Pierre DUQUESNE - Gestion et Finances Publiques

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Pierre DUQUESNE - Gestion et Finances Publiques
international
Pierre DUQUESNE
Ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement
Chargé de la coordination interministérielle de l’aide et de la reconstruction en Haïti
Ancien administrateur au FMI et à la Banque mondiale (2001-2007)
Les sens de la représentation de la France
dans les institutions de Bretton Woods (IBW)
La crise économique et financière a conduit à s’interroger sur le
fonctionnement et le rôle des institutions financières internationales, en particulier les institutions de Bretton Woods (IBW), le
Fonds monétaire international (FMI) et le groupe de la Banque
mondiale (BM). Ce groupe se compose de cinq entités : la
Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) qui prête aux pays émergents et à revenu intermédiaire à des conditions de marché, l’Association internationale de
développement (AID) qui prête aux pays pauvres à des conditions bonifiées, la Société financière internationale (SFI) qui prête
au secteur privé et y prend des participations, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) qui couvre le risque
politique des investissements dans les pays en développement et
une instance d’arbitrage, le Centre international de règlement
des différends sur investissements (CIRDI).
En septembre 2007, l’élection d’un nouveau directeur général
français du FMI (le quatrième sur près d’un demi-siècle !),
D. Strauss-Kahn, avait également attiré l’attention des commentateurs dans notre pays. Pour autant, ces institutions demeurent
mal connues, quand elles ne sont pas ignorées, voire décriées.
Le but de cet article n’est pas d’en présenter toutes les activités,
de commenter toutes les négociations en cours mais d’essayer
d’expliquer, de manière plus structurelle, comment ces institutions
fonctionnent et agissent, quel rôle y joue notre pays, quelles idées
il entend promouvoir, quelle influence il y a. L’analyse s’appliquera aux IBW dont le siège est à Washington, mais elle pourrait
sans difficulté être transposée aux autres institutions financières
internationales, les banques régionales de développement
(Banque européenne pour la reconstruction et le développement à Londres, Banque asiatique de développement à Manille,
Banque africaine de développement à Tunis et Banque interaméricaine de développement à Washington).
Les IBW ont eu 65 ans en 2009. Si l’on s’interrogeait, il y a deux ans
encore, sur leur utilité, nul ne songerait aujourd’hui à les mettre
définitivement à la retraite. En revanche, la crise peut conduire
à tester leurs cinq sens, à travers le prisme particulier de la représentation de la France.
LE SENS DE L’OUÏE :
LE DÉFI DE LA LÉGITIMITÉ DES IBW
ET NOTRE POIDS PROPRE
Des institutions financières
Le mode de prise de décision des IBW est très particulier. Ces
organisations sont des institutions spécialisées des Nations Unies
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mais elles ne sont pas sous l’autorité du secrétaire général. Surtout,
contrairement aux Nations Unies (ou même à l’OCDE ou l’OMC),
les 186 Etats membres (le dernier entré étant le Kossovo en 2009)
ne s’expriment pas sur la base de « un Etat, une voix » mais en
fonction de leur participation financière. Ces quotas (ou quotesparts) au FMI et parts de capital dans les institutions du groupe
de la Banque mondiale sont le fruit d’un calcul faisant notamment
intervenir le PIB du pays, son ouverture commerciale et financière
et ses réserves en devises. Au FMI, les quotas sont à la fois une
clef de financement, la mesure du droit de tirage sur les ressources
du Fonds et celle des droits de vote. Dans les institutions du groupe
de la BM, il s’agit de parts de capital classiques donnant un droit
de vote et (théoriquement) une possibilité de dividende.
Le quota français au FMI est actuellement de 4,4 % et notre participation au capital de la BIRD de 4,41 % (5,11 % à la SFI et 3,94 %
à l’AID, contre 2,32 % à la BAsD et 3,69 % à la BAfD à titre de
comparaison). A hauteur de ces montants, la France joue donc
le rôle d’un « actionnaire » soucieux de la bonne santé financière
des institutions. Si les risques financiers pour l’Etat actionnaire sont
limités au FMI comme dans une coopérative (et sont intermédiés
par la Banque de France), ils sont théoriquement plus lourds à la
BIRD et à la SFI : la question du rapport entre les fonds propres et
le volume des prêts se pose comme dans toute banque et les
pertes éventuelles s’imputeraient bien entendu sur les réserves.
Comme les autres grands pays développés, la France est plus
soucieuse de l’équilibre financier des institutions du groupe de la
BM que les pays emprunteurs. De tradition, la présidence du
comité d’audit y est assurée par un pays développé, rôle assumé
par l’auteur durant plus de cinq ans.
Des institutions
à conseils d’administration résidents
La grande particularité des IBW (comme des banques régionales
de développement) est d’être dirigées par des conseils d’administration « résidents », auxquels sont confiés l’essentiel des pouvoirs d’orientation et de gestion des institutions et qui se réunissent
à Washington, non pas quelques fois par an, mais trois jours par
semaine au FMI et deux jours par semaine à la BM. Les multiples
séances hebdomadaires des conseils sont préparées par des
« aller-retours » intellectuels avec la (les) capitale(s). Les grandes
décisions financières (notamment approbation des comptes) et
statutaires sont en revanche prises par les « gouverneurs » des
institutions (pour la France le ministre des finances), qui se réunissent dans cette capacité une fois par an.
