A lire - Conseil Général de la Côte-d`Or

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A lire - Conseil Général de la Côte-d`Or
Journée départementale des assistant(s) maternel(s)
Samedi 19 novembre 2011
Conférence du 19 novembre 2011
par Danièle DELOUVIN,
psychologue clinicienne, A.NA.PSY.pe
« Je joue, tu joues, nous jouons ».
Journée départementale des assistant(e)s maternel(le)s de Côte d'Or
Introduction générale sur la thématique de la journée
Je trouve nécessaire de toujours situer nos propos et nos échanges dans le contexte de l'histoire et de
notre société, je voudrais donc dire brièvement en introduction 2 ou 3 choses que nous
développerons pour certaines par la suite.
Il y a toujours eu des jouets pour les enfants, des enfants qui jouent et des adultes aussi.
Le jeu n'a pas d'âge, il se confond avec l'origine même de l'humanité. En effet, des jouets (des
figurines en terre cuite...) ont été retrouvés dans des tombes d'enfants des temps préhistoriques.
Quant aux adultes, ils continuent à jouer aussi : jeux du cirque à l'époque romaine, jeux de joute au
moyen âge, et de nos jours lotos, carnavals, compétitions sportives enthousiasmant les foules avec
le désir de se mesurer et de gagner sur l'autre. Pouvoir encore jouer à l'âge adulte est bien le signe
de ce besoin du jeu qui persiste en tout humain.
Jouets et jeux sont les reflets d'une société :
Entre transmissions anciennes de traditions et notre société actuelle de consommation et de course à
la précocité, il y a une différence de taille ! Autrefois, le jeu se déployait plutôt dans l'espace de la
nature, voire de l'espace urbain, avec des jouets simples. L'enfant se socialisait à travers des
transmissions de valeurs, celles de devenir femme, mère,… pour une petite fille, avec la poupée
transmise de mère à fille ; celle de devenir homme, fort et valeureux au travail ... ou à la guerre...
pour le petit garçon, avec les petits soldats de plomb, les petites voitures. Aujourd'hui, il y a
pléthore de jouets, dans un système de consommation et de profit avant tout. Avec le risque de
pervertir l'objet même de jeu. On verra comment et pourquoi, notamment avec les émissions
télévisées pour les bébés et les jeux vidéo dès le plus jeune âge.
Le jeu, c'est sérieux...
Le jeu est à la fois source d'apprentissage et de découvertes, mais aussi constitution de la
personnalité, dans l'accès aux relations humaines et à la culture (au sens large, c'est à dire à
l'environnement familial, social etc.). On oublie souvent cet aspect en ne pensant qu'à l'objet jouet
comme un dérivatif, et non à la fonction du jeu lui même. C'est une différence subtile que je tenterai
de développer.
Jouer, c'est pour l'enfant utiliser la réalité extérieure en la teintant de sa réalité intérieure...
Jouer, c'est associer activité, pensée et émotions. Le jeu est une création personnelle,
inventive... libre !
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Samedi 19 novembre 2011
Le titre choisi pour cette journée qui nous rassemble aujourd'hui est évocateur de l'objectif de cette
journée..« Je joue, tu joues, nous jouons... » . Entre enfants et adultes, quels échanges? Quelles
vraies rencontres sur un terrain commun ? Quelle part d'enfance reste en nous adultes ? Qui ne se
souvient pas, parfois avec émotion de ses jeux d'enfance?
Comment laisser la place à ce plaisir à jouer si vital, sans le dévoyer à d'autres fins mercantiles ou
de supposés apprentissages précoces ?
Cette conférence initiale va planter le décor en quelque sorte, et servira d'appui aux échanges et
dans les ateliers qui vont se dérouler tout au long de la journée, où vous allez être sollicités de façon
active!
Qu'est ce que le jeu ?
Définition
Le jeu est une activité vitale, créative et inventive, essentielle et nécessaire à l'équilibre et au
développement global du jeune enfant.
Le jeu est spontané, il est la vie même, dans le plaisir qu'il procure pour soi et dans la relation à
l'autre. C'est une expression libre de l'enfant. Il y a de la « gratuité » dans le jeu, ça n'est pas
utilitaire, et pourtant ça apprend à vivre.
