Projection du COR et discours gouvernemental - FSU
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Projection du COR et discours gouvernemental - FSU
Lire les projections du COR à travers le discours gouvernemental et médiatique Daniel Rallet 18 avril 2010 Dans ce texte j’aborde les projections du COR sous l’angle du discours politique qui légitime une nouvelle attaque contre les régimes de retraites. Cette attaque fait partie d’une politique plus générale qui prenant en compte le fait nouveau qu’une crise majeure est survenue fait le pari qu’on peut y faire face en amplifiant les processus économiques et sociaux qui de notre avis sont responsables de cette crise. On peut y voir la trace d’un aveuglement idéologique de ceux qui à force de s’enfermer dans leur doctrine sont devenus incapables d’y échapper, on peut aussi pointer les transformations sociales liées à une longue période de domination néo-libérale ayant créé des positions acquises qui s’estimeraient menacées par un changement de politique, fut-il mené au nom d’un projet éclairé de sauvegarde des dominants (pour parler comme Bourdieu). Toujours est-il que la publication du rapport du COR a été l’occasion d’un déchaînement médiatique et politique visant à assommer l’opinion et à répandre le catastrophisme pour imposer les « solutions » des doctrinaires. Ce qui frappe, c’est le silence imposé aux voix qui modestement osaient contester les vertus du catastrophisme ou émettre quelques doutes sur la possibilité de modifier des comportements sociaux à coup de sanctions financières. La question sociale disparaît sous l’avalanche de chiffres, les choix de société s’effacent sous l’empire de la nécessité. Cette préparation du terrain à l’artillerie lourde n’est pas contradictoire avec des stratégies plus fines tenant compte du rapport de forces, instrumentant les divergences syndicales et ranimant les divisions (public/privé, entre générations…) dont ils pensent qu’elles ont fait recette jusqu’ici. En même temps, ils savent qu’ils marchent sur des œufs et la position politique de l’équipe au pouvoir est sans doute plus fragile qu’en 2003. Les considérations politiques autour de ce qui est présenté comme l’enjeu de la fin de mandat joueront un rôle plus déterminant et varieront avec le rapport de forces. Besoins de financement : la valse des milliards Gouffre abyssal, catastrophe financière, déficits cumulés de 2600 milliards d’euros, le déchaînement médiatique a été d’une rare violence. L’objectif est d’assommer l’opinion pour que le débat n’ait pas lieu, les déficits imposant leur pesante loi aux citoyens accablés par la valse des milliards. Qu’il y a-t-il à réfléchir ? Rien puisqu’il n’y a plus que la loi de l’évidence : augmenter la durée d’activité, retarder l’âge de départ dans une proportion que personne n’imaginait il y a seulement six mois et les années en plus valsent tout autant que les milliards en moins. La manipulation ne se cache même plus. On accumule les déficits jusqu’en 2050 (et pourquoi pas jusqu’en 2100 ?) pour qu’y ait plus de milliards et effrayer davantage, on confond délibérément les euros de 2010 et ceux de 2050, ce qui montre le peu de compétence de beaucoup de journalistes et la mauvaise foi du ministre en charge. Quand Eric Woerth dit qu’il est impossible de financer par l’impôt 100 milliards de déficit en 2050 car par exemple il faudrait doubler l’impôt sur le revenu et l’IS qui ne rapportent que 50 milliards chacun, il fait délibérément une grossière erreur en « oubliant » que les 100 milliards de 2010 vaudront près de 250 milliards en 2050 si la part de ces deux impôts dans le PIB reste stable (avec une croissance du PIB de 1,8 %/an). Faire valser les milliards quand il s’agit d’euros qui n’ont pas la même valeur c’est bien pour effrayer le bon peuple, mais cela ne doit pas dispenser de raisonner en % de PIB quand on parle de projections financières. Le rapport du COR montre que par rapport aux projections antérieures, les besoins de financement augmentent du fait de la crise : il faut de 1,7 à 2,1 points de PIB pour équilibrer les régimes en 2020 ( 1 point dans les projections de 2007) et de 1,7 à 3 points en 2050. Trois scénarios ont été retenus : un scénario A qualifié d’optimiste avec un plein emploi (4,5 % de chômeurs) qui revient en 2024 avec