Les Etats membres sont représentés par 24 administrateurs issus
généralement des ministères des finances (c’est le cas pour la
France), des banques centrales ou, à la BM, des ministères de la
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coopération. Les cinq plus gros actionnaires (Etats-Unis, Japon,
Allemagne, Royaume-Uni et France sur un pied d’égalité) nomment leur propre administrateur pour une durée indéterminée ;
trois pays (Chine, Russie, Arabie Saoudite) élisent, seuls, leur administrateur pour une durée de deux ans renouvelable ; les
178 autres pays sont regroupés sur la base de « circonscriptions »
plus ou moins géographiques, constituées sur la base du volontariat, pour élire un administrateur. Si, par exemple, les deux circonscriptions africaines sont homogènes et lourdes (45 pays),
l’Espagne est avec le Venezuela, le Mexique et l’Amérique centrale ou l’Irlande avec le Canada et les Caraïbes anglophones...
Certaines circonscriptions mêlent donc pays développés et pays
en développement ou en transition. En pratique, ce système
garantit aux très grands pays émergents (Brésil et Inde), auxquels
sont adjoints des petits pays de leur région, une présence permanente aux conseils. Si le vote est fonction de la participation financière, il est rare au sein du conseil, la recherche du consensus
étant privilégiée. Au demeurant, le vote s’exprime non pas par
Etat mais par circonscription.
Si les représentants des actionnaires ont le titre d’administrateur
(executive director en anglais) et non de représentant permanent
(comme à l’ONU ou à l’OCDE), c’est qu’ils ne sont pas censés
seulement exprimer les vues de leurs autorités (les statuts interdisent même en théorie de leur envoyer des instructions formelles...),
mais également exercer les responsabilités fiduciaires d’administrateur d’institutions financières classiques. La question peut
paraître largement théorique, elle ne l’est pas dans les situations
de crise. Au moment de l’« affaire Wolfowitz », qui conduisit à la
démission du président de la BM au printemps 2007, nombre
d’administrateurs étaient convaincus de la nécessité du départ
de l’intéressé (dans l’intérêt même du bon fonctionnement de la
BM) avant leurs autorités et prêts à voter sa révocation alors que
leurs capitales y étaient encore réticentes.
En règle générale, les pays ou groupes de pays sont représentés
par deux administrateurs différents, l’un au FMI, l’autre à la BM.
La France, en 1946-1947 (le premier administrateur français ayant
été Pierre Mendès-France) et depuis 1964 sans interruption, a
choisi de n’avoir qu’un seul administrateur pour l’ensemble des
IBW. Il ne s’agit certes pas d’exercer deux métiers à temps partiel
ou répétitifs (même si, naturellement, les pays emprunteurs au FMI
et à la BM peuvent être les mêmes), mais du choix délibéré d’une
influence plus grande via la connaissance intime des deux
institutions.
La présidence du conseil d’administration et la direction des services des deux institutions sont exercées par un directeur général
au FMI et un président à la BM. De tradition, le premier a toujours
été européen et le second américain. Ce privilège, violemment
contesté par les pays émergents, devrait disparaître à la fin des
mandats des dirigeants actuels (2012). L’influence de notre pays
a pu également s’exercer par la présence de quatre Français à
la tête du FMI depuis 1963 (à l’exception des périodes 1973-1978
et 2000-2007), dans une mesure qui reste quand même limitée
par la neutralité imposée à tout dirigeant d’organisation internationale. Naturellement, le rôle du représentant d’un pays dans
l’une quelconque de ces organisations ne saurait être le même
si l’un de ses compatriotes la dirige, ce dernier considérant à tort
ou à raison qu’il sait tout autant, sinon mieux, que le représentant
français ce qui est bon pour l’institution, voire pour la France...
Des institutions légitimes ?
Si, aux Nations Unies, les pays émergents s’offusquent du fonctionnement des IBW, il n’en est pas de même à Washington. Ces
mêmes pays ne contestent pas le mode de prise de décision sur
des critères financiers, mais ont en revanche souhaité que leur
poids économique croissant soit mieux traduit dans leur participation financière. Une première réforme en 2008 s’est traduite par
un transfert de droits de vote de 1,5 % à la BM et de plus de 5 %
au FMI résultant d’un changement de méthode de calcul du
profit des émergents et d’une allocation de droits de vote de
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base uniformes par pays quelle que soit la taille. Le sommet du
G 20 à Pittsburgh a décidé un nouveau transfert en faveur des
pays « sous-représentés » d’au moins 5 % au FMI d’ici à janvier
2011 et 3 % à la BM d’ici au printemps 2010.
A cette occasion, il n’est pas du tout exclu que la Chine, actuellement sixième actionnaire (3,66 % au FMI, 2,85 % à la BIRD)
dépasse la France et le Royaume-Uni, quatrièmes actionnaires ex
aequo, voire l’Allemagne. Cette évolution, que notre pays n’a pas
contestée, serait conforme au poids croissant de la Chine dans
l’économie mondiale mais elle ne changerait pas l’économie du
système, les Chinois disposant depuis toujours d’un administrateur
propre. Juridiquement, le Royaume-Uni et la France pourraient
perdre à cette occasion leur droit à « nommer » un administrateur
pour passer dans la catégorie d’administrateur élu par un seul
pays, changement à dire vrai assez formel. Ceci est d’autant plus
indispensable que le personnel, s’il est relativement divers en
termes de passeport (avec une surreprésentation néanmoins des
anglophones de naissance), ne l’est guère en termes de formation,
les universités américaines étant largement prépondérantes.
L’existence de conseils d’administration résidents n’est guère
remise en cause. Un tel mode de gouvernance permet de pondérer politiquement les vues des services. Le choix d’une telle
organisation fait à Bretton Woods (sous la pression du négociateur
américain White contre son homologue britannique... Keynes)
serait à refaire aujourd’hui, même si certains rêvent parfois d’un
conseil « dépolitisé » comme ceux des banques centrales. En
revanche, les conseils devraient être plus transparents, plus visibles
et plus responsables.