Le jeu est une activité intime, (avez-vous remarqué comment les enfants s'interrompent quand ils
sont surpris par un regard extérieur qui les observe de façon intrusive ?). Certains jouets ne se
partagent guère : la poupée chérie, la bille gagnée de haute lutte, le camion rouge, … et le doudou !
(Nous y reviendrons plus loin).
Le jeu témoigne de l’intelligence sensible de l'enfant, au sens de tout ce qu'il perçoit et ressent.
Jouer, c'est grandir…
Par le jeu, l'enfant aborde et découvre le monde, il éprouve le sentiment d'exister, d'être en
relation avec autrui, avec l'environnement... Il est pris dans un réseau social...
Priver l'enfant de jouer, c'est le priver du plaisir de vivre.
Un enfant atone, qui ne joue pas, dont le regard ne s'accroche sur rien est un enfant en souffrance
psychique, déprimé.
« C'est sur la base du jeu que s'édifie toute « l'existence expérentielle de l'Homme », nous dit
Winnicott. Autrement dit, l'enfant fait l'expérience de la vie par le jeu.
Le jeu est sans cesse nourri de la réalité que voit l'enfant. Avec ce qu'il a à sa disposition, l'enfant
construit son univers où n'entrent que les choses qui l'intéressent. C'est comme une réappropriation
de l'univers connu, au rythme de la croissance de chacun.
Un de ses premiers jeux, c'est de découvrir des parties de son corps : une main, des orteils qu'il rit
à faire bouger, puis le plaisir de sucer, mordiller un jouet dans sa bouche, qui lui rappelle le plaisir
de la tétée, puis cacher, puis jeter au loin un joujou... pour que quelqu'un le ramasse et lui tende à
nouveau… un reflet de lumière, un rideau qui bouge, un bourdonnement d'insecte le fascinent et le
font rire.
C'est aussi le jeu dans la rencontre avec l'autre, sa mère, son père, sa fratrie...Qui ne s'est pas ému
et réjoui de ces éclats de rire en réponse à des mimiques ? Jouer, grandir, c'est être pris dans un tissu
relationnel, culturel et social.
Les jouets, les jeux, se diversifient et se complexifient avec l'âge, (on va le développer plus loin), ils
deviennent le support de rites de passage, des étapes... maitrisés par l'enfant lui même, jusqu'au
moment où l'enfant va décider qu'il en a fini avec les jouets de son enfance et qu'il n'est plus un
enfant. Mais adulte, il gardera en lui cette mémoire des jeux de son enfance.
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A quoi jouent les enfants?
Il y a des « périodes sensibles » pour les jeux... Les enfants vont se passionner pendant un certain
temps pour certains jeux, à répétition, puis passer à autre chose ensuite, selon leur intérêt et leur
développement.
On peut dire que le jeu est en étroite relation avec la construction et l'expression du Je, parce
qu'il a une fonction organisatrice de la personnalité, dans l'accès au symbolique et au langage et
dans l'identité sexuée. Freud, Winnicott et Françoise Dolto ont beaucoup apporté dans la
compréhension de ces mécanismes psychiques complexes. Il est impossible de résumer en
quelques minutes tout leur travail, mais je vais vous donner quelques pistes, et vous comprendrez
mieux par la suite ce qu'est le « symbolique » dont je parle.
L'enfant est pris dans un « bain de langage » dès sa naissance, et même bien avant, dès sa
conception. Ses parents l'imaginent, parlent de lui et vont ensuite s'adresser à lui, lui parler, bien
avant qu'il ne parle à son tour.
Je vous ai dit précédemment comment l'enfant prend plaisir à jouer avec son corps. F. Dolto nous
dit comment les jeux de « areuh », les gazouillis dans son lit en attendant le biberon, sont des
ébauches de sons, de paroles entendues, que le bébé souhaite retrouver encore, et qu'il tente de
répéter, dans son désir profond de communiquer. Vous avez remarqué ces tout-petits bébés dont tout
le corps, tout le regard est tendu vers vous, en recherche de communication...
Et tous ces suçotements et mordillements de petits jouets en caoutchouc ou en tissu... c'est ce qui
lui fait retrouver le plaisir de la tétée...
Et quel plaisir à ces comptines, chansonnettes, jeux de doigts partagés avec un adulte attentionné
et aimant, où l'enfant entend une voix humaine connue, attendue !
