III. Personnes en situation de handicap et société

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III. Personnes en situation de handicap et société
Sociologie et déficiences – FSSEP Université Lille 2 – Corrine DELMAS
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III. Personnes en situation de handicap et société : les différentes
thématiques
A. La position des personnes handicapées : une position particulière voire d’entredeux
La position des personnes handicapées peut être perçue comme une position « d’entredeux » : ni exclue, ni totalement intégrée comme nous le verrons.
Les personnes handicapées occupent une place particulière parce qu’elles présentent des
« anomalies » au sens de Canguilhem.
Pour le philosophe et épistémologue Georges Canguilhem (1904-1995), l’ « anomal »
(anomalie), concept qui permet d’accéder à la différence, n’est pas l’anormal : « être anomal,
c’est s’éloigner par son organisation de la grande majorité des êtres auxquels on doit être
comparé ». Par conséquent : « L’anomalie c’est le fait de variation individuelle qui empêche
deux êtres à pouvoir se substituer l’un à l’autre de façon complète (…) diversité n’est pas
maladie. L’anomal n’est pas pathologique ».
Il n’y a qu’une différence de degré et non de nature entre les personnes déclarées handicapées
et les autres. Une conception interdisant le jugement a priori (moral ou scientifique), rendant
possible la compréhension de l’altérité, légitimant la réparation.
La position de la personne en situation de handicap peut être abordée en termes de
« stigmate » et de processus de stigmatisation (1), double contrainte (2) et liminarité (ou
liminalité) (3).
1. Le handicap comme stigmate (E. Goffman)
Quelques éléments biographiques et bibliographiques…
1°. Une démarche interactionniste :
Erving GOFFMAN est un sociologue canadien né en 1922 et mort en 1982, enseignant à
l'université de Californie de Berkeley puis à l’Université de Pennsylvanie. En 1968, Pierre
Bourdieu fait publier son œuvre en français aux Éditions de Minuit.
Erving Goffman appartient à l’Ecole de Chicago. Il s'écarte des méthodes dites quantitatives
et statistiques pour privilégier l'observation participante. Ainsi pour Asiles il consacre deux
années à étudier un asile.
Il prend part au courant de l'ethnométhodologie et de l'interactionnisme symbolique (même
s'il a toujours refusé sa filiation avec cette dernière). Il étudie sociologiquement des rencontres
(ou « interactions ») sociales et publiques à partir de signes externes (parole, geste, posture) et
il identifie des "rites d'interactions" dont le but est d'informer sur la position et les intentions
des individus dans une situation donnée. Pour lui, l'interaction sociale est guidée par le souci
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de ne pas perdre la face. La notion d'interaction prend une place très importante dans son
œuvre.
Il se centre non sur l'individu, mais sur l'interaction, et use de métaphores parmi lesquelles la
métaphore théâtrale. Ainsi, dans La présentation de soi (la mise en scène de la vie
quotidienne, tome 1), il présente les personnes en interaction comme des acteurs qui mènent
une représentation. Dans Les Rites d'interaction, il parle de métaphore du rituel pour rendre
compte des rencontres face à face. En 1974, il publie Les Cadres de l'expérience, qui
s'inspirent de la métaphore cinématographique. La vie est, selon lui, composée de multiples
constructions de la réalité, des cadrages, qui s'articulent les uns aux autres.
2°. L’observation d’un hôpital psychiatrique et la notion d’ « institution totale ».
Il décide, en 1954, d'aller vivre plusieurs mois parmi des malades mentaux, au sein de
l'hôpital psychiatrique de Sainte-Elisabeth à Washington, pour observer la vie des reclus. Sur
la base de ce séjour et de ce travail d’« observation », il publie Asiles, où il introduit la notion
d'institution totale. Goffman la définit comme « un lieu de résidence et de travail où un grand
nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une
période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont
explicitement et minutieusement réglées » (Asiles, p. 41). Prisons, camps de concentration,
asiles, couvents, mais aussi internats, orphelinats, etc. peuvent être considérés comme
institutions totales (qu'on peut d'ailleurs rapprocher des institutions disciplinaires selon Michel
Foucault). Celles-ci détruisent l'identité des reclus. Leurs caractéristiques sont : une coupure
du monde extérieur ; une prise en charge totale des besoins par l'institution ; un mode de
fonctionnement bureaucratique ; des contacts entre reclus et surveillants limité ; un
changement de la temporalité.
En 1963 (trad. fr. 1975), il publie Stigmates…
3° Des études sur la déviance, les handicaps et les stigmates…
Erving Goffman développe la notion de « stigmatisation » dans Stigmates. Les usages
sociaux du handicap (1963, trad. et publié en français, aux éditions de Minuit en 1975). Cette
étude s’inscrit dans une analyse de la déviance. La déviance peut amener aux situations
d’exclusion, de ségrégation ou de marginalité. C’est un écart aux normes et/ou aux valeurs de
la société ou du groupe d’appartenance. Elle peut être perçue comme résultant d’un acte
individuel mais aussi (cf. Howard Becker, Outsiders, Métailié, 1985) comme le résultat d’une
qualification d’un acte par la société (« labelling theory » ou « théorie de l’étiquetage »).
Selon Erving Goffman, un individu est dit « stigmatisé » lorsqu'il présente un attribut qui le
disqualifie lors de ses interactions avec autrui. Le stigmate correspond donc à toute
caractéristique propre à l’individu qui, si elle est connue, le discrédite aux yeux des autres ou
le fait passer pour une personne de statut moindre. Cet attribut constitue un écart par rapport
aux attentes normatives des autres à propos de son identité. Chaque individu est plus ou moins
stigmatisé en fonction des circonstances, mais certains le sont plus que d'autres.
Goffman distingue les dévalorisations corporelles, morales ou « tribales ».
- les stigmates corporels : handicaps physiques, troubles de la vision, défauts du visage
ou du corps (difformité, bec de lièvre, nanisme…)
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les stigmates « moraux » ou tenant à la personnalité et/ou au passé de l’individu :
troubles du caractère, séjour passé dans un hôpital psychiatrique, en prison,
alcoolisme… voire, selon les contextes, discrédit lié au statut par exemple de femme
divorcée, de chômeur, d’homosexuel…
les stigmates « tribaux » qui correspondent à l’origine ethnique, à la nationalité, à la
religion, et qui peuvent être transmis de génération en génération (exemple des Noirs
aux Etats-Unis)
Donc les exemples de stigmates sont nombreux et variés : parmi eux, le passé des
individus, les handicaps, les troubles de caractère, l'homosexualité, l'appartenance à un groupe
donné, etc.
Ces stigmates peuvent être visibles (infirmité…) : l’individu est alors « discrédité » et son
problème sera de contrôler correctement l’interaction troublée par ce stigmate. Tout va
dépendre du caractère « importun » du stigmate. Par exemple, une discussion de travail autour
d’un bureau sera moins troublée par une infirmité motrice (par exemple le fait d’être en
fauteuil) que par un bégaiement. Il faut aussi tenir compte du « foyer apparent » du stigmate :
trouble-t-il l’ensemble des interactions ou seulement les relations dans quelques situations
précises ?
Les stigmates peuvent aussi être invisibles (infirmité invisible, passé de délinquant…).
L’individu peut alors être discrédité et son problème est de contrôler l’information à propos
de son stigmate, éviter que celui-ci ne soit révélé.
L'acteur va donc tout mettre en œuvre pour cacher ce stigmate ou du moins éviter qu'il ne
provoque un malaise chez son public.
Différentes stratégies sont possibles : stratégies du « faux-semblant » qui peut être
consciente ou non. Il est également possible de contrôler les effets du stigmate, ce qui est
une autre manière de le cacher, à l’exemple de cette femme dure d’oreille qui s’ingénie à
monopoliser la parole ou incite une personne à raconter une histoire qu’elle connaît déjà. Il est
également possible de faire passer le stigmate pour un stigmate moins grave (un analphabète
prétendra être myope et avoir oublié ses lunettes – cf. le roman de Ruth Rendell,
L’analphabète également porté à l’écran par Claude Chabrol dans son film « La cérémonie »).