Surtout, notre pays plaide depuis longtemps pour la création d’un
véritable conseil de ministres pour chaque institution en charge
des grandes décisions stratégiques. En effet, les ministres des
finances ou du développement se réunissent certes deux fois par
an au sein du Comité monétaire et financier et international
(CMFI) pour le FMI et du Comité du développement pour la BM
dans une configuration qui décalque celle des conseils d’administration. Mais ces deux comités n’ont juridiquement qu’un pouvoir d’orientation et pas de décision, singulièrement pas sur les
prêts ou programmes mis en place dans un pays déterminé. Les
statuts du FMI prévoient pourtant depuis 1976 la création d’un tel
collège de ministres : il n’a jamais été mis en œuvre en raison de
l’hostilité des Etats-Unis. La question du maintien du droit de veto
américain (bon nombre de grandes décisions doivent être prises
à une majorité de 85 % alors que les Etats-Unis détiennent 16,77 %
du FMI et 16,83 % de la BIRD) est d’ailleurs un sujet perpétuellement non traité.
En revanche, bon nombre de commentateurs considèrent que
l’Europe est surreprésentée dans les institutions. Si ce n’est pas
faux facialement (en raison notamment de la dispersion géographique décrite plus haut, l’UE est présente dans 10 circonscriptions
sur 24), le poids financier des 27 dans les IBW (un petit tiers) est à
peine supérieur à son poids économique mondial et très inférieur
à son rôle dans le financement de l’aide publique au développement mondiale (environ 60 %). Si l’existence de l’euro a naturellement conduit à ce que les pays l’ayant adopté s’expriment
d’une seule voix sur les questions monétaires internationales, partager la même monnaie ne signifie pas nécessairement avoir le
même point de vue sur un programme du FMI dans un pays
d’Afrique ou le financement d’un barrage par la BM en Asie.
LE SENS DE LA VUE :
LE DÉFI DE LA CRÉATIVITÉ
ET NOS GRANDS PRINCIPES
De l’influence
L’influence exercée par notre pays au sein des IBW est particulière
et supérieure à son poids mathématique dans celles-ci pour
diverses raisons.
No 3-4 - Mars-Avril 2010 -
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D’abord, la France estime légitime l’existence même de ces institutions publiques et les défend contre certains observateurs parfois relayés par quelques pays. Elle croit au rôle des institutions
contre les critiques tant « de droite » (les marchés financiers fonctionnent très bien seuls, la régulation doit être minimale, il n’y a
de crise qu’en raison de mauvaises politiques...) que « de
gauche » (ces institutions sont dirigées par les Etats-Unis ou les pays
développés, elles ne sont qu’un instrument de domination des
pays riches sur ceux en voie de développement, pour appliquer
les recettes toutes faites d’un libéralisme économique théorique).
Ce positionnement de principe est apprécié par le personnel des
institutions, la tradition de fonctionnement au FMI étant d’ailleurs
proche de la fonction publique française (notamment la stabilité
du personnel, l’avancement à l’ancienneté et la forte centralisation) alors que la BM gère son personnel de manière plus étatsunienne (rôle des contractuels et consultants, décentralisation...)
Ensuite, notre pays a une doctrine et une conception qui sont
écoutées sinon entendues. Depuis Charles de Gaulle, plaidant
pour la stabilité des changes et la diminution des privilèges du
dollar jusqu’à l’idée de taxation internationale relancée par
J. Chirac, nous avons, y compris vis-à-vis des Etats-Unis, un certain
droit à l’hétérodoxie et à l’innovation. De tradition, la France
s’exprime à l’intérieur des institutions, parfois peut-être trop. Cette
volonté de présence s’appuie également sur le sentiment que
nous avons d’être une puissance à vocation mondiale, sur le
volume de notre aide publique au développement et enfin sur
certaines positions institutionnelles (comme la présidence du Club
de Paris qui traite les problèmes d’endettement souverain).
En outre, la France considère que l’architecture économique
internationale n’est pas forcément stabilisée. Elle a poussé à la
création de l’OMC et suggère actuellement la mise en place
d’une organisation mondiale de l’environnement. Elle invite régulièrement les IBW à faire évoluer leurs politiques, leurs moyens
d’action et leur organisation. Même si elle n’est pas toujours
entendue, la France est favorable à la création d’une instance
politique supérieure (« conseil de sécurité économique et social »
ou « conseil de gouvernance mondiale ») dont les trois sommets
du G 20, à l’initiative du président de la République, constituent
peut-être une préfiguration.
Enfin et au total, en raison notamment de notre connaissance
réelle ou supposée des réalités des pays en développement, en
premier lieu nos anciennes colonies africaines, nous jouons le rôle
d’un intermédiaire officieux entre le Nord et le Sud qui ne nous
est disputé que par le Royaume-Uni.
Tous ces éléments expliquent sans doute au-delà de la qualité
des hommes notre présence à la tête du FMI pendant plusieurs
décennies. Toutefois si notre influence s’exerce aisément par les
canaux administratifs, institutionnels et politiques qui nous sont
familiers, notre contribution au débat « intellectuel » préalable doit
encore être améliorée. Les IBW sont non seulement des organisations engagées dans l’action mais des centres de recherche
en économie monétaire internationale et économie du développement. Pratiquement aucune grande décision n’est proposée
par elles qui n’ait été testée auparavant avec la communauté
des chercheurs et des décideurs publics dans d’innombrables
rapports, colloques et échanges de toute nature. La tradition française, tant dans l’université que dans la fonction publique, n’est
malheureusement pas de s’investir dans ce type de travail dont
la valeur ajoutée n’est parfois que lointaine. Certes, les IBW sont
situées à Washington et ne travaillent qu’en anglais mais notre
faible influence intellectuelle à l’OCDE localisée à Paris montre
que ce n’est pas le problème principal.