Tous ces jeux sont de véritables échanges de corps à corps, « de cœur à cœur », de sens à sens, qui
éveillent l'enfant au monde sensible et au plaisir de la communication.
Vous connaissez aussi ce jeu de cache cache, universel chez les tout petits... Il a un sens : c'est en
fait une représentation de l'absence de l'être aimé, la mère, le père... En faisant rouler loin la bobine
(pour donner l'exemple relaté par Freud avec son petit fils), et en la ramenant vers lui ensuite, c'est
comme si l'enfant se donnait l'illusion de maitriser l'absence de l'autre: elle n'est plus là, je la fais
revenir... L'objet caché sous la serviette disparaît et hop ! Il est là à nouveau ! Ce qui ne se voit plus
revient. Ouf ! Je ne suis pas tout seul ! Cela rassure le bébé dans son sentiment de « continuité
d'existence ».
Souvent et très tôt, le bébé affectionne plus particulièrement un objet, le fameux « doudou » qu'il
ne veut plus quitter, surtout en cas d'absence de sa mère, de son parent. C'est Winnicott, un pédiatre
anglais du début du siècle, qui a formalisé ce concept, (complexe, qui ne se limite pas au
« doudou »), de « l'objet transitionnel », à partir de ses observations de bébés.
Le doudou, c'est un objet réconfort qu'il serre contre lui et qui lui donne l'illusion de la présence de
l'absent aimé. Là encore, quelle extraordinaire intelligence du tout petit qui fabrique en quelque
sorte un pont entre sa réalité interne et celle extérieure : celle de l'absence, la peur d'avoir perdu
ceux qu'il aime... En fait, le doudou ne protège pas les enfants de leurs émotions, mais les aide à les
vivre.
C'est une véritable création que fait là le bébé. Comment continuer à vivre, en gardant espoir que
tout n'est pas perdu ? Le manque, l'absence ne sont pas des trous noirs angoissants, mais ils peuvent
aussi fabriquer de « l'intérieur », c'est à dire de la pensée. Le doudou n'est pas quelque chose qui
vient obturer ou masquer l'absence, en fait, il la représente.
C'est aussi un jeu d'identification, c'est à dire que non seulement le doudou symbolise l'absence de
la mère, mais ce petit jouet choisi et intime de la petite enfance a la particularité de représenter à la
fois le parent et l'enfant : c'est un peu son parent absent, c'est aussi quelque chose de lui, bien
présent, qui existe...
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Plus tard, dans son développement, le tout petit va chercher de plus en plus à maitriser son espace
de liberté qui s'accroît avec la reptation, puis la station debout, puis la marche.
Puis à expérimenter le monde et sa complexité en explorant les formes, les couleurs, en déchirant,
griffonnant.
Puis autour de l' « avoir » et du « garder » (paniers et valises qu'il remplit et qu'il déambule avec
lui).
Puis dans les jeux de faire : construire, déconstruire, assembler des puzzles.
Puis encore dans les jeux de « dedans/dehors » (entrer et sortir de la petite cabane.. entrer et faire
ressortir les formes colorées dans une boîte à formes …) qui lui font prendre conscience des bords,
des limites...
Puis encore dans les jeux avec les matières, comme l'eau, la terre... Vous connaissez bien tout cela
dans votre expérience. Souvent les adultes n'aiment pas trop cela, car il se mouille ou se salit ! Mais
l'en empêcher sans cesse le prive d'expérimentations instructives !
Quand l'enfant est en sécurité, il est questionné par tout ce qu'il perçoit et qu'il essaie de prendre, de
morceler, de démonter.
Un bout de caillou, de ficelle, une fleur, une coccinelle et le voilà absorbé, captivé. C'est un
véritable petit « ingénieur » en herbe !
C'est l'âge du « touche à tout », où il ignore encore certains dangers (le feu par exemple qui peut le
fasciner)... Il faut être vigilant dans ces périodes, oui, mais en même temps quand des gestes
appropriés sont faits, quand des mots sont dits par des adultes vigilants, l'enfant apprend à mettre
en relation le fonctionnement des choses, à en comprendre certains risques, et surtout à se sentir en
sécurité si l'adulte est attentif à lui et à ses découvertes et conquêtes.
Alors un enfant est en capacité autonome de jouer seul aussi, hors du regard de l'adulte, créatif dans
son monde intime...