Le stigmatisé peut également avoir recours à des « désidentificateurs », qui sont constitués
par des éléments qui donnent une information sociale contredisant l’information du stigmate
visible ou invisible. Goffman cite ainsi le cas du « bon anglais » du Noir élevé dans le nord
des États-Unis et qui visite le Sud ou le cas des clochards qui peuvent rester assis dans une
station de métro pendant des heures sans attirer l’attention pourvu qu’ils ne cessent pas de lire
un journal. Un individu peut également jouer ce rôle de désidentificateur comme dans le cas
de James Barry, premier bourreau professionnel anglais qui, appelé en Irlande pour une
exécution, se fit accompagner de sa femme et de son enfant de dix ans, 1’idée ne venant à
personne que ce père de famille puisse être bourreau. Il est également possible que le
stigmatisé se dévoile, préférant passer du contrôle de l’information à révéler au contrôle du
bon déroulement de l’interaction. La provocation constitue également une forme de
dévoilement dans la mesure où, même dans le cas d’un stigmate visible, on fait explicitement
passer le stigmate au premier plan de la relation ce qui peut faire courir le risque de mettre le
«normal » en danger, si la provocation répond à une question déplacée, ou le stigmatisé luimême, si la provocation n’est pas acceptée par le groupe des normaux. C’est l’interaction
sociale elle-même qui est mise en danger, ce qui constitue finalement la nature même des
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interactions mixtes entre stigmatisés et normaux. La gaffe, notamment, peut mettre le
sigmatisé en danger lorsqu’il s’agit d’un stigmate caché et dont on ne veut pas révéler
l’existence et, dans le cas d’un stigmate visible, elle met en danger le « normal » qui risque
alors de « perdre la face ». Comme, de plus, l’ensemble du fonctionnement de l’interaction
repose sur le seul stigmatisé et que cela est payé d’un coût lourd en termes psychologiques, de
calcul et de stratégie, on comprend que la dernière stratégie possible est celle qui consiste
pour le discrédité ou pour le discréditable à garder ses distances, refuser l’interaction
sociale. Cependant, même si l’engagement de l’interaction est réussi, les risques n’en sont pas
pour autant écartés. En effet, il faut se rappeler qu’on demande au stigmatisé de tenir une
situation impossible, à savoir être comme les autres et rester à sa place. Le risque est que le
stigmatisé se croit plus accepté qu’il n’est réellement ; ainsi le stigmatisé doit savoir jouer le
rôle attendu par les normaux tout en restant à sa place; il doit donc faire comme si
l’acceptation est réelle et rester conscient qu’elle ne l’est pas.
Goffman nomme contacts mixtes ces interactions à risque entre « normaux » et stigmatisés.
L’attitude du « normal » à l’égard du « stigmatisé » » est ambivalente dans la mesure où il
s’efforce de le voir comme un être comme les autres et que dans le même temps il le perçoit
comme « anormal ». Le « normal », en particulier dans la société américaine étudiée par
Goffman, évite de regarder le handicapé qui remet en cause l’image du « beau corps »
dominante dans le système de valeur américain, qui renvoie aussi à la peur d’être soi-même
handicapé, et surtout parce que le « normal » sait que l’interaction sera pénible et
problématique.
3. Double bind (double contrainte) et injonction contradictoire
L’anthropologue Gregory Bateson a utilisé le premier le concept de double bind (double lien)
dans un article collectif (Vers une théorie de la schizophrénie). On peut la traduire par double
contrainte ; c’est une situation où deux contraintes qui s'opposent sont assorties d'une
troisième qui empêche toute sortie. Une double contrainte est un ensemble de deux ordres
explicites ou implicites intimés à quelqu'un qui ne peut en satisfaire un sans violer l'autre.
Pour l'exercer, il faut d'une part deux ordres ou injonctions déterminantes pour l'existence
physique et psychique du sujet et incompatibles entre elles et d'autre part une troisième qui est
l'interdiction de refuser de choisir et de commenter l'absurdité de la situation.
To bind, dans l'expression « double-bind » signifie « coller », « accrocher », allusion à deux
ordres impossibles à exécuter avec un troisième ordre qui interdit le refus d'obéissance et tout
commentaire sur l'absurdité cette situation d'ordre et de contre-ordre dans l'unité de temps et
de lieu. Cette interdiction se rapporte, alors, de mettre en séquence temporelle l'exécution de
l'un après l'autre. L'anti-psychiatrie de Laing et Cooper utilise le nom de knot (« nœud ») qui
évoque bien cette situation d'enfermement.
En psychologie, l'exemple qui illustre le mieux cette situation est celle d'un enfant de parents
qui se séparent. Comme tous les enfants, il a un lien affectif et existentiel avec chacun des
deux parents. La double-contrainte se produit lorsque les parents exigent de l'enfant un lien
exclusif, demande que ce dernier ne peut satisfaire sans entrer en contradiction avec sa
volonté de maintenir un lien affectif avec les deux.
De la double contrainte peuvent se dégager l’injonction contradictoire et l’injonction
paradoxale. L’injonction contradictoire impose de choisir deux attitudes exclusives l’une de
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l’autre (exemple : un message et sa négation). Il en est de même pour l’injonction paradoxale
mais avec cette particularité que ce choix est impossible. Exemple : une mère tenant un
discours de l’amour à l’enfant avec un comportement froid.
Analysant les relations entre établis et marginaux, le sociologue Norbert Elias montre qu’en
situation de dépendance réciproque, le mécanisme de la double contrainte peut être appliqué
dès lors que l’inégalité de dépendance, sans disparaître, diminue. Des marginaux saisissant
l’opportunité d’une ouverture, pensent que le monde social est à eux, mais les établis, par de
menus signes, des propos indirects, des comportements, leur font comprendre rapidement les
limites de leurs souhaits.
Les personnes déficientes, catégorie spécifique de marginaux, n’ont d’autre choix que de se
situer elles-mêmes dans cette position inconfortable de l’injonction paradoxale. Dans le
monde de l’égalité, elles font l’expérience, notamment corporelle, de l’impossibilité de
correspondre aux normes en vigueur : force de travail voulant exister comme telle, elle ne
peut trouver d’acquéreur ; la mobilité ne les concerne que de loin ; l’autonomie individuelle
rencontre leur dépendance ; la glorification de la beauté et de la fonctionnalité des corps se
heurte à leurs déficiences ; la mise en avant de la victoire s’oppose à leur renoncement… Nul
ne résout une injonction paradoxale. Situation : les situer dans un dénigrement systématique
collectivement refusé et une reconnaissance avérée mais de faible portée.
Quelques exemples d’injonctions contradictoires, paradoxales et de situations de double contrainte :
Un message et sa négation - « Soyez spontané ! » - (des messages de ce type peuvent produire une
situation relationnelle intenable, sans issue, aboutissant même au désarroi, …).
Un exemple utilisé par Paul Watzlawick : un panneau autoroutier indiquant "ignorez ce panneau". Si les
automobilistes le prennent en compte, ils ne l'ignorent pas, et s'ils choisissent de l'ignorer, ils le prennent
en compte.
Inhibition - Une mère offre deux cravates à son fils : une rouge et une verte. Son fils porte la verte
lorsqu'il lui rend visite le lendemain, la mère réagissant ainsi : « Pourquoi tu mets celle-là ? Elle ne te
plaît pas la rouge ? ». Ainsi quelle que soit la cravate portée, le fils sera dans l'impossibilité de satisfaire
sa mère.
Deux langages (corporel et verbal) - La paire d'injonctions paradoxales à cheval sur deux niveaux de
communications : une mère demande : « Bah alors, tu ne m'embrasses pas ? ». Le fils s'exécute mais la
mère réagit par un mouvement de raideur et de recul. Le discours verbal et le discours corporel sont
paradoxaux et il n'y a pas moyen de satisfaire l'un sans ignorer l'autre. C'est le départ de l'idée de Gregory
Bateson en visionnant son film pris à Bali. L'enfant est pris entre deux ordres et ne peut obéir à l'un sans
désobéir à l'autre.
Exemple d’inhibition (assez proche du cas des deux cravates) : " tu dragues ma sœur ? je vais te casser la
figure ! " " non, je drague pas ta sœur " " quoi qu'est ce qu'elle à ma sœur tu la trouve moche ? je vais te
casser la figure ! " " mais non, elle est très jolie ta sœur.... " " quoi tu voudrais draguer ma sœur ?? mais je
vais te casser la figure !! "
William Styron (1979). Le Choix de Sophie, Gallimard, Folio, p. 864-867. Mère de famille polonaise,
Sophie se voit contrainte par l'officier nazi responsable de déterminer qui va rejoindre les fours
crématoires d'effectuer un choix entre sa petite fille et son nouveau-né. Si elle ne le fait pas rapidement,
les deux enfants seront tués.