Des constantes
La France, quels que soient les gouvernements, a toujours eu une
idée assez claire du fonctionnement et des activités des IBW
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reposant sur quelques idées force qui ne font plus débat chez
nous, un peu moins qu’avant la crise dans une grande partie du
monde, mais qui ne sont toujours pas unanimement acceptées.
La France estime d’abord que le marché mondial est certes irremplaçable, mais connaît structurellement de nombreuses défaillances. Ces défaillances expliquent la récurrence des crises : la
tâche principale des IBW est de les prévenir et de les traiter. Ces
défaillances peuvent conduire à des volatilités excessives sur les
marchés des changes, de taux et des matières premières. Elles
peuvent enfin se transformer en abus, les « trous noirs » de la
finance internationale : blanchiment, centres off-shore, paradis
fiscaux, institutions non régulées.
La France estime que le financement des pays en voie de développement ne saurait être exclusivement assuré par les marchés
de capitaux. Ce rêve des années 1990 peut demeurer un objectif
de long terme. Mais dans l’intervalle, et en parallèle, d’autres
sources de financement sont indispensables dont naturellement
l’aide publique au développement, les allègements de dettes et
les sources innovantes de financement, sans oublier l’émission de
droits de tirages spéciaux (DTS), sorte de « quasi-monnaie » émise
par le FMI (nous avons poussé lors des sommets du G 20 à de
nouvelles émissions de DTS qui atteindront 283 M$, dont plus d’une
centaine pour les pays émergents et en développement). Dans
ce contexte, le rôle des IBW était et demeure indispensable.
La France estime, par ailleurs, que le développement est un processus de long terme qui implique d’investir dans les grandes
fonctions collectives que sont le développement des infrastructures, la bonne gouvernance, l’éducation de base ou la santé...
Nous plaidons pour que les IBW aient une approche qui ne soit
pas court-termiste, trop uniforme et sache prendre en compte les
aspects sociaux.
Enfin, notre souci de l’accroissement de la légitimité politique des
IBW va donc au-delà de la vulgate actuelle (le renforcement des
pays émergents au détriment des européens et la fin du « duopole » à la tête des institutions) pour inclure la création de réunions
de ministres, l’insertion des IBW dans la gouvernance mondiale,
la diversification de recrutement du personnel, la remise en cause
du droit de veto mais aussi l’amélioration de la représentation des
pays pauvres, le dialogue permanent avec les autorités politiques
des pays (exécutifs et législatifs) et leurs sociétés civiles et au total
la capacité d’évaluation et de reconnaissance des erreurs.
LE SENS DE L’ODORAT :
LE DÉFI DE LA PERSPICACITÉ
ET NOTRE VOLONTÉ D’AUDACE
De la prévention des crises
L’éclatement de la crise actuelle (comme d’ailleurs de la crise
asiatique de 1997) a naturellement posé la question de la capacité des IBW, et singulièrement du FMI, à la prévenir. Théoriquement, le Fonds dispose avec les examens annuels (dits de
l’article IV) de la situation et de la politique économiques de tous
les pays membres (grands comme petits) d’un premier outil. Il procède en outre, au moins deux fois par an, à un exercice dit « des
perspectives économiques mondiales » (WEO, World Economic
Outlook) et un autre, créé après la crise de 1997, appelé « rapport
sur la stabilité financière mondiale ». Pour autant l’institution n’a
pas su prévenir la crise, ni même véritablement l’annoncer à
temps. Symétriquement, la BM a longtemps cru que cette crise ne
toucherait pas les pays pauvres. Les raisons de cet aveuglement
relatif en disent beaucoup sur le fonctionnement des institutions.
Du côté du FMI, les économistes, quelle que soit leur nationalité,
sont donc trop souvent formés dans les universités anglo-saxonnes
et ont tendance à reproduire les schémas de pensée qu’ils y ont
acquis, incluant notamment une croyance excessive dans le bon
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fonctionnement des marchés et des inquiétudes de principe par
rapport à toute forme de régulation. Par ailleurs, malgré les progrès enregistrés depuis 1997, les services du Fonds ont toujours des
difficultés techniques à intégrer le traitement des questions financières dans les analyses macro-économiques : il faut en outre
reconnaître que le FMI partage sur ces sujets des compétences
avec les institutions très proches des banques centrales (Banque
des règlements internationaux, Comité de Bâle...) et jalouses de
leur autonomie. Enfin et surtout, le FMI avait un préjugé intellectuel
à imaginer que la crise puisse venir du centre (Etats-Unis) et pas
de la périphérie (pays émergents) et des difficultés politiques à
critiquer les grands pays, à commencer par les Etats-Unis.
De même, le FMI, et plus encore la BM, n’ont mis en lumière que
dans les dernières semaines de 2008 que la crise pouvait se transmettre aux pays émergents et pauvres par les marchés de capitaux, le commerce, les investissements étrangers, les remises des
expatriés... ou tout simplement la spéculation.
La France plaide régulièrement pour une amélioration de la surveillance des économies, qui n’implique pas forcément
d’inventer de nouveaux instruments mais déjà d’utiliser ceux existants. Cet exercice de suivi des questions macro-économiques,
monétaires, budgétaires, financières... devrait constituer une des
activités principales du FMI, bien plus que, par exemple, la privatisation des entreprises publiques cotonnières africaines. Si l’on
souhaite toutefois rajouter une compétence au mandat du FMI,
la France suggère depuis la crise asiatique que le Fonds soit explicitement en charge du suivi du compte de capital de la balance
des paiements des pays membres (et pas seulement de celui des
paiements courants) : les pays émergents y sont hostiles et craignent, à tort, que ceci recouvre un objectif de libéralisation totale
des mouvements de capitaux. Le travail se poursuit sur ce sujet.
