Le très envié Mittelstand allemand.

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Le très envié Mittelstand allemand.
Analyses et documents
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ANALYSES ET DOCUMENTS
Bureau de Paris
Mai 2012
Le très envié Mittelstand allemand
Retour sur les raisons du succès des PME outre-Rhin
Reinhart W. Wettmann
Les entreprises de taille moyenne de l'industrie allemande et leur culture industrielle sont
profondément ancrées dans l'histoire économique du pays. Ces structures profitent aujourd'hui
encore de l'organisation traditionnelle décentralisée de l'Etat allemand. Dans les pays centralisés
et à haut niveau de salaire, elles ne pourraient donc être reproduites qu'au prix d'efforts
considérables.
Pourquoi le Mittelstand suscite-t-il
tant d'intérêt ?
Après les décisions du sommet européen de
Bruxelles du 27 octobre 2011 pour le sauvetage de l'Euro, le président français a appelé
à la convergence des politiques budgétaires
et fiscales. Toutefois, les causes de la crise ne
sauraient être expliquées par les seules divergences existantes dans certaines politiques spécifiques, mais aussi par les différences de structures et de cultures politiques
et économiques des pays européens. L'harmonisation des politiques ne viendra pas à
bout des ces disparités, trop profondément
enracinées dans l'histoire des Etats d'Europe
et des économies européennes. Le présent
article examine le rôle des PME, éléments
centraux dans l'organisation de l'économie
allemande, qui ont des effets sur la puissance économique du pays, sur sa capacité
d'exportation et sur son marché du travail.
De ces facteurs dépendent la compétitivité
de l'Allemagne dans la mondialisation et sa
capacité à résister aux crises futures.
La presse économique française regorge
d'articles consacrés au Mittelstand allemand,
alors même qu'on associe surtout l'industrie
allemande à Daimler, Volkswagen, BASF ou
Adidas. Mais le secteur industriel allemand,
qui représente environ 23% du PIB du pays
(2008), soit pratiquement 10 points de plus
qu'en France ou au Royaume-Uni, et l'excédent de 150 milliards d'euros (2011) de la
balance commerciale (alors que la France
accuse un déficit de 70 milliards d'euros)
s'appuient sur une double colonne vertébrale : les grandes entreprises, et un réseau
très vaste de petites et moyennes entreprises, le Mittelstand, avec lesquelles les
premières entretiennent des liens étroits.
Avec un tel cocktail industriel, l'Allemagne
est l'un des rares producteurs universels
mondiaux, actif sur pratiquement tous les
marchés de biens. Si le pays peut envisager
des projets controversés comme le passage
de l'énergie nucléaire à des énergies renouvelables, très complexes, c'est uniquement
grâce à cette diversité des compétences.
Reinhart W. Wettmann, LL.M. (Penn Law School),
avocat, ancien directeur de la Prognos S.A.,
Bâle, et de la Fondation Fr.-Ebert, Caracas.
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Informations de base sur les PME
industrielles
En outre, toutes les entreprises familiales sont
fréquemment classées dans la catégorie du
Mittelstand.
Selon la statistique allemande, le Mittelstand
représente toutes les petites et moyennes
entreprises qui, selon les critères de l’UE, emploient de 50 à 249 salariés et génèrent un
chiffre d’affaire de moins de 50 millions
d’euros. Les chercheurs utilisent souvent la
classification de l’Institut de recherche du
Mittelstand (IfM) à Bonn, qui considère les
petites et moyennes entreprises de 10 à 499
salariés et de moins de 50 millions de d’euros
de chiffre d’affaire comme faisant partie du
Mittelstand.
L'Allemagne compte actuellement quelques
260.000 PME dans l'industrie (sur un total de
360.000 PME environ). Elles se répartissent de
la manière suivante en fonction de leur
nombre de salariés :
•
•
•
•
de 1 à 9 salariés : environ 200.000
de 10 à 49 salariés : environ 45.000
de 50 à 249 salariés : environ 15.000
de 250 à 499 salariés : environ 2.200
Source : Institut für Mittelstand Bonn (IfM)
Répartition structurelle de l'industrie allemande en fonction d'une sélection de critères
Taille
Part de
l’ensemble des
entreprises
Part de
l’ensemble des
salariés
Part de
l’ensemble du
chiffre d’affaire
Part du total des
investissements
bruts
Total des PME
TPE jusqu'à 9
salariés
PME de 10 à 49
salariés
Moyennes
entreprises de 50
à 249 salariés
Entreprises de
plus de 249
salariés
97,3 %
44,1 %
23,0 %
25,6 %
Part du total de
la valeur ajoutée
brute (facteurs
de coûts)
32,4 %
59,6 %
5,6 %
1,7 %
2,0 %
2,9 %
28,5 %
15,0 %
6,6 %
7,2 %
10,3 %
9,1 %
23,5 %
14,7 %
16,4 %
19,2 %
2,7 %
55,9 %
77,0 %
74,4 %
67,6 %
Source : Statistisches Bundesamt 2009 (office fédéral des statistiques)
Au cours de l'année 2009, en pleine crise,
près de 340.000 PME (réalisant chacune
moins de 50 millions d'euros de chiffre d'affaire) ont totalisé près de 175 milliards d'euros
d'exportations. Cela représente 20% du total
des exportations allemandes (Cf. IfM-Bonn).