Jean Anouilh, dans Antigone, construit sa tragédie sur cette contrainte : Antigone, fille d'Œdipe, enterre
son frère malgré l'interdiction de Créon, son oncle, roi de Thèbes, et encourt la peine de mort. Antigone
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veut a la fois vivre son amour avec le fils de Créon, et enfreindre la loi qu'a instaurée le père de ce
dernier.
4. Déficience et liminalité (ou liminarité)
La liminarité : situation d’entre-deux ; concept fondé par l’anthropologue français Arnold Van
Gennep (1981) dans ses travaux portant sur les rites de passage. Selon lui, les rites
comportaient trois phases : séparation (pré-liminaire), marginalisation (liminaire), agrégation
(post-liminaire). Liminaire : marge (limen en latin : seuil). Entre séparation et réintégration.
Exemples de périodes de marge : adolescence (stade entre enfance et adulte), noviciat
(religieux ou non)…
Le concept a depuis été adapté par des anthropologues américains, dont Victor Turner (1990)
qui reprend le cycle ternaire des rites de passage : « les entités liminaires ne sont ni ici ni là :
elles sont dans l’entre-deux, entre positions assignées et ordonnées par la loi, la coutume, la
convention et le cérémonial. En tant que telles, dans les nombreuses sociétés qui ritualisent les
transitions sociales et culturelles, leurs attributs ambigus et indéterminés s’expriment par une
riche variété de symboles. Ainsi la liminarité est-elle fréquemment assignée à la mort, au fait
d’être dans les entrailles, à l’invisibilité, à l’obscurité, à la bisexualité, aux vastes étendues
désertiques et à une éclipse de soleil ou de la lune ».
Le terme est parfois repris sous l’intitulé de liminalité (Rivière, 1995). L’individu en situation
liminale « échappe aux classements sociologiques puisqu’il est dans une situation d’entredeux » (Segalen 1998).
Cette thèse est défendue par Alain Blanc (2006) : « la déficience, expérience si particulière,
situe son possesseur – et par extension ses proches, quoique de façon différente- au sein d’un
espace qui n’est ni celui de l’exclusion irrévocable ni celui d’une intégration pleine et
entière. » (p. 10) En effet, le corps déficient est une force d’interpositions permanentes entre
l’homme et le monde contemporain, marqué par la vitesse et l’accélération. Il résiste à la
socialisation et il est ainsi placé dans une situation d’entre-deux perpétuel.
« Parce que les personnes handicapées présentent un désordre dans leurs apparences, c’est-àdire la déficience, elles se trouvent quasi mécaniquement placées dans une situation de
liminalité. Confinées durablement ou de façon moins officielle et plus épisodique au sein
d’entre-deux sociaux, elles occupent une position inconfortable puisqu’elles ne sont jamais
totalement exclues ni définitivement incluses. Si leur sort n’est pas enviable, il s’accompagne
toutefois de bénéfices divers, matériels, financiers, symboliques. » (A. Blanc, 2006, p. 12)
Par ailleurs « les mondes de la déficience sont le lieu et le moment d’une réaffirmation
communautaire, laquelle se construit d’une part autour de l’association et de la défense des
mêmes […] et d’autre part autour d’une affirmation identitaire signifiée dans son exemple le
plus abouti par les sourds natifs qui, arguant de la maîtrise d’une langue spécifique, celle des
signes, considèrent qu’ils constituent une minorité linguistique, une communauté sourde, un
peuple sourd. » (Blanc, 2006, p 38).
Les personnes déficientes seraient en phase liminaire d’une part du fait de leur revendication
identitaire, et d’autre part car elles ne peuvent sortir de cet état dans lequel les placent la
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déficience et le regard que nous portons sur elles. Donc : la phase liminaire serait pour eux
simultanément réaffirmation communautaire et assignation définitive.
C’est ce qu’indique Robert F. Murphy à propos des personnes déficientes. Cet anthropologue
américain lui-même paralysé à cause d’une tumeur de la moelle épinière l’ayant
progressivement rendu invalide, analyse la situation induite par la déficience et les
cheminements auxquels elle contraint (corporels, existentiels, familiaux, sociaux). ouvrage
moins connu mais tout à fait remarquable: Vivre à corps perdu de Robert Murphy. L’auteur,
ethnologue de formation, est atteint d’une tumeur allant de la deuxième vertèbre cervicale à la
huitième vertèbre dorsale et entraînant une infirmité progressive. Il procède à une analyse de
son handicap de « l’intérieur » mais avec le savoir-faire de l’observateur qu’est un
ethnologue, analyse dans laquelle il confirme pleinement la justesse des observations de
Goffman (auquel il se réfère souvent).
Il est encore valide au début de l’ouvrage, est quasiment tétraplégique à la fin. Il connaît le
terme fatal de sa maladie ; il décède en 1990. Cette évolution de la maladie est l’occasion
pour lui de faire le portrait des invalides et de l’ensemble des personnes déficientes.
Il n’ignore pas les différences entre les types d’atteinte ni la diversité des personnes subissant
des atteintes proches ; les paraplégiques gardant une force musculaire suffisante dans les
membres supérieurs jouissent par exemple d’une plus grande autonomie – de déplacement,
préemption – que ceux dont les bras s’atrophient.
Le phénomène le plus marquant est la perte d’estime de soi qui peut être liée aux problèmes
concrets de la vie de tous les jours. Ainsi Robert Murphy montre que son handicap lui
interdisant de conduire le pousse à planifier ses activités longtemps à l’avance et réduit son
libre arbitre. Cette perte d’autonomie est encore plus flagrante dans le cadre de
1’hospitalisation qui aboutit à une dépersonnalisation et à une absence de projets à long terme.
De plus, la situation de stigmatisé s’accompagne d’un sentiment de culpabilité pour le moins
étonnant. Au cours des séances de rééducation, le thérapeute incite le malade à aller au bout
de ses possibilités, cependant les échecs n !seront ressentis par le stigmatisé comme le résultat
d’efforts insuffisants, ce qui renforcera une culpabilité qui est d’après Murphy un corollaire
de l’invalidité. Dans un cas «normal », une faute dévoilée publiquement engendre la honte, la
culpabilité et enfin le châtiment. Dans le cas du handicap, il semblerait que cet enchaînement
s’inverse : c’est l’invalidité, prenant la place du châtiment,qui entraîne le sentiment de honte,
puis la culpabilité et le sentiment d’être un criminel. Ce sentiment de culpabilité dépend donc
de la manière dont le stigmatisé pense être perçu par les autres. Le sentiment de culpabilité va
d’ailleurs s’étendre aux membres de sa famille dans un véritable jeu de miroirs : le stigmatisé
se sent coupable d’être un fardeau pour sa famille, la famille se sentant coupable d’être valide.
À cette occasion, Robert Murphy confirme le bien-fondé des approches de Goffman puisqu’à
l’occasion d’un congrès il prend connaissance de recherches menées sur des femmes
divorcées et des chômeurs où le sentiment de honte suit le même parcours que dans son
handicap. Il y a bien « stigmatisation » dans ces différents cas. Cette autodévalorisation va
également être accentuée par le fait que le corps des handicapés contrevient aux valeurs de la
société américaine : au mythe du «beau corps » (vanté par la publicité, par exemple), à la
virilité (ce type de handicaps étant souvent accompagné de problèmes sexuels), à l’autonomie
(Robert Murphy dépend de plus en plus de sa femme). Ainsi à la honte et à la culpabilité vont
s’ajouter apathie, dépression, colère latente à l’égard de soi-même et de la société rendue
responsable du handicap. Il en résulte une perte du sentiment du corps et 1’émergence d’une
identité nouvelle avec laquelle Murphy devra faire. Cette autodévalorisation sera d’autant plus
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forte que le stigmatisé aura intériorisé les attentes des normaux, cependant tout dépend de ce
que Goffman appelle « l’itinéraire moral » du stigmatisé : le stigmatisé devra passer par deux
étapes qui sont successivement la socialisation en termes d’apprentissage des valeurs des
normaux à propos du stigmate et la découverte de son stigmate et des conséquences
quotidiennes qui en découlent. Le type propre d’enchaînement de ces deux étapes donnera
naissance à quatre structures fondamentales : dans un premier cas, le stigmatisé peut
apprendre le point de vue des normaux en même temps qu’il apprend son désavantage (le cas
typique est celui des orphelins); dans d’autres cas, la famille peut chercher à protéger l’enfant
de son environnement, lequel n’apprendra le point de vue des normaux et n’aura
véritablement conscience de son stigmate qu’après coup ; le troisième cas est celui de
l’individu qui n’apprend son stigmate que tardivement après avoir intégré le point de vue des
normaux (à l’exemple de Robert Murphy) ; c’est dans ce cas que les problèmes de réidentification seront les plus importants et impliqueront souvent le recours à des « experts»
(médecins par exemple). Le dernier cas correspond aux individus qui ont été socialisés dans
une communauté étrangère et doivent apprendre une deuxième manière d’être avec leur
stigmate.
