Emmerico Hartwich Nunes et le dessin humoristique
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Emmerico Hartwich Nunes et le dessin humoristique
Emmerico Hartwich Nunes et le dessin humoristique Isabel Lopes Cardoso e dessin humoristique et la peinture constituent les deux pôles de la vie de Emmerico Hartwich Nunes. Il consacre une bonne partie de son existence au dessin humoristique et acquiert avec lui une certaine notoriété. Rafael Bordalo Pinheiro, Leal da Câmara et la caricature allemande représentent dans ce domaine des sources d’inspiration importantes. En peinture, il revendique le statut de disciple de Jean-Paul Laurens et de Ferdinand Cormon. Les années 1904/1905 marquent un tournant dans la vie de l’artiste, qui quitte le Lycée Polytechnique après avoir conclu une formation commerciale. Sa mère, toujours prête à soutenir les initiatives artistiques de son fils1, s’abonne au plus ancien hebdomadaire humoristique allemand, le Fliegende Blätter2, offrant à Emmerico une première incursion dans l’univers de la caricature allemande et du dessin humoristique des “grands maîtres” du 19e siècle. En même temps, à l’âge de seize ans, l’artiste entreprend son deuxième voyage en Allemagne au cours duquel il fait plus amplement connaissance avec la famille maternelle, ainsi qu’avec le pays. A Lisbonne, le père d’Emmerico prend la décision de l’inscrire dans la meilleure école commerciale de la ville. Le “calvaire” dure relativement peu de temps. Emmerico est si malheureux que son père se laisse vaincre (mais non pas convaincre) et finit par l’inscrire à l’Ecole des Beauxarts. Et c’est le peintre naturaliste José Malhoa qui, deux ans plus tard, conseille Silvestre Jacinto Nunes de laisser partir son fils pour Paris. Malhoa est convaincu que le jeune artiste perd son temps au Portugal alors qu’un séjour dans le “plus grand centre artistique du monde” fera de lui rapidement un artiste. En 1906, Emmerico prend enfin le chemin de la capitale française, s’y installe pour cinq ans et fréquente les L n° 26 - avril 2006 LATITUDES 1888 : naissance à Lisbonne; fils de Silvestre Jacinto Nunes3 et de Maria Ferdinanda von Moers Hartwich Nunes, née à Regensburg, Bavière 4. 1920: mariage à Sines, avec Clotilde Edwares Pidwell 5; deux filles. 1968: décès à Sines. 1972: seule rétrospective 6 à laquelle il eut droit à ce jour. 2004/2005 : deux expositions, à Braga et au Luxembourg 7, célèbrent sa longue collaboration en tant que dessinateur attitré de la revue humoristique allemande Meggendorfer Blätter. cours privés de Ferdinand Cormon et la célèbre Académie Julian. Apprentissage et douce bohème On sait très (trop) peu de choses sur le passage d’Emmerico à Paris. Et pourtant, cette partie de son parcours mérite que l’on y prête quelque attention. L’Académie Julian fut fondée en 1868, à une époque ou la suprématie de l’Ecole des Beaux-arts et de l’art académique était sérieusement mise en cause. L’Académie Julian offrait un enseignement très proche de celui de l’Ecole mais tandis qu’à l’Ecole n’entraient que les étudiants ayant réussi un examen d’entrée extrêmement difficile, l’Académie acceptait tous les candidats (ou candidates8) dès lors que recommandés par quelqu’un de son sein (étudiant, enseignant, ami ou simple concitoyen). Les professeurs de l’Ecole enseignaient à l’Académie, et viceversa: Bouguereau, Boulanger, Benjamin-Constant, Jean-Paul Laurens prodiguaient un enseignement classique, inspiré d’Ingres et qui accordait une place centrale au dessin (de la figure humaine, surtout). Les cours de dessin, de peinture et de sculpture de l’Académie avaient pour objectif principal la préparation des élèves à l’examen d’entrée de l’Ecole des Beaux-arts et aux concours de professeur d’arts plastiques. L’Académie Julian devint ainsi une véritable alternative