les maîtres chanteurs de nuremberg

Transcription

les maîtres chanteurs de nuremberg
d i re c t i o n g é n é ra l e j e a n - m a r i e b l a n c h a rd
fondation subventionnée par la ville de genève
b o u l e v a rd d u t h é â t re 1 1 c h 1 2 1 1 g e n è v e 1 1
t+41 22 418 30 00 f+41 22 418 30 01
w w w. g e n e v e o p e ra . c h
g ra n d t h é â t re d e g e n è v e o p é ra
les
m a î t re s
c h a n t e u rs
de
n u re m b e rg
r i c h a rd w a g n e r
Dossier pédagogique
L e s j e u n e s a u c œ u r d u G ra n d T h é â t re
P ro g ra m m e p é d a g o g i q u e r é a l i s é g r â c e a u s o u t i e n
d e l a Fo n d a t i o n Ju l i u s B a e r
et du Département de l'instruction publique du Canton de Genève
Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg
Die Meistersinger von Nürnberg
Opéra comique en 3 actes (Komische Oper in drei Akte)
Musique et livret de Richard Wagner (1813-1883)
Créé au Hofoper de Munich, le 21 juin 1868
Walther von Stolzing, le jeune chevalier franconien, arrivera-t-il à se faire
admettre parmi les fiers artisans de la confrérie des Maîtres-chanteurs de la
ville libre de Nuremberg? Les sages conseils du maître-cordonnier Hans Sachs
seront-ils suffisants pour que Walther déjoue les machinations de l'odieux
Beckmesser? Et qui remportera la main de la belle Eva Pogner pour avoir
composé le plus beau des chants lors de la fête de la Musique?
Programme pédagogique du Grand Théâtre de Genéve
Dossier réalisé par Christopher Park
Octobre 2006
Table des matières
Introduction
p. 3
La distribution
p. 4
L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE
p. 6
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra?
Qui sont les principaux personnages?
Quels sont leurs types de voix?
p. 6
p. 10
UN PEU PLUS LOIN
p. 13
NIVEAU BASIQUE
Quelques vignettes autour des Maîtres-chanteurs
Connaissances et activités
Richard Wagner
Nuremberg
Les Maîtres-chanteurs
La Saint-Jean
Les guildes: maîtres, apprentis et compagnons
p. 14
p. 17
p. 19
p. 21
p. 22
NIVEAU AVANCÉ
Écoute approfondie de l'oeuvre: commentaires musicologiques
"Mein bestes Werk":
Comment est né l'opéra Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg
L’Art et l’Emotion
La Volonté et la Folie : Wagner et Schopenhauer
THEMES DE RECHERCHE, DISCUSSION OU REDACTION
BONUS! FOR ENGLISH CLASS
p. 24
CD d’accompagnement : liste du contenu
p. 32
p. 27
p. 28
p. 29
p. 31
2
Introduction
Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours
pédagogique des Maîtres-chanteurs de Nuremberg, dans le cadre du programme «
Les jeunes au cœur du Grand Théâtre ». Son contenu vise les trois ordres
d'enseignement (primaire, cycle d'orientation et post-obligatoire) ; nous avons fait
tout notre possible pour que tous puissent en tirer profit, des plus jeunes aux plus
âgés.
Le dossier est divisé en deux parties: la première présente les aspects essentiels de
l'oeuvre à intégrer en amont du parcours pédagogique et du spectacle. Les
enseignants qui ne disposent pas de beaucoup de temps pour aborder l'œuvre
pourraient trouver avantage à se limiter cette partie afin de familiariser leurs élèves
avec :
L'argument
Les personnages et les voix
Les « moments-clé » musicaux et dramatiques de l'opéra en lien avec ces voix ()
Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de
plaisir pour les élèves prenant part aux ateliers et venant au Grand Théâtre pour
découvrir l'œuvre lyrique ou chorégraphique choisie.
La deuxième partie du dossier permet d'aller un peu plus loin que l'essentiel dans la
découverte de l'oeuvre.
Elle se divise en deux volets : le premier, de niveau basique, permet d'aborder
l'oeuvre par le biais de thématiques culturelles, historiques, géographiques, etc.
Le deuxième volet propose des connaissances plus approfondies, des activités et
des thèmes de recherche ou de débat destinés aux groupes de niveau plus avancé.
Nous encourageons les enseignants à sélectionner ou à adapter le contenu selon
leurs besoins.
D'avance merci pour votre collaboration et nous vous souhaitons, à vos classes et
vous-mêmes, un parcours pédagogique des plus passionnants au coeur du Grand
Théâtre !
Les responsables du programme pédagogique
« Les jeunes au cœur du Grand Théâtre »
Kathereen Abhervé
Christopher Park
3
La distribution
et les rôles de la production du Grand Théâtre
Eva Pogner, fille unique de l'orfèvre Veit Pogner
Anja Harteros, soprano
Magdalena, nourrice d'Eva
Fredrika Drillembourg, soprano
Walther von Stolzing, un jeune chevalier de Franconie
Klaus Florian Vogt, ténor
David, apprenti cordonnier auprès de Hans Sachs
Toby Spence, ténor
La confrérie des Maîtres-chanteurs
Hans Sachs, cordonnier
Albert Dohmen, baryton-basse
Veit Pogner, orfèvre
Walter Fink, basse
Sixtus Beckmesser, greffier municipal
Dietrich Henschel, baryton
Fritz Kothner, boulanger
Andrew Greenan, basse
Kunz Vogelgesang, pelletier
Matthias Aeberhard, ténor
Konrad Nachtigall, ferblantier
Josef Wagner, basse
Hermann Ortel, savonnier
Bernhard Spingler, basse
Balthasar Zorn, étameur
NN, Ténor
Augustin Moser, tailleur
NN, Ténor
Ulrich Eisslinger, épicier
Ivan Mathiak, ténor
Hans Foltz, chaudronnier
Martin Snell, basse
Hans Schwarz, bonnetier
4
NN, Basse
Le veilleur de nuit
Diogenes Randes, basse
Choeur d'hommes et de femmes de toutes les guildes, compagnons, apprentis,
jeunes filles et le peuple de Nuremberg
Choeur d'hommes Orpheus de Sofia
Choeur du Grand Théâtre
Direction: Ching-lien Wu
Dir : Krum Maximov
Orchestre de la Suisse romande
Direction: NN
5
L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE
Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra?
Premier Acte
La scène représente l’intérieur de l’église Sainte-Catherine de Nuremberg, en coupe
diagonale, avec le fond de la nef vers le lointain, côté jardin. Sur la scène, on ne voit
que les derniers bancs.
Scène I
Walther von Stolzing est amoureux de la belle Eva Pogner. Il l'attend à la sortie de la
messe pour lui demander si elle est déjà promise en mariage. Eva aime bien
Walther, mais son père, l'orfèvre Veit Pogner, qui fait partie de la confrérie des
Maîtres-chanteurs, a décidé qu'elle épouserait le gagnant d'un concours de chant
que la confrérie a organisé pour le lendemain, jour de la Saint-Jean. La confrérie doit
se réunir juste après la messe, Walther devra les convaincre de le laisser participer
au concours pour devenir maître-chanteur et remporter la main d'Eva.
Scène 2
Mais les règles pour composer les chants sont très compliquées: David, l'apprenti du
cordonnier Hans Sachs, le plus grand des maîtres-chanteurs, essaie, sans grand
succès, de les expliquer à Walther. CD PISTE 2.
Walther décide quand même de tenter sa chance.
Scène 3
Les maîtres-chanteurs entrent dans l'église. Parmi eux se trouve Beckmesser, le
greffier, qui aimerait bien gagner le concours et épouser Eva. Il déteste tout de suite
ce nouveau concurrent. Hans Sachs trouve que le concours n'est pas juste pour Eva,
et Veit Pogner accepte de donner à Eva la possibilité de refuser le gagnant du
concours, mais si elle se marie un jour, elle sera obligée d'épouser un maîtrechanteur.  CD PISTE 3
Walther est alors invité à chanter son air devant les maîtres, mais c'est Beckmesser,
muni d'une ardoise et d'une craie, qui va être l'arbitre (le "marqueur" car il marque un
trait pour chaque faute). Walther chante un magnifique chant d'amour,  CD PISTE
4 mais il brise toutes les règles des maîtres, ce que Beckmesser souligne en faisant
furieusement crisser sa craie sur l'ardoise. Hans Sachs demande aux autres maîtres
de laisser Walther participer quand même, mais le reste de la confrérie refuse.
