Le dépistage primaire par le test HPV : résultats des grandes études
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Le dépistage primaire par le test HPV : résultats des grandes études
DOSSIER Les temps forts des JTA 2009 Le dépistage primaire par le test HPV : résultats des grandes études randomisées The primary screening via the HPV test: results of extensive randomized studies X. Carcopino*, L. Boubli* L * Service de gynécologie obstétrique, hôpital Nord, Chemin des Bourrely, 13915 Cedex 20, Marseille. e cancer du col présente plusieurs caractéristiques justifiant la mise en œuvre d’un dépistage de masse. C’est une maladie assez fréquente, associée à une mortalité élevée et pour laquelle il existe un traitement efficace des formes préinvasives et invasives précoces. Dans la plupart des pays développés, les programmes de dépistage primaire, fondés sur la réalisation d’une cytologie cervicovaginale répétée tous les deux ou trois ans, permettent la détection et le traitement des lésions précancéreuses du col de l’utérus, réduisant ainsi massivement l’incidence des cancers infiltrants. La découverte d’une cytologie cervicale anormale impose la réalisation d’un examen diagnostique (gold standard) : la colposcopie, éventuellement complétée par la réalisation de biopsies dirigées permettant un diagnostic histologique précis. Du fait de son risque de progression vers un cancer infiltrant, le diagnostic d’une lésion intraépithéliale de haut grade (LIEHG) du col de l’utérus impose son traitement. Celui-ci consiste le plus souvent en une conisation, qui peut être réalisée à la lame froide, au laser, ou bien à l’anse diathermique aussi appelée Large loop excision of the transformation zone (LLETZ) par les Anglo-Saxons. Identifiés dans 97 à 99 % des cancers infiltrants du col de l’utérus (1, 2), les papillomavirus humains (HPV) sont aujourd’hui reconnus comme étant le principal facteur de risque de survenue d’un cancer du col de l’utérus. Pour cette raison, le test HPV a été envisagé comme le moyen d’optimiser le dépistage primaire des lésions précancéreuses du col de l’utérus, voire de supplanter la cytologie. Utilisé en complément du frottis cervicovaginal, le test HPV serait plus sensible que la cytologie seule et permettrait de limiter la fréquence des tests de dépistage tout en évitant l’écueil des frottis insatisfaisants par manque de 14 | La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 matériel cellulaire. Aujourd’hui, l’intérêt du test HPV n’est admis que dans deux indications précises : la prise en charge du frottis de type “Atypical Squamous Cells of Undetermined Significance” (ASCUS) chez la femme de plus de 30 ans et la surveillance postthérapeutique des LIEHG. Ainsi, l’American College of Obstetricians and Gynecologists (ACOG) et l’Anaes (actuelle Haute Autorité de santé) ont admis l’intérêt de la recherche des HPV de haut risque chez les femmes de plus de 30 ans présentant un frottis ASCUS (3, 4). Réalisé dans ces conditions, un test HPV négatif permet d’exclure une LIEHG alors qu’un test positif indique la réalisation d’une colposcopie. Concernant le suivi des patientes traitées pour une LIEHG du col de l’utérus, les données actuelles de la littérature montrent que le test HPV est plus performant que la cytologie seule pour dépister une lésion résiduelle ou une récurrence (5-7). Sa valeur prédictive négative (VPN) est excellente et sa positivité est significativement associée à la présence d’un échec thérapeutique. Dans cette situation, la colposcopie ne serait alors réalisée que dans un but diagnostique en cas de test HPV positif et/ou de cytologie anormale. En comparaison, et ce malgré