une croissance de 1,8 % en longue période (moyenne des 20 dernières années), un scénario C dit pessimiste (7 % de chômeurs et une croissance de 1,5 % en longue période) et un scénario B intermédiaire. Les déficits se creusent essentiellement au cours des années 2010, et ne s’aggravent ensuite que dans les scénarios les plus défavorables (B et C). Ils n’existent que parce que les cotisations sont bloquées à leur niveau de 2010 (12,7 % du PIB). Si on veut revenir en outre sur les régressions antérieures de 1993 et 2003, il faut sans doute l’équivalent en termes de financement supplémentaire. On retrouve grosso modo la projection faite en 2001 par le COR qui montrait qu’il fallait un peu près 4 à 5 points de PIB en plus pour maintenir les taux de remplacement d’avant les réformes. L’accroissement du financement des retraites est à la portée d’une société dont la richesse est censée doubler en 40 ans d’après ces projections. On demande souvent si c’est possible. Mais la première question à se poser est de savoir si c’est souhaitable. Car déclarer que ce n’est pas possible, c’est organiser la paupérisation des retraités comme le fait le gouvernement en décrétant le blocage des financements (pour faire bonne mesure, dans ces projections, le financement dans la fonction publique est supposé bloqué à son niveau de 2000 dans ces projections). « Nous excluons la baisse du niveau des pensions » : un mensonge d’Etat Enfin un tabou exprimé par le gouvernement, car pour tout le reste, « il ne faut pas avoir de tabou dans ce type de sujet", selon Eric Woerth. Pourtant toutes les projections indiquent une baisse du taux de remplacement en rapport avec les réformes de 1993 et 2003. Dans le récit gouvernemental et médiatique, la France est présentée comme le pays perpétuellement en retard d’une réforme, qui par manque de courage recule devant l’inéluctable auquel se sont déjà résolus avec intelligence et dans le consensus les autres pays. Pourtant, la France a déjà fait une réforme des retraites dont l’impact à terme sur le niveau des pensions est similaire à celui des réformes entreprises dans d’autres pays européens, à savoir une baisse du taux de remplacement entre 20 et 25 %. Prétendre que la baisse du niveau des pensions est exclue est donc un gros mensonge d’Etat révélateur de ce qui n’est pas assumé politiquement par ceux qui savent que la société rejette cette perspective. Pourtant, l’appauvrissement des retraités est en marche comme un dispositif silencieux mais pourtant bien connu du public, qui détruit la confiance dans les régimes par répartition. La baisse du niveau des pensions est mise en œuvre par des dispositifs variés, dont certains sont occultés (comme l’impact à long terme de l’indexation des pensions liquidées sur les prix) ou qui sont propres au secteur privé, notamment le calcul du salaire de référence sur les 25 meilleures années (dont l’ « efficacité » est assurée par l’indexation des salaires portés au compte sur les prix) et la baisse désastreuse du rendement du point dans les régimes complémentaires (selon les projections du COR le passage à un mode de calcul moins défavorable de la valeur d’achat et de service du point1 augmenterait le déficit tous régimes en 2050 de 70 % !) Ces éléments peu sensibles à la question de la durée d’activité sont à prendre en compte pour réaliser l’unité public/privé dans les mobilisations. Ceci étant dit, il n’en reste pas moins que c’est l’allongement de la durée de cotisation qui retient l’attention dans l’explication de la baisse attendue des taux de remplacement. Car il ne s’agit pas seulement de mécanismes concrets assurant cette évolution, il s’agit surtout de la pièce centrale du discours symbolique qui justifie les réformes : « puisqu’on vit plus longtemps, nous devons travailler plus longtemps ». Ce discours très normatif s’oppose aux évolutions sociales. On observe que pour la génération 1970, la durée de vie professionnelle prévue est de l’ordre de trente-cinq ans (37 pour les hommes et 33 pour les femmes). Même si cela ne correspond pas exactement à la durée validée dans les régimes de retraite, cela donne une idée de la norme sociale d’emploi au cours d’une carrière. On est très loin de la durée requise pour un taux plein aujourd’hui (41 ans en 2012) et encore plus loin des