S'il peut parfois apparaître plus « passif », rêveur, en contemplation, cela ne veut pas dire qu'il ne
« fait » rien ou ne joue pas pour autant. Bien au contraire, ce sont souvent des enfants très
observateurs, curieux, intelligents sensibles, qui cherchent à comprendre le monde. Rêver, c'est être
« en vacance d'esprit ». Cela a un effet pacificateur. « Pouvoir être seul avec soi même », pour
paraphraser Montaigne, est une qualité qui se perd aujourd'hui dans ce monde où le moindre
moment doit être rempli, productif ! Laissons aussi rêver les enfants, ils ne seront pas pour
autant en dehors de la réalité !
Car la vie imaginaire est essentielle et … productive! L'enfant donne du sens à son jeu, même si
parfois on ne comprend pas ce à quoi il joue... (c’est d'ailleurs son jeu, et l'adulte n'a pas à y faire
intrusion). C'est parce que la vie imaginaire est riche que l'accès au symbolique, c'est-à-dire au
langage parlé, aux jeux d'imitation etc. en découle... Par exemple, l'imitation de situations,
l'invention d'histoires... « On dirait que tu serais le papa et moi la maman », les jeux de la maîtresse,
les jeux du docteur... sont autant d'occasions d'expérimenter le monde, ses différences.
Dans le jeu, l'enfant peut aussi jouer des évènements de sa vie qui le dérangent ou l'inquiètent (une
opération à venir, ou subie, la naissance d'un petit frère ou d’une petite sœur...). Cela peut avoir des
effets « catharsiques » pour lui, dans le sens où il peut y jouer ses émotions, ses colères... Qui n'a
pas été témoin de ces gestes rageurs qui tapent sur la poupée ou l’envoient valdinguer à l'autre bout
de la pièce ? Là encore, ce serait intrusif ou inopportun d'intervenir, l'enfant a besoin de ces
expressions là.
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Y a t-il des jeux spécifiques garçons filles ?
C'est en grandissant, à partir de 2 ans et demi / 3 ans, que les enfants découvrent vraiment leurs
caractéristiques de garçons et filles, et peuvent se nommer garçon, fille...
On a vu que le jeu participe à la construction de soi. L'enfant construit son identité, et c'est une
identité sexuée, c'est à dire de garçon ou de fille. Le jeu a une importance dans l'élaboration du Moigarçon, ou du Moi-fille.
Les études menées dans ce domaine montrent qu'une nette différenciation apparaît dans le
comportement ludique des garçons et des filles dès 6 ans, et progressivement dès 3 ans.
En fait généralement, (quand sont mis à sa disposition toutes sortes de jeux, sans commentaires
visant à l'influencer), l'enfant choisit des jouets en fonction de son sexe : chez les filles, poupées,
landaus, sacs à main... chez les garçons, voitures, trains, garages... Il y a aussi des jouets « neutres »
(cubes, animaux, fermes, téléphones) avec lesquels jouent filles et garçons.
Ces choix sont-ils conditionnés ? En fait, en partie seulement... Les enfants voient les activités
réalisées par les femmes, différentes de celles des hommes. Ils subissent en quelque sorte une
norme et une pression sociale, et parallèlement utilisent ce matériel et ces stéréotypes pour élaborer
et affermir l'image qu'ils ont d'eux, comme fille, comme garçon : future femme, futur homme. En
fait ce n'est pas du conditionnement passif, l'enfant construit activement sa propre identité et ses
propres rôles pour grandir, être perçu en train de grandir.
Le monde des jeux et des jouets pour les enfants est-il « sexiste » (c'est à dire qui affirmerait une
infériorité de la petite fille et la supériorité du petit garçon) ? Si sexisme il y a, c'est dans le
comportement et l'attitude de l'adulte qu'on le trouvera, qui se moque d'un garçon qui joue à la
poupée par exemple... ou qui reproche à une fille d'être un « garçon manqué »...
En fait si le goût des enfants varie en fonction du sexe, toutes les petites filles ont à certains
moments besoin d'un train, d'un marteau, et les petits garçons doivent pouvoir pouponner, préparer
et servir un repas imaginaire... Cela doit pouvoir être toléré et compris par les adultes.
