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Editions Hatier Corrigé (devoir rédigé) Introduction Le savoir et la croyance, en leur sens le plus large, ont un point commun : chacun prétend délivrer une vérité. Les théories scientifiques prétendent dégager certaines lois régulières expliquant les phénomènes physiques, ou bien établir indubitablement des démonstrations mathématiques. De même, toutes les croyances se donnent pour des vérités. Croyance et savoir semblent néanmoins se contredire. D'une part, la certitude née du savoir paraît supérieure à celle née de la croyance : elle est fondée sur des preuves expérimentales, ou des démonstrations nécessaires ; la croyance se fonde au contraire sur un principe étranger, ineffable et douteux : la foi. C'est pourquoi le savoir semble destiné à faire disparaître la croyance, partout où elle règne encore. Pourtant, le progrès considérable du savoir scientifique accompli depuis plusieurs siècles n'a pas fait disparaître la croyance, bien au contraire : superstitions et religions conservent toute leur audience. De fait, le savoir ne semble donc pas exclure la croyance. À ceci s'ajoute que le domaine de la croyance (l'existence de Dieu, la vie après la mort) semble parfois exclure toute connaissance scientifique. Faut-il alors envisager d'autres rapports entre croyance et savoir ? La croyance peut-elle coexister avec un savoir scientifique sans pour autant disparaître ? 1. Le savoir abolit la croyance A. Contradiction entre savoir et croyance Lorsque savoir et croyance entrent en conflit sur un objet particulier, le savoir fournit des certitudes dont la croyance ne dispose pas. En particulier, les sciences de la nature (physique et biologie) sont fondées sur l'observation de faits et permettent d'établir des lois. La science a donc pour elle la certitude des faits observés. Lorsqu'une croyance religieuse entre en contradiction avec une théorie scientifique, elle ne peut établir sa propre vérité sur aucune observation réelle. Ainsi le dogme chrétien de la création a-t-il été remis en question au xixe siècle par les découvertes de Darwin sur l'évolution des espèces. Dans une telle situation, il n'est plus possible de croire sans se mettre en contradiction avec l'objectivité du fait scientifique. Quelle solution reste-t-il alors pour le croyant ? Ou bien tenter de concilier sa foi et les résultats de la science, en donnant une interprétation métaphorique du dogme. Ou bien conserver sa croyance en niant l'évidence des faits. Mais cela implique de renoncer par principe à toute forme de raisonnement et de persuasion. Dès lors, la croyance est autorisée à admettre n'importe quoi, puisqu'elle refuse les données de l'observation empirique : elle ne demande qu'une adhésion sans discussion. B. Incertitude de la croyance Mais par le même principe, la croyance autorise qu'on la contredise. Elle est donc fondamentalement incertaine. La certitude des sciences est de deux sortes : soit elle découle d'observations empiriques, soit elle naît d'une nécessité démonstrative (dans les mathématiques). Or la croyance ne se fonde sur aucune de ces deux sources du savoir : les spectres, les dogmes de l'Église, la vie après la mort, ne sont objets ni d'observation ni de démonstration. Il n'y a donc aucune raison objective d'adhérer à une croyance. La croyance est douteuse : elle ne répond à aucun des critères sur lesquels se fonde le savoir. À ceci s'ajoute que les croyances se contredisent, sans qu'aucune ne puisse affirmer sa supériorité par des raisons claires : la religion chrétienne décrète que les âmes seront damnées ou sauvées ; la religion hindouiste affirme la réincarnation des âmes, etc. C. Le progrès de l'esprit humain Dès lors, il devient manifeste que le savoir est appelé à exclure et à remplacer la croyance. En effet, si savoir et croyance prétendent tous les deux affirmer une vérité, seul le savoir possède des critères permettant d'établir solidement ce qu'il affirme. La croyance devient une vérité imparfaite, une tentative de savoir qui n'aboutit pas. On peut alors considérer, avec Auguste Comte, que la croyance doit disparaître à mesure que s'affirme le savoir. La croyance se réduisant à un savoir raté, elle ne peut constituer qu'une étape sur le chemin d'un savoir qui, progressivement, s'affranchit de la superstition. Comte décrit ainsi le devenir de l'humanité selon trois états : théologique, métaphysique, et positif1. Chaque étape représente pour l'esprit humain un progrès sur le chemin de la connaissance, et la destruction d'obstacles liés à des croyances : fétichisme, croyance aux êtres métaphysiques. Dans cette perspective, la croyance est l'ennemi principal d'un savoir qui, par définition, doit l'exclure. 2. La croyance coexiste avec le savoir A. Le besoin de croyance © Hatier 1 Editions Hatier Pourtant, la croyance persiste sous diverses formes : superstitions, religions. Comment expliquer ce fait ? Peutêtre la religion obéit-elle à d'autres motifs que le savoir, motifs que le savoir seul ne satisfait pas. Pascal, dans ses Pensées, souligne ainsi un besoin de croire qui ne trouve pas satisfaction dans le savoir seul. Ce besoin est un besoin sensible, un besoin du “ cœur ” : “ Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ” déclare-t-il ainsi 2 . Quelle est la nature de ce besoin ? Les connaissances scientifiques nous présentent un monde soumis à des lois régulières mais dépourvu de sens, désenchanté. Leur portée est nécessairement limitée par les données de l'expérience. Elles ne permettent pas de répondre à des questions qui dépassent les limites du savoir scientifique : quelle est la destinée de l'homme ? quel est le sens de sa présence dans le monde ? Face à ces questions, la connaissance scientifique reste muette : elle ne peut ni y répondre ni les exclure. Ces questions