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moneytalk investir
LES DERNIÈRES SOCIÉTÉS DE BOURSE INDÉPENDANTES (1)
PIRE AM : LA MÉTAMORPHOSE
D’UNE CENTENAIRE CAROLO
Dernière société de Bourse indépendante de Wallonie, cette maison plus que centenaire
et axée sur l’investisseur particulier est passée à la vitesse supérieure en 2014.
Elle ne compte pas s’arrêter là.
GUY LEGRAND
KRIS VAN EXEL
ARNOULD
ROBERTI,
JEAN-JACQUES
PIRE
ET ARNAUD
JAMAR
DE BOLSÉE
(PIRE AM)
«Nous pouvons
faire de la gestion
discrétionnaire
à partir
de 250.000 euros,
au travers
de lignes directes
en actions
et obligations.»
≤
moneytalk investir
D
e père en fils: pendant plus d’un
siècle, la société de Bourse Pire
a suivi la voie historique qui prévalait dans la corporation des
agents de change. Jean-Jacques
Pire, l’administrateur délégué qui représente actuellement la famille, avait ainsi
(avec ses frères Jean-Pol et Yves) repris
les rênes au décès de son père Gérard,
en 1981. Lequel avait lui-même, en 1947,
succédé à son père Maurice, fondateur
de la maison en 1909.
Et puis, en 2013-2014, c’est le grand
chambardement chez Pire & Compagnie,
qui a déménagé dans le centre de Charleroi en 2012. Conseil d’administration et
capital s’ouvrent à de nouveaux venus.
Quatre autres administrateurs délégués
côtoient dorénavant Jean-Jacques Pire.
Michel Latin, Pierre Hubar et Arnaud
Jamar de Bolsée sont en poste depuis 2014.
Le premier, issu de la Générale de Banque,
a dirigé la succursale belge de Cofibol (lire
plus loin). Les deux derniers furent longtemps administrateurs délégués dans la
société de Bourse Bonnewijn, Renwart,
Van Goethem (BRG), qu’ils quittèrent en
2005, lors de son intégration dans la
Banque Degroof, laquelle l’avait rachetée
cinq ans plus tôt. Le second y était compliance officer et il occupe cette même
fonction chez Pire. Arnould Roberti vient
de rejoindre ce trio. Lui aussi a fait ses
classes chez BRG, avant de poursuivre
dans le giron de Degroof. En 2015, la «simple » société de Bourse carolo, qui se
contentait jusqu’ici de passer les ordres
de ses clients, change de statut et modifie
sa dénomination en Pire Asset Management. Une vraie métamorphose!
Tête de pont à Luxembourg
«La maison se portait bien et bénéficiait
d’une clientèle extrêmement fidèle, se
souvient Jean-Jacques Pire, mais sans vraiment se projeter dans le futur. Or, nous
n’étions pas certains que le schéma historique allait continuer à fonctionner. Plusieurs clients nous avaient d’ailleurs demandé pourquoi nous ne faisions pas de
gestion.» C’était un prolongement d’autant
plus logique de l’activité historique que la
relation avec le client est souvent ancienne
et très personnalisée. «J’ai des clients qui
l’étaient déjà du temps de mon père».
En 2014, Pire obtient les agréments de
conseil en investissement et de gestion de
portefeuille; elle adopte le nom de Pire AM.
138 27 OCTOBRE 2016 WWW.TRENDS.BE
S’IL N’EN RESTE QU’UN…
D’une certaine manière, Pire AM n’est pas
vraiment la dernière société de Bourse
wallonne. De fait, on ne saurait ignorer Leleux
Associated Brokers qui, comme son nom
l’indique, a progressivement rassemblé
plusieurs agents de change et sociétés de
Bourse, au point de compter aujourd’hui pas
moins de 28 agences dans l’ensemble
du pays. Leleux a toutefois déplacé son siège
social à Bruxelles – le siège administratif reste
à Soignies, berceau de la société – de sorte
que, stricto sensu, la maison Pire est bien
la dernière société de Bourse indépendante
de Wallonie. Liège n’en compte plus aucune.
La société de Bourse n’était toutefois
pas vraiment « restée dans son coin »
jusqu’ici. En 1985 en effet, avec un partenaire français, elle crée la Compagnie financière et boursière luxembourgeoise
(Cofibol). Ce «professionnel du secteur
financier», suivant la terminologie qui prévaut à Luxembourg, a des activités allant
de la gestion de fortune pour les particuliers à la gestion de fonds et sicav. Ce dernier point est remarquable: dès sa création, Cofibol lance, sous le nom Placeuro,
un produit qui s’inscrit parmi les tout premiers fonds à compartiments multiples
du continent européen.