Et puis n'oublions pas de mentionner l'importance d'autres jeux d'enfants, partagés, ceux où il y a le
plaisir de pouvoir entendre raconter, puis lire, les contes, les histoires colorées, après en avoir déjà
eu un avant goût tout petit en feuilletant les petits livres en tissu si doux à sucer et intéressants à
manier ! Ce sont des moments essentiels, fondateurs de cet accès au symbolique dont nous avons
parlé, par le langage et l'écrit, l'enfant continue à imaginer, fantasmer, inventer, mais en apprenant à
différencier fiction et réalité (tout le contraire avec certaines émissions TV ou jeux vidéos).
C'est à l’époque de l'entrée à l'école primaire, vers 6/7 ans, pas avant, que l'enfant élargit encore son
monde relationnel avec l'intérêt pour des jeux plus collectifs, avec des règles précises. Cela dénote
sa capacité à se situer dans un groupe.
Jouer, c'est apprendre à vivre, aussi bien seul qu'avec les autres, en échangeant ses jouets, mais
attention, jamais sa poupée ou son nounours bien vieux pourtant ! Ils sont synonymes des premières
amours et identifications enfantines et ne doivent jamais être détruits par d'autres que l'enfant lui
même, s'il le souhaite ou devenu grand.
Il y a aussi les jeux avec les copains, avec des petits riens, des morceaux de ficelle et de bâtons pour
se construire une cabane au fond du jardin, partir sur un radeau ou un bateau de corsaire au bout du
monde, magnifiques terres d'aventure ! Mais combien encore possibles ou permis dans nos univers
bétonnés des villes ?
Sont-ils pour autant des jeux dangereux ? Non, quand les enfants ont été suffisamment en sécurité
affective, les risques pris sont minorés, et même si de petits accidents peuvent arriver, c'est aussi
une excellente préparation à la vie, à ses codes et lois.
Le plus dangereux, c'est quand les enfants confondent imaginaire et réalité, faute d'accès suffisant à
ce qui fait le symbolique, c'est à dire l'accès au langage et à la réflexion, quand par exemple à
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vouloir imiter Batman qui s'envole au dessus des maisons, vu à la télé tout seul sans adulte pour en
parler, ils tentent, sans discernement, le saut du 3ème étage de l'appartement !
Il faut souvent changer de jeux pour devenir astucieux, créatif, inventif !
Vive les ludothèques et les espaces de jeux! Des espaces de liberté! (Vous retrouverez des
ludothécaires cette après-midi).
Les ludothèques peuvent répondre à ce besoin de diversité, autre qu'une accumulation de jouets qui
remplissent parfois les placards des chambres!
Il paraît qu'une des premières ludothèques de France a été créée à Dijon en 1967 !
Les objectifs des ludothèques sont de favoriser le jeu et lui rendre son importance et sa « gratuité »,
combattre aussi les inégalités sociales en matière d'accès aux jeux, aider l'enfant consommateur à
des choix personnels, favoriser les échanges et les rencontres inter-générationnelles par
l'intermédiaire du jeu... autant de possibilités de découvertes, de plaisir partagé, d'expérience
culturelle novatrice, d'expression de soi et d'apprentissage au respect d'autrui... Les jouets dans ce
cadre non mercantile peuvent être de formidables médiateurs pour que se dise le bonheur, ou le
malheur parfois, de vivre!
Des liens se raffermissent: des parents découvrent leur enfant sous un autre jour et des enfants
découvrent le plaisir à voir que ça intéresse le parent!
Jeu et jouet
Le jouet devient hélas de plus en plus un objet industriel, produit d'un système commercial dont le
but est le profit. Notre société s'appuie sur l'exaltation du « nouveau », de la « performance », de
« la mode », rompant avec les savoirs traditionnels répétés et transmis autrefois. Autrefois, un bébé
avait quelque hochet, et joujoux traditionnels transmis de génération en génération. Aujourd'hui, il
a pléthore de jouets!
