Les troubadours

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Les troubadours
DEUXIEME PARTIE
LES TROUBADOURS
INTRODUCTION
Le XII° siècle est un siècle particulièrement fécond. Le XIII° est celui des grands bouleversements
politiques.
1) La féodalité : L’empire de Charlemagne s’est disloqué avec les guerres pour le pouvoir
provoquées par les petits-fils du grand empereur. Les comtés en général (comtés d’Aquitaine et de
Toulouse par exemple) et les Marches de l’empire en particulier (la Marca Hispanica deviendra la
Catalunya Vella) forment une mosaïque de grandes seigneuries de plus en plus éloignées du
pouvoir central (« émiettement politique »).
2) Les langues : le catalan et l’occitan ont émergé au fil des siècles par transformations successives
de la langue-source latine. Dans ces parlers vernaculaires dits pré-littéraires on rencontre aussi des
substrats plus anciens en particulier dans la toponymie. Au XII° siècle, le catalan et tous les parlers
d’oc connaissent le stade unifié d’une langue littéraire commune qui est aussi la langue
administrative.
3) La poésie des troubadours est sans doute née, au début du XII° siècle, de la montée dans les
affaires socio-politiques des territoires au sud de la Loire, de la nouvelle classe sociale des
chevaliers qui a lentement émergé à partir du X° siècle. Il se pourrait, selon une hypothèse
intéressante reprise par Robert LAFONT in Gérard ZUCHETTO, Jörn GRUBER, Terre des
Troubadours, Editions de Paris, 1996, p. 426 sqq., que la fine amor soit la transposition vers la
Dame (la femme du Seigneur) de l’ « amour chevaleresque » plus ou moins platonique qui unit le
chevalier à son seigneur (lien homosexuel dans la société militaire germanique).
Dans toutes les strates des liens vassaliques les jeunes chevaliers cherchent l’appui d’un seigneur
auquel ils offrent le soutien de leur épée et se font les « servants » zélés de la suzeraine, la Dame.
Les plus doués savent aussi chanter pour l’honorer. Et ce n’est sans doute pas un hasard si les trois
grands rois qui ont dominé les XII° et XIII° siècles, Guilhem IX d’Aquitaine, Alphonse II d’Aragon
et Alphonse X de Castille ont tous trois été à la fois des protecteurs des troubadours et des
troubadours eux-mêmes.
Vers les années trente du XII° siècle, des musiciens-jongleurs (joglars), d’abord simples interprètes
des œuvres des troubadours, composent pour leur propre compte et obtiennent ainsi la protection
des seigneurs ; on les reconnaît à leur nom, souvent un sobriquet, auquel n’est pas attaché un nom
de lieu : Marcabru, Cercamón, Alegret… A défaut d’épée, ils mettent leur plume, souvent acerbe
(sirventès), au service de la politique seigneuriale.
L’art du trobar s’étend aussi à d’autres couches sociales : des religieux en particulier, par exemple
le Monge de Montaudon qui a « abandonné Dieu pour du lard » ou Gausbert de Poicibot, des fils de
marchands (Peire Vidal, Guilhem Figueira), des fils de bourgeois (Peire d’Alvernha)… L’exemple
inverse de Folquet de Marselha est le plus cruel de toute l’histoire des troubadours : après une
quinzaine d’années de trobar, il se cloître avec femme et enfants au monastère cistercien de
Thoronet, puis est élu en 1205 évêque-inquisiteur de Toulouse et fait périr des milliers d’hérétiques
cathares, motivé par une haine difficile à comprendre, allant jusqu’à ne manger que du pain et ne
boire que de l’eau quand il entendait l’une de ses anciennes chansons.
Quelques dates-clés :
(les noms des principaux troubadours sont en bleu)
Domaine occitan
Interférences
719 : prise de Narbonne par l’émir
Al-Samh
vers 732 : arrêt des razzia arabes à
Poitiers (Charles Martel)
milieu du VIII° : contre-offensive
franque de Pépin le Bref (Nîmes,
Narbonne)
- vers 755 naissance de Guillaume
fils d’un comte d’Autun et d’Aude,
fille de Charles Martel ; il est donc
cousin de Charlemagne et de la
génération de Benoît d’Aniane. Il
épousa
Cunégonde,
puis
la
germanique Vuitbourg
- 789 : Charlemagne destitue un
certain Cherso du comté de
Toulouse et le donne à Guillaume
qui prend le nom de Guillaume de
Toulouse.
- 793 : bataille de l’Orbieu
(incursion arabe en Septimanie) où
Guillaume de Toulouse fut défait.
Mais malgré les pillages de la
région, Abd al Malik ne put
reprendre Narbonne et repartit en
Espagne.
Effondrement du royaume wisigoth.
Invasions arabes.
