Réponses aux questions – 14 – l’homme, caché sous le drap, refuse de se nommer ; il ne le fait qu’après avoir été reconnu et nommé par Du Roy ; – l’officier de police fait reconnaître le délit par les deux amants ; – il prend enfin « quelques notes sur l’état et la disposition du logis ». On procède encore aujourd’hui à ce type de constat. aq À la fin de l’extrait, le ton devient enjoué. Du Roy semble heureux de la comédie à laquelle il vient de se livrer et grâce à quoi il va recouvrer sa liberté. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 302 à 312) Examen des textes et de l’image u La situation est comique dans les deux textes : il s’agit d’amants surpris par le mari dans le texte de Maupassant et par un rival dans celui de Zola. L’attitude de ces personnages, qui perdent contenance et retenue, amuse le lecteur. Dans le texte A, le journaliste Georges Du Roy est face au ministre des Affaires étrangères Laroche-Mathieu. Dans le texte B, le procureur général Delcambre fait face au banquier Saccard. Si Du Roy et Laroche-Mathieu sont prêts à en venir aux mains, le magistrat et le financier se tutoient et s’insultent « comme des cochers ». Du décalage entre leur gravité apparente, la fonction qu’ils exercent et la grossièreté de leur langage naît le comique. Clarisse, femme de chambre de la baronne, de la coulisse, « derrière la porte du cabinet de toilette », s’amuse, comme le lecteur, de « la bonne farce ». v L’opposition entre « la maîtresse accroupie et nue » et « la servante droite et correcte » fait naître un comique grinçant. La maîtresse est en situation de faiblesse et se retrouve sur un pied d’égalité avec sa bonne : « et elles échangèrent un flamboyant regard, la haine séculaire des rivales, dans cette égalité des duchesses et des vachères, quand elles n’ont plus de chemise. » La langue soutenue du narrateur s’oppose au langage très familier des personnages : l’emploi des verbes flanquer, filer, décamper, déguerpir, embêter ; les injures telles que « vieille crapule », « sale cochon ». La vraie nature des hommes apparaît dans cet usage de termes familiers lors de leur altercation qui a pour sujet réel l’argent et non la baronne. Celle-ci oppose son calme à la querelle des deux hommes qui s’envenime et joue le rôle d’arbitre muet, attendant « sur sa chaise » que « l’un d’eux eût jeté l’autre dehors ». w Le ressort de la scène n’est pas vraiment la jalousie ou le dépit de Saccard ou de Delcambre. La maîtresse du jeu, c’est la bonne qui a organisé cette rencontre. Clarisse joue ici le rôle de spectatrice, de voyeuse, jouissant de son pouvoir et de sa revanche sociale, et donne à la scène plus de relief. x Le drame romantique Antony se caractérise par la violence, propre à ce genre théâtral. Le héros Antony se résout à une solution tragique en donnant la mort à celle qu’il aime pour préserver l’honneur de celle-ci. La mort d’Adèle d’Hervey a lieu sur scène, contrairement à la tragédie classique qui s’interdisait de montrer combats, meurtres et exécutions pour des raisons de bienséance. Le théâtre romantique est un théâtre d’action. Le dialogue est rapide, heurté, comportant de nombreux impératifs (« Fuis », « Tue-moi », « Ouvrez », « hâte-toi », « meurs ») et des phrases brèves, car le temps presse (« Et, à ton dernier soupir, tu ne haïrais pas ton assassin ? »). La gradation ascendante poignante employée par la jeune femme (« Je la demande, je la veux, je l’implore ! ») témoigne de l’urgence de la décision. y Lucienne Vatelin monte une mise en scène destinée à se venger de son mari car Pontagnac lui a révélé qu’il avait un rendez-vous galant. Elle n’a nulle intention de se donner ni à Rédillon, ni à Pontagnac. La morale est donc sauve. À noter que, dans la scène 10 de l’acte III (dernière scène de la pièce), Lucienne surprend la conversation entre Vatelin et son ami Rédillon, au cours de laquelle son mari dit regretter une liaison passagère avec une maîtresse fort encombrante et être toujours amoureux de Lucienne. Celle-ci, dévoilant sa présence, se réconcilie avec son mari sous la bénédiction de Rédillon. U La première réaction de Sarah marque l’étonnement devant la décision de son mari. Elle change de sujet, faisant dévier la conversation sur le menu préparé : jambon froid et salade. Le dialogue est difficile entre Sarah et Richard. Sarah parle avec une simplicité un peu naïve : « Ça ne fait pas dix ans Bel-Ami – 15 que j’ai pris mon amant. Pas tout à fait. Pas pendant notre lune de miel. » Richard, avec une grande courtoisie mais aussi fermeté, lui demande de mettre un terme à sa liaison. Sarah ne veut pas comprendre et, après plusieurs moments de silence, « se presse contre lui », cherchant des excuses à son mari pour les propos qu’il vient de tenir. Le spectateur est frappé par l’inconséquence de la conduite de Sarah, l’aveuglement de longue durée du mari et l’étrangeté de leur comportement respectif. Quel mystère cache cette aventure extraconjugale ? V La scène du tableau de Fragonard et celle de Maupassant se déroulent l’une et l’autre dans une chambre et représentent une scène d’intimité. Sans doute Madeleine Forestier et le ministre se sont-ils comportés comme les personnages du tableau avant l’arrivée du mari et du commissaire de police ? L’une des interprétations de ce tableau est qu’il illustre une scène de libertinage (d’autres l’ont envisagé comme une représentation d’un viol) : le décor d’une chambre, l’attitude de la jeune femme enlacée qui se défend un peu languissamment face à l’attitude conquérante du jeune homme. Le désordre des vêtements exprime sans doute son désordre intérieur. La tête rejetée en arrière, dernier sursaut de sa pudeur, elle repousse d’une main molle l’être aimé qui cherche à l’embrasser. Sa main gauche levée marque son impuissance à résister et son abandon. L’homme, sur la pointe des pieds, en chemise, pousse de la main droite le verrou qui donne son nom au tableau, tandis qu’il ne lâche pas sa prise et soulève la jeune femme dont les vêtements se confondent avec les étoffes qui couvrent le lit. La sensualité des attitudes, le luxe des étoffes et l’intimité du lieu : tout invite à la volupté et au libertinage. Et on devine aisément l’issue de cette scène d’alcôve. Travaux d’écriture Question préliminaire Dans l’extrait de Bel-Ami, où se trouvent rassemblés le mari trompé, la femme infidèle et l’amant, le registre comique domine. Le lecteur s’amuse de la situation ridicule du ministre qui n’assume pas sa situation d’amant. Le mari et la femme semblent prendre la chose avec un amusement distant. C’est encore le registre comique qui caractérise l’extrait de L’Argent de Zola. La situation est inattendue : les deux amants de la baronne Sandorff, le banquier Saccard et le procureur général Delcambre, se retrouvent chez leur maîtresse commune, mais cette situation embarrassante et comique a été préparée par la femme de chambre de la baronne qui assiste, impuissante, au débordement d’injures entre les deux hommes. Dans la pièce Le Dindon de Feydeau, le commissaire a du mal à s’y retrouver : venu sur requête de M. Vatelin pour prendre sa femme en flagrant délit d’adultère, il entend les aveux de Mme Pontagnac devant son mari furieux. Vatelin trouve sa femme en compagnie de Pontagnac. Pour couronner le tout, le valet de chambre d’Ernest Rédillon, Gérôme, avoue être l’amant de Mme Pontagnac. Le comique l’emporte dans cette succession très amusante de quiproquos et de malentendus. Rien de comparable dans le drame romantique de Dumas. Adèle, qui a trompé son mari, le colonel d’Hervey, décide de mourir pour sauver son honneur, de la main d’Antony. La douleur des deux amants est pathétique. Devant cette situation sans issue, Antony se résout à poignarder celle qu’il aime. La multiplication des exclamations, des