Magnus Lindberg - Médiathèque de la Cité de la musique

Transcription

Magnus Lindberg - Médiathèque de la Cité de la musique
Jean-Philippe Billarant
président du conseil d’administration
Brigitte Marger
directeur général
Amis de longue date, les Finlandais Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen – respectivement compositeur et chef d’orchestre – se retrouvent à la cité de la
musique pour une carte blanche déclinée en trois moments : deux concerts en
ce week-end et un troisième le samedi 9 février prochain. Tous deux ont apporté
dans leurs bagages plusieurs figures tutélaires (Bach, Moussorgski, Berg, Bartók,
Stravinski et Lutoslawski), afin de compléter au mieux un univers musical déjà
particulièrement riche.
Virtuose des masses orchestrales et de la dramaturgie en musique, Magnus
Lindberg confie que son « instrument préféré est l’orchestre », même s’il n’hésite pas à renforcer sa spatialité en lui adjoignant un dispositif électro-acoustique, comme dans Kraft, en 1985 – sa première partition d’envergure. Si, dans
Kraft, le compositeur « organise la musique en fonction de la masse et des formations sonores percussives », en revanche, pour Aura (1993/1994) et dans
l’ensemble de ses œuvres ultérieures, il privilégie une plus grande limpidité de
texture, qui n’est pas si éloignée du courant spectral.
Pour cette carte blanche tournée à la fois vers l’Europe du Nord et de l’Est, EsaPekka Salonen retrouve le superbe Philharmonia Orchestra, avec lequel il nous avait
déjà enchantés dans le cycle consacré à György Ligeti, au Châtelet.
En parallèle à ces concerts, des journées d’études sont consacrées à
L’enseignement du chant choral dans les pays nordiques (23-25 novembre),
conclues par un concert de l’excellent Chœur d’enfants de Tapiola dirigé par Kari
Ala-Pöllänen.
vendredi
23 novembre - 20h
salle des concerts
concert
Witold Lutoslawski
Livre pour orchestre durée : 19 minutes
Béla Bartók
Le Mandarin merveilleux, suite d’orchestre, Sz 73
I - Introduction (bruit de la rue) ; l’ordre donné par les
voyous à la fille.
II - Premier appel de séduction de la fille (clarinette solo),
après quoi le vieil homme du monde apparaît, lequel est
finalement jeté par les voyous.
III - Deuxième appel de séduction de la fille, après quoi
le jeune gars apparaît, qui est, lui aussi, jeté dehors.
IV - Troisième appel de séduction de la fille ; le Mandarin
apparaît (tutti ff).
V - La danse de séduction de la fille devant le Mandarin
(valse très lente au début, accélère par la suite).
VI - Le Mandarin rattrape la fille après une chasse infernale.
durée : 22 minutes
entracte
Magnus Lindberg
Kraft, pour ensemble de solistes et orchestre*
durée : 27 minutes
Esa-Pekka Salonen, direction
Jonathan Stockhammer, chef assistant
Ensemble Toiimi :
Magnus Lindberg, piano, percussion
Riku Niemi, Lassi Erkkilä, percussion
Juani Liimatainen, live electronics
Anssi Karttunen, violoncelle, percussion
Kari Kriikku, clarinette, percussion
Philharmonia Orchestra
durée du concert (entracte compris) : 1 heure 20
La carte blanche à Magnus Lindberg a été réalisée
en collaboration avec l’agence Van Walsum Management Ltd.
* L’interprétation de Kraft bénéficie du soutien de Sound
Intermedia. Elle sera précédée d’une présentation par
Magnus Lindberg et Esa-Pekka Salonen.
carte blanche à Magnus Lindberg
Witold Lutoslawski
Livre pour orchestre
composition : 1968 ; commande de la ville de Hagen
(Westphalie) ; création : le 18 novembre 1968 par l’orchestre
de la ville, sous la direction de Berthold Lehmann, dédicataire
de l’œuvre ; effectif : 3 flûtes/piccolo, 3 hautbois, 3 clarinettes, 3 bassons/contrebasson, 4 cors, 3 trompettes,
3 trombones, tuba, 3 percussions, 1 piano, 1 célesta,
1 harpe, cordes ; éditeur : Hansen.
Le Livre pour orchestre se compose de quatre chapitres
séparés par des intermèdes très brefs joués ad libitum et
non dirigés, contrairement aux premiers, eux strictement
écrits et exécutés a battuta. L’équilibre global de l’œuvre
s’organise entre les trois premiers mouvements d’une
part, ramassés sur eux-mêmes, clairement séparés des
intermèdes, et le dernier d’autre part, plus vaste, émergeant progressivement de la substance musicale de l’intermède qui le précède, et qui vient contrebalancer
l’ensemble par l’ampleur de son développement.
Les trois premiers mouvements se caractérisent par
leur compacité et par l’énergie intense qu’ils dégagent. La substance musicale – faite de trames évolutives, de textures savamment composées, de
sonorités éruptives aussitôt anéanties – est soumise
à de grands mouvements d’intensification, fortement
directionnels, qui la contraignent et la consument rapidement. À titre d’exemple, suivons la trajectoire explicite du premier chapitre : un tissu harmonique des
cordes évolue par glissandi successifs – les quarts
de tons donnent ici la couleur singulière de ce début ;
progressivement gagné par de plus larges intervalles,
ce tissu devient plus dense et plus tendu, jusqu’à se
déchirer sous l’effet de violentes décharges des
cuivres et des percussions ; le climax central est atteint
lorsque l’espace est saturé de ces sonorités, évoquant celles de Varèse. La courbe se referme ensuite
avec le retour des cordes, glissant dans le grave.
L’intensité et la précision de ce travail, dont on trouverait
des équivalents dans les deuxième et troisième mouvements, rendent nécessaire l’aménagement de plages
de repos : c’est le rôle des intermèdes placés entre eux.
Aisément identifiables par leur instrumentation – clari4 | cité de la musique
carte blanche à Magnus Lindberg
nettes, puis clarinettes et harpe et enfin piano et harpe – ,
ils sont constitués d’une matière musicale volontairement peu signifiante – une simple formule répétée librement – et agissent comme autant de respirations dans
l’élaboration formelle. Seul le troisième et dernier intermède ménage une surprise : le bavardage des deux
instrumentistes semble se prolonger, la substance musicale toujours jouée ad libitum se transforme peu à peu,
s’amplifie, se propage à tous les instruments, donnant lieu
à une sorte de tutti semi-aléatoire : le finale a commencé,
sans rupture. Le retour progressif à un temps strictement contrôlé se fera par un grand geste d’accélération qui conduit tout l’orchestre au point culminant.
L’œuvre s’achève sur un retour au calme graduel : ultimes
gesticulations des cuivres faisant place à un duo pastoral de flûtes, et enfin éloignement des cordes dans
l’aigu sur un agrégat qui est la signature harmonique de
l’œuvre (mi-fa dièse-la-si).
Béla Bartók
composition : 1918-1919 ; argument de Menyhért Lengyel ;
Le Mandarin merveilleux, orchestration terminée en 1924 ; première représentation :
novembre 1926 à Cologne sous la direction de Jeno Szenkar ;
Sz 73
publication de la version de concert : 1927.