demeurent hors de son champ. “ Vanité des sciences ” écrit encore Pascal3, car seule la religion apporte alors une réponse possible. Il faut donc réserver un domaine particulier à la croyance religieuse, domaine autonome et qui ne concerne pas le savoir scientifique. Dans cette perspective, le savoir n'abolirait pas la croyance mais la laisserait subsister à ses côtés sans la contredire. La religion répondrait ainsi à une insuffisance du savoir. B. La croyance est une dimension du savoir Mais plus profondément, comme l'a montré Hume dans Enquête sur l'entendement humain4, la croyance joue un rôle essentiel dans le savoir lui-même. En effet, toute loi scientifique est fondée sur l'observation de phénomènes naturels se répétant de façon régulière. Les lois physiques présupposent la constance des phénomènes dont elles rendent compte. Or Hume pose la question : d'où vient la conviction que les phénomènes naturels sont réellement soumis à des lois régulières ? D'où vient la certitude que le Soleil se lèvera demain ? Et il répond : précisément, il ne s'agit pas d'une certitude mais d'une croyance. Rien dans les phénomènes observés ne nous garantit qu'ils se répéteront indéfiniment. Les lois scientifiques sont donc, en dernière instance, validées par une croyance. Cette catégorie nous incline à penser que les régularités naturelles observées dans le passé se répéteront dans l'avenir. Quelle est l'origine de cette croyance selon Hume ? L'habitude, qui nous pousse à envisager l'avenir sur le modèle du passé : ainsi supposons-nous naturellement, mais sans en avoir la certitude, que le Soleil se lèvera demain, que l'eau va bouillir à 100 °C, etc. Le savoir, loin d'évacuer la croyance, la retrouve ainsi en son propre sein. Mais elle est alors provoquée par l'habitude. La croyance semblait destinée à disparaître, à laisser place aux progrès du savoir. Mais deux éléments contrecarrent cette tendance : tout d'abord, la croyance religieuse obéit à des motifs que ne peut satisfaire la science. Ensuite, Hume fait apparaître que le savoir scientifique lui-même est habité par une forme de croyance, provoquée par l'habitude. Faut-il pour autant renoncer à affirmer la force du savoir ? Le savoir reste-t-il totalement impuissant face à des croyances irrationnelles ? 3. Savoir et croyance obéissent à des exigences contradictoires A. Le savoir comme libération Savoir et croyance se distinguent pourtant fondamentalement, au moins par leur exigence respective : le savoir est animé d'une exigence de raison, tandis que la croyance (et la religion en particulier) estime que la foi est d'une valeur supérieure à la raison. La religion ne demande qu'une attitude : que l'on accepte le dogme. “ Cela vous fera croire et vous abêtira ”, déclare ainsi Pascal5. À cet égard, comme le montre Spinoza dans le Traité théologico-politique, la croyance ne répond pas seulement à un besoin : elle suscite une forme d'ignorance. Elle ne demande en effet pas de comprendre, mais seulement d'obéir et de se soumettre à un dogme mystérieux. La vérité de la religion n'est pas enseignable, elle est “ révélée ” par une grâce divine, la seule susceptible de donner la foi. Croyance et savoir s'opposent non seulement par le contenu des vérités qu'ils enseignent (nous l'avons vu en première partie), mais encore par leur façon d'envisager et de reconnaître la vérité. Le savoir cherche une explication, là où la religion demande d'adhérer sans comprendre. De ce point de vue, croyance et savoir sont foncièrement incompatibles : la raison est le seul critère du savoir ; le mystère et la foi celui de la croyance religieuse. B. L'exigence de raison Spinoza ajoute : la religion a besoin que ses fidèles ne puissent pas comprendre. En effet, seule l'ignorance des fidèles lui permet de se maintenir et d'assurer son emprise sur la foule : elle autorise à affirmer que Dieu a créé le monde, qu'il l'a créé pour que les hommes lui obéissent, etc. Selon Spinoza, le propre de la religion est alors de susciter la crainte : crainte de pécher, crainte d'être damné, etc. Cette crainte a pour but de maintenir le pouvoir spirituel de la hiérarchie religieuse. © Hatier 2 Editions Hatier Il est clair qu'a contrario, l'idée d'une explication rationnelle des phénomènes naturels délivre de la croyance superstitieuse, de la crainte liée à l'ignorance, et joue un rôle libérateur. Ce rôle libérateur du savoir était déjà souligné par Épicure et Lucrèce6 : contre la superstition, contre la croyance aux esprits et contre la crainte qu'elles suscitent, il faut concevoir que tout phénomène naturel obéit à une cause. Il faut concevoir que tout a une explication : nous sommes ainsi délivrés de la crainte engendrée par l'ignorance. Conclusion Croyance et savoir restent donc incompatibles, car l'exigence même du savoir implique l'exclusion de la croyance. Le savoir contredit la croyance dans son contenu comme dans sa visée. Croyance et savoir sont surtout incompatibles en tant qu'attitudes : la première suppose une adhésion sans discussion ; la seconde implique au contraire la recherche de causes et l'exigence de raisons. Néanmoins, ce ne sont que deux attitudes. Les résultats réels du savoir, dans leur insuffisance, laissent en effet place à des interrogations auxquelles seules les croyances religieuses peuvent apporter une réponse : c'est pourquoi les croyances de toutes sortes persistent, en dépit des progrès de la science. 1. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, Hatier, coll. “ Profil philosophie ”, n° 703/704. 2. Pascal, Pensées, éd. Brunschwicg, § 277, Le Livre de poche, p. 134. 3. Idem, § 67, Le Livre de poche, p. 24. 4. Hume, Enquête sur l'entendement humain, GF-Flammarion. 5. Idem, § 233, Le Livre de poche, p. 116. 6. Épicure, Lettre à Ménécée, Hatier, coll. “ Profil philosophie ”, n° 711. © Hatier 3