délires qui projettent 42, 45 ans de cotisations. Cette distance entre la norme sociale qui est le produit de tendances lourdes et la norme administrative fixée pour les régimes de retraites est un facteur déterminant de l’évolution des pensions. Il est donc clair que c’est la baisse du niveau des pensions qui est visée à travers l’allongement de la durée d’activité. L’examen des projections 2010 du COR confirme que même en faisant l’hypothèse d’une incidence forte de l’allongement de la durée de cotisation sur les comportements de départ en retraite, on reste loin des durées requises pour le taux plein. D’ici 2020, la durée d’assurance validée (tous régimes) devrait passer de 150 à 155 trimestres (par rapport aux 167 requis pour le taux plein), hausse uniquement due aux femmes (de 145 à 155 trimestres), la durée validée par les hommes restant stable à 155 trimestres. Ensuite, les durées validées baisseraient jusqu’à 147 trimestres pour les hommes et 149 pour les femmes en 2035, notamment du fait d’entrées plus tardives sur le marché du travail, pour se stabiliser jusqu’en 2050. En clair, le « travailler plus longtemps » est contredit par ces projections qui nous disent qu’en 2050 les carrières seront plus courtes qu’aujourd’hui ! 1 La valeur d’achat est aujourd’hui indexée sur les salaires et la valeur de service sur les prix. Les salaires augmentant plus vite que les prix, les salariés achètent des points qui rapportent de moins en moins en termes de retraite. Le COR a testé un autre dispositif où les deux valeurs sont indexées sur les prix. Dans ce cas, le déficit en 2050 de l’ensemble des régimes de retraite (pas que le privé) passe de 1 à 1,7 % du PIB. Il faudrait connaître le détail de ces projections pour en discuter la validité. Il faut en effet faire des hypothèses sur l’âge d’entrée sur le marché du travail. On sait que l’entrée dans la vie professionnelle stable (4 trimestres cotisés) a augmenté de 2 ans entre les générations 1950 et 1970 (22,5 ans pour celle-ci). L’allongement des études et les difficultés d’insertion dans l’emploi expliquent cette évolution qui est déjà inscrite dans les retraites du futur. Pour la génération de 1974, dès l’âge de 30 ans (quoiqu’il arrive ensuite), 75 % des hommes et 80 % des femmes étaient certains de ne pas atteindre la durée requise pour le taux plein (40 ans dans cette étude de la DREES de mai 2009, pour 41 ans- taux prévu pour cette génération- les proportions sont encore plus élevées). Le retour aux 37,5 permettrait à 60 % (seulement) de cette génération d’atteindre le taux plein. Ces projections intègrent mal ou pas du tout un autre impact redoutable, celui du chômage, de la précarité, du temps partiel. On raisonne trop souvent avec des carrières complètes qui sont devenues minoritaires dans le salariat. Il est clair que les jeunes générations sont les principales victimes de réformes dont le principe affiché était de « sauver les retraites par répartition pour les générations futures ». Du « travailler plus longtemps » au « travailler plus tard » Le « travailler plus longtemps » apparaissant peu crédible, le gouvernement s’est emparé du constat de l’entrée plus tardive dans la vie professionnelle pour dire : il faut travailler à un âge plus avancé. Ce nouvel argument a été pensé comme imparable puisqu’il affiche un souci de justice : les cadres qui ont fait des études longues et font un travail moins pénible doivent partir après les travailleurs manuels qui ont des carrières longues et une espérance de vie plus courte. S’agissant du régime général, où la part des moins qualifiés est plus élevée, ce raisonnement a aujourd’hui sa validité. C’est d’ailleurs ce qui a justifié la possibilité de retraite anticipée pour carrières longues prévue par la loi de 2003 et dont on vient de fermer l’accès après avoir constaté que ces salariés partaient en courant. Encore aujourd’hui (2009), les durées validées dans le secteur privé restent importantes puisqu’en 2009 60 % des salariés partant à 60 ans et avant disposaient d’au moins 42 annuités, ce qui fait d’ailleurs dire à certains experts gouvernementaux qu’un nouvel allongement de la durée de cotisation aurait un faible impact dans l’immédiat sur les comportements de départ dans le secteur privé. Cependant l’argument qui consiste à dire qu’il faut travailler plus tardivement plus sauver sa retraite va devenir de plus en plus discutable. En effet, les projections 2010 du COR montrent que même un décalage significatif de l’âge effectif moyen de départ à la retraite2 n’empêchera pas une baisse du taux de remplacement (mesuré par le rapport entre la pension moyenne et le revenu moyen des actifs). 