phrases courtes, souvent inachevées, et le caractère fatal du dénouement participent au registre tragique de la fin de ce drame. Le texte de Pinter ne se caractérise par aucun registre particulier ; cette scène est une scène de ménage sans violence verbale, mais où la communication entre Richard et Sarah a du mal à s’établir. Commentaire Introduction L’extrait se situe dans les dernières pages du roman. Du Roy attend ce moment avec impatience ; depuis quelque temps, en effet, il a des soupçons. Madeleine le tromperait-elle ? Il mène l’enquête, organise une filature et, sûr de son fait, va chercher un commissaire de police pour venir constater le flagrant délit d’adultère. Le passage est constitué de l’interrogatoire, préalable nécessaire à la rédaction du constat. La suprématie du dialogue sur la narration en fait une petite scène de théâtre où le comique n’est pas absent. Bel-Ami joue ici un coup de maître et assure son triomphe. Réponses aux questions – 16 1. La suprématie du dialogue sur la narration A. Importance et abondance du dialogue • 40 répliques : 18 pour le commissaire, 4 pour Madeleine, 10 pour Du Roy et 8 pour Laroche-Mathieu. • Succession de phrases brèves, sans mot de liaison pour introduire les répliques (« Elle demanda avec insolence » / « Il répondit gravement » / « Elle lui souriait sous le nez »). B. Enchaînement assez rapide • Opposition entre la réponse rapide de Madeleine au commissaire et le silence prolongé de son amant. Les tergiversations du ministre entraînent la réaction vive de Georges Du Roy et l’accélération du dialogue. • Vivacité du ton au milieu de l’extrait : « L’homme s’écria brusquement » / « il lui grogna sous le nez » / « d’un ton vibrant » / « avec force » / « souriant avec insolence » / « Georges, qu’une colère bestiale faisait trembler, cria » / « il la jeta sur la couche en criant ». C. Relief et vie donnés aux personnages par le dialogue • Art de la répartie : « Puisque vous vous êtes déshabillé devant ma femme, vous pouvez bien vous habiller devant moi » ; « Ne me touchez pas. Je suis inviolable. » • Insultes proférées par Laroche-Mathieu et Du Roy. 2. Une scène théâtrale A. Une scène qui s’apparente à une comédie de mœurs • Réalisme du décor, des gestes, des vêtements. • La narration se résume à des didascalies qui permettent au lecteur d’imaginer le décor, l’intonation des personnages, leurs gestes et expressions : « Ils étaient face à face, les dents près des dents, exaspérés, les poings serrés, l’un maigre, et la moustache au vent, l’autre gras et la moustache en croc. » B. Comique de situation La situation est inversée : le personnage ridicule est l’amant effarouché et non pas le mari trompé. C. Dramatisation de la scène • Le coup de théâtre : la révélation de l’identité du ministre au lecteur, puis au commissaire (par BelAmi et par le ministre lui-même). Comique de contraste entre l’attitude effarouchée du ministre et l’assurance de Bel-Ami. • Sommet de la scène : l’échange d’insultes (« Et le gredin que voici », « salops de votre espèce »). Geste violent de Du Roy qui arrache sa décoration, ne voulant en rien être redevable à l’amant de sa femme. Beau geste du personnage qui en sort grandi. Nécessité de l’intervention du commissaire, « qui pass[e] vivement entre les deux et les écart[e] avec ses mains ». L’enjeu de la querelle n’est pas Madeleine mais l’orgueil blessé de Du Roy. 3. Le triomphe de Du Roy face à un rival médiocre et une femme supérieure A. Une maîtresse femme • Son émotion ne dure guère. • Supériorité morale de la maîtresse sur son amant. Elle avoue son identité. • Attitude provocante et tenue indécente (« Elle s’adossa au marbre et tendant au feu mourant un de ses pieds nus, qui soulevait par-derrière son jupon à peine arrêté sur ses hanches »). • En femme libérée, elle fume et observe amusée la joute entre les deux mâles (« Madeleine, immobile, fumait toujours, en souriant »). • Elle fait preuve d’insolence à l’égard du commissaire : « Elle lui souriait sous le nez. » • Le narrateur, comme les autres personnages, ne s’intéressera plus à elle jusqu’à la fin de l’extrait. B. Un rival médiocre et lâche • Il se cache sous le drap et plusieurs périphrases le désignent comme un « homme couché », « le corps voilé ». Ridicule du personnage : « Il tenait le drap serré contre son cou et roulait des yeux effarés. » Il refuse de se lever, prenant sa nudité pour prétexte : « C’est que je suis… je suis… je suis tout nu ». • Il injurie son adversaire et cherche à l’humilier : « Et le gredin que voici porte la croix d’honneur que je lui ai donnée ». • Il se refuse à répondre aux questions du commissaire puis demande son aide : « Monsieur le commissaire, vous ne devez pas me laisser insulter par cet individu. » • Il ne songe plus, une fois vêtu, qu’à quitter les lieux au plus vite. Bel-Ami – 17 C. Le triomphe de Georges Du Roy • Violence à l’égard de son rival : « Il s’élança vers lui, comme pour le terrasser, et lui grogna dans la figure. » • Insolence et ironie (l. 4271), qu’il partage avec Madeleine. • A conscience de son pouvoir : « Il y a flagrant délit… flagrant délit. Je peux vous faire arrêter, si je veux… oui, je le peux. » Il ne fait aucun cas de Madeleine, avec laquelle il n’échange aucun regard. Courtoisie moqueuse à l’égard de Laroche-Mathieu : « Vous pouvez vous recoucher, Monsieur ; nous vous laissons seuls. » Assaut de politesse avec le policier. Sorte d’élégance finale. Conclusion • Scène qui s’apparente à un vaudeville, proche d’un texte de Feydeau ou de Labiche. • Art consommé du dialogue, qui donne du relief et de la vie aux personnages. • Du Roy a obtenu ce qu’il voulait avec ce flagrant délit d’adultère : il va pouvoir divorcer. Il est désormais libre et peut épouser Suzanne Walter. Quel chemin parcouru entre le début du livre et ces dernières pages ! Du Roy a acquis une belle aisance et une belle assurance. Dissertation Introduction Le thème de l’infidélité amoureuse est éternel. Dans certaines civilisations, la femme infidèle a pu être soumise à des sanctions sévères, voire à la mort. La libéralisation des mœurs, le « vagabondage sexuel » et l’augmentation du divorce traduisent l’actualité de ce thème dans la vie de nos contemporains. Pourquoi ce thème a-t-il retenu et retient-il encore l’attention des écrivains et des artistes, malgré sa banalisation ? Nous nous livrerons à quelques constatations avant de chercher à déterminer les raisons de l’attachement des écrivains et des artistes à ce sujet. 1. Constatations : liée à l’amour, l’infidélité amoureuse est un thème récurrent A. Source inépuisable d’inspiration depuis longtemps • Variété des sujets : – dans la Bible (Joseph et Putiphar, David et Bethsabée) ; – dans la mythologie (les innombrables infidélités de Jupiter à Junon pour courtiser des mortelles – Io, Alcmène, Danaé, Europe, Léda… – et ses métamorphoses pour les séduire). B. D’une infidélité amoureuse naît souvent une grande histoire d’amour – thème de prédilection des écrivains et des artistes • Dans Belle du Seigneur, Solal, qui occupe un poste important à la Société des Nations, est amoureux d’Ariane ; il éloigne son mari, un petit fonctionnaire suffisant et médiocre, pour une lointaine mission, afin de vivre une grande histoire d’amour avec elle. • Cf. Tristan et Iseult, même si leur amour reste chaste. • L’infidélité supposée donne lieu à des malentendus tragiques : dans Othello de Shakespeare, Othello tue Desdémone qu’il croit infidèle. C. Origine parfois autobiographique de ce sujet • La vie personnelle de l’artiste lui fournit la matière. La rupture avec l’infidèle inspirera le poète ou l’artiste, l’art devenant compensation. Ainsi, certaines œuvres de Musset se ressentent de la trahison de George Sand ; Apollinaire souffre du départ d’Annie Playden pour les États-Unis (L’Émigrant de Landor Road, 1905). • « C’est la douleur seule qui rend consciente la passion, et c’est pourquoi l’on aime souffrir et faire souffrir » (Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident). 