B. L’apport de la psychologie sociale : représentation sociale et représentation de soi des
personnes handicapées
I.
Représentations sociales et identités
Intérêt de cette notion ici : comprendre les processus de labellisation, d’étiquetage voire de
stigmatisation des personnes souffrant de déficiences ; éclairer les attitudes à l’égard des
personnes en situation de handicap y compris celle des personnes handicapées à l’égard de
leur handicap, indissociable de la représentation sociale de leur déficience et handicap
dominante au sein du groupe auquel elles appartiennent.
Travail sur les stéréotypes existant dans une société donnée concernant le handicap, les
personnes en situation de handicap. Chaque groupe ou société, produit un ensemble de
représentations sociales, permettant à leurs membres d’interpréter les évènements qu’ils
observent et de communiquer. Ceci renvoie à la notion de représentation sociale.
Cette notion se situe à l’interface du social et de l’individuel, du social et du psychologique.
Tirant son origine au sein de la sociologie durkheimienne plus particulièrement autour de la
notion de représentation collective, les représentations sociales ont depuis nourri tout un
courant de recherches porté notamment par Serge Moscovici (1961; 1976; 1984; 1991),
Claudine Herzlich (1969; 1972) et Denise Jodelet (1984; 1989; 1990; 1991)1. Caractéristique
d'autant plus complexe qu'il se situe au carrefour de plusieurs disciplines, soit la sociologie, la
psychologie sociale, l'anthropologie et l'histoire.
Déjà, en 1880, le sociologue français Emile Durkheim distinguait entre les représentations
individuelles, propres à chaque individu, et qui relèvent de la psychologie, et les
représentations collectives, concept englobant dans la mesure où il recouvre tout un ensemble
de contenus communs à des groupes divers. C’est aussi un concept régulateur car il sert de
cadre de référence aux perceptions et aux valeurs des membres de ces groupes.
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Cf. en particulier son travail sur les représentations sociales de la folie : Denise Jodelet, Folies et
représentations sociales, Paris, PUUF, 2005.
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Cette notion a été reprise aujourd’hui en sociologie et en psychologie sociale, en particulier
par Serge Moscovici, qui définit la représentation comme « un corps organisé de
connaissances et une des activités psychiques grâce auxquelles les hommes rendent la réalité
physique et sociale intelligible, s’insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien d’échanges,
libèrent les pouvoirs de leur imagination ».
La représentation sociale implique donc un pouvoir de construction de la réalité et
l’élaboration de comportements et d’attitudes et l’une de ses fonctions est l’organisation de la
communication.
Les représentations sociales sont des formes de « programmes » culturelles qui agissent sur
les membres d’un groupe, d’une société. Elles exercent une influence sur leurs pratiques, leurs
choix etc. Cela renvoie à l’ « emprise du social » (cf. séance 1 : approche sociologique,
socialisation, déterminisme social) sur les individus.
C’est un système de savoirs pratiques (opinions, images, attitudes, préjugés, stéréotypes,
croyance…) générés en partie dans des contextes d’interaction interindividuelle et/ou entre les
groupes. Elle constitue une forme de pensée évolutive, en mouvement, constructive. C’est un
assemblage de références sémantiques (un vocabulaire ; par exemple : handicap plutôt qu’un
vocabulaire plus spécifique) et cognitives (connaissance) activée différentiellement en
contexte, selon les finalités et les intérêts des acteurs sociaux qui s’en servent pour
communiquer et maîtriser l’environnement (composé d’objets représentés) et leurs relations
avec lui.
Ce sont donc des informations, des attitudes et des croyances partagées par des groupes de
personnes qui ont hérité de ce savoir collectif (rôle de la socialisation, éducation… échanges
de signes entre les individus…). Une représentation sociale renvoie à un mode de construction
des savoirs, partagés par des groupes et les individus et à leurs contenus organisés en
systèmes ouverts d’idées.
Il s’agit d’une pensée générée par les acteurs sociaux, partiellement imprégnée d’idéologie et
centrée sur l’action dans la vie en société.
Elle peut être marquée, dans sa forme et son contenu, par la position sociale ou idéologique de
ceux qui l’utilisent. Elle est socialement déterminée.
Les approches des représentations reposent sur la compréhension de deux processus : le
processus cognitif et le processus social, c'est-à-dire le processus de production sociale des
représentations. Le premier correspond à la psychologie sociale centrée sur la compréhension
du phénomène cognitif alors que le second s'inscrit dans les perspectives d'analyse
anthropologique et sociologique du phénomène social constitué par les représentations
sociales à l'œuvre dans les divers processus qui structurent le système social.
Plus concrètement, cette forme de connaissance comprend des éléments informatifs, cognitifs,
idéologiques, normatifs, croyances, valeurs, attitudes, opinions, images, etc. (Jodelet, 1991 :
36). Ils forment dans leur interaction un savoir, un système d'interprétation qui module et
oriente le rapport du sujet à Soi, à l'Autre, à la société; les sociologues Berger et Luckmann
(1966) font référence à la notion de construction sociale de la réalité.
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Il n'est pas rare que l'on désigne, dans la littérature, les représentations sociales comme un
savoir pratique. Or, cette dimension est déterminante dans la mesure où le processus de
formation des représentations s'appuie précisément sur les pratiques sociales et
professionnelles qui ont court dans un champ social donné. Ce sont donc des interprétations
de la réalité qui ont un sens pour les acteurs sociaux. Elles produisent des catégories pour
l'agir immédiat. La dimension de la pratique renvoie donc à une autre notion clé, soit celle du
sens sous toutes ses formes, à son caractère symbolique et d'interprétation.
Les représentations sont une représentation de la réalité, d'un objet, d'individus, de faits de
société, de mécanismes politiques ou encore économiques; d'individus qui sont, du reste,
toujours inscrits dans leurs rapports avec le monde social.
On comprend ainsi mieux à la fois toute l'importance et la complexité des représentations
sociales plus singulièrement au sein des processus de constitution identitaire tant pour
l'individu que pour les groupes sociaux.
II.
Représentation sociale et identité des personnes en situation de handicap
De nombreux travaux de recherche ont eu pour objet les représentations sociales des
personnes ayant des incapacités à l'intérieur des sociétés contemporaines. Pour certains tels
que Jodelet (1990), un accent tout particulier est accordé à la clarification du concept de
handicap et met en perspective l'étroite imbrication des savoirs scientifiques et des savoirs
naïfs lorsqu'il est question de l'analyse des représentations sociales du handicap. Par ailleurs,
Henri Paicheler souligne que " les personnes handicapées sont dans une situation sociale
jugée inacceptable du fait du " regard des autres ", de leurs représentations2. Insistant sur leur
importance dans le champ de la santé, de la pratique professionnelle, il cherche à comprendre
quelle est le rôle des représentations actuelles des personnes handicapées, et cela, en
supposant que la construction sociale du handicap n'était pas avant tout, production et
reproduction d'inégalités. (1990 : 244). Cette situation trouve une partie de son explication
dans la présence de " représentations fausses " dans l'environnement social des personnes
handicapées. Les dimensions négatives des attitudes à leur égard trouvent un écho d'une
grande portée dans les études américaines (Giami, 1990).
