Magnus Lindberg - Médiathèque de la Cité de la musique
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Magnus Lindberg - Médiathèque de la Cité de la musique
Jean-Philippe Billarant président du conseil d’administration Brigitte Marger directeur général Amis de longue date, les Finlandais Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen – respectivement compositeur et chef d’orchestre – se retrouvent à la cité de la musique pour une carte blanche déclinée en trois moments : deux concerts en ce week-end et un troisième le samedi 9 février prochain. Tous deux ont apporté dans leurs bagages plusieurs figures tutélaires (Bach, Moussorgski, Berg, Bartók, Stravinski et Lutoslawski), afin de compléter au mieux un univers musical déjà particulièrement riche. Virtuose des masses orchestrales et de la dramaturgie en musique, Magnus Lindberg confie que son « instrument préféré est l’orchestre », même s’il n’hésite pas à renforcer sa spatialité en lui adjoignant un dispositif électro-acoustique, comme dans Kraft, en 1985 – sa première partition d’envergure. Si, dans Kraft, le compositeur « organise la musique en fonction de la masse et des formations sonores percussives », en revanche, pour Aura (1993/1994) et dans l’ensemble de ses œuvres ultérieures, il privilégie une plus grande limpidité de texture, qui n’est pas si éloignée du courant spectral. Pour cette carte blanche tournée à la fois vers l’Europe du Nord et de l’Est, EsaPekka Salonen retrouve le superbe Philharmonia Orchestra, avec lequel il nous avait déjà enchantés dans le cycle consacré à György Ligeti, au Châtelet. En parallèle à ces concerts, des journées d’études sont consacrées à L’enseignement du chant choral dans les pays nordiques (23-25 novembre), conclues par un concert de l’excellent Chœur d’enfants de Tapiola dirigé par Kari Ala-Pöllänen. vendredi 23 novembre - 20h salle des concerts concert Witold Lutoslawski Livre pour orchestre durée : 19 minutes Béla Bartók Le Mandarin merveilleux, suite d’orchestre, Sz 73 I - Introduction (bruit de la rue) ; l’ordre donné par les voyous à la fille. II - Premier appel de séduction de la fille (clarinette solo), après quoi le vieil homme du monde apparaît, lequel est finalement jeté par les voyous. III - Deuxième appel de séduction de la fille, après quoi le jeune gars apparaît, qui est, lui aussi, jeté dehors. IV - Troisième appel de séduction de la fille ; le Mandarin apparaît (tutti ff). V - La danse de séduction de la fille devant le Mandarin (valse très lente au début, accélère par la suite). VI - Le Mandarin rattrape la fille après une chasse infernale. durée : 22 minutes entracte Magnus Lindberg Kraft, pour ensemble de solistes et orchestre* durée : 27 minutes Esa-Pekka Salonen, direction Jonathan Stockhammer, chef assistant Ensemble Toiimi : Magnus Lindberg, piano, percussion Riku Niemi, Lassi Erkkilä, percussion Juani Liimatainen, live electronics Anssi Karttunen, violoncelle, percussion Kari Kriikku, clarinette, percussion Philharmonia Orchestra durée du concert (entracte compris) : 1 heure 20 La carte blanche à Magnus Lindberg a été réalisée en collaboration avec l’agence Van Walsum Management Ltd. * L’interprétation de Kraft bénéficie du soutien de Sound Intermedia. Elle sera précédée d’une présentation par Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen. carte blanche à Magnus Lindberg Witold Lutoslawski Livre pour orchestre composition : 1968 ; commande de la ville de Hagen (Westphalie) ; création : le 18 novembre 1968 par l’orchestre de la ville, sous la direction de Berthold Lehmann, dédicataire de l’œuvre ; effectif : 3 flûtes/piccolo, 3 hautbois, 3 clarinettes, 3 bassons/contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, tuba, 3 percussions, 1 piano, 1 célesta, 1 harpe, cordes ; éditeur : Hansen. Le Livre pour orchestre se compose de quatre chapitres séparés par des intermèdes très brefs joués ad libitum et non dirigés, contrairement aux premiers, eux strictement écrits et exécutés a battuta. L’équilibre global de l’œuvre s’organise entre les trois premiers mouvements d’une part, ramassés sur eux-mêmes, clairement séparés des intermèdes, et le dernier d’autre part, plus vaste, émergeant progressivement de la substance musicale de l’intermède qui le précède, et qui vient contrebalancer l’ensemble par l’ampleur de son développement. Les trois premiers mouvements se caractérisent par leur compacité et par l’énergie intense qu’ils dégagent. La substance musicale – faite de trames évolutives, de textures savamment composées, de sonorités éruptives aussitôt anéanties – est soumise à de grands mouvements d’intensification, fortement directionnels, qui la contraignent et la consument rapidement. À titre d’exemple, suivons la trajectoire explicite du premier chapitre : un tissu harmonique des cordes évolue par glissandi successifs – les quarts de tons donnent ici la couleur singulière de ce début ; progressivement gagné par de plus larges intervalles, ce tissu devient plus dense et plus tendu, jusqu’à se déchirer sous l’effet de violentes décharges des cuivres et des percussions ; le climax central est atteint lorsque l’espace est saturé de ces sonorités, évoquant celles de Varèse. La courbe se referme ensuite avec le retour des cordes, glissant dans le grave. L’intensité et la précision de ce travail, dont on trouverait des équivalents dans les deuxième et troisième mouvements, rendent nécessaire l’aménagement de plages de repos : c’est le rôle des intermèdes placés entre eux. Aisément identifiables par leur instrumentation – clari4 | cité de la musique carte blanche à Magnus Lindberg nettes, puis clarinettes et harpe et enfin piano et harpe – , ils sont constitués d’une matière musicale volontairement peu signifiante – une simple formule répétée librement – et agissent comme autant de respirations dans l’élaboration formelle. Seul le troisième et dernier intermède ménage une surprise : le bavardage des deux instrumentistes semble se prolonger, la substance musicale toujours jouée ad libitum se transforme peu à peu, s’amplifie, se propage à tous les instruments, donnant lieu à une sorte de tutti semi-aléatoire : le finale a commencé, sans rupture. Le retour