Sexualité avant et après mise en place d`une prothèse totale de

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Sexualité avant et après mise en place d`une prothèse totale de
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Revue du Rhumatisme 75 (2008) 268–273
Article original
Sexualité avant et après mise en place d’une prothèse totale de hanche夽
Sexual function before and after primary total hip arthroplasty
Jean-Michel Laffosse ∗ , Jean-Louis Tricoire, Philippe Chiron, Jean Puget
Service d’orthopédie et de traumatologie, CHU Rangueil, 1, avenue Jean-Poulhès-TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9, France
Accepté le 16 mai 2007
Disponible sur Internet le 15 janvier 2008
Résumé
Objectif. – Les douleurs chroniques de hanche peuvent retentir sur la sexualité des patients, et ce d’autant plus qu’ils sont plus jeunes.
Méthodes. – Nous avons réalisé dans notre service une étude rétrospective à l’aide d’un questionnaire adressé à 135 patients (58 femmes et 77
hommes) âgés de moins de 65 ans et ayant bénéficié de la mise en place d’une première prothèse totale de hanche (PTH), plus de six mois avant
l’étude. L’âge moyen des patients était de 51,8 ans (extrêmes : 22–65).
Résultats. – L’âge auquel les premières difficultés sexuelles étaient apparues était de 45 ans en moyenne (extrêmes : 21–63), soit en moyenne
deux ans et demi après l’apparition des premières douleurs de hanche. Les difficultés sexuelles étaient jugées sévères à majeures par 19 % des
patients. Cela résultait en une tension ou une insatisfaction dans la relation avec le partenaire chez 7 % des patients. Les principales causes des
difficultés sexuelles étaient la douleur, puis la raideur articulaire. Les patients ayant le retentissement sexuel le plus marqué et le plus précoce
étaient des femmes jeunes ayant une dysplasie de hanche. Une atteinte polyarticulaire (Charnley C) était un facteur prédisposant à la survenue de
ces difficultés. De l’avis des patients, la mise en place de la PTH améliore les relations sexuelles. La fréquence des relations est augmentée après
PTH significativement plus souvent chez la femme que chez l’homme, cela étant dû à un changement des postures pratiquées. Seulement 17 % des
patients avaient bénéficié d’une information concernant l’activité sexuelle après la PTH (délai de reprise et/ou risques positionnels).
Conclusion. – En conséquence, les difficultés sexuelles devraient être prises en compte par l’équipe multidisciplinaire et en particulier par le
chirurgien. Il devrait fournir une information claire. Le sujet de la sexualité ne devrait pas être marginalisé, mais au contraire devrait être pris en
compte dans l’évaluation avant et après la chirurgie.
© 2008 Publié par Elsevier Masson SAS.
Mots clés : Prothèse totale de hanche ; Activité sexuelle ; Information du patient ; Éducation ; Dysplasie de hanche ; Coxarthrose
Keywords: Total hip replacement; Sexual activity; Patient information; Education; Hip dysplasia; Osteoarthritis
1. Introduction
Les douleurs chroniques de hanche peuvent avoir une répercussion importante sur la qualité de vie et la sexualité de ceux
qui en souffrent [1–3]. Néanmoins, il n’existe que peu d’études
récentes qui se soient intéressées aux problèmes sexuels rencontrés par les patients souffrant de leur hanche, avant et après la
mise en place d’une prothèse totale de hanche (PTH) [1,2,4].
Plusieurs raisons peuvent expliquer le manque d’intérêt pour ce
夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence française de cet article, mais sa
référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine.
∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J.-M. Laffosse).