L'enfant est introduit le plus souvent en premier lieu par sa famille dans la sphère de consommation
de jouets. C'est ainsi que sont intégrés des modèles quantitatifs et qualitatifs et un style de
consommation. Quand un adulte achète un jouet pour l'enfant, c'est pour témoigner de sa présence,
de son amour, mais aussi, souvent à son insu, en souvenir de son enfance à lui, de ce qu'il a aimé, de
ce qu'il a rêvé et n'a jamais eu... Quand des jeux sont achetés, ce n'est pas forcément en lien avec un
désir de l'enfant, mais souvent avec le propre désir de l'adulte. Faire un cadeau fait souvent plaisir à
celui qui l'offre ! Ce faisant, l'enfant apprend à devenir « consommateur » de jouets, et à se repérer
bien vite dans un système de consommation, et à devenir lui même, quand il est plus grand,
prescripteur de listes! Qui n'a pas vu ces parents, « liste du Père Noël » en mains dans les
supermarchés dégorgeant de montagnes de jouets, qui proposent presque exclusivement des jeux
guerriers aux garçons et des jeux plus domestiques aux filles, la sphère « productive » pour les
garçons, la sphère « reproductive » pour les filles ! On est bien là dans les normes sociales !
Il y a aujourd'hui de nombreux « jouets du premier âge », des « jeux d'éveil », des jeux « de
développement », des jeux « éducatifs »... Est ce pour autant le signe de l'intérêt porté au jeune
enfant ? N'est ce pas plus prosaïquement aussi le fruit des intérêts mercantiles !
J'aime à citer cette phrase de Jean Epstein : « L'enfant ne joue pas pour apprendre, mais apprend
quand il joue ». Dans ce monde où sont prônés stimulations, rapidité, compétition et réussite, les
« jeux éducatifs » ou d' « apprentissage précoce » ont le vent en poupe. En quoi les jeux « pour
apprendre » rendraient ils plus intelligents les enfants ? Ainsi des jeux sophistiqués, compliqués,
formatés... Tous ces jeux qui clignotent, tournent tout seuls, ces poupées à la voix mécanique, ces
robots rutilants qui se détraquent tout aussitôt? Ils surstimulent, ils envahissent, ils débordent, ils
excitent... Mais est-ce que ce sont ces jouets avec lesquels l'enfant va le mieux jouer ? Le plus
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souvent, l'enfant les regarde, sans pouvoir réellement jouer avec, il finit même par les casser, par
dépit ou signe du désintérêt produit. L'enfant n'a plus la liberté de créer son propre jeu.
Il est faux de croire que le jouet seul est à l'origine du jeu, qu'il le détermine. Il peut tout au plus
avoir un rôle de stimulant, mais dans une faible mesure.
Des enfants qui ne savent pas jouer tout seuls, qui sont « collés » aux adultes, qui réclament sans
cesse, tournent en rond, sont bien souvent des enfants qui ont été surprotégés, entravés dans leurs
découvertes spontanées.
Mais la plupart du temps, l'enfant aime jouer, et il n'aime pas être dérangé dans son jeu, il est même
parfois difficile de le faire s'arrêter (j’ai pas fini mon jeu !) quand il faut sortir, s'habiller par
exemple. Dans ces cas là le mieux est de le prévenir à l'avance: nous allons partir bientôt, tu vas
pouvoir finir ton jeu... C'est plus gérable que d'intervenir « sans sommations » !
Lorsqu'on est convaincu du lien entre jeu et développement, jeu et apprentissage des choses de la
vie, on peut faire confiance à la capacité de l'enfant de progresser à son rythme, au fil de ses
découvertes et des difficultés rencontrées, en lien avec des adultes bienveillants. Il faut arrêter cette
course effrénée et dangereuse à la précocité et au forçage des enfants ! Le temps de l'enfance ne se
compresse pas !
J'insiste là dessus, car je suis inquiète du changement des regards portés sur les enfants aujourd'hui,
propulsés en avant, sommés d'être de plus en plus performants, et soumis à des évaluations
forcenées et précoces qui font plus de mal que de bien ! Ca dérape vraiment ! (Notre Association,
l'ANAPSYpe, organise d'ailleurs un colloque sur ce thème : « Y a t-il encore une petite enfance ? A
corps et à cœur ») en mars 2012.)
Je voudrais à présent aborder la question de ces jeux vidéo où se jouent compétitions draconiennes
et guerrières, où sont mis en valeur la puissance, la domination... et certainement pas la solidarité ou
la seule habileté. Toute cette violence sensorielle entraîne l'enfant dans un tourbillon de formes, de
mouvements, un univers instable qui le déborde. La plupart des séries TV plongent l'enfant dans un
monde où tout serait possible, sans loi, sans société, sans adultes, sans famille... On s'étonne alors
qu'ils soient souvent si excités !