Naturellement, la surveillance du FMI doit être équanime entre les
diverses catégories de pays et doit être franche. Pour autant,
notre pays n’adhère pas à l’idée portée par bon nombre d’universitaires mais également un pays (le Royaume-Uni) que l’exercice de surveillance devrait être l’œuvre indépendante des services, sans examen par le conseil d’administration, et ce pour trois
raisons. D’une part, parce que la surveillance ne saurait être un
exercice purement académique et doit intégrer des éléments
d’économie politique ; d’autre part, parce que les débats au
conseil confèrent aux jugements du Fonds (notamment quand ils
sont sévères à l’égard de tel ou tel pays) une légitimité que
n’aurait pas la seule analyse des techniciens ; enfin et surtout,
parce que les services sont loin d’être infaillibles : dès 2005-2006,
plusieurs administrateurs (dont la France) avaient contesté l’optimisme des services sur la situation économique et financière (les
compte-rendus publics de séances en portent trace) sans être
entendus.
De l’innovation
Les IBW sont souvent critiquées pour leur conservatisme, au
double sens de réticence au changement et de prudence
extrême dans le jugement. En réalité, les statuts de 1944 se sont
révélés particulièrement flexibles pour ce qui concerne les missions du Fonds comme de la Banque. Il n’est pas sûr qu’on les
écrirait très différemment aujourd’hui. Ils se sont adaptés, pour le
FMI, à la fin du système de change de Bretton Woods vers la
prévention et le traitement des crises des pays émergents jusqu’à
l’intervention dans les pays pauvres et aujourd’hui le suivi des pays
développés et, pour la BM, au changement quasi décennal des
doctrines et paradigmes du développement (du secteur public
au secteur privé, des infrastructures aux politiques sociales, des
sujets économiques aux questions institutionnelles et de
gouvernance).
Néanmoins, si les IBW changent et ont beaucoup changé, ce
n’est sûrement pas de leur propre fait comme nombre de
(grosses) institutions publiques. En tant qu’institutions multi-
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latérales, elles ont parfois du mal à admettre leurs erreurs et ont
une « unité de temps » qui, hors contrainte extérieure, est de
l’ordre de l’année. Au total, elles ont évolué plus sous l’influence
de leurs actionnaires et de la société civile que de leur propre
chef, et surtout sur la pression des crises.
Il est symptomatique, par exemple, que les innovations en matière
de financement du développement (allègement de la dette, y
compris multilatérale, des pays pauvres ; taxation internationale
pour le financement des biens publics mondiaux ; emprunts pour
anticiper les flux d’aide publique au développement...) soient
venues de quelques Etats membres (essentiellement la France et
le Royaume-Uni). De même, si le Fonds vient de rénover très profondément ses instruments de prêts aux pays émergents comme
aux pays pauvres, en intégrant des critiques faites depuis de nombreuses années, c’est sous la pression des évènements.
On doit à la vérité de reconnaître que l’absence de réformes à
froid et de changements sous la pression n’est pas réservée aux
IBW, mais le contraste est d’autant plus grand dans leur cas
qu’elles n’hésitent pas à réclamer régulièrement aux pays dans
lesquels elles travaillent des réformes profondes et rapides, faisant
fi des contraintes...
LE SENS DU TOUCHER :
LE DÉFI DE L’ACTIVITÉ
ET NOTRE PRÉOCCUPATION UNIVERSALISTE
Des clients
Les 187 Etats membres des IBW sont potentiellement leurs clients.
Pour faire image, on peut considérer que le FMI exerce trois types
d’activité : celle d’une « coopérative de financement » via les
coopérateurs qui financent à hauteur de leur quote-part et souhaitent être remboursés (d’où la conditionnalité des prêts) ; celle
d’un « club anglais » où tous les pays (même les grands) font
l’apprentissage des « bonnes manières » par l’exercice de la surveillance qui mêle jugement par les services et par les pairs ; celle
enfin d’une « association d’éducation populaire » sous la forme
de l’assistance technique, gratuite, fournie bilatéralement ou
régionalement, à Washington ou décentralisée.
Quant au groupe de la BM, il exerce toutes les activités bancaires :
– celle de banque classique sous la forme de prêts, projets ou
programmes, à des conditions de marché (BIRD) ou concessionnelles (AID), aux Etats (BIRD-AID) ou aux entreprises privées (SFI) ;
– celle d’une banque d’investissement, avec la SFI ;
– celle d’une banque du savoir dans toutes les institutions du
groupe (qui constitue le plus grand centre de recherche mondiale sur l’économie du développement) et qui, comme le FMI,
font de l’assistance technique ;
– celle enfin d’un gestionnaire de fonds fiduciaires (près de 1 000),
soit bilatéraux (tel donateur souhaitant faire financer telle activité
dans un pays donné avec les garanties techniques et financières
de la BM) ou multilatéraux (comme le Fonds pour l’environnement
mondial).
Juste avant la crise, les observateurs s’interrogeaient donc sur
l’utilité des IBW, comprises au mieux comme finançant des pays
en difficulté (il n’y en avait plus guère) quand le marché ne le
pouvait ou ne le souhaitait pas. Dans cette veine ressortait l’idée
étatsunienne récurrente d’un rôle du FMI réservé à quelques pays
émergents lors de crises par nature exceptionnelles et d’un rôle
de la BM réservé aux pays les plus pauvres, destinataires d’une
certaine forme de charité publique internationale (financement
exclusivement par dons et non par prêts, fussent-ils concessionnels).
