les maîtres chanteurs de nuremberg
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les maîtres chanteurs de nuremberg
d i re c t i o n g é n é ra l e j e a n - m a r i e b l a n c h a rd fondation subventionnée par la ville de genève b o u l e v a rd d u t h é â t re 1 1 c h 1 2 1 1 g e n è v e 1 1 t+41 22 418 30 00 f+41 22 418 30 01 w w w. g e n e v e o p e ra . c h g ra n d t h é â t re d e g e n è v e o p é ra les m a î t re s c h a n t e u rs de n u re m b e rg r i c h a rd w a g n e r Dossier pédagogique L e s j e u n e s a u c œ u r d u G ra n d T h é â t re P ro g ra m m e p é d a g o g i q u e r é a l i s é g r â c e a u s o u t i e n d e l a Fo n d a t i o n Ju l i u s B a e r et du Département de l'instruction publique du Canton de Genève Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg Die Meistersinger von Nürnberg Opéra comique en 3 actes (Komische Oper in drei Akte) Musique et livret de Richard Wagner (1813-1883) Créé au Hofoper de Munich, le 21 juin 1868 Walther von Stolzing, le jeune chevalier franconien, arrivera-t-il à se faire admettre parmi les fiers artisans de la confrérie des Maîtres-chanteurs de la ville libre de Nuremberg? Les sages conseils du maître-cordonnier Hans Sachs seront-ils suffisants pour que Walther déjoue les machinations de l'odieux Beckmesser? Et qui remportera la main de la belle Eva Pogner pour avoir composé le plus beau des chants lors de la fête de la Musique? Programme pédagogique du Grand Théâtre de Genéve Dossier réalisé par Christopher Park Octobre 2006 Table des matières Introduction p. 3 La distribution p. 4 L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE p. 6 Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra? Qui sont les principaux personnages? Quels sont leurs types de voix? p. 6 p. 10 UN PEU PLUS LOIN p. 13 NIVEAU BASIQUE Quelques vignettes autour des Maîtres-chanteurs Connaissances et activités Richard Wagner Nuremberg Les Maîtres-chanteurs La Saint-Jean Les guildes: maîtres, apprentis et compagnons p. 14 p. 17 p. 19 p. 21 p. 22 NIVEAU AVANCÉ Écoute approfondie de l'oeuvre: commentaires musicologiques "Mein bestes Werk": Comment est né l'opéra Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg L’Art et l’Emotion La Volonté et la Folie : Wagner et Schopenhauer THEMES DE RECHERCHE, DISCUSSION OU REDACTION BONUS! FOR ENGLISH CLASS p. 24 CD d’accompagnement : liste du contenu p. 32 p. 27 p. 28 p. 29 p. 31 2 Introduction Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours pédagogique des Maîtres-chanteurs de Nuremberg, dans le cadre du programme « Les jeunes au cœur du Grand Théâtre ». Son contenu vise les trois ordres d'enseignement (primaire, cycle d'orientation et post-obligatoire) ; nous avons fait tout notre possible pour que tous puissent en tirer profit, des plus jeunes aux plus âgés. Le dossier est divisé en deux parties: la première présente les aspects essentiels de l'oeuvre à intégrer en amont du parcours pédagogique et du spectacle. Les enseignants qui ne disposent pas de beaucoup de temps pour aborder l'œuvre pourraient trouver avantage à se limiter cette partie afin de familiariser leurs élèves avec : L'argument Les personnages et les voix Les « moments-clé » musicaux et dramatiques de l'opéra en lien avec ces voix () Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de plaisir pour les élèves prenant part aux ateliers et venant au Grand Théâtre pour découvrir l'œuvre lyrique ou chorégraphique choisie. La deuxième partie du dossier permet d'aller un peu plus loin que l'essentiel dans la découverte de l'oeuvre. Elle se divise en deux volets : le premier, de niveau basique, permet d'aborder l'oeuvre par le biais de thématiques culturelles, historiques, géographiques, etc. Le deuxième volet propose des connaissances plus approfondies, des activités et des thèmes de recherche ou de débat destinés aux groupes de niveau plus avancé. Nous encourageons les enseignants à sélectionner ou à adapter le contenu selon leurs besoins. D'avance merci pour votre collaboration et nous vous souhaitons, à vos classes et vous-mêmes, un parcours pédagogique des plus passionnants au coeur du Grand Théâtre ! Les responsables du programme pédagogique « Les jeunes au cœur du Grand Théâtre » Kathereen Abhervé Christopher Park 3 La distribution et les rôles de la production du Grand Théâtre Eva Pogner, fille unique de l'orfèvre Veit Pogner Anja Harteros, soprano Magdalena, nourrice d'Eva Fredrika Drillembourg, soprano Walther von Stolzing, un jeune chevalier de Franconie Klaus Florian Vogt, ténor David, apprenti cordonnier auprès de Hans Sachs Toby Spence, ténor La confrérie des Maîtres-chanteurs Hans Sachs, cordonnier Albert Dohmen, baryton-basse Veit Pogner, orfèvre Walter Fink, basse Sixtus Beckmesser, greffier municipal Dietrich Henschel, baryton Fritz Kothner, boulanger Andrew Greenan, basse Kunz Vogelgesang, pelletier Matthias Aeberhard, ténor Konrad Nachtigall, ferblantier Josef Wagner, basse Hermann Ortel, savonnier Bernhard Spingler, basse Balthasar Zorn, étameur NN, Ténor Augustin Moser, tailleur NN, Ténor Ulrich Eisslinger, épicier Ivan Mathiak, ténor Hans Foltz, chaudronnier Martin Snell, basse Hans Schwarz, bonnetier 4 NN, Basse Le veilleur de nuit Diogenes Randes, basse Choeur d'hommes et de femmes de toutes les guildes, compagnons, apprentis, jeunes filles et le peuple de Nuremberg Choeur d'hommes Orpheus de Sofia Choeur du Grand Théâtre Direction: Ching-lien Wu Dir : Krum Maximov Orchestre de la Suisse romande Direction: NN 5 L'ESSENTIEL POUR TOUT LE MONDE Qu'est-ce qui se passe dans l'opéra? Premier Acte La scène représente l’intérieur de l’église Sainte-Catherine de Nuremberg, en coupe diagonale, avec le fond de la nef vers le lointain, côté jardin. Sur la scène, on ne voit que les derniers bancs. Scène I Walther von Stolzing est amoureux de la belle Eva Pogner. Il l'attend à la sortie de la messe pour lui demander si elle est déjà promise en mariage. Eva aime bien Walther, mais son père, l'orfèvre Veit Pogner, qui fait partie de la confrérie des Maîtres-chanteurs, a décidé qu'elle épouserait le gagnant d'un concours de chant que la confrérie a organisé pour le lendemain, jour de la Saint-Jean. La confrérie doit se réunir juste après la messe, Walther devra les convaincre de le laisser participer au concours pour devenir maître-chanteur et remporter la main d'Eva. Scène 2 Mais les règles pour composer les chants sont très compliquées: David, l'apprenti du cordonnier Hans Sachs, le plus grand des maîtres-chanteurs, essaie, sans grand succès, de les expliquer à Walther. CD PISTE 2. Walther décide quand même de tenter sa chance. Scène 3 Les maîtres-chanteurs entrent dans l'église. Parmi eux se trouve Beckmesser, le greffier, qui aimerait bien gagner le concours et épouser Eva. Il déteste tout de suite ce nouveau concurrent. Hans Sachs trouve que le concours n'est pas juste pour Eva, et Veit Pogner accepte de donner à Eva la possibilité de refuser le gagnant du concours, mais si elle se marie un jour, elle sera obligée d'épouser un maîtrechanteur. CD PISTE 3 Walther est alors invité à chanter son air devant les maîtres, mais c'est Beckmesser, muni d'une ardoise et d'une craie, qui va être l'arbitre (le "marqueur" car il marque un trait pour chaque faute). Walther chante un magnifique chant d'amour, CD PISTE 4 mais il brise toutes les règles des maîtres, ce que Beckmesser souligne en faisant furieusement crisser sa craie sur l'ardoise. Hans Sachs demande aux autres maîtres de laisser Walther participer quand même, mais le reste de la confrérie refuse. Deuxième Acte Une rue étroite, deux maisons sur la scène, celle de Pogner près de laquelle est planté un grand tilleul, l’autre de Sachs devant laquelle est planté un sureau en fleur. Sereine nuit d’été, la nuit tombe progressivement. Scène 1 Dans la rue entre la maison des Pogner et l'échoppe de Hans Sachs, les apprentis se réjouissent du congé du lendemain, pour la Saint-Jean CD PISTE 5. David apprend à Magdalena que Walther a raté son coup. Furieuse, Magdalena reprend le panier de bonnes choses qu'elle lui avait préparé, ce qui fait bien rire les apprentis. 