2. Raisons : les artistes peuvent donner libre cours à leur imagination créatrice A. Traitement varié dans des registres différents et des arts différents – Renouvellement constant du traitement selon les mœurs, les époques, les pays • Dans des arts variés : – dans la musique : Pelléas et Mélisande de Claude Debussy d’après un texte de Maurice Maerterlinck ; – au cinéma : Le Diable au corps de Claude Autant-Lara (1947), Jules et Jim de François Truffaut (1961), Belle de jour de Luis Buñuel (1967), etc. ; Réponses aux questions – 18 – en peinture : très nombreuses représentations de scènes d’infidélité mythologiques (Jupiter et Danaé par Tiepolo, plus récemment Danaé de Klimt ; L’Enlèvement d’Europe par Le Titien) ou bibliques (très nombreuses représentations du Christ et de la femme adultère, par Rembrandt, Poussin, Le Tintoret, Rubens…) ; • en littérature, dans des genres variés : Phèdre, Le Mariage de Figaro, Le Jeu de l’amour et du hasard, pour le théâtre ; La Princesse de Clèves, Anna Karénine, Les Liaisons dangereuses, Manon Lescaut, pour le roman ; Apollinaire, La Chanson du mal-aimé (Alcools), pour la poésie ; • dans des registres variés : On ne badine pas avec l’amour, Phèdre (tragique) ; George Dandin, Antony, Le roi s’amuse (comique), etc. B. Naissance de personnages types • Le mari trompé ridicule (le cocu), l’amant jaloux prêt à tout, la femme infidèle et rusée. Relief donné à ces personnages par leur modèle littéraire ou cinématographique. • Personnages qui vivent surtout dans la littérature et le cinéma : – La figure du cocu ridicule : dans les farces et les fabliaux du Moyen Âge, les pièces de boulevard, le théâtre de Feydeau ou de Labiche. Gags innombrables au cinéma donnant lieu à des quiproquos et des malentendus de toutes sortes. – La femme infidèle : cf. La Femme du boulanger, film de Marcel Pagnol inspiré de la comédie de Jean Giono. Aurélie, la femme du boulanger, séduite par un jeune berger, quitte son mari pour le suivre. Le boulanger refuse de cuire son pain. Son drame devient celui du village ; la solidarité des habitants va parvenir à ramener la femme infidèle. C. Exploitation par les artistes d’une large palette psychologique L’infidélité amoureuse permet de mettre en scène des situations très variées et d’utiliser de nombreux ressorts psychologiques et la variété de leurs nuances : dépit amoureux, blessures d’amour-propre (Le Jeu de l’amour et du hasard), désir, affres de la jalousie (chez Othello), désir de vengeance, honte et sentiment de culpabilité (chez Phèdre), remords, pardon, sincérité, mensonge, que l’on peut illustrer par des exemples littéraires ou cinématographiques. Conclusion • Banalisation aujourd’hui du sujet de l’infidélité amoureuse mais le fond humain est toujours le même. Souffrances dues à l’infidélité de l’autre. Formes variées liées aux mœurs suivant les pays et les époques. • Document intéressant pour les historiens et les sociologues (étude de mœurs). • Renouvellement de ce thème dans la pièce d’Harold Pinter par l’originalité et l’ambiguïté de la situation. Écriture d’invention Le mode mélodramatique est constitué d’outrance dans les gestes (pleurs, roulement des yeux, etc.) et dans les paroles (plaintes, supplications, phrases au caractère définitif ou solennel). Suggestion : on pourrait imaginer que la demande de rupture du mari soit suivie de celle de sa femme qui, après des pleurs et des serments solennels, retourne la situation à son avantage. Argument à transformer en dialogue. Un mari annonce à sa femme qu’il veut rompre avec elle pour quitter sa vie routinière. Celle-ci ouvre de grands yeux, ne s’y attendant pas le moins du monde. Au bord des larmes, elle proteste par de grands serments solennels et des objurgations. Cependant elle n’a pas l’intention de se laisser faire. Elle aime toujours son mari, avec lequel elle est mariée depuis plus de vingt ans, et, après cet étonnement douloureux, elle décide de faire face ; avec grandeur d’âme et grandiloquence, elle dit à son mari qu’elle ne lui refusera pas le droit d’être heureux. Ébahissement profond du mari. L’effet de surprise passé, elle retourne la situation en déclarant – vérité ou mensonge – qu’elle a un amant. Elle se dit même étonnée qu’il ne l’ait jamais interrogée à ce sujet. Le mari stupéfait et piqué au vif s’approche d’elle, esquissant un geste affectueux. Sa femme le repousse. Tout à coup il la regarde, saisi par sa beauté de femme mûre, encore très séduisante, et la complimente. Son intention de rompre ne paraît plus aussi certaine. En avait-il d’ailleurs vraiment l’intention ? La comédie de l’épouse se prolongera aussi longtemps que l’époux soi-disant infidèle lui soit revenu, du moins par des promesses. Bel-Ami – 19 D e u x i è m e p a r t i e , c h a p i t r e X ( p p . 3 2 4 à 3 3 4 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 335-336) L’apothéose du héros À la lecture du dénouement, on mesure la distance qui sépare Georges Du Roy, sortant de l’église de la Madeleine, de l’ancien sous-officier qui, dans l’incipit, déambule dans les rues de Paris, solitaire, désœuvré, « avec trois francs quarante pour finir le mois ». L’homme qui sort de la Madeleine vient d’épouser la fille du riche propriétaire de La Vie française et est au faîte de sa gloire. On note d’ailleurs quelques parallélismes : « il cambra sa taille » (l. 4) / « il se redressa » (l. 5065). Sa démarche même a changé : dans l’incipit, « il avançait un peu brutalement dans la rue pleine de monde, heurtant les épaules, poussant les gens pour ne point se déranger de sa route » ; désormais, « il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute » et « descendit avec lenteur les marches ». v L’épithète détachée « affolé de joie », la métaphore « [il] se croyait un roi qu’un peuple venait acclamer », l’énumération des verbes « serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments » traduisent l’ivresse du personnage et l’illusion qu’il a de son importance. Déjà le nom de Prosper-Georges Duroy contenait la promesse de l’image majestueuse à laquelle il s’identifie. w La cérémonie religieuse consacre le triomphe d’un arriviste. Il s’agit presque d’un sacre (cf. l’image du roi). Du Roy n’a aucune conviction religieuse, cependant « il se [sent] en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l’[a] ainsi favorisé ». Le narrateur pousse l’ironie dans les lignes qui précèdent l’extrait à le qualifier d’« Homme-Dieu ». Bientôt oublieux du lieu, BelAmi tourne toutes ses pensées vers Mme de Marelle qu’il aperçoit, « et le souvenir de tous les baisers qu’il lui avait donnés […] lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre ». Il profane ainsi par des pensées déplacées le caractère sacré du mariage et le lieu saint. Pour lui, rien ne semble changé et il pourra continuer à fréquenter Mme de Marelle et entretenir des relations extraconjugales. Du Roy a aussi fréquenté l’église de la Trinité dans laquelle Mme Walter lui avait donné rendez-vous. x La foule est comparée à « un fleuve ». Les assistants restent anonymes, fondus dans une « foule noire, bruissante ». Du Roy, perdu dans sa contemplation et dans ses rêves, ne distingue personne. Le narrateur commente : « Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui » ; « il ne les [les spectateurs] voyait point » ; il n’est pas attentif aux « deux haies de spectateurs » qui célèbrent sa victoire. y Georges Du Roy semble ailleurs ; enfermé dans ses pensées, content de lui, il jouit de son bonheur. Il est indifférent à tous ceux qui l’entourent, sensible seulement à la