à l’Ecole, sinon sa rivale. De renom international, sa popularité résidait dans le fait qu’elle accueillait en son sein des étudiants venant du monde entier avec des parcours et des hori- Bohème à Paris, 1909, E. H. Nunes debout au centre 51 Femmes peintres à l’Académie Julian Peinture à l’huile de Marie Bashkirtseff, 1881 zons très différents. Et alors qu’à l’Ecole le nouveau venu passait un mauvais moment (il était, dans le meilleur des cas, ignoré par les autres étudiants), à l’Académie il était confié à un étudiant expérimenté. Les registres des ateliers de l’Académie 9 attestent de l’esprit démocratique qui y régnait: le massier (l’étudiant qui s’occupait de la trésorerie) n’était pas imposé, mais élu; et le choix hebdomadaire du modèle était soumis au vote (contrairement à l’Ecole, où il était imposé par les professeurs). De surcroît, dans le contexte de l’Académie, les professeurs acceptaient plus facilement le débat et les nouvelles idées des étudiants sur l’esthétique de la peinture. En dehors de l’apprentissage technique (comment dessiner la figure humaine, modeler un volume, créer une impression d’espace, respecter les proportions et l’anatomie, etc. ?), les étudiants avaient la liberté de peindre comme Gauguin, Cézanne ou les Impressionnistes. Et ce, à la seule condition d’avoir acquitté les frais d’inscription. Ce rôle de médiatrice entre un savoir-faire traditionnel et l’ouverture à de nouvelles idées distinguait l’Académie Julian de l’Ecole des Beaux-arts et revêtait une grande importance pour les jeunes artistes 52 portugais qui arrivèrent à Paris au début du 20e siècle, à la recherche de nouveaux horizons intellectuels et artistiques. Au tournant du siècle, environ 75 % de la population portugaise ne savait ni lire ni écrire. Le Portugal manquait d’écoles, de professeurs, de moyens de communication adéquats et d’une “législation de progrès culturel”. L’accès aux écoles secondaires était, en général, limité à un groupe restreint d’étudiants de la moyenne et de la haute bourgeoisie. En réalité, seuls les séminaires catholiques, implantés dans tout le pays, offraient un enseignement pour les masses. L’unique université (Coimbra) et quelques écoles supérieures situées à Lisbonne et à Porto fournissaient une élite peu nombreuse et insuffisamment formée. Il fallait s’approprier une bonne partie de la culture à l’extérieur, en dehors du cadre de l’enseignement officiel. On dévorait les patrons culturels français, on lisait l’allemand et même un peu l’anglais10. Les artistes contemporains d’Emmerico souffraient tous du même manque de culture artistique et ils ont tous absorbé le changement d’air que leur procurait le séjour à l’étranger sans pour autant être touchés par les vents révolutionnaires qui balayaient la capitale française. A l’exception d’un Amadeo de Souza Cardoso, les jeunes artistes portugais restaient hermétiques à des expériences plus radicales comme le cubisme. Pour eux, l’acte « révolutionnaire » et libérateur consistait en l’abandon de l’Ecole des Beaux-arts sclérosée de Lisbonne. Echanger la capitale portugaise contre Paris pour y VOIR, RESPIRER de la peinture tous les jours, échanger les quelques musées poussiéreux et mal entretenus du pays natal contre les interminables salles du Louvre pour s’y entraîner et copier les grandes œuvres de la peinture, peindre à l’air libre, plonger dans une certaine bohème cosmopolite où circulaient toutes sortes d’idées et de discours, constitua un moment de formation important, une bouffée d’air frais et une nécessité. C’est au sein de l’Académie Julian et dans les ateliers libres que les artistes portugais trouvèrent le type d’enseignement et de vécu qui leur convenait: un enseignement classique et un certain bouillonnement d’idées international, puisque 50 % des inscrits