Dès avant la crise, cette présentation négligeait toute l’activité
« hors prêt » des institutions, notamment celle d’assistance
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technique. La Chine, par exemple, continuait d’emprunter à la
BIRD, non pas certes parce qu’elle avait des besoins de financement mais en raison de la qualité des conseils gratuits fournis par
la BM dans d’innombrables domaines (marchés publics, gestion
d’équipements concédés, environnement, système judiciaire...).
De même, les conseils du FMI demeuraient indispensables à de
nombreux pays, même émergents, en matière budgétaire, financière, monétaire, etc. Ce qui était vrai en revanche était que ces
activités gratuites se devaient d’être financées. D’où le souci français de changer la nature des ressources du FMI pour qu’elles ne
dépendent plus seulement de l’activité de prêt (qui conduisait à
ce que le FMI aille financièrement bien quand le monde allait mal
et inversement) : après de longues négociations, les Etats-Unis ont
accepté que le FMI vende une partie de son or et en place le
produit, de façon à bénéficier de ressources récurrentes, non liées
à l’activité de prêteur. De même, les financements de la BM se
doivent-ils de dégager une certaine marge qui couvre les activités
gratuites : nous devons toujours le rappeler aux pays émergents.
Par ailleurs, cette présentation oubliait l’activité de la SFI à destination du secteur privé dans les pays émergents, comme dans
les pays pauvres, qui était et demeure en forte croissance.
Enfin, même si certains pays grands ont tendance à vouloir
réserver l’activité de surveillance du FMI aux économies émergentes, d’une part, l’expérience des derniers mois prouve que la
crise peut naître dans les pays développés (et l’on a vu que le
Fonds avait été timide en la matière), d’autre part et surtout, la
seule manière de pouvoir tenir le langage de la vérité à la Chine,
à l’Inde ou au Brésil est de tenir ce même langage à l’égard des
Etats-Unis, du Japon ou de la France. Naturellement, cette question rejoint aussi celle de la légitimité des institutions.
Au total nous estimons que l’activité de ces institutions doit
demeurer universelle et protéiforme. Ceci implique notamment
que le FMI doit rester engagé dans les pays pauvres, singulièrement africains et au moyen d’instruments de prêts spécifiques et
bonifiés. Nous poussons régulièrement à l’adaptation de ces instruments comme cela vient d’être fait encore récemment. Nous
sommes également aux côtés des pays émergents qui souhaitent
pouvoir continuer d’emprunter à la BM, de même que nous ne
souhaitons pas que les financements de l’AID se fassent essentiellement sous forme de dons. Enfin, notre souci d’avoir des IBW
ouvertes aux préoccupations des pays pauvres nous a conduit,
au départ bien seuls avec le Royaume-Uni, à suggérer qu’ils ne
soient pas oubliés dans les réformes de la gouvernance. Les droits
de vote de base (sorte d’actions gratuites accordées uniformément à tous les pays sans lien avec leur capacité financière) ont
été triplés au FMI et doublés à la BM ; une troisième circonscripton
africaine va être créée à la BM.
Sous l’effet de la crise, ces débats sont un peu passés à l’arrièreplan mais reviendront sans nul doute dès que la situation s’améliorera.
Du cœur de métier
Comme toute institution, les IBW peuvent avoir tendance à élargir
plus ou moins subrepticement leur champ d’activité au-delà de
leur mission propre. C’est particulièrement vrai de la BM dont les
compétences sont vastes et les concurrents potentiels nombreux.
L’émergence progressive de ces concurrents en dit d’ailleurs
beaucoup sur les défauts de l’institution. Les banques régionales
de développement sont jugées plus à l’écoute des clients ; l’Union
européenne est, à tout prendre, plus réactive voire plus riche ; les
bailleurs bilatéraux classiques souhaitent que leur contribution
spécifique ne soit pas oubliée ; les bailleurs émergents (à
commencer par la Chine) interviennent en apparence sans
conditionnalité ; les « fonds verticaux » (tel le Fonds mondial de
lutte contre le sida) semblent plus transparents aux contribuables ;
les fondations privées (comme la fondation Gates) sont plus
généreuses. Le FMI n’est guère contesté à tout le moins sur son
activité principale, celle de « pompier » lors des crises financières,
- No 3-4 - Mars-Avril 2010
comme en a témoigné la facilité avec laquelle il a pu, au sommet
de Londres, accroître ses ressources en la matière (triplement de
250 à 750 Mds$).
La Banque doit être régulièrement rappelée au respect de ses
compétences. Ce fut notamment le cas lors de l’affaire Wolfowitz,
où le président de l’institution entendait faire de celle-ci le principal véhicule mondial de lutte contre la corruption. Elle a parfois
du mal à définir elle-même ses priorités adaptées au moment.
Ainsi, le président actuel (R. Zoellick) avait tracé six priorités à
l’automne 2007 (croissance et réduction de la pauvreté dans les
pays pauvres, Etats fragiles, amélioration de l’offre pour les pays
à revenu intermédiaire, biens publics mondiaux, monde arabe,
banque du savoir et de la connaissance). Etonnamment (par
rapport aux mécanismes normaux de gouvernance), le sommet
du G 20 à Pittsburgh lui a demandé de se concentrer sur quatre
autres éléments (sécurité alimentaire, développement humain et
sécurité dans les environnements difficiles, secteur privé et infrastructures, « économie verte »).
