Lettre de démission M. Brest - Ouest

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Lettre de démission M. Brest - Ouest
Monsieur Goulven Brest
Président du Comité National de la Conchyliculture
122, rue de Javel
75015 Paris
à
Monsieur Frédéric Cuvillier
Ministre délégué auprès de la Ministre de
l’Ecologie, du Développement Durable et de
l’Energie, chargé des Transports, de la Mer et
de la Pêche
246, boulevard Saint Germain
75007 Paris
Paris le 28 janvier 2013
Objet : démission
Lettre recommandée avec accusé de réception
Monsieur le Ministre,
Par cette lettre, je vous informe de ma décision de démissionner de mes fonctions de
Président du Comité National de la Conchyliculture.
Ce choix est motivé par le fait que je considère ne plus avoir la capacité de mener à bien les
actions nécessaires à la défense des intérêts de la Conchyliculture. Mes quinze années de
présidence me laissent un goût amer de défaite et d’insuccès tant de nombreux sujets n’ont pu être
traités correctement, en voici quelques exemples.
En premier lieu je constate n’avoir pas réussi à faire prendre en compte par l’Etat la
nécessité de mettre en œuvre une politique forte et efficace de reconquête de la qualité des eaux
dans les secteurs amonts proches de zones de production conchylicoles ou de gisements coquilliers.
Nous nous sommes efforcés de sensibiliser les services et les politiques des niveaux locaux,
régionaux ou nationaux afin de ne pas laisser s’échapper les opportunités offertes par la mise en
œuvre de la DCE pour fixer des objectifs suffisamment ambitieux pour sinon atteindre tout au
moins se rapprocher d’un niveau de qualité optimum.
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Ce long et fastidieux travail fut vain car malgré de grandes annonces politiciennes il n’a pas
été suivi d’effet, mieux l’Etat a même réussi à ne pas afficher comme priorité cet objectif de
reconquête fondamental pour nos activités et combien important sur le plan de la santé publique.
Les services de la commission européenne, aussi stupéfaits que nous lors de l’examen du
plan d’action DCE déposé par la France, ne manqueront pas de le faire savoir.
J’utilise le terme « stupéfait » car les communications de la Commission, du Parlement
européen, de l’Etat sur la nécessité de promouvoir le développement durable de l’aquaculture ont
abouties à ce que les Ministres Chargés de l’aquaculture ont organisé les assises de la
Conchyliculture aussi, sur cette question de la qualité des milieux, il me semblait qu’un minimum de
considération ou d’égard vis-à-vis de nos activités aurait été de bon ton.
Une deuxième « chance » nous est offerte au travers du « chantier » ouvert par la Directive
Cadre Stratégie pour le Milieu Marin, mais encore une fois la vision à court terme l’emporte et l’on
fait le choix de reprendre les indicateurs français de la DCE…
Et une fois encore on tente de nous rassurer sur des objectifs « nouveaux » qui je le
rappelle auraient dû être définis et de longue date atteints puisque inscrits dans la directive n°
79/923/CEE du 30/10/79 relative à la qualité requise des eaux conchylicoles que la France s’est
empressée de ne pas mettre en œuvre.
Cette politique m’apparait résulter du manque de moyens ministériels dont s’est, de tout
temps, doté l’Etat pour traiter des sujets conchylicoles. En effet, au sein de la Direction des Pêches
Maritimes et de l’Aquaculture les effectifs du Bureau de la conchyliculture et, ironie du sort, de
l’environnement se comptent sur les doigts d’une main, si l’on considère qu’ils sont affectés à plein
temps aux objets de l’intitulé que porte ce Bureau.
Pourtant nous ne manquons pas d’attrait en ces temps difficiles, sur le plan
socioéconomique l’activité de production conchylicole représente un nombre d’entreprises, de
navires et d’emplois supérieur à celui de la pêche et d’autre part la répartition de nos activités sur le
littoral contribue à la vitalité de territoires très dépendants des saisons estivales. A cela s’ajoute un
très important potentiel économique et social mais aussi de forts atouts environnementaux qui
pour se développer demandent un réel soutien à condition que l’on veuille prendre la peine de s’y
intéresser, promouvoir le secteur en faisant preuve de bonne volonté et d’un peu d’imagination.
En second lieu je pense, avec le recul et l’expérience dont je dispose, que la recherche en
matière de conchyliculture nous engage depuis trop longtemps sur des chemins qui ont pour effet
insidieux la déstructuration des atouts qui caractérisent encore les cultures marines françaises aussi
bien au niveau structurel que de la qualité de nos productions.
