Étendue du pouvoir juridictionnel du juge de l`exécution
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Étendue du pouvoir juridictionnel du juge de l`exécution
Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) Étendue du pouvoir juridictionnel du juge de l’exécution le 22 janvier 2015 CIVIL | Contrat et obligations | Procédure civile | Profession juridique et judiciaire | Responsabilité | Voie d'exécution Le juge de l’exécution, qui ne connait que des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée, ne peut statuer sur la responsabilité́ d’un notaire du fait de l’inaccomplissement de formalités dans la rédaction d’un acte de vente. Civ. 2e, 8 janv. 2015, F-P+B, n° 13-21.044 Cet arrêt rendu le 8 janvier 2015 rappelle la conception restrictive développée par la Cour de cassation au sujet du champ des attributions du juge de l’exécution. Il s’agissait en l’espèce d’une banque qui avait consenti à une société deux prêts garantis par une hypothèque sur le bien acquis ainsi que par un cautionnement solidaire et hypothécaire portant sur un immeuble appartenant à des tiers. Ces derniers avaient par la suite vendu l’immeuble grevé à une autre société par un acte établi devant notaire. Le bien en question avait fini par faire l’objet d’une procédure de saisie immobilière engagée par la banque à l’encontre de la société l’ayant acquis, celle-ci ayant été poursuivie en qualité de tiers détenteur. Condamnée en première instance, la société avait intenté une action récursoire à l’encontre des notaires ayant reçu l’acte. Elle leur reprochait de ne pas avoir accompli certaines formalités qui auraient eu pour effet de faire obstacle à la saisie de l’immeuble. Par un arrêt infirmatif, la cour d’appel avait toutefois décidé de mettre hors de cause les notaires en considérant que le juge de l’exécution ne peut connaitre que des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires. Par conséquent, le juge de l’exécution ne pouvait se prononcer sur une éventuelle responsabilité du notaire sans outrepasser le champ de ses attributions. C’est ce que contestait le tiers détenteur à l’occasion de son pourvoi en cassation. Deux arguments principaux avaient été développés. D’une part, le demandeur prétendait que le juge de l’exécution connaît, en vertu de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s’élèvent à l’occasion de celle-ci ou des demandes nées de cette procédure ou s’y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit. Il contestait, d’autre part, l’argument développé par les juges d’appel pour justifier le refus de prononcer le renvoi de l’affaire devant la juridiction compétente. Ceux-ci avaient retenu que le moyen tiré du défaut de pouvoir du tribunal pour statuer sur la responsabilité du notaire constituait une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence, ce qui les dispensait de prononcer le renvoi de l’affaire les concernant devant une juridiction désignée comme compétente. Or, pour le demandeur, un tel moyen n’est pas contenu dans la liste dressée par l’article 122 du code de procédure civile aux termes duquel « constitue une fin de non-recevoir le moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande pour défaut de droit d’agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». La décision rapportée comporte deux aspects intéressants. Le premier a trait à la sphère de compétence du juge de l’exécution dont les contours sont déterminés par l’article L. 213-6 précité. Les termes qui sont employés dans ce texte peuvent prêter à confusion quant au point de savoir où s’arrête exactement les pouvoirs qui sont reconnus à cette juridiction. Le texte donne au juge de l’exécution le pouvoir de connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires mais aussi « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017 Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) l’exécution forcée », ce, « même si elles portent sur le fond du droit », à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. La compétence du juge de l’exécution peut donc dépasser le seul examen du titre exécutoire et porter sur des différends qui naissent dans le cadre des mesures d’exécution forcée. Il est donc nécessaire, pour que sa compétence soit acquise que ces difficultés découlent de la procédure d’exécution forcée. Cette précision contenue dans l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire peut ainsi conduire le juge de l’exécution à connaître de certaines questions de responsabilité dès lors que le lien en question est caractérisé. La Cour de cassation a ainsi jugé, par exemple, que le juge de l’exécution peut être saisi d’une action du débiteur en responsabilité de l’huissier sur le fondement du droit commun, et en particulier d’une action en responsabilité pour abus du droit de saisir (Civ. 2e, 24 juin 1998, Bull. civ. II, n° 222 ; D. 1999. Somm. 221, obs. Julien ; Dr. et patr. 1999. 94, note Théry ; Rev. huiss. 1999. 293. – E. Putman, Dr. et proc. 2004. 345 ; P. Brunel, La juridiction de l’exécution et la responsabilité de l’huissier : compétence et conditions de mise en œuvre, D. 1997. Chron. 370). Toutefois, le juge de l’exécution n’est plus compétent dès lors que ce rattachement à la mesure d’exécution forcée n’est pas établi. C’est la raison pour laquelle la Haute juridiction a précisé que le juge de l’exécution n’est pas compétent pour connaître d’une action engagée par le créancier saisissant à l’encontre de l’huissier de justice fondée sur l’exécution fautive du mandat qu’il lui avait donné (Civ. 2e, 21 févr. 2008, Dalloz actualité, le 4 mars 2008, obs. V. Avena-Robardet ; Bull. civ. II, n° 43 ; RTD civ. 2008. 