Deuxième Acte
Une rue étroite, deux maisons sur la scène, celle de Pogner près de laquelle est
planté un grand tilleul, l’autre de Sachs devant laquelle est planté un sureau en fleur.
Sereine nuit d’été, la nuit tombe progressivement.
Scène 1
Dans la rue entre la maison des Pogner et l'échoppe de Hans Sachs, les apprentis
se réjouissent du congé du lendemain, pour la Saint-Jean CD PISTE 5. David
apprend à Magdalena que Walther a raté son coup. Furieuse, Magdalena reprend le
panier de bonnes choses qu'elle lui avait préparé, ce qui fait bien rire les apprentis.
6
La bagarre va éclater quand Hans Sachs expédie David dans la boutique d'un bon
coup de pied.
Scène 2
Eva et son père sortent dans la rue. Eva n'ose pas demander à Pogner comment
s'est passée l'épreuve de Walther, et Pogner se demande s'il a bien fait de donner la
main de sa fille comme prix d'un concours. Magdalena apprend à Eva l'échec de
Walther. Eva décide alors de demander conseil à Hans Sachs.
Scène 3
Hans Sachs s'installe devant son échoppe pour travailler sur une paire de souliers
que Beckmesser lui a commandée. La chanson de Walther l'a beaucoup
impressionné.
Scène 4
Eva survient, et discute avec Sachs du concours. Elle ne veut absolument pas
épouser Beckmesser, mais elle laisse entendre qu'elle ne serait pas fâchée si Maître
Sachs (qui est veuf) gagnait le concours. Sachs se trouve trop vieux pour l'épouser,
mais quand il lui confirme l'échec de Walther, Eva pique la mouche et rentre chez
elle  CD PISTE 6. Sachs est alors certain qu'elle est vraiment amoureuse de
Walther. Magdalena prévient Eva que Beckmesser va venir lui faire la sérénade. Eva
part donc à la recherche de Walther pendant que Magdalena prend sa place et ses
habits, à la fenêtre de sa chambre.
Scène 5
Walther survient. Eva et lui décident de s'enfuir en amoureux, mais Sachs a entendu
leur projet. Comme la nuit tombe, il accroche une lanterne pour éclairer la rue et
force les amoureux à se cacher dans l'ombre d'un arbre.
Scène 6
Beckmesser commence sa sérénade que Hans Sachs interrompt en chantant à tuetête et en donnant de vigoureux coups de marteau. Il faut bien finir les souliers que
Mr le greffier lui a commandés pour le lendemain! Beckmesser propose que Sachs
joue le rôle du marqueur: pour chaque faute, un coup de marteau. Il commence sa
sérénade mais les coups de marteau sont si nombreux que Sachs a fini les souliers
avant la fin du chant CD PISTE 8. Le tapage réveille tous les voisins. David
reconnaît Magdalena a la fenêtre, prend Beckmesser pour un rival et se jette sur lui
avec un bâton. Une bagarre générale s'ensuit jusqu'à ce que retentisse le cor du
veilleur de nuit CD PISTE 7. Chacun rentre vite chez soi. Walther essaie de
s'échapper avec Eva, mais Sachs les arrête, fait rentrer Eva chez elle et entraîne
Walther dans son atelier.
Troisième Acte
Dans l'échoppe de Sachs.
Scène 1
Le jour de la Saint-Jean se lève, Hans Sachs lit un grand livre dans sa boutique.
David revient de livrer les souliers de Beckmesser, et présente ses voeux de bonne
fête à son maître. Sachs lui donne congé.
7
Resté seul, Hans Sachs se dit que le monde est fou, une folie dont il a été témoin la
nuit précédente CD PISTE 9 ! Sa tentative de prévenir la fuite des amants a
dégénéré en une bagarre d'une rare violence. Il décide pourtant de mettre cette folie
au service d'une plus noble cause.
Scène 2
Walther a passé la nuit chez Sachs. Il vient de se réveiller et raconte au cordonnier
un rêve qu'il vient de faire. Sachs l'encourage à en faire le sujet d'une chanson pour
le concours. Walther chante les deux premiers couplets que Sachs copie sur une
feuille de papier. Il manque un troisième couplet, mais Walther en a assez des mots.
Les deux hommes se retirent pour mettre leurs habits de fête.
Scène 3
Beckmesser entre dans la boutique, tout endolori de la bagarre de la veille. Il
aperçoit la chanson sur l'établi du cordonnier et s'imagine que Sachs a finalement
décidé de participer au concours pour la main d'Eva! Sachs revient dans la pièce et
Beckmesser le confronte avec le papier. Mais le cordonnier l'assure qu'il n'a pas du
tout l'intention de participer au concours et il lui fait cadeau de la chanson.
Beckmesser décide alors de la chanter au concours et s'en va, sûr de sa victoire.
Scène 4
Eva arrive dans l'atelier: elle dit que ses chaussures lui font mal, mais en réalité, elle
cherche Walther. Celui-ci fait son entrée, vêtu de ses plus beaux habits, et en voyant
Eva, il trouve l'inspiration pour son troisième couplet! Eva demande pardon à Sachs
pour avoir joué avec ses sentiments. Hans Sachs lui répond que même s'il a de la
tendresse pour elle, il renonce volontiers à l'épouser, car il se trouve trop vieux.
David entre avec Magdalena et Sachs fait de son apprenti un compagnon, en lui
donnant une gifle  CD PISTE 10. David peut ainsi être le témoin légitime du
baptême de la nouvelle chanson: l'air de l'Heureux-Rêve-matinal. Les cinq chantent
leur bonheur et partent pour la fête CD PISTE 11.
Scène 5
Une grande prairie au bord de la rivière. Les citoyens sont en fête. Des tribunes et
des estrades sont joyeusement décorées.
La fête de la Saint-Jean a lieu à la sortie de la ville, au bord de la Pegnitz. Les
différents corps de métier arrivent en cortége, les musiciens jouent un air joyeux
pendant l'entrée des maîtres-chanteursCD PISTE 12. La foule salue avec joie
Hans Sachs avec une de ses chansons les plus populaires "Réveillez-vous, le jour
se lève"CD PISTE 13. Le concours commence. Beckmesser, qui a eu beaucoup
de mal a trouver une mélodie qui convienne aux paroles de Walther, finit par rater
complètement sa chanson, ce qui fait bien rire tout le monde CD PISTE 14.
Furieux, il accuse Hans Sachs d'être l'auteur des paroles. Sachs dit que ce n'est pas
vrai et il invite Walther à la chanter, pour prouver qu'il en est l'auteur et qu'il a l'étoffe
d'un vrai maître-chanteur.
La chanson de Walther brise encore toutes les règles des maîtres-chanteurs, mais
elle est si belle qu'il gagne le coeur de tous les spectateursCD PISTE 15. Eva le
couronne vainqueur et Pogner accepte de recevoir le jeune chevalier dans la
confrérie. Mais celui-ci refuse, excédé par les règles et les coutumes des maîtres8
chanteurs. Hans Sachs intervient une dernière fois. Il rappelle à Walther que, malgré
tous leurs défauts, les maîtres-chanteurs ont conservé leur art pendant des siècles,
comme un trésor, pour toutes les générations futures. Si Walther est heureux,
aujourd'hui, c'est grâce à son talent artistique, et pas à cause de son rang social.
Walther comprend que les artistes doivent unir leurs efforts dans une cause
commune, il accepte son titre et la foule entière chante les éloges de Hans Sachs, le
bien-aimé maître-chanteur de NurembergCD PISTE 16.
9
Qui sont les principaux personnages?
Quels sont leurs types de voix?
