Grands-parents, la famille à travers les générations

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Grands-parents, la famille à travers les générations
agrégation de sciences économiques et sociales
préparations ENS 2007-2008
fiches de lecture
Famille et modernité occidentale
ATTIAS-DONFUT & SEGALEN (1998) :
Grands-parents. La famille à travers les générations
Fiche de lecture réalisée par Romain Lecler, ENS Ulm
ATTIAS-DONFUT Claudine, SEGALEN Martine (1998) Grands-parents. La famille à
travers les générations, Paris, Odile Jacob, 1998
Introduction
La visibilité sociale des grands-parents est aujourd'hui très grande. De fait, l’augmentation de la durée de vie de 30
ans depuis le début du 20e siècle a permis à la phase grand-parentale de constituer désormais la moitié de la vie
adulte. Dans le même temps, la chute de la fécondité raréfie le nombre de petits-enfants : si les grands-parents ont
aujourd'hui cinq petits-enfants en moyenne, ce nombre va diminuer. Bientôt, les petits-enfants auront plus de grandsparents que les grands-parents de petits-enfants – illustration de l’expression de « vieillissement de la population »
d’Alfred Sauvy.
Il y a pourtant un paradoxe entre cette visibilité sociale et l’invisibilité sociologique des grands-parents. Parce que
ceux-ci incarnent le lien familial et non des ruptures, la sociologie s’y intéressant aurait couru le risque d’être taxée
de conservatisme. Cependant, le conservatisme est aujourd'hui du côté du discours dénonçant l’opulence des retraités,
et les dangers du vieillissement de la population afin de remettre en cause, de manière déguisée, la protection sociale.
Le renouveau est américain. Si dans les années 1960 les psychosociologues réduisait le rôle grand-parental à une
fonction de « nurturance » (soins/amour), le tournant est dû au Dr Kornhaber, président de la Fondation pour le
Grandparentage, qui en 1985 ouvrit un camp d’été au Nord de New York destiné à réunir grands-parents et petitsenfants éloignés, et qui a témoigné des effets bénéfique mutuels de la relation entre les deux, fondée sur autre chose
que l’obéissance ou les résultats scolaires. Dans une visée plus sociologique mais similaire, l’objectif de l’ouvrage
est, de saisir à la fois la contribution des générations aînées aux liens qui les unissent aux générations précédentes, et
les transformations dans le cycle de la grand-parentalité.
L’enquête (réalisée dans le cadre de la CNAV – Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse) a consisté à sélectionner
des lignées à partir d’une « génération pivot » âgée de 49 à 53 ans, dont les propres parents sont âgés de 68 à 92 ans,
et les enfants de 19 à 32 ans. Elle a eu un versant quantitatif, sous la forme d’un questionnaire distribué auprès de
2000 de ces lignées, et un versant qualitatif, sous la forme d’entretiens réalisés auprès d’un sous-échantillon de ces
familles.
1. Des grands-parents neufs
Ségolène Royal (1987) a parlé du Printemps des grands-parents. Qui sont ces « grands-parents neufs » ?
c Le fait notable est l’allongement de la vie : il reste 10 ans à vivre à 64 ans en 1750, il en reste 10 à 72,3 ans (pour
les hommes) et 77,6 ans (pour les femmes) en 1985. Un premier effet de l’allongement de la vie est de rapprocher
temporellement les générations. Ensuite, il accroît les chances d’être grand-parent longtemps. La signification de
l’âge a en effet évolué. Un jeune de 15 ans en 1825 a autant de chances d’atteindre 55 ans qu’un jeune de 15 ans en
1985 l’age de 70 ans (pour les hommes) ou de 79,5 ans (pour les femmes). Or l’âge du premier petit-enfant est
aujourd'hui de 50,6 ans pour les femmes, et de 54 ans pour les hommes. 70% des plus de 50 ans sont grands-parents.
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d On a longtemps cru qu’en Europe il n’y avait pas de grands-parents, à cause de l’âge plus tardif au mariage.
Effectivement, Hervé Le Bras a calculé que 3/4 des enfants n’avaient plus aucun aïeul à 21 ans au 18e siècle. Mais
dans les siècles passés, c’était surtout la mortalité infantile et les épidémies qui diminuaient l’espérance de vie et les
plus âgés, épargnés, étaient plus nombreux. Au 15e siècle, le tableau Un vieillard et son petit-fils de Domenico
Guirlando, ou Les très riches heures du Duc de Berry témoignent d’une nouvelle étape dans l’art d’être grand-père.