546, obs. Théry ; Gaz. Pal. 28-30 sept. 2008, p. 19, obs. Brenner ; Dr. et patr. nov. 2008. 94, obs. Lefort). Dans une telle hypothèse, la responsabilité qui est recherchée n’est pas en rapport avec l’exécution de la mesure d’exécution forcée mais se fonde sur le rapport contractuel qui unit le mandataire et son mandant. Elle relève donc du juge du fond de droit commun et non du juge de l’exécution. En l’occurrence, c’est cette subtilité procédurale qui est rappelée par la Cour de cassation lorsqu’elle précise, dans l’arrêt commenté, que la demande formulée par le tiers détenteur, qui tendait à engager la responsabilité du notaire du fait d’une rédaction défaillante de l’acte de vente, était « étrangère aux conditions d’exécution de la saisie » et échappait en cela à la compétence du juge de l’exécution. Elle relevait en réalité d’une prétendue faute commise par le notaire dans l’exercice du mandat qui lui fut confié et ne présentait pas de véritable lien avec les mesures d’exécution qui avaient été engagées. L’autre enseignement de l’arrêt rapporté tient à la précision selon laquelle le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction saisie constitue, selon la Cour de cassation, « une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence ». Cette précision, qui n’est en réalité qu’un rappel d’une solution constante (Civ. 2e, Civ. 2e, 8 juill. 2010, n° 09-65.256 ; V. déjà : 21 avr. 2005, Bull. civ. II, n° 116; D. 2005. IR 1304 ; AJDI 2005. 673 ; Dr. et proc. 2005. 291, obs. Douchy-Oudot.), mérite quelques explications. Elle repose sur une distinction des plus subtiles entre les deux notions de procédure que sont la compétence juridictionnelle d’une part et le pouvoir juridictionnel d’autre part. La première est entendue comme l’aptitude reconnue à une juridiction à connaître d’un litige (S. Guinchard, F. Ferrand et C. Chainais, Procédure civile, 31e éd., 2014, coll. Précis, Dalloz, n° 1472). Elle est déterminée par les règles de droit qui opèrent la répartition de la matière litigieuses entre toutes les juridictions (Sur ce point, v. Rép. proc. civ., v° Compétence, par M. Douchy-Oudot, n° 1) et assurent ainsi la division du travail juridictionnel. Quant à la seconde, elle renvoie plus spécifiquement aux prérogatives du juge, c’est-à-dire au pouvoir qu’il lui est reconnu par la loi de trancher le litige (Sur la distinction : G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, 1996, coll. Thémis, PUF, n° 34 ; H. Motulsky, « à propos de l’arbitrage », JCP 1954. I. 1194 et 1957. I. 1383). Elle soulève non pas un problème de choix de la juridiction mais la question de savoir si le juge saisi a ou non la possibilité de trancher la demande qui lui est soumise. Aussi délicate soit-elle, c’est sur la base de cette distinction que la Haute juridiction précise que le défaut de pouvoir du juge de l’exécution pour statuer sur la responsabilité du notaire constituait, non pas une exception de procédure mais une fin de non-recevoir. Selon elle, le problème ne portait donc pas sur la répartition du contentieux mais sur les prérogatives reconnues au juge de l’exécution. Elle écarte ainsi l’argument du demandeur qui consistait en substance à prétendre que cette hypothèse ne figure pas dans la liste des fin de non-recevoir dressée par l’article 122 du code de procédure, une liste dont on sait aujourd’hui qu’elle n’est pas exhaustive (Ch. mixte, 14 févr. 2003 : Bull. civ., n° 1; BICC, 1er mai 2003, p. 43, avis Benmakhlouf, rapp. Bailly; R., p. 471; D. 2003. Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017 Publié sur Dalloz Actualité (http://www.dalloz-actualite.fr) 1386, note Ancel et Cottin ; RTD civ. 2003. 294, obs. Mestre et Fages ; ibid. 2003. 349, obs. Perrot ; LPA 12 mars 2003, p. 13, note Bernheim; JCP 2003. I. 128, n° 17, obs. Cadiet; ibid. 2003. I. 142, n° 13, obs. Virassamy; ibid. 2003. I. 164, n° 9, obs. Seraglini; Procédures 2003, n° 96, note Croze; JCP E 2003. 707, note Croze et D. Gautier; ibid. 627, n° 4, obs. Caussain, Deboissy et Wicker; CCE 2003, n° 60, note Grynbaum; CCC 2003, no 84, note Leveneur; Rev. arb. 2003. 403, note Jarrosson; Defrénois 2003. 1158, obs. Libchaber; Bull. Joly 2003. 938, note Couret; RDC 2003. 182 et 189, obs. Cadiet et X. Lagarde). La qualification ainsi retenue présentait des conséquences importantes. Techniquement, l’incompétence est sanctionnée par une exception qui doit répondre au régime commun des exceptions de procédure prévu aux articles 73 et suivants du code de procédure civile, ainsi qu’au régime spécifique des exceptions d’incompétence prévues aux articles 75 à 99 du même code. En particulier, l’article 96 du code de procédure civile impose au juge qui relève l’exception d’incompétence de désigner la juridiction qu’il estime compétente, sauf à ce que l’affaire relève selon lui de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère. La qualification de fin de non-recevoir du moyen tiré du défaut de pouvoir de fin de non-recevoir avait donc pour effet principal de dispenser le juge de cette obligation de renvoi qui ne s’applique qu’aux exceptions d’incompétence. Ainsi, si la finalité de cette qualification parait clairement identifiable, l’incertitude qui entoure sa justification, à savoir cette distinction de la compétence et du pouvoir, empêche sans doute que cette solution emporte une entière adhésion. par Mehdi Kebir Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2017