NB: Les visuels sont uniquement proposés pour évoquer les personnages dans leur
contexte historique, le mise en scène de Pierre Stroesser pour le Grand Théâtre de
Genève représentera les personnages dans une esthétique résolument différente de
l'Allemagne de la Renaissance.
Hans Sachs
C'est quelqu'un qui a vraiment existé (1494-1576). Il était cordonnier à Nuremberg et
maître-chanteur. Il écrivait des paroles de chansons, des poèmes et des pièces de
théâtre qu'on lit encore aujourd'hui. Wagner a même utilisé un texte du "vrai" Hans
Sachs dans son opéra, c'est le choral "Wach'auf, es nahet gen den Tag" du troisième
acte (, Piste 13).
Portrait de Hans Sachs en
1545
Dans l'opéra, Hans Sachs est un homme veuf déjà
âgé. Il est aimé et respecté de tous les gens de
Nuremberg. Il a l'expérience de la vie et il sait
pourtant bousculer les vieilles habitudes.
Le rôle de Hans Sachs est chanté par un baryton
basse. C'est une voix d'homme qui doit être capable à
la fois d'aller assez haut, tout en ayant de belles notes
graves et résonantes, comme une vraie basse. Les
personnages interprétés par barytons basses sont
souvent des hommes d'âge mûr, des sages, ou des
dieux.
Nulle part dans l'oeuvre n'entend-t-on aussi
intensément la sagesse et la sensibilité de Hans
Sachs que lorsqu'il réfléchit sur la folie des êtres
humains et déclare combien il aime sa ville de
Nuremberg: "Wahn! Wahn! Überall Wahn!"(, Piste
9)
Walther von Stolzing
C'est un jeune chevalier, d'une vieille famille
allemande, mais qui a dû vendre son château et
ses terres. Il est venu vivre à Nuremberg, mais il a
un peu de peine à se faire accepter par les gens
de la ville. Les bourgeois se méfient un peu des
aristocrates. Il aime la poésie, mais il n'est pas sûr
s'il arrivera au bout de toutes les règles des
maîtres-chanteurs. Son amour pour Eva va lui
donner l'inspiration nécessaire!
10
Comme beaucoup de rôles de jeune homme en
héros amoureux, le rôle de Walther est chanté par
un ténor, la voix d'homme la plus haute. Le rôle
exige une voix puissante mais aussi capable d'une
grande douceur, pour exprimer les rêves d'amour.
C'est évidemment quand Walther interprète sa
chanson dans le concours final qu'on peut
entendre la pleine mesure de cette voix (, Piste
15)
Eva Pogner
Son père est un riche artisan: il est orfèvre. Elle
rêve d'un beau mariage, mais son père l'a promise
à celui des maîtres-chanteurs qui gagnera le
concours de chant. Un choix difficile pour Eva: le
concurrent en pôle position est Beckmesser, mais
elle le déteste. Hans Sachs est veuf, et c'est un
homme bon qui ferait un excellent mari. Mais le
coeur d'Eva bat pour le jeune Walther, qui semble
n'avoir aucune chance de gagner.
Le rôle d'Eva est tenu par une soprano lyrique.
Elle doit communiquer à la fois la tendresse et le
caractère vif d'une jeune fille. Il faut entendre, par
exemple, comme elle se fâche avec Sachs! (,
Piste 6)
David, l'apprenti de Hans Sachs, est
aussi intéressé par le métier de
cordonnier que par la pratique du chant et
les règles des maîtres-chanteurs. Il a
tendance à se laisser provoquer
facilement, mais c'est un bon garçon au
fond. Il fait la cour à Magdalena,
l'ancienne nourrice d'Eva, devenue sa
dame de compagnie. Magdalena sert
fidèlement les intérêts de sa maîtresse, et
elle est sa complice pour faire gagner
Walther.
David, jeune homme enthousiaste, est
une voix de ténor un peu plus légère que
celle de Walther. Ecoutez-le expliquer
l'art du maître-chanteur à Walther. (,
Piste 2).
Le rôle de Magdalena (soprano) est un
peu en retrait des principaux
personnages. Elle participe aux dialogues
mais elle n'a pas de grands airs, à part
son rôle dans le fameux quintette du
11
troisième acte (, Piste 11).
son rôle dans le fameux quintette du
troisième acte (, Piste 11).
Sixtus Beckmesser
Le greffier de la ville est un vieux garçon pressé de se marier. Il fait partie de la
confrérie des maîtres-chanteurs depuis un certain temps mais il n'a plus tellement
confiance dans son talent. C'est un pinailleur de première, toujours prêt à appliquer
les règles au pied de la lettre. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est le "marqueur" de la
confrérie. Mais à force d'être obsédé par les règles, il finira par en être la victime.
Ecoutez comment Beckmesser s'embrouille et se ridiculise en public lorsqu'il chante
l'air qu'il a volé à Walther (, Piste 14).
Le rôle de Beckmesser est chanté par un baryton, une voix grave qui demande
aussi une bonne tenue dans des notes aiguës. Pour souligner l'aspect comique des
chansons "à l'ancienne" de Beckmesser, il est souvent accompagné de la harpe,
pour suggérer le luth sur lequel il n'arrête pas de préluder, et ses interventions sont
pleines d'ornementations vocales à la limite du ridicule.
Veit Pogner, Fritz Kothner, le Veilleur de nuit
Le père d'Eva et le boulanger qui est le président de la confrérie des maîtreschanteurs sont des hommes mûrs, respectés dans la ville pour leur métier, leur
richesse et leur talent. Ecoutez comment Veit Pogner explique aux autres maîtres
son amour pour l'art et la beauté et comment il a décidé de mettre la main de sa fille
au service de cette noble cause (, Piste 3).
La voix de basse sert à illustrer des personnages solides et respectables. Ou même
la voix de l'autorité, comme celle du Veilleur de nuit qui met fin à la bagarre avec le
son de son cor et son refrain, aussi solennel qu'un cantique religieux (, Piste 7).
12
UN PEU PLUS LOIN
NIVEAU BASIQUE
Quelques vignettes autour des Maîtres-chanteurs
Connaissances et activités
Richard Wagner
Nuremberg
Les Maîtres-chanteurs
La Saint-Jean
Les guildes : maîtres, compagnons et apprentis
13
Richard Wagner
Wilhelm Richard Wagner
né le 22 mai 1813 à Leipzig
mort le 13 février 1883 à Venise
Richard Wagner é t a i t
un
compositeur, chef d’orchestre,
théoricien de la musique et
essayiste allemand. Il est surtout
connu pour ses opéras.
Richard Wagner est l’un des
principaux représentants du
mouvement r o m a n t i q u e qui a
influencé les arts et la culture tout
au long du XIXe siècle.
La musique de Wagner a exercé
une profonde influence sur la
musique du XXe siècle, jusque
dans la musique de films comme
La Guerre des Etoiles !
Les compositions de Richard Wagner, particulièrement celles de sa maturité, sont
remarquables par la richesse de leurs couleurs musicales (chromatisme), la texture
complexe de leur contrepoint, de leurs harmonies et de l’orchestration.
La musique de Wagner est connue pour son usage répété, au sein d’une même
oeuvre, de plusieurs motifs musicaux différents, associés à un personnage, un
sentiment, un lieu ou un thème de l’intrigue. Le « motifs conducteur », en allemand
Leitmotif, est une caractéristique de l’oeuvre de Wagner.
Dans les Maîtres-chanteurs, le principal leitmotif est instantanément reconnaissable
dès l'ouverture (troisième partie): une majestueuse fanfare ascendante (do-mi-solsol-la-sol-sol-sol) salue l'entrée des maîtres et culminera dans le troisième acte, avec
la procession au bord de la rivière. Un autre leitmotif est la longue mélodie lyrique
esquissée au hautbois dès la première scène, alternant avec le cantique chanté par
le choeur des fidèles de l'église, qui se développera tout au long de l'opéra pour
devenir la chanson qui fera triompher Walther au concours de chant.
