JS Foer - Dis-moi ce que tu manges ...,Ailleurs c`est ici,Une
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JS Foer - Dis-moi ce que tu manges ...,Ailleurs c`est ici,Une
J. S. Foer - Dis-moi ce que tu manges ... Quoi ? Vous avez mangé de la viande à midi ? Vous préparez du poisson pour ce soir ? Tout laisse à penser que le nom de Jonathan Safran Foer vous est encore inconnu … Dans son ouvrage, l’écrivain new-yorkais se livre en effet à une étude de nos comportements alimentaires et de leurs conséquences sur les élevages et les traitements infligés aux animaux. Si vous pensiez vous abriter derrière les labels et appellations tels qu’ « élevés en plein air », « bio », et j’en passe, jetez un oeil à « Faut-il manger les animaux ? ». Loin des discours moralisateurs de certains extrémistes végétar/l/iens, J. S. Foer livre par écrit ses propres réflexions sur quelle alimentation donner à son jeune fils. Et il tient à ce que le lecteur garde à l’esprit que c’est le père de famille qui est allé visiter des élevages considérés comme traditionnels. Il a également rencontré d’anciens (ou actuels) employés d’élevages industriels (…ayant presque toujours souhaité garder l’anonymat). Ces mêmes élevages où vetusté, torture et barbarie représentent souvent le quotidien des animaux qui y sont cultivés (peut-on vraiment parler d’élevages dans ces conditions), abattus, et « préparés » en vue de les rendre « propres » à la consommation humaine. Privations, enfermement, dégénérescence génétique, démembrements à vif … les pires pratiques y passent … et créent des espèces animales mutantes, incapables de vivre à la lumière du jour ou encore de se reproduire entre elles … Des dindes assexuées, des poulets n’ayant comme espace vital que la surface d’une feuille A4, des porcs électrocutés, torturés, de jeunes boeufs castrés à vif … Il est préférable de terminer son assistte avant de reprendre sa lecture… Et pourtant, jamais l’auteur ne se pose en extrêmiste moralisateur mais se propose toujours de fournir les clés pour que chaque lecteur puisse répondre, en son for intérieur, à cette question essentielle, et universelle : « Est-il vraiment naturel de manger des cadavres d’animaux ? » Vous vous en doutez, cette lecture interroge. Retourne. Bouleverse. A découvrir de toute urgence pour se faire sa propre opinion sur la question ! Cet ouvrage, qui fait suite dans l’oeuvre de Foer au succès de « Extrêmement fort et incroyablement près » est le fruit de trois années de recherches et de rencontres. Jeune père, compagnon de la romancière Nicole Krauss, Foer s’affirme comme une vraie figure de la nouvelle littérature états-unienne. Il sort en 2011 son nouveau roman « Tree of Codes ». Bibliographie de J. S. FOER : 2009 : Eating Animals (Faut-il manger les animaux ?) 2005 : Extremely Loud and Incredibly Close (Extrêmement fort et incroyablement près) 2005 : The Unabridged Pocketbook of Lightning 2005 : A Beginner’s Guide to Hanukkah 2004 : The Future Dictionary of America 2002 : Everything Is Illuminated (Tout est illuminé) 2001 : A Convergence of Birds Ailleurs c'est ici Y’a des films qui te retournent le cerveau. Des films qui te transportent temporairement sur un autre plan. « Je me souviens, je me rappelle », dans la nuit lourde, la maison est endormie. Je regarde un court métrage Ailleurs c’est ici. Oui, comme la chanson de Louis-Ronan Choisy. Inlassablement. Encore et encore, je l’ai regardé, cet objet cinématographique. Peut-être sept fois. Sept fois comme le compte égrainé par le héros du film, atteint de troubles obsessionnels compulsifs. Fascinée par cet étrange équilibre mis en place par le réalisateur : certaines séquences sont une invitation à ressentir, d’autres à méditer. Le peu de dialogues est très écrit, l’atmosphère de l’ensemble, rêvée. …/… Strasbourg Saint Denis, un soir d’été – une gouaille de titi, le verbe volontiers fleuri, l’œil vif, la malice aux commissures des lèvres – le voilà mon coupable. Qui penserait à le voir là, à débouler ainsi du métro que ce jeune homme est responsable