Il reste encore bien des éclaircissements à apporter afin d'en préciser le rôle réel dans la lutte
pour l'amélioration de la participation sociale des personnes ayant des incapacités. Un certain
nombre d’enseignements peut pour le moment être retenu de ces études : surestimation des
caractéristiques personnelles des personnes handicapées (au détriment des facteurs
environnementaux) ; caractère évolutif de ces représentations sociales ; représentations qui
sont variables (en fonction des personnes et des types de déficience).
1. L’explication de la surestimation des caractéristiques personnelles est en partie culturelle
(cette surestimation caractérise notre culture) et renvoie à la notion de sens commun. Chaque
culture génère un ensemble de représentations, croyances, conventions qui permettent à
ses membres d'interpréter les événements qu'ils observent et de communiquer avec leurs
semblables. Ce système de " significations " constitue une psychologie que certains qualifient
2
Cf. Collectif, Représentations du handicap. Vers une clarification des concepts et des méthodes, CTNERHI,
1990, p. 241. Voir aussi : H. Paicheler, en collaboration avec Jean-François Ravaud et Eric Hauet, Trajectoires
sociales et inégalités liées aux déficiences et incapacités fonctionnelles, Toulouse, Erès, 1994.
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de " populaire " ou de " naïve " ou encore de " sens " commun . Ainsi, tel comportement d'un
congénère pourra être " expliqué " par sa " personnalité ", par ses conditions d'existence ou
encore par l'emprise de forces démoniaques, selon le type de psychologie à l'œuvre.
La psychologie populaire nous fournit donc un ensemble de " connaissances " sur ce
qu'est une personne, la façon dont s'agencent les traits de personnalité, sur les différentes
manières d'agir – bonnes et mauvaises – en différentes circonstances…, connaissances que
nous utilisons aussi bien pour nous situer nous-mêmes que pour définir d'autres personnes. En
effet, c'est encore dans le cadre de la psychologie populaire que nous interprétons nos propres
expériences individuelles et sociales et c'est donc à partir des mêmes représentations
culturelles que nous donnons un sens à ce que nous sommes, que nous construisons notre
identité.
De nombreuses recherches en psychologie sociale ont montré que, dans les cultures
occidentales, les individus surestiment le poids des caractéristiques personnelles et
négligent les facteurs externes liés à la situation dans l'explication des comportements
humains. C'est la raison pour laquelle les approches du handicap se sont majoritairement
centrées sur l'individu plutôt que sur l'environnement. Si elle est biaisée, une telle conception
est toutefois cohérente avec une représentation de l'individu libre, autonome et responsable de
ses actes à l'œuvre dans notre psychologie populaire, représentation qui semble bien remplir
une fonction sociale de maintien de l'ordre établi. En effet, considérer l'individu comme cause
de son comportement permet de ne pas questionner les pratiques sociales.
L'expérience d'un handicap n'échappe pas à la psychologie populaire qui l'interprète, en
envisage les conséquences sur l'individu, sa vie, sa personnalité, ainsi que les différentes
façon d'y réagir.
2. La représentation sociale des déficiences et des personnes en situation de handicap est par
définition évolutive, en constante évolution. Elle varie par ailleurs en fonction des groupes
sociaux, des cultures, des contextes, périodes historiques etc. L’évolution du vocabulaire est
lui-même révélateur des changements de perspective (cf. séance 1 sur le vocabulaire ; séance
3 sur l’évolution de la position des personnes handicapées dans la société).
3. Par ailleurs, il faut distinguer au moins entre :
- les personnes en fonction de leur rapport « objectif » au handicap : la représentation des
déficiences et des personnes en situation de handicap ne seront pas les mêmes par exemple
chez :
les personnes souffrant d’une ou de plusieurs déficiences (avec des différences au sein de
ce groupe selon le profil des personnes, les types, degré, origine etc. des déficiences)
leurs familles, leurs proches…
les professionnels en contact avec des personnes souffrant de déficiences
des personnes a priori extérieures au monde du handicap
- les différentes formes de déficiences, d’incapacités et de handicap : la représentation sociale
des déficiences varie selon qu’il s’agit de déficiences mentales, intellectuelles, ou physiques,
motrices ou sensorielles. Les représentations sociales varient également en fonction de la
déficience : la représentation des sourds n’est pas la même par exemple que celle des
aveugles. Par exemple, la frontière est floue pour le commun des mortels entre déficiences
mentales et intellectuelles d’une part, maladie mentale d’autre part, avec une tendance à une
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vision globale du « fou », « déséquilibré ». S’agissant des déficiences physiques
particulièrement visibles (mutilation, visage défiguré…), c’est le rapport au corps qui est ici
engagé, l’intégrité corporelle atteinte.
Egalement, la représentation sociale est évolutive et dépend de la nature et de l’origine
du handicap.
Quelle que soit la nature, le degré et l’origine de la ou des déficiences, travailler sur sa
représentation sociale (RS), i.e. sur les modes de production et le contenu de représentations
collectives, partagées des HID, sur des structures structurantes, des préjugés, suppose : étudier
la RS :
d’une déficience, d’une incapacité et/ou d’un désavantage social ou handicap en
résultant ;
d’une population déterminée
de ce qui peut être perçu comme une différence par rapport à la norme
d’une minorité perçue sur le plan de l’impact social et/ou de la déviance (peut
informer plus largement sur la représentation sociale de la déviance).
Il existe plusieurs recherches de RS portant en particulier sur : les handicaps
physiques, moteurs, les handicap mentaux, les handicaps sensoriels.
Il existe également des travaux intéressant, en France et particulièrement aux EtatsUnis, portant sur les RS des personnes âgées et des personnes souffrant de maladies
chroniques.
Identité et représentation sociale des handicaps moteurs.
La recherche sur les attitudes à l’égard des personnes handicapées physiques, motrices en
particulier, quoique en perte de vitesse (contestation de la notion d’attitude) a foisonné dans
les années 50 et 70, tout particulièrement dans la littérature nord-américaine (cf. Cloerkes,
1981 ; Giami, 1986).
Ont été étudiées : les attitudes de parents, de frères et sœurs d’enfants handicapés, de
professionnels de la réadaptation, de pairs dans des situations d’intégration scolaire et de
sujets naïfs. Les attitudes a priori négatives à l’égard des personnes handicapées étaient
considérées comme la cause des comportements discriminatoires dont ces personnes font
l’objet. Pourtant, les résultats des nombreuses recherches se sont révélées être contradictoires,
qu’elles portent sur les préjugés ou sur les comportements observés. On a pu montrer des
comportements positifs et même des effets de surévaluation des personnes handicapées vis-àvis des personnes valides3).
On peut citer les travaux menés par un groupe de travail se consacrant aux représentations
sociales et à l’identité des personnes handicapées, coordonné par le Professeur M. Deleau
(Rennes 1, H. Paicheler (GRIFSS : groupe de recherches sur l’Idéo-Logique et les
Fonctionnements Socio-cognitifs) et Jésus Sanchez (CTNERHI : centre technique national
d’études et de recherches sur les handicaps et inadaptations).
3
H. Paicheler et al., « Des comportements vis-à-vis des handicapés », Handicaps et inadaptations, n° 16,
octobre-décembre 1981.
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Au début des années 80, Henri Paicheler (MCF à l’Université Paris VII, psychologie) et ses
collaborateurs ont étudié la façon dont le grand public se représente les personnes
handicapées. Leurs résultats montrent deux représentations divergentes des personnes se
déplaçant en fauteuil roulant. L'une, majoritairement exprimée, leur attribue anxiété et
introversion ; l'autre, au contraire, associe à la déficience un type de " personnalité calme,
contrôlée, rationnelle… Analysant ces représentations en regard de représentations plus
générales véhiculées dans la psychologie populaire, les auteurs constatent que la
représentation majoritaire coïncide avec celle de la " personne inadaptée , tandis que l'autre
représentation correspond à la personne-type qui aurait " réussi sa vie sociale et
professionnelle Une autre représentation, celle de la personne " bien dans sa peau , spontanée,
confiante et insouciante, utilisée pour décrire des valides, n'est quasiment jamais attribuée aux
personnes en fauteuil roulant.
Une autre étude, réalisée à la même époque auprès de professionnels de la réadaptation
(médecins, kinésithérapeutes, ergothérapeutes), fait émerger des représentations très proches
des précédentes pour décrire cette fois les personnes handicapées qui ont " surmonté leur
handicap et celles qui n'ont " pas surmonté leur handicap . Ainsi, pour les professionnels
comme pour les profanes, il n'existe qu'un mode d'adaptation, qu'une façon de " surmonter son
handicap se traduisant par le fait de posséder un moi fort, caractérisé par le contrôle de soi, la
stabilité et la persévérance.