1169-8330/$ – see front matter © 2008 Publié par Elsevier Masson SAS.
doi:10.1016/j.rhum.2007.05.021
sujet. Pour le clinicien, cet aspect pourrait apparaître mineur par
rapport aux données cliniques et radiologiques. Les questions
en relation avec la sexualité sont rarement prises en compte
dans les scores fonctionnels habituellement utilisés pour évaluer le devenir des PTH [5–7], ces scores évaluant la douleur,
la mobilité de hanche et les capacités de marche. Dans l’indice
algofonctionnel de Lequesne [7], deux points sur 30 sont attribués aux difficultés sexuelles quand il est utilisé pour discuter
de l’indication chirurgicale. Le score de la Société internationale de chirurgie orthopédique et traumatologie (Sicot) [8]
prend en compte les difficultés sexuelles, mais ce score clinique
et radiologique est complexe et a été largement dépassé dans
l’évaluation pratique des PTH par le score de Harris [9] et par le
score de Postel et Merle d’Aubigné [6]. Ces scores n’évaluent
pas correctement le véritable handicap des patients qui ne se
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sentent pas libres d’aborder ce sujet, bien que 32 % des patients
devant bénéficier d’une PTH déclarent se sentir concernés par le
problème des difficultés sexuelles [5,10]. Pour un nombre non
négligeable d’entre eux, les difficultés sexuelles secondaires à
la douleur chronique de hanche constituent un facteur essentiel
dans leur décision de bénéficier d’une PTH [11]. Mais il existe
à l’évidence, dans la pratique quotidienne, un manque crucial
d’information et de dialogue sur le problème de la sexualité
chez ces patients [12].
Les deux principaux objectifs de notre étude ont été, d’une
part de déterminer la signification des difficultés sexuelles chez
les patients ayant une douleur chronique de hanche avant et après
mise en place d’une PTH, et d’autre part de préciser si ces mêmes
patients avaient reçu une information suffisante par l’équipe
de notre service. Nous avions pour cela quatre hypothèses de
travail :
Tableau 1
Caractéristiques des patients ayant reçu et de ceux ayant répondu au
questionnaire
• la douleur chronique de hanche a une répercussion négative
sur les activités sexuelles ;
• la mise en place de la PTH améliore la qualité de vie ;
• les patients se fixent volontairement des limites, par manque
de connaissance, dans la période pré- et postopératoire ;
• cette méconnaissance est en grande partie due à un manque
d’information de la part de la majorité des chirurgiens et/ou
des équipes soignantes.
Min : minimum ; Max : maximum.
2. Méthodes
Nous avons réalisé au sein de notre service une étude rétrospective ayant porté sur une cohorte de 346 patients consécutifs
(135 femmes et 211 hommes), âgés de moins de 65 ans au
moment de l’étude et qui avaient bénéficié, avec un recul minimum de six mois, de la mise en place d’une PTH pour une
douleur chronique de hanche. N’ont pas été inclus dans l’étude
les patients ayant eu une PTH pour une fracture du col du fémur,
ni ceux ayant eu une révision de PTH. Les patients ont été
classés, selon la classification de Charnley [13] en A, B et C.
L’étude a été faite à l’aide d’un questionnaire anonyme
envoyé à l’adresse personnelle des patients, accompagné d’une
lettre expliquant le but de l’étude et d’une enveloppe prétimbrée
pour la réponse. Notre questionnaire reprenait les items contenus dans le questionnaire de Currey [1] et dans celui de Meyer
et al. [14], associé à une échelle fonctionnelle réduite du Womac
comportant sept items [15] : monter les escaliers, se lever d’une
chaise, marcher sur un terrain plat, entrer et sortir d’une voiture,
mettre des chaussettes ou des bas, se lever du lit et s’asseoir.
Chaque item était évalué à l’aide d’une échelle de Lickert en
cinq points, en mettant une croix dans une des cases (aucun,
minime, modéré, important, majeur) correspondant, respectivement aux scores de 0, 1, 2, 3 et 4. Le total était donc compris entre
zéro (meilleur score) et 28 (pire score). Afin d’homogénéiser les
réponses et de faciliter leur interprétation, les réponses proposées pour le questionnaire de Currey étaient également adaptées
à ce type d’échelle de Lickert. Dans le but d’obtenir la meilleure
indication concernant les difficultés sexuelles liées aux douleurs de hanche au cours des relations sexuelles, nous avons
demandé aux patients de préciser les trois postures sexuelles les
Nombre
Sexe : F/H
Âge (ans) : moyenne
(min–max)
Diagnostic
Ostéonécrose aseptique
Coxarthrose primaire
Coxarthrose secondaire
Dysplasie de hanche
Polyarthrite rhumatoïde
Suivi (années) : moyen
(min–max)
Patients ayant
répondu au
questionnaire
Patients ayant reçu
le questionnaire
135
58/77
51,8 (22–65)
346
135/211
51,2 (22–65)
49
56
9
15
3
4 (0,5–15)
159
99
37
34
17
3,7 (0,5–15)
p
0,51
0,56
0,15
0,54
plus confortables (parmi 12 proposées) pour les périodes préopératoires et postopératoires. Les 12 postures proposées étaient les
mêmes que celles utilisées dans l’article rapporté par Dham et
al. [12].