à l’Académie Julian étaient des étrangers11. On les retrouvait notamment dans l’atelier de Jean-Paul Laurens, qui exerçait une forte attraction sur les étudiants du monde entier. Emmerico y a certainement rencontré un excellent groupe de peintres japonais (parmi lesquels Kanakogi et Yasui) qui inspira les milieux artistiques parisiens. Les 150 peintures et estampes japonaises présentées au Musée Guimet, à Paris, l’an dernier ont pu nous rappeler combien l’art moderne européen doit aux arts traditionnels japonais. Chez Emmerico Nunes, cette influence se traduit, par exemple, dans des dessins comme “La poussette” ou “Messagers” qui révèlent ses qualités de coloriste et d’aquarelliste. Par ailleurs, l’Académie Julian introduisit beaucoup d’innovations, en fonction des besoins des étudiants et des concepts artistiques qui évoluaient. Dans cette perspective et face à l’importance croissante de l’image dans la presse (journaux, magasines, publicité), elle propose des cours d’illustration et d’arts graphiques12, également fréquentés LATITUDES n° 26 - avril 2006 par Emmerico. Il se peut que le trait si caractéristique de l’artiste se soit affirmé à l’Académie Julian, car c’est de Paris qu’il emmena le carton plein de dessins ainsi que l’album illustré pour enfants qu’il présenta à l’éditeur du Meggendorfer Blätter dès son arrivée à Munich. En 1911, Emmerico quitte Paris et poursuit son chemin jusqu’à la terre natale de sa mère à un moment où, en France, l’image de l’Allemagne recommence à se dégrader : “Não ignoro que há três anos a esta banda se tem feito assuada ao boche de tôdas as formas e feitios. O digno patriota almoçava, jantava e ceava sarrabulho teutão!” affirmait Aquilino Ribeiro par la bouche de Homeln, un de ses personnages de “É a guerra”, écrit entre le 1er août et le 26 septembre 1914. “Comme sur des roulettes”13 Munich accueille Emmerico Hartwich Nunes à bras ouverts, alors qu’elle exhale les odeurs fétides qui précèdent la tempête. Sur l’Europe plane l’ombre d’une guerre possible. Les nombreux journaux humoristiques publiés dans la capitale bavaroise scalpelisent la réalité contemporaine et donnent une idée des scandales de l’époque, de la mentalité militariste qui se mettait en place. Dans pareil contexte, Emmerico recherche l’éditeur du Meggendorfer Blätter14, cette revue qui l’avait tellement “enchanté pendant son enfance”, et y présente ses dessins et l’album pour enfants exécutés à Paris. Non seulement il vend tout comme il en ressort avec un contrat d’exclusivité dans la poche. “Aceitei com uma satisfação indescritível por ver coroado com tão grande êxito o princípio da minha carreira de artista num dos maiores centros de arte do mundo15”. Emmerico fut, avec Leal da Câmara, le seul artiste portugais du début du 20 e siècle à faire état d’une si longue collaboration avec un périodique étranger. Dans un premier temps, il croque les us et coutumes du monde dans lequel il vit et se distingue comme humoriste dans des aquarelles et des dessins attrayants par la précision du détail, la fraîcheur et la grâce endiablée de l’ensemble. Mais la Première Guerre mondiale le propulse dans la une du Meggendorfer Blätter. L’éditeur lui confie un travail d’une plus grande responsabilité au sein d’une presse allemande qui véhicule un message patriotique, cherchant à justifier la guerre et les sacrifices que celle-ci impose. La mobilisation russe du 31 juillet 1914 était venue renforcer le sentiment, très répandu au sein de l’opinion publique allemande, que l’extérieur imposait la guerre au pays et que la nation avait besoin d’être plus unie que jamais en dépit des profonds clivages qui se faisaient sentir notamment en matière de politique interne. Dans un premier temps, le début de la Grande Guerre eut pour effet d’unir les politiciens