En 2011, les exportations des PME pourraient
avoir atteint près de 200 milliards d'euros. Les
PME allemandes tournées vers l'exportation
employaient en 2010 quatre fois plus de salariés que les PME françaises.
Selon de récentes études, les plus grandes
PME industrielles (avec parmi elles, quelques
4400 entreprises familiales dont les chiffres
d'affaire se situent entre 50 millions et 3 milliards d'euros) constituent les moteurs de
l'économie allemande (McKinsey 2011 et IfM,
Berlin/Francfort 2011). Elles se développent
plus vite et gagnent plus d'argent que les
grands groupes et les autres PME. Elles exportent 40% de leur fabrication. Depuis les années 90, ces entreprises ont créé un million
d'emplois.
Retour sur l'histoire du Mittelstand
allemand
L'ampleur et la puissance économique des
PME allemandes ne sont pas nécessairement
le résultat d'une habileté particulière des
Allemands, mais plutôt la conséquence d'un
enracinement de longue date dans l'histoire
économique et politique de l’Allemagne.
Les petits Etats allemands ont aidé les PME à
voir le jour
Tandis qu'en France, pendant des siècles, la
monarchie centralisée a pu faire reculer les
frontières extérieures et créer un territoire
national stable, le Saint-Empire romain germanique dirigé par l'Autriche s'est effondré.
Avant 1806, on y dénombrait plus de 300
territoires souverains, et encore 35 souverains
après cette date. A partir de 1870, il en reste
25. Et aujourd'hui, l'Allemagne compte 16
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Länder et autant de parlements et de gouvernements régionaux.
Cette décentralisation de l'Etat a joué un
rôle essentiel dans l'histoire de l'économie. En
France, le mercantilisme a poussé à la centralisation de l'économie, les manufactures
royales assurant la satisfaction des besoins
de luxe de la cour, de la noblesse et du clergé, en leur fournissant notamment des tissus
précieux, des produits mécaniques ou des
armes. A l'inverse, dans les petits Etats allemands, ce sont de toutes petites manufactures (souvent issues des entreprises artisanales gérées par les guildes médiévales) qui
produisent les marchandises pour répondre
aux besoins modestes des petites cours princières et des populations locales. C'est ainsi
que la faiblesse politique a donné naissance
à une structure économique décentralisée
déployée sur l'ensemble du territoire. C'est
cette même faiblesse politique qui a rendu
plus difficile l'adoption du mercantilisme à la
française. Par ailleurs, les petites manufactures ont dû s'adapter à une concurrence
acharnée entre elles, ne pouvant compter
sur leurs princes faibles (à l'exception de la
Prusse et de la Saxe) pour leur apporter sur
leur petit marché intérieur une protection
comparable à celle que le Roi de France
offrait à ses manufactures sur le vaste marché français.
On a pu observer des situations similaires
dans le Nord de l'Italie, où décentralisation et
concurrence acharnée ont fait naître une
multitude de PME qui dominent encore aujourd'hui l'économie régionale.
Les petits marchés intérieurs
favorisent l'exportation
Face à la grande variété d'ordres juridiques
et de régimes douaniers souverains qui prévalaient dans l'Allemagne du XIXème siècle,
les manufactures et les jeunes entreprises
industrielles furent très tôt contraintes de se
tourner délibérément vers les exportations.
C'est ainsi qu'elles ont pu prendre pied audelà de leurs frontières et réduire par là
même les coûts unitaires élevés caractéristiques des petites manufactures. L'industrialisation allemande a ainsi conduit très tôt à
l’épanouissement d’un vaste "secteur privé"
et à la limitation de la part des pouvoirs publics dans le développement de la richesse
nationale.