22 Il s’agit de l’âge de liquidation de la retraite et non de l’âge effectif de cessation d’activité. Comme la projection du COR ne prévoit le retour du plein emploi au mieux qu’en 2024 et que déjà aujourd’hui 60 % des salariés de 60 ans qui liquident leur retraite ne sont plus en emploi, ce décalage sera supporté soit par le système d’indemnisation du chômage, soit par les salariés eux-mêmes. A l’horizon 2020 un décalage d’un an, qui représenterait déjà une évolution importante au vu de la stabilité de cet âge effectif de départ depuis 2000 à la CNAV (hors départs anticipés pour carrière longue)3, se traduirait par une baisse du taux de remplacement de 22 % si aucune autre mesure n’était prise et de 6,2 % si le taux de prélèvement augmentait de 3,8 points.. Il faudrait que l’âge effectif de départ augmente de 5 ans pour que le gouvernement tienne son engagement de ne pas baisser le niveau des pensions et de ne pas augmenter les prélèvements ! A l’horizon 2030, un décalage d’un an et demi sans augmentation du taux de prélèvement provoquerait une baisse de 30 % du taux de remplacement et ne maintiendrait celui-ci que dans l’hypothèse d’une hausse du taux de prélèvement de 4,3 points. Si le levier du décalage d’âge était utilisé seul, il faudrait reporter celui-ci de 7 ans pour maintenir le taux de remplacement. On voit bien que le discours sur l’usage du seul levier du décalage d’âge n’est pas tenable et qu’il faudra au gouvernement l’habiller d’un minimum de hausse des prélèvements pour pouvoir espérer continuer à masquer la véritable politique en œuvre, la baisse du niveau des pensions. S’agissant maintenant de l’argument de justice invoqué pour justifier des départs plus tardifs pour des entrées plus tardives dans l’activité, il est vrai aujourd’hui et sera complètement faux demain, or si on a bien compris les réformes sont faites pour l’avenir. En effet, la baisse d’emploi avant 30 ans concerne aujourd’hui plus particulièrement les moins qualifiés (diminution de 3 ans de la durée d’emploi à 30 ans entre les générations 1934-1943 et 19641973). Les moins qualifiés comme les diplômés ont connu une durée de scolarité croissante au fil des générations (âge moyen de fin d’étude à 17 ans pour les générations des années 40 et plus de 21 ans pour les générations nées dans les années 80), mais leurs difficultés d’insertion dans l’emploi stable sont très importantes. Si on fait l’hypothèse qu’après l’âge 30 ans, la précarité et le temps partiel vont perdurer, il est clair que ce sont les salariés (souvent au féminin) aux carrières courtes et/ou instables qui vont payer le prix principal des réformes visant à allonger la durée de cotisation. C’est d’ailleurs déjà le cas, mais ce phénomène va s’amplifier avec l’arrivée à l’âge de la retraite de générations qui ont connu la forte dégradation du marché du travail à partir du début des années 80. Les retraites, illustration emblématique du slogan « ils veulent nous faire payer leur crise » Le rapport du COR établit que l’accroissement à venir des déficits est du à la crise. Ce n’est pas original, ce qui l’est plus c’est l’instrumentalisation par le gouvernement des déficits publics : alors qu’il était reconnu que les responsabilités de la crise se trouvaient dans la sphère privée et l’accumulation de ses dettes, voici que cette responsabilité est maintenant transférée sur les dépenses publiques ! La dette publique est déclarée ennemi public numéro 1 et la réduction des dépenses publiques est présentée comme une nécessité devant accompagner la sortie de crise. Le discours sur le rôle des dépenses publiques comme amortisseur économique et facteur de cohésion sociale, sur les vertus du « modèle social français » s’est effacé au profit d’un cri dont on 3 l’âge moyen de départ dans le privé est passé de 61,5 ans en 2001 à 60,5 ans en 2008 en raison du dispositif de départs anticipés pour carrières longues puis est remonté à 61,1 ans en 2009 en raison