Bien que Pire se soit entièrement retirée du capital de Cofibol en 2013, la collaboration entre les deux sociétés subsiste:
non seulement la société de Bourse carolorégienne propose-t-elle les fonds
Placeuro à ses clients, mais elle gère, depuis
2015, plusieurs de ses compartiments: deux
en actions et deux en obligations. Pire AM
en a aussi repris le réseau de la succursale
belge, ce qui lui vaut deux implantations
supplémentaires à Wavre et Tournai.
En attendant Bruxelles et Liège, qui sont
dans les cartons, et peut-être Namur.
Priorité aux particuliers
De nombreuses sociétés de Bourse ont disparu suite à leur rachat par des banques.
Celles-ci avaient besoin de leur savoir-faire
boursier dans les années 1990, après la
dérégulation du marché financier belge.
Mais si certains actionnaires ont touché
un joli chèque, d’autres ne purent avoir de
telles prétentions. Plusieurs maisons
s’étaient en effet fragilisées en dépendant
trop des ordres transmis par les banques,
au point que la perte d’un seul – mais très
gros – client pouvait les faire vaciller. Une
menace bien réelle quand ces banques
eurent un accès direct à la Bourse. «Mon
père insistait beaucoup sur l’importance
des clients particuliers, qui sont fidèles,
se souvient Jean-Jacques Pire. Chez nous,
les institutionnels représentaient 15 ou
20% à peine du chiffre d’affaires. Chez
certains confrères, c’était l’inverse. »
La famille Pire décline les offres qu’elle
reçoit, de la part tant d’une banque que
d’une société de Bourse.
La clientèle de Pire est essentiellement
privée, confirme Arnaud Jamar, avec un
gros millier de personnes. S’y ajoutent deux
institutionnels: la sicav Placeuro, ainsi que
l’assureur luxembourgeois Foyer International, dont Pire gère des comptes. Une
sicav dédiée s’y ajoutera l’an prochain,
sur demande d’un institutionnel étranger.
Les capitaux sous gestion frisent les 300
millions. Ils ont presque doublé en trois
ans, tout comme le personnel, passé de
huit à 17 unités depuis 2013.
En ligne directe
Comment faire la différence, comment
résister face aux grands réseaux? Pire AM
avance un argument de poids: ici, dans la
tradition des agents de change, on pratique
la ligne directe! Cette approche a largement disparu ailleurs, du moins en dessous
d’un seuil souvent fort élevé, de l’ordre de
1, voire 2 millions d’euros. Les portefeuilles
moins importants sont alors composés
exclusivement de sicav ou trackers, sans
position directe sur un titre. «Nous pouvons faire de la gestion discrétionnaire à
partir de 250.000 euros, au travers de lignes
directes en actions et obligations, explique
Arnould Roberti, nouvel administrateur et
membre du comité d’investissement. Nous
proposons bien entendu des fonds et
trackers, soit généralistes, soit spécialisés,
mais pour les plus petits patrimoines ou
pour des domaines spécifiques». Même
approche pour la gestion conseil. «Cette
politique nous attire pas mal de clients d’autres institutions, observe Arnaud Jamar,
qui nous déclarent ne pas apprécier de voir
leur portefeuille tourner trop régulièrement et sans fondement objectif.»
La démarche de Pire AM est d’autant
plus logique qu’elle correspond à une très
grande transparence, telle que l’imposera
la nouvelle directive sur les marchés d’instruments financiers, mieux connue sous
le sigle MiFID II. Or, la société de Bourse
carolorégienne l’a d’ores et déjà implé-
menté à 90 ou 95%, précise Arnaud Jamar,
qui en est responsable. Alors que, sur l’insistance des nombreuses banques, MiFID
II a été reporté d’un an, au 3 janvier 2018.
Après MiFID I en 2007, MiFID II va
encore resserrer les boulons: pour la gestion discrétionnaire et pour le conseil qualifié d’indépendant, la directive imposera
une totale transparence sur les coûts, ce
qui interdit à l’intermédiaire financier de
mettre dans les portefeuilles des fonds
maison ou des fonds sur lesquels il perçoit
des rétrocessions de commissions. Seul le
conseil non indépendant autorise de tels
produits. Chez Pire, ce dernier démarre à
50.000 euros seulement, puisqu’il n’impose pas de lignes directes. Ce n’est pas
pour autant que les chargés de clientèle
font la promotion à outrance de nos propres produits, affirme la direction: il n’y a
pas de «produit du mois» chez Pire!