présence de la foule. Par le jeu de la focalisation interne, le narrateur nous fait pénétrer les pensées du personnage. Le complément « pour lui », placé en fin de phrase, insiste sur sa vanité : « il aperçut la foule amassée, bruissante, venue là pour lui ». U Son ambition le porte déjà au-delà de la Seine, « au portique du Palais-Bourbon » ; c’est à la députation qu’il songe. V Le livre se clôt sur une victoire triomphale. Le personnage agit comme une célébrité, un monarque (« serrait des mains, balbutiait des mots qui ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments »). Il se comporte de manière mécanique. Son triomphe est complet quand il sent « l’appel discret de ces doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend ». Mme de Marelle est reconquise. W La fin du roman ouvre de nouvelles perspectives : Bel-Ami nourrit d’autres projets, rêvant de « faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon. » Quel frein pourrait être mis à la réussite de cet homme peu recommandable, à l’énorme appétit ? u La sensualité du personnage X Georges Du Roy ne voit personne ; les verbes voir et apercevoir n’ont pour objet que Mme de Marelle (« il aperçut Mme de Marelle […]. Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d’amour ») et la foule « amassée ». Il se voit regardé (« Le peuple de Paris le contemplait, l’enviait »). L’emploi de pronoms indéfinis (« chacun », « personne »), de déterminants indéfinis (« d’autres personnes »), d’expressions vagues (« les derniers assistants ») exprime la suffisance du personnage, peu désireux d’identifier les participants dont il limite le rôle à celui de spectateurs. Réponses aux questions – 20 La sensualité et le désir de jouissance sont bien le moteur du héros. À la vue de Mme de Marelle, Bel-Ami revit les moments vécus avec elle ; il garde le souvenir précis des contacts charnels : baisers, caresses, « goût des lèvres ». Toutes ces émotions lui font « passer dans le sang le désir brusque de la reprendre » (la crudité de l’expression est bien en accord avec la sensualité d’un jouisseur). Le désir s’exprime dans leurs yeux « brillants, pleins d’amour ». Le passage et l’ouvrage s’achèvent sur l’évocation sensuelle de Mme de Marelle, « les cheveux toujours défaits au sortir du lit ». ak C’est essentiellement la focalisation interne qui est utilisée dans ce passage, introduite par des verbes tels que sentir, apercevoir, se croire, penser, découvrir. Le narrateur rétrécit le champ à la conscience de Georges Du Roy, à ce qu’il voit et perçoit : « Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux vifs. Georges pensait : “Quelle charmante maîtresse, tout de même.” » Mais il glisse de la focalisation interne à la focalisation zéro pour décrire les attitudes des personnages, prenant cette fois le rôle de spectateur pour satisfaire la curiosité de son lecteur qui assiste au triomphe du « gredin » : « [L’église] était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble. » al Cet égoïste jouisseur ne prête aucune attention à sa jeune épouse qui, dans l’extrait, n’est mentionnée qu’à deux reprises : « et donnant le bras à sa femme », « Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l’église ». Il ne lui manifeste aucune affection, ne lui jette aucun regard. Suzanne n’a été épousée que pour la situation qu’elle lui permet d’espérer. am Nous pouvons noter deux effets : le premier entre l’épouse et la maîtresse, qui est beaucoup plus présente physiquement dans le passage que la jeune épouse, et le second entre la Madeleine et la Chambre des députés, dont les bâtiments se font face. Le Palais-Bourbon figurera vraisemblablement comme la prochaine étape du parcours de l’arriviste. an Du Roy savoure physiquement son triomphe : « Il sentait sur sa peau courir de légers frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. » Sa jouissance est semblable à celle que procure un trouble amoureux. ao Georges Du Roy éprouve sans doute un amour véritable pour Clotilde de Marelle, vers qui il revient toujours – après son mariage avec Madeleine Forestier et la courte liaison avec l’encombrante Mme Walter – et qu’il retrouvera après son mariage avec la jeune Suzanne, comme le font supposer les brèves paroles qu’il échange avec elle : « À bientôt, monsieur », « À bientôt, madame ». at ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 337 à 345) Examen des textes et de l’image u Rastignac, dans Le Père Goriot, n’en est ici qu’à ses débuts, il n’est pas encore devenu l’arriviste individualiste et froid qui reparaît dans toutes les Scènes de la vie parisienne. Mais déjà Vautrin a percé ses désirs secrets. Face à l’arriviste débutant, Bel-Ami est l’arriviste triomphant qui n’a pas reculé devant le chantage, le rapt, mais qui a profité de la spéculation boursière et détourné la moitié de l’héritage de Madeleine, légué par le comte de Vaudrec. La fin de Bel-Ami rappelle, par la position dominante du héros, la scène du Père-Lachaise dans Le Père Goriot. Dans son roman, Balzac donne la parole à Vautrin : l’ancien forçat évadé s’adresse à Rastignac pour le convaincre de suivre la voie de la corruption s’il veut rapidement faire fortune. Il s’agit d’un discours direct, rapporté par la voix narratrice. Le texte de Maupassant, lui, privilégie la focalisation interne dans la dernière page du roman. v Théodote est à l’affût de tout ce qui peut lui être utile, même « une affaire de rien, et qui ne mérite pas qu’on s’en remue ». « Cauteleux, doucereux », il prend au sérieux son rôle de courtisan flagorneur, sait jouer les intermédiaires sans épargner sa peine : « il agit, il s’empresse, il la fait réussir ». Il cherche une place. w Dans l’extrait de la scène 7 de l’acte V, le vrai visage de Tartuffe apparaît. Sous le prétexte de travailler à l’intérêt du Prince, il veut s’emparer de tous les biens d’Orgon. Le masque du dévot tombe. C’est un imposteur qui a abusé de la crédulité de son bienfaiteur. La pièce comporte ce terme d’imposteur en sous-titre. À aucun moment dans Le Tartuffe Molière ne livre les confidences de son Bel-Ami – 21 personnage qui conserve tout son mystère. Les derniers mots de Tartuffe seront : « Pourquoi donc la prison ? » x La métaphore initiale du carrefour ouvrant sur plusieurs voies exprime de manière imagée les différentes possibilités qui s’offrent à Rastignac. Il a le choix entre « l’éclat du génie » et « l’adresse de la corruption », le chemin de la vertu et de la misère ou celui de la corruption et de la fortune. Vautrin donne force et vigueur à son discours par l’utilisation de parallélismes de construction (« vous êtes allé chez votre cousin Beauséant, et vous y avez flairé » / « Vous êtes allé chez Mme de Restaud, […] et vous y avez flairé »), la reprise des mêmes termes et d’abondantes comparaisons (« comme des soldats à la maraude ») ou des expressions imagées (« il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot » ; « il faut entrer dans cette masse d’hommes comme un boulet de canon, ou s’y glisser comme une peste »), des assertions (« L’honnêteté ne sert à rien » ; « la corruption est l’arme de la médiocrité qui abonde » ; « À Paris, l’honnête homme est celui qui se tait, et refuse de partager »), et l’emploi de la question rhétorique (« Mais que croyez-vous que soit l’honnête homme ? »). y La rencontre entre Topaze et Tamise, l’un de ses anciens collègues de la pension Muche, se situe à la fin de la pièce. Tamise invite Topaze à mettre un terme à la rumeur qui court à son sujet et qui entache sa réputation. Il ne peut, en effet, croire à la malhonnêteté de son ami. Topaze le détrompe et poursuit en faisant l’apologie de la richesse et du pouvoir qu’elle assure. Il a réponse à tous les arguments avancés par Tamise qui semble un peu ébranlé à la fin de la scène. Il ne reste pas