Pourtant, dans la culture occidentale, atypique de ce point de vue, vieillissement et décrépitude ont toujours été
associés. Paradoxalement, c’est l’intérêt nouveau de la société pour l’enfant, comme en témoignent les travaux de
Philippe Ariès, qui a suscité un intérêt nouveau pour l’aïeul. On est ainsi passé d’une figure du vieillard délaissé à
celle du bon grand-père
Bernice Neugarten et Karol Weinstein (1964) défendent cette thèse en distinguant cinq styles grands-parentaux :
n « formels » : lien constant mais conventionnel sans interférence avec le rôle parental
o « éloignés » : contacts épisodiques aux fêtes familiales.
p « réservoirs de sagesse » : soucieux de transmettre des valeurs et des modèles de comportement
q « ludiques »
r « parents de substitution » - surtout les grands-mères.
n regroupe la majorité des grands-parents, q en regroupe un quart, mais les plus jeunes : c’est donc le style en pleine
émergence.
e La seconde moitié du 20e siècle a vu, avec la naissance de la Sécurité Sociale, le passage d’une solidarité privée,
essentiellement rurale et mise à mal par l’industrialisation et les migrations, à une solidarité publique. Le revenu des
retraités a été amélioré par la loi Boulin en 1975 ou le relèvement du minimum vieillesse en 1982. Il a permis aux
grands-parents de passer du statut de dépendants à celui de pourvoyeurs de leurs descendants, et de recentrer leurs
relations à la famille sur l’affection et le lien émotionnel.
f Les grands-parents d’aujourd'hui sont ceux qui ont fait Mai 68, dont les femmes sont entrées massivement sur le
marché de l’emploi, qui ont commencé leur carrière matrimoniale par la « cohabitation juvénile », ont divorcé plus
fréquemment, eu accès à la contraception, accordé l’égalité juridique entre hommes et femmes dans le mariage. Ils
ont été de « grands innovateurs », et cela se lit dans de nouveaux types de relations familiales, car ils ont adopté vis-àvis de leurs enfants une attitude plus libérale.
2. L’entrée dans la grand-parentalité
Le choc de l’annonce est suivi de la constitution d’une nouvelle identité et de nouveaux rapports parents-enfants. Puis
vient la question cruciale de la garde des petits-enfants : 82% des grands-parents gardent leurs petits-enfants de façon
plus ou moins régulière.
Voici les paramètres susceptibles de jouer sur la garde :
n la proximité géographique – c’est la condition première mais non suffisante de la garde.
o les différences entre milieux - elles ne jouent pas sur la garde mais sur son intensité : la garde hebdomadaire est de
moins en moins fréquente à mesure qu’on s’élève socialement. La moitié des agriculteurs la pratiquent, contre un
tiers des employés et ouvriers, et un cinquième des cadres.
p la multiplication des petits-enfants – elle élargit l’investissement grand-parental.
q la situation socio-professionnelle des parents (en particulier de la mère) et l’âge de l’enfant – la garde est plus
fréquente lorsque les parents, et en particulier la mère, sont en situation de mobilité sociale. Comme pour les dons
d’argent, ce sont les besoins des parents qui priment sur les disponibilités des grands-parents. Cependant, les revenus
des parents ne sont pas déterminants.
r les recompositions familiales – elles ont un impact négatif sur la garde.
s l’activité professionnelle de la grand-mère – 60% des enquêtées sont actives ; mais le paramètre est peu
significatif.
t l’investissement auprès d’arrière-grands-parents âgés – caractéristique de la « génération sandwich » des nouveaux
grands-parents caractérisés par une double responsabilité familiale à l’égard des petits-enfants et des arrière-grandsparents : de manière inattendue, cet investissement a un effet positif sur la garde.
L’enquête montre que :
« la génération des femmes qui a conquis le monde du travail est aussi la plus active dans son rôle
grand-maternel » (p.75).