Des actions et du cash
Les mesures gouvernementales, passées
ou envisagées, ne facilitent pas la vie des
intermédiaires financiers, déplore Arnould
Roberti. Et ceci alors même que le niveau
des taux pose déjà un gros problème :
« Déposer le cash des clients dans une
banque nous coûte aujourd’hui de l’ordre
de -0,5% par an». Les considérations fiscales, ou autres, ne doivent pas pour autant
infléchir la stratégie de la maison. Si une
valeur a très bien progressé et qu’on estime le moment venu de vendre, on vend,
affirme-t-on chez Pire. Pas question d’attendre pour éviter la taxation de la plusvalue… et peut-être rater la plus-value ellemême. Pas question non plus de réduire
les liquidités dans le portefeuille pour éviter la pénalité qui les frappe aujourd’hui.
Le comité d’investissement adopte aujourd’hui une position assez prudente, avec
40% d’actions dans un portefeuille mixte
au lieu de 50%, ce qui gonfle automatiquement les liquidités. Tant pis…
« On ne saurait par ailleurs inciter nos
clients à acheter des obligations affichant
un rendement négatif, dans l’espoir qu’il
devienne plus négatif encore et qu’on
réalise ainsi une plus-value, affirme
Arnould Roberti, pas plus que du papier
à très long terme ou de mauvaise qualité. » Pour les clients qui le souhaitent,
la maison améliore le niveau des rendements avec quelques obligations de la
zone dollar, ainsi qu’avec un tracker. «Un
tracker avec réplication physique, insiste
Jean-Jacques Pire, qui porte sur plus de
5.000 obligations (1). »
Certains particuliers gardent à l’esprit
les rendements qu’ils obtenaient voilà quelques années, en ne prenant pas de risque,
et ils veulent les obtenir aujourd’hui encore,
observe la direction de Pire AM. Ils ne se
rendent pas toujours compte qu’ils prennent pour cela des risques insensés. Expliquer aux investisseurs que le rendement
du risque nul est aujourd’hui proche de zéro
– voire inférieur! – et que des rendements
encore attrayants ne sont possibles qu’avec
une prise de risque vraiment élevée, voilà
qui est devenu un des rôles importants du
gestionnaire de patrimoine. z
(1) Il s’agit de l’iShare Global Corporate Bond
EUR Hedged UCITS ETF. Pire AM estime toutefois qu’il convient aujourd’hui plutôt de prendre
son bénéfice sur ce tracker.
LES VALEURS FAVORITES
à nouveau payer
un dividende, juge-t-on
à Charleroi. La maison
a profité de la faiblesse
prononcée de certaines
actions pour se porter
à l’achat: Ackermans
& van Haaren, ou encore
CFE, qui bénéficiait
d’une «forte conviction».
Chez Pire, on croit
par ailleurs beaucoup
au retournement en cours
chez Tessenderlo.
Compte tenu de leur
rendement, les SIR ne peuvent être ignorées. «Nous
avions d’abord privilégié
Cofinimmo, WDP et Retail
Estates, éclaire Jean-Jacques
Pire. Nous avons ensuite
un peu réduit le poids
des deux premières, pour
réinvestir en Befimmo,
la seule SIR qui n’affiche
pas de prime par rapport
à sa valeur intrinsèque. En
restant cependant attentif
à la remontée des taux!»
Tout sur le nouveau
travail et les entreprises
qui l’illustrent
OB67103
Pire AM sous-pondère
aujourd’hui les actions
(40% au lieu de 50)
par crainte de corrections
boursières pouvant être
engendrées par des facteurs
politiques, dont les élections
américaines. Le marché
américain, un peu souspondéré, est couvert
au moyen de trackers.
La Bourse de Bruxelles,
qui est clairement surpondérée «parce qu’on connaît
inévitablement mieux
les entreprises locales»,
est par contre ciblée
par des achats directs.
Du fait de sa taille, Pire AM
peut se permettre d’acheter
des small caps et valeurs
moyennes sans bouleverser
les cours. Tout en n’écartant
pas les vedettes du Bel 20,
au premier rang desquelles
KBC, seul représentant
du secteur financier.
Une des meilleures banques
d’Europe, qui va pouvoir
Demandez votre guide des Carrières sur
guidedescarrieres.be
WWW.TRENDS.BE 27 OCTOBRE 2016 139