6 La bagarre va éclater quand Hans Sachs expédie David dans la boutique d'un bon coup de pied. Scène 2 Eva et son père sortent dans la rue. Eva n'ose pas demander à Pogner comment s'est passée l'épreuve de Walther, et Pogner se demande s'il a bien fait de donner la main de sa fille comme prix d'un concours. Magdalena apprend à Eva l'échec de Walther. Eva décide alors de demander conseil à Hans Sachs. Scène 3 Hans Sachs s'installe devant son échoppe pour travailler sur une paire de souliers que Beckmesser lui a commandée. La chanson de Walther l'a beaucoup impressionné. Scène 4 Eva survient, et discute avec Sachs du concours. Elle ne veut absolument pas épouser Beckmesser, mais elle laisse entendre qu'elle ne serait pas fâchée si Maître Sachs (qui est veuf) gagnait le concours. Sachs se trouve trop vieux pour l'épouser, mais quand il lui confirme l'échec de Walther, Eva pique la mouche et rentre chez elle CD PISTE 6. Sachs est alors certain qu'elle est vraiment amoureuse de Walther. Magdalena prévient Eva que Beckmesser va venir lui faire la sérénade. Eva part donc à la recherche de Walther pendant que Magdalena prend sa place et ses habits, à la fenêtre de sa chambre. Scène 5 Walther survient. Eva et lui décident de s'enfuir en amoureux, mais Sachs a entendu leur projet. Comme la nuit tombe, il accroche une lanterne pour éclairer la rue et force les amoureux à se cacher dans l'ombre d'un arbre. Scène 6 Beckmesser commence sa sérénade que Hans Sachs interrompt en chantant à tuetête et en donnant de vigoureux coups de marteau. Il faut bien finir les souliers que Mr le greffier lui a commandés pour le lendemain! Beckmesser propose que Sachs joue le rôle du marqueur: pour chaque faute, un coup de marteau. Il commence sa sérénade mais les coups de marteau sont si nombreux que Sachs a fini les souliers avant la fin du chant CD PISTE 8. Le tapage réveille tous les voisins. David reconnaît Magdalena a la fenêtre, prend Beckmesser pour un rival et se jette sur lui avec un bâton. Une bagarre générale s'ensuit jusqu'à ce que retentisse le cor du veilleur de nuit CD PISTE 7. Chacun rentre vite chez soi. Walther essaie de s'échapper avec Eva, mais Sachs les arrête, fait rentrer Eva chez elle et entraîne Walther dans son atelier. Troisième Acte Dans l'échoppe de Sachs. Scène 1 Le jour de la Saint-Jean se lève, Hans Sachs lit un grand livre dans sa boutique. David revient de livrer les souliers de Beckmesser, et présente ses voeux de bonne fête à son maître. Sachs lui donne congé. 7 Resté seul, Hans Sachs se dit que le monde est fou, une folie dont il a été témoin la nuit précédente CD PISTE 9 ! Sa tentative de prévenir la fuite des amants a dégénéré en une bagarre d'une rare violence. Il décide pourtant de mettre cette folie au service d'une plus noble cause. Scène 2 Walther a passé la nuit chez Sachs. Il vient de se réveiller et raconte au cordonnier un rêve qu'il vient de faire. Sachs l'encourage à en faire le sujet d'une chanson pour le concours. Walther chante les deux premiers couplets que Sachs copie sur une feuille de papier. Il manque un troisième couplet, mais Walther en a assez des mots. Les deux hommes se retirent pour mettre leurs habits de fête. Scène 3 Beckmesser entre dans la boutique, tout endolori de la bagarre de la veille. Il aperçoit la chanson sur l'établi du cordonnier et s'imagine que Sachs a finalement décidé de participer au concours pour la main d'Eva! Sachs revient dans la pièce et Beckmesser le confronte avec le papier. Mais le cordonnier l'assure qu'il n'a pas du tout l'intention de participer au concours et il lui fait cadeau de la chanson. Beckmesser décide alors de la chanter au concours et s'en va, sûr de sa victoire. Scène 4 Eva arrive dans l'atelier: elle dit que ses chaussures lui font mal, mais en réalité, elle cherche Walther. Celui-ci fait son entrée, vêtu de ses plus beaux habits, et en voyant Eva, il trouve l'inspiration pour son troisième couplet! Eva demande pardon à Sachs pour avoir joué avec ses sentiments. Hans Sachs lui répond que même s'il a de la tendresse pour elle, il renonce volontiers à l'épouser, car il se trouve trop vieux. David entre avec Magdalena et Sachs fait de son apprenti un compagnon, en lui donnant une gifle CD PISTE 10. David peut ainsi être le témoin légitime du baptême de la nouvelle chanson: l'air de l'Heureux-Rêve-matinal. Les cinq chantent leur bonheur et partent pour la fête CD PISTE 11. Scène 5 Une grande prairie au bord de la rivière. Les citoyens sont en fête. Des tribunes et des estrades sont joyeusement décorées. La fête de la Saint-Jean a lieu à la sortie de la ville, au bord de la Pegnitz. Les différents corps de métier arrivent en cortége, les musiciens jouent un air joyeux pendant l'entrée des maîtres-chanteursCD PISTE 12. La foule salue avec joie Hans Sachs avec une de ses chansons les plus populaires "Réveillez-vous, le jour se lève"CD PISTE 13. Le concours commence. Beckmesser, qui a eu beaucoup de mal a trouver une mélodie qui convienne aux paroles de Walther, finit par rater complètement sa chanson, ce qui fait bien rire tout le monde CD PISTE 14. Furieux, il accuse Hans Sachs d'être l'auteur des paroles. Sachs dit que ce n'est pas vrai et il invite Walther à la chanter, pour prouver qu'il en est l'auteur et qu'il a l'étoffe d'un vrai maître-chanteur. La chanson de Walther brise encore toutes les règles des maîtres-chanteurs, mais elle est si belle qu'il gagne le coeur de tous les spectateursCD PISTE 15. Eva le couronne vainqueur et Pogner accepte de recevoir le jeune chevalier dans la confrérie. Mais celui-ci refuse, excédé par les règles et les coutumes des maîtres8 chanteurs. Hans Sachs intervient une dernière fois. Il rappelle à Walther que, malgré tous leurs défauts, les maîtres-chanteurs ont conservé leur art pendant des siècles, comme un trésor, pour toutes les générations futures. Si Walther est heureux, aujourd'hui, c'est grâce à son talent artistique, et pas à cause de son rang social. Walther comprend que les artistes doivent unir leurs efforts dans une cause commune, il accepte son titre et la foule entière chante les éloges de Hans Sachs, le bien-aimé maître-chanteur de NurembergCD PISTE 16. 