Action : dans un misérable réduit de faubourg, trois
vagabonds forcent une fille à aguicher les passants
qu’ils veulent dépouiller. Un timide jeune homme et
un pauvre sire, qui se sont laissé attirer, sont mis à la
porte comme de misérables gueux. Le troisième client
est le mystérieux mandarin. Par sa danse, la fille
cherche à dégeler l’angoissant personnage : au
moment où timidement il veut l’enlacer, elle s’enfuit,
horrifée, à son approche. Après une poursuite effrénée, il s’en saisit : au même instant, les trois vagabonds sortent de leur cachette, le dépouillent et
veulent l’étouffer sous des coussins. Mais il se relève
et jette des regards langoureux sur la fille. Les trois
vagabonds le transpercent d’une épée ; il chancelle,
mais son désir est plus fort que sa blessure et il se
précipite sur la fille. On le pend alors : mais il ne peut
mourir. Ce n’est que lorsqu’on l’a dépendu et que la
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carte blanche à Magnus Lindberg
fille l’a pris dans ses bras que ses blessures commencent à saigner, et il meurt.
Composé au sortir de la guerre, dans une Hongrie
démantelée en proie à des retournements politiques
incessants, Le Mandarin merveilleux marque une
étape décisive dans l’évolution du langage musical
de Bartók. La nécessité d’enraciner la musique au
plus près de ses sources populaires, parce que là
réside le vecteur d’un élan vital et universel dépassant le « sentiment » national, s’affronte ici aux exigences d’une invention au fait des développements
récents de l’écriture savante : rythmique stravinskienne ; dodécaphonisme cependant jamais détaché, chez Bartók, de pôles privilégiés et d’un
diatonisme dominant ; orchestration tranchante et
stratifiée ; traits expressionnistes.
La pantomime s’ouvre dans le vacarme d’un tutti fondé
sur une structure rythmique frénétique (6/8 avec accents
décalés et poussées fiévreuses des cuivres) qui caractérisera globalement le monde des crapules dans toute
l’œuvre. S’ensuivent les trois « jeux de séduction » de
la jeune fille, annoncés par une clarinette aguicheuse
(phrases procédant par répétitions et expansions successives autour de notes pivots) et interrompus chaque
fois par le retour des vagabonds qui expulsent les prétendants. Dans les derniers appels de la clarinette, progressivement irisés par tout l’orchestre, le mandarin
surgit (agrégat de quartes et tritons superposés, mugissement des cuivres sur une tierce mineure en glissando
traduisant l’effroi suscité par cette apparition). Au rythme
d’une valse faussée s’éveille peu à peu son désir qui
culminera ensuite dans une course mue par d’irrépressibles pulsions (répétition haletante d’un motif nerveux qui gagne l’orchestre par paliers successifs sur
un ostinato martelé). La version de concert s’achève au
sommet de la tension, au moment où le mandarin rattrape la fille et l’empoigne.
L’œuvre est traversée d’impulsions brutales et
sombres – faisant écho aux violences chaotiques du
monde industriel et urbain, au sordide d’une société qui
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carte blanche à Magnus Lindberg
pervertit même le désir par le calcul et l’intérêt, à la
monstruosité des crimes qui habitaient l’époque –
auxquelles fait face la figure allégorique du mandarin
dans sa radicale étrangeté. L’intégration de ces forces
« primaires » et hétérogènes appelait une stylisation
du trait et un immense effort de construction qui seuls
pouvaient sauver le langage musical de l’éclectisme
ou de la dissolution dont Bartók entrevoyait le risque.
Magnus Lindberg
Kraft
composition : 1983-1985 ; commande du Festival d’Helsinki ;
création : le 4 septembre 1985 à Helsinki par l’Ensemble Toimii
et l’Orchestre symphonique de la Radio finlandaise (dir. EsaPekka Salonen) ; œuvre primée par la Tribune des compositeurs à l’Unesco en 1986 ; Prix de la musique du Conseil nordique
en 1988 ; solistes : clarinettes, 2 percussions, piano, violoncelle
et dispositif de spatialisation du son, les solistes et le chef jouent
également de quelques percussions additionnelles (pour l’essentiel, des objets métalliques de récupération) ; grand orchestre :
4 flûtes/piccolos, flûte alto, 3 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes,
clarinette basse, saxophone alto, 3 bassons, contrebasson,
4 cors, 4 trompettes, 4 trombones, tuba, 4 percussions,
piano/célesta, 2 harpes, 48 cordes ; éditeur : Wilhelm Hansen.
Le caractère spectaculaire et impétueux de Kraft s’impose d’emblée. L’écoute est immédiatement frappée
par la rudesse, parfois proche de la sauvagerie, qui se
dégage de la matière sonore. Intégrant une large
palette de phénomènes allant jusqu’au bruit brut, l’orchestre est découpé par masses de différentes densités, s’érige en strates hétérogènes libérant une
puissance débordante. On a pu comparer ce monde
sonore à une sorte de musique concrète orchestrale
ou le rapprocher des sonorités des groupes rock et
punk berlinois que Lindberg découvre à cette période.
Mais, au-delà de ce vitalisme primaire et de son allure
accidentée, ce qui confère à l’œuvre son énergie
extraordinaire, c’est la présence de forces – « Kraft »
signifie « force », justement – qui viennent imprimer
aux matériaux des directions précises, inscrire des
processus complexes obligeant ces masses hétérogènes à se mouvoir, à se transformer en un sens
déterminé, aussi bien dans le temps que dans l’esnotes de programme | 7
carte blanche à Magnus Lindberg
pace, à la manière de mouvements géologiques souterrains. « Seul l’extrême est intéressant – la recherche
d’une totalité équilibrée est, de nos jours, impossible.
Un mode original d’expression ne peut être obtenu
qu’à travers le marginal – l’hypercomplexe combiné
avec le primitif », disait de sa démarche Magnus
Lindberg en 1987.
De l’œuvre bâtie en deux vastes parties équilibrées,
suivies d’une coda, on ne peut indiquer que quelques
traits d’écriture remarquables. Une préoccupation
essentielle d’ordre rythmique organise les différentes
sections selon des proportions calculées et contrôle
l’interaction des strates superposées, notamment leur
vitesse de changement. Le déploiement dans le temps
est dominé par l’idée de transformation graduelle d’une
situation donnée en une autre : jeu d’interpolations
harmoniques ou rythmiques – comme par exemple
l’émergence d’une pulsation régulière dans une situation instable – processus complexes visant à élider
les caractéristiques des matériaux de départ pour les
fondre dans une nouvelle identité homogène, ou à l’inverse, à désagréger une texture-timbre en de multiples composantes. C’est l’action même de forces
contraignantes sur les matériaux qui est alors rendue
sensible : torsion des figures, compression des progressions harmoniques, effondrement subit d’agrégats gigantesques sur un seul son, engourdissement
de l’activité conduisant à des points de focalisation
extrêmement tendus. Enfin, Kraft fait montre d’un sens
dramatique très sûr : l’écriture n’hésite pas à trancher
dans la complexité et la continuité de l’élaboration
pour désigner avec plus de clarté les principales articulations formelles, opérant alors par de radicales simplifications du discours ou des raccourcis inattendus,
ou à ménager des plages de détente sous la forme
de moments plus méditatifs ou suspendus.