l’existence d’études favorables (8, 9), le test HPV tarde à être introduit dans le dépistage primaire des lésions du col de l’utérus. Épidémiologie et généralités Les HPV sont des virus à ADN de la famille des Papillomaviridae. Leur génome est une molécule d’ADN bicaténaire circulaire d’environ 8 000 paires de bases codant, entre autres, pour deux oncoprotéines : E6 et E7. Ces virus, à tropisme épithélial, sont responsables de lésions fréquentes de la peau Résumé »» Avec 493 000 nouveaux cas et 273 000 décès annuels (10), le cancer du col de l’utérus est en fréquence le deuxième cancer féminin dans le monde et reste un enjeu majeur de santé publique. En France, en 2000, le cancer du col de l’utérus était au huitième rang des cancers de la femme avec une incidence de 3 400 cas et une mortalité de 1 000 femmes par an (3). Mots-clés HPV Dépistage Keywords HPV Screening et des muqueuses, le plus souvent bénignes. La transmission est directe par contact cutané ou muqueux. Il existe plus de 120 types différents d’HPV, parmi lesquels 96 papillomavirus humains. On estime toutefois qu'une centaine de nouveaux papillomavirus humains supplémentaires restent à découvrir. Au total, 15 types : 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 68, 73 et 82 sont considérés comme étant à haut risque oncogène (11) et comme le principal facteur de risque de dysplasie cervicale intraépithéliale (12, 13) et de cancer du col utérin (3, 14). Les HPV 6, 11, 40, 42, 43, 44, 54, 61, 70, 72, 81 et CP6108 sont considérés comme étant à bas risque oncogène pour le col de l’utérus. La distribution des différents types d’HPV varie en fonction de la région géographique et de l’âge. En France, 97 % des cancers invasifs du col de l’utérus seraient HPV positifs (4) contre 98 % des LIEHG (15). Ainsi, chez les patientes ayant un cancer invasif du col de l’utérus, les différents types d’HPV observés sont les HPV 16 (73 %) et 18 (19 %), suivis des HPV 31 (7 %), 33, 68, 45, 52 et 58 (4,1 à 2,3 %) [4]. En comparaison, les types d’HPV identifiés chez les patientes ayant une LIEHG sont les HPV 16 (62 %), suivis des HPV 31 (15 %), 33 (12 %), 52 (9 %), 51 (8 %), 58 (7 %), 35 et 18 (4 %) [15]. La connaissance de l’histoire naturelle de l’infection à HPV est fondamentale à la compréhension et à l’utilisation du test HPV en pratique clinique. Dans la population féminine, la prévalence de l’infection à HPV est élevée. Elle est maximale avant 30 ans avec 30 % des femmes infectées et décroît ensuite avec l’âge (16). De la même manière, la prévalence de l’infection à HPV de haut risque est maximale avant 30 ans. Chez les femmes de 20 à 24 ans et de 24 à 29 ans, elle est respectivement de 13 et 17 % et chute ensuite à 2,5 et 3,9 % après 30 ans (17, 18). Ces infections sont le plus souvent transitoires. La majorité des femmes vont se débarrasser de l’infection en 8 à 10 mois et ne développeront jamais de lésion cervicale (19-21). L’infection à HPV dit à haut risque (HR-HPV) va persister uniquement chez une minorité d’entre elles et c’est principalement la persistance de l’infection qui expose la patiente au risque de LIEHG et de cancer infiltrant du col de l’utérus (22). Cytologie cervicovaginale Références bibliographiques Même si la cytologie cervicovaginale a fait la preuve de son efficacité en permettant la réduction historique de la mortalité liée au cancer du col de l’utérus (23), sa sensibilité et sa spécificité ont été récemment remises en question. Les faux positifs et les faux négatifs de la cytologie cervicovaginale ont des conséquences médicales, financières, psychologiques et légales importantes. Les faux positifs exposent au risque de ne pas