grand-chose de l’ancien Topaze : sans doute Tamise est-il l’image de celui que Topaze était et qui semble avoir définitivement disparu. U Le texte d’Albert Cohen se distingue des autres textes parce qu’il est presque entièrement constitué d’un monologue intérieur : le personnage Adrien Deume confesse à lui-même ses pensées intimes, dans un langage familier. Ce registre de langage n’est présent dans aucun autre extrait, sauf dans celui de Balzac. Sa vanité se traduit à la fois par ses attitudes et ses expressions : il « tourna deux fois sur luimême pour mieux sentir sa mission » ; « il alla à grands pas, léger de félicité et maître du monde ». Il s’imagine « brillant et charmeur, fumant avec désinvolture, admiré par le boss épaté par tout ce qu’il lui sortirait sur Proust et Vermeer ». V Le tableau d’Ingres représente M. Bertin, fondateur du Journal des débats. Théophile Gautier vit dans ce portrait physique et moral du personnage « la révélation de toute une époque ». Selon lui, M. Bertin représente « l’autorité et l’intelligence, la richesse, la juste confiance en soi », caractéristiques de « l’honnête homme sous Louis-Philippe ». Sa solide carrure, la place de ses mains sur les genoux en imposent et attestent sa réussite professionnelle et sa position sociale. On lit dans son regard la satisfaction du « self-made-man ». Cette œuvre, d’un réalisme puissant, est considérée comme un des chefs-d’œuvre psychologiques de l’artiste. Travaux d’écriture Question préliminaire L’arriviste se caractérise par le désir immodéré d’ascension sociale, la volonté de s’enrichir et le goût du pouvoir ; et cela à tout prix et par tous les moyens. Dans ce but, Bel-Ami, personnage sans scrupule, utilise son pouvoir de séduction et des moyens peu honnêtes. Il parvient à épouser une riche héritière. Mais son goût du pouvoir et ses appétits sexuels restent, à la fin du roman, comme inassouvis. L’arrivisme de Théodote (texte B) est un désir d’obtenir la faveur et la quête d’une place. Il y met beaucoup d’énergie. Aimer « éperdument la faveur » lui fait perdre la raison et tout discernement et il est prêt à lui sacrifier « mérite, alliance, amitié, engagement, reconnaissance ». Dans la pièce de Molière (texte C), Tartuffe prend le masque du dévot pour confisquer les biens de toute une famille à des fins d’enrichissement personnel. C’est un imposteur, un escroc qui a même voulu corrompre la femme de son bienfaiteur Orgon. Quant à Vautrin (texte D), il prodigue ses conseils d’homme expérimenté à Rastignac, un jeune arriviste qui désire parvenir, indifférent aux moyens et à qui il propose la voie de la corruption, moyen le plus rapide. Le personnage de Pagnol, Topaze (texte E), modeste instituteur engagé comme prête-nom par un conseiller municipal véreux, comprend vite la puissance de l’argent, de « ces petits rectangles de papier bruissant ». « Confort, beauté, santé, amour, honneurs, puissance, je tiens tout cela dans ma main », affirme-til. Adrien Deume, dans le roman Belle du Seigneur d’Albert Cohen (texte F), n’est un arriviste qu’en Réponses aux questions – 22 apparence. Il croit naïvement devoir sa promotion à son mérite et n’a mis en œuvre aucun moyen malhonnête. Sa promotion lui tombe du ciel. Devenu membre A, il n’aspire qu’à tirer avantage de sa nouvelle position : hôtels de luxe, repas copieux… C’est un vaniteux naïf, somme toute assez médiocre. Bel-Ami, Théodote, Tartuffe, Vautrin, Rastignac et Topaze sont des figures de l’arrivisme. Seul Adrien Deume ne peut être classé dans cette catégorie. Commentaire Introduction Avec Belle du Seigneur, roman paru en 1968, Albert Cohen écrit un roman d’amour où il mêle différents registres. Une partie du roman se déroule à Genève, siège de la SDN. Le narrateur n’est pas tendre pour les fonctionnaires qui y travaillent. Dans l’extrait qui nous intéresse, il présente l’un d’entre eux, Adrien Deume, qui, soudainement promu membre A, doit partir trois mois au ProcheOrient. Celui-ci, flatté dans sa vanité, ne comprend pas qu’il doit ce succès non à ses talents mais aux charmes de sa femme auxquels a été sensible le sous-secrétaire général de la Société des Nations. L’écrivain se livre ici à un portrait satirique de son personnage qui appartient au topos du mari cocu et naïf. Adrien Deume est victime de sa naïveté et de son amour-propre. La satisfaction de sa vanité entraîne un désir de jouissance. Le narrateur s’amuse et amuse son lecteur en pénétrant les pensées intimes de son personnage. 1. L’illusion de puissance due à la naïveté et à la vanité A. Joie naïve et contentement de soi • Nombreux points d’exclamation qui manifestent son excitation : « un réussisseur de première classe ! », « chargé de lauriers ! », « tout en lisant le roman policier ! », « la grande vie ! », « c’était une preuve d’atomes crochus ! ». • Ses mouvements mêmes traduisent sa vanité flattée : « il se leva, tourna deux fois sur lui-même pour mieux sentir sa mission » ; « il alla à grands pas ». B. État de rêve • Il rêve, « léger de félicité ». • Il crée de nouveaux mots : « réussisseur de première classe ! ». • Il imagine les relations amicales qu’il pourrait entretenir avec le S.-S.G., qui lui donnerait du « cher ami » et l’appellerait peut-être un jour par son prénom. • L’adjectif « épaté » exprime bien le désir de Solal de briller par une culture qui n’est d’ailleurs qu’un vernis. C. Mégalomanie du personnage • Il se gonfle d’importance : « maître du monde ». • Il se dédouble : « Dans son miroir de poche, il se considéra le roi de la vie ». • Il a même une sorte de vision à la fin de l’extrait : « Soudain, il se vit à la table luxueuse […] se vit brillant et charmeur ». 2. Le désir de jouissance A. Abandon à la gourmandise • Relâchement de sa vigilance. Il se laisse aller à la satisfaction de plaisirs alimentaires et ne se refuse rien : « il se commanderait un repas formidable, rien que les choses qu’il aimait ». • Longue énumération de ses plats préférés : « hors-d’œuvre riches avec andouille de Vire, puis pieds de porc farcis ou tout simplement grillés […], le tout servi au lit ». • Il se félicite de son succès et fête ainsi sa promotion sans qu’il lui en coûte rien. B. Abandon d’une langue soutenue au profit d’un langage familier Se parlant à lui-même, il s’autorise un certain laisser-aller : « Nom d’un chien », « bouffer », « il se collerait au lit », « un tas de bonnes choses », « épaté », « tout ce qu’il lui sortirait sur Proust ». C. Une jouissance de prestige • Il joue à être membre A en menant « la grande vie ». • Désir de revanche. Il se voit « fumant un gros cigare » et buvant « un verre de fine ». Bel-Ami – 23 • La sensualité du personnage est présente dans la phrase « on savourerait tout ça en lisant le roman policier » (double plaisir). 3. Un topos littéraire : la figure du mari trompé A. Le regard amusé d’un narrateur omniscient • Celui-ci décrit de l’extérieur et de l’intérieur son personnage qu’il connaît bien. • Le lecteur, qui est dans la confidence, s’amuse lui aussi aux dépens de la dupe : « quand une huile vous nommait A par choix direct et de plus vous invitait spontanément à dîner ». L’adverbe « spontanément » révèle l’illusion qui est la sienne, incapable de démêler les véritables intentions de son patron. B. Le héros semble sacrifier sa femme à sa carrière • Il ne lui accorde que deux lignes. • L’amour-propre flatté semble l’emporter sur l’amour de sa femme. • Désinvolture de ses propos : « Le seul hic, c’était les douze semaines sans elle. » Il pense alors au glorieux retour du guerrier. Il ne consacre que quatre mots à sa femme (« elle dans ses bras »), tandis que la phrase s’épanouit quand il parle de lui (« et lui avec le prestige du négociateur revenu du Proche-Orient, bronzé, chargé de lauriers ! »). C. Un personnage qui se leurre Il interprète mal les raisons du choix du S.