richard bennett, la bande à ferrer
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richard bennett, la bande à ferrer
Du z z a J au R&B L Ban a de à Fer rer RICHARD BENNETT Batteur, directeur artistique chez Barclay puis Polydor et CBS, Richard Bennett fait partie de cette génération qui est passée au début des années 60 du jazz au rock puis au R&B. Son nom reste associé à celui de Nino Ferrer, avec qui il a démarré dès les années 50 et dont il est toujours resté proche. Et si on prenait du rab de cornichons ?! Folies Pigalle 1962 : Georges Chatelain (guitare), Richard Bennett (batterie), Nino Ferrer (basse). R ichard Bennett : Je suis né le 16 novembre 1936 à Paris et j’ai toujours habité dans l’appartement où je vis actuellement, rue de Rennes. Je suis un fils de Saint-Germain-desPrés, et l’endroit est stratégique, à mi-chemin de Montparnasse, soit entre les deux hauts-lieux jazz de Paris. J’ai été élevé avec mon cousin germain Stéphane Guérault qui, pour moi, est comme un frère jumeau et joue toujours du saxo ténor et de la clarinette. Adolescents, on écoute du jazz la nuit dans les caves où jouent Claude Luter, Michel Attenoux, Maxime Saury, etc. Moi qui par ma mère étais fou de classique et étudiais le piano, je passe au jazz. On a Stef et moi le choc avec Sydney Bechet et son tube « Les Oignons ». C’est comme un rocker, il déplace les foules. Puis avec les 78 tours du Hot Five de Louis Armstrong de mon père. Je m’exerce à la batterie avec les aiguilles à tricoter de ma mère sur la cheminée. Un soir, au Kentucky Club, je dois avoir 14 ans, Jacques Brochot un copain batteur me laisse monter sur scène derrière sa batterie pour jouer. Je me constitue alors un matériel de fortune. Deuxième super 45 tours avec les Dixie Cats en 1960, Nino Ferrer est à la basse, Richard Bennett à la batterie. 12 DIXIE CATS Ce qui a été décisif, c’est ma rencontre avec Nino Ferrer en 1953 car jusque-là on faisait de la musique pour s’amuser. Je prépare mon bac au lycée Louis-le-Grand et, dans le bar la Phaluche, place de l’Odéon, je rencontre un mec barbu avec un banjo. Il m’impressionne car il fait propédeutique au lycée Henri IV. Avec sa pipe, il fait du chaba-da sur ma cymbale, et se présente. Il me dit qu’il va graver un disque, à ses frais, et me demande si je veux l’accompagner. On enregistre alors deux blues traditionnels sur un disque Pyral, que j’ai toujours. Après on commence à jouer au jardin du Luxembourg, puis sur les quais de la Seine, au Pont-Neuf. Les gens nous jettent des pièces, et on se rend compte alors – Nino en a parlé dans ses interviews – qu’en jouant une heure on gagne presque plus d’argent que nos parents en un mois ! On prend ça au sérieux : faire la musique qu’on aime et en vivre. La première boîte à nous engager est le Club Montpensier, au Palais-Royal. Bella, la patronne, deviendra ma femme. Je monte mon orchestre, les Dixie Cats (les fanatiques de dixieland). J’appelle les grandes écoles pour savoir quand se tient leur prochain bal et on obtient plein de galas. Je n’ai pas mon bac, mais je peux dire que j’ai fait Polytechnique, HEC, Centrale, droit, pharmacie...! Grâce à cela je réalise un premier enregistrement. Car, en tant qu’orchestre de jazz, on n’intéresse pas les maisons de disques. Mis à part Sydney Bechet, nos aînés comme Claude Luter, Claude Bolling, Maxim Saury ou Guy Lafitte, bien que célèbres, ne vendent pas grand-chose. En gravant un disque spécial pré-commandé par l’école pour son gala, je séduis la marque Président. Sous le nom Richard Bennett & Ses Dixie Cats sont édités les super 45 tours « Boom HEC 1959 » avec le trompettiste Bill Coleman puis « Garden-Party Chez Les Vétos » en 1960. Et ensuite chez Ricordi un disque spécial pour l’Ecole Centrale et un quatrième avec « Blueberry Hill ». Nino est à la contrebasse, mon cousin Stéphane Guérault à la clarinette, moi à la batterie, et je compte aussi, à différentes époques, à la trompette François Leterrier, futur cinéaste, Gilles Thibaut, futur paro- lier, au trombone François de Roubaix, futur célèbre compositeur de BOF, à la clarinette Gérard Pisani, futur Hallyday puis Martin Circus. Etant d’origine anglaise, Bennett est mon vrai nom, assez courant dans la musique anglo-américaine [Lou, Brian, Tony, Cliff, Duster, Benny...]