de ce voyage tout en correspondance, dans l’Ailleurs et ici? Thomas est réalisateur. Quand, à 8 ans, on regarde Alice au pays des Merveilles, en trouvant ce dessin animé fichtrement dérangeant, au même âge, il regardait Cria Cuervos de Carlos Saura. Ca ne s’invente pas. Un héritage paternel, raconte-til. Car le cinéma est familial. A travers une « famille » cinématographique, ou plus simplement, d’amis. Vient le temps de raconter des histoires. Plus tard. Et c’est là que ça devient intéressant. Décidément, chez l’artiste, il y a toujours quelque chose de Dr Jekyll et Mr Hyde. Sirotant tranquillement sa bière, il se marre. Thomas, le cinéphile ne s’entendrait pas bien avec Thomas Creveuil, le cinéaste. Ce qui le meut et l’émeut, Thomas, cinématographiquement ne correspond pas à ce qui sort de sa plume et de sa caméra. Sa came sur l’écran, c’est Desplechin, Garrel. Derrière la caméra, c’est du fantastique. « J’adore le cinéma social, urbain, un peu dur. Les frères Dardenne, par exemple. Mais dès que j’essaie d’écrire un Conte de Noël, c’est du fantastique qui sort. Je crois que c’est mon truc, en fait. » Les voies de la création sont impénétrables. Il ne se l’explique pas. « Jugez-moi. A tout à l’heure » Cinéma Max Linder Panorama, un matin de janvier. 300 personnes dans la salle. On projette Ailleurs c’est ici. Là, tendu, devant tous ces gens, Thomas. – « Merci de vous être levé à 8h du matin / Voilà ce que je fais / Jugez-moi. A tout à l’heure« . Présenter son travail est une démarche bizarre, nous racontet-il. Pudeur, impudeur. A présenter son univers, on s’expose fatalement. Le fil est ténu entre réserve et impudeur. Mais « le cinéma est une affaire de partage ». Son idéal? « Toucher les gens. Qu’ils sortent de la salle en ayant des questions, sur eux-même ». De soi vers l’universel. Moi vers les autres. Les autres, c’est aussi ce qui sous-tend sa manière de travailler. Si on peut être habité par ses personnages, on peut l’être également par ses acteurs, – et c’est sans conteste le cas de Thomas. Et il en parle avec les yeux brillants. Ses comédiens, il bâtit son histoire avec et pour eux. « Je construis avec eux. Tout le temps. En fonction des gens que j’ai en tête. Je les entends parler ». Il avoue que sur le tournage d’Ailleurs, c’est ici, il a supprimé quelques séquences pour que l’équipe aille à la plage. Et à ceux qui clament que c’est un point de vue amateur, rien à foutre. Le bonheur d’être ensemble. « Etre heureux d’être là ». « Les émotions passent par la musique » Dans le métro parisien, un jeune homme, les écouteurs vissés aux oreilles. Les notes d’une chanson « Ailleurs, c’est ici ». Et une vision. « Dans le métro, un soir, en écoutant cette chanson de Louis, j’ai eu la vision de la scène des femmes-taureaux (NDLR: scène clé du film). Mais vraiment tout ». Aveu d’autant plus frappant que la musique a un rôle essentiel dans son courtmétrage. La voix du chanteur est un personnage en lui-même. Il scande, rythme l’intrigue. « Pour moi, au cinéma, les émotions passent par la musique ». Créer de l’image par le son. Les faire correspondre, comme par vases communicants. je me dis qu’il a raison. Et que c’est quand même très baudelairien comme idée. Vous savez, l’idée baudelairienne des correspondances. Que « les parfums, les couleurs, les sons se répondent ». Mon mystère de l’autre soir, à regarder son court, ça venait de là, en fait. Les correspondances, vous dis-je, les correspondances. Des Correspondances aux traversées des portes de la perception, il n’y a qu’un pas. Traversées, c’est d’ailleurs le titre de son prochain projet, avec Louis-Ronan Choisy, Clémentine Poidatz et Julia Piaton au casting. L’histoire? Une société contre-utopique, après une apocalypse industrielle. « Tout est fracassé. Flingué ». Un homme, Louis, tente d’y croire. Je sais pas, vous, mais la dernière fois qu’on m’a raconté l’apocalypse au cinéma, Lars, of course, ça m’a retournée comme une crêpe. De bonne augure? Certainement! AILLEURS C’EST ICI – Trailer from Thomas Creveuil on Vimeo. Ailleurs, c’est ici de Thomas Creveuil. Avec Pascal Barbier, Clémentine Poidatz. 