-S.G., qu’il attribue aux « atomes crochus », ajoutant même qu’« il n’y a pas à tortiller ». Conclusion Albert Cohen critique les fonctionnaires et la manière dont ils sont promus. Adrien Deume a obtenu la satisfaction de son rêve : devenir membre A. Son trait de caractère essentiel est la naïveté. Le mari cocu est une dupe d’autant plus facile à berner que sa vanité est satisfaite. Adrien Deume n’est donc pas un arriviste, il progresse presque malgré lui dans la hiérarchie de la SDN. C’est un antihéros qui prête à rire ou à sourire malgré lui. L’originalité du texte tient au fait que le narrateur plonge le lecteur dans les pensées intimes de son personnage, formulées de manière familière. Le thème du mari trompé avait déjà été traité par Maupassant dans son conte Décoré où la Légion d’honneur est accordée au mari simplement pour ne pas compromettre la liaison que sa femme entretient avec le député Rosselin. Dissertation Remarque préliminaire C’est une réponse personnelle qui est attendue, appuyée sur des exemples précis. Si l’on s’en tient à la définition du héros donnée par le dictionnaire de l’Académie, le mot héros a plusieurs acceptions. Il désigne, dans les récits et les mythes antiques, un demi-dieu issu de l’union d’une mortelle et d’un dieu (ou l’inverse), « celui qui se distingue par une valeur extraordinaire, un courage hors du commun, […] qui exécute de grandes et périlleuses entreprises et, par extension, celui qui se distingue par l’élévation et la force de caractère, par quelque noblesse d’âme. C’est aussi, par extension, le principal personnage d’une œuvre d’imagination et, par affaiblissement, le personnage quelconque d’une œuvre de fiction ». Le sujet pose la question de la nature du héros de roman et de la préférence du lecteur pour tel ou tel type de personnage principal. 1. L’attente du lecteur peut se porter vers un véritable héros Le héros incarne les valeurs positives d’une société à un moment donné. Le héros du roman de chevalerie incarne les valeurs de la société du Moyen Âge, le héros au XVIIe siècle fait preuve de noblesse et de grandeur d’âme. A. Un personnage au caractère exemplaire, noble, valeureux… • Tel Angelo, héros du grand roman d’aventures de Jean Giono Le Hussard sur le toit, colonel de hussards qui se trouve confronté à une épidémie meurtrière de choléra. Avec un jeune médecin, il s’emploie à sauver les malades sans succès. Arrivé à Manosque, il doit vivre quelques jours sur les toits pour éviter d’être lynché, accusé d’être un empoisonneur. C’est une âme noble, courageuse et généreuse. Réponses aux questions – 24 • « Le domaine propre du héros est celui des valeurs vitales » (Pierre-Henri Simon, Procès du héros, éd. du Seuil, 1950). B. … qui incarne ses qualités à travers le conflit, vit des aventures extraordinaires… Par exemple : la princesse de Clèves ; Maigret, le personnage de Simenon qui déclarait que le romancier a « le besoin instinctif de recréer les êtres ou de brasser de la pâte humaine » ; Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme, même si « nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. Toutefois, la peur ne venait chez lui qu’en seconde ligne ; il était surtout scandalisé de ce bruit [le bruit du canon] qui lui faisait mal aux oreilles ». C. … et a un destin hors du commun Toute-puissance d’un d’Artagnan dans Les Trois Mousquetaires, Lagardère ou James Bond. 2. Cependant l’intérêt du lecteur peut être suscité par un personnage principal plus médiocre, voire un antihéros Le roman moderne ne s’attache qu’à des individus qui ont l’expérience du monde, parfois à des êtres assez ordinaires. Par quoi donc l’intérêt du lecteur est-il suscité ? A. Par la vie donnée au personnage principal et par l’action qu’il mène • Utilisation de différentes caractérisations : nom, portrait, nourriture, lieux, vêtements, discours, voix, registre de langue, etc. • Dans le cas d’un antihéros, comme Bel-Ami, le lecteur s’intéresse à son ascension sociale, aux moyens que le personnage met en œuvre pour parvenir. Personnage bien vivant, puisque Maupassant a été attaqué par des confrères journalistes lors de la parution de l’ouvrage. • Bardamu, dans Voyage au bout de la nuit, est un personnage peu exemplaire mais le sujet d’une histoire porteuse de sens. B. Par la capacité de changement du héros et le récit de sa destinée • Emma Bovary, en dépit de son immoralité, a le statut d’héroïne. Le personnage principal se distingue du personnage secondaire par sa capacité de changement ; il évolue, à la différence du personnage secondaire. Le pharmacien Homais, lui, reste identique à lui-même. Emma se voit comme une héroïne de roman au début de sa liaison avec Rodolphe : « Alors elle se rappela les héroïnes des livres qu’elle avait lus, et la légion lyrique de ces femmes adultères se mit à chanter dans sa mémoire avec des voix de sœurs qui la charmaient. Elle devenait elle-même comme une partie véritable de ces imaginations. » • Don Quichotte se rêve comme un héros de roman de chevalerie et sera le héros d’un roman parodique et comique. • Le Rouge et le Noir relate la vie de Julien Sorel, de ses années de formation à sa mort. À la fin du roman, le personnage s’oppose aux valeurs dominantes de son époque et recherche l’authenticité de l’être. • Une vie de Maupassant raconte la jeunesse de Jeanne, son mariage, ses désillusions et sa folie. C. Par la profondeur de l’analyse psychologique du personnage principal qui permet souvent l’identification du lecteur • Thérèse Desqueyroux devient une empoisonneuse, sans savoir elle-même pourquoi. Complexité de l’être, de ses motivations. • Intérêt pour des personnages ordinaires. Emma Bovary nous fait partager son insatisfaction de l’existence, les questions propres à tout être humain. 3. « Ce que j’attends d’un personnage principal de roman » Le candidat prendra position dans ce troisième point, en expliquant s’il attend que le personnage principal soit un héros ou un personnage ordinaire et en donnant les raisons de son choix. Conclusion Le personnage est nécessaire au roman et il n’y a pas de roman sans personnage, qu’il soit le représentant des valeurs de son temps ou qu’il les refuse. Le lecteur, suivant sa philosophie de l’existence et ses aspirations, préférera tel ou tel personnage de héros ou d’antihéros. C’est surtout par leur poids d’humanité, leur difficulté d’être que les personnages romanesques peuvent susciter aujourd’hui l’intérêt du lecteur et toucher sa sensibilité. Bel-Ami – 25 Écriture d’invention C’est un Rastignac encore pur qui répond à Vautrin et non l’arriviste de la fin du roman qui dit : « À nous deux Paris ! » Voici une suggestion de réponse : « Vous avez sur moi la supériorité de l’expérience. Vous m’avez vu, jeune homme désargenté, et vous avez flairé derrière ma misère le désir de l’ambition. Vous avez compris que je ne me contenterai pas d’une vie médiocre et que je souhaite réussir ma vie. Mais qu’est-ce que réussir ? Certes, l’argent est nécessaire et vous m’avez vu obtenir de mes sœurs ces quinze cents francs. Ils m’aideront à débuter dans l’existence, à réaliser mes projets – et qui dit que je ne les leur rembourserai pas ? Mon intention est de travailler, d’abord obscurément, de terminer mes études de droit – et, qui sait, peut-être un jour l’homme de loi parviendra-t-il à la députation ? Mon ambition est de mettre mes talents au service de la collectivité. Le combat sera rude : nous sommes cinquante mille jeunes gens dans ma position. Il faudra être le meilleur, mais en respectant les règles du jeu et sans livrer de coups bas. Je fonderai mon succès sur mon mérite et un travail acharné. Pourquoi l’honnêteté et le mérite ne seraient-ils pas un jour récompensés ? Votre pessimisme et votre