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Des systèmes éducatifs non élitistes
A la différence de la France, au XIXème
siècle, les petits Etats allemands ne disposaient pas d'un système de formation de
l'élite des ingénieurs comparable aux
Grandes Ecoles. C'est ce qui explique la mise
en place dans les PME de formes d'organisation moins hiérarchiques que patriarcales et
coopératives entre les fondateurs d'entreprise, les ingénieurs et les ouvriers qualifiés.
Elles s'accompagnaient d'un système de
formation professionnelle artisanale et industrielle, sur lequel les petits Etats décentralisés
ne disposaient d'aucun monopole. Ces formations se sont développées en alternance
dans le cadre d'une coopération entre entreprises et Etat, avec pour objectif une solide formation pratique des ouvriers qualifiés,
autour d'agents de maîtrise d'excellente
réputation, véritables partenaires des dirigeants d'entreprise et des ingénieurs. Pour
fonctionner, la formation en alternance nécessitait l'existence sur tout le territoire d'un
réseau de PME offrant de nombreux postes
d'apprentissage.
Dans la mesure où la France et la GrandeBretagne, à la pointe de la technologie au
XIXème siècle, avaient accès à des matières
premières moins chères grâce à leurs colonies, les petites et moyennes entreprises allemandes ont été contraintes, pour compenser ces désavantages compétitifs, d'améliorer les techniques et l'organisation. C'est ainsi
que dès 1900, l'économie allemande était
déjà plus productive que l'économie britannique.
Il convient d'ajouter un autre élément d'explication de cet essor : parmi les ouvrages
imprimés les plus lus dans l'Allemagne du
XIXème siècle, on trouve les notices techniques pour de nouveaux produits, procédés
et matériaux, qui ont contribué à populariser
l'univers manufacturier et à répandre très
largement en Allemagne une culture industrielle, axée sur l'innovation, la concurrence,
la qualité et l'exportation.
Les PME industrielles depuis le
XXème siècle
Depuis l'avènement de l'Empire allemand de
1871, les grands groupes industriels ont pris
une place croissante dans l'économie. Jusqu'en 1918, puis sous la République de Weimar et pendant le Troisième Reich, les industries du charbon et de l'acier, les construc-
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tions navales, l'automobile, les constructions
mécaniques et la Chimie ont été encouragées pour des motifs d'intérêt national ou
dans le cadre des préparatifs de guerre.
Dans la doctrine économique de l'époque,
notamment selon Marx ou Schumpeter, les
entreprises de taille plus modestes sont plutôt
perçues comme un obstacle au progrès
technique et économique.
Pourtant, même pendant ces décennies, les
PME industrielles ont connu un essor rapide,
et après 1945, parce que bon nombre
d'entre elles étaient situées en dehors des
grandes villes, cibles principales des bombardements, ces PME ont pu rapidement
redémarrer.
Les PME et la structure fédérale de l'Etat
Les caractéristiques structurelles des PME
industrielles décrites plus haut (couvrant l'ensemble du territoire, décentralisées, axées sur
la concurrence et l'exportation, nonhiérarchiques et coopératives) ont survécu à
la reconstruction. On le doit d'une part à une
culture de l'entreprise dominée historiquement par les entreprises familiales, et d'autre
part à l'organisation fédérale de l'Etat.
Tandis que c'est le gouvernement fédéral, à
Berlin, qui s'occupe des grandes entreprises,
le sort des PME est suivi par les 16 gouvernements des Länder (et les communes).
Chaque Land (Etat-région) possède son
propre ministère de l'Economie, des Transports ou de l'Education. Les ministères fédéraux à Berlin sont plus petits que leurs pendants à Paris, et ne se déclinent pas en directions régionales et départementales. Ils
ne s'occupent pas de lointaines PME, qui
peuvent se tourner plus simplement vers les
institutions des Länder. De ce point de vue, le
fédéralisme constitue l’institutionnalisation
d'une politique en faveur du développement
régional et des PME.
Le poids des Länder en matière de politique
économique n'a cessé de croître, du fait de
leurs compétences dans les domaines des
infrastructures essentielles aux entreprises,
comme les transports, les communications et
l'énergie. Alors que l'échelon fédéral a perdu
de nombreuses compétences économiques
au profit de l'Union européenne, ce sont les
Länder qui veillent au renforcement des régions allemandes dans la concurrence avec
les autres régions d'Europe (Paris, Lyon, Milan,
Barcelone, par exemple).