Le FMI, à l’inverse, fait souvent preuve de timidité. On a pu le voir
pour ce qui concerne l’exercice de surveillance. Il a renoncé en
outre, dès avant même le sommet du G 20 de Washington en
novembre 2008, à être le principal intervenant international sur la
surveillance du secteur financier, tâche confiée au forum
(devenu conseil) de stabilité financière, instance de coordination
des régulateurs placée dans l’orbite de la Banque des règlements
internationaux.
Il a surtout, de facto, abandonné sa tâche historique et principale,
le suivi des questions et des politiques de change. Or la crise
actuelle n’est pas seulement une crise des produits ou de la régulation, c’est aussi une crise du système monétaire international. Les
changes totalement flottants ont entraîné une volatilité extrême des
devises, ont poussé à la création de produits dérivés de plus en plus
complexes pour se couvrir et spéculer, et expliquent l’absence de
coordination des politiques économiques. Ce n’est pas forcément
le moment de revenir aux « changes fixes mais ajustables », mais
certainement à une gestion relativement concertée comme entre
1985 et 1987. La France le souhaite par tradition, mais en l’espèce
c’est la Chine qui, au mois de mars 2009, a suggéré au FMI de
s’inquiéter du rôle du dollar et de travailler sur un nouveau rôle pour
les droits de tirage spéciaux. Le FMI, sans doute trop influencé par
les Etats-Unis qui refusent vivement ce débat, ne semble s’y
résoudre qu’à reculons. Or, il risque à ne pas se préoccuper de ces
sujets qui constituent son cœur de métier de voir se multiplier les
zones monétaires régionales, les accords de mise en commun de
réserves de change, la constitution de montants excessifs de telles
réserves à des fins d’auto-assurance, voire des institutions régionales
directement concurrentes de lui. Le président de la République en
janvier a souligné la nécessité de traiter ce dossier.
Les deux institutions doivent donc tout à la fois être rappelées en
permanence à la nécessité d’exercer pleinement les missions qui
leur sont confiées, à destination de la totalité de leurs Etats membres et en même temps, à une certaine forme de « principe de
subsidiarité » qui consiste à ne pas faire ce que d’autres peuvent
faire mieux. La France s’emploie à maintenir ce subtil équilibre.
LE SENS DU GOÛT :
LE DÉFI DE LA CONDITIONNALITÉ
ET NOTRE SOUCI DU BON SENS
Du réalisme
La principale critique portée à l’encontre des IBW en matière de
conditionnalité (c’est-à-dire les conditions de politique économique mises à l’octroi de leurs prêts) a été l’application sans
nuance du « consensus de Washington », se traduisant par un
libéralisme sans concession, une déréglementation tous azimuts,
des privatisations, une ouverture totale des marchés, une diminution de la protection sociale, au total le retrait de l’Etat. Au-delà
de son contenu de politique économique, ce mode de pensée
245
international
était un des éléments de la gouvernance nationale et internationale, dans la mesure où il justifiait à la fois pour ses zélateurs l’organisation interne des Etats, leurs relations commerciales économiques et financières, le fonctionnement des IBW et même les
rapports entre celles-ci et les Nations Unies.
Dès la crise asiatique, ce « consensus » avait volé en éclats, certainement dans la théorie et le discours des IBW même s’il en
demeurait de nombreux traits dans la pratique quotidienne des
institutions. La crise actuelle l’a condamné définitivement : les
pays qui l’ont le plus fidèlement appliqué n’ont pas moins souffert
de la crise, et même parfois plus ; les pays occidentaux ont pour
l’essentiel fait l’inverse des prescriptions de ce consensus (reréglementation, nationalisation, interventionnisme étatique, voire protectionnisme). Le FMI a eu un peu de mal à tirer les conséquences
de cette défaite idéologique : ses premiers programmes de soutien à l’automne 2008 demeuraient de facture « classique ». Tout
récemment encore, le Fonds a inutilement contesté une mesure
brésilienne de taxation des mouvements de capitaux spéculatifs
entrants. Néanmoins, le Fonds a profondément réformé ses instruments de prêt, en 2008-2009, aux pays émergents comme aux
pays pauvres, en définissant une conditionnalité allégée plus
flexible, moins structurelle et mieux hiérarchisée. La Banque mondiale ne l’a pas fait aussi explicitement, mais avait plus évolué
auparavant. Ceci va dans le sens souhaité depuis longtemps par
notre pays, lequel met l’accent sur trois débats qui ne sont pas
totalement clos, même si l’urgence de la résolution de la crise les
a temporairement mis de côté.
D’une part, dans leur confection de leur programme, les institutions
doivent faire plus de « sur-mesure » que de prêt-à-porter (one size
fits all). En un mot, les recettes ne sont pas transposables d’un pays
à l’autre et il faut tenir compte des conditions locales. Dans les pays
pauvres, cela s’est traduit par l’élaboration par les pays euxmêmes, avec les IBW, les Nations Unies, la société civile... de cadres
stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP), dont il manque
l’équivalent pour les pays émergents. Naturellement, tenir compte
des conditions locales conduit à faire de l’économie politique et
donc de rentrer dans un débat politique avec les pays bénéficiaires, ce qui n’est pas sans risque. Ce premier aspect du débat
sur la conditionnalité est donc étroitement lié à celui de la légitimité.