absence de scrupules m’effraient. Je vous semble bien naïf et idéaliste. Mais laissez-moi mes rêves pour le moment, ne détruisez pas mes illusions. Pourquoi cherchez-vous à m’éprouver par l’appât du gain ? Vous avez beau jeu de me tenter. Pourquoi évoquez-vous devant moi ce chemin facile de la corruption ? La misère rend faible et l’impatience des jeunes gens leur donne une conscience plus élastique. Laissez la corruption aux médiocres, à ces arrivistes qui ne s’embarrassent ni des lois, ni de leurs devoirs. Avec quelques camarades, nous nous entraiderons. Ces amitiés nouées pendant nos études consolideront nos liens. Nous partagerons nos maigres ressources, nous serons fiers du succès de l’un d’entre nous et nous nous encouragerons mutuellement. Aussi, Monsieur Vautrin, je vous prierai de ne pas insister davantage. » Compléments aux lectures d’images – 26 COMPLÉMENTS A U X L E C T U R E S D ’IMAGES ◆ Guy de Maupassant par Nadar (p. 4) Le photographe Fils d’un imprimeur lyonnais, Nadar, de son vrai nom Félix Tournachon (1820-1910), fut à la fois écrivain, critique dramatique, caricaturiste, aéronaute et photographe. En 1848, il collabore au Charivari en tant que rédacteur et caricaturiste. Il fonde l’année suivante La Revue comique et Le Petit Journal pour rire et combat la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. En 1853, il ouvre un atelier de photographie et publie, à partir de 1854, une série de portraits de célébrités sous le titre de Panthéon de Nadar (parmi elles, Gautier, Dumas, Balzac, Baudelaire, Nerval, George Sand, Rossini, Berlioz, Rachel, Sarah Bernhardt). En 1858, il réalise les premières vues aériennes prises depuis un aérostat. Il produit jusqu’en 1859 un travail artisanal qui vise à saisir l’intimité de ses modèles en mettant en valeur l’expression du regard et la position des mains, dont il réalise plusieurs études. Son travail devient cependant plus hâtif et commercial lorsqu’il s’installe dans l’atelier du boulevard des Capucines. Passionné d’aéronautique et curieux de toutes les innovations techniques, il fait construire en 1863 un ballon appelé Le Géant, avec lequel il fait plusieurs essais racontés dans Les Mémoires du Géant (1864). Après la Commune, il ouvre un atelier plus modeste, rue d’Anjou, mais, en proie à des difficultés financières, il cède son affaire et rédige ses Mémoires (Quand j’étais photographe, 1900). La photographie La photographie d’art commence à remplacer le portrait peint. L’écrivain pose, la moustache fournie et broussailleuse et le bas du visage orné d’une petite barbiche, sans doute alors à la mode. Son regard semble à la fois intérieur et lointain. Le personnage est absorbé dans ses pensées. Travail proposé – Quelle(s) ressemblance(s) voyez-vous entre le portrait de Maupassant par Nadar (p. 9) et le portrait de Georges Duroy dans Bel-Ami (p. 10) ? ◆ Bel-Ami par Ferdinand Bac (p. 5) L’illustrateur Ferdinand-Sigismond Bach est né à Stuttgart en 1859. Son père, Charles-Henri Bach (1811-1870), est le fils naturel de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. Doué dès son plus jeune âge pour le dessin, Ferdinand Bach croque de nombreuses personnalités (chefs d’État, hommes de lettres, artistes) qu’il rencontre et auprès de qui il s’instruit. Toute sa vie sera marquée par d’incessants voyages (en France, au Tyrol, à Venise, en Espagne, en Hollande…). À Paris, il fait la connaissance – et la caricature – de Victor Hugo, Théodore de Banville, Villiers de L’Isle-Adam. Engagé par Albert Robida, directeur du journal La Caricature, il décide de franciser son nom en Bac. Il collabore à plusieurs revues et acquiert un succès certain qui lui permet d’illustrer des nouvelles de Maupassant mais aussi les contes de Villiers de L’Isle-Adam. Il se lancera également dans une carrière d’écrivain et sera à la fois l’auteur de romans et d’essais, sans jamais appartenir à aucun mouvement littéraire. Il décède en novembre 1952, à l’âge de 93 ans. L’œuvre Bel-Ami tient enlacée très étroitement sans doute Clotilde de Marelle. Il s’autorise avec elle certaines libertés, lui mettant la main droite sur les hanches, tandis que la jeune femme lui caresse amoureusement les cheveux. La tenture qui orne le coin du dessin peut laisser penser que la scène se situe dans une chambre. Travaux proposés – Pour quel passage cette illustration était-elle prévue, selon vous ? – En quoi ce dessin est-il daté ? Bel-Ami – 27 ◆ Illustration de Ferdinand Bac pour Bel-Ami (p. 8) L’illustrateur Voir ci-dessus. L’œuvre À la demande de Bel-Ami, son ami Forestier le conduit aux Folies-Bergère où se tient la scène. BelAmi connaît là un premier succès avec « une grosse brune, à la chair blanchie par la pâte ». La scène est prise sur le vif. Compte tenu du fait que l’illustrateur a représenté le personnage principal en habit, cette image ne peut illustrer cette scène, Georges Duroy devant en louer un pour aller dîner le lendemain chez les Forestier. En fait, ce dessin illustre l’ellipse temporelle (« Il connut les coulisses des théâtres et celles de la politique […] ») employée par Maupassant après que Forestier a refusé une nouvelle fois de publier sa deuxième chronique. Travaux proposés – Selon vous, cette image illustre-t-elle la scène aux Folies-Bergère ? Justifiez votre réponse. – Interprétez l’attitude de Bel-Ami. – Que traduit la mise en scène ? ◆ Johannes Gumpp, Autoportrait (p. 43) Le peintre Peintre autrichien né à Innsbruck en 1626, Johannes Gumpp doit sa célébrité à son triple autoportrait de 1646, audacieux de la part d’un parfait inconnu de 20 ans. Ce tableau fait partie de la collection d’autoportraits conservée dans la galerie des Offices à Florence. L’œuvre Se reporter à la réponse de la question 5, p. 7. Cf. aussi l’article « Autoportrait » sur Wikipédia. Travaux proposés – Quelle est l’intention du peintre en modifiant son autoportrait (tableau de droite) ? – Comparez cet autoportrait avec l’Autoportrait à la toque d’atelier du pastelliste français Maurice Quentin de La Tour (1704-1788) – portrait exposé au musée Antoine-Lécuyer de Saint-Quentin. ◆ Photo extraite du film de Willi Forst (p. 45) Le metteur en scène Acteur et réalisateur autrichien (né et mort à Vienne), mais aussi producteur et chanteur, Willi Forst (1903-1980) débute au cinéma dans Sodome et Gomorrhe et décroche son premier grand rôle face à Marlène Dietrich dans Café Elektric (1927) de Gustav Ucicky. La production cinématographique autrichienne est alors à son apogée et Willi Forst, alors très célèbre et adulé en tant qu’acteur, connaîtra pratiquement un succès à chaque nouveau film. La photographie Le document illustre la scène du dîner. Jacques Rival, « le fameux chroniqueur, le duelliste », est convoité du regard par la femme du « député, financier, homme d’argent et d’affaires, juif et méridional, directeur de La Vie française ». M. Walter, lui, n’a d’yeux que pour sa femme. Le dîner est fin, élégant, et Jacques Rival a belle allure. Travaux proposés – Que traduit le regard de Jacques Rival ? – Quel prolongement pourrait-on donner à cette scène ? ◆ Photo extraite du film de Louis Daquin (p. 227) Le metteur en scène Diplômé d’HEC, Louis Daquin (1908-1980) est d’abord journaliste et ne se tourne vers le cinéma qu’en 1932. Assistant de Julien Duvivier et d’Abel Gance, il réalise son premier long métrage en 1941, Nous les gosses, dont le succès le place parmi les réalisateurs en vue (à noter que les dialogues Compléments aux lectures d’images – 28 sont de Marcel Aymé). Tout en œuvrant pour la Résistance communiste, il réalise plusieurs films, dont une adaptation de Premier de cordée de Frison-Roche (1943). Le Point du jour (1949), qui traite de la condition des mineurs, est son film le plus marquant. Du fait de ses idées radicales sur les problèmes