samedi
24 novembre - 18h30
amphithéâtre du musée
rencontre
avec la participation de :
Magnus Lindberg, compositeur
Cyril Béros, musicologue
Cyril Béros
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accès libre sur réservation
carte blanche à Magnus Lindberg
samedi
24 novembre - 20h
salle des concerts
concert
Modeste Moussorgski
Boris Godounov (extraits) (voir traduction page 16)
scène du couronnement (prologue, 2nd tableau)
prologue (interlude orchestral)
scène de la folie (acte II)
mort de Boris (acte IV, 1er tableau)
durée : 20 minutes
Magnus Lindberg
Cantigas
durée : 20 minutes
entracte
Igor Stravinski
Le Sacre du printemps
I. L’Adoration de la terre : introduction, danses des adolescentes, jeu du rapt, rondes printanières, jeux des cités rivales,
cortège du sage, l’adoration de la terre, danse de la terre
II. Le Sacrifice : introduction, cercles mystérieux des adolescentes, glorification de l’élue, évocation des ancêtres,
action rituelle des ancêtres, danse sacrale/l’élue
durée : 30 minutes
Esa-Pekka Salonen, direction
Paata Burchuladze, basse
Philharmonia Orchestra
durée du concert (entracte compris) : 1 heure 30
Modeste
Moussorgski
Boris Godounov
Boris Godounov s’est immédiatement imposé, depuis
sa création en 1874, comme un emblème de l’âme
russe, concentrant à l’échelle d’un opéra les dimensions d’un drame personnel et d’une fresque collective. La Russie s’était en effet mise, dès le début du XIXe
siècle, à rêver d’un art national. Les lettrés en premier (de
Pouchkine à Dostoïevski) commencèrent à dénoncer
la lourdeur féodale de la société russe et réclamèrent
l’abandon des modèles culturels occidentaux. Ils témoignaient en même temps d’une volonté d’indépendance
fondée sur l’idée dostoïevskienne d’« enracinement » :
le modèle de société qu’ils imaginaient pour l’avenir
devait pouvoir se moderniser tout en réintégrant les
valeurs séculaires de la Russie. Les bases de cette
renaissance devaient s’appuyer sur le peuple et la religion, les deux témoins inaliénables de l’identité russe :
le peuple pour sa force acquise dans le malheur et l’injustice, et la religion pour son intemporalité.
C’est sous le règne de l’empereur Alexandre II (18551881) que les événements permettront aux intellectuels
de s’approcher le plus de cet idéal. Plusieurs groupes
d’intellectuels contribuèrent à prendre position contre
les canons esthétiques de la musique savante allemande
que défendaient Rubinstein et le jeune Tchaïkovski. Parmi
eux, les compositeurs du groupe des Cinq (César Cui,
Mili Balakirev, Modeste Moussorgski, Alexandre Borodine
et Nicolaï Rimski-Korsakov) furent les plus ardents à
s’inspirer de la musique populaire et à réfléchir aux possibilités de se distancier des Allemands : Wagner était
accusé d’avoir « symphonisé » le drame, et Schumann
d’entreprendre des développements musicaux dont la
science était comparée par Moussorgski à des « mathématiques musicales ».
« Les anciennes notions démodées, déclare
Moussorgski, obligent à chercher la mélodie qui flatte
simplement l’oreille. Ceci est ma première préoccupation. Je veux que le son exprime l’idée ; je veux la
vérité ». Pour lui, trouver un équivalent musical à la
parole humaine devient même une véritable obsession. « Quelles que soient les paroles que j’entends,
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carte blanche à Magnus Lindberg
quelle que soit la personne qui parle, et surtout quoi
qu’on dise, mon cerveau travaille aussitôt à la reproduction musicale de ce que j’ai entendu », écrit-il à
son ami Rimski-Korsakov. Il s’oppose ainsi, par l’audience donnée au phénomène brut, à la conception
d’un art occidental destiné à imiter la « belle nature ».
La nature de Modeste Moussorgski préfère la force
des tréfonds miséreux, la simplicité de l’ivrogne ou
des popes défroqués. « C’est le peuple que je veux
peindre, écrit-il au peintre Répine. Quand je dors, je
le vois devant moi. Quand je mange, c’est à lui que
je pense. Quand je bois, il m’apparaît, passe et
repasse, il plane devant mes yeux, dans toute sa réalité, grand sans fard et sans clinquant » (13 juin 1875).
Emmanuel Hondré
Magnus Lindberg
Cantigas
composition : 1998-1999 ; commande du Cleveland Orchestra ;
création : le 1er avril 1999 à Cleveland par le Cleveland Orchestra,
sous la direction de Christoph von Dohnányi, dédicataire de
l’œuvre ; cette pièce a reçu le 1st European Composer Prize of
the « young.euro.classic - Musik Sommer Berlin 2000 » ; effectif : piccolo, 2 flûtes, 2 hautbois, cor anglais, 3 clarinettes, clarinette basse, 2 bassons, contrebasson, 4 cors, 4 trompettes,
3 trombones, tuba, timbales, 3 percussions, harpe,
piano/célesta, cordes ; éditeur : Boosey & Hawkes.
Cantigas forme, avec Feria et Fresco composées toutes
deux en 1997, un groupe d’œuvres franchement extraverties. Vitalité et allure incisive vont de pair avec une
orchestration brillante, jouant aussi bien de couleurs
vibrantes et de sonorités limpides que de l’impact énergétique de la masse symphonique. L’inspiration méditerranéenne est manifeste, qu’indiquent d’ailleurs les
titres, comme ici la référence aux chansons ibériques
du Moyen Âge : les cantigas festives ou mariales, descendant de l’art mélodique des troubadours.
L’œuvre est bâtie en six grands cycles présentant entre
eux de nombreuses similitudes, tant dans leur
construction dynamique que dans leurs matériaux.
L’intervalle de quinte notamment, comme une signa12 | cité de la musique
carte blanche à Magnus Lindberg
ture, assure à l’œuvre une part de sa cohérence. Il
innerve l’ensemble des motifs, se déploie mélodiquement, se ramifie pour donner naissance à des surfaces miroitantes. Les quintes modèlent également
l’harmonie : en fonction de leur agencement dans les
registres, elles produisent des accords d’une très
grande clarté spectrale, voire d’identité tonale, ou au
contraire des agrégats brouillés proches de la saturation. Enfin, dans toute leur nudité, elles désignent
les principales articulations formelles de l’œuvre.