9 Qui sont les principaux personnages? Quels sont leurs types de voix? NB: Les visuels sont uniquement proposés pour évoquer les personnages dans leur contexte historique, le mise en scène de Pierre Stroesser pour le Grand Théâtre de Genève représentera les personnages dans une esthétique résolument différente de l'Allemagne de la Renaissance. Hans Sachs C'est quelqu'un qui a vraiment existé (1494-1576). Il était cordonnier à Nuremberg et maître-chanteur. Il écrivait des paroles de chansons, des poèmes et des pièces de théâtre qu'on lit encore aujourd'hui. Wagner a même utilisé un texte du "vrai" Hans Sachs dans son opéra, c'est le choral "Wach'auf, es nahet gen den Tag" du troisième acte (, Piste 13). Portrait de Hans Sachs en 1545 Dans l'opéra, Hans Sachs est un homme veuf déjà âgé. Il est aimé et respecté de tous les gens de Nuremberg. Il a l'expérience de la vie et il sait pourtant bousculer les vieilles habitudes. Le rôle de Hans Sachs est chanté par un baryton basse. C'est une voix d'homme qui doit être capable à la fois d'aller assez haut, tout en ayant de belles notes graves et résonantes, comme une vraie basse. Les personnages interprétés par barytons basses sont souvent des hommes d'âge mûr, des sages, ou des dieux. Nulle part dans l'oeuvre n'entend-t-on aussi intensément la sagesse et la sensibilité de Hans Sachs que lorsqu'il réfléchit sur la folie des êtres humains et déclare combien il aime sa ville de Nuremberg: "Wahn! Wahn! Überall Wahn!"(, Piste 9) Walther von Stolzing C'est un jeune chevalier, d'une vieille famille allemande, mais qui a dû vendre son château et ses terres. Il est venu vivre à Nuremberg, mais il a un peu de peine à se faire accepter par les gens de la ville. Les bourgeois se méfient un peu des aristocrates. Il aime la poésie, mais il n'est pas sûr s'il arrivera au bout de toutes les règles des maîtres-chanteurs. Son amour pour Eva va lui donner l'inspiration nécessaire! 10 Comme beaucoup de rôles de jeune homme en héros amoureux, le rôle de Walther est chanté par un ténor, la voix d'homme la plus haute. Le rôle exige une voix puissante mais aussi capable d'une grande douceur, pour exprimer les rêves d'amour. C'est évidemment quand Walther interprète sa chanson dans le concours final qu'on peut entendre la pleine mesure de cette voix (, Piste 15) Eva Pogner Son père est un riche artisan: il est orfèvre. Elle rêve d'un beau mariage, mais son père l'a promise à celui des maîtres-chanteurs qui gagnera le concours de chant. Un choix difficile pour Eva: le concurrent en pôle position est Beckmesser, mais elle le déteste. Hans Sachs est veuf, et c'est un homme bon qui ferait un excellent mari. Mais le coeur d'Eva bat pour le jeune Walther, qui semble n'avoir aucune chance de gagner. Le rôle d'Eva est tenu par une soprano lyrique. Elle doit communiquer à la fois la tendresse et le caractère vif d'une jeune fille. Il faut entendre, par exemple, comme elle se fâche avec Sachs! (, Piste 6) David, l'apprenti de Hans Sachs, est aussi intéressé par le métier de cordonnier que par la pratique du chant et les règles des maîtres-chanteurs. Il a tendance à se laisser provoquer facilement, mais c'est un bon garçon au fond. Il fait la cour à Magdalena, l'ancienne nourrice d'Eva, devenue sa dame de compagnie. Magdalena sert fidèlement les intérêts de sa maîtresse, et elle est sa complice pour faire gagner Walther. David, jeune homme enthousiaste, est une voix de ténor un peu plus légère que celle de Walther. Ecoutez-le expliquer l'art du maître-chanteur à Walther. (, Piste 2). Le rôle de Magdalena (soprano) est un peu en retrait des principaux personnages. Elle participe aux dialogues mais elle n'a pas de grands airs, à part son rôle dans le fameux quintette du 11 troisième acte (, Piste 11). son rôle dans le fameux quintette du troisième acte (, Piste 11). Sixtus Beckmesser Le greffier de la ville est un vieux garçon pressé de se marier. Il fait partie de la confrérie des maîtres-chanteurs depuis un certain temps mais il n'a plus tellement confiance dans son talent. C'est un pinailleur de première, toujours prêt à appliquer les règles au pied de la lettre. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est le "marqueur" de la confrérie. Mais à force d'être obsédé par les règles, il finira par en être la victime. Ecoutez comment Beckmesser s'embrouille et se ridiculise en public lorsqu'il chante l'air qu'il a volé à Walther (, Piste 14). Le rôle de Beckmesser est chanté par un baryton, une voix grave qui demande aussi une bonne tenue dans des notes aiguës. Pour souligner l'aspect comique des chansons "à l'ancienne" de Beckmesser, il est souvent accompagné de la harpe, pour suggérer le luth sur lequel il n'arrête pas de préluder, et ses interventions sont pleines d'ornementations vocales à la limite du ridicule. Veit Pogner, Fritz Kothner, le Veilleur de nuit Le père d'Eva et le boulanger qui est le président de la confrérie des maîtreschanteurs sont des hommes mûrs, respectés dans la ville pour leur métier, leur richesse et leur talent. Ecoutez comment Veit Pogner explique aux autres maîtres son amour pour l'art et la beauté et comment il a décidé de mettre la main de sa fille au service de cette noble cause (, Piste 3). La voix de basse sert à illustrer des personnages solides et respectables. Ou même la voix de l'autorité, comme celle du Veilleur de nuit qui met fin à la bagarre avec le son de son cor et son refrain, aussi solennel qu'un cantique religieux (, Piste 7). 12 UN PEU PLUS LOIN NIVEAU BASIQUE Quelques vignettes autour des Maîtres-chanteurs Connaissances et activités Richard Wagner Nuremberg Les Maîtres-chanteurs La Saint-Jean Les guildes : maîtres, compagnons et apprentis 13 Richard Wagner Wilhelm Richard Wagner né le 22 mai 1813 à Leipzig mort le 13 février 1883 à Venise Richard Wagner é t a i t un compositeur, chef d’orchestre, théoricien de la musique et essayiste allemand. Il est surtout connu pour ses opéras. Richard Wagner est l’un des principaux représentants du mouvement r o m a n t i q u e qui a influencé les arts et la culture tout au long du XIXe siècle. La musique de Wagner a exercé une profonde influence sur la musique du XXe siècle, jusque dans la musique de films comme La Guerre des Etoiles ! Les compositions de Richard Wagner, particulièrement celles de sa maturité, sont remarquables par la richesse de leurs couleurs musicales (chromatisme), la texture complexe de leur contrepoint, de leurs harmonies et de l’orchestration. La musique de Wagner est connue pour son usage répété, au sein d’une même oeuvre, de plusieurs motifs musicaux différents, associés à un personnage, un sentiment, un lieu ou un thème de l’intrigue. Le « motifs conducteur », en allemand Leitmotif, est une caractéristique de l’oeuvre de Wagner. Dans les Maîtres-chanteurs, le principal leitmotif est instantanément reconnaissable dès l'ouverture (troisième partie): une majestueuse fanfare ascendante (do-mi-solsol-la-sol-sol-sol) salue l'entrée des maîtres et culminera dans le troisième acte, avec la procession au bord de la rivière. Un autre leitmotif est la longue mélodie lyrique esquissée au hautbois dès la première scène, alternant avec le cantique chanté par le choeur des fidèles de l'église, qui se développera tout au long de l'opéra pour devenir la chanson qui fera triompher Walther au concours de chant. Le langage musical de Wagner annonce les bouleversements futurs dans la musique classique en Europe, comme le chromatisme extrême et la musique atonale. Il a transformé la pensée musicale au travers du concept d’ « oeuvre d’art totale » (Gesamtkunstwerk). Wagner a lui-même illustré ce concept en écrivant non seulement la musique de ses opéras, mais aussi leurs livrets, et les indications 14 détaillées pour leur mise en scène. Il a également conçu, avec le soutien du roi Louis II de Bavière, une salle spéciale, avec une architecture unique, pour