Guillaume de Toulouse, grand soldat,
deviendra le héros de la Chanson de
Guillaume d’Orange.
En 806 : il se retire au monastère de
Gellone.
Des légendes catalanes lui attribuent
aussi la fondation du monastère de
Sant Guillem de Combret.
Son fils Bernard est Comte de
Barcelone et rassemble sous son
autorité toute la Septimanie. Devenu
Bernard de Septimanie, il se révolte
contre Charles le Chauve, est vaincu
et décapité.
Les nouveaux comtes de Toulouse,
qui ne sont pas les héritiers de
Guillaume mais du comte Fredelon
et de ses successeurs Bernard et
Eudes vont jouer un grand rôle dans
l’ancienne Septimanie.
Domaine aragonais-catalan
Charlemagne passe dans la péninsule
ibérique (retour par Roncevaux 778)
801 : Charlemagne envoie son fils
Louis à la conquête de Barcelone à
laquelle participe Guillaume de
Toulouse ; Urgell, Gérone et Barcelone
entrent dans l’empire carolingien.
Charlemagne crée des
comtés sur les marches de l’empire.
Sunifred, fils de la maison de Bellon,
comte de Carcassonne au début du IX°
siècle, peut-être d’origine wisigothique,
devient comte de Cerdagne. Son fils
Guifred le Velu, déjà comte d’Urgell,
reçoit de Charlemagne les comtés de
Barcelone, de Gérone et de Besalú.
Les
comtés
s’affranchiront Les comtes catalans conquièrent des
progressivement du pouvoir central terres au sud (Catalunya nova) sur les
quand celui-ci s’affaiblira (révoltes Sarrasins
des fils de Louis le Pieux + nouvelles
invasions).
Fin X°, la classe des chevaliers
émerge pendant que le pouvoir
central se désagrège et que la
féodalité se structure.
Au début du XII° siècle, Guilhem de
Peiteus (comte de Poitou et
neuvième duc d’Aquitaine) est le
premier troubadour connu.
Entre 1125 et 1150 : Jaufré Rudel
(L’amor de lonh),
Marcabru,
Cercamón…
1137 : mariage à 15 ans d’Alienor
d’Aquitaine avec le dauphin de
France (futur Charles VII) qui
rattache le sort de l’Aquitaine au
royaume de France.
1118 : fin du premier grand volet de la
Reconquista espagnole avec la prise de
Saragosse. Castille-Leon et l’Aragon,
pratiquement donc tout le nord de la
péninsule ibérique, sont rechristianisés.
La Cour d’Alienor, et plus tard celles
de ses filles, Marie de Champagne et
Alix de Blois favorisent les contacts
entre troubadours et poètes d’oil (le
premier trouvère sera Chrétien de
Troyes (voir Angelica Rieger, « La
cour de Champagne » revue Europe,
juin-juillet 2008).
1137 : union dynastique du comté de
Barcelone et du Royaume d’Aragon,
formant une sorte de confédération où
chacun garde ses institutions. Politique
d’expansion vers le sud aux mains des
Sarrasins.
- vers 1150
d’Alvernha,
Ventadorn…
et 1170 :
Bernart
Peire 1142-1162 : luttes intestines entre le
de comte de Toulouse et les Catalans, 1147 : sursaut musulman et défaite
maîtres de la Provence.
chrétienne de Fraga (mort de
d’Alphonse I° d’Aragon le Batailleur)
1152 -1167 : second mariage Adoption
de
la
lyrique
d’Alienor d’Aquitaine avec Henri II troubadouresque par la cour catalanoPlantagenet, duc de Normandie et aragonaise en raison de la proximité
roi d’Angleterre.
linguistique et géographique. Premier
Assassinat de Raymond Bérenger troubadour catalan : le Roussillonnais
comte de Provence.
Bérenger de Palazol qui envoie une
chanson au Comte Jofre de …1154-1188… : chansons et sirventes
Roussillon vers la moitié du XII° de Pons de la Guàrdia (Ripoll)
siècle.
1162-1196 :
règne
d’Alphonse
1173 : Rébellion d’Henri fils
d’Aragon connu comme Alphonse le
d’Alienor (divorcée d’Henri II)
Troubadour.
contre son père. La plupart des
troubadours se regroupe dans le
…1184-1246… : Pons d’Ortafà
camp
anti-toulousain,
auprès
d’Alphonse II ou de Richard Cœur
de Lion (autre fils d’Henri II)
auquel son père a laissé de Duché
d’Aquitaine et le comté de Poitiers.
…1159-1195…Bertran de Born
1190 : première croisade
…1180-1195… Arnaut Daniel
1197 : mariage de Raymond de Castell
Rosselló (vicomte de Castellnou) et de
…1183-1204… Peire Vidal
1204 :
Catalano-Aragonais
et Saurimunda de Peralada (dite aussi
…1200… Comtesse de Dia
Toulousains se mettent d’accord pour Marie), la Dame de Guillem de
se défendre en commun car le divorce Cabestany.
d’Alienor d’Aquitaine a écarté le roi
de France de l’Aquitaine et ce dernier
se fait menaçant (alliance FrancoCastillane).