Le langage musical de Wagner annonce les bouleversements futurs dans la musique
classique en Europe, comme le chromatisme extrême et la musique atonale. Il a
transformé la pensée musicale au travers du concept d’ « oeuvre d’art totale »
(Gesamtkunstwerk). Wagner a lui-même illustré ce concept en écrivant non
seulement la musique de ses opéras, mais aussi leurs livrets, et les indications
14
détaillées pour leur mise en scène. Il a également conçu, avec le soutien du roi Louis
II de Bavière, une salle spéciale, avec une architecture unique, pour représenter ses
opéras, le Festspielhaus de Bayreuth, où le compositeur vécut jusqu’à la fin de sa
vie et où se déroule chaque année un important festival.
LA VIE DE WAGNER
Richard Wagner a eu une vie mouvementée, tant au niveau politique que
sentimental. Son premier mariage fut un échec. Son premier grand amour lui a
inspiré des musiques sublimes. Mais Mathilde Wesendonk, l'épouse d'un riche
bourgeois de Zurich, où Wagner avait dû s'exiler en 1845 à cause de ses opinions
politiques, resta toujours hors de son atteinte. Ses premières oeuvres ne furent pas
toujours bien reçues. Le compositeur peinait à gagner sa vie, mais malgré l'adversité,
il pensait et écrivait beaucoup: des idées d'avant-garde sur l'art et la musique,
inspirées entre autres par la lecture du penseur Arthur Schopenhauer, qui ont
suscité beaucoup de controverse, du vivant du compositeur, et longtemps encore
après sa mort, notamment à propos de l'antisémitisme que Wagner a explicitement
pratiqué et professé, ainsi qu'à la récupération de sa musique et de son esthétique
par Adolf Hitler, les Nazis et l'idéologie fasciste généralement.
Un autre élément controversé de la vie de Wagner fut la protection que lui accorda, à
partir de 1864, le jeune roi Louis II de Bavière. Passionné par sa musique depuis
l'enfance, Louis régla les énormes dettes du compositeur et finança la production de
son premier triomphe Tristan et Iseult. De telles dépenses déplurent à la cour de
Munich à tel point que Louis II fut obligé de demander à Wagner de quitter la
capitale, hésitant même à abdiquer afin de suivre son héros en exil en Suisse.
La vie privée de Wagner continuait à scandaliser. Après avoir eu une liaison avec
Cosima von Bülow, épouse de son chef d'orchestre, fille de son meilleur ami le
compositeur et pianiste Franz Liszt, et une femme de 24 ans sa cadette, il put enfin
l'épouser en 1870, et le mariage dura jusqu'à la mort de Wagner. Ils eurent plusieurs
enfants et la descendance de Wagner s'occupe encore de nos jours de gérer le
patrimoine artistique et architectural considérable du compositeur, en particulier
l'opulent festival de Bayreuth, où les oeuvres de Wagner sont interprêtées chaque
été, dans le théâtre que Wagner fit construire spécialement pour elles.
C'est à Bayreuth que Wagner compléta son cycle de quatre opéras, L'Anneau des
Nibelungen, aussi connu plus simplement comme La Tétralogie ou, avec son nom
allemand, le Ring. Inspiré par les anciennes sagas nordiques et la mythologie
germanique, c'est sans doute la clé-de-voûte de l'impressionnant édifice wagnérien
et son oeuvre la plus marquante. Difficile de rester insensible aux Walkyries qui y
chevauchent et aux héros tueurs de dragons et de géants qui y sévissent! Pour
comprendre à quel point ces dix-sept heures de musique ont impressionné les
générations à venir, il faut peut-être chercher des similitudes avec la passion que
peuvent susciter des oeuvres comme Le Seigneur des Anneaux, La Guerre des
étoiles ou même Harry Potter!
Pour conclure (et pour être honnête), tout le monde n'aime pas la musique de
Wagner. Elle suscite rarement l'indifférence: ceux qui l'aiment en sont souvent
passionnés. Mais d'autres lui reprocheront ses longueurs et les opinions bizarres,
15
voire racistes, de son créateur. Le dernier mot est pour le compositeur italien
Gioacchino Rossini qui disait: "Wagner a des moments magnifiques, et de très
mauvais quarts d'heure."
ACTIVITE
Vous connaissez mieux la musique de Wagner que vous ne le croyez!
Cinéma, pub, musique populaire, dessins animés... Wagner est partout!
La chevauchée des Walkyries (D i e Apocalypse Now (film de Francis Ford
Walküre)
Coppola, 1974)
L'entrée de Lohengrin et Elsa dans la "La marche nuptiale", fréquemment jouée
chambre nuptiale. (Lohengrin)
à l'entrée de la mariée dans l'église ou la
mairie.
Le fait que le mariage de Lohengrin et
d'Elsa s'effondre vingt minutes après que
la marche ait été jouée dans l'opéra, ne
semble décourager personne!
Plusieurs extraits de la Tétralogie
Le dessin animé de Bugs Bunny What's
Opera Doc? (Chuck Jones, 1953), où un
chasseur de lapins en casque
germanique chante la chevauchée des
Walkyries sur les mots "Kill the wabbit!"
Plusieurs extraits de la Tétralogie
Les groupes heavy metal allemands
Rammstein et Joachim Witt (dont le plus
célèbre album s'intitule Bayreuth)
16
Nuremberg
Nuremberg, en allemand Nürnberg, est
une ville située au sud de l’Allemagne
dans le Land fédéral de Bavière, dans
une région qui s’appelle la Franconie
(Franken).
Elle se trouve sur la riviére Pegnitz et sa
population en 2006 était d’environ
500'000 habitants.
Ancienne ville fortifiée du Moyen-Age,
c’est un centre industriel important, de
très longue date. Le siège de la
compagnie de fabrication d’appareils
électriques Siemens s’y trouve et la plus
grande foire aux jouets du monde s’y
déroule chaque année.
Depuis le Moyen-Age, Nuremberg est une ville importante. Le gouvernement du
Saint Empire Romain Germanique avait accordé en 1219 à Nuremberg le statut de
« Ville libre de l’Empire », ce qui veut dire qu’elle était gouvernée par ses
citoyens, réunis en conseil. A cause de son indépendance, elle était souvent choisie
comme le lieu des diètes impériales (les parlements nationaux). Nuremberg était une
sorte de capitale non-officielle de l’Allemagne de l’époque.
Les citoyens de Nuremberg profitaient beaucoup du fait que leur ville était située sur
une des principales routes de commerce entre l’Italie et le Nord de l’Europe. C’est
pourquoi les métiers et les corporations d’artisans y ont beaucoup prospéré,
comme on le voit dans l’opéra de Wagner.
La richesse des artisans et des bourgeois de Nuremberg, ainsi que l’adhésion de la
ville aux idées de la réforme protestante de Luther en 1525 (c’est plus ou moins
l’époque où Wagner situe son opéra), ont permis un é p a n o u i s s e m e n t
extraordinaire des arts et des lettres qui ont fait de Nuremberg le centre de
l’Allemagne à l’époque de la Renaissance.
Au XIXe siècle, Nuremberg cesse d’être une ville indépendante et rejoint le Royaume
de Bavière. Les industries continuent de se développer et la ville de prospérer. Le
premier chemin de fer en Allemagne est construit entre Nuremberg et Fürth, en
1835.
Au XXe siècle, Nuremberg, à cause de ses liens historiques avec le Saint Empire
Romain Germanique, sera choisie par Adolf Hitler comme le lieu des gigantesques
conférences du parti national-socialiste (les Nazis). Les industries de la ville servant
à construire beaucoup de matériel militaire, les Alliés ont bombardé les zones
industrielles en 1943 et le 2 janvier 1945, la ville médiévale a été détruite à 90%
17
en seulement une heure de bombardement, tuant environ 1'800 civils et laissant
plus de 100'000 sans abri.
Après la guerre, la ville a été reconstruite, en essayant de reproduire son aspect
médiéval. C’est aussi à Nuremberg qu’ont eu lieu entre 1945 et 1949, les procès
des officiers allemands responsables de la Shoah et des crimes de guerre.
ACTIVITE
Découvrir les personnages célèbres de Nuremberg
Trois personnages célèbres sont associés à Nuremberg. Allez à la découverte de
ces personnages et trouvez leur lien avec la ville.