représenter ses opéras, le Festspielhaus de Bayreuth, où le compositeur vécut jusqu’à la fin de sa vie et où se déroule chaque année un important festival. LA VIE DE WAGNER Richard Wagner a eu une vie mouvementée, tant au niveau politique que sentimental. Son premier mariage fut un échec. Son premier grand amour lui a inspiré des musiques sublimes. Mais Mathilde Wesendonk, l'épouse d'un riche bourgeois de Zurich, où Wagner avait dû s'exiler en 1845 à cause de ses opinions politiques, resta toujours hors de son atteinte. Ses premières oeuvres ne furent pas toujours bien reçues. Le compositeur peinait à gagner sa vie, mais malgré l'adversité, il pensait et écrivait beaucoup: des idées d'avant-garde sur l'art et la musique, inspirées entre autres par la lecture du penseur Arthur Schopenhauer, qui ont suscité beaucoup de controverse, du vivant du compositeur, et longtemps encore après sa mort, notamment à propos de l'antisémitisme que Wagner a explicitement pratiqué et professé, ainsi qu'à la récupération de sa musique et de son esthétique par Adolf Hitler, les Nazis et l'idéologie fasciste généralement. Un autre élément controversé de la vie de Wagner fut la protection que lui accorda, à partir de 1864, le jeune roi Louis II de Bavière. Passionné par sa musique depuis l'enfance, Louis régla les énormes dettes du compositeur et finança la production de son premier triomphe Tristan et Iseult. De telles dépenses déplurent à la cour de Munich à tel point que Louis II fut obligé de demander à Wagner de quitter la capitale, hésitant même à abdiquer afin de suivre son héros en exil en Suisse. La vie privée de Wagner continuait à scandaliser. Après avoir eu une liaison avec Cosima von Bülow, épouse de son chef d'orchestre, fille de son meilleur ami le compositeur et pianiste Franz Liszt, et une femme de 24 ans sa cadette, il put enfin l'épouser en 1870, et le mariage dura jusqu'à la mort de Wagner. Ils eurent plusieurs enfants et la descendance de Wagner s'occupe encore de nos jours de gérer le patrimoine artistique et architectural considérable du compositeur, en particulier l'opulent festival de Bayreuth, où les oeuvres de Wagner sont interprêtées chaque été, dans le théâtre que Wagner fit construire spécialement pour elles. C'est à Bayreuth que Wagner compléta son cycle de quatre opéras, L'Anneau des Nibelungen, aussi connu plus simplement comme La Tétralogie ou, avec son nom allemand, le Ring. Inspiré par les anciennes sagas nordiques et la mythologie germanique, c'est sans doute la clé-de-voûte de l'impressionnant édifice wagnérien et son oeuvre la plus marquante. Difficile de rester insensible aux Walkyries qui y chevauchent et aux héros tueurs de dragons et de géants qui y sévissent! Pour comprendre à quel point ces dix-sept heures de musique ont impressionné les générations à venir, il faut peut-être chercher des similitudes avec la passion que peuvent susciter des oeuvres comme Le Seigneur des Anneaux, La Guerre des étoiles ou même Harry Potter! Pour conclure (et pour être honnête), tout le monde n'aime pas la musique de Wagner. Elle suscite rarement l'indifférence: ceux qui l'aiment en sont souvent passionnés. Mais d'autres lui reprocheront ses longueurs et les opinions bizarres, 15 voire racistes, de son créateur. Le dernier mot est pour le compositeur italien Gioacchino Rossini qui disait: "Wagner a des moments magnifiques, et de très mauvais quarts d'heure." ACTIVITE Vous connaissez mieux la musique de Wagner que vous ne le croyez! Cinéma, pub, musique populaire, dessins animés... Wagner est partout! La chevauchée des Walkyries (D i e Apocalypse Now (film de Francis Ford Walküre) Coppola, 1974) L'entrée de Lohengrin et Elsa dans la "La marche nuptiale", fréquemment jouée chambre nuptiale. (Lohengrin) à l'entrée de la mariée dans l'église ou la mairie. Le fait que le mariage de Lohengrin et d'Elsa s'effondre vingt minutes après que la marche ait été jouée dans l'opéra, ne semble décourager personne! Plusieurs extraits de la Tétralogie Le dessin animé de Bugs Bunny What's Opera Doc? (Chuck Jones, 1953), où un chasseur de lapins en casque germanique chante la chevauchée des Walkyries sur les mots "Kill the wabbit!" Plusieurs extraits de la Tétralogie Les groupes heavy metal allemands Rammstein et Joachim Witt (dont le plus célèbre album s'intitule Bayreuth) 16 Nuremberg Nuremberg, en allemand Nürnberg, est une ville située au sud de l’Allemagne dans le Land fédéral de Bavière, dans une région qui s’appelle la Franconie (Franken). Elle se trouve sur la riviére Pegnitz et sa population en 2006 était d’environ 500'000 habitants. Ancienne ville fortifiée du Moyen-Age, c’est un centre industriel important, de très longue date. Le siège de la compagnie de fabrication d’appareils électriques Siemens s’y trouve et la plus grande foire aux jouets du monde s’y déroule chaque année. Depuis le Moyen-Age, Nuremberg est une ville importante. Le gouvernement du Saint Empire Romain Germanique avait accordé en 1219 à Nuremberg le statut de « Ville libre de l’Empire », ce qui veut dire qu’elle était gouvernée par ses citoyens, réunis en conseil. A cause de son indépendance, elle était souvent choisie comme le lieu des diètes impériales (les parlements nationaux). Nuremberg était une sorte de capitale non-officielle de l’Allemagne de l’époque. Les citoyens de Nuremberg profitaient beaucoup du fait que leur ville était située sur une des principales routes de commerce entre l’Italie et le Nord de l’Europe. C’est pourquoi les métiers et les corporations d’artisans y ont beaucoup prospéré, comme on le voit dans l’opéra de Wagner. La richesse des artisans et des bourgeois de Nuremberg, ainsi que l’adhésion de la ville aux idées de la réforme protestante de Luther en 1525 (c’est plus ou moins l’époque où Wagner situe son opéra), ont permis un é p a n o u i s s e m e n t extraordinaire des arts et des lettres qui ont fait de Nuremberg le centre de l’Allemagne à l’époque de la Renaissance. Au XIXe siècle, Nuremberg cesse d’être une ville indépendante et rejoint le Royaume de Bavière. Les industries continuent de se développer et la ville de prospérer. Le premier chemin de fer en Allemagne est construit entre Nuremberg et Fürth, en 1835. Au XXe siècle, Nuremberg, à cause de ses liens historiques avec le Saint Empire Romain Germanique, sera choisie par Adolf Hitler comme le lieu des gigantesques conférences du parti national-socialiste (les Nazis). Les industries de la ville servant à construire beaucoup de matériel militaire, les Alliés ont bombardé les zones industrielles en 1943 et le 2 janvier 1945, la ville médiévale a été détruite à 90% 17 en seulement une heure de bombardement, tuant environ 1'800 civils et laissant plus de 100'000 sans abri. Après la guerre, la ville a été reconstruite, en essayant de reproduire son aspect médiéval. C’est aussi à Nuremberg qu’ont eu lieu entre 1945 et 1949, les procès des officiers allemands responsables de la Shoah et des crimes de guerre. ACTIVITE Découvrir les personnages célèbres de Nuremberg Trois personnages célèbres sont associés à Nuremberg. Allez à la découverte de ces personnages et trouvez leur lien avec la ville. Albrecht Dürer 1471-1528 Peintre et graveur, né et mort à Nuremberg, célèbre pour avoir dessiné un rhinocéros sur la base de descriptions orales sans l’avoir jamais vu en réalité. Nicolas Copernic 1473-1543 Astronome polonais, qui a découvert le premier que la terre et les planètes tournaient autour du soleil; son traité d’astronomie a été publié pour la première fois à Nuremberg en 1543 Johann Pachelbel 1653-1706 Musicien et compositeur, né et mort à Nuremberg, compositeur du célèbre Canon et Fugue qui porte son nom, et organiste à l’Eglise Saint-Sebald de la ville. 