L’analyse statistique a été réalisée grâce au logiciel Statview®
(version 5.0, Californie, États-Unis). Les variables quantitatives
ont été comparées à l’aide du test non paramétrique de Wilcoxon
ou du test U de Mann-Whitney. Le test de Khi-2 ou le test exact
de Fischer ont été utilisés pour la comparaison des variables
qualitatives. Le seuil de signification statistique retenu était un
p inférieur à 0,05.
3. Résultats
Nous avons eu 135 réponses, de 58 femmes et 77 hommes,
correspondant à un taux de réponse de 39 %. Afin d’apprécier la
représentativité du groupe des répondeurs au questionnaire, nous
avons résumé au Tableau 1 les principales caractéristiques des
patients ayant reçu le questionnaire et de ceux ayant répondu :
sexe, âge, diagnostic, délai écoulé depuis la mise en place de la
PTH, type du cotyle prothétique, soit standard, soit avec une tête
de grand diamètre (DuromTM , Zimmer).
L’âge de début des difficultés sexuelles était de 45 ans en
moyenne (extrêmes : 21–63), soit en moyenne deux ans et
demi après le début des douleurs de hanche (Tableau 2). La
coxite inflammatoire constitue une exception, car les patients
peuvent avoir des difficultés sexuelles avant que n’apparaissent
les douleurs de hanche, cela du fait d’une atteinte polyarticulaire
notamment rachidienne. La sexualité est altérée plus précocement, de manière statistiquement significative, dans la dysplasie
de hanche par rapport à la coxarthrose primaire (p = 0,003), à
l’ostéonécrose aseptique (p = 0,03) et à la coxarthrose secondaire
(p = 0,07). La dysplasie de hanche, qui touche préférentiellement
les jeunes femmes, est la maladie qui a la répercussion sexuelle
la plus précoce, tandis que la coxarthrose primaire est celle ayant
la répercussion sexuelle la plus tardive.
Les douleurs chroniques de hanche avaient eu une répercussion importante à majeure sur la sexualité chez 19 % des
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Tableau 2
Âge lors du début des douleurs de hanche et lors de l’apparition des difficultés sexuelles (ans), et délai de reprise des activités sexuelles (jours)a
Âge de début des douleurs de hanche
Âge de début des difficultés sexuelles
Délai de reprise des activités sexuelles
Total
ONTF
CP
CS
DH
Coxite
42,6 (9–65)
45,0 (21–65)
66,4 (4–365)
41,5 (18–56)
42,2 (21–58)
61,8 (5–210)
45,6 (20–65)
49,4 (28–65)
69,9 (8–365)
36,0 (9–60)
45,3 (30–61)
62,4 (4–180)
33,3 (9–52)
33,3 (24–52)
75,5 (21–120)
43,7 (33–52)
39,5 (36–43)
45,7 (35–60)
ONTF : ostéonécrose de la tête fémorale ; CP : coxarthrose primaire ; CS : coxarthrose secondaire ; DH : dysplasie de hanche.
a Les valeurs sont fournies en moyenne (minimum–maximum).