Albrecht Dürer 1471-1528
Peintre et graveur, né et mort à Nuremberg, célèbre pour avoir dessiné un rhinocéros
sur la base de descriptions orales sans l’avoir jamais vu en réalité.
Nicolas Copernic 1473-1543
Astronome polonais, qui a découvert le premier que la terre et les planètes tournaient
autour du soleil; son traité d’astronomie a été publié pour la première fois à
Nuremberg en 1543
Johann Pachelbel 1653-1706
Musicien et compositeur, né et mort à Nuremberg, compositeur du célèbre Canon et
Fugue qui porte son nom, et organiste à l’Eglise Saint-Sebald de la ville.
18
Les Maîtres-chanteurs
Les maîtres-chanteurs (en allemand Meistersinger) étaient des poètes lyriques
(c’est-à-dire qu’ils écrivaient surtout des textes destinés à être chantés) qui vivaient
en Allemagne entre le XIVe et le XVIe siècles.
Les maîtres-chanteurs appartenaient presque tous aux principaux corps de métier
des artisans et des commerçants (voir plus bas Les guildes : maîtres, apprentis
et compagnons). Ils se considéraient les héritiers des grands poètes épiques et
lyriques de l’Allemagne médiévale, les Minnesänger, l’équivalent allemand des
trouvères et des troubadours.
Au nombre de ces anciens maîtres, on trouve des figures qui ont vécu au XIIe et au
XIIIe siècles, comme Wolfram von Eschenbach, qui a composé le roman en vers
Parzifal (dans lequel Richard Wagner a puisé l’inspiration pour son propre opéra
Parsifal) et Walter von der Vogelweide, qui est mentionné par Walther dans Les
Maîtres-chanteurs comme une de ses lectures préférées et l’inspiration pour sa
poésie, détail important pour persuader les maîtres-chanteurs qu’il n’est pas tombé
de la dernière pluie!
Wolfram von Eschenbach et Walter von der Vogelweide sont d’ailleurs deux
personnages participant à un autre concours de chant, celui de l’opéra Tannhäuser,
que Wagner avait imaginé comme une tragédie précédant l’opéra comique des
Maîtres-chanteurs.
Le but des confréries de maîtres-chanteurs était de cultiver la tradition poétique
héritée des anciens Minnesänger et d’entretenir la musique et la littérature au sein
de leurs professions, pour la plupart manuelles. A cette époque, on ne s’imaginait
pas qu’on puisse être artiste à part entière, sans exercer de métier!
L’art des maîtres-chanteurs consistait à la fois à composer des mélodies pour des
chansons, et des paroles pour ces mélodies. Les mélodies (en allemand, Ton ou
Weise) pouvaient avoir des paroles (Bar ou Gesetz) parfois très différentes. On les
chantait en général sans accompagnement musical. Les règles très strictes de la
composition des chansons (nombre de pieds, nombre de strophes) étaient
résumées dans un règlement appelé Tabulatur et, lors des concours de chansons
pour admettre de nouveaux membres à la confrérie, un juge spécial le Merker
(« marqueur ») comptait les infractions au règlement, une coutume qui a toute sa
place dans l’opéra de Wagner, avec le personnage du pédant greffier Beckmesser!
Comme les guildes, les confréries de maîtres-chanteurs étaient divisées en
catégories de membres. Au bas de l’échelle, se trouvaient les Schüler (« écoliers »),
puis les Schulfreunde (« amis de l’école »). Pour devenir Meister (« maître ») le
Schulfreunde devait non seulement prouver qu'il était capable de composer de
nouvelles paroles sur des mélodies existantes, mais aussi de composer une
mélodie et des paroles complètement nouvelles. Si le Merker jugeait que la
nouvelle mélodie était conforme au règlement, le nouveau maître-chanteur avait le
droit de « baptiser » sa mélodie avec un nom sous lequel elle serait transmise aux
générations futures. Les noms de ces mélodies pouvaient parfois friser le ridicule
(comme dans l’air du premier acte des Maîtres-chanteurs où David en fait une liste
pour Walther, éberlué) : Vielfrassweis (« Mélodie du Gros mangeur »),
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Geblümteparadiesweis (« Mélodie du paradis en fleurs »), ou même la mélodie que
va inventer Walther, Seligmorgentraumweis (« Mélodie de l’Heureux-rêve-matinal »).
ACTIVITES
Organisez votre propre concours de maîtres-chanteurs!
Prenez un air connu (Au clair de la lune, Cadet Rousselle, En passant par la
Lorraine, Avec le temps, etc.)., analysez sa composition métrique (combien de
strophes, combien de vers par strophes, combien de pieds par vers) et composez, en
un laps de temps défini, de nouvelles paroles pour cet air. Pour rendre le concours
plus intéressant, vous pouvez imaginer des règles de difficulté variable : limiter le
sujet (p.ex. raconter une histoire connue « sur l’air de »), ne pas utiliser certaines
rimes « faciles » (p.ex. « é »), etc. Si vous appliquez des règles, assurez-vous
d’avoir un « Marqueur » comme arbitre!
« Denn "Singer" und "Dichter" müsst ihr sein,
eh' ihr zum "Meister" kehret ein. »
En cours d’allemand, essayez de lire ce court extrait d’une « chanson de maître »
écrite par le « vrai » Hans Sachs, sur la manière de se tenir à table:
Sag nichts, darob man Grauen hat,
Und tu dich auch am Tisch nit schneuzen,
Dafl ander Leut an dir nit scheuzen!
Geh nit umzausen in der Nasen!
Des Zahnstührens sollt du dich maflen!
Im Kopf sollt du dich auch nit krauen!
Dergleichen Maid, Jungfrau und Frauen
Solln auch keim Floch hinunterfischen.
Ans Tischtuch soll sich niemand wischen.
Auch leg den Kopf nit in die Händ!
Leihn dich nit hinten an die Wänd,
Bis das des Mahls hab sein Ausgang!
Denn sag Gott heimlich Lob und Dank,
Der dir dein Speise hat beschert,
Aus väterlicher Hand ernährt!
Nach dem sollt du vom Tisch aufstehn,
Dein Händ waschen und wieder gehn
An dein Gewerb und Arbeit schwer.
So sprichet Hans Sachs, Schumacher.
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La Saint-Jean
Le 24 juin est le solstice d'été. C'est le moment où les jours sont les plus longs et
les nuits les plus courtes (dans l'hémisphère Nord). Le soleil brille et il fait souvent
chaud. Dans le calendrier religieux chrétien, le jour du 24 juin est la fête de Saint
Jean-Baptiste, un personnage de la Bible, qui annonçait la venue du Messie et qui
pratiquait le baptême, d'où son surnom de Baptiste ("qui baptise"). Il a d'ailleurs
donné le baptême à son cousin, Jésus.
En Europe et en Amérique du Nord, les coutumes de la Saint-Jean sont plus
anciennes que le christianisme; elles ont plus souvent rapport avec l'été, la joie de
vivre et la lumière qu'avec la religion.
ACTIVITE
« Johannistag ! Johannistag !
Blumen und bänder soviel man mag ! »
Rechercher des traditions culturelles autour de la Saint-Jean ou le début de l'été.
•
•
•
•
Les feux de la Saint-Jean qui symbolisent la lumière du solstice et le retour
des journées plus courtes;
La fleur de la Saint-Jean (le millepertuis): fleur "solaire" aux propriétés
médicinales (agit notamment contre la dépression);
Le sureau (qui fleurit à la Saint-Jean, et que Hans Sachs évoque à deux
reprises dans l'opéra, avec son parfum entêtant de nuit d'été);
La Fête de la Musique, qui est une fête moderne, mais qui a lieu presque le
même jour que les Maîtres-chanteurs de Nuremberg organisaient leur grande
fête de l'art et de la chanson. Remarquons aussi que Wagner a choisi la date
du 21 juin, le solstice d'été, pour la première représentation des Maîtres
chanteurs.