Le simple fait de confier à un seul organisme, dont le fonctionnement en vase clos sans
réelle ouverture vers le monde extérieur me dépasse trop souvent, la très grande majorité des
sujets et des budgets de la recherche conchylicole et finalement de l’expertise lui permet d’étouffer
toute velléité de saine concurrence et d’empêcher l’émergence de symbioses indispensables pour
que la demande des producteurs s’accorde avec sa prise en compte scientifique.
Pour illustrer par un exemple ce constat, que doit-on penser de la façon dont sont traitées,
depuis plus de vingt années, les interrogations des responsables professionnels sur l’huître
triploïde ? Sur ce sujet, force est de constater que malgré de nombreuses mises en gardes et le
développement de certains signes inquiétants, les services de l’Etat et les experts scientifiques font
part d’une effarante indifférence, sans doute pas désintéressée pour certains.
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Pourquoi 6 des 7 présidents de CRC ont souhaité qu’une proposition de moratoire soit
examinée ? Pourquoi cette défiance vis-à-vis de l’huître triploïde ? Ces questions trouvent peut-être
une partie de réponse dans l’énumération des faits ci-après.
Entre le début des années 1990 et 2011, l’Etat nous impose « fermement » d’avoir
confiance dans le discours officiel de l’Ifremer et de quelques écloseurs. Pourtant plusieurs
questions, notamment, celle de l’éventualité d’un impact écologique de l’huître triploïde restent
sans réponse.
Des publications scientifiques internationales font état de risque mais, en France, personne
ne veut s’atteler à examiner cette question. Mieux, ceux qui l’abordent se voient qualifiés
d’obscurantistes.
Les seules réponses officielles sont que « les triploïdes sont stériles et ne se reproduisent pas
! » (1997 le chef du laboratoire de génétique et pathologie de l'Ifremer)
Un peu plus tard, probablement parce que l’on ne peut plus ignorer ce qui est publié par
d’autres chercheurs, il nous est expliqué avec une attitude hautaine emprunte d’une certaine
morgue, lors des réunions de travail du CNC, que « les quelques triploïdes qui ne seraient pas stériles
émettent des produits génitaux d’une taille incompatible avec ceux des diploïdes ! »
Par la suite, la démonstration de la réalité de ce type de croisement ayant été apporté dans
une publication scientifique, la réponse évolue une nouvelle fois : « les larves qui seraient issues de
croisements entre triploïdes et diploïdes ne sont pas viables ! »
L’inquiétude grandissant et les questions se faisant de plus en plus pressantes, l’Etat décide
de désigner un groupe d’experts pour examiner cette question de l’impact écologique. Ces derniers
ont rendu leur rapport le 15 mai 2009 (rapport Chevassus-au-Louis, François Bonhomme et Michel
Mathieu) dont voici l’une des principales conclusions : « l’émission spontanée de spermatozoïdes
par les 3n est un phénomène … qui n’aurait en tout état de cause que des conséquences marginales
sur la production naturelle de naissain. »
Cette même année, pour enfoncer le clou, les propos du chef du laboratoire de génétique
et pathologie de l'Ifremer, directeur de la station de La Tremblade sont publiés dans un quotidien
national : « si les triploïdes se croisaient entre-elles cela donnerait des animaux normaux ! »
Et pourtant pendant que ce rapport se construisait et que ces affirmations nous étaient
assénées, les chercheurs avaient connaissance de la réalité d’un risque « certain » puisque Ifremer
travaillait sur ce sujet afin de déposer un brevet européen, enregistré sous la référence n°
PCT/FR2008/000362, qui porte pour titre : « obtention de mollusque bivalves tétraploïdes à partir
de géniteurs diploïdes »
Voici quelques extraits de ce que l’on peut y lire :
… à l'heure actuelle, la seule méthode de production de tétraploïdes utilisée en pratique, est
celle mettant en œuvre le croisement de femelles triploïdes avec des mâles diploïdes. Cette méthode
présente toutefois deux inconvénients majeurs :
… Ainsi, il a été observé que la fertilité moyenne passait de 2% pour les triploïdes de
première génération (triploïdes « chimiques » obtenus après rétention du second GP suite à un
traitement à la cytochalasine B) à 13,4% pour les triploïdes de seconde génération, issus d'un
croisement de géniteurs mâles tétraploïdes avec des femelles diploïdes (GUO & ALLEN, Biol). Bull.,
187, 309-18, 1994). Cette augmentation de fertilité au cours des générations risque d'entraîner
l'apparition à plus ou moins long terme d'une population de triploïdes dont la fertilité irait croissant,
ce qui fait courir un risque d'une stérilisation progressive du milieu, et de contamination des stocks
d'huîtres diploïdes autochtones suite à la reproduction des huîtres triploïdes dont la descendance est
majoritairement aneuploïde.