allemands sous le leitmotiv de Guillaume II: “Ich kenne keine Parteien mehr, kenne nur noch Deutsche16”. Tous les partis politiques votèrent les crédits de guerre et les militaires commencèrent à diriger la politique interne du pays, Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff en tête. Au fur et à mesure que s’éloignait l’illusion d’une guerre efficace et rapide, les dirigeants militaires allemands interféraient chaque jour davantage dans Caricature de Leal da Câmara n° 26 - avril 2006 LATITUDES 53 “Emmerico Nunes”, caricature de D. Rebelo, E. Viana, Solá e Amado, Paris, 1910. le quotidien de la population et réglementaient la politique économique sans parvenir à endiguer l’économie parallèle ni le blocus naval anglais. Le fossé entre des buts de guerre utopiques et une réalité marquée par la distribution d’aliments de plus en plus déficiente, devint béant et l’insatisfaction et les critiques contre la guerre ne cessèrent d’augmenter. C’est dans ce contexte qu’Emmerico développe son travail de caricaturiste politique. Durant le conflit, il assume la une de l’hebdomadaire allemand et se charge de la “Chronique de Guerre” (Kriegschronik). “Ne vous fiez pas aux nouvelles venant de France ou d’Angleterre, tout est mensonge”. Emmerico Nunes s’identifie avec cette Allemagne en guerre et le dessin LÜGE , dans lequel l’artiste dénonce le mensonge des alliés, recouvre les dires de la lettre qu’il écrit à sa mère. Ce dessin, qui 54 était probablement destiné à être publié dans le Meggendorfer Blätter renvoie à ce temps de guerre où la presse joua un rôle de premier plan. L’art de tuer l’ennemi par le ridicule fit rage au sein des pays belligérants et tous y allaient de leur propagande et de leur contre-propagande. Mais l’Allemagne fut peutêtre le seul pays à créer un service de propagande avec l’intention de mobiliser les caricaturistes, à partir de 1917, et à tenter de sauver l’impossible. Lorsque surgirent les premières rumeurs d’une éventuelle entrée du Portugal dans le conflit, Emmerico Nunes opte pour ne pas rentrer au pays natal et préfère s’installer en Suisse (Zurich) d’où il poursuit l’envoi de ses dessins à la revue allemande. Les dessins qu’il produit pour les pages politiques de la revue allemande sont d’une grande qualité plastique. La responsabilité qu’il assume en prenant en charge l’illustration de la une l’oblige à une vigilance, à un exercice de l’esprit et du crayon d’une grande exigence, qui se traduisent dans de centaines de cartoons de belle composition. Ses dessins se détachent de la production restante du Meggendorfer Blätter par la force de leur composition (agglutinations, ellipses et plans diagonaux particulièrement bien réussis) et l’application de la couleur en aplats. Au cours des quatre années de guerre, Emmerico Nunes dessine ce que sa veine artistique lui dicte de mieux. Et le Meggendorfer Blätter trouva en lui le garant de la qualité graphique qui lui manquait. Le recours au symbole sous toutes les formes est un des moyens de prédilection d’Emmerico qu’il exploite dans des compositions d’une incroyable force plastique. Il en résulte de très belles pages comme The Splendid Isolation ou Der Sturm im Westen (Tempête à l’Ouest). Les légendes, courtes, redondantes, soulignent l’effet du dessin et le chargent d’humour. D’une manière générale, les dessins sont si explicites pour le lecteur de l’époque qu’ils se passent de légendes. Un titre ou une phrase courte suffisent à souligner l’idée. La collaboration avec le Meggendorfer Blätter se poursuit après la guerre et Emmerico reprend la satire des us et coutumes. Resurgissent alors ses galeries de portraits et de types sociaux, généralement des petits-bourgeois et des nouveaux riches lorsqu’il s’agit de l’univers urbain. L’univers rural, la Bavière ou la Suisse