progressif à un temps strictement contrôlé se fera par un grand geste d’accélération qui conduit tout l’orchestre au point culminant. L’œuvre s’achève sur un retour au calme graduel : ultimes gesticulations des cuivres faisant place à un duo pastoral de flûtes, et enfin éloignement des cordes dans l’aigu sur un agrégat qui est la signature harmonique de l’œuvre (mi-fa dièse-la-si). Béla Bartók composition : 1918-1919 ; argument de Menyhért Lengyel ; Le Mandarin merveilleux, orchestration terminée en 1924 ; première représentation : novembre 1926 à Cologne sous la direction de Jeno Szenkar ; Sz 73 publication de la version de concert : 1927. Action : dans un misérable réduit de faubourg, trois vagabonds forcent une fille à aguicher les passants qu’ils veulent dépouiller. Un timide jeune homme et un pauvre sire, qui se sont laissé attirer, sont mis à la porte comme de misérables gueux. Le troisième client est le mystérieux mandarin. Par sa danse, la fille cherche à dégeler l’angoissant personnage : au moment où timidement il veut l’enlacer, elle s’enfuit, horrifée, à son approche. Après une poursuite effrénée, il s’en saisit : au même instant, les trois vagabonds sortent de leur cachette, le dépouillent et veulent l’étouffer sous des coussins. Mais il se relève et jette des regards langoureux sur la fille. Les trois vagabonds le transpercent d’une épée ; il chancelle, mais son désir est plus fort que sa blessure et il se précipite sur la fille. On le pend alors : mais il ne peut mourir. Ce n’est que lorsqu’on l’a dépendu et que la notes de programme | 5 carte blanche à Magnus Lindberg fille l’a pris dans ses bras que ses blessures commencent à saigner, et il meurt. Composé au sortir de la guerre, dans une Hongrie démantelée en proie à des retournements politiques incessants, Le Mandarin merveilleux marque une étape décisive dans l’évolution du langage musical de Bartók. La nécessité d’enraciner la musique au plus près de ses sources populaires, parce que là réside le vecteur d’un élan vital et universel dépassant le « sentiment » national, s’affronte ici aux exigences d’une invention au fait des développements récents de l’écriture savante : rythmique stravinskienne ; dodécaphonisme cependant jamais détaché, chez Bartók, de pôles privilégiés et d’un diatonisme dominant ; orchestration tranchante et stratifiée ; traits expressionnistes. La pantomime s’ouvre dans le vacarme d’un tutti fondé sur une structure rythmique frénétique (6/8 avec accents décalés et poussées fiévreuses des cuivres) qui caractérisera globalement le monde des crapules dans toute l’œuvre. S’ensuivent les trois « jeux de séduction » de la jeune fille, annoncés par une clarinette aguicheuse (phrases procédant par répétitions et expansions successives autour de notes pivots) et interrompus chaque fois par le retour des vagabonds qui expulsent les prétendants. Dans les derniers appels de la clarinette, progressivement irisés par tout l’orchestre, le mandarin surgit (agrégat de quartes et tritons superposés, mugissement des cuivres sur une tierce mineure en glissando traduisant l’effroi suscité par cette apparition). Au rythme d’une valse faussée s’éveille peu à peu son désir qui culminera ensuite dans une course mue par d’irrépressibles pulsions (répétition haletante d’un motif nerveux qui gagne l’orchestre par paliers successifs sur un ostinato martelé). La version de concert s’achève au sommet de la tension, au moment où le mandarin rattrape la fille et l’empoigne. L’œuvre est traversée d’impulsions brutales et sombres – faisant écho aux violences chaotiques du monde industriel et urbain, au sordide d’une société qui 6 | cité de la musique carte blanche à Magnus Lindberg pervertit même le désir par le calcul et l’intérêt, à la monstruosité des crimes qui habitaient l’époque – auxquelles fait face la figure allégorique du mandarin dans sa radicale étrangeté. L’intégration de ces forces « primaires » et hétérogènes appelait une stylisation du trait et un immense effort de construction qui seuls pouvaient sauver le langage musical de l’éclectisme ou de la dissolution dont Bartók entrevoyait le risque. Magnus Lindberg Kraft composition : 1983-1985 ; commande du Festival d’Helsinki ; création : le 4 septembre 1985 à Helsinki par l’Ensemble Toimii et l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise (dir. EsaPekka Salonen) ; œuvre primée par la Tribune des compositeurs à l’Unesco en 1986 ; Prix de la musique du Conseil nordique en 1988 ; solistes : clarinettes, 2 percussions, piano, violoncelle et dispositif de spatialisation du son, les solistes et le chef jouent également de quelques percussions additionnelles (pour l’essentiel, des objets métalliques de récupération) ; grand orchestre : 4 flûtes/piccolos, flûte alto, 3 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, clarinette basse, saxophone alto, 3 bassons, contrebasson, 4 cors, 4 trompettes, 4 trombones, tuba, 4 percussions, piano/célesta, 2 harpes, 48 cordes ; éditeur : Wilhelm Hansen. Le caractère spectaculaire et impétueux de Kraft s’impose d’emblée. L’écoute est immédiatement frappée par la rudesse, parfois proche de la sauvagerie, qui se dégage de la matière sonore. Intégrant une large palette de phénomènes allant jusqu’au bruit brut, l’orchestre est découpé par masses de différentes densités, s’érige en strates hétérogènes libérant une puissance débordante. On a pu comparer ce monde sonore à une sorte de musique concrète orchestrale ou le rapprocher des sonorités des groupes rock et punk berlinois que Lindberg découvre à cette période. Mais, au-delà de ce vitalisme primaire et de son allure accidentée, ce qui confère à l’œuvre son énergie extraordinaire, c’est la présence de forces – « Kraft » signifie « force », justement – qui viennent imprimer aux matériaux des directions précises, inscrire des processus complexes obligeant ces masses hétérogènes à se mouvoir, à se transformer en un sens déterminé, aussi bien dans le temps que dans l’esnotes de programme | 7 carte blanche à Magnus Lindberg pace, à la manière de mouvements géologiques souterrains. « Seul l’extrême est intéressant – la recherche d’une totalité équilibrée est, de nos jours, impossible. Un