de l’extinction de ce dispositif. perçoit l’intense impatience : vivement le retour aux fondamentaux, la dépense privée et le marché !. La pression des marchés financiers et des agences de notation, hier dénoncée, sert aujourd’hui d’alibi pour réduire l’ensemble des dépenses publiques, de l’emploi aux salaires en passant par les investissements et la protection sociale. Parmi cet ensemble, les retraites ont été détachées pour servir de « signal » envoyé aux marchés financiers et à Bruxelles et de marqueur de la volonté politique de Sarkozy à s’attaquer aux retraites pour « s’attaquer à la dette » comme il l’a dit dés février. A vrai dire, les « marchés » n’ont pas guère besoin de signal puisque la dette publique française est une des mieux cotée, mais il est tout de même curieux que le pourfendeur du capitalisme financier dans son discours de Toulon se place sous la dépendance des « marchés ». Comme le note le journal Les Echos (13 avril) « le chef de l'État entend montrer à ses partenaires européens et aux marchés financiers qu'il s'attaque au problème de la dette. Tant pis si les retraites ne constituent qu'un aspect partiel du problème : il faut donner un signal et ne surtout pas perdre la note AAA dont bénéficie encore la France sur les marchés ». Donc on va faire une réforme des retraites pour garder la note AAA. On est loin du « travailler plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps » C’est très important car cela introduit de la fragilité dans la légitimité de la réforme annoncée. Le slogan « il veulent nous faire payer leur crise » devient une réalité qui dépasse le cercle des victimes directes liées à la montée du chômage. L’action sur les dépenses publiques élargit en effet considérablement l’impact social de la crise. A travers l’emploi et les salaires dans les fonctions publiques : ce n’est pas nouveau, mais c’est l’occasion de s’attaquer aux dépenses les plus dynamiques des collectivités locales et de l’hôpital, et d’aller plus loin. Mais les retraites ont été choisies comme emblème de cette politique. L’impact sera plus prononcé dans les régions où l’emploi public joue le rôle de stabilisateur social et où l’ « économie résidentielle4 » alimentée notamment par les retraités est importante. Compte tenu de la colère sourde qui existe dans l’opinion sur le sauvetage des banques, des bonus, et de la spéculation financière par les Etats, il est clair que nous disposons là d’un levier de mobilisation, chaque camp disposant maintenant d’un slogan porteur : au « travailler plus longtemps » s’oppose le « nous ne paierons pas pour leur crise ». Avec la pression sur l’emploi public, les salaires, l’attaque contre les collectivités locales, les dépenses de protection sociale, le gouvernement prend évidemment un gros risque d’alimenter la récession, voire d’enfoncer l’économie dans une déflation durable. Une politique à la recherche d’économies à court terme sur les retraites Dans une stratégie de court terme, qui vise un impact rapide sur les dépenses, l’allongement de la durée de cotisation n’est pas la solution optimum car les effets sont à plus long terme, sauf à chambouler la loi Fillon et sa fameuse règle du partage des gains d’espérance de vie en 2/3 pour la durée d’activité et 1/3 pour la durée de retraite. Si on cherche des économies rapides, elles sont plutôt du côté du report de l’âge d’ouverture des droits (moins de retraités, plus de cotisants) mais qui aurait un impact plus important si elle était 4 Ce concept désigne la fixation de populations (retraités, touristes,…) sur des territoires pour des raisons externes à la logique productive mais qui génèrent elles-mêmes des activités économiques, notamment de services. accompagnée d’un report équivalent de l’âge annulant la décote (aujourd’hui 65 ans), mesure décisive mais qui reste pour le moment dans l’ombre du débat. On pourrait même garder le même âge d’ouverture des droits tout en reportant l’âge d’annulation de la décote, ce que les Allemands ont fait car contrairement à la légende qui court, ils n’ont pas touché à l’âge d’ouverture toujours fixé à 63 ans, mais reporté à 67 ans (en 2029) l’âge du taux plein .Les ultras préconisent de combiner le report des bornes d’âge et un nouvel allongement de la durée de cotisation. Il est important de souligner