18 Les Maîtres-chanteurs Les maîtres-chanteurs (en allemand Meistersinger) étaient des poètes lyriques (c’est-à-dire qu’ils écrivaient surtout des textes destinés à être chantés) qui vivaient en Allemagne entre le XIVe et le XVIe siècles. Les maîtres-chanteurs appartenaient presque tous aux principaux corps de métier des artisans et des commerçants (voir plus bas Les guildes : maîtres, apprentis et compagnons). Ils se considéraient les héritiers des grands poètes épiques et lyriques de l’Allemagne médiévale, les Minnesänger, l’équivalent allemand des trouvères et des troubadours. Au nombre de ces anciens maîtres, on trouve des figures qui ont vécu au XIIe et au XIIIe siècles, comme Wolfram von Eschenbach, qui a composé le roman en vers Parzifal (dans lequel Richard Wagner a puisé l’inspiration pour son propre opéra Parsifal) et Walter von der Vogelweide, qui est mentionné par Walther dans Les Maîtres-chanteurs comme une de ses lectures préférées et l’inspiration pour sa poésie, détail important pour persuader les maîtres-chanteurs qu’il n’est pas tombé de la dernière pluie! Wolfram von Eschenbach et Walter von der Vogelweide sont d’ailleurs deux personnages participant à un autre concours de chant, celui de l’opéra Tannhäuser, que Wagner avait imaginé comme une tragédie précédant l’opéra comique des Maîtres-chanteurs. Le but des confréries de maîtres-chanteurs était de cultiver la tradition poétique héritée des anciens Minnesänger et d’entretenir la musique et la littérature au sein de leurs professions, pour la plupart manuelles. A cette époque, on ne s’imaginait pas qu’on puisse être artiste à part entière, sans exercer de métier! L’art des maîtres-chanteurs consistait à la fois à composer des mélodies pour des chansons, et des paroles pour ces mélodies. Les mélodies (en allemand, Ton ou Weise) pouvaient avoir des paroles (Bar ou Gesetz) parfois très différentes. On les chantait en général sans accompagnement musical. Les règles très strictes de la composition des chansons (nombre de pieds, nombre de strophes) étaient résumées dans un règlement appelé Tabulatur et, lors des concours de chansons pour admettre de nouveaux membres à la confrérie, un juge spécial le Merker (« marqueur ») comptait les infractions au règlement, une coutume qui a toute sa place dans l’opéra de Wagner, avec le personnage du pédant greffier Beckmesser! Comme les guildes, les confréries de maîtres-chanteurs étaient divisées en catégories de membres. Au bas de l’échelle, se trouvaient les Schüler (« écoliers »), puis les Schulfreunde (« amis de l’école »). Pour devenir Meister (« maître ») le Schulfreunde devait non seulement prouver qu'il était capable de composer de nouvelles paroles sur des mélodies existantes, mais aussi de composer une mélodie et des paroles complètement nouvelles. Si le Merker jugeait que la nouvelle mélodie était conforme au règlement, le nouveau maître-chanteur avait le droit de « baptiser » sa mélodie avec un nom sous lequel elle serait transmise aux générations futures. Les noms de ces mélodies pouvaient parfois friser le ridicule (comme dans l’air du premier acte des Maîtres-chanteurs où David en fait une liste pour Walther, éberlué) : Vielfrassweis (« Mélodie du Gros mangeur »), 19 Geblümteparadiesweis (« Mélodie du paradis en fleurs »), ou même la mélodie que va inventer Walther, Seligmorgentraumweis (« Mélodie de l’Heureux-rêve-matinal »). ACTIVITES Organisez votre propre concours de maîtres-chanteurs! Prenez un air connu (Au clair de la lune, Cadet Rousselle, En passant par la Lorraine, Avec le temps, etc.)., analysez sa composition métrique (combien de strophes, combien de vers par strophes, combien de pieds par vers) et composez, en un laps de temps défini, de nouvelles paroles pour cet air. Pour rendre le concours plus intéressant, vous pouvez imaginer des règles de difficulté variable : limiter le sujet (p.ex. raconter une histoire connue « sur l’air de »), ne pas utiliser certaines rimes « faciles » (p.ex. « é »), etc. Si vous appliquez des règles, assurez-vous d’avoir un « Marqueur » comme arbitre! « Denn "Singer" und "Dichter" müsst ihr sein, eh' ihr zum "Meister" kehret ein. » En cours d’allemand, essayez de lire ce court extrait d’une « chanson de maître » écrite par le « vrai » Hans Sachs, sur la manière de se tenir à table: Sag nichts, darob man Grauen hat, Und tu dich auch am Tisch nit schneuzen, Dafl ander Leut an dir nit scheuzen! Geh nit umzausen in der Nasen! Des Zahnstührens sollt du dich maflen! Im Kopf sollt du dich auch nit krauen! Dergleichen Maid, Jungfrau und Frauen Solln auch keim Floch hinunterfischen. Ans Tischtuch soll sich niemand wischen. Auch leg den Kopf nit in die Händ! Leihn dich nit hinten an die Wänd, Bis das des Mahls hab sein Ausgang! Denn sag Gott heimlich Lob und Dank, Der dir dein Speise hat beschert, Aus väterlicher Hand ernährt! Nach dem sollt du vom Tisch aufstehn, Dein Händ waschen und wieder gehn An dein Gewerb und Arbeit schwer. So sprichet Hans Sachs, Schumacher. 20 La Saint-Jean Le 24 juin est le solstice d'été. C'est le moment où les jours sont les plus longs et les nuits les plus courtes (dans l'hémisphère Nord). Le soleil brille et il fait souvent chaud. Dans le calendrier religieux chrétien, le jour du 24 juin est la fête de Saint Jean-Baptiste, un personnage de la Bible, qui annonçait la venue du Messie et qui pratiquait le baptême, d'où son surnom de Baptiste ("qui baptise"). Il a d'ailleurs donné le baptême à son cousin, Jésus. En Europe et en Amérique du Nord, les coutumes de la Saint-Jean sont plus anciennes que le christianisme; elles ont plus souvent rapport avec l'été, la joie de vivre et la lumière qu'avec la religion. ACTIVITE « Johannistag ! Johannistag ! Blumen und bänder soviel man mag ! » Rechercher des traditions culturelles autour de la Saint-Jean ou le début de l'été. • • • • Les feux de la Saint-Jean qui symbolisent la lumière du solstice et le retour des journées plus courtes; La fleur de la Saint-Jean (le millepertuis): fleur "solaire" aux propriétés médicinales (agit notamment contre la dépression); Le sureau (qui fleurit à la Saint-Jean, et que Hans Sachs évoque à deux reprises dans l'opéra, avec son parfum entêtant de nuit d'été); La Fête de la Musique, qui est une fête moderne, mais qui a lieu presque le même jour que les Maîtres-chanteurs de Nuremberg organisaient leur grande fête de l'art et de la chanson. Remarquons aussi que Wagner a choisi la date du 21 juin, le solstice d'été, pour la première représentation des Maîtres chanteurs. Un sureau (Sambucus nigra) en fleur 21 Les guildes : maîtres, apprentis et compagnons Une guilde est une association de personnes exerçant le même métier, qui se forme afin de protéger les intérêts communs au groupe, assurer la qualité du travail ainsi que les normes éthiques des travailleurs. L’origine du mot « guilde » se trouve dans un ancien mot anglais ou néerlandais, guld (« l’or ») : les guildes servaient en premier lieu de caisses de bienfaisance commune, alimentées par des contributions de tous les membres, pour assister les plus démunis. L’organisation des métiers existe dans toutes les cultures et depuis les temps les plus anciens. Le Code de Hammurabi, un texte de loi de la Mésopotamie antique (1750 av. J.