D’autre part, les IBW doivent toujours être conduites à penser à
long terme. Même si un ajustement budgétaire ou de balance
des paiements ou plus encore des réformes lourdes s’avèrent
indispensables, il est souvent exclu d’espérer les réaliser dans un
délai bref et toutes en même temps. La France plaide donc sans
relâche pour une hiérarchisation et un séquencement réaliste des
conditions posées. Sans différer sur l’objectif, encore convient-il
de ne pas chercher à aller trop vite. Le meilleur exemple, caricatural, a été l’obligation faite par les IBW aux Etats successeurs de
l’URSS de démanteler tout leur contrôle des changes dès 1992,
alors même que notre pays avait mis deux décennies à le faire
pour n’arriver à la pleine liberté qu’au 1er janvier 1990... Une telle
grossière erreur ne serait plus commise aujourd’hui.
Enfin, et c’est sans doute sur ce sujet qu’il y a eu le moins d’évolution, en tout cas du côté du FMI, le coût social de l’ajustement
budgétaire doit être mieux pris en compte. Certes, l’initiative de
réduction de dettes des pays pauvres très endettés (PPTE) prévoit
une certaine fois de sanctuarisation des dépenses sociales, certes
la crise actuelle a réduit les risques d’une austérité budgétaire
saugrenue, mais la tentation est toujours grande de tailler dans
les dépenses sociales, de réduire le nombre et les salaires des
fonctionnaires, de contester les subventions... La BM est naturellement plus sensible à ses sujets que le FMI. Là encore, des progrès
ont été effectués mais le sujet demeure d’actualité.
De la collaboration
Les deux IBW ont leurs sièges se faisant face dans la même rue
de Washington. Elles ont des organisations matricielles voisines :
par régions du monde et par grands types de fonctions ou politiques économiques. L’une (le FMI) demeure très centralisée et
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dispose même d’un département de doctrine (certains diraient
de censure...) qui doit viser tous les textes distribués au conseil
d’administration, l’autre (la BM) a une forte tradition de décentralisation qui nuit parfois à l’unité de vues.
La question d’une meilleure collaboration entre les deux IBW est
toujours posée. Il y a beaucoup d’exemples d’actions contradictoires en matière de conditionnalité, qui ont même conduit à élaborer un « concordat » en 1989 et des rapports réguliers relancent
le sujet. Si l’entente entre les dirigeants est généralement bonne et
si la coopération sur le terrain se passe plutôt bien, l’encadrement
intermédiaire washingtonien ne se départit pas toujours d’une
vision caricaturale, les services de la BM voyant dans le FMI une
organisation doctrinaire, quasi militaire et sans imagination, alors
que ceux du Fonds ont tendance à considérer la Banque comme
une institution irréaliste, quasi autogestionnaire et inefficace. Cette
caricature n’est malheureusement pas complètement dénuée de
tout fondement. Elle est parfois, au demeurant, renforcée par les
Etats membres eux-mêmes qui peuvent tenir des discours quelque
peu contradictoires d’un conseil d’administration à l’autre. Un des
rôles subsidiaires de l’administrateur français, commun donc aux
deux institutions, est d’ailleurs parfois de transmettre les informations
d’un côté à l’autre de la rue...
La bonne coopération devrait être naturelle sur les sujets d’intérêt
commun (allègement de dettes, surveillance des secteurs financiers, lutte contre le blanchiment...). Elle est naturellement renforcée par l’élaboration des CSLP. Depuis 2002 (conférence de
Monterrey), les objectifs à long terme des deux institutions sont,
de surcroît, les mêmes et partagés avec les Nations Unies (ODM :
objectifs de développement du millénaire). Pourtant, des efforts
restent à opérer pour que le FMI recentre sa conditionnalité sur
les questions macro-économiques et financières et la BM sur l’aide
au développement des infrastructures, les sujets sociaux et les
réformes plus structurelles. La nécessité d’une meilleure collaboration ne se limite pas seulement d’ailleurs à la conditionnalité,
mais touche aussi l’assistance technique.
Enfin, les deux institutions ne doivent pas seulement mieux collaborer entre elles mais également avec les autres bailleurs multilatéraux (Nations Unies, Union européenne, Banques régionales
de développement) mais aussi bilatéraux ou même non étatiques
(fondations, ONG). Le reproche fait d’un certain « impérialisme
idéologique » et d’un « isolationnisme » des IBW n’est pas totalement infondé. L’Union européenne notamment, bien souvent le
premier bailleur, aspire à être mieux entendue dans la définition
des politiques menées.
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Les institutions économiques internationales, et en particulier
celles de Bretton Woods, sont mal connues. Il faut donc en permanence continuer à réfléchir, et les pousser à réfléchir, sur leur
fonctionnement, leur activité, leur rôle. Leur fonctionnement est
certes perfectible, à condition d’abord de mieux le connaître.
Leur activité est en théorie de long terme et en pratique cyclique.
Leur rôle est actuellement irremplaçable mais pour autant en
adaptation constante sous la pression des faits.
Les institutions sont également caricaturées. On leur prête souvent
des arrières pensées et des pouvoirs qu’elles n’ont pas. Elles servent souvent aussi de boucs émissaires faciles : elles ont le bon
goût de ne pas trop s’en offusquer. Le jour où elles ne seront plus
critiquées, peut-être alors seront-elles devenues inutiles...
L’influence de la France dans les deux institutions est forte et
reconnue et bien des fois avons-nous su infléchir leur action. Peutêtre notre influence serait-elle encore accrue si elle s’appuyait
sur un travail de plus longue haleine, une mobilisation de tous les
acteurs (pas seulement administratifs), une insertion dans les multiples circuits de décision, l’acceptation d’un dialogue plus équilibré avec ces institutions et la mise sous le boisseau, quand nécessaire, de notre drapeau national. Mais il faut reconnaître que nos
travers nationaux, voire nos défauts, sont les mêmes à Washington
qu’à Bruxelles...
No 3-4 - Mars-Avril 2010 -