Chaque cycle débute par l’étagement de quintes successives, très vite emporté par un large geste d’accélération, qui disperse d’abord la musique à tout vent,
puis la propulse de manière ascensionnelle vers des
points de convergence : effets d’éblouissement ou d’ouverture de l’espace, comme l’arrivée au bord d’un précipice ou sur un vaste plateau, effets soudains de
confluence où toute la matière est réunie en un seul
flux. Les chemins qui reconduisent à un nouveau cycle
sont à chaque fois plus impressionnants : soit que l’énergie accumulée s’englue dans un élargissement des
tempi avant de se dissiper, soit qu’elle se maintienne
sous l’effet d’une accélération telle qu’elle se fige en
une texture statique ou scintillante, soit enfin qu’elle
redouble d’intensité, propulsée par des poussées fiévreuses où toute la puissance de l’orchestre est requise.
En deçà de ces reliefs découpés, l’agencement des
éléments et le déroulement procurent plutôt une sensation de mobilité perpétuelle. Les idées musicales
prolifèrent, se transforment, se divisent ou s’agrègent
les unes aux autres, à une vitesse ahurissante et suivant des directions dont le court-circuit semble le trajet d’élection. À cet égard, un des moments les plus
saisissants a lieu avant la section finale : un ostinato,
fondé à nouveau sur l’étagement de quintes, se
dérègle bientôt sous les coups de boutoir des cuivres,
laissant exploser une énergie physique inouïe, immédiatement et insensiblement canalisée dans un solo de
hautbois accompagné, aux courbes souples et au
ton presque tranquille. Ce répit inattendu, dans une
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carte blanche à Magnus Lindberg
œuvre où les idées sont sans cesse jetées dans le
jeu du brassage, appelle le déchaînement final et la
conclusion résolument emphatique avec ses modulations harmoniques rayonnantes.
C. B.
Igor Stravinski
Le Sacre du printemps
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Essayer de porter un jugement sur l’œuvre de
Stravinski est une tentative déconcertante et vaine. Il
apparaît de plus en plus évident que, en dépit de
« renouvellements » constants, poursuivis avec moins
de bonheur que de désenchantement, il n’est pas
d’auteur dont le nom soit plus étroitement attaché à
une seule œuvre, disons à une seule série d’œuvres.
Stravinski c’est d’abord Le Sacre ; Petrouchka, Renard,
Noces et Chant du Rossignol forment une constellation dont l’importance n’est pas niée, mais dont le
pôle attractif reste toujours ce Sacre, hier scandaleux,
aujourd’hui prétexte à quels dessins animés ! Il est
curieux de constater que, des deux grands « scandales » de la musique contemporaine, c’est-à-dire Le
Sacre et Pierrot lunaire, le sort est sensiblement parallèle : de même que le Sacre reste, aux yeux du grand
nombre, LE phénomène Stravinski, Pierrot lunaire reste
également LE phénomène Schönberg. Nous pourrions grosso modo ratifier cette opinion car, dans l’un
comme dans l’autre cas, il n’y eut pas, en effet, coalescence plus grande entre les ressources du langage
et la force poétique, entre les moyens d’expression
et la volonté d’expression. (...)
D’une audition complète du Sacre, il ressort de façon
assez immédiate que, mise à part l’Introduction, Le
Sacre est écrit gros, je veux dire qu’il utilise essentiellement des plans très contrastés, une écriture globale.
Cette impression n’est pas inexacte. Justifiée, en effet,
par toutes les structures tonales de l’œuvre, elle se
dément paradoxalement par les constructions rythmiques. Ce qui frappe le plus l’auditeur du Sacre, c’est
la massivité de ces accords répétés, de ces cellules
mélodiques à peine variées, et c’est pourtant là que se
carte blanche à Magnus Lindberg
manifeste au plus haut degré l’invention de Stravinski,
difficile à imaginer en 1913, et inégalée pendant environ
les vingt-cinq ou trente années qui suivirent. On se
contenta d’imiter l’écriture, l’irrégularité et le nombre
des changements de mesure, sans se préoccuper
d’une réalité quelconque de leur emploi. Aussi ne fautil pas s’étonner de voir que le Sacre n’a pas eu de portée véritable, sauf une tendance au dionysiaque et à la
musique « méchante », comme on l’a dit, et qu’œuvre
la plus connue du domaine contemporain, c’est aussi
l’œuvre sans descendance. À tel point que le jazz a pu
passer pour apporter à la musique un considérable
renouvellement rythmique, avec sa pauvre et unique
syncope et son inséparable mesure à quatre temps.
(Stravinski n’a-t-il point donné le change lui-même avec
ses Rag-Time ?) Pourquoi, depuis si longtemps, cette
inexplicable carence ? Peut-être dirons-nous, la rencontre de la complexité du vocabulaire et de la syntaxe
rythmique de Stravinski ne pouvait se prêter à des
déductions valables qu’avec un vocabulaire morphologiquement et syntaxiquement aussi complexe, tel qu’il
devait être mis au point par Webern. (...) Il est indéniable, également, que Stravinski possède, à un moindre
degré, le sens du développement, c’est-à-dire du phénomène sonore en constant renouvellement. Peut-être
estimera-t-on ceci faiblesse – et en effet ce l’est ; me permettra-t-on de penser que c’est là l’un des principaux
points de départ de cette force rythmique qu’il allait être
obligé de déployer pour faire front à la difficulté d’écrire ?
Je ne crois pas être très paradoxal en affirmant que,
ces coagulations horizontales ou verticales étant matériaux simples et aisément maniables, l’on pouvait tenter
une expérience rythmique beaucoup plus aiguë.
Pierre Boulez
d’après Stravinski demeure (1951)
in Relevés d’apprenti (Éditions du Seuil, 1967)
notes de programme | 15
carte blanche à Magnus Lindberg
carte blanche à Magnus Lindberg
Modeste Moussorgski
Boris Godounov (extraits)
Modeste Moussorgski
Boris Godounov (extraits)
scène du couronnement
scène du couronnement
(Dans une cour du Kremlin à Moscou.)
(Dans une cour du Kremlin à Moscou.)
Skorbít dushá !
Kakóy-to strakh nyevólni
zlovéshchim pryedchúvstviyem
skovál mnye syérdtse.
o, právyednik, o, moy otyéts derzhávni !
Vozrí s nyebyés na slyózi gryéshnikh slug
i nisposhlí ti mne svyashchyénnoye na vlast'
blagoslovyénye.
Da búdu blag i právyedyen kak ti,
da v slávye právlyu moy naród.
Tyepyer' poklónimsya pochíyushchim
vlastítelyam Rusí.
A tam szivát' naród na pir,
vsyekh, ot boyár do níshchyevo slyeptsá,
vsyem vólni vkhod,
vsye gósti dorogíye.
Mon cœur est triste.
Un sentiment de crainte,
quand tous sont joyeux,
a pénétré mon âme ! Ô saint aïeul !
Ô mon royal ancêtre !
Du haut du ciel regarde,
vois mes pleurs !
Accorde-moi ta sainte bénédiction,
bénis mon règne,
et donne-moi la grâce d’être bon,
heureux et juste comme toi !
D’abord rendons hommage aux
souverains défunts de la Russie.
Après, le peuple aura sa fête.
Tous, du boyard au pauvre mendiant,
tous entreront ; tous trouveront un père.
scène de la folie
scène de la folie
(Dans les appartements du tsar au Kremlin.)
(Dans les appartements du tsar au Kremlin.)