Les grands-parents sont désormais valorisés socialement dans leur rôle qui se décline sous la forme d’un soutien aux
enfants, d’un besoin de réassurance de ceux-ci face à l’insécurité sur le marché du travail ou dans la vie conjugale, et
d’une ouverture du couple des parents désormais caractérisés par une certaine solitude. Ils sont centraux dans tous les
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types de relations familiales eux-petits-enfants, eux-parents, parents-enfants, et leur implication est bénéfique si elle
n’est pas ingérence.
3. Des noms et des styles
Les auteurs insistent sur l’importance du nom des grands-parents. En anglais, on observe ainsi un glissement
sémantique de Nanna (grand-mère dans les familles populaires) vers Nanny (personne salariée pour se charger du
soin de l’enfant dans les familles aisées) – montrant que la première s’occupait des petits-enfants. Nanna vient
d’ailleurs du latin Nonna qui signifie nourrice.
Les dénominations sont cohérentes avec le statut : si elles sont vieillotes, le statut est vieillot. Il y a donc un « bon
nom pour le bon âge ». Aux appellations classiques peuvent se substituer des inventions ponctuelles : Papivélo,
Mamylune (forme des lunettes), Mamie-Bonbon, Mamie-Arsouille (nom du chat), Papi et Mami Ouah Ouah,
Papirouge (couleur de la voiture), Mamilaine (tricot). Ce sont les parents qui donnent le plus fréquemment leur nom
aux grands-parents.
Une enquête en Lorraine montre aussi l’importance de la variable socio-professionnelle :
- Pépère/Mémère – 2/5 - surtout chez les agriculteurs
- Pépé/Mémé – 1/5 – surtout chez les employés et les professions intermédiaires
- Papi/Mamie – 1/5 – surtout chez les cadres supérieurs
- Bon Papa/Bonne Maman – 0,5% - seulement chez les cadres supérieurs
Il y a bien un nouveau « style grand-parental » fait de proximité affective et de complicité, qui s’épanouit dans les
jeux, les loisirs davantage que dans l’éducation. De même que pour l’appellation, ce sont le plus fréquemment les
parents qui façonnent le style des grands-parents. Les conflits de style peuvent opposer soit les générations, soit les
lignées. La position grand-parentale oscille entre deux voies opposées : refuser de s’engager ou se substituer aux
parents. Enfin, on peut distinguer les domaines de la grand-mère et du grand-père : privé et familial pour la première,
extérieur ou à la frontière public/privé pour le second. De même la lignée paternelle est investie de la transmission
symbolique du nom, tandis que la lignée maternelle se situe du côté de l’intime – on a donc deux rôles attribués aux
deux grands-pères.
4. Quand les petits-enfants grandissent…
… La relation devient de plus en plus médiatisée par les parents. 62% des grands-parents voient leurs petits-enfants
au moins une fois par semaine quand ils en ont au moins un de moins de 10 ans, et 46% quand tous les petits-enfants
sont adultes. Le téléphone est aussi un outil central de communication.
On observe un cycle vie de famille (n) / relations avec les amis (o) :
n union stable et enfants jeunes
o départ des enfants et vieillissement
n naissance des petits-enfants
o petits-enfants devenus adultes
Le don d’argent est une dimension importante des rapports grands-parents / petits-enfants : don rituel, donation
comme avance sur héritage (1/5 aux enfants, 10% aux petits-enfants). Cependant, le don des grands-parents aux
petits-enfants a ceci de particulier que le retour est effectué par les parents : en termes d’échanges intergénérationnels,
c’est donc comme si les grands-parents donnaient aux parents.
On observe que les grands-parents expriment fréquemment une préférence pour l’une des lignées, et cela est une
limite à la construction du « moi conjugal » :
« le partage de routines quotidiennes avec les « autres significatifs » permet, au cours de la longue
conversation qu’est le mariage, d’élaborer un collectif conjugal, qui articule les individualités
singulières au sein de la famille-creuset. Mais ce moi-là n’est ni transposable ni transmissible, et la
singularité des cultures familiales semble prendre du relief lorsque les petites-enfants, devenus
adultes, les comparent : c’est ce qui donne naissance à cette préférence pour telle lignée et tel style de
grand-parentalité » (p.145).
Le passage au statut d’arrière-grand-parent , fait aujourd'hui banal, signifie la reconnaissance comme « ancestralité
vivante ».