C'est le nouveau règne du marketing et du profit. Ces formes nouvelles de jeu préparent en fait les
enfants à leur vie d'adulte future : consommateurs formatés et jamais rassasiés dont la société
marchande a besoin pour pouvoir perpétuer ses profits !
Rares sont les émissions respectueuses des enfants et de leurs besoins.
De plus, l'absorption massive de ces images est néfaste, surtout par de très jeunes enfants qui n'ont
pas la capacité de « transformer » ce qu'ils absorbent comme des éponges, sans en comprendre le
sens, ou pour les plus grands dans la solitude le plus souvent ( l'enfant face à son écran pendant des
heures)... La « télé pour les bébés » est une arnaque commerciale et risque de devenir une « télé
baby-sitter » où les enfants se tiennent tranquilles, subjugués par des images censées leur convenir.
Il y a un temps pour tout.
Alors revenons à l'essentiel ! Ne reléguons pas aux oubliettes ces livres racontés ou lus aux
enfants...
Tous ces petits bouts de rien, chiffonnés et crasseux ne font-ils pas le plus souvent le bonheur de
l'enfant ? Ils restent en tout cas souvent gravés avec nostalgie dans les mémoires adultes...
L'enfant pour être acteur de son jeu doit rester libre d'en faire ce qu'il veut. Si le jeu est l'expression
d'une liberté, le rôle de l'adulte est de veiller à ce que l'enfant ne soit pas débordé par des trop plein
d'émotions ou d'excitations qu'il ne pourrait plus maîtriser.
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Jouets d'enfants, jeux d'adultes... Quels partages entre enfants et adultes ?
Le jeu prend place au sein d'interactions et de relations entre l'enfant et son entourage.
L'enfant jubile à découvrir, et il met du désordre fatalement ! C'est l'apanage de l'enfance ! C'est à
partir du désordre que l'enfant peut ordonner le monde... Alors pas de précipitation ! Ranger ? Oui,
bien sûr, c'est nécessaire quand on ne peut plus poser le pied par terre ! Mais pourquoi tout mettre à
disposition en même temps ?
Pour pouvoir jouer, l'enfant doit se sentir dans une sécurité affective suffisante. Ce n'est pas en
intervenant directement dans le jeu de l'enfant ou en voulant le « faire jouer », qu'on lui permettra
d'être créatif et de grandir. C'est ainsi que tout petit, l'enfant a surtout besoin d'une attention et
d'une présence qui lui permet d'entrer en relation avec autrui, et de jouer, d'échanger alors avec
l'autre.
Il y a moins besoin de diriger les enfants que de les laisser choisir et les accompagner, les suivre
dans leur quête de l'aventure, leur appétit pour le nouveau, leur curiosité... éveillés par les intérêts
des autres. Le jeu d'un enfant est d'autant plus riche et abondant que l'adulte est persuadé de sa
valeur, s'y intéresse et sait le rendre possible.
Il peut y avoir un plaisir complice et partagé entre enfant et adulte, dans tous ces jeux de chatouillis
et coucou si prisés et attendus des enfants dans la jubilation, mais qui n'ont qu'un temps. Il peut y
avoir aussi plus tard, à l'occasion de soirées familiales communes aux enfants et aux adultes, plaisir
à jouer ensemble dans un jeu de société, où les règles sont partagées et acceptées. Autre façon
d'apprendre aussi à vivre en société. Dans ce cas, il y a partage authentique, consenti de part et
d'autre, non imposé.
Ainsi, la place de l'adulte est plutôt de créer les conditions optimales pour permettre aux enfants de
jouer, sans intrusion intempestive. Savoir donner, reprendre, redonner... soutenus par des regards,
des mots, des encouragements.
Accepter d'être dans une attitude de respect vis à vis de l'enfant qui joue, ne pas être dans une
transmission de savoirs, ne pas faire du jeu un prétexte pour lui enseigner des choses, même avec
enrobage ludique ! Car en fin de compte l'enfant resterait dans ces cas là sous la dépendance et la
domination des adultes, c'est une perversion du sens du jeu (qui est créatif et libre avant tout,
répétons le !).
Je conclurai en disant combien il est difficile souvent de résister à ce monde de marketing miroitant
et factice !
A moins d'être conscient de nos responsabilités d'adultes et de ne pas avoir oublié que nous avons
été des enfants aussi !
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