Dostíg ya víshey vlásti,
shestóy uzh god ya tsárstvuyu sopkóyno
no schástya nyet moyéy izmúchennoy dushé.
Naprásno mnye kudyésniki sulyát dni dólgiye,
dni vlásti byezmyatyézhnoy.
Nu zhizn', ni vlast',
ni slávi obolshchyénya,
ni klíki tolpí myenyá nye vyesyelyát.
V syemyé svoyéy ya mnil naytí otrádu,
gotóvil dóchyeri vyesyóli bráchni pir,
moyéy tsaryévnye,
golúbkye chístoy.
Kak búrya, smyért' unósit zhenikhiá...
J’ai le pouvoir suprême.
Voici cinq ans déjà que je l’exerce.
Mon âme cherche le bonheur sans le trouver.
En vain les magiciens m’auront prédit
un règne long et sage, et tranquille.
Plus rien, hélas ! ne me séduit,
ni gloire, ni cris de la foule,
en vain, tout en vain.
J’ai mis ma joie en ma famille ;
j’ai préparé les noces
de ma douce fille,
de ma tzarevna,
de ma colombe ;
la mort a ravi son fiancé.
Tyazhká dyésnitsa
gróznovo Sudíi,
uzhásyen prigovór dushé pryestúpnoy...
Okryést lish tmá i mrák nyeproglyádni ;
La lourde main du Juge
vient, ô terreur,
s’abattre sur mon âme criminelle,
je vois autour de moi
16 | cité de la musique
khotyá myelknúl bi luch otrádi.
I skórbyu syérdtse pólno,
toskúyet, tómitsya dukh ustáli,
Kakóy-to tryépyet táyni...
Vsyo zhdyosh chyevó-to...
Molítvoy tyóploy k
ugódnikam Bózhyim
ya mnil zaglushít'
dushí stradánya...
V vyelíchyi i blyéskye
vlásti byezgraníchnoy,
rusí vladíka, u nikh ya slyoz
prósil mnye v utyeshenye.
A tam donós, boyár kramóli,
kózni Litví i táyniye podkópi,
glad i mor i trus i razoryénye...
Slóvno díki zvyer'
ríshchyet lyud zachúmlyenni,
golódnaya, byédnaya stónyet Rús'!...
I v lyutóm górye,
nispóslannom Bógom,
za tyázhki moy gryekh v ispitánye,
vinóy vsyekh zol myenyá naryekáyut,
klyanút na ploshchadyách ímya Borísa!
I dázhe son byezhít i v súmrakye nóchi
dityá okrovavlyónnoye vstayót.
Ochi piláyut,
stísnuv ruchyénki,
molít poshchyádi...
I nye bilo poshchyádi!
Stráshnaya rána ziyáyet,
slíshitsya krik yevó pryedsmyértni...
O, Góspodi Bózhe moy!
[…]
Uf, tyazheló! Day dukh pyeyevyedú...
Ya chúvstvoval, vsya krov’ mnye kínulas'
b litsó i tyázhko opuskálas'.
O, sóvyest' lyútaya,
kak tyázhko ti karáyesh!
[…]
Yézheli v tyebyé pyatnó yedínoye...
Yedínoye slucháyno zavyelósya.
Dushá zgorít,
nalyótsya syérdtse yádom,
tak tyázhko, tyázhko stányet
shto mólotom stuchít v ushákh
upryókom i proklyátyem…
I dúshit shtó-to... dúshit...
les ténèbres
sans nulle trace d’espérance.
L’ennui sans répit m’accable,
je souffre, et mon cœur excédé
se brise dans un frisson
d’angoisse qui me fait
tout craindre.
Aux saints du ciel mes ferventes prières
ont dit le tourment d’une âme en peine.
Moi, tsar de Russie, en personne,
dans ma gloire, dans ma puissance,
j’aurais tout donné pour une douce larme.
Ici l’intrigue,
les luttes sourdes et les complots,
les mines souterraines,
force fléaux, la peste et la famine.
Comme le troupeau qui prend peur et s’affole,
tout mon Empire est en proie au malheur !
Des maux sans nombre l’accablent,
c’est Dieu qui punit le pays pour ma faute.
Le nom du tsar Boris est un nom
qu’on prononce avec horreur pour le maudire.
Et le sommeil me fuit,
et dans les ténèbres
l’enfant ensanglanté vient me hanter.
Les yeux enflammés, de ses petites mains,
il m’implore,
mais il n’obtient pas grâce.
C’est la blessure béante,
c’est l’affreux cri de l’agonie.
Ô Dieu ! Seigneur mon Dieu !
[…]
Oh ! J’étouffais, le souffle me manquait ;
en vagues courroucées tout mon sang
battait mes tempes, sans relâche.
Cruelle conscience,
comme tu me punis !
[…]
Si jamais, un jour, peut-être un seul instant,
la moindre tache impure t’a souillée,
le cœur brûlant,
l’esprit à la torture,
je souffre, je succombe,
et le remords comme un marteau,
sans trêve bat mes tempes ;
ma gorge est sèche, sèche,
notes de programme | 17
carte blanche à Magnus Lindberg
carte blanche à Magnus Lindberg
I golová kruzhítsya... i víditsya
v glazákh... dityá okrovávlyennoye!
[…]
Von... von tam... shto éto? Tam v uglú… ?
Kolíshetsya, rastyót...
Blízitsya... drozhít i stónyet...
Chur, chur !... Nye ya...
Nye ya tvoy likhodyéy…
Chur!... Chur, dityá!...
Nyet, nye ya...
Vólya naróda...
Chur, dityá...
Góspodi!
[…]
Ti nye khóchyesh smyérti gryéshnika,
pomíluy dúshu pryestúpnovo tsaryá Borísa!
je sens tourner ma tête.
je vois l’enfant, l’enfant couvert de sang.
[…]
Là, là-bas, qui va là,
dans ce coin ?
Il vient vers moi, grandit,
il bondit, gémit, et pleure.
Va, va, va-t’en !
Je n’ai pas fait le crime !
Va, va, va-t’en !
Pas moi, pas moi !
C’est tout le peuple !
Va, enfant !
[…]
Ô Seigneur ! Tu ne veux pas la mort du
[pécheur !
Épargne l’âme du tsar coupable, de Boris !
mort de Boris
mort de Boris
(Dans les appartements du tsar au Kremlin.)
(Dans les appartements du tsar au Kremlin.)
Tsaryévicha skoryéy!
Okh! tyázhko mnye! Skhímu!
Ostávlye nas! Uydítye vsye!
[…]
Proshcháy, moy sin, umiráyu!
Syeychás ti tsárstvovat’ nachnyósh.
Nye spráshivay, kakím putyóm
ya tsárstvo priobryól;
tyebyé nye núzhno znat'.
Ti tsárstvovat' po právu búdyesh,
kak moy naslyédnik,
kak sin moy pyervoródni.
Sin moy, dityá moyó rodnóye!
Nye vvyeryáysya navyétam
boyár kramólnikh,
zórko slyedí za ikh snoshényami
táynimi s Litvóyu.
Izmyénu karay byez poshchádi,
byez mílosti karay.