mode original d’expression ne peut être obtenu qu’à travers le marginal – l’hypercomplexe combiné avec le primitif », disait de sa démarche Magnus Lindberg en 1987. De l’œuvre bâtie en deux vastes parties équilibrées, suivies d’une coda, on ne peut indiquer que quelques traits d’écriture remarquables. Une préoccupation essentielle d’ordre rythmique organise les différentes sections selon des proportions calculées et contrôle l’interaction des strates superposées, notamment leur vitesse de changement. Le déploiement dans le temps est dominé par l’idée de transformation graduelle d’une situation donnée en une autre : jeu d’interpolations harmoniques ou rythmiques – comme par exemple l’émergence d’une pulsation régulière dans une situation instable – processus complexes visant à élider les caractéristiques des matériaux de départ pour les fondre dans une nouvelle identité homogène, ou à l’inverse, à désagréger une texture-timbre en de multiples composantes. C’est l’action même de forces contraignantes sur les matériaux qui est alors rendue sensible : torsion des figures, compression des progressions harmoniques, effondrement subit d’agrégats gigantesques sur un seul son, engourdissement de l’activité conduisant à des points de focalisation extrêmement tendus. Enfin, Kraft fait montre d’un sens dramatique très sûr : l’écriture n’hésite pas à trancher dans la complexité et la continuité de l’élaboration pour désigner avec plus de clarté les principales articulations formelles, opérant alors par de radicales simplifications du discours ou des raccourcis inattendus, ou à ménager des plages de détente sous la forme de moments plus méditatifs ou suspendus. samedi 24 novembre - 18h30 amphithéâtre du musée rencontre avec la participation de : Magnus Lindberg, compositeur Cyril Béros, musicologue Cyril Béros 8 | cité de la musique accès libre sur réservation carte blanche à Magnus Lindberg samedi 24 novembre - 20h salle des concerts concert Modeste Moussorgski Boris Godounov (extraits) (voir traduction page 16) scène du couronnement (prologue, 2nd tableau) prologue (interlude orchestral) scène de la folie (acte II) mort de Boris (acte IV, 1er tableau) durée : 20 minutes Magnus Lindberg Cantigas durée : 20 minutes entracte Igor Stravinski Le Sacre du printemps I. L’Adoration de la terre : introduction, danses des adolescentes, jeu du rapt, rondes printanières, jeux des cités rivales, cortège du sage, l’adoration de la terre, danse de la terre II. Le Sacrifice : introduction, cercles mystérieux des adolescentes, glorification de l’élue, évocation des ancêtres, action rituelle des ancêtres, danse sacrale/l’élue durée : 30 minutes Esa-Pekka Salonen, direction Paata Burchuladze, basse Philharmonia Orchestra durée du concert (entracte compris) : 1 heure 30 Modeste Moussorgski Boris Godounov Boris Godounov s’est immédiatement imposé, depuis sa création en 1874, comme un emblème de l’âme russe, concentrant à l’échelle d’un opéra les dimensions d’un drame personnel et d’une fresque collective. La Russie s’était en effet mise, dès le début du XIXe siècle, à rêver d’un art national. Les lettrés en premier (de Pouchkine à Dostoïevski) commencèrent à dénoncer la lourdeur féodale de la société russe et réclamèrent l’abandon des modèles culturels occidentaux. Ils témoignaient en même temps d’une volonté d’indépendance fondée sur l’idée dostoïevskienne d’« enracinement » : le modèle de société qu’ils imaginaient pour l’avenir devait pouvoir se moderniser tout en réintégrant les valeurs séculaires de la Russie. Les bases de cette renaissance devaient s’appuyer sur le peuple et la religion, les deux témoins inaliénables de l’identité russe : le peuple pour sa force acquise dans le malheur et l’injustice, et la religion pour son intemporalité. C’est sous le règne de l’empereur Alexandre II (18551881) que les événements permettront aux intellectuels de s’approcher le plus de cet idéal. Plusieurs groupes d’intellectuels contribuèrent à prendre position contre les canons esthétiques de la musique savante allemande que défendaient Rubinstein et le jeune Tchaïkovski. Parmi eux, les compositeurs du groupe des Cinq (César Cui, Mili Balakirev, Modeste Moussorgski, Alexandre Borodine et Nicolaï Rimski-Korsakov) furent les plus ardents à s’inspirer de la musique populaire et à réfléchir aux possibilités de se distancier des Allemands : Wagner était accusé d’avoir « symphonisé » le drame, et Schumann d’entreprendre des développements musicaux dont la science était comparée par Moussorgski à des « mathématiques musicales ». « Les anciennes notions démodées, déclare Moussorgski, obligent à chercher la mélodie qui flatte simplement l’oreille. Ceci est ma première préoccupation. Je veux que le son exprime l’idée ; je veux la vérité ». Pour lui, trouver un équivalent musical à la parole humaine devient même une véritable obsession. « Quelles que soient les paroles que j’entends, notes de programme | 11 carte blanche à Magnus Lindberg quelle que soit la personne qui parle, et surtout quoi qu’on dise, mon cerveau travaille aussitôt à la reproduction musicale de ce que j’ai entendu », écrit-il à son ami Rimski-Korsakov. Il s’oppose ainsi, par l’audience donnée au phénomène brut, à la conception d’un art occidental destiné à imiter la « belle nature ». La nature de Modeste Moussorgski préfère la force des tréfonds miséreux, la simplicité de l’ivrogne ou des popes défroqués. « C’est le peuple que je veux peindre, écrit-il au peintre Répine. Quand je dors, je le vois devant moi. Quand je mange, c’est à lui que je pense. Quand je bois, il m’apparaît, passe et repasse, il plane devant mes yeux, dans toute sa réalité, grand sans fard et sans clinquant » (13 juin 1875). Emmanuel Hondré Magnus Lindberg Cantigas composition : 1998-1999 ; commande du Cleveland Orchestra ; création : le 1er avril 1999 à Cleveland par le Cleveland Orchestra, sous la direction de Christoph von Dohnányi, dédicataire de l’œuvre ; cette pièce a reçu le 1st European Composer Prize of the « young.euro.classic - Musik Sommer Berlin 2000 » ; effectif : piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, clarinette basse, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 