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Nous savons donc que depuis 2009, une nouvelle méthode de fabrication d’huîtres
triploïdes permet à Ifremer de proposer des géniteurs « nouveaux » aux écloseries qui en
souhaiteraient.
Il me semble pouvoir affirmer que les questionnements des « obscurantistes », dont je suis,
étaient totalement fondés !
Nous sommes donc face à un nouveau brevet après plus de 15 années d’immersion de
triploïdes « dangereuses » dans le milieu. Le précédent brevet ne va pas tarder à tomber dans le
domaine public … quid de son utilisation ?
Il n’existe toujours pas d’interdiction de son utilisation ou toute autre méthode qui
permette aujourd’hui et demain de produire des huîtres qui, selon les propos même d’Ifremer,
feraient « courir un risque d'une stérilisation progressive du milieu, et de contamination des stocks
d'huîtres diploïdes autochtones ».
Ifremer, lors du dépôt du nouveau brevet, écrit que le nouveau brevet permet de produire
des naissains exclusivement triploïdes !
Si l’on se pose une seule question sur les productions qui seront issues de ce nouveau
brevet :
Elles ne se reproduiraient pas ? Selon les dernières informations (outre le fait que dans les
milieux naturels la nature reprend ses droits et augmente progressivement la fertilité d’animaux dit
stériles au fil du temps) il semble qu’au moins 2 % de ces nouvelles triploïdes ne seraient pas
stériles.
Donc sur 1 milliard de triploïdes adultes il existe un risque de trouver plus de 21 millions
d’individus fertiles dont un peu moins de 13 millions sont des femelles qui vont relâcher environ
320 000 milliard d’ovocytes fécondables … et je ne tiens pas compte du relargage de
spermatozoïdes.
D’autant plus inquiétant que des travaux scientifiques menés en 2003 en Bretagne, sur la
capacité de production de gamètes par les huîtres triploïdes, avaient conclus que « naturellement
un pourcentage d’émission de gamètes (effort de reproduction) pouvait être supérieur à celui des
diploïdes les années chaudes »
Mais peut-être une nouvelle fois me sera-t-il répondu que les quelques triploïdes qui ne
seraient pas stériles émettront-elles des produits génitaux d’une taille incompatible avec ceux des
diploïdes !, mais aussi que les larves qui seraient issues de croisements entre triploïdes et diploïdes
ne seraient pas viables ! Et que si par hasard ces triploïdes se croisaient entre-elles la descendance
ne serait composée que d’animaux « normaux » !
Je me demande pendant combien de temps va-t-on encore me prendre pour un imbécile ?
Une majorité de mes collègues souffriraient du syndrome « monsanto », mais ont-ils tort ?
Un autre sujet et non des moindres, mérite d’être développé. Pour pallier ou tenter de
remédier à la question des mortalités d’huîtres creuses juvéniles un programme technicoscientifique, appelé SCORE, a été initié. Il me faut vous dire que le CNC qui porte le projet subit une
gouvernance contraignante imposée par des « partenaires » faisant preuve d’une coupable inertie.
Le CNC n’endossera pas la responsabilité d’un échec, dès le départ les retards cumulés dus à
l’inertie de l’Ifremer dans les travaux de construction et d’aménagement de la partie des locaux, de
la PRI de Bouin, dédiée à l’écloserie du programme SCRORE ont limité la capacité de production de
cohortes familiales du plan de sélection indispensable à la bonne marche du projet. Depuis au bout
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de presque une année de fonctionnement les nombreux problèmes, pour ne pas les qualifier de
sabotages, n’ont de cesse de retarder et hypothéquer un peu plus le succès de l’opération.
Le comble est l’acharnement dont fait preuve l’un des financeurs régionaux, vis-à-vis du
désengagement de son voisin, à imposer contre toute logique technique et économique un
fonctionnement irréaliste qui rend impossible le respect des objectifs fixés par les comités de suivi
et le comité scientifique du programme.
En conséquence, alors que nous ne sommes pas à mi programme, je tiens à dénoncer le
fonctionnement du projet et, en dehors du gaspillage financier, je crains que les espoirs que nous
avions soient finalement déçus.
Pour couronner le tout nous sommes empêchés de continuer des tests sur les huîtres
Crassostrea gigas de la souche nord-est du Japon, il s’agit de la seule zone qui ou elles ne subissent
pas de mortalité sur la planète. Hormis les aspects génétiques, nous pourrions tirer de nombreux
enseignement des pratiques éprouvées de l’ostréiculture de cette région du monde, notamment
sur les plans écologique, zootechnique et zoosanitaire. Mais cela n’intéresse pas nos experts qui
jugent probablement détenir un niveau de connaissance plus élevé ou sinon meilleur que tous ceux
qui exprime une hypothèse différente de la leur.