que la nature politique du report d’âge est complètement différente de la logique de l’allongement de la durée de cotisation. La légitimité politique de l’allongement vient de l’instrumentalisation de l’idéologie du choix personnel : si je veux une meilleure retraite je vais travailler plus longtemps mais je peux aussi faire le choix inverse. Avec le report d’âge, c’est le gouvernement qui choisit à votre place et cette politique apparaît beaucoup plus brutale. La piste d’une autre économie à effet immédiat monte mezza voce dans certains milieux, mais elle n’est pas encore exprimée à voix haute par les responsables politiques attachés à la prudence sur ce sujet : s’attaquer aux retraites déjà liquidées par un gel ou une réforme du mécanisme d’indexation. On commence à lire dans certains éditoriaux que les actifs subissent de plein fouet la crise à travers les salaires et l’emploi, tandis que les retraités en sont protégés. Au nom de l’équité, il serait pertinent de remédier à cette anomalie. « N’en déplaise à ceux qui profitent déjà d’une retraite au demeurant méritée, les actifs d’aujourd’hui doivent supporter cette triple injustice qui consiste à devoir payer toujours plus cher les honnêtes pensions de leurs parents, à voir s’éroder leurs retraites futures et à n’en tirer de contrepartie ni en emplois ni en salaires. Dans un pays qui consacre 15 % de sa richesse à son troisième âge, voilà qui devrait inspirer une réflexion sur le niveau des pensions, les retraités ne pouvant être seuls exonérés de l’immense effort qui nous attend » J-F Pecresse, Les Echos, 14 avril 2010 La troisième piste est au contraire ouvertement revendiquée : agir sur les retraites de la fonction publique. Elle présente un « double dividende » : organiser la division public/privé et obtenir un résultat rapide sur les dépenses publiques. Les moyens d’action ne manquent pas : augmenter le taux de cotisation (c’est-à-dire réduire les traitements nets), créer une Caisse de retraite publique qui du fait de la réduction du nombre de fonctionnaires connaîtrait un déficit croissant justifiant les attaques contre les retraites des fonctionnaires, s’attaquer à ce qui est présenté comme des « avantages indus » : le calcul sur les six derniers mois, le départ anticipé pour les parents de trois enfants,…. Le COR s’est prêté à cette manœuvre en présentant une projection surestimant les besoins de financement des pensions d’Etat par un artifice consistant à bloquer les cotisations à leur niveau de 2000 et non 2010. La mise en œuvre de chacune de ces trois pistes est une opération politiquement très délicate. Les Français sont attachés à la retraite à 60 ans, les retraités ont une capacité de mobilisation et jouent un rôle électoral non négligeable, les fonctionnaires sont au bord de la rupture. C’est pourquoi si l’artillerie lourde sert à préparer le terrain5, des compromis seront sans doute recherchés. On peut imaginer que l’ouverture des droits à 60 ans soit conservée, mais avec une 5 Lorsqu’en mai le COR propose de faire des projections avec des reports d’âge à 65 et 70 ans, le fait nouveau n’est pas que le Medef soit derrière la provocation, mais dans la prise en compte par le secrétariat général du punition (une décote même si on a la durée requise), que la pension des fonctionnaires soit fractionnée pour avoir deux types de traitement de référence, que… Nul doute que les sherpas sont déjà au travail. Un point important sera la progressivité des mesures : si on recherche des économies à court terme, il faut une mise en œuvre rapide mais c’est une politique brutale qui impliquera les générations partant actuellement en retraite, et dynamisera les mobilisations. Si on cherche à calmer le jeu parce que l’essentiel pour le gouvernement est de présenter une victoire politique ou parce que ce qui compte c’est le démantèlement à terme de la protection sociale solidaire, on étalera dans le temps, comme cela a été fait en Italie. Dans cette hypothèse, le syndicalisme devra trouver les moyens d’éviter le conflit de générations. Les perspectives à long terme posent la question du modèle économique et social Les projections à long terme du COR (2030 et au-delà) reposent pour deux scénarios (B et C) sur une hypothèse de croissance ralentie (1,5 %) et pour le plus favorable (scénario