La montée de l’hérésie cathare sera
le prétexte de la croisade des
Albigeois : le légat du Pape
Innocent III est assassiné en 1207 à
Saint-Gilles : Raimon VI est accusé.
1209-1212 : la croisade devient vite
une guerre de conquête derrière
1212 : les rois chrétiens repoussent une
Simon de Montfort qui fait
nouvelle offensive musulmane à la
assassiner le Vicomte RaimonNavas de Tolosa (il semble que
Roger Trencavel et prend une à une
Guillem de Cabestany ait participé au
toutes les villes d’oc.
combat).
…1192-1212… Perdigon
…1208-1213…Guilhem de Tudela 1213 : bataille de Muret : le roi …1185-1213 : Uc de Mataplana, mort
(Canso de la crozada)
d’Aragon, Pierre le Catholique, des suites de ses blessures à Muret
…1205-1272 : Peire Cardenal
vainqueur de La Navas de Tolosa, connu, pour des échanges de sirventes
venu au secours de Raimon VI, est
tué.
…1200-1252 : Raimon Vidal de
Besalú : Razos de trobar
1216 : soulèvement contre Simon de
Monfort qui est battu à Beaucaire et
tué à Toulouse. Brève trêve pour un
état fédéral occitano-catalan.
1226 : Le roi de France Louis VIII
se croise et reçoit la soumission de
nombreux vassaux du Conte de
Toulouse.
1229 Raimon VII signe le traité de
Meaux imposé par Blanche de
Castille. L’inquisition se met en
place
1234 : Révolte populaire contre
l’Inquisition : les siventès dénoncent
l’occupation française
1244 : bûcher de Montségur.
1249 : mort de Raimon VII sans
héritier mâle. Alphonse de Poitiers,
frère du roi de France Louis IX,
épouse Jeanne, fille unique de
Raimon VII. A la mort d’Alphonse
de Poitiers, le Comté de Toulouse
est rattaché à la couronne de France.
Jaume I el Conqueridor en grandissant
(il avait 5 ans à la mort de son père en
1213), se détachera des affaires
occitanes sous la pression des Français
et du Pape.
Les
troubadours
occitans
ne
pardonneront pas à Jaume II el
Conqueridor de s’être éloigné des
problèmes
de
l’Occitanie
et,
rétrospectivement, effaceront aussi en
quelque sorte de leur mémoire le
règne de Pierre le Catholique. Miriam
Cabré in « Mécènes et troubadours
dans la couronne d’Aragon », revue
Europe, juin-juillet 2008, montre
comment cet « effacement » est à
l’œuvre pour la vida de Guillem de
Cabestany : la mort légendaire du
troubadour et de sa dame a eu lieu
implicitement sous le règne de Pierre
le Catholique, mais la vengeance est
attribuée au roi Alphonse II,
troubadour lui-même et protecteur, et
mort avant même le mariage de
Saurimonde et de Raymond de
Castell-Rosselló.
La plupart des troubadours occitans
s’exile dans des cours étrangères :
Guilhem Figuera, Paulet de
Marselha…
Dans les années 60 du XIII° siècle,
l’infant Pierre le Grand, héritier de
Catalogne et Aragon, prend déjà une
part active aux affaires et se montre
anti-angevin. Son frère Jacques hérite
du royaume de Majorque et du
Roussillon (il aurait composé une
dansa).
…1254-1292 : Guiraut Riquier, La lyrique courtoise continue à se
dernier troubadour occitan
développer dans les cours catalane et
aragonaise mais aussi en Castille et
en Italie où ont émigré beaucoup de
troubadours fuyant l’Inquisition.
- …1259-1285… Cerverí de Girona
- …1267-1295 : Jofre de Foixà seigneur
d’Ampurdà reprend les Razos dans son
traité Regles de Trobar, rédigé à la
demande de Jaume d’Aragon, roi de
Sicile
- fin XIV°-1424 : Jordi de Sant Jordi :
dernier troubadour
Les œuvres :
Voir - Petite Anthologie des littératures occitane et catalane sous la direction de Christian NIQUE,
académie de Montpellier-CRDP, 2006, qui fait rapidement le point sur la question (première partie
consacrée aux troubadours).
- Gérard ZUCHETTO et Jörn GRUBER, Le Livre d’or des troubadours, les éditions de Paris,
1998.
- Beaucoup de textes sont numérisés sur le site http://www.rialc.unina.it.
- Voir annexe Guillem de Cabestany
Mary Sanchiz, document de travail,
thème académique langues régionales 2008-2009.