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5. Grands-parents du divorce
Il y a une influence de l’entente des parents sur les enfants : les jeunes qui ont été témoins de la mésentente des
parents ou ont connu leur séparation sont deux fois plus nombreux à avoir connu une séparation après la mise en
couple.
Lors d’un divorce, les grands-parents peuvent soit se recentrer sur d’autres lignées, soit s’investir dans le soutien du
petit-enfant, remplissant alors le rôle de « chien de garde » identifié par la sociologie américaine. Ils ont alors un rôle
de stabilisateurs : ils apportent une aide, financière et morale, et sont investis de la charge de préserver le lien de
filiation ébranlé par le divorce. Et lorsque l’enfant est un parent isolé, il y a la tentation de remplacer le parent absent.
Les grands-parents sont de la génération qui a connu la forte poussée de divorce. Les divorces sont plus rares à un âge
avancé. De manière générale, les relations avec les grands-parents sont moins fréquentes quand ceux-ci ont été mariés
plus d’une fois.
Aux Etats-Unis, les petits-enfants qui vivent avec leurs grands-parents sont de plus en plus nombreux : 5% enfants
sont dans cette situation (les pauvres et les Noirs étant surreprésentés). En France on observe à l’inverse une
diminution de cette situation. Cela s’explique aux Etats-Unis par la hausse de la pauvreté et le recul de l’Etatprovidence, les grands-parents assurant la fonction providentielle. Les Etats-Unis comptent ¼ d’enfants pauvres
contre 6,5% en France.
6. Les grands-parents dans l’univers des cultures
Dans les sociétés occidentales :
n Modèle anglo-saxon : les grands-parents sont plus faiblement engagés dans la garde.
y Allemagne : 2/5 gardent les petits-enfants, contre 3/5 en France ; mais le rythme est hebdomadaire pour 7/10, contre
1/2 en France. Cela s’explique par un équipement en crèches et structures d’accueil moins développé en Allemagne.
y Angleterre : étude classique de Michael Young et Peter Willmott à Bethnal Green qui montre l’interaction constante
mère/grand-mère qui habitent près l’une de l’autre. Mais désormais dans la région londonienne, si l’on attend que les
grands-parents donnent un coup de main en cas d’imprévu, la norme est que les aides soient principalement
financières.
y Etats-Unis : entraide et transferts financiers moins développés qu’en France.
o Modèle méditerranéen : les grands-parents sont plus engagés.
y Espagne, Portugal, Grèce : Etat-providence plus tardif, et entrée brutale et massive des femmes sur le marché du
travail, dont les mères sont la dernière génération de femmes au foyer.
p Russie : importance de la « babouchka ». Au-delà de 40 ans les femmes renoncent à tout contrôle sur leur corps et
à tout effort de séduction, se coiffent du fichu, pour mieux affirmer leur pouvoir sur la maisonnée. Par ailleurs il y a
surmortalité masculine.
Dans les sociétés rurales, on a souvent parlé de cohabitation au sein d’une riche maisonnée. La diversité des modes de
résidence a mis en évidence une distinction entre famille nucléaire qui séparait les générations, famille-souche qui
organisait une résidence commune, ou frérèches associant frères et sœurs. Mais ces modèles théoriques n’ont jamais
été purs : dans les Pyrénées, région de la famille-souche, 1/3 des ménages étaient de forme nucléaire, à cause de la
disparition de la génération précédente ; dans l’ouest de la Bretagne, de tradition nucléaire, la difficulté à trouver une
ferme indépendante a conduit, conjuguée à une forte fécondité à un rapprochement avec le modèle de famille-souche.
Dans ces sociétés, les grands-parents jouent un rôle clé de « fostering » (élever, nourrir et éduquer les enfants comme
les parents) lors de deuils ou de migration.
Dans les sociétés de tradition (notamment africaines), l’autorité s’incarne dans les grands-parents chargés de
l’obligation de transmettre et de préparer les futures générations. Des pratiques de circulation des enfants au sein de
différentes lignées existent parfois, sans qu’on sache si l’enfant est seulement « prêté » ou adopté. Mais en Océanie
par exemple, deux parentés, par le sang (parents), et par la nourriture (souvent les grands-parents – l’allaitement est
réputé mettre en danger le nourrisson), sont reconnues.