. Un soir, je suis engagé à la Salle Wagram grâce à la confusion avec le roi du mambo plus connu (et plus cher !) : Benny Bennett. Un Black vient me voir : Bonjour, je suis Benny Bennett, vous allez changer de nom ! Je lui montre mes papiers et lui dis : Et vous ! Et Benny ne s’appelle pas Bennett ! NUIT DU JAZZ La grande charnière a été la mort de Sydney Bechet en 1959, qui nous a beaucoup affectés, et l’arrivée du rock. Car l’idée qu’on avait d’une carrière était qu’elle se faisait sur des décennies. Pas question de devenir quelqu’un avant des années de galère. D’ailleurs les artistes qu’on admire ont tous au minimum la quarantaine. Le 17 décembre 1960, je suis programmé à la Nuit du Jazz Salle Wagram à Paris avec les meilleurs orchestres de la place. Parmi les noms, comme un intrus, il y a... Johnny Hallyday ! C’est pas vrai, qu’est-ce qu’il vient foutre là ! Je le connaissais car il venait dans la boîte où je jouais à l’année, le Bœuf sur le Toit aux Champs-Elysées. Cet endroit, d’où vient l’expression faire le bœuf née des musiciens de jazz qui faisaient le tour des boîtes pour finir au Bœuf sur le Toit, avait en partie la même clientèle que le Golf Drouot où j’allais parfois. Ce soir-là, Johnny se fait jeter à coup de cannettes de bière par une salle déchaînée. Comme personne n’ose monter après sur scène, je prends le risque et on obtient un triomphe. On a la trentaine, je ne suis pas d’une nature jalouse et j’ai toujours été passionné par l’évolution (j’étais bien passé du classique au jazz). Mais voir ces jeunes débutants tenir aussitôt le haut de l’affiche, ça nous agace ! En 1961, Marcel Vianot, organisateur de tournée, me prend dans celle des Chaussettes Noires, à condition que je monte un groupe de rock. Je cherche des guitaristes et, grâce aux éditions Salvet, j’embauche deux jeunes rockers, Dean et Dany. Ce seront l’année suivante Dean Noton et Dany Marane des Fantômes. Ils s’ajoutent à deux chanteuses, France Laurie et ma copine Camille, Nino Ferrer à la basse, Stéphane Guérault qui passe de la clarinette au saxo ténor, et Paul Rako, un super-pianiste malgache. Je constitue là un orchestre de fous où chacun joue dans son coin, un peu comme une jam entre Sydney Bechet, les Shadows, BB King et Fats Domino avec moi au milieu qui à la batterie essaie d’unifier tout cela ! On sillonne la Côte d’Azur et on se trouve chaque soir devant des foules immenses comme aux Arènes de Nîmes avec... 20 000 personnes ! C’est incroyable, on ne connaissait pas ça, nous, les musiciens de jazz ! Et tout ça pour les Chaussettes Noires, ça nous achève ! On se fait pratiquement jeter et eux, à la fin du concert, ils s’engouffrent dans la DS d’Evelyne Langeais, leur imprésario, entourés par des policiers, tellement il y a de délire. BOBBIE CLARKE Le coup de grâce, ça a été pendant le festival d’Antibes de jazz, en août, où on joue pendant une semaine en première partie de Count Basie et Ray Charles. Pour nous, Ray Charles a été la charnière pour passer au rock. « What’d I Say », c’est du binaire repris par tous les rockers. Puis les Chaussettes et Eddy Mitchell nous disent : Venez au Vieux Colombier de Juan-les-Pins [la résidence d’été de Sydney Bechet rachetée à sa mort par le couple Roby et Andrée Davis-Boyer], ce soir il n’y a pas de jazz mais un rocker, faut voir ça, il s’appelle Vince Taylor. [Il est déjà signé par Barclay, mais n’a pas encore sorti de disques en France.] On y va avec Stef et Nino, pendant les répétitions. Voyant Vince avec ses Play-Boys tous