-C.) prévoyait la peine de mort pour les maçons qui construisaient des bâtiments qui s’écroulaient sur leurs habitants. Le Serment d’Hippocrate, que tous les médecins doivent prêter encore aujourd’hui, est un code de comportement de la profession médicale datant du IVe siècle avant notre ère. En Inde, des associations d’artisans se sont formées dès l’an 2000 av. J.-C. Les corporations d’artisans de la Rome ancienne ont continué à exister dans l’Italie du Moyen-Age sous le nom de ars. En Allemagne, dès le Xe siècle, les corps de métiers, appelés Zunft (pl. Zünfte) se sont constitués, tout comme en France et en Angleterre. Le système des guildes s’est particulièrement développé en Allemagne, entre le XIIIe et le XIXe siècles. La production artisanale se diversifiait et se spécialisait : à Nuremberg en 1200, les travailleurs du métal se comptaient déjà en douzaines de professions différentes (on en compte quatre dans la distribution des Maîtres-chanteurs de Wagner !). Les membres des guildes se juraient une assistance mutuelle dans les moments difficiles. Les guildes géraient aussi des fonds pour l’assistance de leurs membres infirmes ou âgée, ainsi que les veuves et les orphelins de la corporation, des frais d’enterrement et des allocations de voyage, pour ceux qui devaient chercher du travail loin de chez eux. Les guildes étaient administrées sur le modèle suivant : un conseil d’administration avec un président et des vice-présidents, soutenu par des fonctionnaires et une assemblée des membres. Les membres de la guilde les plus expérimentés et les plus anciens recevaient le titre de « Maître » et le droit de siéger au conseil de la guilde. Pour atteindre la maîtrise, le future artisan devait passer par une longue période d’apprentissage auprès d’un maître qui lui enseignait les bases de son métier, mais en faisant bien attention de ne pas lui révéler les secrets du métier ou de la guilde. Après avoir prouvé ses capacités en créant une oeuvre de qualité, l’apprenti devenait ensuite compagnon. Muni d’une lettre de son maître d’apprentissage, le compagnon entreprenait alors un tour du pays (ou à l’étranger) pour se perfectionner auprès d’autres maîtres et apprendre d’autres techniques. Ce n’est qu’après son tour et plusieurs années de métier que le compagnon pouvait présenter son chef d’oeuvre à sa guilde et, avec l’approbation de tous les maîtres de sa guilde, recevoir lui-même le titre de maître. 22 Aujourd’hui encore, on retrouve des traces du système des guildes dans la formation professionnelle (on fait son apprentissage auprès d’un maître), ou aussi dans les syndicats et autres organisations professionnelles, comme le barreau pour les avocats, ou la FMH pour les médecins qui sont responsables de la certification des personnes qui veulent exercer ces métiers. Les guildes étaient souvent impliquées dans le gouvernement des villes du MoyenAge et, au-delà de leurs activités professionnelles, elles s’occupaient aussi de ce qu’on appellerait aujourd’hui la culture et le divertissement. L’exemple des maîtres-chanteurs et leurs concours de chant, en Allemagne, n’est pas unique. Par exemple, dans la ville anglaise de Chester, au XIVe siècle, toutes les guildes étaient responsables d’une série de pièces de théâtre, les Mystères de Chester, racontant des histoires de la Bible, qui étaient représentées à ciel ouvert chaque année à la Fête-Dieu (début juin). L’un de ces mystères, Noye’s Fludde (« Le déluge de Noé ») était représenté par la guilde des porteurs d’eau. Les compositeurs modernes Igor Stravinsky et Benjamin Britten ont utilisé le texte de ce Mystère de Chester comme sujet et livret d’opéra. ACTIVITE Les bannières des guildes de Nuremberg Regardez la distribution des Maîtres-chanteurs au début de ce dossier. Vous verrez que la plupart des rôles sont des maîtres de guildes exerçant différentes professions comme : cordonnier orfèvre boulanger pelletier ferblantier savonnier étameur tailleur épicier chaudronnier bonnetier Savez-vous ce que font tous ces métiers différents ? Est-ce qu’on les pratique encore de nos jours à Genève ? Autrefois, chacune des guildes avait un symbole (souvent un outil de leur profession : une botte pour les cordonniers, une paire de ciseaux pour les tailleurs, etc.), qu’ils peignaient ou brodaient sur une bannière que l’on sortait en procession lors des fêtes, comme dans le troisième acte des Maîtres-chanteurs. Vous pouvez réaliser, en petits groupes, des projets graphiques de bannières pour les professions des Maîtres-chanteurs, ou d’autres professions que vous connaissez (p.ex. coiffeur, boucher, éboueur, informaticien, secrétaire, webmaster, plombier, routier, serrurier, enseignant, etc.) 23 NIVEAU AVANCE Ecoutons quelques moments de l'oeuvre, indique les extraits qui font le point sur les personnages et les voix. Les commentaires de certains extraits musicaux ont été prélevés sur le texte de la conférence « Une heure avant » sur Les Maîtres-chanteurs, écrite et présentée par Pierre Michot 1. Ouverture et choral Voyons donc comment, dès l'ouverture, les Maîtres chanteurs sont présentés. Voici d’abord leur fameux thème, solennel, certes noble et imposant, mais quelque peu emphatique et imbu de lui-même. Il y a là de la grandeur, à l’image de l’art qu’ils défendent. Mais que les Maîtres puissent être pédants, qu’ils puissent se figer dans leurs règles et leur rigorisme, voilà ce que montre le traitement de leur thème en contrepoint, c’est-à-dire en canon avec lui-même. C’est la figure de leur Kunstfertigkeit, de leur habileté stérile, avec aussi, vous allez l'entendre, une caricature de leur bavardage, du caquetage ergoteur de ces censeurs intraitables. Celui qui vient d’ailleurs, Walther von Stolzing, celui qui va faire souffler un air nouveau oppose à cet art figé l’ardeur de sa jeunesse, la ferveur de son amour et la liberté de sa poésie. (...) Dès l’ouverture, qui raconte par avance le conflit qui l’oppose aux Maîtres, voici comment alternent les deux éléments qu’on vient d’entendre : le bavardage qui caricature la raideur dogmatique des Meistersinger et des bouffées lyriques, de grandes phrases qui tentent de se déployer. Ces montées de sève sont interrompues, comme brimées, par le contrepoint des vents. 2. David explique l'art du maître-chanteur à Walther. "Trotz grossem Fleiss" Ce qui est historique aussi, dans le texte de Wagner sinon dans sa musique, c'est le code poétique de la Tabulatur, qui, au cours de la première scène, apparaît d'abord dans le long catalogue des Tön’ und Weisen que l’apprenti David dresse à Walther ébahi. Il s'agit de l’énumération des tons et des modes, c'est-à-dire des mélodies, ou plutôt des couleurs modales propres à tel ou tel texte. (...) « Il y a le mode bref, long, et extrêmement long », « Il y a le doux, le tendre, celui des roses », « Il y a le mode des brèves amours, celui de l’oublié », « l’arc-en-ciel, le rossignol », et un dernier : « le mode du glouton trépassé ». (...) Il y a 222 modes cités par Wagenseil, Sachs en a employé 275 et on peut évaluer à 400 l’ensemble qui nous est conservé. Je précise que ces noms sont tous historiques. Vous avez entendu comment Wagner s'amuse à les réinventer à sa manière pour suggérer à chaque fois le pittoresque de chacun de ces noms. 3. Veit Pogner s'explique. "Nun hört, und versteht mich recht" 4. Premier air de Walther 24 5. 