diagnostiquer une lésion intraépithéliale et à son risque évolutif, tandis que les faux positifs entraînent le recours à des investigations, voire à des traitements inutiles et potentiellement morbides chez des femmes souvent en âge de procréer (24). Dans une récente métaanalyse, Cuzick et al. rapportent une sensibilité globale de la cytologie à dépister une LIEHG de 53 % (IC95 : 48,657,4 %), avec des écarts très importants, allant de 18,6 % à 76,7 % selon les études (25). La spécificité de la cytologie serait, en revanche, élevée : 96,3 % (IC95 : 96,1-96,5 %). La faible sensibilité du frottis cervicovaginal expose les patientes au risque de développer une lésion invasive du col de l’utérus (26). De plus, l’interprétation de la cytologie varie énormément d’un cytopathologiste à l’autre, compromettant la reproductibilité de test (27). Les limites de la cytologie se répercutent immanquablement sur les cas de cancers du col observés. Dans une enquête nationale analysant 524 cas de cancers du col diagnostiqués en France en 2006, il apparaissait que deux tiers des patientes n’avaient jamais eu de frottis de dépistage ou bien avaient un frottis normal datant de plus de 3 ans (23 % et 45 %, respectivement), alors que 32 % de ces patientes avaient un frottis normal réalisé dans les trois dernières années (28). La cytologie en milieu liquide, en plus de faciliter la réalisation d’un test HPV sur le même échantillon, a été présentée comme un moyen d’optimiser la performance de la cytologie conventionnelle. Elle permet également le recours à des procédés de lecture automatisée, limitant en théorie les erreurs d’interprétation humaine et permettant l’analyse rapide d’un grand nombre d’échantillons. L’apport de la cytologie en milieu liquide reste controversé. Elle n’est pas plus performante que la cytologie conven- 1. Walboomers JM, Jacobs MV, Manos MM et al. Human papillomavirus is a necessary cause of invasive cervical cancer worldwide. J Pathol 1999;189:12-9. 2. Pretet JL, Jacquard AC, Carcopino X et al. Human papillomavirus (HPV) genotype distribution in invasive cervical cancers in France: EDITH study. Int J Cancer 2008;122:428-32. 3. Évaluation de l’intérêt de la recherche des papillomavirus humains (HPV) dans le dépistage des lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus. Anaes 2004. 4. ACOG Committee on Practice Bulletins. ACOG Practice Bulletin: clinical management guidelines for obstetrician-gynecologists. Number 45, August 2003. Cervical cytology screening (replaces committee opinion 152, March 1995). Obstet Gynecol 2003;102:417-27. 5. Arbyn M, Sasieni P, Meijer CJ, Clavel C, Koliopoulos G, Dillner J. Chapter 9: Clinical applications of HPV testing: a summary of meta-analyses. Vaccine 2006;24(Suppl.3):S78-89. 6. Arbyn M, Paraskevaidis E, Martin-Hirsch P, Prendiville W, Dillner J. Clinical utility of HPV-DNA detection: triage of minor cervical lesions, follow-up of women treated for high-grade CIN: an update of pooled evidence. Gynecol Oncol 2005;99(3 Suppl.1):S7-11. 7. Zielinski GD, Bais AG, Helmerhorst TJ et al. HPV testing and monitoring of women after treatment of CIN 3: review of the literature and meta-analysis. Obstet Gynecol Surv 2004;59:543-53. 8. Koliopoulos G, Arbyn M, MartinHirsch P, Kyrgiou M, Prendiville W, Paraskevaidis E. Diagnostic accuracy of human papillomavirus testing in primary cervical screening: a systematic review and meta-analysis of non-randomized studies. Gynecol Oncol 2007;104:232-46. 