A) sur une hypothèse de croissance dans la moyenne des vingt dernières années (1,8 %). Dans deux scénarios (A et B), on retrouve le plein emploi (taux de chômage à 4,5 %) en 2024, et le scénario le plus défavorable prévoit la stabilisation du chômage à un niveau élevé (7 %) en longue période. Ces projections sont jugées « volontaristes » comme toutes les projections faites par le COR depuis 2001 (sur ce point il faut reconnaître que le COR n’a jamais cédé aux sirènes du catastrophisme en faisant valoir que le financement des retraites impliquait le plein emploi). Le Medef a toujours plaidé pour retenir un taux de chômage plus élevé sur le long terme. Mais cette position est contradictoire avec le travailler plus longtemps qui exige des emplois ! Une autre instrumentalisation des projections du COR est plus subtile : elle consiste à dire que malgré des hypothèses « optimistes » de croissance sur le long terme (plein emploi et reprise du sentier de croissance antérieur), ces projections font apparaître des déficits « abyssaux »xà l’horizon 2030 ou 2050. Donc non seulement, il faut prendre des mesures à court terme, mais aussi pour le long terme, et les syndicats et partis d’opposition sont sommés de devenir « responsables » en prenant en compte cette nouvelle donne qui sera là pour longtemps. Il faut s’interroger sur comment on répond à cet argument. Nous avons l’habitude de dire que le financement des retraites passe d’une part par des politiques de croissance, d’emploi, de formation, de recherche et d’autre part par une autre répartition de la valeur ajoutée. Ce qui est juste, mais c’est un raisonnement invariant qui ne prend pas en compte l’existence d’une crise majeure du capitalisme. A court terme la déflation menace notamment en raison du délire sur les dépenses publiques, mais à long terme ce capitalisme financiarisé ou néo-libéral risque de s’orienter vers une croissance durablement lente marquée par des épisodes chaotiques. Le maintien et le développement de la protection sociale ne pourront se réaliser que dans l’émergence d’un autre modèle économique, social et écologique qui doit faire l’objet de nos réflexions. C’est un vaste sujet dont on peut au moins dire qu’on ne peut le traiter avec une réflexion de type COR qui enferme de plus en plus la question des retraites dans le cadre macroéconomique des COR de cette provocation. Il n’est donc pas impossible que le pouvoir politique et technocratique utilise les provocations du Medef pour avancer ses propres pions. équilibres financiers avec comme hyptohèse que l’avenir va ressembler au passé. Reconnaître les retraites comme une question sociale Le nécessaire détour par la reconnaissance des retraites comme une question sociale peut-être illustrée par quelques exemples. - La place et le rôle des âges dans la société et leurs évolutions. On voit bien que les choses bougent. - Les inégalités : en particulier on peut s’interroger sur l’accroissement des inégalités et l’hypothèse de l’émergence d’une société rentière qui bouleverserait le dispositif de protection sociale. La quasidisparition des droits de succession et l’affaiblissement de l’impôt sur le revenu, le rôle croissant du placement immobilier6 favorisé par les dispositifs fiscaux, permettent la reconstitution des patrimoines. - le travail car le deal qui est proposé par le gouvernement « échange un report de l’âge de la retraite contre une reconnaissance de la pénibilité du travail » est un matché de dupes. D’abord, les négociations portant sur la pénibilité ont échoué du fait du blocage du Medef qui maintient sa position. Le gouvernement ne veut pas en faire un préalable à la réforme des retraites. Surtout la reconnaissance de la pénibilité qui est proposée ressemble étrangement à l’approche individuelle et médicale qui prévaut dans la plupart des entreprises sur le travail et la souffrance au travail : un traitement « au cas par cas » et une reconnaissance médicale de la pénibilité par des commissions qui autoriseront des départs anticipés individuels. Pas de reconnaissance de la pénibilité pour une profession entière. D’ailleurs le signal envoyé par le report de cinq ans de l’âge de départ en retraites des infirmières, une profession particulièrement pénible, est clair. Au-delà de la question de la pénibilité, souvent