Ces résultats viennent étayer les " théories de l'étiquetage (labelling) qui mettent en évidence
les effets préjudiciables du processus de stigmatisation. Pour les tenants de ces théories,
étiqueter une personne comme handicapée ce n'est pas seulement décrire un type de
déficience, c'est lui attribuer un ensemble de caractéristiques qui sont culturellement
associées à cette déficience. C'est la personne entière, sa " personnalité ", qui sera interprétée
à la lumière du handicap. En se conformant aux attentes inhérentes au stigmate, la personne
entre alors dans une " carrière " de déviant et, à la déficience initiale, s'ajoute un handicap
psychologique. Le fait que ce dernier soit considéré comme directement associé à la
déficience vient entériner le processus. Dans cette perspective, la stigmatisation souvent reliée
à l'institutionnalisation contribue à renforcer les stéréotypes et génère l'incompétence et la
dépendance des personnes handicapées.
Parmi des travaux récents, on peut citer également ceux d’Isabelle Ville4, psychosociologue à
l’INSERM, qui a travaillé sur les notions d'identité, de représentations et de handicap, et la
représentation sociale et l’identité des handicapés moteurs.
Identité, représentations et pratiques forment un tout indissociable, comme l'illustrent les
résultats d'une étude visant à comparer les descriptions que des personnes valides,
paraplégiques ou présentant des séquelles de poliomyélite font d'elles.
La présence d'incapacités motrices, quelle qu'en soit l'origine, conduit les personnes à se
percevoir comme étant audacieuses et volontaires. Par ailleurs, les personnes " post-polio
se distinguent des autres personnes interrogées en mettant en avant des qualités de maîtrise de
soi, de sens du devoir et de rationalité. Ces caractéristiques particulières se retrouvent quelles
que soient les appartenances sociales d'âge et de sexe, les personnes post-polio exprimant une
4
I. Ville, « Images du handicap dans la société, in Jean-Pierre Held et Olivier Dizienne (dir.), Traité de médecine
de rééducation, Paris, Flammarion, 1998, p.794-795 ; I. Ville et J._F. Ravaud, « Représentations de soi et
traitement social des déficiences », in Sciences sociales et santé, 1994, 12 (1), p. 7-30.
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identité homogène alors que les personnes valides et paraplégiques donnent des portraits
d'elles-mêmes très diversifiés en fonction de ces mêmes appartenances. Le contexte sociohistorique servant de fond à l'apparition des déficiences permet de comprendre les différences
observées. C'est en 1950, en moyenne, que les personnes post-polio qui ont participé à l'étude
ont acquis leur handicap. Cette moyenne est de 1973 pour les personnes paraplégiques.
L'identité " spécifique " exprimée par les personnes post-polio semble pouvoir s'expliquer
comme une réponse au processus de normalisation dans lequel elles se sont davantage
engagées compte tenu d'une part, de l'antériorité de leur handicap, et d'autre part des longues
périodes d'institutionnalisation imposées par le suivi de cette pathologie à cette époque. Mais
la marche vers la normalisation a été coûteuse en énergie, fatigue… pour ceux qui s'y sont
engagés – comme le laisse suggérer le débat actuel autour du syndrome post-polio. La
" réadaptation réussie , aboutissement de ces durs efforts pour répondre à la demande sociale,
illustre, érige en modèle la grande volonté et la grande maîtrise qu'ont d'elles-mêmes les
personnes concernées ainsi que leur capacité à " faire face ".
L'individualisme de notre sens commun produit le renversement suivant : de termes
génériques résumant un certain type de comportements, les caractéristiques de personnalité
deviennent explicatives de ces mêmes comportements : " c'est grâce à ma volonté, mes
capacités de contrôle que je suis parvenu à travailler et à mener une vie normale . Erreur
fondamentale qui favorise les causes internes et néglige l'influence des pressions sociales ?
Elle n'en a pas moins pour fonction la légitimation d'un certain type de traitement social des
déficiences, celui de la normalisation à l'œuvre dans les pratiques de la réadaptation, à cette
époque.
Le nouveau contexte qui commence à s'imposer au début des années quatre-vingt laisse
entrevoir une alternative à « faire comme les autres ». Une nouvelle forme de
reconnaissance sociale par d'autres voies que celle de la normalisation apparaît. L'insertion
professionnelle n'est plus l'objectif prioritaire et le droit au non-travail, à une époque où le
chômage augmente et où d'autres ressources sont possibles, est revendiqué par certaines
personnes handicapées. L'amorce d'un changement a permis de produire de nouvelles images :
comme celle du handicap contribuant à la diversité physiologique d'une culture plus riche, qui
commence à émerger, offrant ainsi de nouveaux modèles d'identification aux personnes
handicapées et enrichissant la psychologie populaire.
Ces quelques exemples illustrent le caractère éminemment socio-historique de
l'approche du handicap et la nécessité d'aborder cet objet d'étude en relation avec le
contexte, les pratiques et les représentations. Les travailleurs sociaux et le personnel
paramédical sont au cœur même de ces processus de par leur engagement dans l'interaction
avec des personnes handicapées, leur savoir et leur statut. Par leurs pratiques, en définissant
les modalités de traitement, les objectifs à atteindre, la durée d'institutionnalisation, etc., ils
peuvent contribuer inconsciemment à renforcer des images existantes ou, au contraire,
participer à l'émergence de nouvelles représentations en laissant la porte ouverte à la
négociation avec les personnes concernées.
Identité et représentations sociales du handicap mental
Si le regard sur le handicap mental s’est transformé, une représentation sociale
spécifique demeure qui peut être perçu comme un obstacle à l’intégration sociale de ces
personnes. Certaines problématiques ont été particulièrement étudiées dont : représentation de
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la sexualité des personnes handicapées mentales (cf. A. Giami) ; travail des personnes
handicapées mentales.
- La transformation du regard sur le handicap mental
Les stratégies éducatives mises en œuvre pour favoriser l’intégration des handicapés mentaux,
en particulier leur intégration socioprofessionnelle, sont allées de pair avec une transformation
du regard porte sur le handicap mental. Le handicapé mental est d’abord synonyme de
déficient intellectuel et pour qu’un individu soit considéré comme une personne atteinte d’une
déficience intellectuelle, il est aujourd’hui admis qu’il doit présenter à la fois une altération du
fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif (cf. infra).
D’Alfred Binet et Théodore Simon (1910) à nos jours, on admet consensuellement que les
handicapés mentaux se caractérisent par une adaptation sociale limitée en raison d’un
fonctionnement intellectuel inférieur à la moyenne5.
Quelles que soient les définitions données, deux notions dominent : le déficit intellectuel ;
l’inadaptation.
Comme le remarque Romain Liberman, la population cataloguée handicapée mentale ne
recouvre pas seulement des personnes dites déficientes intellectuelles mais également des
psychotiques ainsi que des adultes qui sans être déficitaires sur le plan intellectuel, ne
parviennent plus à s’insérer socialement.