9. Arbyn M, Buntinx F, Van Ranst M, Paraskevaidis E, Martin-Hirsch P, Dillner J. Virologic versus cytologic triage of women with equivocal Pap smears: a meta-analysis of the accuracy to detect high-grade intraepithelial neoplasia. J Natl Cancer Inst 2004;96:280-93. La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 | 15 DOSSIER Les temps forts des JTA 2009 Tableau I. Efficacité de la cytologie et du test HPV pour le dépistage primaire des LIEHG (d’après 8). Test Nombre d’études Sensibilité % (IC95) Spécificité % (IC95) Cytologie Cytologie ASCUS 18 72,7 (63,9-81,5) 91,9 (90,2-93,6) Cytologie ASCUS > 30 ans 7 73,8 (62,9-84,7) 95,8 (94,2-97,3) Cytologie LIEBG 12 61,6 (48-75,2) Cytologie LIEBG > 30 ans 3 75,2 (70,5-79,9) 95,6 (91,7-99,4) Test HPV HC2 test 15 90 (86,4-76,6) 86,5 (83,1-89,8) HC2 test > 30 ans 6 94,8 (90,9-98,7) 86 (81,9-90) PCR 6 80,9 (70-91,7) 94,7 (92,5-96,9) Références bibliographiques 10. Sankaranarayanan R, Ferlay J. Worldwide burden of gynaecological cancer: the size of the problem. Best Pract Res Clin Obstet Gynaecol 2006;20:207-25. 11. Munoz N, Bosch FX, de Sanjose S et al. Epidemiologic classification of human papillomavirus types associated with cervical cancer. N Engl J Med 2003;348:518-27. 12. Schiffman MH, Bauer HM, Hoover RN et al. Epidemiologic evidence showing that human papillomavirus infection causes most cervical intraepithelial neoplasia. J Natl Cancer Inst 1993;85:958-64. 13. Kjaer SK, van den Brule AJ, Bock JE et al. Human papillomavirus-the most significant risk determinant of cervical intraepithelial neoplasia. Int J Cancer 1996;65:601-6. 14. Munoz N, Bosch FX, de Sanjose S et al. The causal link between human papillomavirus and invasive cervical cancer: a population-based case-control study in Colombia and Spain. Int J Cancer 1992;52:743-9. 15. Pretet JL, Jacquard AC, Carcopino X et al. Human papillomavirus genotype distribution in high grade cervical lesions (CIN 2/3) in France: EDITH study. Int J Cancer 2008;122:424-7. 16. Koutsky L. Epidemiology of genital human papillomavirus infection. Am J Med 1997;102:3-8. 17. Jacobs MV, Walboomers JM, Snijders PJ et al. Distribution of 37 mucosotropic HPV types in women with cytologically normal cervical smears: the age-related patterns for high-risk and low-risk types. Int J Cancer 2000;87:221-7. 18. Cibas ES, Hong X, Crum CP, Feldman S. Age-specific detection of high risk HPV DNA in cytologically normal, computer-imaged ThinPrep Pap samples. Gynecol Oncol 2007;104:702-6. Sensibilité Spécificité Test HPV 96 % 92 % Cytologie 53 % 97 % 96 (94,8-97,2) tionnelle. Dans un large essai randomisé comparant la cytologie conventionnelle (n = 22 708) à celle en phase liquide (n = 22 466), Ronco et al. n’ont pas observé de différence significative entre la sensibilité de ces deux méthodes (29). En revanche, la cytologie en phase liquide permettrait d’optimiser le rendement de la conventionnelle en réduisant le risque de frottis insatisfaisant de manière très nette (29). Les recommandations officielles, fondées sur la conférence de consensus de Lille de 1990 réactualisée en 2002 et reprise par l’Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale, indiquent la réalisation d’un frottis cervicovaginal de dépistage tous les 3 ans chez les femmes de 25 à 65 ans. En pratique, ces recommandations ne sont pas suivies. Contrairement à des pays comme l’Angleterre, la France n’a jamais mis en place de dépistage organisé et se contente d’un dépistage opportuniste. Six millions de frottis sont réalisés chaque année en France pour une population cible de 15 millions de femmes. En réalité, notre politique de dépistage souffre d’un taux de couverture trop faible, ne dépassant pas 55 à 65 %. Ainsi, seule une partie de la population bénéficie d’un dépistage annuel injustifié alors que près de la moitié de la population féminine