Un sureau (Sambucus nigra) en fleur
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Les guildes : maîtres, apprentis et compagnons
Une guilde est une association de personnes exerçant le même métier, qui se
forme afin de protéger les intérêts communs au groupe, assurer la qualité du travail
ainsi que les normes éthiques des travailleurs. L’origine du mot « guilde » se trouve
dans un ancien mot anglais ou néerlandais, guld (« l’or ») : les guildes servaient en
premier lieu de caisses de bienfaisance commune, alimentées par des contributions
de tous les membres, pour assister les plus démunis.
L’organisation des métiers existe dans toutes les cultures et depuis les temps les
plus anciens. Le Code de Hammurabi, un texte de loi de la Mésopotamie antique
(1750 av. J.-C.) prévoyait la peine de mort pour les maçons qui construisaient des
bâtiments qui s’écroulaient sur leurs habitants. Le Serment d’Hippocrate, que
tous les médecins doivent prêter encore aujourd’hui, est un code de comportement
de la profession médicale datant du IVe siècle avant notre ère. En Inde, des
associations d’artisans se sont formées dès l’an 2000 av. J.-C.
Les corporations d’artisans de la Rome ancienne ont continué à exister dans l’Italie
du Moyen-Age sous le nom de ars. En Allemagne, dès le Xe siècle, les corps de
métiers, appelés Zunft (pl. Zünfte) se sont constitués, tout comme en France et en
Angleterre. Le système des guildes s’est particulièrement développé en Allemagne,
entre le XIIIe et le XIXe siècles. La production artisanale se diversifiait et se
spécialisait : à Nuremberg en 1200, les travailleurs du métal se comptaient déjà en
douzaines de professions différentes (on en compte quatre dans la distribution
des Maîtres-chanteurs de Wagner !).
Les membres des guildes se juraient une assistance mutuelle dans les moments
difficiles. Les guildes géraient aussi des fonds pour l’assistance de leurs membres
infirmes ou âgée, ainsi que les veuves et les orphelins de la corporation, des frais
d’enterrement et des allocations de voyage, pour ceux qui devaient chercher du
travail loin de chez eux.
Les guildes étaient administrées sur le modèle suivant : un conseil d’administration
avec un président et des vice-présidents, soutenu par des fonctionnaires et une
assemblée des membres. Les membres de la guilde les plus expérimentés et les
plus anciens recevaient le titre de « Maître » et le droit de siéger au conseil de la
guilde.
Pour atteindre la maîtrise, le future artisan devait passer par une longue période
d’apprentissage auprès d’un maître qui lui enseignait les bases de son métier, mais
en faisant bien attention de ne pas lui révéler les secrets du métier ou de la guilde.
Après avoir prouvé ses capacités en créant une oeuvre de qualité, l’apprenti
devenait ensuite compagnon. Muni d’une lettre de son maître d’apprentissage, le
compagnon entreprenait alors un tour du pays (ou à l’étranger) pour se perfectionner
auprès d’autres maîtres et apprendre d’autres techniques. Ce n’est qu’après son tour
et plusieurs années de métier que le compagnon pouvait présenter son chef
d’oeuvre à sa guilde et, avec l’approbation de tous les maîtres de sa guilde, recevoir
lui-même le titre de maître.
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Aujourd’hui encore, on retrouve des traces du système des guildes dans la
formation professionnelle (on fait son apprentissage auprès d’un maître), ou aussi
dans les syndicats et autres organisations professionnelles, comme le barreau pour
les avocats, ou la FMH pour les médecins qui sont responsables de la certification
des personnes qui veulent exercer ces métiers.
Les guildes étaient souvent impliquées dans le gouvernement des villes du MoyenAge et, au-delà de leurs activités professionnelles, elles s’occupaient aussi de ce
qu’on appellerait aujourd’hui la culture et le divertissement. L’exemple des
maîtres-chanteurs et leurs concours de chant, en Allemagne, n’est pas unique. Par
exemple, dans la ville anglaise de Chester, au XIVe siècle, toutes les guildes étaient
responsables d’une série de pièces de théâtre, les Mystères de Chester, racontant
des histoires de la Bible, qui étaient représentées à ciel ouvert chaque année à la
Fête-Dieu (début juin). L’un de ces mystères, Noye’s Fludde (« Le déluge de Noé »)
était représenté par la guilde des porteurs d’eau. Les compositeurs modernes Igor
Stravinsky et Benjamin Britten ont utilisé le texte de ce Mystère de Chester comme
sujet et livret d’opéra.
ACTIVITE
Les bannières des guildes de Nuremberg
Regardez la distribution des Maîtres-chanteurs au début de ce dossier. Vous verrez
que la plupart des rôles sont des maîtres de guildes exerçant différentes professions
comme :
cordonnier
orfèvre
boulanger
pelletier
ferblantier
savonnier
étameur
tailleur
épicier
chaudronnier
bonnetier
Savez-vous ce que font tous ces métiers différents ? Est-ce qu’on les pratique
encore de nos jours à Genève ?
Autrefois, chacune des guildes avait un symbole (souvent un outil de leur profession :
une botte pour les cordonniers, une paire de ciseaux pour les tailleurs, etc.), qu’ils
peignaient ou brodaient sur une bannière que l’on sortait en procession lors des
fêtes, comme dans le troisième acte des Maîtres-chanteurs.
Vous pouvez réaliser, en petits groupes, des projets graphiques de bannières pour
les professions des Maîtres-chanteurs, ou d’autres professions que vous connaissez
(p.ex. coiffeur, boucher, éboueur, informaticien, secrétaire, webmaster, plombier,
routier, serrurier, enseignant, etc.)
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NIVEAU AVANCE
Ecoutons quelques moments de l'oeuvre,  indique les extraits qui font le
point sur les personnages et les voix.
Les commentaires de certains extraits musicaux ont été prélevés sur le texte de la
conférence « Une heure avant » sur Les Maîtres-chanteurs, écrite et présentée par
Pierre Michot
1. Ouverture et choral
Voyons donc comment, dès l'ouverture, les Maîtres chanteurs sont
présentés. Voici d’abord leur fameux thème, solennel, certes noble et
imposant, mais quelque peu emphatique et imbu de lui-même. Il y a là de
la grandeur, à l’image de l’art qu’ils défendent. Mais que les Maîtres
puissent être pédants, qu’ils puissent se figer dans leurs règles et leur
rigorisme, voilà ce que montre le traitement de leur thème en contrepoint,
c’est-à-dire en canon avec lui-même. C’est la figure de leur Kunstfertigkeit,
de leur habileté stérile, avec aussi, vous allez l'entendre, une caricature de
leur bavardage, du caquetage ergoteur de ces censeurs intraitables.
Celui qui vient d’ailleurs, Walther von Stolzing, celui qui va faire
souffler un air nouveau oppose à cet art figé l’ardeur de sa
jeunesse, la ferveur de son amour et la liberté de sa poésie. (...)
Dès l’ouverture, qui raconte par avance le conflit qui l’oppose aux
Maîtres, voici comment alternent les deux éléments qu’on vient
d’entendre : le bavardage qui caricature la raideur dogmatique
des Meistersinger et des bouffées lyriques, de grandes phrases
qui tentent de se déployer. Ces montées de sève sont
interrompues, comme brimées, par le contrepoint des vents.
2.  David explique l'art du maître-chanteur à Walther. "Trotz grossem
Fleiss"
Ce qui est historique aussi, dans le texte de Wagner sinon
dans sa musique, c'est le code poétique de la Tabulatur, qui, au
cours de la première scène, apparaît d'abord dans le long
catalogue des Tön’ und Weisen que l’apprenti David dresse à
Walther ébahi. Il s'agit de l’énumération des tons et des modes,
c'est-à-dire des mélodies, ou plutôt des couleurs modales propres
à tel ou tel texte. (...) « Il y a le mode bref, long, et extrêmement
long », « Il y a le doux, le tendre, celui des roses », « Il y a le
mode des brèves amours, celui de l’oublié », « l’arc-en-ciel, le
rossignol », et un dernier : « le mode du glouton trépassé ». (...) Il
y a 222 modes cités par Wagenseil, Sachs en a employé 275 et
on peut évaluer à 400 l’ensemble qui nous est conservé. Je
précise que ces noms sont tous historiques. Vous avez entendu
comment Wagner s'amuse à les réinventer à sa manière pour
suggérer à chaque fois le pittoresque de chacun de ces noms.