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Société décentralisée et Mittelstand
Le fédéralisme va aussi de pair avec une
décentralisation des organisations sociales.
Pour les PME, cela signifie que leurs organisations professionnelles, leurs organismes de
conseil et de représentation sont enracinés
dans 16 capitales régionales. Ils y défendent
les intérêts de ces PME auprès des pouvoirs
publics des Länder, et apportent également
soutien et conseil in situ aux PME locales.
Répartition géographique des PME
Alors qu'en France, sur un territoire beaucoup plus vaste, 80% de la superficie n'accueille que 20% de la population, et donc,
une part réduite des PME, en Allemagne, la
population et les PME se répartissent géographiquement de manière plus équilibrée,
ce qui leur permet de communiquer plus
facilement entre elles et avec les institutions
décentralisées.
Des études menées dans les années 70 par
le Centre des Sciences de Berlin montraient
que la communication entre les PME dans les
régions caractérisées par de petites villes et
un tissu dense d'entreprises, comme le BadeWurtemberg, explique le taux élevé d'innovation dans les PME locales.
La répartition équilibrée des PME entre les
régions d'Allemagne montre que - à la différence de la Grande-Bretagne et peut-être
de la France - le capital humain et financier
n'a pas déserté le territoire au profit de la
seule région capitale. C'est aussi une conséquence de la politique en matière de transports. L'ICE, le train à grande vitesse allemand, doit s'arrêter dans de nombreuses
villes moyennes, au détriment de la vitesse
de liaison entre les grands centres, et au
profit d'une promotion délibérée des régions
et de leur tissu de PME.
Toutefois, les régions dans lesquelles les PME
ne sont pas traditionnellement aussi bien
implantées (comme par exemple la Ruhr) ou
qui ont été politiquement détruites (comme
l'ex-RDA) montrent aussi que l'implantation
nouvelle de ces entreprises est extraordinairement compliquée dans des pays à haut
niveau de salaire, notamment parce que les
vrais entrepreneurs industriels font défaut.
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La formation en alternance et l'apprentissage - l'épine dorsale des PME
Avec la décentralisation et la densité d'implantation des entreprises, la formation professionnelle en alternance centrée sur l'apprentissage est un des facteurs de réussite
des PME allemandes, qui forment 80% des
apprentis. Ce système de formation fournit
aux entreprises des ouvriers hautement qualifiés et participe ainsi au très haut niveau de
qualité de leurs produits. Pour beaucoup de
PME, la formation des apprentis en alternance est aussi importante pour les capacités d'innovation des entreprises que leurs
coopérations avec des universités techniques ou des instituts universitaires de technologie.
La réussite de la formation en alternance a
conduit des Länder comme le BadeWurtemberg à mettre en place des écoles
supérieures en alternance, dans lesquelles les
étudiants partagent aussi leur temps entre
apprentissage en entreprise et formation
universitaire. Ses étudiants qui disposent
d'une expérience pratique sont très recherchés par les PME comme par les grandes
entreprises. Pour les PME tournées vers l'exportation, un tel bagage est plus précieux
que celui fourni par les grandes écoles de
commerce, pour lesquelles l'Allemagne est
beaucoup moins bien placée que la France
dans les classements internationaux. Le système français, très strictement réglementé,
forme d'excellents chercheurs et hauts fonctionnaires, tandis que le système allemand,
traditionnellement plus souple, peut produire
des entrepreneurs davantage prêts à prendre des risques.
Sans un tissu dense de PME, il n'est pas envisageable pour d'autres pays de reproduire
efficacement le système allemand de formation en alternance.
Soutien aux PME industrielles
Programmes de soutien de l'Etat
Dans tous les Länder allemands, les programmes d'aide aux entreprises portent sur :
•
•
•
•
•
la formation professionnelle,
le conseil aux entreprises,
la recherche appliquée et le développement, le transfert de technologie,
le soutien à l'exportation, les salons et
expositions,
les enquêtes et études sur le Mittelstand,
5
•
•
•
•
les coopérations entre PME,
les reprises d'entreprises,
l'amélioration de l'accès aux capitaux,
les commandes publiques.
Les programmes d'aide sont adaptés aux
structures économiques régionales, mais
cherchent à éviter les aides spécifiquement
sectorielles, et s'efforcent avant tout de créer
des conditions générales favorables à l'innovation et à la sélection naturelle dans le
cadre de l'économie de marché. Cela correspond à la vision allemande traditionnelle
de l'économie de marché, et répond aux
études internationales qui mettent en garde
contre la création d'emplois ciblés de la part
des Etats (Cf. J. Lerner, Boulevard of Broken
Dreams, Harvard Business School 2009).