4 trompettes, 3 trombones, tuba, timbales, 3 percussions, harpe, piano/célesta, cordes ; éditeur : Boosey & Hawkes. Cantigas forme, avec Feria et Fresco composées toutes deux en 1997, un groupe d’œuvres franchement extraverties. Vitalité et allure incisive vont de pair avec une orchestration brillante, jouant aussi bien de couleurs vibrantes et de sonorités limpides que de l’impact énergétique de la masse symphonique. L’inspiration méditerranéenne est manifeste, qu’indiquent d’ailleurs les titres, comme ici la référence aux chansons ibériques du Moyen Âge : les cantigas festives ou mariales, descendant de l’art mélodique des troubadours. L’œuvre est bâtie en six grands cycles présentant entre eux de nombreuses similitudes, tant dans leur construction dynamique que dans leurs matériaux. L’intervalle de quinte notamment, comme une signa12 | cité de la musique carte blanche à Magnus Lindberg ture, assure à l’œuvre une part de sa cohérence. Il innerve l’ensemble des motifs, se déploie mélodiquement, se ramifie pour donner naissance à des surfaces miroitantes. Les quintes modèlent également l’harmonie : en fonction de leur agencement dans les registres, elles produisent des accords d’une très grande clarté spectrale, voire d’identité tonale, ou au contraire des agrégats brouillés proches de la saturation. Enfin, dans toute leur nudité, elles désignent les principales articulations formelles de l’œuvre. Chaque cycle débute par l’étagement de quintes successives, très vite emporté par un large geste d’accélération, qui disperse d’abord la musique à tout vent, puis la propulse de manière ascensionnelle vers des points de convergence : effets d’éblouissement ou d’ouverture de l’espace, comme l’arrivée au bord d’un précipice ou sur un vaste plateau, effets soudains de confluence où toute la matière est réunie en un seul flux. Les chemins qui reconduisent à un nouveau cycle sont à chaque fois plus impressionnants : soit que l’énergie accumulée s’englue dans un élargissement des tempi avant de se dissiper, soit qu’elle se maintienne sous l’effet d’une accélération telle qu’elle se fige en une texture statique ou scintillante, soit enfin qu’elle redouble d’intensité, propulsée par des poussées fiévreuses où toute la puissance de l’orchestre est requise. En deçà de ces reliefs découpés, l’agencement des éléments et le déroulement procurent plutôt une sensation de mobilité perpétuelle. Les idées musicales prolifèrent, se transforment, se divisent ou s’agrègent les unes aux autres, à une vitesse ahurissante et suivant des directions dont le court-circuit semble le trajet d’élection. À cet égard, un des moments les plus saisissants a lieu avant la section finale : un ostinato, fondé à nouveau sur l’étagement de quintes, se dérègle bientôt sous les coups de boutoir des cuivres, laissant exploser une énergie physique inouïe, immédiatement et insensiblement canalisée dans un solo de hautbois accompagné, aux courbes souples et au ton presque tranquille. Ce répit inattendu, dans une notes de programme | 13 carte blanche à Magnus Lindberg œuvre où les idées sont sans cesse jetées dans le jeu du brassage, appelle le déchaînement final et la conclusion résolument emphatique avec ses modulations harmoniques rayonnantes. C. B. Igor Stravinski Le Sacre du printemps 14 | cité de la musique Essayer de porter un jugement sur l’œuvre de Stravinski est une tentative déconcertante et vaine. Il apparaît de plus en plus évident que, en dépit de « renouvellements » constants, poursuivis avec moins de bonheur que de désenchantement, il n’est pas d’auteur dont le nom soit plus étroitement attaché à une seule œuvre, disons à une seule série d’œuvres. Stravinski c’est d’abord Le Sacre ; Petrouchka, Renard, Noces et Chant du Rossignol forment une constellation dont l’importance n’est pas niée, mais dont le pôle attractif reste toujours ce Sacre, hier scandaleux, aujourd’hui prétexte à quels dessins animés ! Il est curieux de constater que, des deux grands « scandales » de la musique contemporaine, c’est-à-dire Le Sacre et Pierrot lunaire, le sort est sensiblement parallèle : de même que le Sacre reste, aux yeux du grand nombre, LE phénomène Stravinski, Pierrot lunaire reste également LE phénomène Schönberg. Nous pourrions grosso modo ratifier cette opinion car, dans l’un comme dans l’autre cas, il n’y eut pas, en effet, coalescence plus grande entre les ressources du langage et la force poétique, entre les moyens d’expression et la volonté d’expression. (...) D’une audition complète du Sacre, il ressort de façon assez immédiate que, mise à part l’Introduction, Le Sacre est écrit gros, je veux dire qu’il utilise essentiellement des plans très contrastés, une écriture globale. Cette impression n’est pas inexacte. Justifiée, en effet, par toutes les structures tonales de l’œuvre, elle se dément paradoxalement par les constructions rythmiques. Ce qui frappe le plus l’auditeur du Sacre, c’est la massivité de ces accords répétés, de ces cellules mélodiques à peine variées, et c’est pourtant là que se carte blanche à Magnus Lindberg manifeste au plus haut degré l’invention de Stravinski, difficile à imaginer en 1913, et inégalée pendant environ les vingt-cinq ou trente années qui suivirent. On se contenta d’imiter l’écriture, l’irrégularité et le nombre des changements de mesure, sans se préoccuper d’une réalité quelconque de leur emploi. Aussi ne fautil pas s’étonner de voir que le Sacre n’a pas eu de portée véritable, sauf une tendance au dionysiaque et à la musique « méchante », comme on l’a dit, et qu’œuvre la plus connue du domaine contemporain, c’est aussi l’œuvre sans descendance. À tel point que le jazz a pu passer pour apporter à la musique un considérable renouvellement rythmique, avec sa pauvre et unique syncope et son inséparable mesure à quatre temps. (Stravinski n’a-t-il point donné le change lui-même avec ses Rag-Time ?) Pourquoi, depuis si longtemps, cette inexplicable carence ? Peut-être dirons-nous, la rencontre de la complexité du vocabulaire et de la syntaxe rythmique de Stravinski ne pouvait se prêter à des déductions valables qu’avec un vocabulaire morphologiquement et syntaxiquement aussi complexe, tel qu’il