réduite à ses aspects physiques les plus visibles (indéniable pour nombre de professions), la vraie question est de savoir pourquoi la plupart des gens souhaitent partir en retraite le plus vite possible, y compris ceux qui aiment leur travail Nous sommes dans un système qui concentre le travail sur la génération médiane avec une très force productivité pour ceux qui sont en emploi, qui rend le travail invivable avec les nouvelles formes de management avec la perte du sens du travail, l’empêchement de faire un travail de qualité, qui met délibérément à l’écart les plus âgés ou leur impose des formes de travail inadaptées, et qui prétend en même temps maintenir ceux-ci en activité avec comme seule motivation pour ces salariés le souci d’éviter une pénalité financière ! En mesurant la pénibilité par la seule espérance de vie, l’objectif gouvernemental est aussi d’occulter les difficultés du travail dans les métiers exigeant un engagement psychique fort dans une relation de service. Cela concerne de nombreux métiers syndiqués par la FSU. Les tensions dans les fins de carrière vont se multiplier avec de plus en plus de gens qui auront du mal à tenir. Cette situation va être explosive surtout dans la fonction publique où on est en activité jusqu’à la liquidation de la retraite. Mais tenir le fil du travail permet aussi d’associer les actifs plus jeunes à cette bataille. 6 la pénurie entretenue sur le marché immobilier, les dispositifs fiscaux avantageux sur l’immobilier locatif expliquent le maintien de la rente immobilière à un niveau élevé malgré la baisse importante des transactions en 2008-2009 Peut-on financer les retraites ? Très souvent on nous demande si c’est possible. Mais la première question à se poser est de savoir si c’est souhaitable. Si ce n’est pas le cas, qu’est ce qui est envisagé : la paupérisation des retraités ? Le recours à la capitalisation dont on sait le caractère aléatoire et inégalitaire, surtout que la crise financière est appelée à perdurer ? Compter sur l’épargne personnelle ? Les auteurs de ces réformes ont le projet implicite (et explicite pour certains d’entre eux) de développer des systèmes mixtes (répartition/épargne capitalisée) et diversifiés comme ils disent, mais outre qu’ils ne démontrent pas la fiabilité à long terme de cette formule, ils ne prennent pas en compte que la mixité porte une contradiction interne puisqu’un rendement élevé de la capitalisation implique de presser sur les salaires qui financent la répartition. Si on pense au contraire que financer les retraites par répartition est souhaitable, c’est donc nécessairement possible. C’est une décision politique, pas un débat sur des modalités techniques. C’est possible dans le cadre existant sans même parler d’un autre partage des richesses ou de la valeur ajoutée, pourtant lui aussi hautement souhaitable. Les projections du COR montrent que dans le scénario A le revenu brut des actifs est appelé à plus que doubler d’ici 2050 (x2,1) tandis que la pension moyenne brute devrait augmenter de 55 %. Il en résulterait un appauvrissement des retraités7 de l’ordre de 26 %8 (de 21% dans les scénarios B et C qui sont moins favorables et qui ne permettront qu’une augmentation moindre des revenus des actifs). Ceci mesure l’impact des réformes de 1993 et 2003. Le COR a regardé comment évolueraient les pensions nettes et les salaires nets si les besoins de financement supplémentaires apparus dans les nouvelles projections étaient entièrement couverts par une hausse des prélèvements à la charge des actifs, Dans ce cas, les revenus nets des actifs progresseraient moins vite et la baisse du rapport entre pension moyenne et revenu moyen d’activité serait de 23 % en termes nets contre 26 % en termes bruts. Plus généralement, si on ne raisonne qu’en termes de partage entre actifs et retraités, il est clair que le choix qui a été fait est de répartir les gains de productivité en faveur des actifs. Avec sans doute l’idée qu’ils pourront épargner eux-mêmes pour leur retraite, ce qui confirme que ce qui est visé c’est le système de protection sociale solidaire. 7 La pauvreté est un phénomène relatif : on s’appauvrit parce que son revenu augmente moins vite que celui des autres. 8 (155/210)x100 = 74 % rapport entre la pension moyenne et le revenu moyen des actifs