6. 7. 8. 9. Choeur des apprentis, David, Magdalena Eva se fâche avec Hans Sachs L'air du veilleur de nuit La sérénade de Beckmesser et le réveil du voisinage L'air de Hans Sachs "Wahn! Wahn! Überall Wahn!" Dans l’admirable prélude du 3e acte, un thème dira la profonde émotion de Sachs : cette douleur de Sachs est faite de noble résignation, aussi a-t-on aussi appelé ce thème « motif du renoncement ». Or dans le 3e couplet de la chanson du savetier dont nous avons déjà entendu le début à l’instant, le thème de la douleur de Sachs se superpose à la mélodie de la chanson. De cette sagesse aimante, nourrie de méditation, mais débouchant sur l’action, la plus belle page nous est donnée dans l'admirable monologue où Sachs s'interroge sur le Wahn, ce mot qu'il est si difficile de traduire en français, à la fois rêve, chimère ou délire, illusion, voire folie ou aveuglement. Ce rien qui habite l'esprit de l'homme, qui suscite son imagination, mais qui est si prompt à exciter les passions, à provoquer les querelles, à transformer la plus paisible des villes en champ de bataille. C'est ce qui s'est produit la veille dans la rue. Que s'est-il donc passé, se demande Sachs. Et sa réponse est un vrai miracle poétique et musical, évocation d'une délicatesse extrême : un kobold malicieux? un ver luisant qui ne trouvait pas sa compagne, est-ce eux qui ont provoqué cette folie ? La douleur de Sachs, le renoncement de Sachs : Sachs a prêté aide à Walther et ce faisant il a travaillé contre lui-même. L'intrigue trouve là une nouvelle dimension. Sachs aurait pu concourir. Dans son désarroi, Eva l'a même souhaité. Mais Sachs a renoncé, il a fait taire son amour secret et s'est incliné devant la jeunesse de Walther. 10. La déclaration d'Eva, le baptême de la chanson, David devient compagnon 11. Le quintette du troisième acte "Selig, wie die Sonne" Ces personnages de dimension humaine, encore plus que les héros mythiques, ont une tendresse dont l’expression musicale est particulièrement émouvante. Un exemple : le quintette du 3e acte, où cinq personnages vont entrer en canon, les uns après les autres, à la suite d’Eva qui entonne cette sublime mélodie. Wagner avait banni les ensembles de son drame, au nom de la fluidité des dialogues, au nom de la vraisemblance, puisqu’au théâtre on ne fait pas parler plusieurs personnages en même temps. Et là, dérogation à ses principes, au nom de l’émotion qui saisit les cinq qui sont là, sur la scène, et qui l’un après l’autre entrent après Eva qui chante ce rêve d’une aurore, de Sachs qui avait caressé un rêve du soir, de Walther sûr de triompher, de David que son maître vient de proclamer compagnon, et de Magdalena qui se voit déjà unie à lui. 12. Danse des apprentis et entrée des maîtres-chanteurs 13. Le choral "Wach'auf, es nahet gen den Tag" 14. Beckmesser rate sa chanson "Heimlich mir graut" 15. L'air de Walther "Morgenlich leuchtend" 25 Lorsque Walther entonnera son chant du printemps au 1er acte, son style sera largement mélodique, d'un cantabile inépuisable, avec une fluidité des lignes, un jaillissement lyrique qui a quelque chose de communicatif, mais aussi d’échevelé et d'insaisissable. Inutile de souligner l’évidence : cette musique généreuse, gonflée de sève, où la voix est soulevée par l'orchestre, cette musique paraît bien plus jeune que la monodie archaïque, la coloratur mécanique et l'accompagnement rudimentaire des chants de Beckmesser. Pour caractériser le chant de Walther, Wagner écrit bien sûr de la musique wagnérienne ! Si l'on avait le temps de regarder les choses de plus près, on s’apercevrait que ce rêve devenu poème est une sorte de résumé de l'opéra tout entier, en étroite relation avec les divers plans de l’œuvre. Walther y évoque un jardin merveilleux, et l'Eve biblique au milieu de cet Eden ; puis, second couplet, sous un laurier, l'arbre des poètes, il voit la Muse du Parnasse; enfin, réunissant les deux images féminines, sa vision synthétise le Paradis et le Parnasse. On voit donc que Wagner combine l’intrigue amoureuse (l'Eve biblique est aussi Eva prix du concours, et la Muse qui se confond avec elle signifie que le poète est digne de l'amoureux) et le débat esthétique (la maîtrise, c'est la mise en forme de l'idée poétique), tout en faisant référence, dans cette alliance de la Bible et de l'Antiquité grecque, à la synthèse dont rêve la Renaissance humaniste. 16. La conclusion de Sachs et le choeur final 26 "Mein bestes Werk": comment est né l'opéra Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg Dans son autobiographie Mein Leben, Wagner raconte comment l'idée lui est venue d'écrire Les Maîtres-chanteurs. En 1845, il faisait une cure thermale à Marienbad et sa lecture était une histoire de la littérature allemande: Je m'étais formé une image particulièrement vive de Hans Sachs et des maîtres-chanteurs de Nuremberg. J'étais spécialement intrigué par la fonction du Marqueur et son rôle dans l'évaluation des chansons de maître. (...) Au cours d'une promenade, j'ai conçu une scène comique pendant laquelle le poète-artisan bien-aimé, en martelant sans répit sur son établi, rend la monnaie de sa pièce au Marqueur qui s'était illustré plus tôt, lors d'un concours de chant officiel, par ses critiques pédantes et fastidieuses, et lui donne une leçon. C'est aussi dans le même livre d'histoire littéraire allemande que Wagner va découvrir un poème écrit par le "vrai" Hans Sachs au sujet du réformateur allemand Martin Luther, qu'il avait intitulé Die Wittembergisch Nachtigall ("Le rossignol de Wittemberg"). Wagner a repris les premiers vers de ce poème dans le troisième acte de son opéra, quand la foule acclame Hans Sachs: "Wacht auf, es nahet gen den Tag; ich hör singen im grünen Hag ein wonningliche Nachtigall". Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg occupe une place centrale dans l'oeuvre de Wagner. Lui-même écrivait à un ami en la composant: "Die Meistersinger werden mein bestes Werk" ("Les Maîtres-chanteurs finira par être ma meilleure oeuvre."). C'est son opéra le plus long, pouvant durer jusqu'à cinq heures, et c'est son unique opéra comique. Entre la date de la complétion du premier manuscrit (16 juillet 1845) et la première représentation de l'oeuvre à Munich, le 21 juin 1868, vingt-trois années se sont écoulées. Ces vingt-trois années ont été les plus difficiles de la vie de Wagner: le divorce, l'amour impossible, l'exil et les difficultés financières ont pesé sur lui à tel point que sa deuxième femme, Cosima, disait que "quand les générations à venir chercheront un divertissement dans cette oeuvre unique, puissent-ils aussi avoir une pensée pour les larmes desquelles sont nées tant de sourires." Wagner disait que Les Maîtres-chanteurs, opéra comique, était destiné à enchaîner avec un opéra tragique, Tannhäuser. Tout comme les Athéniens de l'Antiquité faisaient suivre leurs tragédies par des pièces comiques et satyriques, Wagner voyait dans Les Maîtres-chanteurs la suite logique de Tannhäuser: le trait d'union entre les deux opéras étant qu'ils racontent tous deux l'histoire d'un concours de chant. 