devait être mis au point par Webern. (...) Il est indéniable, également, que Stravinski possède, à un moindre degré, le sens du développement, c’est-à-dire du phénomène sonore en constant renouvellement. Peut-être estimera-t-on ceci faiblesse – et en effet ce l’est ; me permettra-t-on de penser que c’est là l’un des principaux points de départ de cette force rythmique qu’il allait être obligé de déployer pour faire front à la difficulté d’écrire ? Je ne crois pas être très paradoxal en affirmant que, ces coagulations horizontales ou verticales étant matériaux simples et aisément maniables, l’on pouvait tenter une expérience rythmique beaucoup plus aiguë. Pierre Boulez d’après Stravinski demeure (1951) in Relevés d’apprenti (Éditions du Seuil, 1967) notes de programme | 15 carte blanche à Magnus Lindberg carte blanche à Magnus Lindberg Modeste Moussorgski Boris Godounov (extraits) Modeste Moussorgski Boris Godounov (extraits) scène du couronnement scène du couronnement (Dans une cour du Kremlin à Moscou.) (Dans une cour du Kremlin à Moscou.) Skorbít dushá ! Kakóy-to strakh nyevólni zlovéshchim pryedchúvstviyem skovál mnye syérdtse. o, právyednik, o, moy otyéts derzhávni ! Vozrí s nyebyés na slyózi gryéshnikh slug i nisposhlí ti mne svyashchyénnoye na vlast' blagoslovyénye. Da búdu blag i právyedyen kak ti, da v slávye právlyu moy naród. Tyepyer' poklónimsya pochíyushchim vlastítelyam Rusí. A tam szivát' naród na pir, vsyekh, ot boyár do níshchyevo slyeptsá, vsyem vólni vkhod, vsye gósti dorogíye. Mon cœur est triste. Un sentiment de crainte, quand tous sont joyeux, a pénétré mon âme ! Ô saint aïeul ! Ô mon royal ancêtre ! Du haut du ciel regarde, vois mes pleurs ! Accorde-moi ta sainte bénédiction, bénis mon règne, et donne-moi la grâce d’être bon, heureux et juste comme toi ! D’abord rendons hommage aux souverains défunts de la Russie. Après, le peuple aura sa fête. Tous, du boyard au pauvre mendiant, tous entreront ; tous trouveront un père. scène de la folie scène de la folie (Dans les appartements du tsar au Kremlin.) (Dans les appartements du tsar au Kremlin.) Dostíg ya víshey vlásti, shestóy uzh god ya tsárstvuyu sopkóyno no schástya nyet moyéy izmúchennoy dushé. Naprásno mnye kudyésniki sulyát dni dólgiye, dni vlásti byezmyatyézhnoy. Nu zhizn', ni vlast', ni slávi obolshchyénya, ni klíki tolpí myenyá nye vyesyelyát. V syemyé svoyéy ya mnil naytí otrádu, gotóvil dóchyeri vyesyóli bráchni pir, moyéy tsaryévnye, golúbkye chístoy. Kak búrya, smyért' unósit zhenikhiá... J’ai le pouvoir suprême. Voici cinq ans déjà que je l’exerce. Mon âme cherche le bonheur sans le trouver. En vain les magiciens m’auront prédit un règne long et sage, et tranquille. Plus rien, hélas ! ne me séduit, ni gloire, ni cris de la foule, en vain, tout en vain. J’ai mis ma joie en ma famille ; j’ai préparé les noces de ma douce fille, de ma tzarevna, de ma colombe ; la mort a ravi son fiancé. Tyazhká dyésnitsa gróznovo Sudíi, uzhásyen prigovór dushé pryestúpnoy... Okryést lish tmá i mrák nyeproglyádni ; La lourde main du Juge vient, ô terreur, s’abattre sur mon âme criminelle, je vois autour de moi 16 | cité de la musique khotyá myelknúl bi luch otrádi. I skórbyu syérdtse pólno, toskúyet, tómitsya dukh ustáli, Kakóy-to tryépyet táyni... Vsyo zhdyosh chyevó-to... Molítvoy tyóploy k ugódnikam Bózhyim ya mnil zaglushít' dushí stradánya... V vyelíchyi i blyéskye vlásti byezgraníchnoy, rusí vladíka, u nikh ya slyoz prósil mnye v utyeshenye. A tam donós, boyár kramóli, kózni Litví i táyniye podkópi, glad i mor i trus i razoryénye... Slóvno díki zvyer' ríshchyet lyud zachúmlyenni, golódnaya, byédnaya stónyet Rús'!... I v lyutóm górye, nispóslannom Bógom, za tyázhki moy gryekh v ispitánye, vinóy vsyekh zol myenyá naryekáyut, klyanút na ploshchadyách ímya Borísa! I dázhe son byezhít i v súmrakye nóchi dityá okrovavlyónnoye vstayót. Ochi piláyut, stísnuv ruchyénki, molít poshchyádi... I nye bilo poshchyádi! Stráshnaya rána ziyáyet, slíshitsya krik yevó pryedsmyértni... O, Góspodi Bózhe moy! […] Uf, tyazheló! Day dukh pyeyevyedú... Ya chúvstvoval, vsya krov’ mnye kínulas' b litsó i tyázhko opuskálas'. O, sóvyest' lyútaya, kak tyázhko ti karáyesh! […] Yézheli v tyebyé pyatnó yedínoye... Yedínoye slucháyno zavyelósya. Dushá zgorít, nalyótsya syérdtse yádom, tak tyázhko, tyázhko stányet shto mólotom stuchít v ushákh upryókom i proklyátyem… I dúshit shtó-to... dúshit... les ténèbres sans nulle trace d’espérance. L’ennui sans répit m’accable, je souffre, et mon cœur excédé se brise dans un frisson d’angoisse qui me fait tout craindre. Aux saints du ciel mes ferventes prières ont dit le tourment d’une âme en peine. Moi, tsar de Russie, en personne, dans ma gloire, dans ma puissance, j’aurais tout donné pour une douce larme. Ici l’intrigue, les luttes sourdes et les complots, les mines souterraines, force fléaux, la peste et la famine. Comme le troupeau qui prend peur et s’affole, tout mon Empire est en proie au malheur ! Des maux sans nombre l’accablent, c’est Dieu qui punit le pays pour ma faute. Le nom du tsar Boris est un nom qu’on prononce avec horreur pour le maudire. Et le sommeil me fuit, et dans les ténèbres l’enfant ensanglanté vient me hanter. Les yeux enflammés, de ses petites mains, il m’implore, mais il n’obtient pas grâce. C’est la blessure béante, c’est l’affreux cri de l’agonie. Ô Dieu ! Seigneur mon Dieu ! […] Oh ! J’étouffais, le souffle me manquait ; en vagues courroucées tout mon sang battait mes tempes, sans relâche. Cruelle conscience, comme tu me punis ! […] Si jamais, un jour, peut-être un seul instant, la moindre tache impure t’a souillée, le cœur brûlant, l’esprit à la torture, je souffre, je succombe, et le remords comme un marteau, sans trêve bat mes tempes ; ma gorge est sèche, sèche, notes de programme | 17 carte blanche à Magnus Lindberg carte blanche à Magnus Lindberg I golová kruzhítsya... i víditsya v glazákh... dityá okrovávlyennoye! […] Von... von tam... shto éto? Tam v uglú… ? Kolíshetsya, rastyót... Blízitsya... drozhít i stónyet... Chur, chur !... Nye ya... Nye ya tvoy likhodyéy… Chur!... Chur, dityá!... Nyet, nye ya... Vólya naróda... Chur, dityá... Góspodi! […] Ti nye khóchyesh smyérti