française n’est pas ou insuffisamment dépistée. Ce faible taux de couverture est une des premières causes des limites de l’efficacité de notre dépistage et explique en partie pourquoi l’incidence du cancer du col reste trop élevée en France, devant celle d’autres pays européens comme l’Angleterre, la Finlande, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas ou la Suède. Test HPV Il existe de nombreuses techniques de détection des papillomavirus. Celle-ci peut se faire par PCR, les plus courantes utilisant les amorces MY09/MY11 (30) ou 16 | La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 Tableau II. Comparaison de la sensibilité et de la spécificité du test HPV et de la cytologie pour le dépistage primaire des LIEHG du col de l’utérus, d’après Cuzick et Al. Int J Cancer 2006. GP5+/GP6+ (31) ou l’aide de tests commercialisés, comme le Inno-Lipa (Innogenetics®) [32] ou l’Hybrid Capture 2® (HC2) [Digene], qui permettent la détection de 13 HPV oncogènes et, dans certains cas, une évaluation semi-quantitative de la charge virale (33). À ce jour, le test HC2 est celui qui a été le plus évalué, que ce soit dans un but de dépistage primaire du cancer du col ou de suivi post-thérapeutique. Test HPV et dépistage primaire L’apport du test HPV dans le dépistage primaire du cancer du col de l’utérus a été particulièrement bien évalué et nous disposons aujourd’hui de nombreuses études prospectives randomisées de grande taille. Prises isolément, ces études présentent parfois des résultats contradictoires. La publication récente de plusieurs métaanalyses a permis une analyse globale de ces publications (6, 9, 25). L’Agence internationale pour la recherche sur le cancer (IARC) a récemment conclu que nous disposions actuellement de preuves suffisantes pour considérer le test HPV comme capable de diminuer l’incidence de la mortalité liée au cancer du col de l’utérus et qu’il est probablement aussi efficace que la cytologie (34). D’après les résultats de la métaanalyse publiée par Koliopoulos et al., le test HPV HC2 aurait la meilleure sensibilité pour dépister une LIEHG : 90 % (IC95 : 86,4-93,7%) [figure 1], suivie de la PCR : 80,9 % (IC95 : 70-91,7 %) et de la cytologie au seuil ASCUS : 72,7 % (IC95 : 63,9-81,5 %) [9]. La plus faible sensibilité était observée pour la cytologie au seuil lésion épithéliale de bas grade (LIEBG) : 61,6 % (IC95 : 48-75,2 %) [9]. Par ailleurs, le test HPV HC2 aurait la plus faible spécificité : 86,5 % (IC95 : 83,189,8 %) [figure 2], la meilleure étant obtenue par la cytologie au seuil LIEBG : 96 % (IC95 : 94,8-97,2 %) [tableau I] (9). D’après Cuzick et al., la sensibilité du test HPV à dépister une LIEHG serait de 96,1 % (IC95 : 93,6-97,6 %) [25], la spécificité de 90,7 % (IC95 : 90,4-91,1 %). Comparé à la cytologie, les auteurs concluent à une meilleure sensibilité du test HPV (tableau II) [25]. Dans une dernière métaanalyse, Arbyn et al. concluent à une sensibilité de 89,3 % du DOSSIER test HPV HC2 pour mettre en évidence une LIEHG (IC95 : 85,2-93,4 %) [6]. Selon ces mêmes auteurs, la spécificité du test HPV HC2 à exclure une LIEHG serait de 87,8 % (IC95 : 85,5-89 %) [6]. L’histoire naturelle de l’infection à HPV influence particulièrement la lecture de ces résultats et l’âge de la patiente est un critère déterminant de l’application du test HPV dans le dépistage primaire. La détection des papillomavirus oncogènes n’a qu’une valeur prédictive positive (VPP) faible, car seule une minorité des patientes infectées développera un cancer du col (35). Cela est particulièrement vrai pour les femmes de moins de 30 ans, chez lesquelles la prévalence de l’infection à HPV de haut risque est