Tableau 3
Intensité des douleurs de hanche et des difficultés sexuelles (nombre de patients)
Difficultés sexuelles préopératoires
Insatisfaction ou tension dans les relations de couplea
Difficultés sexuelles postopératoiresa
Douleurs de hanche postopératoires
a
Aucune
Minimes
Modérées
Importantes
Majeures
40
57
47
70
29
29
19
41
40
20
23
23
22
6
0
0
4
2
0
1
Le total est inférieur à 135 du fait de non-réponses.
patients (26/135) ; 7 % des patients (8/114) estimaient avoir souffert de tensions ou d’insatisfaction dans leur relation avec leur
partenaire (Tableau 3). Les principales raisons des difficultés
sexuelles étaient la douleur et la raideur articulaire (Tableau 4).
L’existence d’une atteinte polyarticulaire (rachis, genou, etc)
était un facteur aggravant entraînant significativement plus de
difficultés sexuelles chez les patients classés Charnley C que
chez ceux classés Charnley A ou B. En préopératoire, les femmes
étaient significativement plus handicapées sur le plan de leur
sexualité que les hommes (p = 0,004) (Tableau 5). Mais en postopératoire, cette différence entre les femmes et les hommes
disparaissait (p = 0,13). Cela n’était pas associé à une plus grande
motivation de la part des femmes à bénéficier de la mise en
place d’une PTH (p = 0,33) (Tableau 5). En effet, les difficultés
sexuelles n’étaient un élément de décision pour la PTH de la
part du patient que chez 21 parmi 113, soit 18,5 % des patients.
Ce pourcentage atteint 36 % (4/11) chez les patients ayant une
dysplasie de hanche.
La reprise des relations sexuelles est survenue en moyenne
66,5 jours (extrêmes : 4–365) après la PTH, mais trois patients
n’ont jamais repris leurs activités sexuelles. La reprise des activités sexuelles s’est faite significativement plus tard pour les
femmes (87 jours) par rapport aux hommes (54 jours, p = 0,0005)
(Tableau 5). Le diagnostic n’a pas eu d’influence sur le délai
de reprise de la sexualité. Le pourcentage de patients n’ayant
pas de difficultés sexuelles ou des difficultés minimes était de
54 % avant la PTH et 74 % après la PTH. Après la mise en
Tableau 4
Étiologies des difficultés lors du rapport sexuel (nombre de patients)
Douleur
Raideur articulaire
Baisse de la libido
Autres
Aucune
54
52
27
11
36
Tableau 5
Influence du sexe sur les étiologies des difficultés sexuelles et sur le résultat de
la prothèse totale de hanche (PTH)
Nombre
Hommes
Femmes
77
58
Les difficultés sexuelles constituent
un argument pour la décision de la
PTHa
Oui
Non
9
53
12
39
Difficultés sexuelles préopératoires
Aucune
Minimes
Modérées
Importantes
Majeures
31
18
19
8
1
8
11
21
14
3
Étiologies des difficultés sexuelles
Douleur
Raideur articulaire
Baisse de la libido
Autres
Aucune
24
19
12
6
27
30
33
15
5
9
Difficultés sexuelles postopératoires
Aucune
Minimes
Modérées
Importantes
Majeures
29
11
8
0
0
18
8
15
0
1
Fréquence des rapports sexuels en
postopératoire
Augmentée
Inchangée
Diminuée
Délai de reprise des rapports sexuels
(jours)
Satisfaction du patient par rapport à
sa chirurgie
a
p
0,33
0,004
?
0,13
0,02
8
61
8
16
30
7
53,9 (5–210)
87,2 (4–365)
0,0005
8,85 (0–10)
8,27 (2–10)
0,16
Le total est inférieur à 135 du fait de non-réponses.