gryéshnika, pomíluy dúshu pryestúpnovo tsaryá Borísa! je sens tourner ma tête. je vois l’enfant, l’enfant couvert de sang. […] Là, là-bas, qui va là, dans ce coin ? Il vient vers moi, grandit, il bondit, gémit, et pleure. Va, va, va-t’en ! Je n’ai pas fait le crime ! Va, va, va-t’en ! Pas moi, pas moi ! C’est tout le peuple ! Va, enfant ! […] Ô Seigneur ! Tu ne veux pas la mort du [pécheur ! Épargne l’âme du tsar coupable, de Boris ! mort de Boris mort de Boris (Dans les appartements du tsar au Kremlin.) (Dans les appartements du tsar au Kremlin.) Tsaryévicha skoryéy! Okh! tyázhko mnye! Skhímu! Ostávlye nas! Uydítye vsye! […] Proshcháy, moy sin, umiráyu! Syeychás ti tsárstvovat’ nachnyósh. Nye spráshivay, kakím putyóm ya tsárstvo priobryól; tyebyé nye núzhno znat'. Ti tsárstvovat' po právu búdyesh, kak moy naslyédnik, kak sin moy pyervoródni. Sin moy, dityá moyó rodnóye! Nye vvyeryáysya navyétam boyár kramólnikh, zórko slyedí za ikh snoshényami táynimi s Litvóyu. Izmyénu karay byez poshchádi, byez mílosti karay. Strógo vnikáy v sud naródni, sud nyelitsemyémi. Stoy na strazhe bortsóm za vyéru právuyu, svyáto chti svyatíkh ugódnikov Bózhyikh. Syestru svoyu, tsaryévnu, byeryegí, moy sin; Que vienne ici mon fils ! Et moi, je vais mourir. Les boyards le font asseoir. […] Laissez-nous seuls. Sortez boyards. Adieu, mon fils ! Je meurs. C’est toi qui va bientôt régner. Ne cherche pas comment ce trône fut par ma main conquis, tu ne dois pas savoir, mais toi, ton droit est légitime, par l’héritage que t’a transmis ton père, mon fils, enfant que j’aime ! Ne suis pas les conseils des boyards perfides, sois attentif à leurs intrigues, ils passent nos frontières, punis sans pitié tous les traîtres, punis-les sans merci. Rends la justice à ton peuple sans que rien ne t’arrête, sois toujours défenseur de la loi de tes pères, rends hommage aux saints pour qu’ils te protègent. Ta sœur a grand besoin de ton secours, 18 | cité de la musique ti yey odín khranítyel' ostayóshsya, náshey Xénii, golúbkye chístoy. Góspodi! Góspodi! Vozzrí, molyû, na slyózi gryéshnovo otsá! Nye za syebyá molyu, nye za syebya, moy Bózhe!... S gómyey, nyepristupnoy visotí prolyéy ti blagodátni svyet na chad moyíkh nyevínnikh... krótkikh i chístikh... Síli nyebyésniye!... Strazhí tróna Pryedvyéchnovo!... Krilámi svyédimi vi okhrantíye moyó dityá rodnóye ot byed i zol, ot iskushéni! […] Zvon! Pogryebálni zvon! […] Nadgróbni vopl'! Skhíma, svyatáya skhíma, v monákhi tsar' idyót […] Nyet, nyet, sin moy, chas moy probíl... Bózhe! Bózhe! Tyázhko mnye! Uzhél' gryekhá nye zamolít'? O, zláya smyért'! Kak múchish ti zhestóko! […] Povryemyenítye: ya tsar' yeshchyó. Ya tsar' yeshchyó... […] Bózhe! Smyert'! Prostí myenyá! […] Vot! Vot tsar' vash... tsar'... Prostítye... prostítye... […] mon fils ; tu restes seul pour lui venir en aide ! Aime Xénia, colombe pure. O Seigneur, ô mon Dieu ! Tu vois mes pleurs. O grâce ! Grâce pour mon fils, non pas pour moi, pécheur, non pas pour moi, pardonne ! […] De tes angéliques et célestes parvis, oh ! Verse tes bienfaits sur mes enfants candides, doux et tendres ! Anges gardiens du ciel, près du trône céleste, voyez, c’est mon enfant, ouvrez vos ailes pour le garder de toute calamité, de toute épreuve. […] Dieu ! C’est le son du glas ! […] Funèbres pleurs ! Prêtres, qu’allez-vous faire du tsar qui va mourir ? […] Non, mon fils, mon heure vient. Ô Seigneur ! Je souffre ! Ô Dieu ! Pitié pour mes péchés ! Ô sombre mort, tes affres sont cruelles ! […] Je suis encore le tsar ! Le tsar ! […] Je meurs… Dieu !… Pardonne-moi… […] Lui ! C’est votre tsar ! Pardonnez ! Pardonnez ! […] traduction russe © Charles Earle traduction française Delines et Louis Laloy © Emi notes de programme | 19 carte blanche à Magnus Lindberg carte blanche à Magnus Lindberg Magnus Lindberg est né en 1958 à Helsinki. Après avoir suivi des études de piano, il entre à l’Académie Sibelius où il bénéficie de l’enseignement d’Einojuhani Rautavaara et de Paavo Heininen pour la composition. Ces derniers l’encouragent à suivre cette voie au-delà de l’esthétique finlandaise « conservatrice » et nationaliste et à explorer les travaux de l’Avantgarde européenne. Cela le conduit à créer, dans les années 80, le groupe « Korvat auki » (Ouvrir les oreilles) auquel Hämeeniemi, Kaipainen, Saariaho et Salonen participent ; ces derniers l’incitent à une plus grande approche des courants contemporains. En 1981, Magnus Lindberg vient étudier à Paris avec Vinko Globokar et Gérard Grisey. À cette époque, il suit les cours de Franco Donatoni à Sienne, et rencontre Brian Ferneyhough, Helmut Lachenmann et M. Höller. Son succès en tant que compositeur s’exprime avec deux partitions : Action-SituationSignification en 1982 et Kraft en 1983-85, qui sont étroitement liées à la création de l’ensemble Toimii avec Esa-Pekka Salonen. Cet ensemble, dans lequel Lindberg joue du piano et des percussions, a fourni au compositeur un véritable laboratoire pour ses expériences sonores. À ce jour, son œuvre conjugue le goût pour l’expérience, la complexité et le primitivisme, repoussant les limites des matériaux musicaux mis à sa disposition. À la fin des années 80, sa 20 | cité de la musique musique a évolué vers un certain « classicisme moderne » dans lequel les principaux vecteurs des émotions du langage musical (harmonie, rythme, contrepoint, mélodie) ont été ré-interprétés depuis l’époque postsérielle. Les partitions-clés de cette évolution stylistique sont le triptyque pour orchestre Kinetics (1988), Marea (1989-90) et Joy (1989-90), rapidement complété par Aura (1993-94) et Arena (1994-95). Ses récentes compositions – Feria (1997), Fresco (1997), Cantigas (1999) et le Concerto pour violoncelle (1999) – l’ont placé parmi les compositeurs les plus inventifs dans le domaine orchestral. Au printemps 2000, Simon Rattle était en tournée en Europe avec Gran Duo, une création pour vents et cuivres pour le City of Birmingham Symphony Orchestra. D’autres projets sont en cours, parmi lesquels des nouvelles compositions pour le Philharmonia Orchestra avec Esa-Pekka Salonen, pour l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise et le Los Angeles Philharmonia Orchestra. La musique de Lindberg