élevée et qui, pour la majorité, vont se débarrasser du virus sans développer de lésion cervicale. Ainsi, Koliopoulos et al. observent une augmentation de la sensibilité du test HPV à 94,8% (IC95 : 90,9-98,7 %) lorsqu’il est utilisé en dépistage primaire chez des femmes de plus de 30 ans (tableau I), alors que la spécificité n’était que très peu influencée par l’âge (9). Paradoxalement, Cuzick et al. n’ont pas observé d’influence nette de l’âge sur la sensibilité du test HPV en dépistage primaire, mais rapportent une spécificité légèrement augmentée à 93,3 % (IC95 : 92,9-93,6 %) chez les femmes de plus de 35 ans contre 90,7 % (IC95 : 90,4-91,1) tout âge confondu (25). Les résultats de l’essai randomisé publié par Mayrand et al. confirment les performances du test HPV en dépistage primaire appliqué tout particulièrement chez les femmes de plus de 30 ans (36). Dans cette étude, 10 154 femmes de 30 à 69 ans ont été randomisées pour le dépistage des LIEHG soit par le test HPV seul soit par la cytologie cervicovaginale seule. Comparé à la cytologie, le test HPV a une sensibilité significativement plus élevée : 94,6 % (IC95 : 84,2-100) versus 55,4 % (IC95 : 33,6-77,2), respectivement (p = 0,01), alors que la spécificité est significativement plus faible : 94,1 % (IC95 : 93,4-94,8) versus 96,8 % (IC95 : 96,3-97,3), respectivement (p < 0,001). Le seuil de positivité du test HPV influence directement ses performances. L’importance de la valeur seuil choisie sur les performances du test HPV en dépistage primaire est illustrée par les résultats d’un large essai randomisé incluant près de 49 000 femmes comparant le dépistage par test HPV (HC2 test) et par cytologie conventionnelle (37). Chez des femmes de 35 à 65 ans, cet essai conclut à une meilleure sensibilité relative du test HPV par rapport à la cytologie conventionnelle lorsqu’il est utilisé à un seuil de positivité à 2 pg/ml (1,81 % ; IC95 : 1,2-2,72) et ce au prix d’une très faible diminution de la VPP (0,99 % ; IC95 : 0,67-1,46). Utilisé au seuil Kuhn, 2000 Ratnam, 2000 Belinson, 2001 Belinson, 2003 Coste, 2003 Cuzick, 2003 Petry, 2003 Salmeron, 2003 Sankaranarayanan, K1, 2004 Sankaranarayanan, M, 2004 Sankaranarayanan, T2, 2004 Bigras, 2005 Combiné 0,5 2 1,33 1 Sensibilité relative 0,67 3 Figure 1. Sensibilité relative du test HPV HC2 comparée à la cytologie au seuil ASCUS+ pour la détection d’une LIEHG+ (d’après 8). Kuhn, 2000 Ratnam, 2000 Schiffman, 2000 Belinson, 2001 Clavel, 2001 Belinson, 2003 Coste, 2003 Cuzick, 2003 Petry, 2003 Salmeron, 2003 Sankaranarayanan, K1, 2004 Sankaranarayanan, M, 2004 Sankaranarayanan, T2, 2004 Bigras, 2005 Combiné 0,8 0,9 Spécificité relative 1,1 1 Figure 2. Spécificité relative du test HPV HC2 comparée à la cytologie au seuil ASCUS+ pour la détection d’une LIEHG+ (d’après 8). Ratnam, 2000 Belinson, 2001 Cuzick, 2003 Petry, 2003 Salmeron, 2003 Sankaranarayanan, K1, 2004 Sankaranarayanan, M, 2004 Sankaranarayanan, T2, 2004 Bigras, 2005 Combiné 0,33 0,5 0,67 1 1,33 Sensibilité relative 2 3 Figure 3. Sensibilité relative de la combinaison du test HPV HC2 et de la cytologie au seuil ASCUS+ comparée à celle du test HPV HC2 seul pour la détection des LIEHG+ (d’après 8). La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 | 17 DOSSIER Les temps forts des JTA 2009 étude, le test HPV permettrait de dépister initialement 70 % de plus de CIN3+ que la cytologie (IC95 : 15-151 ; p = 0,007). Lors des suivis ultérieurs, le nombre de CIN3+ dépistés par le test HPV serait alors 50 % plus faible que ceux dépistés par la cytologie (IC95 : 28-72 ; p = 0,001) pour un nombre total de lésions diagnostiquées équivalent dans les deux groupes. Ratnam, 2000 Belinson, 2001 Cuzick, 2003 Petry, 2003 Salmeron, 2003 Sankaranarayanan, K1, 2004 Sankaranarayanan, M, 2004 Sankaranarayanan, T2, 2004 Bigras, 2005 Combiné 0,67 1 1,33 Sensibilité relative 0,75 3 2 Figure 4. Spécificité relative de la combinaison du test HPV HC2 et de la cytologie au seuil ASCUS+ comparée à celle du test HPV HC2 seul pour la détection des LIEHG+ (d’après 8). 