18′. Horizon Pictures – A Travers le miroir. Une séparation Tout semble avoir été dit sur le chef d’œuvre iranien. La critique est unanime. On applaudit le réalisateur Asghar Farhadi, la performance de Leila Hatami, on salue un scénario finement tissé, des personnages miroirs sans teint d’une société iranienne peu connue. Tout est dit et pourtant, on ne peut s’empêcher d’en reparler… Peut-être parce qu’on nous a laissé choisir, sans matraquage publicitaire, d’aller voir ce secret qui se passe de bouches en oreilles ? Peut-être parce que le film déroute par son ambivalente complexité simple ? Sûrement parce que le film reste dans un coin de la tête comme une triste ritournelle dont les quelques accords restant en éternelle redéfinition, questionnent. La première scène du film s’ouvre sur un couple côte à côte et pourtant si lointain. Le juge est pris à parti, chacun semble attendre que l’autre recouvre la raison grâce à son intervention mais la mésentente ne trouve pas d’issue. Elle veut partir, lui veut rester. Une longue séparation commence. La séparation d’un couple, d’un ici et d’un là-bas, d’un fœtus et de sa mère, d’une fille et de son père, de deux couples que tout oppose, de deux Iran roulant à allure différente. D’une rive, le couple central qui reflète un Iran moderne où chaque individu préserve une existence qui lui est propre, où l’identité duale n’a pas pris le dessus, et où le divorce n’est pas un tabou. Nader, père de famille aimant et fils fidèle à son père malade d’Alzheimer. Simin, femme active, réfléchie, que la détermination a rendue froide, mais belle et libre. Leur fille, une adolescente sage et studieuse qui refuse de faire un choix entre les deux parents. Ils évoluent dans une maison confortable. Pourtant, la lumière traversant les pièces ne suffit pas à unir ces êtres. Elle appelle vers des envies d’ailleurs qui divisent. De l’autre berge, le couple iranien plus attendu peut-être, celui de Razieh et son mari, où l’homme, pilier central en voie d’effritement, repose sans jamais l’admettre sur les initiatives secrètes de son épouse dissimulée derrière un tchador protecteur. Bande annonce Simin décide de tenter le coup: elle part vivre chez sa mère pour essayer de faire changer d’avis Nader, attendant sans suite qu’il vienne l’implorer de revenir. Nader s’obstine: il y arrivera tout seul. Il engage alors Razieh, afin de s’occuper de son père malade. Celle-ci accepte, accompagnée de sa petite fille, mais ne dit rien à son mari, un homme impulsif et instable. Quand Nader retrouve son père tombé aux pieds du lit, laissé seul sans surveillance, il renvoie Razieh brutalement sous l’effet de la colère. Celle-ci, enceinte fait une faussecouche. Relation de causes à effets ? Coïncidence ? Mensonges ? Victimes ? Coupables ? Vérités ? Tout se mélange… Les deux couples se retrouvent alors pris dans une bataille judiciaire acharnée lors de laquelle les sentiments des uns et des autres s’entremêlent. Aidés par les traditions, la religion, l’honneur, la vérité, l’obsession, les dominos s’écroulent et les évènements s’enchevêtrent vers une issue de plus en plus incertaine. La religion justement, présente à travers un jeu de voiles croisés et cette scène surprenante. Face à l’homme incontinent, Razieh ne sait pas comment réagir. Doit elle laver le vieillard au risque de toucher à son intimité ? Sa religion le lui autorise t-elle? Elle compose un numéro de téléphone où un savant religieux disponible 24h/24h répond à sa question. Duale, la religion. Ridicule et perverse en motrice de tout cet imbroglio mais aussi gardienne d’une issue favorable quand le doute s’installe et que les pêchés proposent de s’échanger…. Peut-être qu’ Une séparation fait couler autant d’encre car il s’adresse au monde, rapprochant cet Iran trop longtemps resté lointain. Le film a joué les prolongations dans les salles. Où voir Une séparation Faites l'amour... protégés! La comédie musicale Hair, ça vous évoque quelque chose, non ?! Mais oui! Bien sûr me direz-vous « Let the sunshine in » ou « Laissons entrer le soleil». Des cheveux longs, du sexe, de la drogue et surtout de la contestation. Au Palace l’univers soixante-huitard reprend forme mis en scène par Sylvain Meyniac et prolonge les représentations jusqu’au 24 septembre. Hymne intemporel à la liberté! Plus de 40 ans après sa première adaptation française au Théâtre de la Porte Saint Martin avec Julien Clerc, le spectacle phare de la période « Peace and Love » fait encore parler de lui. Il évoque des sujets qui n’ont rien d’anachronique aujourd’hui et offre une nouvelle lecture du mouvement hippie. Psychédélique, sulfureux, sensuel voire même érotique, on comprend bien pourquoi cette comédie musicale avait soulevé tant de contestations et pourquoi le message « Protégez-vous » y trouve parfaitement sa place aujourd’hui. Le fragile personnage principal lutte pour trouver sa place dans cette société. Résistant à ses parents qui souhaitent le voir intégrer l’armée. Le tout sur fond de lutte contre le SIDA … ce qui peut expliquer la participation de Pierre Bergé, président de Sidaction. Même si les comédiens donnent tout, on déplore parfois certaines lenteurs et une acoustique qui ne permet pas de bien saisir les paroles. Pourtant, « Il est interdit d’interdire », « Faites l’amour pas la guerre », et autres slogans sont toujours très actuels. Cette « tribu », c’est ainsi que la troupe s’appelle, nous ouvre de beaux moments de groupe et une mise en scène pêchue. A 21 sur scène et avec une telle volonté d’impliquer le public, on finit forcément par taper dans ses mains et en redemander. Coloré, festif et subversif, Hair version 2011 vaut bien un petit retour à l’heure des « pattes d’eph » ! En ce moment en représentation au Théâtre Le Palace. Pour en savoir plus, rendez-vous sur : http://www.faiteslamour.fr/index.php Théâtre Le Palace 8 rue du Faubourg Montmartre 75009 Paris Distribution Mise en scène : Sylvain Meyniac ; Musique : Galt Mac Dermot Adaptation française : Sylvain Meyniac Direction musicale : Alexandre Finkin ; Costumes : Victoria Vignaux Décors : Anne Wannier Scénographie : Stéphane Baquet Chorégraphie: Jean-Claude Marignale Avec Laurent Bàn, Laurent Marion, Lucie Bernardoni, Lorène Devienne, Corentine Planckaert, Candice Parise, Anandha Seethanen, Camille Turlot, Régis Olivier, Lola Aumont, Jua Amir, Alexander Donesch, Noémie Alazard, Anne Mano, Philippe d’Avilla, Dominique Magloire, Sebastien Lete, Xavier Combs, Alex Finkin, François-Charles Delacoudre et Héloïse Adam. De victimes à bourreaux... « Où j’ai laissé mon âme » retrace le parcours de deux hommes. Deux militaires français « engendrés par la même bataille, sous la pluie de la mousson » au Viêtnam. L’un est capitaine, l’autre lieutenant. Tous deux sont coincés dans le cercle impitoyable de la violence et de leurs pensées. L’un écrit à l’autre pour dénoncer ses dérives, l’autre se débat éperdument avec sa conscience et soliloque. Tous deux sont confrontés à une profonde réflexion sur le Bien et le Mal. Mais, au beau milieu de cette si sournoise guerre d’Algérie, où est le Bien ? Un livre magistral parfois brutal sur la souffrance et la torture. Des hommes face à d’autres hommes. Des soldats face à d’autres soldats. Prêts à se battre quelle que soit la guerre et qui en oublient leur âme. Les gentils contre les méchants, cette simpliste vision de l’histoire n’a pas cours dans ce livre. Des personnages bouleversants, dont l’un des prisonniers Tahar. Victime christique de l’armée française, ce rebelle a quelque chose de douloureux et d’énigmatique. Le capitaine Degorce est une figure forte de résistant et déporté de la Seconde Guerre Mondiale. Il sera le mentor du jeune lieutenant Andréani. Des liens inaltérables naîtront lors des affrontements. Jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes les bourreaux. Sous la plume de ce professeur de philosophie, Jérôme Ferrari, le capitaine Dégorce et le lieutenant Andreani se débattent pour rester droits dans leurs bottes. Jérôme Ferrari