a été enregistrée pour les labels Ondine, Finlandia et Deutsche Grammophon ; un projet d’enregistrement de ses œuvres pour orchestre est en cours de réalisation chez Sony Classics. biographies Esa-Pekka Salonen est né à Helsinki et a étudié à l’Académie Sibelius ; il a commencé sa carrière de chef avec l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise en 1979. En 1985, il a été nommé directeur musical de l’Orchestre symphonique de la Radio suédoise, poste qu’il occupera pendant dix ans. La même année, il devient aussi le principal chef invité du Philharmonia Orchestra de Londres et le restera jusqu’en 1994. En 1995 et en 1996, il est le directeur du Festival d’Helsinki. EsaPekka Salonen dirige le Los Angeles Philharmonia Orchestra depuis 1992. En août de la même année, il est accueilli, avec cet orchestre, en résidence au Festival de Salzbourg, où il donne, entre autres, quatre représentations du Saint François d’Assise de Messiaen. En mars 1994, il réalise une tournée au Japon avec cet orchestre et participe aux plus grands festivals européens (199498). En 1996, toujours avec le même orchestre, il est accueilli en résidence au Théâtre du Châtelet à Paris avec un programme Stravinski, comprenant The Rake’s Progress. EsaPekka Salonen est le lauréat de nombreux et prestigieux prix : en 1993, celui de l’Accademia Chigiana (c’est le premier chef à avoir reçu ce prix), et en 1995, celui du Royal Philharmonic Society’s Opera qui lui remet aussi celui du « meilleur chef d’orchestre » en 1997. L’année suivante, il est promu au rang d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le gouvernement français. En outre, il est reconnu pour ses interprétations de musique contemporaine et a récemment entrepris l’importante rétrospective de l’œuvre de György Ligeti avec le Philharmonia Orchestra. Un cycle de concert s’est tenu à Londres, Paris et Tokyo, ainsi que dans des versions réduites dans le monde entier. Avec le même orchestre, il a donné une nouvelle version de l’opéra de Ligeti Le Grand Macabre dirigé par Peter Sellars. Ce spectacle fut également joué sur la scène du Théâtre du Châtelet à Paris en février 1998. Ses engagements le conduisent actuellement à Londres, Paris et Bruxelles avec le Philhamonia Orchestra pour cette série consacrée à la musique de Magnus Lindberg. En 2002, citons une tournée européenne avec le Los Angeles Philharmonia Orchestra, ainsi que plusieurs concerts avec l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, l’Orchestre philharmonique de Berlin, le Chicago Symphony Orchestra et le Cleveland Orchestra. En 1985, Esa-Pekka Salonen signe un contrat d’exclusivité avec Sony pour lequel il vient d’enregistrer, avec le Los Angeles Philharmonia Orchestra, des œuvres de Debussy, Bartók, Bruckner, Mahler et Bach. Ce musicien accompli est également compositeur et a étudié avec Niccolo Castiglioni et Franco Donatoni en Italie. En janvier 1997, il crée L. A. Variations avec le Los Angeles Philharmonia Orchestra, avant que cette œuvre ne soit reprise par le Royal Concertgebouw d’Amsterdam. Plus récemment, il a composé Five Images After Sappho pour notes de programme | 21 carte blanche à Magnus Lindberg soprano et quatorze instruments, ainsi qu’un concerto pour violoncelle, Mania, pour Anssi Karttunen. En août 2001, sa dernière œuvre pour orchestre a été créée au Festival de Schleswig-Holstein, suivi d’une première en GrandeBretagne aux BBC Proms. Paata Burchuladze, né en Géorgie, est l’une des plus belles voix de basse profonde du monde, tout aussi célèbre par ses nombreux enregistrements que par ses prestations sur les plus prestigieuses scènes internationales. En 1982, il remporte le Premier prix du Concours Tchaïkovski de Moscou et, à ce titre, attire rapidement l’attention du monde musical. Il commence sa carrière au Covent Garden de Londres dans le rôle de Ramfis (Aida) en 1984 avec Luciano Pavarotti. D’autres grands rôles suivront : Basilio (Barbier de Séville), Boris Godounov, Khonchak (Prince Igor), L’Ange de feu de Prokofiev et Tsar Odon dans le Coq d’Or de Rimsky-Korsakov. Peu après ses débuts à 22 | cité de la musique Londres, il est invité à La Scala de,Milan où depuis, il a joué les grands opéras de Verdi (Macbeth, Aïda, Nabucco, I Lombardi) et La Khovanschina. Avec la Philharmonie de Berlin (dir. Herbert von Karajan), il a enregistré le rôle du Commandeur dans Don Giovanni de Mozart – interprété par la suite au Festival de Salzbourg, où il a également donné des récitals. Il a chanté plusieurs fois à l’Opéra de Vienne, notamment dans Boris Godounov et La Khovanschina, sous la direction de Claudio Abaddo, (spectacles accueillis avec enthousiasme par le public). À Munich, il a également chanté Boris Godounov dans une nouvelle production de Johannes Schaaf et a joué de nombreuses fois à l’opéra de cette ville. Chaleureusement applaudi à plusieurs reprises à Stuttgart, l’opéra de la ville lui a décerné le Prix « Kammersänger ». Aux États-Unis, Paata Burchuladze a également chanté dans Aïda et dans La Khovanschina au carte blanche à Magnus Lindberg Metropolitan Opera de New York et à l’Opéra de Philadelphie. Au Japon, il a donné plusieurs représentations avec des productions de La Scala de Milan (Nabucco avec Riccardo Muti) et des Arènes de Vérone (Turandot de Puccini). Il a enregistré de nombreux opéras ainsi que des disques de récitals pour Decca et Deutsche Grammophon. En 1999, il a chanté La Force du destin à Hambourg et au Teatro Real de Madrid, puis Don Carlo au Liceu de Barcelone. Ensemble Toiimi L’activité de cet ensemble dépend de la compétence de chacun de ses membres : Lassi Erkkilä pour la percussion, Anssi Karttunen pour le violoncelle, Timo Korhonen pour la guitare, Kari Kriikku pour la clarinette, Magnus Lindberg pour le synthétiseur, Juhani Liimatainen pour le design sonore et les instruments d’époque, Riku Niemi pour la percussion et la voix, et enfin Esa-Pekka Salonen pour la direction. Cette formation peut varier d’un concert à l’autre, mais les règles sont claires : « Soit vous êtes membre du Toimii, soit vous ne l’êtes pas... » L’ensemble Toimii a été créé en 1981 et s’est, depuis, produit au moins une fois par an un peu partout dans