7. L’évidence de la filiation
Sont fondateurs de l’identité individuelle et collective de l’enfant un certain nombre d’éléments transmis par les
grands-parents : le nom, le besoin d’inscription dans le temps, la transmission de la vie psychique (chez beaucoup
d’enfants a ainsi été observé un « fantasme de renversement de l’ordre des générations », les petits-enfants devenant
les parents de leurs propres parents), des souvenirs d’enfance, une mémoire familiale (qu’Anne Muxel (1996) qualifie
d’archéologique, car elle est la rencontre des faits de la grande histoire et de la plus modeste histoire familiale). Les
grands-parents incarnent en définitive un « axe de sécurité génétique ».
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8. La force du lien générationnel
Jusque dans les années 1960 en Europe, la relation grand-parentale prenait trois formes :
n l’enfant est celui de toute la maisonnée.
o l’enfant est confié aux grands-parents par les parents.
p les contacts entre parents et grands-parents sont espacés et distants.
Tout cela a changé car l’enfant est devenu non pas celui de toute la maisonnée mais le prolongement narcissique du
couple, y compris pour les grands-parents.
L’indépendance des générations est très fort, mais réciproquement les relations entre grands-parents et
parents/enfants sont devenues aussi très fortes. Les grands-parents offrent gratuitement des services de garde et
apportent aussi une aide financière, dans un contexte d’activité des femmes, de conjoncture économique difficile où
les besoins des parents sont plus grands, ainsi que de plus grande proximité affective parents/enfants qui se prolonge
dans la relation grands-parents/petits-enfants.
Les grands-parents ont vis-à-vis des petits-enfants un rôle d’amuseurs en premier, et d’éducateurs en second,
seulement à la demande des parents : déchargés des responsabilités éducatives, ils recueillent donc toutes les
gratifications affectives.
Le rôle des grands-parents diminue quand le petit-enfant grandit, car celui-ci se tourne plutôt vers ses pairs ; mais il
est souvent crucial lors des crises familiales. Lorsqu’il y a des tensions parents/grands-parents, cela peut être selon
Françoise Dolto formateur pour l’enfant.
Ils sont avant tout des vecteurs de culture et de mémoire familiale, mais peuvent parfois, pour avoir eux-mêmes
divorcé, contribuer au relâchement des liens familiaux. Mais ils continuent d’occuper une place symbolique majeure.
Le fait qu’ils aient été les oubliés de la vie de la famille est imputable à l’accent mis sur la « modernisation » de la
famille et l’individualisme, et donc sur la décohabitation, la privatisation du lien familial. La modernité de la famille a
été différemment appréhendée :
- pour Parsons, la modernité de la famille se situe dans sa nucléarisation (c'est-à-dire sa structure), ce qui limite
l’interaction entre les générations et la transmission des valeurs.
- pour Philippe Ariès, elle se situe dans la naissance du sentiment de l’enfance, et la famille moderne a pour objectif
la socialisation de l’enfant.
- pour Louis Roussel, la famille moderne est désinstitutionnalisée, où les choix amoureux, conjugaux et parentaux ne
répondent plus qu’aux attentes du désir : c’est La famille incertaine (1989).
- pour François de Singly, les relations dans la parenté sont désormais marquées par l’indépendance : ce qui compte,
c’est la « révélation de soi », la construction de l’identité ne se faisant plus dans la lignée mais dans le miroir tendu
par l’autre au sein du couple.
Toutes ces diverses approches, minorant les liens intergénérationnels pour mieux insister sur la modernité de la
famille, ont conduit à une marginalisation de l’objet « grands-parents ».
A l’inverse, cette enquête montre, comme celles de Jean-Hugues Déchaux (1997) à propos de la Toussaint et des
souvenirs des morts, d’Anne Gotman (1989) sur l’héritage, d’Anne Muxel (1996) sur la mémoire familiale montre
que la dimension intergénérationnelle n’est pas du tout dévalorisée, et n’est pas incompatible avec la construction des
individualités ou l’indépendance résidentielle.
L’ouvrage s’ouvre enfin sur le « plaisir du retour au monde de l’enfance » (sic) procuré par les petites-enfants aux
grands-parents, et dont témoigne leur « obsession photographique » :
« montrer les photos de ses petits-enfants, c’est tenter de figer le présent dans ces visages lisses et
frais auxquels on voudrait, mais en vain, conserver une éternelle enfance. » (p.239).