nous propose humblement une réflexion prenante, philosophique et poignante. Une histoire bestiale et cruelle. L’Auteur : Jérôme Ferrari aborde sans détours une page noire de l’histoire. Grâce à l’alternance du discours de ses deux personnages pivots, «Où j’ai trouvé mon âme » prend un tour romanesque sans pour autant dénaturer l’importance des faits historiques. Tantôt déchaînés et accusateurs pour Andréani, tantôt littéraires et nuancés pour Degorce, les propos s’équilibrent et sonnent juste. Après s’être essayé au recueil de nouvelles avec « Variétés de la mort », c’est en 2003 que Jérôme Ferrari publie son premier roman, « Aleph Zero » aux éditions Albiana. Prolixe, Jérôme Ferrari publiera chaque année un nouveau roman chez Actes Sud toujours. En 2007, « Dans le secret », « Balco Atlantico », en 2009 « Un dieu un animal ». en 2008 Extraits : « Pendant toutes ces années, il n’a pas vraiment repensé à tous cela ; les guerres qu’il a menées ne lui ont pas laissé le temps, et les dix mois passés à Buchenwald s’étendent derrière lui comme une immense steppe grisâtre qui coupe sa vie en deux et le sépare à jamais du continent perdu de sa jeunesse, mais il n’a pas oublié. Le mois de juin 1944 s’est installé silencieusement dans sa chaire pour y inscrire l’empreinte d’un savoir impérissable qui lui a permis d’expliquer à ses sous officiers : « messieurs la souffrance et la peur ne sont pas les seules clés qui ouvrent l’âme humaine. […] N’oubliez pas qu’il en existe d’autres. La nostalgie. L’orgueil. La tristesse. La honte. L’amour. » [1] «Rappelez-vous, mon capitaine, c’est une leçon brutale, éternelle et brutale, le monde est vieux, il est si vieux mon capitaine, et les hommes ont si peu de mémoire. Ce qui s’est joué dans votre vie a déjà été joué dans des scènes semblables, un nombre incalculable de fois, et le millénaire qui s’annonce ne proposera rien de nouveau. Ce n’est pas un secret. Nous avons si peu de mémoire. Nous disparaissons comme des générations de fourmis et tout doit être recommencé. » [2] [1] « Où j’ai laissé mon âme » Jérôme Ferrari, édition Acte Sud (2010), page 83 [2] « Où j’ai laissé mon âme » Jérôme Ferrari, édition Acte Sud (2010), page 23 "Frontières" sans limites à NAVA Le festival NAVA (Nouveaux Auteurs dans la Vallée de l’Aude) est un monde dans un monde. Une poignée de pèlerins qui s’intéressent aux plumes du théâtre, présentes et futures, au milieu de nulle part, dans un de ces magnifiques paysages français. À l’intérieur de la programmation 2011, il y a eu une œuvre qui sera considérée un jour comme « de jeunesse » d’un auteur résolument nouveau : Régis de Martrin-Donos, aujourd’hui âgé de 23 ans. Baptisée « Frontières », c’est la première mise en espace établie à partir de ce texte. Quels mots ! Et quels comédiens ! Dans le cadre splendide du château de Serre, une chaise attend l’acteur. Le jour s’éteint peu à peu, et, entre chien et loup, le Fils (Sylvain Dieuaide) s’installe. La folie se lit dans son regard, une psychose évidente se confirme sur le visage dès les premiers mots de sa mère (Raphaëline Goupilleau), plutôt marâtre. Elle s’évertue à descendre son fils plus bas que terre, secouant la mémoire du grand frère modèle comme une cloche au-dessus du crâne de sa dernière progéniture tout en l’habillant des pieds à la tête. L’habillant de mots, l’habillant d’insultes, l’habillant pour l’hiver en somme. « Plus je te regarde et plus tu es laid » lance-t-elle. Comme la mère d’H.P. Lovecraft à son fils. Quand on sait dans quelle folie ce rejet maternel a plongé l’écrivain, on ne peut pas se retenir d’imaginer le pire pour ce garçon qui évolue face à nous. Heureusement, il ne se laisse pas brimer sans réagir. On assiste à sa première rébellion envers celle qui l’a mis au monde. Il lui dit qu’il veut sortir, faire sa vie, savoir qui il est, partir à la Guerre. La folie s’exprime enfin. Le Fils est un humain avec des airs de mutant, ou de zombie, aucune importance… Il arrive désormais à sortir le monstre que sa mère a enfanté avec lui. Sylvain Dieuaide