le monde dans des lieux très différents : le Libbey Bowl (Californie), un dépôt de locomotives en Finlande et le Royal Festival Hall à Londres. Aucun concert ne ressemble à un autre. Toimii est un laboratoire expérimental dans lequel tous les membres échangent des idées musicales originales et élaborent des programmes où se mêlent tous les styles, humeurs et tendances du moment. La technologie y est toujours présente, mais davantage en tant que matériau sonore. Tous les membres de cet ensemble mènent parallèlement des carrières indépendantes de l’ensemble. Le répertoire de Toimii comprend des pièces écrites ou arrangées par les différents membres de l’ensemble, des compositions collectives, des improvisations et des pièces commandées par d’autres artistes (poètes, peintres, sculpteurs et parfois compositeurs). Le premier enregistrement de l’ensemble a reçu le Prix Koussevitsky et d’autres sont en cours. Il est cependant préférable de ne pas trop circonscrire le champ d’activité de cette formation car elle pourrait bien prendre un tout autre chemin... Toimii reste surtout une ambiance, une fantaisie. Philharmonia Orchestra Cet orchestre, l’un des plus célèbres au monde, vient d’entamer, avec le nouveau siècle, l’un des moments les plus passionnants de son histoire. L’orchestre commence sa cinquième saison avec le chef allemand Christoph von Dohnányi comme chef principal. Sous sa direction, le Philharmonia Orchestra a renforcé sa place dans la vie musicale britannique, non seulement à Londres où il est en résidence au Royal Festival Hall, mais aussi dans le pays entier. Il est également invité de façon permanente depuis sept ans au Bedford Corn Exchange et depuis cinq ans au Leicester’s De Montford Hall. Cette année, pour la seconde fois, il sera partenaire d’Anvil Basingstoke . Cette initiative nouvelle lui a donné l’occasion de développer un programme d’éducation dynamique, centré sur le jeu collectif. Depuis ses débuts prometteurs en 1945, lorsqu’il a été créé par Walter Legge pour Emi en tant qu’orchestre de studio, le Philhamonia Orchestra a réussi à attirer les plus grands chefs du XXe siècle. L’orchestre est fier d’avoir travaillé sous la baguette d’éminents chefs tels que Furtwängler, Richard Strauss, Toscanini, Cantelli et Karajan. Otto Klemperer a été le premier d’une étonnante liste de chefs permanents : Lorin Maazel (1970), Riccardo Muti (1973), Giuseppe Sinopoli (1983), Carlo Maria Giulini, Andrew Davis, Vladimir Ashkenazy et Esa-Pekka Salonen. Pour la saison 2001-2002, les plus grands chefs et solistes se succédent : Vladimir Ashkenazy, Valery Gergiev, Yakov Kreizberg, Murray notes de programme | 23 carte blanche à Magnus Lindberg Perahia, Mikhail Pletnev, Esa-Pekka Salonen, András Schiff, Yevgeny Svetlanov, Arcadi Volodos et Kristian Zimerman. Les nombreuses et prestigieuses récompenses remportées au cours des saisons passées (Evening Standard Awards, Outstanding Artistic Achievement Award, Outstanding ensemble Award et le Royal Philharmonic Society’s large ensemble Award) lui ont valu une distinction du Hoffmann Committee. L’orchestre a également reçu des critiques unanimes et élogieuses pour ses choix innovants en matière de programmation, notamment son attachement à jouer et à commander de nouvelles compositions sous l’égide du World’s Leading Living Composers. Avec de plus de mille disques à son actif, l’enregistrement constitue toujours une part importante dans l’activité de l’orchestre et est, à ce titre, considéré comme l’orchestre symphonique le plus « enregistré » du monde. Devenu un véritable ambassadeur de la Grande-Bretagne, 24 | cité de la musique l’Orchestre se produit au Japon, en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Grèce et en Belgique durant la saison 2000-2001, sans oublier ses séjours au Théâtre du Châtelet et au Mégaron à Athènes. carte blanche à Magnus Lindberg cor anglais trompettes violons I Mary Whittle Jane Marshall Mark David James Clark Rebecca Wade Leila Ward Mark Calder Maya Iwabuchi Rebecca Carrington Alistair Mackie Clare Thompson Ania Ullmann clarinettes Chris Deacon Antonio Cucchiara Sean Bishop Mark Van de Wiel Martin Rockall Imogen East Kathy Ruse Eleanor Wilkinson Francis Harte Douglas Mitchell trompette basse David Thomas Andrew Fawbert Miranda Dale violoncelles Justin Jones Lionel Handy trombones Karin Tilch Rhydian Shaxson clarinette en mi bémol Byron Fulcher Clare Howick Deirdre Cooper Jennifer McLaren David Whitehouse Deborah Preece Jocelyn Gale Paul Lambert Stuart James Ann Baker Mark Templeton Soong Choo Avis Perthen Peter Fisher Stephen Milne Benjamin Harte Judith Fleet clarinette contrebasse Emma Canavan Le Philharmonia Orchestra est placé sous le haut patronage de son altesse le Prince de Galles. Vincent Meyer en est le président ; Christoph von Dohnányi, le chef principal ; Kurt Sanderling, le chef émérite ; Vladimir Ashkenazy, le conductor laureate ; James Clark et Christopher WarrenGreen, les concert masters. clarinette basse Duncan Swindells tubas saxophone alto John Jenkins David Roach Adrian Miotti Helen Paterson contrebasses bassons timbales Tamas Fejes Neil Tarlton Meyrick Alexander Andrew Smith Andrew Wickens Corin Long Michael Cole Simon Archer Timothy Colman Christian Geldsetzer Gillian Costello Simon Oliver percussions Julian Milone Dominic Worsley David Corkhill Simon Horsman Graham Mitchell Lizbeth Elliott Claire Wadsworth Vanessa Park violons II flûtes contrebasson Kevin Hathway Brian Moyes Alex Henery Kenneth Smith Gordon Laing Peter Fry Gideon Robinson Catherine Colwell Jackie Kendle Gillian Bailey Simon Archer Olwen Castle Jill Carter Sarah Newbold cors Rachel Jeffers Nigel Black Samantha Reagan Cormac O’hAodain harpe Susan Hedger piccolo, flûte alto Brendan Thomas Miriam Keogh Adrian Varela Keith Bragg Kathryn Saunders Eluned Pierce James Handy technique altos régie générale hautbois Jo Greenburg claviers Vicci Wardman Joël Simon Gordon Hunt Hugh Seenan Michael Round Michael Turner régie plateau Alison Alty Philip Woods Tim Carey Robert Leighton Jean-Marc Letang Christopher Cowie James Rattigan Alistair Young Graham Griffiths régie lumières Leila Ward Susan Salter Marc Gomez notes de programme | 25