J.-M. Laffosse et al. / Revue du Rhumatisme 75 (2008) 268–273
Tableau 6
Réduction du score fonctionnel Womac en fonction du sexe et des difficultés
sexuelles
Hommes
Femmes
Difficultés sexuelles
absentes ou minimes
Difficultés sexuelles
modérées
p
2,9 ± 4,2 (0–19)
2 ± 2,4 (0–7)
3,3 ± 4,6 (0–14)
9,2 ± 5,7 (0–20)
0,81
0,0002
place de la PTH, la fréquence des relations sexuelles avait augmenté chez 18,5 % des patients (24/130), diminué chez 11,5 %
des patients (15/130) et n’avait pas varié chez 70 % des patients
(91/130). Parmi les patients pour lesquels la fréquence des relations sexuelles avait augmenté après la mise en place de la PTH,
on trouvait significativement plus de femmes que d’hommes
(p = 0,02) (Tableau 5). Les patients n’ayant que peu ou pas
de difficultés sexuelles avaient un score fonctionnel réduit du
Womac significativement meilleur que ceux ayant des difficultés
sexuelles modérées (2,6/28 versus 6,8/28, p = 0,002) (Tableau 6).
Cette différence n’était présente que chez les femmes.
Du point de vue des postures sexuelles, les douleurs de hanche
n’avaient que peu d’influence chez les hommes qui utilisaient
les mêmes postures avant et après la PTH. En revanche, les
femmes utilisaient avant la PTH, en comparaison à la période
postopératoire, des postures ne nécessitant pas d’abduction et
rotation externe de hanche.
Notre étude a permis de montrer que seulement 17,3 % des
patients (23/133) avaient reçu une information concernant les
activités sexuelles avant et/ou après PTH et que seulement
10,5 % (14/131) étaient informés de la nécessité d’attendre un
délai avant la reprise d’une activité sexuelle. Mais 21 % des
patients avaient été informés du risque lié à certaines positions qu’il était nécessaire d’éviter. Dans la plupart des cas
(17/21), cette information avait été fournie par le kinésithérapeute ayant en charge la rééducation au cours des premiers jours
postopératoires dans notre service. Les patients estimaient que
c’était le chirurgien, suivi par le kinésithérapeute, qui était le
mieux placé pour délivrer ce type d’information et qu’un livret
serait un bon moyen de compléter cette information. Concernant
l’information du partenaire, les patients préféreraient qu’il soit
présent au cours de l’entretien, ou qu’un livret d’information
lui soit fourni, mais pas qu’il y ait un entretien séparé avec le
partenaire (Tableau 7).
271
Globalement, les patients étaient très satisfaits de leur intervention chirurgicale avec un score de 8,6 sur 10, sur une échelle
allant de zéro (très insatisfait) à 10 (très satisfait). Cette satisfaction était identique dans les deux sexes (Tableau 5). Plus d’un
patient sur quatre (38/135) a fourni un commentaire libre indiquant son intérêt pour ce type d’étude, mais seulement 8,5 % des
patients (11/127) auraient aimé recevoir un appel téléphonique
avant le questionnaire.
4. Discussion
Notre étude a été rétrospective et nous avons choisi d’adresser
un questionnaire anonyme par la poste, ce qui limite sa signification. Une étude prospective avec un entretien direct présenterait
moins de biais méthodologiques, mais il est difficile aux patients
de répondre directement à certaines questions. Le caractère
anonyme permet aux patients de s’exprimer plus librement, à
l’extérieur du service, sur un sujet qui concerne leur vie privée
[4,10]. L’impact des difficultés sexuelles sur la qualité de vie, en
terme de tension ou d’insatisfaction dans la relation avec le partenaire, est ainsi plus facilement exprimé de manière anonyme.
Toutefois, il existe un risque important de mauvaise compréhension des questions qui se doivent donc d’être simples et
peu nombreuses. Cela, associé au caractère rétrospectif de notre
étude, créé une limite à la pertinence des données recueillies et
pouvant être analysées. Il n’était pas possible de connaître l’état
préopératoire avec une grande précision : capacités fonctionnelles, douleur, mobilité articulaire, etc. De la même manière, il
était impossible de faire la relation entre les difficultés sexuelles
et d’éventuelles complications postopératoires.