rurale, celle des montagnes, constituent l’autre univers où l’artiste nous promène. Ici, les (longues) légendes revêtent une autre fonction. Sans elles, il n’y a pas d’histoire. Le comique est engendré par le dialogue des personnages. Emmerico pratique la satire des us et coutumes sans la rage d’un Leal da Câmara ni le sens tragique d’un Stuart Carvalhais. Son humour traduit plutôt une bonhomie naturelle et un désir permanent de sublimer la vie en riant de l’être humain et de ses faiblesses. LATITUDES n° 26 - avril 2006 Après la guerre, l’artiste rentre au Portugal et s’y marie. Sa collaboration avec le Meggendorfer Blätter s’espace. Dans l’Allemagne de l’après-guerre profondément humiliée et amputée, les années 1920 et 1930 sont des années de crise durant lesquelles prend corps le mouvement nazi. Emmerico tente une fois encore de s’y installer en 1924, mais le climat qui y règne le convainc du contraire. A partir de cette année, l’éditeur du Meggendorfer Blätter écrit plusieurs lettres à son dessinateur préféré dans lesquelles il lui demande de revenir car ses dessins commencent à perdre la qualité « intrinsèquement allemande » qu’exige le genre de la revue. J.F. Schreiber lui renvoie plusieurs dessins en lui faisant remarquer qu’ils ne correspondent pas à la commande passée et essaye, une nouvelle fois, de convaincre Emmerico de s’installer à Munich afin que l’artiste s’imprègne du quotidien local. Finalement, c’est la revue elle-même qui est abolie en 1934, soit un an après l’arrivée de Hitler au pouvoir. Ainsi se termine une des plus longues collaborations d’un artiste portugais dans un périodique étranger. que tendent à corroborer les expositions du Groupe des Humoristes Portugais de 1912 et de 1913, dans lesquelles Emmerico participa également. Les années de la première république furent abondantes en publications périodiques humoristiques, qui constituaient alors les véritables (et seuls) supports d’une modernité possible en termes esthétiques. Mais en ces temps-là, Emmerico Nunes publiait ses dessins en Allemagne, où il se sentait bien. Il y avait gagné une certaine reconnaissance (en tout cas suffisante à ses yeux), il vivait de son art et ne pensait pas du tout rentrer au Portugal. Lorsqu’il se vit contraint de prendre cette décision, la première parenthèse moderniste était en train de se refermer. La troisième et dernière exposition du Groupe des Humoristes Portugais, élargie aux humoristes espagnols, se réalisa symptomatiquement en 1919, soit au cours de la dernière année de la décennie qui vit naître la république. Le pays s’acheminait lentement vers une dictature militaire et les journaux humoristiques s’éteignaient les uns après les autres. Emmerico collabora à quelques-uns mais continua, de façon irrégulière, à envoyer ses dessins au Meggendor fer Blätter jusqu’à son extinction. Il dessina pour une série de journaux et de suppléments infantiles portugais qui, eux aussi, se faisaient rares. En 1945, l’artiste déclare dans son autobiographie que le pays “ne possède plus un seul journal humoristique” et qu’il ne trouve pas de moyen de publier ses dessins. Amer, il décide de se tourner exclusivement vers la peinture. La mélancolie de sa déci- Toile d’araignée Emmerico H. Nunes finit par se fixer au Portugal, contrarié. En 1911, à Lisbonne, il avait participé à la nommée “Exposition Libre” qui marquait la fin d’un temps politique - celui de la monarchie - mais laissait aussi entrevoir la persistance de structures mentales et culturelles du 19e qui allaient entraver le nouveau régime républicain. Cette “Exposition Libre” prétendument anti-académique avait regroupé les artistes portugais qui se trouvaient alors à l’étranger et venaient montrer ce qu’ils avaient appris en dehors du pays natal. Emmerico y exposa une série de caricatures