3. Veit Pogner s'explique. "Nun hört, und versteht mich recht"
4. Premier air de Walther
24
5.
6.
7.
8.
9.
Choeur des apprentis, David, Magdalena
Eva se fâche avec Hans Sachs
L'air du veilleur de nuit
La sérénade de Beckmesser et le réveil du voisinage
L'air de Hans Sachs "Wahn! Wahn! Überall Wahn!"
Dans l’admirable prélude du 3e acte, un thème dira la profonde émotion de
Sachs : cette douleur de Sachs est faite de noble résignation, aussi a-t-on
aussi appelé ce thème « motif du renoncement ». Or dans le 3e couplet de
la chanson du savetier dont nous avons déjà entendu le début à l’instant,
le thème de la douleur de Sachs se superpose à la mélodie de la chanson.
De cette sagesse aimante, nourrie de méditation, mais débouchant sur
l’action, la plus belle page nous est donnée dans l'admirable monologue où
Sachs s'interroge sur le Wahn, ce mot qu'il est si difficile de traduire en
français, à la fois rêve, chimère ou délire, illusion, voire folie ou
aveuglement. Ce rien qui habite l'esprit de l'homme, qui suscite son
imagination, mais qui est si prompt à exciter les passions, à provoquer les
querelles, à transformer la plus paisible des villes en champ de bataille.
C'est ce qui s'est produit la veille dans la rue. Que s'est-il donc passé, se
demande Sachs. Et sa réponse est un vrai miracle poétique et musical,
évocation d'une délicatesse extrême : un kobold malicieux? un ver luisant
qui ne trouvait pas sa compagne, est-ce eux qui ont provoqué cette folie ?
La douleur de Sachs, le renoncement de Sachs : Sachs a prêté aide à
Walther et ce faisant il a travaillé contre lui-même. L'intrigue trouve là une
nouvelle dimension. Sachs aurait pu concourir. Dans son désarroi, Eva l'a
même souhaité. Mais Sachs a renoncé, il a fait taire son amour secret et
s'est incliné devant la jeunesse de Walther.
10. La déclaration d'Eva, le baptême de la chanson, David devient compagnon
11. Le quintette du troisième acte "Selig, wie die Sonne"
Ces personnages de dimension humaine, encore plus que les
héros mythiques, ont une tendresse dont l’expression musicale
est particulièrement émouvante. Un exemple : le quintette du 3e
acte, où cinq personnages vont entrer en canon, les uns après
les autres, à la suite d’Eva qui entonne cette sublime mélodie.
Wagner avait banni les ensembles de son drame, au nom de la fluidité des
dialogues, au nom de la vraisemblance, puisqu’au théâtre on ne fait pas
parler plusieurs personnages en même temps. Et là, dérogation à ses
principes, au nom de l’émotion qui saisit les cinq qui sont là, sur la scène,
et qui l’un après l’autre entrent après Eva qui chante ce rêve d’une aurore,
de Sachs qui avait caressé un rêve du soir, de Walther sûr de triompher,
de David que son maître vient de proclamer compagnon, et de Magdalena
qui se voit déjà unie à lui.
12. Danse des apprentis et entrée des maîtres-chanteurs
13. Le choral "Wach'auf, es nahet gen den Tag"
14.  Beckmesser rate sa chanson "Heimlich mir graut"
15. L'air de Walther "Morgenlich leuchtend"
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Lorsque Walther entonnera son chant du printemps au 1er acte,
son style sera largement mélodique, d'un cantabile inépuisable,
avec une fluidité des lignes, un jaillissement lyrique qui a quelque
chose de communicatif, mais aussi d’échevelé et d'insaisissable.
Inutile de souligner l’évidence : cette musique généreuse, gonflée de
sève, où la voix est soulevée par l'orchestre, cette musique paraît bien
plus jeune que la monodie archaïque, la coloratur mécanique et
l'accompagnement rudimentaire des chants de Beckmesser. Pour
caractériser le chant de Walther, Wagner écrit bien sûr de la musique
wagnérienne !
Si l'on avait le temps de regarder les choses de plus près, on
s’apercevrait que ce rêve devenu poème est une sorte de résumé
de l'opéra tout entier, en étroite relation avec les divers plans de
l’œuvre. Walther y évoque un jardin merveilleux, et l'Eve biblique
au milieu de cet Eden ; puis, second couplet, sous un laurier,
l'arbre des poètes, il voit la Muse du Parnasse; enfin, réunissant
les deux images féminines, sa vision synthétise le Paradis et le
Parnasse. On voit donc que Wagner combine l’intrigue
amoureuse (l'Eve biblique est aussi Eva prix du concours, et la
Muse qui se confond avec elle signifie que le poète est digne de
l'amoureux) et le débat esthétique (la maîtrise, c'est la mise en
forme de l'idée poétique), tout en faisant référence, dans cette
alliance de la Bible et de l'Antiquité grecque, à la synthèse dont
rêve la Renaissance humaniste.
16. La conclusion de Sachs et le choeur final
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"Mein bestes Werk": comment est né l'opéra Les Maîtres-chanteurs
de Nuremberg
Dans son autobiographie Mein Leben, Wagner raconte comment l'idée lui est venue
d'écrire Les Maîtres-chanteurs. En 1845, il faisait une cure thermale à Marienbad et
sa lecture était une histoire de la littérature allemande:
Je m'étais formé une image particulièrement vive de Hans Sachs et des
maîtres-chanteurs de Nuremberg. J'étais spécialement intrigué par la
fonction du Marqueur et son rôle dans l'évaluation des chansons de
maître. (...) Au cours d'une promenade, j'ai conçu une scène comique
pendant laquelle le poète-artisan bien-aimé, en martelant sans répit sur
son établi, rend la monnaie de sa pièce au Marqueur qui s'était illustré
plus tôt, lors d'un concours de chant officiel, par ses critiques pédantes et
fastidieuses, et lui donne une leçon.
C'est aussi dans le même livre d'histoire littéraire allemande que Wagner va
découvrir un poème écrit par le "vrai" Hans Sachs au sujet du réformateur allemand
Martin Luther, qu'il avait intitulé Die Wittembergisch Nachtigall ("Le rossignol de
Wittemberg"). Wagner a repris les premiers vers de ce poème dans le troisième acte
de son opéra, quand la foule acclame Hans Sachs: "Wacht auf, es nahet gen den
Tag; ich hör singen im grünen Hag ein wonningliche Nachtigall".
Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg occupe une place centrale dans l'oeuvre de
Wagner. Lui-même écrivait à un ami en la composant: "Die Meistersinger werden
mein bestes Werk" ("Les Maîtres-chanteurs finira par être ma meilleure oeuvre.").
C'est son opéra le plus long, pouvant durer jusqu'à cinq heures, et c'est son unique
opéra comique. Entre la date de la complétion du premier manuscrit (16 juillet 1845)
et la première représentation de l'oeuvre à Munich, le 21 juin 1868, vingt-trois années
se sont écoulées. Ces vingt-trois années ont été les plus difficiles de la vie de
Wagner: le divorce, l'amour impossible, l'exil et les difficultés financières ont pesé sur
lui à tel point que sa deuxième femme, Cosima, disait que "quand les générations à
venir chercheront un divertissement dans cette oeuvre unique, puissent-ils
aussi avoir une pensée pour les larmes desquelles sont nées tant de sourires."
Wagner disait que Les Maîtres-chanteurs, opéra comique, était destiné à
enchaîner avec un opéra tragique, Tannhäuser. Tout comme les Athéniens de
l'Antiquité faisaient suivre leurs tragédies par des pièces comiques et satyriques,
Wagner voyait dans Les Maîtres-chanteurs la suite logique de Tannhäuser: le trait
d'union entre les deux opéras étant qu'ils racontent tous deux l'histoire d'un
concours de chant.
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L'ART ET L'EMOTION
Les artistes de l'époque romantique, comme Wagner, privilégiaient l'émotion sur la
forme. Les musiciens, surtout, trouvaient encombrantes et dépassées les
conventions du style héritées des musiciens de l'époque baroque et classique.