Strógo vnikáy v sud naródni,
sud nyelitsemyémi.
Stoy na strazhe bortsóm za vyéru právuyu,
svyáto chti svyatíkh ugódnikov Bózhyikh.
Syestru svoyu, tsaryévnu,
byeryegí, moy sin;
Que vienne ici mon fils !
Et moi, je vais mourir.
Les boyards le font asseoir.
[…]
Laissez-nous seuls. Sortez boyards.
Adieu, mon fils ! Je meurs.
C’est toi qui va bientôt régner.
Ne cherche pas comment ce trône
fut par ma main conquis, tu ne dois pas
savoir, mais toi, ton droit est légitime,
par l’héritage que t’a transmis ton père,
mon fils, enfant que j’aime !
Ne suis pas les conseils
des boyards perfides,
sois attentif à leurs intrigues,
ils passent nos frontières,
punis sans pitié tous les traîtres,
punis-les sans merci.
Rends la justice à ton peuple
sans que rien ne t’arrête,
sois toujours défenseur
de la loi de tes pères,
rends hommage aux saints
pour qu’ils te protègent.
Ta sœur a grand besoin de ton secours,
18 | cité de la musique
ti yey odín khranítyel' ostayóshsya,
náshey Xénii, golúbkye chístoy.
Góspodi! Góspodi!
Vozzrí, molyû, na slyózi gryéshnovo otsá!
Nye za syebyá molyu,
nye za syebya, moy Bózhe!...
S gómyey, nyepristupnoy visotí
prolyéy ti blagodátni svyet
na chad moyíkh nyevínnikh...
krótkikh i chístikh...
Síli nyebyésniye!...
Strazhí tróna Pryedvyéchnovo!...
Krilámi svyédimi vi okhrantíye moyó
dityá rodnóye ot byed i zol, ot iskushéni!
[…]
Zvon! Pogryebálni zvon!
[…]
Nadgróbni vopl'!
Skhíma, svyatáya skhíma,
v monákhi tsar' idyót
[…]
Nyet, nyet, sin moy, chas moy probíl...
Bózhe! Bózhe! Tyázhko mnye!
Uzhél' gryekhá nye zamolít'?
O, zláya smyért'! Kak múchish ti zhestóko!
[…]
Povryemyenítye: ya tsar' yeshchyó.
Ya tsar' yeshchyó...
[…]
Bózhe! Smyert'! Prostí myenyá!
[…]
Vot!
Vot tsar' vash... tsar'...
Prostítye... prostítye...
[…]
mon fils ; tu restes seul
pour lui venir en aide !
Aime Xénia, colombe pure.
O Seigneur, ô mon Dieu ! Tu vois mes pleurs.
O grâce ! Grâce pour mon fils, non pas pour moi,
pécheur, non pas pour moi, pardonne !
[…]
De tes angéliques et célestes parvis, oh !
Verse tes bienfaits sur mes enfants candides,
doux et tendres ! Anges gardiens du ciel,
près du trône céleste,
voyez, c’est mon enfant,
ouvrez vos ailes pour le garder
de toute calamité, de toute épreuve.
[…]
Dieu ! C’est le son du glas !
[…]
Funèbres pleurs !
Prêtres, qu’allez-vous faire
du tsar qui va mourir ?
[…]
Non, mon fils, mon heure vient.
Ô Seigneur ! Je souffre !
Ô Dieu ! Pitié pour mes péchés !
Ô sombre mort, tes affres sont cruelles !
[…]
Je suis encore le tsar !
Le tsar !
[…]
Je meurs… Dieu !… Pardonne-moi…
[…]
Lui !
C’est votre tsar !
Pardonnez ! Pardonnez !
[…]
traduction russe © Charles Earle
traduction française Delines et Louis Laloy
© Emi
notes de programme | 19
carte blanche à Magnus Lindberg
carte blanche à Magnus Lindberg
Magnus Lindberg
est né en 1958 à Helsinki. Après
avoir suivi des études de piano, il
entre à l’Académie Sibelius où il
bénéficie de l’enseignement
d’Einojuhani Rautavaara et de Paavo
Heininen pour la composition. Ces
derniers l’encouragent à suivre cette
voie au-delà de l’esthétique finlandaise « conservatrice » et nationaliste
et à explorer les travaux de l’Avantgarde européenne. Cela le conduit à
créer, dans les années 80, le groupe
« Korvat auki » (Ouvrir les oreilles)
auquel Hämeeniemi, Kaipainen,
Saariaho et Salonen participent ; ces
derniers l’incitent à une plus grande
approche des courants contemporains. En 1981, Magnus Lindberg
vient étudier à Paris avec Vinko
Globokar et Gérard Grisey. À cette
époque, il suit les cours de Franco
Donatoni à Sienne, et rencontre Brian
Ferneyhough, Helmut Lachenmann
et M. Höller. Son succès en tant que
compositeur s’exprime avec deux
partitions : Action-SituationSignification en 1982 et Kraft en
1983-85, qui sont étroitement liées à
la création de l’ensemble Toimii avec
Esa-Pekka Salonen. Cet ensemble,
dans lequel Lindberg joue du piano et
des percussions, a fourni au compositeur un véritable laboratoire pour
ses expériences sonores. À ce jour,
son œuvre conjugue le goût pour
l’expérience, la complexité et le primitivisme, repoussant les limites des
matériaux musicaux mis à sa disposition. À la fin des années 80, sa
20 | cité de la musique
musique a évolué vers un certain
« classicisme moderne » dans lequel
les principaux vecteurs des émotions
du langage musical (harmonie,
rythme, contrepoint, mélodie) ont été
ré-interprétés depuis l’époque postsérielle. Les partitions-clés de cette
évolution stylistique sont le triptyque
pour orchestre Kinetics (1988),
Marea (1989-90) et Joy (1989-90),
rapidement complété par Aura
(1993-94) et Arena (1994-95). Ses
récentes compositions – Feria (1997),
Fresco (1997), Cantigas (1999) et le
Concerto pour violoncelle (1999) –
l’ont placé parmi les compositeurs
les plus inventifs dans le domaine
orchestral. Au printemps 2000,
Simon Rattle était en tournée en
Europe avec Gran Duo, une création
pour vents et cuivres pour le City of
Birmingham Symphony Orchestra.