offre une interprétation juste, nous faisant par là-même oublier qu’il tient un texte en main. Lorsqu’on suit le fil de son parcours en 2011, il a joué dans « La Coupe et les Lèvres » d’Alfred de Musset mis en scène par JeanPierre Garnier, une œuvre collective où seul le groupe avait sa place, et le seul souvenir marquant que pouvait laisser le comédien était qu’il jouait du piano. Puis il a interprété Jean-Louis dans « Perthus » de Jean-Marie Besset, mis en scène par Gilbert Désveaux. Un rôle très bien incarné mais où il n’était pas le héros. Dans « Frontières », il est ce héros, il habite ce Fils, il est fou et nous emmène sans efforts dans sa folie transcendante. Lorsqu’enfin, il s’échappe, c’est pour tomber sur le balai du gardien de l’immeuble (Yves Ferry), qui finit de dessiner ce monde rédhibitoire aux yeux du jeune homme. Une terre dévastée où la guerre entre Nord et Sud fait rage. « C’est trop tôt pour voir le monde » ou encore « Tu n’as pas le droit ! » lui serine-t-il. Cet échange (comme le reste de la pièce) est magnifiquement mis en espace par Benjamin Barou-Crossman, le gardien et le fils s’installant dans un jeu de chat perché dominant /dominé très esthétique. Il s’avère au moment de partir que cet homme est le père que le Fils n’a jamais connu. C’est l’auteur qui prend un coup d’avance sur le spectateur en faisant se poser la question au personnage avant qu’elle n’arrive à notre esprit. Et cette brillante prise de court sur le public n’est qu’un petit rubis échappé de ce texte qui, entier, est couronné de joyaux. La troisième scène représente le Fils complètement fanatique, ayant traversé des déserts entiers pour rejoindre le front à pied, il rencontre un déserteur (Stefan Delon). Cet homme le met face à ce qui habite souvent la jeunesse : la fougue, la naïveté, la sensation d’être invincible quand on sort enfin à la découverte du monde. Lorsque l’on s’évade « du rêve de ses parents », que se passe-t-il ? Refusant de tuer le soldat, Le Fils repart et expérimente. Il tente de vivre la vie dont il rêvait, et finalement, se retrouve nez à nez avec sa mère, la Guerre est finie, mais il souffre de n’avoir pu se battre. Et c’est dans les derniers mots que naît l’évidence, avec une phrase particulièrement forte, d’un Fils aux ailes coupées adressée à celle qui l’a mutilé : « J’ai compris que mon seul ennemi c’était toi, je te déclare la guerre ». Quand un jeune auteur met ces mots sur du papier, et que d’excellents comédiens les incarnent aux yeux d’un public unanime, on aurait tendance à s’interroger sur ce qui a poussé Régis de Martrin-Donos à écrire cela, à sa vie, à ses blessures. Mais lorsque l’on vit ce moment de théâtre intense dans un festival si singulier, alors on ne peut qu’imaginer le futur et ce qu’on pourra encore découvrir de cet écrivain à la plume si brillante. On ne sort pas du spectacle rassasié, non, on sort conquis et avide de découvrir la suite. La seconde pièce de Régis de Martrin-Donos, « Un garçon sort de l’ombre » sera créée lors de la saison 2011-12 du CDN des Treize Vents à Montpellier du 27 octobre au 4 novembre. La mise en scène sera signée Jean-Marie Besset, et Stefan Delon y tiendra de nouveau l’affiche. Plus d’informations : http://www.theatre–13vents.com Jacques Air Volt: "C'est la musique qui décide" Une après-midi d’été, aux Tuileries. La rumeur ambiante, la terre qui entre dans les ballerines, un coca avec glaçons. Je rencontre Jacques Air Volt, de son vrai nom Denis. En plus de parler, on a joué aux chaises musicales. En une heure de discussion, on a changé quatre fois de tables, chassés par la pluie, les parasols qui ploient sous l’eau, le bruit, le manque de place. L’été est pourri, moi j’vous dis. Heureusement qu’il y a la musique, et son EP à se mettre dans les oreilles, Attendre. Rencontre. Tu t’appelles Denis mais joues sous le nom de Jacques Air Volt. Tu nous racontes son histoire ? Jacques Air Volt est arrivé il y a 5 ans. En fait commençait à monter avec des copains Le monstre de papier, court métrage avec des personnages en