Pour mémoire (vos services comprendront…) voici quelques autres dossiers traités avec
négligence et parfois une certaine mauvaise foi :
La modification de l’utilisation du test biologique dans la détection des toxines lipophiles (9
ans de combat avant que le bon sens ne l’emporte) ; le non agrément d’un guide des bonnes
pratiques (pourtant élaboré avec la Direction Générale de l’Alimentation) ; le non aboutissement
d’un protocole national de fonctionnement des établissements conchylicoles en période de crise
(14 ans de discussions improductives) ; l’impossible mise en œuvre d’une politique de
diversification (rejets par incompétence ou ignorance du sujet, tracasseries administratives sans
fin) ; la surprenante représentation de la conchyliculture au sein du conseil national de la mer et du
littoral (suppléant, mais de plus suppléant de la FNSEA, quel pied de nez !) ; la surtaxe de nos
contributions additionnelles au fonds national de gestion des risques en agriculture pour laquelle
nous avons été abusés (notre adhésion étant basée sur la présentation par vos services d’une
simulation financière totalement inexacte)…
Dernier point qui participe à ma décision. L’Etat s’est réformé en plusieurs étapes ces
dernières années ; naïvement j’ai cru que cela allait simplifier les prises de décisions interservices,
que la mise en œuvre de guichets uniques allait permettre une simplification du traitement
administratif des dossiers et que nous allions assister à un harmonisation entre les échelons locaux,
régionaux et nationaux des gestions de crises, des procédures et des avis.
Que nenni, j’ai vécu l’émergence d’une nouvelle organisation qui multiplie les « petits
chefs », qui dilue l’expression individuelle, qui anonyme la responsabilité mais surtout qui rend
illisible et conflictuelle la prise de décision entre les différents niveaux administratifs, d’une
hiérarchie semblant désemparée et de plus en plus éloignée des réalités de terrain.
L’une des conséquences de ce fonctionnement est de mettre en opposition, par
l’application d’interprétations diverses, les professionnels des différents bassins, et par là même de
rendre inaudible une politique sectorielle proposée par les élus nationaux de la filière rarement
soutenue par les administrations centrales ou déconcentrées.
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Selon les expressions consacrées, je m’aperçois qu’à force de prêcher dans le désert et de
me battre contre des moulins à vents pour obtenir de faibles résultats ou trop longtemps attendus,
mon passage au CNC me donne l’impression de commander une barque que l’on tente sans cesse
de naufrager, insupportable pour un marin !
Attendu que vous cautionnez les diktats imposés par le scientifique, bien qu’ils soient
souvent issus de l’incertitude et de l’ignorance, mais aussi parce que l’action politique repose sur
une administration centrale qui se surprotège par un impressionnant déploiement de parapluies
issus du principe de précaution, permettez-moi de vous dire, en rechaussant mes bottes
d’ostréiculteur, que j’ai le sentiment que vous, l’Etat, embarquez la conchyliculture française dans
un vortex sans fond dont elle sortira déstructurée, n’élevant plus noblement mais fabricant
industriellement une marchandise standardisée, fade et ordinaire.
En voilà assez ! C’est avec des sentiments d’exaspération, de saturation et une certaine
désespérance que je quitte mon mandat et refuse de continuer à cautionner ce cheminement que
je juge dévastateur.
Sans doute n’ai-je pas su être suffisamment pugnace et intransigeant. Sans doute que le
CNC n’était pas suffisamment équipé pour faire face aux grands défis auxquels la totalité des
composantes de la filière était confrontée.
Je crois qu’aujourd’hui le CNC est suffisamment doté et adapté pour mener à bien ses
missions, mais que les blocages extérieurs persistent. Il m’apparait donc salutaire qu’un autre
Président en prenne les commandes et donne le cap.
C’est pourquoi je vous présente ma démission avec effet au prochain conseil du CNC qui
devrait se tenir le 19 juin 2013. Ce délai nous accorde un temps suffisant pour procéder à une
nouvelle désignation et me permettra, avant de quitter la présidence, de procéder à la présentation
pour validation d’une part des comptes de l’exercice 2012 et d’autre part des modifications de l’état
prévisionnel des produits et charges du premier semestre conformément aux délibérations prises
lors du conseil du 5 décembre dernier, puis que soit organisé le vote désignant le candidat à la
présidence du CNC qui vous sera proposé.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma très haute considération.
Goulven BREST
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