1 Sensibilité 0,8 0,6 Premier dépistage avec HC2 ou PCR Résultat = CIN2+ d16 d17d23 d9 d14 d15 d18 d5 d7 d3d11 d4 d26 d2 d10 d3 d22d1 d20 d2 d8 d19 0,4 0,2 0 0 0,2 0,1 FPR = 1 0,3 0,4 Spécificité Figure 5. Sensibilité du test HPV à prédire la présence d’une LIEHG+ (CIN2+) en fonction du taux de faux positifs (d’après 5). classique d’1 pg/ml chez ces mêmes femmes, le test HPV a effectivement une meilleure sensibilité relative par rapport à la cytologie (1,92 ; IC95 : 1,28-2,87), mais la VPP relative est plus nettement diminuée (0,80 ; IC95 : 0,55-1,18). En permettant un dépistage plus précoce des LIEHG, le test HPV, utilisé en dépistage primaire, permettrait également d’augmenter l’intervalle de temps entre deux tests de dépistage. De telles hypothèses sont documentées par les résultats d’un essai randomisé portant sur près de 17 000 femmes de 29 à 56 ans avec un suivi sur plus de 6 ans et demi (38). D’après cette 18 | La Lettre du Gynécologue • n° 343 - juin 2009 Association cytologie-test HPV dans le dépistage primaire Bien qu’offrant des performances élevées, une telle politique de dépistage pose un problème de surcoût évident dont la justification reste débattue. Actuellement, aucun pays de l’Union européenne ne recommande ce dépistage. L’association de la cytologie au seuil ASCUS et du test HPV HC2 aurait une sensibilité significativement plus importante que celle du test HPV HC2 seul (ratio : 1,05 ; IC95 : 1,05-1,06) [figure 3] (9). En revanche, la spécificité d’une telle combinaison est significativement inférieure à celle du test HPV HC2 seul (pooled ratio 0,95 ; IC95 : 0,94-0,96) [figure 4] ou de la cytologie seule au seuil ASCUS (pooled ratio : 0,94 ; IC95 : 0,93-0,95) [figure 2] (9). D’après Arbyn et al., par rapport à l’utilisation de la cytologie seule (au seuil ASCUS+), la combinaison cytologie-test HPV HC2 permettrait un gain de sensibilité de 45 % (IC95 : 31-60 %) et 39 % (IC95 : 11-73 %) pour la détection des néoplasies intracervicales de grade 2 (CIN2+) et 3 (CIN3+), respectivement (6). À l’inverse, ces auteurs confirment la baisse de la spécificité de cette association cytologie-test HPV et évaluent cette diminution à 7 % (IC95 : 6-8 %). Enfin, l’utilisation du dépistage primaire combiné offre une VPN extrêmement élevée (99 à 100 %) [30, 39-42]. Les performances du dépistage primaire combiné ont récemment été illustrées par l’étude de Naucler et al. (43). Dans cette étude, 12 527 femmes de 32 à 38 ans ont été randomisées entre un dépistage combiné et un dépistage par cytologie seule (groupe contrôle) avec un suivi moyen de 4 ans. Les résultats illustrent les performances diagnostiques du dépistage combiné. À l’inclusion, celui-ci a permis une augmentation de 52 % du dépistage des CIN2+ par rapport au dépistage par cytologie seule (IC95 : 13-102). Inversement, lors du suivi de ces patientes, le dépistage combiné a permis de diagnostiquer 42 % de CIN2+ en moins par rapport au dépistage par cytologie seule (IC95 : 4-64) et la proportion de femmes ayant un CIN3+ était inférieure de 47 % à celle du groupe contrôle (IC 95 : DOSSIER 2-71). Ainsi, le dépistage combiné permet une plus grande efficacité et une plus grande rapidité que la cytologie seule. À terme, de telles performances du dépistage combiné chez des