papier. J’avais fait musique de ce clip, et je devais trouver un nom. JAV vient on un la de là. En fait, et c’est une exclu attention, Air Volt c’est Voltaire à l’envers, je trouvais que ça sonnait bien. Ensuite, j’ai voulu continuer l’histoire avec une chanteuse qui s’appelle Harmony Baudou. On a fait un duo à partir d’un morceau que j’ai écrit. On a fait pas mal de cafés concerts avec toujours un décor en papier, on s’amusait sur le côté théâtral des choses. Puis des musiciens sont venus, ce qui a mené à Première Bande, qui est composé de chansons enregistrées ces dernières années. Mais alors pourquoi avoir fait le choix de sortir un EP après un premier album ? Parce que je pense qu’aujourd’hui il vaut mieux sortir quatre/cinq titres que treize. Je trouve que cela correspond plus aux attentes des gens. Sur un album, j’ai souvent du mal à tout écouter. Je préfère m’arrêter uniquement sur les morceaux que je préfère. Les Beatles, à cette époque là, sortaient des singles de quelques titres. Et je trouve que ça correspond bien à ce qu’on attend aujourd’hui. Tu as mis un an à produire cet EP. Un perfectionnisme lié à un grand respect de la musique ? Je pense que si on veut faire une bonne musique, il faut y passer beaucoup de temps. Je cherche vraiment à faire quelque chose qui soit un peu différent. C’est peut être un peu audacieux. C’est surtout dur, il faut du temps, trouver les arrangements, chercher les bons mots… Du coup pour faire un album il m’aurait fallu peut être trois ans. Sur 4 titres avec 2 intros j’ai mis 1 an depuis la première prise de guitare ! Tu as toujours fonctionné comme cela ? En fait, quand j’ai voulu faire cet EP, j’ai eu la chance et le confort de travailler dans un très bon studio, avec du temps, donc je me suis dit que j’allais le prendre. Je ne voulais pas que les chansons arrivent posées, mais faire ce que je veux, tout m’autoriser, quitte à détruire les chansons, à les transformer, les déstructurer. C’est ce qu’on a réussi à faire. C’était un de mes rêves d’enregistrer dans ces conditions là, et on y est arrivés. Tu parles de déstructurer. Et c’est vrai que quand on t’écoute, on ne peut que remarquer des ruptures dans l’harmonie des morceaux. Je pense que tu fais allusion à la dernière chanson, Dernière Division, qui passe du jazz à la pop. Le but était de figurer la mort et la vie. C’est l’histoire de quelqu’un qui marche dans le cimetière du pere Lachaise, qui figure la vie et qui regarde des petites filles limite en train de danser sur des tombes. Ca c’est la pop. Et la mort est figurée par le jazz, avec cette espèce de saxophone qui crie, qui est un peu dissonant. Je me suis amusé avec ça en créant des ruptures, de grandes oppositions que j’ai ressenties en me baladant dans le cimetière. C’est vrai qu’on a l’impression que tu accordes autant d’importance à la musique qu’aux paroles. Comme si chacun était porteur d’un sens vraiment distinct, et qu’il n’y en a pas un pour accompagner l’autre. Oui, ils sont à la fois parallèles et liés par le sens. En fait j’essaie de faire que la musique illustre les mots au maximum, qu’elle leur donne un sens. En fait dans le processus de création les deux s’entremêlent. La musique peut aussi nourrir les paroles, même si c’est souvent le contraire. Mais je veux qu’à un moment les deux se rencontrent, que ce soit cohérent, que ça crée un univers réel, un monde. En écoutant les textes, on n’a pas l’impression que tu racontes des histoires mais que tu délivres des touches, des images… En fait c’est plus des descriptions, des questionnements. Ce n’est en effet pas des histoires complètes, il n’y a pas forcément de chute. Parce que j’aime bien qu’on puisse interpréter, qu’on puisse trouver un autre sens. Ou s’imaginer autre chose. J’aime bien les textes à double lecture. Dans ce disque là il y en a peut-être moins, mais j’aime que cela reste onirique. J’essaie que le sens soit donné par la musique. Qu’elle donne le ton du texte. Parce qu’un texte on peut l’interpréter de dix manières différentes, donc peut être que c’est