La notion de handicap mental : recouvre de nombreuses pathologies et situations contrastées :
Retard mental
Déficiences intellectuelles (quelle que soit leur origine et leur gravité) ; ce que l’on
appelait auparavant la débilité
Autisme (trouble global et précoce du développement apparaissant au plus jeune âge
se caractérisant par un fonctionnement déviant et/ou retardé dans les domaines de la
communication verbale et non verbale et du comportement ; il existe de très nombreuses
formes d’autisme)
Epilepsie (maladie neurologique qui exprime le fonctionnement anormal, aigu ou
transitoire de l’activité électrique du cerveau)
Psychotique (sujet chez lequel plusieurs facteurs constitutionnels, organiques ou
affectifs, peuvent entraver l’émergence des facultés intellectuelles. Toute acquisition nouvelle
est rejetée car elle pourrait compromettre un compromis difficilement acquis d’où une
ouverture au monde limitée. Les troubles sont diversifiés : vision déformée de la réalité,
difficultés à mettre en forme, à symboliser, à intégrer les expériences dans un ensemble
cohérent. Les psychotiques sont souvent socialement en opposition à l’organisation sociale,
5
Sur cette histoire : cf. cours d’histoire (infra) ; en particulier sur l’évolution de la représentation de la folie
depuis l’âge classique (XVIIe siècle) : Michel Foucault. Création des classes de perfectionnement de l’Education
nationale en 1909 sous la férule de Binet et Simon pour accueillir les « débiles » de la République, l’école
républicaine obligatoire de Jules Ferry ayant mis en évidence l’inadaptation scolaire de certains enfants dont les
enfants de la campagne et créé ainsi artificiellement une nouvelle classe d’enfants dits « sauvages », affublés de
l’étiquette « débiles mentaux ». D’Ernest Dupré (médecin aliéniste du début du XXe siècle) à nos jours, on
s’accorde aussi sur l’existence dans cette population du syndrome ou de symptômes de la débilité motrice dont
les troubles principaux sont la maladresse, les syncinésies et la paratonie. D’où l’intérêt de recourir à l’EPS
comme moyen éducatif, rééductif ou thérapeutique du mouvement.Le regard sur la maladie mentale et la
déficience intellectuelle a évolué tandis que s’affirme la notion de handicap mental qui met l’accent sur le
désavantage social, l’inadaptation.
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scolaire ou autre, ce qui les conduit à perturber les activités auxquelles ils participent ou à
adopter des conduites d’évitement ou d’inhibition et trouver refuge dans la toxicomanie ou le
suicide)
Trisomie : anomalie génétique (apparition d’un chromosome supplémentaire) dont la
plus connue est la trisomie 21, à l’origine de nombreuses déficiences intellectuelles (mais il en
existe d’autres répertoriées dans les causes anténatales à de nombreuses pathologies mentales)
- Une représentation faisant obstacle à l’intégration sociale de la personne.
En fonction de la nature et de la gravité de la déficience, le handicap peut être plus ou moins
stigmatisant dans une société valorisant l’efficience intellectuelle et n’accordant à la catégorie
de retard mental aucune place, aucune utilité, d’où la nécessité pour le handicapé mental de
prouver à chaque moment de sa vie en milieu ordinaire sa compétence aux autres et de s’en
convaincre lui-même.
Erving Goffman, dans son étude sur les rapports sociaux en institution asilaire, montre que la
folie ou le « comportement anormal » attribué au malade résulte pour une grande part non de
sa maladie mais de la distance sociale qui sépare ce malade de ceux qui le déclarent tels. Il
montre que la distance est immense et la plupart du temps imposée par l’institution asilaire.
Barrières, limitation de contacts qui entretiennent une image stéréotypée et antagoniste que
chaque groupe se forme de l’autre. Certes, fonctionnement asilaire (HP) a depuis
considérablement changé. Demeure cependant les pbs posés par une distance
(nécessaire/protectrice) ainsi que ceux plus largement liés à la représentation sociale qui
perdure du handicap mental, qui constitue un obstacle à l’intégration sociale de la personne
Le handicap mental fait toujours peur. Les gens, en général, ne connaissent pas de personnes
handicapées et s’en font des représentations souvent fausses : représentation de personnes
violentes, incapable de se contrôler et dangereuses pour leur entourage.
- La sexualité des personnes handicapées mentales.
Alain Giami, directeur de recherches à l’INSERM, a étudié la représentation sociale du
handicap mental, en particulier la question des relations socio-sexuelles des personnes
handicapées mentales (cf. supra, séance 2). Il montré qu’il existe en la matière un tabou : « la
maladie est incompatible avec la sexualité ». A travaillé sur les problèmes spécifiques que
soulève cette question pour leur entourage (parents, éducateurs).
Représentations sociales du handicap et de la mise au travail des personnes handicapées
(G.Bazier & M. Mercier)
Nous repartirons ici des résultats d'approches cliniques des représentations proposées par
Jean-Sébastien Morvan. Ce dernier a étudié spécifiquement la déficience mentale mais ses
résultats peuvent s'appliquer à d'autres handicaps. Selon J.-S. Morvan, cinq catégories
d'images sous-tendent les représentations des personnes handicapées. Elles sont liées à l'objet
du handicap, aux symptômes, aux déficiences, à ce qui est observable dans les fonctionnalités,
les relations et les inadaptations sociales.
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1. L'image sémiologique est celle qui met l'accent, pour le handicap physique, sur le corps
atteint, impotent et impuissant; pour la déficience mentale, sur le mongolisme, l'autisme et la
folie qui donnent lieu aux images prégnantes. C'est donc sur la déficience en termes de
manques et de pathologies que l'accent est mis. L'idée véhiculée n'est pas celle de potentialités
susceptibles de se développer, dans une dynamique évolutive et de progrès.
2. Dans l'image figure porteuse, les personnes handicapées sont perçues comme des enfants,
même si elles sont adultes, incapables de s'insérer par leurs propres forces dans la vie sociale
et incapables d'être autonome. Elles sont de grands enfants tel que nous le suggérions dans
l'ouvrage Sexualité, vie affective et déficience mentale (1997), avec qui nous développons des
relations infantilisantes. Ici encore, l'image est négative : il s'agit de l'enfant en tant que
manques, alors que cette image devrait aussi évoquer le dynamisme et la capacité d'évolution
que l'on attribue à l'enfant normal.
3. L'image secondaire traduit le retentissement du handicap. En effet, pour la personne
handicapée physique, l'accent est mis sur l'assistance technique et l'objet palliatif : ils sont à la
fois corps étranger et prolongement de soi, objet réparateur et compensateur qui constitue et
détermine l'image que l'on a des personnes handicapées. La personne déficiente mentale, par
contre, renvoie à une image secondaire de monde clos et d'enfermement affectif, sans doute
parce que l'on veut prendre ses distances vis-à-vis d'elle, affirmer sa différence et éviter la
proximité et la ressemblance. Pour le handicap physique, il s'agit donc d'une approche
fonctionnelle où l'assistance technique rétablit certaines capacités mais maintient l'image
négative de dépendance, de difficulté relationnelle, de différence stéréotypée, par les
techniques palliatives. Le monde clos de la personne déficiente mentale et la différence sont
renforcés par les incapacités scolaires : dépasser cette image est l'un des enjeux de
l'intégration scolaire des personnes déficientes mentales dans l'enseignement ordinaire, dans
une perspective de changer d'abord les représentations et la socialisation, avant de s'intéresser
au développement cognitif qui ne sera jamais normalisé.
4. L'image affective représente le vécu affectif de la personne handicapée. Le handicap
physique véhicule une image de vouloir vivre, de volonté de s'adapter, de capacité
d'autonomie. La déficience mentale renvoie à l'image affective vide et close. L'image affective
est donc positive pour la personne handicapée physique et contraste avec les images négatives
(contradiction), mais elle est foncièrement négative pour la personne déficiente mentale.
Soulignons cependant qu'il y a souvent association des images de déficiences physiques et
mentales chez l'employeur, par exemple. L'image à l'égard de la personne handicapée mentale
traduit l'ambivalence de la compréhension affective de l'entourage : c'est donc la relation avec
l'objet qu'est la déficience mentale qui déterminerait l'image. La personne handicapée
physique porte une image de capacités d'en sortir, tout en étant affublée d'incapacités ; la
personne handicapée mentale porte une image de non compréhension et de repli sur soi, bien
qu'on lui attribue fréquemment une caractéristique d'exubérance, de trop plein affectif,
d'envahissement des autres.
L'image que l'on a de la personne handicapée physique enfuit le sujet derrière les symptômes
et derrière les techniques de réadaptations fonctionnelles. Les techniques affleurent
(exubérance), mais on la situe en arrière plan de ce qui est perceptible (monde clos) dans
l'image de la déficience mentale.
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5. L'image relationnelle sous-tend les relations affectives (relation à l'objet, au sujet
handicapé) que les autres ont avec la personne handicapée. Un sentiment de malaise et
d'inadaptation de la société prévaut à propos de la personne handicapée physique ; pour la
personne déficiente mentale, c'est la peur du rejet qui prédomine. Une capacité de développer
une relation positive avec la personne déficiente mentale est attribuée aux professionnels : une
relation du je au tu mais où le je du professionnel est dominant.