Les PME et le système bancaire décentralisé
Au total, le soutien de proximité aux entreprises dont bénéficient les PME allemandes
profite aussi de l'organisation décentralisée
du système bancaire allemand, dans lequel
les banques mutualistes locales, les caisses
d'épargne et les banques régionales détiennent une part dominante du marché. Selon
des études récentes, les difficultés de financement n'arrivent qu'en quatrième position
des obstacles à l'innovation, derrière le capital humain, l'accès aux clients innovants et
l'emploi des technologies les plus nouvelles.
Depuis 2011, le gouvernement français tente
d'améliorer le financement des PME par une
fusion entre CDC Entreprises, Oséo et le Fond
Stratégique d’Investissement. Le risque d'une
telle centralisation, c'est de voir à nouveau
s'installer à Paris une institution énorme avec
peu d'implantation dans les régions.
Coopération entre les entreprises
Pour affronter la pression de la concurrence
mondiale, plus de 250.000 entreprises allemandes, travaillant dans près de 45
branches différentes, ont adhéré à quelques
400 associations d'entreprises. Les membres
de ses groupements restent totalement
autonomes, mais peuvent s'associer pour
conquérir ensemble des positions sur les
marchés mondiaux à l'instar des grandes
entreprises. La coopération inter-entreprises
est généralement pilotée par des entités
juridiques indépendantes dans des domaines tels que les achats, le marketing, la
logistique, les solutions informatiques et de
télécommunication, le conseil, la formation
ou le financement.
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Les PME comme leaders mondiaux (hidden
champions)
Les modèles les plus récents de soutien aux
entreprises partent du principe que l'ancrage des PME industrielles dans les technologies classiques n'est souvent plus suffisant
pour leur permettre de s'imposer face à la
concurrence internationale, notamment
pour celles qui sont considérées comme des
leaders mondiaux (hidden champions).
On compterait parmi les grandes PME (de 50
millions à un milliard d’euros de chiffre
d’affaire) près de 1500 leaders mondiaux
dans la zone germanophone sur un total
mondial estimé à 2000 (Hermann Simon,
2/2/2011, congrès des leadeurs mondiaux du
marché). Elles seraient près d'un millier parmi
les petites PME. A l'échelle mondiale, ces
entreprises investissent près de 5% du chiffre
d'affaire dans la recherche et le développement, là où les grands groupes mondiaux
les plus en pointe n'investissent que 3,6%. Au
cours des dernières années, ces leaders
mondiaux ont créé près de 350.000 emplois,
dans les énergies renouvelables, la construction automobile, les techniques pharmaceutiques et médicales. Près de 70% de ces entreprises sont des entreprises familiales, et
50% d'entre elles sont gérées par des ingénieurs. Elles doivent leur position de pointe à
une gestion professionnelle, non familiale,
une dispersion des risques par l'ouverture
internationale, le développement systématique de marques industrielles, l'avance
technologique et l'offre de produits avec
une gamme complète de services associés
(dites sociétés hybrides). Mais les technologies classiques ne garantissent plus aujourd'hui cette avance. C'est pourquoi, depuis
cinq ans, le programme THESEUS consacré à
l'électronique de pointe (et doté de 200 millions d'euros) encourage les PME à se rapprocher de la recherche fondamentale, à
l'instar des pratiques israélienne et sudcoréenne. Avec HORIZON 2020, l'Union européenne élabore un programme similaire
qui réserve une part importante de ses actions aux PME.
Le soutien politique aux PME
S'il est évident que les gouvernements doivent garantir aux PME la stabilité macroéconomique dont elles ont besoin, les politiques
ont souvent tendance à l'oublier. 86% des
entreprises moyennes allemandes considèrent que la priorité absolue pour l'Etat est la
consolidation budgétaire.