27 L'ART ET L'EMOTION Les artistes de l'époque romantique, comme Wagner, privilégiaient l'émotion sur la forme. Les musiciens, surtout, trouvaient encombrantes et dépassées les conventions du style héritées des musiciens de l'époque baroque et classique. Nombre d'entre eux, y compris le jeune Wagner, se rebellaient contre les genres comme l'opéra, avec les structures rigoureuses des arias, des choeurs, des duos, trios, récitatifs, etc. Fortement influencé par les idées du philosophe Arthur Schopenhauer, Wagner voyait dans l'art une manière d'échapper aux souffrances du monde, et comme la musique est la forme d'art la plus détachée des représentations du monde, car sa forme est essentiellement abstraite, elle doit nécessairement être le plus grand des arts. Seule la musique peut communiquer l'émotion sans recourir aux mots et aux images. Mais dans Les Maîtres-chanteurs, Wagner semble arriver à un compromis. Entre le vieil expert, Hans Sachs, qui travaille son art comme l'artisan qu'il est, privilégiant la technique et les formes, et le jeune Walther, plein de rêves et de sentiments, mais impatient devant les règles et les conventions, une tension est en jeu, où l'émotion et l'inspiration du jeune chevalier semblent gagner la partie, mais c'est Hans Sachs qui a le dernier mot: "Ne méprisez pas les vieux maîtres!". Wagner n'a-t-il pas, d'ailleurs, composé son opéra avec des airs en solo et des ensembles, dignes des plus grandes oeuvres classiques (comme le quintette du 3e acte CD PISTE 11)? 28 LA VOLONTÉ ET LA FOLIE: WAGNER et SCHOPENHAUER Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg a beau être une oeuvre comique, Wagner s'en sert également pour exprimer des idées sérieuses, également héritées de sa lecture de Schopenhauer, sur le besoin de se libérer de l'emprise de la Volonté. Ce que Schopenhauer appelle "volonté" est bien plus que le sens d'"exercice du libre arbitre" qu'on attribue habituellement à ce terme. C'est la "volonté de vivre" (Das Will zum Leben), pulsion du désir, notamment amoureux et sexuel: "L'inclination croissante de deux amoureux est en réalité déjà la volonté de vivre du nouvel individu qu'ils peuvent et veulent engendrer." (Arthur Schopenhauer, Métaphysique de l'amour, 1856). Dans les Maîtres-chanteurs, Wagner prête aussi à Hans Sachs des propos désabusés sur la folie, l'illusion, l'aveuglement (Wahn) CD PISTE 9. Une simple méprise sur l'identité (ne pas reconnaître quelqu'un est une forme d'aveuglement!), doublée de jalousie et d'emportement, déclenche une violence hors de proportions. C'est aussi un trait de la pensée de Schopenhauer qui démontre comment l'aveuglement de l'être humain l'amène à se comporter de façons carrément autodestructrice. In Flucht geschlagen Wähnt er zu jagen; Hört nicht sein eigen Schmerzgekreisch, Wenn er sich wühlt ins eig'ne Fleisch, Wähnt Lust sich zu erzeigen! Forcé à la fuite, Il s'imagine qu'il chasse: Il n'entend pas ses propres cris de douleur Quand il déchire ses propres chairs Et s'imagine qu'il se donne du plaisir! Pour se libérer de cet aveuglement, il faut donc se détacher de la "volonté". C'est ce que va faire Hans Sachs, qui repousse les avances (un peu opportunistes, il est vrai) de la jeune et belle Eva, qui pourrait être sa fille. Dans l'intervalle entre la fin du premier manuscrit (1845) et la reprise de son travail sur Les Maîtres-chanteurs, Wagner aura terminé une autre oeuvre où la "volonté" schopenhauerienne illustre bien son potentiel destructeur, Tristan und Isolde. Quand Hans Sachs renonce à l'amour d'Eva, il fait d'ailleurs une référence explicite à l'histoire de Tristan: "Mein Kind, von Tristan und Isolde kenn'ich ein traurig Stück. Hans Sachs war klug und wollte nichts von Herrn Markes Glück" ("Mon enfant, je connais la triste histoire de Tristan et Iseult. Hans Sachs est plus malin et voudrait s'épargner le bonheur du Roi Marc!"). Dans Les Maîtres-chanteurs, il y a un héros romantique, Walther von Stolzing, et un héros philosophique, Hans Sachs. Il est un héros dans le sens que Schopenhauer donnerait à ce terme: capable de renoncer à la force de la volonté dans son expression la plus puissante: l'amour sexuel. Sa sagesse et son expérience de la vie, ainsi qu'une certaine mélancolie, rappellent enfin ces mots de Schopenhauer 29 Nous nous représentons toujours un personnage noble comme empreint d'une certaine trace de tristesse silencieuse. (...) C'est l'effet de la conscience que l'on dérive de la connaissance de la futilité de toute entreprise humaine et de la souffrance inhérente à toute vie, et pas seulement la nôtre. A. Schopenhauer, Le Monde comme Volonté et Représentation 30 THEMES DE RECHERCHE, DISCUSSION OU REDACTION Les Maîtres-chanteurs, c'est l'histoire d'un concours de chant avec des gros enjeux. Est-ce qu'on peut faire une comparaison avec les concours de chant d'aujourd'hui, comme la Star Ac'? Comparez les règlements, le processus de sélection, la manière de juger les candidats gagnants. Quand on est inspiré par un amour sincère et authentique, on n'a pas besoin d'être un artiste chevronné pour produire une oeuvre d'art hors du commun. Êtes-vous d'accord? Wahn, Wahn, überall Wahn! chante Hans Sachs. La folie des êtres humains les conduit à des comportements absurdes, défiant la raison. Est-ce que cela vous fait penser à des situations sociales de votre quotidien, ou alors des situations de la politique dans le monde, où la violence des émotions peut conduire à des débordements disporportionnés? Pour Wagner, la musique est la forme d'art la plus abstraite, parce que détachée des représentations du monde, et meilleure manière d'exprimer des émotions pures. Pensez-vous que d'autres formes d'art que la musique peuvent aussi revendiquer cela? Y a-t-il un contexte historique à prendre en compte? P.ex. un peintre ou un sculpteur à l'époque de Wagner aurait-il pu revendiquer la même esthétique que le compositeur? Et qu'est-ce que l'art moderne a en commun avec les idées de Wagner? BONUS! FOR ENGLISH CLASS Le grand critique artistique et historien de l'art anglais, John Ruskin, se livrait en 1882, à une critique assez sauvage des Maîtres-chanteurs. Essayez de la traduire! Of all the bête, clumsy, blundering, boggling, baboon-blooded stuff I ever saw on a human stage, … and of all the affected, sapless, soulless, beginningless, endless, topless, bottomless, topsiturviest, tongs and boniest doggerel of sounds I ever endured the deadliness of, that eternity of nothing was the deadliest, so far as the sound went. I never was so relieved, so far as I can remember in my life, by the stopping of any sound – not excepting railway whistles – as I was by the cessation of the cobbler’s bellowing.” 31 CD d’accompagnement : liste du contenu 1. Ouverture et choral 2. David explique l'art du maître-chanteur à Walther. "Trotz grossem Fleiss" 3. Veit Pogner s'explique : "Nun hört, und versteht mich recht" 4. Premier air de Walther 5. Choeur des apprentis, David, Magdalena 6. Eva se fâche avec Hans Sachs "Ja, anderswo soll's ihm erblühn" 7. L'air du veilleur de nuit "Hört, ihr Leut, und lasst euch sagen" 8. La sérénade de Beckmesser et le réveil du voisinage 9. L'air de Hans Sachs "Wahn! Wahn! Überall Wahn!" 10. La déclaration d'Eva, le baptême de la chanson, David devient compagnon 11. Le quintette du troisième acte "Selig, wie die Sonne" 12. Danse des apprentis et entrée des maîtres-chanteurs 13. Le choral "Wach'auf, es nahet gen den Tag" 14. Beckmesser rate sa chanson "Heimlich mir graut" 15. L'air de Walther "Morgenlich leuchtend" 16. La conclusion de Sachs et le choeur final 32