la musique qui décide. Comme si le texte se reflétait dans la musique. Tu as un côté un peu mutin et désinvolte, et en même temps mélancolique. Est-ce que c’est une dualité sur laquelle tu veux jouer ou est-ce que c’est plutôt naturel ? Je n’ai pas trop l’impression de jouer avec, ça vient spontanément. C’est assez sincère. Dans la création, ça vient des influences. J’aime autant Nick Drake que Rage Against the Machine. Les propos sont différents, on ne l’aborde pas avec la même énergie ! Je n’aime pas trop les disques où tout est sur le même temps, ça m’ennuie. Si on prend Grace de Buckley, on passe de chansons presque monastiques à des trucs violents. C’est super, du coup on a envie de réecouter le disque. De toute façon je pense que les disques qu’on réecoute sont ceux qui sont contrastés. Aussi bien dans les propos que dans la musicalité. Et d’ailleurs qui t’inspire ? La chanson française pour les textes et la mélodie : Gainsbourg, Bashung, Léo Ferré, Brel, en passant par Higelin, Jacques Dutronc, Arthur H. Et pour le côté anglo-saxon, Radiohead, les Pink Floyd, Nick Drake, Jeff Buckley à fond… Jeff Buckley et Nick Drake, ça s’entend ! Ca me fait plaisir, ça ! Nick Drake, je l’ai connu à 15 ans, grâce à une cassette que mon frère avait rapportée de l’armée. Il était inconnu, on a commencé à le chanter plus tard grâce à une pub Volkswagen qui reprenait l’un de ses titres ! Ce qui est triste, c’est qu’il s’est suicidé après une longue dépression, sans avoir jamais connu le succès. Il y a dix ans, sa soeur a écrit sur Internet que si cette pub avait été faite avant sa mort, et qu’il s’était senti reconnu, peut-être qu’il ne se serait pas tué. Alors moi je trouve ça quand même terrible ! Je crois qu’il avait une grande frustration, c’est de pas pouvoir jouer en concert, ça le paralysait. Du coup il en a fait très peu. Comme il tournait pas, il pouvait pas se faire vraiment connaître. Il voyait tous les mecs qui jouaient, comme Neil Young, et pas lui. Il jouait dans sa chambre ! Or chanter comme il fait, avec des paroles et des notes qui ont l’air simples mais qui en fait sont super sophistiquées, c’est très dur ! Moi j’ai jamais vu un mec jouer du vrai Nick Drake. Les gens reprennent mais ils simplifient. Je te demandais tes influences parce qu’on t’en attribue un sacré paquet. Tu trouves qu’elles sont justes ? Je trouve surtout ça super, ça veut dire que j’ai quand même un peu réussi mon pari de faire une musique étonnante, un peu audacieuse. Je suis assez fier en toute humilité ! Ca rejoint l’image du perfectionniste. A partir du moment où tu considères qu’un morceau est terminé c’est que tu en es fier, que tu considères qu’il correspond à ce que tu souhaites ? Pour cet EP là, oui complètement. Le but était d’aller vraiment jusqu’au bout d’une destruction. On a réenregistré je sais pas combien de fois les parties, on coupait, on collait. C’était génial. C’est la première fois que j’ai pu aller jusqu’au bout. Jusqu’au bout de quelque chose sans savoir où on allait ! Je savais juste que j’allais faire quatre titres. Tu as grandi auprès de musiciens et d’artistes. Est-ce que tu as dû du coup te poser la question : est-ce que je peux faire autre chose que de la musique ? Je ne me suis jamais posé la question, c’est vrai ! Ah si je voulais être agriculteur à un moment. J’aurais bien aimé être sur mon tracteur. Mais ça n’a pas duré longtemps car un de mes frères m’a dit que quand je serai grand tout serait robotisé, que ce serait des robots qui s’occuperaient de tout. Ca m’a détruit mon rêve et j’ai vraiment pleuré quand, en 6ème, une prof a demandé ce que je voulais faire comme métier plus tard. Je ne savais pas quoi écrire, alors je me suis mis à chialer. Elle m’a demandé pourquoi, je lui ai répondu que c’était parce que je ne pouvais plus devenir agriculteur, à cause des machines. Donc j’ai fait de la musique ! Attendre. Jacques Air Volt. Believe/Zimbalam. Disponible en digital. Crédits photo: Valérie Archeno Mathilde Cristiani
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