Les deux dernières images sont les plus handicapantes. Elles traduisent le vécu affectif de la
déficience qui attribue des affects à la personne handicapée et identifie son propre malaise par
rapport au handicap (par rapport à l'objet de la représentation). Les images de désavantage,
inadaptation, crainte, malaise, prédominent : elles sont prégnantes pour la personne déficiente
mentale et sont compensées par le désir de vivre et d'être autonome attribué à la personne
avec un handicap physique.
Ces images se regroupent et s'articulent pour former des représentations sociales, elles-mêmes
liées à nos modèles culturels, nos idéologies et nos connaissances scientifiques du handicap
(qui est le troisième niveau de détermination des représentations, l'idéologique).
Les représentations sociales déterminent notre conception du handicap ainsi que nos relations
sociales avec les personnes handicapées. Elle véhiculent nos idéologies et nos stéréotypes
culturels à propos des autres, dans leurs différences et leurs ressemblances. L'auteur que nous
suivons met en évidence cinq types de représentations sociales à propos du handicap :
des représentations qui sous-tendent et sont sous-tendues par des concepts qui
classifient les handicaps ;
des représentations qui sont source d'exclusions, de rejets, de refus des différences ;
des représentations qui ramènent le handicap à des prothèses techniques, humaines,
physiques ou institutionnelles ;
des représentations qui réduisent le handicap à des affects de souffrance ;
des représentations qui assimilent la personne handicapée à l'enfant.
La combinaison de ces différentes représentations sociales génère des images complexes de la
personne handicapée : le handicapé est enfant, classé, prothèsé, rejeté, institutionnalisé,
souffrant.
Les images affectives et relationnelles, ainsi que les représentations sociales d'exclusion, de
rejet et de méconnaissance des différences ou des ressemblances, déterminent les relations
sociales et les relations de sujet à sujet de la personne handicapée avec son entourage. La
personne handicapée physique est perçue à la fois positivement comme ayant la volonté de
vivre et négativement comme enfermée dans sa souffrance : le regard des autres reste un
regard de malaise et de culpabilité, avec un sentiment d'inadaptation de et à la réalité sociale.
La personne déficiente mentale est perçue comme affectivement vide et close, comme source
de malaises et de craintes pour les autres. Cependant, la prise de conscience des
représentations sociales négatives et l'appui sur des représentations positives permettent
d'envisager des modifications des relations pour déboucher sur une communication
émancipatoire de je à je. Dans les interventions avec les personnes handicapées, les
représentations peuvent être modifiées grâce aux actions de certains professionnels et
chercheurs. C'est là tout l'enjeu des valorisations des rôles sociaux, de créativité, de
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Sociologie et déficiences – FSSEP Université Lille 2 – Corrine DELMAS
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participation à la vie sociale, d'accompagnement, de partenariat, etc. Les changements de
représentations et d'attitudes de professionnels et de chercheurs sont susceptibles de
transformer les relations pédagogiques et les connaissances scientifiques pour les introduire
dans des relations de sujet à sujet. Il s'agit d'analyser les représentations sociales pour tenter
de les modifier du côté des entrepreneurs et du côté des personnes handicapées elles-mêmes.
C. La personne handicapée et la société : de l’optique réadaptative à l’autonomie
Nous verrons un peu plus loin (dans le cadre du cours d’histoire) les différentes étapes
historiques ayant caractérisé le passage d’une optique réadaptative à l’autonomie. Il importe
simplement de souligner ici le changement de perspective que cette évolution a induit : d’une
optique rééducative centrée sur la personne déficiente qu’il s’agissait de rééduquer, réadapter
à la vie sociale et professionnelle, on est passé à une approche davantage orientée vers la
responsabilité de la société et la nécessaire mise à niveau de celle-ci avec les revendications
en termes d’accessibilité : il faut rendre les lieux publics, les lieux de vie et plus largement la
société accessible aux personnes en situation de handicap – d’autant plus que tout individu
peut se retrouver placé en situation de handicap. L’objectif est également et de plus en plus
(du moins au niveau discursif…) de garantir l’autonomie des personnes en situation de
handicap.
1. Rééducation, réadaptation
Les représentations véhiculées par la psychologie populaire prennent leurs racines dans un
contexte historique et socio-économique qui détermine des pratiques. Ainsi, Stiker (1982)
montre comment la culpabilité et l'obligation morale à l'égard des victimes de la première
guerre mondiale fait émerger une nouvelle conception de l'infirmité : l'assistance cède le pas à
la réadaptation. Il s'agit désormais de remplacer ce qui manque, de faire " comme si " il n'y
avait pas de différence. L'infirme qui indiquait l'exceptionnel, l'altérité, doit retourner à la
vie ordinaire, être replacé dans le système du travail et de la consommation. La réadaptation
bat son plein dans les années cinquante, période de croissance économique, à laquelle aucune
protection sociale n'est offerte aux personnes handicapées, la seule alternative à l'assistance
étant l'insertion professionnelle que la réadaptation va donc s'efforcer de promouvoir.
Les nouvelles législations qui apparaissent dans les années soixante-dix s'accompagnent d'une
évolution dans le processus de réadaptation et le traitement social réservé aux personnes
handicapées. Aux Etats-Unis, le handicap qui appartenait exclusivement au domaine médical,
pénètre les sphères sociales et politiques avec, en particulier, le statut de " groupe
minoritaire " accordé aux personnes handicapées. L'intérêt se déplace des incapacités et de la
volonté de normaliser vers des préoccupations en terme de bien-être et de " qualité de vie
Une évolution similaire est décrite en France par Ebersold (1991) où la gestion de la
déficience qui, auparavant, privilégiait la dimension professionnelle et scolaire de l'insertion
fait progressivement place à une démarche intégrationniste prenant en considération
l'ensemble des facteurs liés à l'environnement et à la place de l'individu dans la société. De
nouvelles thématiques reposant sur l'exclusion sociale viennent ainsi remplacer les
préoccupations relatives à la formation professionnelle et à l'emploi. Cette évolution du
champ de la réadaptation est elle-même liée à des modifications du contexte socio19
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économique : fin de la croissance, augmentation du chômage et apparition des mesures de
protection sociale.
2. Accessibilité et autonomie
L'accessibilité aux personnes handicapées concerne la possibilité pour les personnes
handicapées d'accéder à un lieu physique ou à des informations.
En France, depuis 2006, les pouvoirs publics ont donné une définition à "l'accessibilité" :
L’accessibilité permet l’autonomie et la participation des personnes ayant un handicap, en
réduisant, voire supprimant, les discordances entre les capacités, les besoins et les souhaits
d’une part, et les différentes composantes physiques, organisationnelles et culturelles de leur
environnement d’autre part.
- Accessibilité à un lieu physique pour un handicapé physique. Par exemple, pour un
handicapé en fauteuil roulant, la présence d'une ou de plusieurs marches lui rend l'accès
impossible à certains lieux, il est nécessaire qu'il y ait une rampe inclinée ou un ascenseur
- Accessibilité à des informations pour un handicapé sensoriel. Par exemple, un mal-voyant ne
pourra pas lire un texte écrit normal, il sera nécessaire qu'il soit en grands caractères sur un
fond contrasté ou pour un aveugle converti en texte parlé, ou en texte braille. Un malentendant qui regarde la télévision ne pourra pas entendre les dialogues, il sera nécessaire
qu'il y ait un sous-titre (ou une personne s'exprimant en langage des signes). Dans ces 2 cas, la
solution par le braille ou par le langage des signes est séduisante, mais incomplète : certains
aveugles ne connaissent pas le braille ; de même, certains mal-entendants ne connaissent pas
le langage des signes.
On entend généralement par accessibilité l'ensemble des possibilités économiques,
matérielles, instrumentales, culturelles ou sociales mises à la disposition d'une personne pour
accéder à ce qu'elle vise.
L'accessibilité aux personnes handicapées est un problème public est inscrit à l'agenda du
gouvernement depuis 1975 via l'adoption de la loi n°75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en
faveur des personnes handicapées.
Dans les années 1970, la mise en accessibilité des moyens de transports collectifs
conventionnels n'était qu'un moyen parmi d'autres (taxis, transports spécialisés fonctionnant
en transport à la demande, promotion de la voiture personnelle) pour accroître la mobilité des
personnes handicapées. La politique française fut réformée en 2005 via la loi du 11 février
2005 qui impose la mise en accessibilité du cadre de vie (établissements recevant du public,
transports conventionnels) d'ici 2015.
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