Nombre d'entre eux, y compris le jeune Wagner, se rebellaient contre les genres
comme l'opéra, avec les structures rigoureuses des arias, des choeurs, des duos,
trios, récitatifs, etc.
Fortement influencé par les idées du philosophe Arthur Schopenhauer, Wagner
voyait dans l'art une manière d'échapper aux souffrances du monde, et comme la
musique est la forme d'art la plus détachée des représentations du monde, car sa
forme est essentiellement abstraite, elle doit nécessairement être le plus grand des
arts. Seule la musique peut communiquer l'émotion sans recourir aux mots et aux
images.
Mais dans Les Maîtres-chanteurs, Wagner semble arriver à un compromis. Entre le
vieil expert, Hans Sachs, qui travaille son art comme l'artisan qu'il est, privilégiant la
technique et les formes, et le jeune Walther, plein de rêves et de sentiments, mais
impatient devant les règles et les conventions, une tension est en jeu, où l'émotion
et l'inspiration du jeune chevalier semblent gagner la partie, mais c'est Hans Sachs
qui a le dernier mot: "Ne méprisez pas les vieux maîtres!". Wagner n'a-t-il pas,
d'ailleurs, composé son opéra avec des airs en solo et des ensembles, dignes des
plus grandes oeuvres classiques (comme le quintette du 3e acte CD PISTE 11)?
28
LA VOLONTÉ ET LA FOLIE: WAGNER et SCHOPENHAUER
Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg a beau être une oeuvre comique, Wagner
s'en sert également pour exprimer des idées sérieuses, également héritées de sa
lecture de Schopenhauer, sur le besoin de se libérer de l'emprise de la Volonté. Ce
que Schopenhauer appelle "volonté" est bien plus que le sens d'"exercice du libre
arbitre" qu'on attribue habituellement à ce terme. C'est la "volonté de vivre" (Das
Will zum Leben), pulsion du désir, notamment amoureux et sexuel: "L'inclination
croissante de deux amoureux est en réalité déjà la volonté de vivre du nouvel
individu qu'ils peuvent et veulent engendrer." (Arthur Schopenhauer,
Métaphysique de l'amour, 1856).
Dans les Maîtres-chanteurs, Wagner prête aussi à Hans Sachs des propos
désabusés sur la folie, l'illusion, l'aveuglement (Wahn) CD PISTE 9. Une simple
méprise sur l'identité (ne pas reconnaître quelqu'un est une forme d'aveuglement!),
doublée de jalousie et d'emportement, déclenche une violence hors de proportions.
C'est aussi un trait de la pensée de Schopenhauer qui démontre comment
l'aveuglement de l'être humain l'amène à se comporter de façons carrément autodestructrice.
In Flucht geschlagen
Wähnt er zu jagen;
Hört nicht sein eigen Schmerzgekreisch,
Wenn er sich wühlt ins eig'ne Fleisch,
Wähnt Lust sich zu erzeigen!
Forcé à la fuite,
Il s'imagine qu'il chasse:
Il n'entend pas ses propres cris de douleur
Quand il déchire ses propres chairs
Et s'imagine qu'il se donne du plaisir!
Pour se libérer de cet aveuglement, il faut donc se détacher de la "volonté". C'est
ce que va faire Hans Sachs, qui repousse les avances (un peu opportunistes, il est
vrai) de la jeune et belle Eva, qui pourrait être sa fille. Dans l'intervalle entre la fin du
premier manuscrit (1845) et la reprise de son travail sur Les Maîtres-chanteurs,
Wagner aura terminé une autre oeuvre où la "volonté" schopenhauerienne illustre
bien son potentiel destructeur, Tristan und Isolde. Quand Hans Sachs renonce à
l'amour d'Eva, il fait d'ailleurs une référence explicite à l'histoire de Tristan: "Mein
Kind, von Tristan und Isolde kenn'ich ein traurig Stück. Hans Sachs war klug und
wollte nichts von Herrn Markes Glück" ("Mon enfant, je connais la triste histoire de
Tristan et Iseult. Hans Sachs est plus malin et voudrait s'épargner le bonheur du Roi
Marc!").
Dans Les Maîtres-chanteurs, il y a un héros romantique, Walther von Stolzing, et
un héros philosophique, Hans Sachs. Il est un héros dans le sens que
Schopenhauer donnerait à ce terme: capable de renoncer à la force de la volonté
dans son expression la plus puissante: l'amour sexuel. Sa sagesse et son
expérience de la vie, ainsi qu'une certaine mélancolie, rappellent enfin ces mots de
Schopenhauer
29
Nous nous représentons toujours un personnage noble comme empreint
d'une certaine trace de tristesse silencieuse. (...) C'est l'effet de la
conscience que l'on dérive de la connaissance de la futilité de toute
entreprise humaine et de la souffrance inhérente à toute vie, et pas
seulement la nôtre.
A. Schopenhauer, Le Monde comme Volonté et Représentation
30
THEMES DE RECHERCHE, DISCUSSION OU REDACTION
Les Maîtres-chanteurs, c'est l'histoire d'un concours de chant avec des gros enjeux.
Est-ce qu'on peut faire une comparaison avec les concours de chant d'aujourd'hui,
comme la Star Ac'? Comparez les règlements, le processus de sélection, la manière
de juger les candidats gagnants.
Quand on est inspiré par un amour sincère et authentique, on n'a pas besoin d'être
un artiste chevronné pour produire une oeuvre d'art hors du commun. Êtes-vous
d'accord?
Wahn, Wahn, überall Wahn! chante Hans Sachs. La folie des êtres humains les
conduit à des comportements absurdes, défiant la raison. Est-ce que cela vous fait
penser à des situations sociales de votre quotidien, ou alors des situations de la
politique dans le monde, où la violence des émotions peut conduire à des
débordements disporportionnés?
Pour Wagner, la musique est la forme d'art la plus abstraite, parce que détachée des
représentations du monde, et meilleure manière d'exprimer des émotions pures.
Pensez-vous que d'autres formes d'art que la musique peuvent aussi revendiquer
cela? Y a-t-il un contexte historique à prendre en compte? P.ex. un peintre ou un
sculpteur à l'époque de Wagner aurait-il pu revendiquer la même esthétique que le
compositeur? Et qu'est-ce que l'art moderne a en commun avec les idées de
Wagner?
BONUS! FOR ENGLISH CLASS
Le grand critique artistique et historien de l'art anglais, John Ruskin, se livrait en
1882, à une critique assez sauvage des Maîtres-chanteurs. Essayez de la traduire!
Of all the bête, clumsy, blundering, boggling, baboon-blooded stuff I ever
saw on a human stage, … and of all the affected, sapless, soulless,
beginningless, endless, topless, bottomless, topsiturviest, tongs and
boniest doggerel of sounds I ever endured the deadliness of, that eternity
of nothing was the deadliest, so far as the sound went. I never was so
relieved, so far as I can remember in my life, by the stopping of any sound
– not excepting railway whistles – as I was by the cessation of the
cobbler’s bellowing.”
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CD d’accompagnement : liste du contenu
1. Ouverture et choral
2. David explique l'art du maître-chanteur à Walther. "Trotz grossem Fleiss"
3. Veit Pogner s'explique : "Nun hört, und versteht mich recht"
4. Premier air de Walther
5. Choeur des apprentis, David, Magdalena
6. Eva se fâche avec Hans Sachs "Ja, anderswo soll's ihm erblühn"
7. L'air du veilleur de nuit "Hört, ihr Leut, und lasst euch sagen"
8. La sérénade de Beckmesser et le réveil du voisinage
9. L'air de Hans Sachs "Wahn! Wahn! Überall Wahn!"
10. La déclaration d'Eva, le baptême de la chanson, David devient compagnon
11. Le quintette du troisième acte "Selig, wie die Sonne"
12. Danse des apprentis et entrée des maîtres-chanteurs
13. Le choral "Wach'auf, es nahet gen den Tag"
14. Beckmesser rate sa chanson "Heimlich mir graut"
15. L'air de Walther "Morgenlich leuchtend"
16. La conclusion de Sachs et le choeur final
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