sociaux, il sera mis au ban de l’industrie cinématographique française et devra travailler, dès la fin des années 1950, en Allemagne de l’Ouest et en Autriche. C’est dans ce dernier pays qu’il tourne BelAmi. La photographie La scène du fiacre est récurrente dans cette œuvre. Le fiacre est une manière d’alcôve, notamment pour les amours illicites de Bel-Ami et Clotilde. La première scène est celle où Bel-Ami reconduit Mme de Marelle, après un dîner au Café riche en compagnie de Charles et de Madeleine Forestier. Ils sont tous les deux dans un fiacre et Duroy s’enhardit. Cette promenade inaugure le début de leur liaison. Le plan américain convient très bien à cette scène d’intimité. Mais le document peut aussi illustrer la scène du chapitre III de la seconde partie où Bel-Ami la raccompagne après un dîner organisé chez eux. Travaux proposés – Étudiez le jeu des regards et des gestes. – Dans quel ouvrage a lieu une célèbre scène de fiacre ? ◆ Édouard Manet, Dans la serre (p. 277) Le peintre Édouard Manet naît le 23 janvier 1832 à Paris. Plutôt que de faire des études de droit, il se consacre à la peinture et entre à l’atelier du peintre académique Thomas Couture, pour une durée de six années. Ne s’entendant pas avec son maître et critiquant la peinture d’Histoire, il quitte l’atelier après avoir montré à Couture une toile que ce dernier dénigre vivement : Le Buveur d’absinthe. Manet fréquente d’autres artistes (Baudelaire, Zola, Nadar, Fantin-Latour, Degas, Monet, Pissarro…). En 1867, ses œuvres sont refusées à l’Exposition Universelle. Zola prend alors la défense de son ami dans le journal L’Événement. En 1870, engagé dans la Garde nationale, il passe sous les ordres d’un peintre militaire, le colonel Ernest Meissonier (1815-1891), dont les conceptions artistiques sont aux antipodes des siennes. Après la guerre, Manet vend de nombreuses toiles, en dépit de l’hostilité des tenants de l’académisme. Le Déjeuner sur l’herbe et Olympia (1863) font de lui l’un des pères de l’impressionnisme. Les portes des salons lui resteront fermées jusqu’en 1880. En 1883, atteint de la gangrène, il est amputé de la jambe gauche. Il décède le 30 avril. L’œuvre L’artiste a fait poser Jules Guillemet et sa femme américaine qui passait pour être une des plus belles et élégantes femmes de l’époque. La reproduction en noir et blanc ne peut rendre compte des couleurs étincelantes utilisées par l’artiste mais on pourra faire apprécier le traitement méticuleux des différents plans. Travail proposé – Étudiez la construction du tableau. ◆ Jean Honoré Fragonard, Le Verrou (p. 311) Le peintre Né à Grasse en 1732, Jean Honoré Fragonard est le cousin germain de l’anatomiste français Honoré Fragonard, célèbre pour ses Écorchés (conservés dans le musée Fragonard, à Maisons-Alfort). Il entre à 14 ans dans l’atelier de François Boucher et obtient à 20 ans le Premier Prix au concours de Rome. Peintre reconnu de la Cour et admiré, il fut reçu à l’Académie et obtint des commandes publiques et un atelier au Louvre. Puis son œuvre se fit moins académique et s’orienta vers les scènes galantes, qui firent de lui un peintre à la mode. Bientôt, il se trouve confronté au néoclassicisme (dont son ami David est le principal représentant) et aux idées nouvelles de la Révolution française (qui lui fit perdre Bel-Ami – 29 sa fortune). En 1805, un décret impérial le fait expulser du Louvre et il s’installe chez le marquis de Veri, grand collectionneur qui lui a notamment commandé Le Verrou. Fragonard décède l’année suivante. L’œuvre Se reporter à la réponse de la question 7, p. 15. Travaux proposés – De quelles œuvres littéraires du XVIIIe siècle ce tableau pourrait-il être l’illustration ? – Étudiez la composition du tableau. – En quoi ce tableau illustre-t-il la notion de libertinage ? ◆ Dessin de Ferdinand Bac pour l’édition de Paul Ollendorff (p. 334) L’illustrateur Cf. p. 26. L’œuvre La démarche de Bel-Ami est solennelle ; il va, la tête haute, le nez levé, satisfait devant la foule des bourgeois qui, l’air guindé, presque craintif, chapeau bas, forment une haie d’honneur dans l’église de la Madeleine et laissent une respectable distance entre eux et le couple des mariés. La jeune Suzanne, tout intimidée, baisse les yeux et la tête, au bras de celui vers lequel les regards sont fixés et dont la détermination apparaît. Travail proposé – Ce dessin vous semble-t-il être fidèle au roman ? ◆ Jean Auguste Dominique Ingres, Portrait de Monsieur Bertin (p. 344) Le peintre Né à Montauban en 1780, Ingres est formé par son père peintre, qui lui apprend le dessin et le violon (d’où l’expression « violon d’Ingres »). Entré à l’Académie royale de Toulouse en 1791, il monte à Paris en 1796-1797 pour étudier dans l’atelier du peintre néoclassique David. En 1801, il obtient le Prix de Rome pour Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon. De 1806 à 1820, il séjourne à Rome et y découvre Raphaël et le Quattrocento, dont l’influence sera décisive sur son œuvre. Son appartenance au mouvement néoclassique ne transparaît pas toujours dans ses toiles et d’aucuns considèrent qu’il est l’initiateur d’un courant artistique qui aura des répercussions sur d’autres siècles et que l’on a appelé « l’ingrisme ». Ingres, qui décède à Paris en 1867, laisse en tout cas une œuvre conséquente, qui ne fut pas toujours bien accueillie de son vivant mais dont les portraits ont marqué l’évolution du genre. L’œuvre Voici le jugement des Goncourt : une « droite et claire raison saisie dans une pose de vulgarité robuste » (« La peinture à l’Exposition Universelle de 1855 », dans Études d’art, Librairie des bibliophiles, 1893). La fille de Bertin, Louise, juge que Ingres a fait de son père « un gros fermier ». Les Goncourt, eux, ont cette autre formule : un « Jupiter-Prudhomme » (15 mars 1864). Le peintre Léon Bonnat va même jusqu’à représenter Ernest Renan dans la même pose que Bertin, avec les mêmes mains. Se reporter également à la réponse de la question 7, p. 21. Travaux proposés – Comment se justifient, à votre avis, les commandes de portraits ? – À quoi ressemblent les mains du personnage ? Qu’expriment-elles ? ◆ Émile Zola se rendant en train de Paris à Mantes (p. 353) L’illustration Zola se trouve sur la locomotive, très intéressé par le paysage qu’il voit défiler du train, tandis qu’à l’arrière-plan un cheminot recharge la « bête humaine » avec du charbon. Son attitude très digne et ses Compléments aux lectures d’images – 30 vêtements de bourgeois contrastent avec la blouse de l’employé. C’est un homme moderne qui croit au progrès ici représenté. Travaux proposés – Recherchez dans le roman La Bête humaine les descriptions du train. – Où et quand en France le premier train a-t-il été mis en service ? sur quel parcours ? Quelles furent les réactions à cet événement ? Bel-Ami – 31 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE ◆ Sur les contes, nouvelles et Bel-Ami – Philippe Bonnefis, Bel-Ami, Albin Michel, 1983. – Numéro spécial de L’École des lettres, n° 13, 1er juin 1993. ◆ Sur Maupassant et le roman – Armand Lanoux, Maupassant, le Bel-Ami, Fayard, 1967. – Albert Thibaudet, Réflexions sur la littérature, « La question Bel-Ami », Gallimard, 1940. – Albert-Marie Schmidt, Maupassant par lui-même, Albin Michel, 1959. – André Vial, Guy de Maupassant et l’Art du roman, Nizet, 1954. ◆ Sur le personnage de roman – Michel Erman, Poétique du personnage de roman, Ellipses, 2006. – Christine Montalbetti, Le Personnage, coll. « Corpus », Garnier-Flammarion, 2003. ◆ Sur le naturalisme – David Baguley, Le Naturalisme et ses Genres, coll. « Le Texte à l’œuvre », Nathan, 1995. – Alain Pagès, Le Naturalisme , coll. « Que sais-je ? », n° 604, PUF, 1989. ◆ Site Internet – Site de l’Association des amis de Maupassant : www.maupassant.free.fr