d’une modernité qui était absente des œuvres de peinture ou de sculpture présentées par les autres artistes. Aussi peut-on affirmer que c’est par la caricature que furent introduits de nouveaux canons esthétiques dans le pays, ce n° 26 - avril 2006 LATITUDES Der Sturm im Westen (Tempête à l’Ouest) L’Allemagne déclenche la « grande bataille de France » Meggendorfer Blätter, n° 1425, 18.4.1918 55 7 “O ocidente”, Manuel Bordalo Pinheiro, 1880. sion se traduit dans les portraits et les paysages qu’il peint jusqu’à la fin de sa vie. Dans un pays où le marché de l’art était pratiquement inexistant, Emmerico s’est vu contraint, depuis le début, d’accepter d’autres travaux. Il fut dactylographe, directeur d’un journal pour les “petits”, lithographe, restaurateur. Intégré dans l’équipe constituée par António Ferro, il collabora aux expositions internationales où le Portugal était présent, et fut un des décorateurs de l’emblématique Exposição do Mundo Português (1940). Il travailla dans la publicité, fut professeur de dessin et de peinture des Comtes de Paris à Lisbonne, organisa une exposition d’art religieux missionnaire. Les deux exlibris qu’il dessine à dix ans d’intervalle, dans les années 1940 et 1950, évoquent la lutte constante qui marqua sa vie depuis son retour au pays natal. Le premier représente deux longues mains délicates - les mains de l’artiste - entourées de fil de fer, symbole du chemin épineux 56 tracé au Portugal. Dans le deuxième, le point d’exclamation de son “Querer ir mais além!” (Vouloir aller plus loin !) traduit une certaine rage (la rage de l’impuissance) devant cette toile d’araignée géante qui résiste aux assauts de l’athlète puissant et l’empêche d’atteindre la lumière G 1 2 3 4 5 6 Emmerico Hartwich Nunes. Retrato sensível. Arte e desenho humorístico na imprensa alemã, Museu Nogueira da Silva/Universidade do Minho, Braga, du 18.12.2004 au 26.2.2005 et Centre Culturel Portugais, Luxembourg, du 11.3.2005 au 31.3.2005. 8 Pour les femmes, l’Académie Julian a longtemps constitué la seule alternative aux cours proposés par l’Ecole des Beaux-arts, l’entrée dans cet établissement public leur étant proscrite jusqu’en 1897. 9 Fehrer Catherine, The Julian Academy. Paris 1868-1939, Spring Exhibition 1989, New York, Shepherd Gallery, 1989. 10 Oliveira Marques A.H. de, “Portugal no século XX. Problemas de história portuguesa, 1900-1930”, Ocidente, vol. 76, 1969. 11 Pour décourager l’inscription d’étudiants étrangers, l’Ecole des Beauxarts imposait à ses candidats une épreuve en langue française réputée difficile, ce qui fit que l’Académie Julian attira un grand nombre d’étudiants venus de tous les pays d’Europe, des Etats-Unis, du Japon. 12 En 1968, l’Académie Julian se transforme et devient l’Ecole Supérieure d’Arts Graphiques/ESAG qui existe encore aujourd’hui. 13 Expression employée par l’artiste dans son autobiographie rédigée en 1945 et publiée dans le catalogue de l’exposition rétrospective de 1972. 14 Revue humoristique munichoise, créée au cours des années 1880 et qui prit fin en 1934. 15 Autobiographie rédigée en 1945 et publiée dans le catalogue de l’exposition rétrospective de 1972. 16 “Je ne connais pas de partis, je ne connais que des Allemands” (traduction ILC). Emmerico dessine et peint depuis l’âge de trois ans. Le premier numéro parut le 7.11.1844. En 1928, la revue fut reprise par J.F. Schreiber, éditeur du Meggendorfer Blätter. Frère du républicain José Jacinto Nunes. La famille maternelle de Emmerico H. Nunes descend d’une branche de la famille royale bavaroise (Louis I, roi de Bavière entre 1825 et 1848). De par sa mère, Emmerico Hartwich Nunes est apparenté au poète Al Berto (branche Pidwell). Exposição retrospectiva da obra do pintor Emmérico Nunes, Lisbonne, Palácio Foz, Mars 1972. LATITUDES n° 26 - avril 2006