femmes de plus de 30 ans fait miroiter la possibilité d’augmenter l’intervalle entre deux tests, ce qui permettrait de compenser le surcoût engendré. Variabilités géographiques Si la sensibilité globale du test HPV, et en particulier celle du test HC2, est supérieure à celle de la cytologie, celle-ci varie énormément d’une étude à l’autre (6, 9). Ainsi la sensibilité du test HPV est très faible dans les études réalisées en Inde (50 à 80 %) ou dans celles des pays en voie de développement (81 à 88 %) [6]. Les meilleurs résultats de sensibilité et de spécificité du test HPV ont été observés dans les études menées en Europe et en Amérique du Nord (9) [figure 5]. De telles disparités ne peuvent pas raisonnablement être expliquées par une utilisation différente des tests HPV ni par la variation géographique de la prévalence des types d’HPV. Une explication pourrait être que la plupart de ces études ne valident pas le statut cervical par un examen colposcopique, mais par un simple examen clinique du col à l’œil nu après application d’acide acétique. L’absence d’utilisation du “gold standard” que représente la colposcopie pourrait suffire à expliquer ces résultats. Et demain : le dépistage des femmes vaccinées La généralisation de la vaccination anti-HPV 16 et 18 des jeunes femmes va inévitablement modifier la prévalence des LIEHG et du cancer du col et, par la même occasion, perturber les performances de la cytologie. En considérant une efficacité vaccinale de 100 %, on peut estimer que 130 jeunes filles doivent être vaccinées afin d’éviter un cas de cancer du col et 17, pour un cas de CIN2/3. En France, annuellement, on peut également envisager que la vaccination de 80 % d’une cohorte de 370 000 jeunes filles permettrait d’éviter 2 495 cancers, 17 985 LIEHG et 8 004 LIEBG (données soumises à publication). Plus simplement, en diminuant la prévalence de l’infection à HPV de plus de 50 %, la vaccination ramènerait le nombre de frottis anormaux de 5 à 2-3 %. La subjectivité de la cytologie la lie étroitement à la prévalence des anomalies cervicales. On peut ainsi prévoir une baisse de la sensibilité de la cytologie directement liée à la baisse de la prévalence des anomalies cytologiques et l’inadaptation progressive de la cytologie au dépistage primaire. Dans un tel contexte, le test HPV, de par son objectivité, deviendrait l’outil incontournable du dépistage de masse des lésions précancéreuses du col de l’utérus. Conclusion Nous disposons actuellement de preuves suffisantes pour considérer le test HPV comme une méthode efficace pour le dépistage des précurseurs du cancer du col de l’utérus, et pouvant potentiellement permettre d’en réduire la mortalité. Utilisé pour le dépistage primaire du cancer du col de l’utérus, le test HPV a fait la preuve d’une meilleure sensibilité que celle de la cytologie, mais d’une spécificité inférieure, et ce surtout chez les femmes de moins de 35 ans. Qu’il soit utilisé seul ou couplé à la cytologie, les hautes performances du test HPV en font un outil de dépistage puissant permettant une efficacité et une rapidité plus importantes. À terme, l’intervalle de temps entre deux dépistages pourrait même être allongé, limitant ainsi les surcoûts engendrés. Même si le test HPV tarde à être introduit dans les politiques de dépistage, à l’heure de la vaccination anti-HPV, la chute prévisible des performances de la cytologie conventionnelle va imposer peu à peu le test HPV comme l’outil incontournable du dépistage du cancer du col pour les femmes de demain. ■ Références bibliographiques 19. Ho GY, Bierman R, Beardsley L, Chang CJ, Burk RD. 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