D’autres projets sont en cours, parmi
lesquels des nouvelles compositions
pour le Philharmonia Orchestra avec
Esa-Pekka Salonen, pour l’Orchestre
symphonique de la Radio finlandaise
et le Los Angeles Philharmonia
Orchestra. La musique de Lindberg a
été enregistrée pour les labels
Ondine, Finlandia et Deutsche
Grammophon ; un projet d’enregistrement de ses œuvres pour
orchestre est en cours de réalisation
chez Sony Classics.
biographies
Esa-Pekka Salonen
est né à Helsinki et a étudié
à l’Académie Sibelius ; il a
commencé sa carrière de
chef avec l’Orchestre symphonique de la Radio
finlandaise en 1979. En
1985, il a été nommé directeur musical de l’Orchestre
symphonique de la Radio
suédoise, poste qu’il occupera pendant dix ans. La
même année, il devient
aussi le principal chef invité
du Philharmonia Orchestra
de Londres et le restera jusqu’en 1994. En 1995 et en
1996, il est le directeur du
Festival d’Helsinki. EsaPekka Salonen dirige le Los
Angeles Philharmonia
Orchestra depuis 1992. En
août de la même année, il
est accueilli, avec cet
orchestre, en résidence au
Festival de Salzbourg, où il
donne, entre autres, quatre
représentations du Saint
François d’Assise de
Messiaen. En mars 1994, il
réalise une tournée au
Japon avec cet orchestre
et participe aux plus grands
festivals européens (199498). En 1996, toujours avec
le même orchestre, il est
accueilli en résidence au
Théâtre du Châtelet à Paris
avec un programme
Stravinski, comprenant The
Rake’s Progress. EsaPekka Salonen est le
lauréat de nombreux et
prestigieux prix : en 1993,
celui de l’Accademia
Chigiana (c’est le premier
chef à avoir reçu ce prix), et
en 1995, celui du Royal
Philharmonic Society’s
Opera qui lui remet aussi
celui du « meilleur chef
d’orchestre » en 1997.
L’année suivante, il est
promu au rang d’Officier de
l’Ordre des Arts et des
Lettres par le gouvernement français. En outre, il
est reconnu pour ses interprétations de musique
contemporaine et a récemment entrepris l’importante
rétrospective de l’œuvre de
György Ligeti avec le
Philharmonia Orchestra. Un
cycle de concert s’est tenu
à Londres, Paris et Tokyo,
ainsi que dans des versions
réduites dans le monde
entier. Avec le même
orchestre, il a donné une
nouvelle version de l’opéra
de Ligeti Le Grand
Macabre dirigé par Peter
Sellars. Ce spectacle fut
également joué sur la
scène du Théâtre du
Châtelet à Paris en février
1998. Ses engagements le
conduisent actuellement à
Londres, Paris et Bruxelles
avec le Philhamonia
Orchestra pour cette série
consacrée à la musique de
Magnus Lindberg. En
2002, citons une tournée
européenne avec le Los
Angeles Philharmonia
Orchestra, ainsi que plusieurs concerts avec
l’Orchestre symphonique
de la Radio bavaroise,
l’Orchestre philharmonique
de Berlin, le Chicago
Symphony Orchestra et le
Cleveland Orchestra. En
1985, Esa-Pekka Salonen
signe un contrat d’exclusivité avec Sony pour lequel il
vient d’enregistrer, avec le
Los Angeles Philharmonia
Orchestra, des œuvres de
Debussy, Bartók, Bruckner,
Mahler et Bach. Ce musicien accompli est
également compositeur et
a étudié avec Niccolo
Castiglioni et Franco
Donatoni en Italie. En janvier 1997, il crée L. A.
Variations avec le Los
Angeles Philharmonia
Orchestra, avant que cette
œuvre ne soit reprise par le
Royal Concertgebouw
d’Amsterdam. Plus récemment, il a composé Five
Images After Sappho pour
notes de programme | 21
carte blanche à Magnus Lindberg
soprano et quatorze instruments, ainsi qu’un concerto
pour violoncelle, Mania,
pour Anssi Karttunen. En
août 2001, sa dernière
œuvre pour orchestre a été
créée au Festival de
Schleswig-Holstein, suivi
d’une première en GrandeBretagne aux BBC Proms.
Paata Burchuladze,
né en Géorgie, est l’une
des plus belles voix de
basse profonde du
monde, tout aussi célèbre
par ses nombreux enregistrements que par ses
prestations sur les plus
prestigieuses scènes
internationales. En 1982,
il remporte le Premier prix
du Concours Tchaïkovski
de Moscou et, à ce titre,
attire rapidement l’attention du monde musical. Il
commence sa carrière au
Covent Garden de
Londres dans le rôle de
Ramfis (Aida) en 1984
avec Luciano Pavarotti.
D’autres grands rôles suivront : Basilio (Barbier de
Séville), Boris Godounov,
Khonchak (Prince Igor),
L’Ange de feu de
Prokofiev et Tsar Odon
dans le Coq d’Or de
Rimsky-Korsakov. Peu
après ses débuts à
22 | cité de la musique
Londres, il est invité à La
Scala de,Milan où depuis,
il a joué les grands opéras
de Verdi (Macbeth, Aïda,
Nabucco, I Lombardi) et
La Khovanschina. Avec la
Philharmonie de Berlin
(dir. Herbert von Karajan),
il a enregistré le rôle du
Commandeur dans Don
Giovanni de Mozart –
interprété par la suite au
Festival de Salzbourg, où
il a également donné des
récitals. Il a chanté plusieurs fois à l’Opéra de
Vienne, notamment dans
Boris Godounov et La
Khovanschina, sous la
direction de Claudio
Abaddo, (spectacles
accueillis avec enthousiasme par le public). À
Munich, il a également
chanté Boris Godounov
dans une nouvelle production de Johannes
Schaaf et a joué de nombreuses fois à l’opéra de
cette ville.
Chaleureusement
applaudi à plusieurs
reprises à Stuttgart,
l’opéra de la ville lui a
décerné le Prix
« Kammersänger ». Aux
États-Unis, Paata
Burchuladze a également
chanté dans Aïda et dans
La Khovanschina au
carte blanche à Magnus Lindberg
Metropolitan Opera de
New York et à l’Opéra de
Philadelphie. Au Japon, il
a donné plusieurs représentations avec des
productions de La Scala
de Milan (Nabucco avec
Riccardo Muti) et des
Arènes de Vérone
(Turandot de Puccini). Il a
enregistré de nombreux
opéras ainsi que des
disques de récitals pour
Decca et Deutsche
Grammophon. En 1999, il
a chanté La Force du
destin à Hambourg et au
Teatro Real de Madrid,
puis Don Carlo au Liceu
de Barcelone.
Ensemble Toiimi
L’activité de cet ensemble
dépend de la compétence de chacun de ses
membres : Lassi Erkkilä
pour la percussion, Anssi
Karttunen pour le violoncelle, Timo Korhonen
pour la guitare, Kari
Kriikku pour la clarinette,
Magnus Lindberg pour le
synthétiseur, Juhani
Liimatainen pour le design
sonore et les instruments
d’époque, Riku Niemi
pour la percussion et la
voix, et enfin Esa-Pekka
Salonen pour la direction.
Cette formation peut
varier d’un concert à
l’autre, mais les règles
sont claires : « Soit vous
êtes membre du Toimii,
soit vous ne l’êtes pas... »
L’ensemble Toimii a été
créé en 1981 et s’est,
depuis, produit au moins
une fois par an un peu
partout dans le monde
dans des lieux très différents : le Libbey Bowl
(Californie), un dépôt de
locomotives en Finlande
et le Royal Festival Hall à
Londres. Aucun concert
ne ressemble à un autre.
Toimii est un laboratoire
expérimental dans lequel
tous les membres échangent des idées musicales
originales et élaborent des
programmes où se
mêlent tous les styles,
humeurs et tendances du
moment. La technologie y
est toujours présente,
mais davantage en tant
que matériau sonore.