6
Mais il ne faut pas négliger non plus le rôle
des formes douces de soutien politique, à
côté des programmes d'aide financière. Dès
les années 70, des rencontres régulières entre
les ministres-présidents allemands à la tête
des gouvernements des Länder et les
grandes entreprises ont aussi été l'occasion
d'évoquer les relations entre ces grands
groupes et les PME locales. Les grands
groupes allemands ouvrent à beaucoup de
PME la porte des marchés mondiaux et les
intègrent comme sous-traitants à l’évolution
de nouveaux marchés et au développement d’innovations technologiques, mais ils
peuvent aussi avoir un effet dévastateur sur
ces petits partenaires. C'est notamment le
cas lorsque les grandes entreprises débauchent pour leur compte de façon ciblée les
ouvriers qualifiés formés au préalable à
grands frais par les petites entreprises, ou
lorsqu'elles s'approprient les innovations et les
brevets de petits sous-traitants, ou encore
lorsqu'elles forcent injustement les prix de
leurs fournisseurs à la baisse. Pour préserver le
niveau de productivité du mix industriel allemand, la politique doit favoriser ce mix par
une politique douce et par des mesures législatives en matière de concurrence. C'est la
seule façon d'éviter une dépendance des
PME à l'égard de grands projets nationaux
pas toujours faciles à exporter, comme l'EPR
ou le TGV.
Les effets politiques d'une culture
industrielle favorable aux PME
Avec une industrie (fortement exportatrice)
qui représente une part importante de son
économie, 23%, l'Allemagne était plus sensible aux fluctuations cycliques de l'économie mondiale que les pays davantage tournés vers une économie des services. C'est
clairement apparu en 2008 et en 2010. Toutefois, ce phénomène a été amoindri par le
fait qu'en étant actif dans presque tous les
domaines industriels, le pays a pu profiter des
rééquilibrages entre les fluctuations subies
par les différents secteurs. Les PME (qui emploient plus de 60% de la main d'œuvre) ont
joué un rôle considérable dans cet effet stabilisateur. Elles ne représentent pas le "seul
moteur de l'emploi" dans l'économie allemande (Fondation Friedrich Ebert, 2008),
mais une étude menée par la Commission
européenne sur 37 pays d'Europe montre
qu'entre 2002 et 2010, 85% des créations
nettes de postes sont le fait des PME - même
si c'est surtout le fait des entreprises du secteur tertiaire, particulièrement touché par la
crise des années 2009 et 2010.
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Analyses et documents
La part importante de l'industrie et le rôle
considérable des PME en son sein ont également un effet stabilisateur sur la politique
allemande. L'expérience comparée des
pays de l'OCDE montre que les activités industrielles sont porteuses de davantage de
stabilité que les activités de service, plus volatiles, pour les valeurs fondamentales, notamment sur les questions du travail, de la
famille, et des finances privées. Si un grand
parti écologiste conservateur s'est établi au
centre de l'échiquier politique allemand,
alors que tant d'autres pays européens ou
anglo-saxons voient plutôt émerger des
mouvements populistes de droite ou des
mouvements extrémistes, c'est peut-être
aussi une conséquence de cette culture
industrielle. En ce sens, une bonne politique
en faveur du secteur intermédiaire peut
donc contribuer à la stabilité de la société,
notamment en agissant comme un frein aux
écarts croissants de revenus et de patrimoines (Cf. Dani Rodrik, Harvard Univ., dans
La Tribune du 2 septembre 2011).
Perspectives
Imposer d'en haut le développement des
PME industrielles ne pourra pas se faire depuis Berlin pour le territoire de l'ex-RDA ou le
bassin de la Ruhr, pas plus que depuis Paris
pour l'ensemble de la France. C'est aux régions de se rendre attrayantes pour les chefs
d'entreprise, les champions des exportations,
les ingénieurs et les ouvriers qualifiés. Ce qui
incombe aux gouvernements nationaux,
c'est de créer le cadre général juridique,
économique et politique favorable. Recommander des recettes miracles depuis
l'Allemagne n'aurait aucun sens. Seules les
régions françaises et les institutions nationales
peuvent élaborer et mettre en œuvre les
solutions spécifiques adaptées à la situation
française. On peut s'inspirer de l'expérience
intéressante de l'Allemagne, sans pour autant recopier simplement le modèle allemand en France.
Les deux pays seraient en tout cas bien inspirés de profiter des évolutions futures du partage des tâches à l'échelle mondiale : la
hausse attendue des coûts de l'énergie et
des transports va renchérir les flux commerciaux internationaux de matières premières,
de produits manufacturiers et de produits
7
intermédiaires. Ce renchérissement aura
pour conséquence de donner une importance nouvelle aux marchés régionaux, ouvrant de nouvelles perspectives, en particuliers pour les PME des deux pays. C'est une
occasion qu'entreprises et gouvernements
devraient saisir.
L’opinion exprimée dans cette analyse
n’engage pas la position de la FES.
Responsable de la publication : Peter Gey,
directeur du bureau parisien de la FES
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