Tous les membres de cet
ensemble mènent parallèlement des carrières
indépendantes de l’ensemble. Le répertoire de
Toimii comprend des
pièces écrites ou arrangées par les différents
membres de l’ensemble,
des compositions collectives, des improvisations
et des pièces commandées par d’autres artistes
(poètes, peintres, sculpteurs et parfois
compositeurs). Le premier
enregistrement de l’ensemble a reçu le Prix
Koussevitsky et d’autres
sont en cours. Il est
cependant préférable de
ne pas trop circonscrire le
champ d’activité de cette
formation car elle pourrait
bien prendre un tout autre
chemin... Toimii reste surtout une ambiance, une
fantaisie.
Philharmonia Orchestra
Cet orchestre, l’un des
plus célèbres au monde,
vient d’entamer, avec le
nouveau siècle, l’un des
moments les plus passionnants de son histoire.
L’orchestre commence sa
cinquième saison avec le
chef allemand Christoph
von Dohnányi comme chef
principal. Sous sa direction, le Philharmonia
Orchestra a renforcé sa
place dans la vie musicale
britannique, non seulement
à Londres où il est en résidence au Royal Festival
Hall, mais aussi dans le
pays entier. Il est également invité de façon
permanente depuis sept
ans au Bedford Corn
Exchange et depuis cinq
ans au Leicester’s De
Montford Hall. Cette
année, pour la seconde
fois, il sera partenaire
d’Anvil Basingstoke . Cette
initiative nouvelle lui a
donné l’occasion de développer un programme
d’éducation dynamique,
centré sur le jeu collectif.
Depuis ses débuts prometteurs en 1945, lorsqu’il
a été créé par Walter
Legge pour Emi en tant
qu’orchestre de studio, le
Philhamonia Orchestra a
réussi à attirer les plus
grands chefs du XXe siècle.
L’orchestre est fier d’avoir
travaillé sous la baguette
d’éminents chefs tels que
Furtwängler, Richard
Strauss, Toscanini, Cantelli
et Karajan. Otto Klemperer
a été le premier d’une
étonnante liste de chefs
permanents : Lorin Maazel
(1970), Riccardo Muti
(1973), Giuseppe Sinopoli
(1983), Carlo Maria Giulini,
Andrew Davis, Vladimir
Ashkenazy et Esa-Pekka
Salonen. Pour la saison
2001-2002, les plus
grands chefs et solistes se
succédent : Vladimir
Ashkenazy, Valery Gergiev,
Yakov Kreizberg, Murray
notes de programme | 23
carte blanche à Magnus Lindberg
Perahia, Mikhail Pletnev,
Esa-Pekka Salonen,
András Schiff, Yevgeny
Svetlanov, Arcadi Volodos
et Kristian Zimerman. Les
nombreuses et prestigieuses récompenses
remportées au cours des
saisons passées (Evening
Standard Awards,
Outstanding Artistic
Achievement Award,
Outstanding ensemble
Award et le Royal
Philharmonic Society’s
large ensemble Award) lui
ont valu une distinction du
Hoffmann Committee.
L’orchestre a également
reçu des critiques unanimes et élogieuses pour
ses choix innovants en
matière de programmation, notamment son
attachement à jouer et à
commander de nouvelles
compositions sous l’égide
du World’s Leading Living
Composers. Avec de plus
de mille disques à son
actif, l’enregistrement
constitue toujours une part
importante dans l’activité
de l’orchestre et est, à ce
titre, considéré comme
l’orchestre symphonique le
plus « enregistré » du
monde. Devenu un véritable ambassadeur de la
Grande-Bretagne,
24 | cité de la musique
l’Orchestre se produit au
Japon, en France, en
Espagne, en Italie, en
Allemagne, en Grèce et en
Belgique durant la saison
2000-2001, sans oublier
ses séjours au Théâtre du
Châtelet et au Mégaron à
Athènes.
carte blanche à Magnus Lindberg
cor anglais
trompettes
violons I
Mary Whittle
Jane Marshall
Mark David
James Clark
Rebecca Wade
Leila Ward
Mark Calder
Maya Iwabuchi
Rebecca Carrington
Alistair Mackie
Clare Thompson
Ania Ullmann
clarinettes
Chris Deacon
Antonio Cucchiara
Sean Bishop
Mark Van de Wiel
Martin Rockall
Imogen East
Kathy Ruse
Eleanor Wilkinson
Francis Harte
Douglas Mitchell
trompette basse
David Thomas
Andrew Fawbert
Miranda Dale
violoncelles
Justin Jones
Lionel Handy
trombones
Karin Tilch
Rhydian Shaxson
clarinette en mi bémol
Byron Fulcher
Clare Howick
Deirdre Cooper
Jennifer McLaren
David Whitehouse
Deborah Preece
Jocelyn Gale
Paul Lambert
Stuart James
Ann Baker
Mark Templeton
Soong Choo
Avis Perthen
Peter Fisher
Stephen Milne
Benjamin Harte
Judith Fleet
clarinette contrebasse
Emma Canavan
Le Philharmonia
Orchestra est placé sous
le haut patronage de son
altesse le Prince de
Galles. Vincent Meyer en
est le président ;
Christoph von Dohnányi,
le chef principal ; Kurt
Sanderling, le chef émérite ; Vladimir Ashkenazy,
le conductor laureate ;
James Clark et
Christopher WarrenGreen, les concert
masters.
clarinette basse
Duncan Swindells
tubas
saxophone alto
John Jenkins
David Roach
Adrian Miotti
Helen Paterson
contrebasses
bassons
timbales
Tamas Fejes
Neil Tarlton
Meyrick Alexander
Andrew Smith
Andrew Wickens
Corin Long
Michael Cole
Simon Archer
Timothy Colman
Christian Geldsetzer
Gillian Costello
Simon Oliver
percussions
Julian Milone
Dominic Worsley
David Corkhill
Simon Horsman
Graham Mitchell
Lizbeth Elliott
Claire Wadsworth
Vanessa Park
violons II
flûtes
contrebasson
Kevin Hathway
Brian Moyes
Alex Henery
Kenneth Smith
Gordon Laing
Peter Fry
Gideon Robinson
Catherine Colwell
Jackie Kendle
Gillian Bailey
Simon Archer
Olwen Castle
Jill Carter
Sarah Newbold
cors
Rachel Jeffers
Nigel Black
Samantha Reagan
Cormac O’hAodain
harpe
Susan Hedger
piccolo, flûte alto
Brendan Thomas
Miriam Keogh
Adrian Varela
Keith Bragg
Kathryn Saunders
Eluned Pierce
James Handy
technique
altos
régie générale
hautbois
Jo Greenburg
claviers
Vicci Wardman
Joël Simon
Gordon Hunt
Hugh Seenan
Michael Round
Michael Turner
régie plateau
Alison Alty
Philip Woods
Tim Carey
Robert Leighton
Jean-Marc Letang
Christopher Cowie
James Rattigan
Alistair Young
Graham Griffiths
régie lumières
Leila Ward
Susan Salter
Marc Gomez
notes de programme | 25