Nos objectifs initiaux étaient de déterminer l’importance des
difficultés sexuelles chez les patients ayant des douleurs chroniques de hanche et de mener un audit sur la manière dont notre
service prend en charge ces difficultés sexuelles, cela à l’aide
d’un autoquestionnaire qui soit acceptable et facile à remplir
par le patient. Le but étant de fournir une information adaptée aux demandes de chaque patient et cela dans son propre
intérêt. Notre taux de réponse fut de près de 40 %, alors qu’il
était de 33 à 86 % dans d’autres études publiées et utilisant le
même type de questionnaire [1,4,10,11,14,16]. Ce taux pourrait sembler bas, mais cela nécessite d’être analysé en détail.
La population concernée par notre étude était une population
Tableau 7
Préférences du patient comme source d’information sur la sexualité liée à sa maladie et à sa chirurgie
Préférences pour la source d’information à son égard
Chirurgiena
Médecin de famillea
Kinésithérapeutea
Infirmièrea
Livret d’informationa
Oui, certainement
Oui
Non, certainement
En aucune façon
Incertain
48
21
27
14
65
29
24
21
14
18
13
22
21
19
9
3
6
6
11
4
15
11
14
15
9
17
6
22
13
29
4
2
24
8
6
4
5
Préférences pour la source d’information à l’égard de son partenaire
. . .préférerait qu’il soit présent au cours de l’entretiena
60
4
. . .préférerait qu’il ait un entretien séparéa
. . .préférerait qu’il dispose d’un livret d’informationa
48
a
Le total est inférieur à 135 du fait de non-réponses.
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jeune et vivant dans une région de grande mobilité. Cela augmente le taux de perdus de vue et rend difficile la localisation
de certains patients. Il semble qu’un appel téléphonique n’aurait
pas augmenté le taux de réponse dans notre étude. De plus, il
aurait été difficile de faire venir les patients à l’hôpital dans le
seul but d’évaluer leur sexualité, car nombre d’entre eux auraient
refusé. Seule une étude prospective pourrait permettre un recueil
d’informations fiables avec un taux élevé de réponses pouvant
être soigneusement analysées.
Plusieurs études montrent que plus de la moitié des patients
souffrent de difficultés sexuelles directement liées à des douleurs chroniques de hanche [1,4]. Chez certains patients, entre
5 et 10 % [1,4,11], cela entraîne un arrêt des relations sexuelles.
Les principales causes en sont la douleur, l’appréhension d’avoir
mal, l’asthénie et la raideur articulaire [11,17]. D’autres facteurs peuvent intervenir [1,17,18] : une baisse de la libido, une
atteinte d’autres articulations, comme celles du rachis [3], que
l’on observe précocement dans les rhumatismes inflammatoires
chroniques (polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite ankylosante, etc) chez des sujets jeunes [19]. De plus, la libido et
la fonction érectile chez l’homme peuvent être diminuées par
les effets indésirables de certains médicaments (analgésiques
morphiniques, antidépresseurs tricycliques, benzodiazépines,
myorelaxants, etc), et aussi par les conséquences négatives pouvant survenir dans toute maladie chronique. Nordentoft et al.
[20] ont étudié la sexualité et la fonction érectile avant et après
arthroplasties de hanche ou de genou dans une cohorte de 99
hommes âgés en moyenne de 70,6 ans. Ils avaient observé que
17 % des patients avaient arrêté leurs activités sexuelles après
l’intervention chirurgicale, sans amélioration après six mois, et
que 26 % des patients avaient des troubles majeurs de l’érection
avec une amélioration à six mois chez seulement 6 % d’entre
eux. Dans cette étude [20], le risque de diminution des activités
sexuelles était proportionnel à l’âge du patient et à l’existence
de troubles de même nature en préopératoire. Nous n’avons pas
étudié la fonction érectile dans notre étude où tous les patients
étaient âgés de moins de 65 ans. Le partenaire peut aussi être
en cause en surprotégeant le patient et en refusant les relations
sexuelles, ce qui dévalorise alors le patient ou peut même le
confiner dans un statut d’invalide. Les femmes sont touchées
plus souvent que les hommes par ces difficultés sexuelles, tant
en fréquence, qu’en intensité et qu’en terme d’âge de survenue
au cours de la maladie [1,4,11]. Cela est particulièrement le cas
dans la dysplasie de hanche. Par delà l’activité sexuelle en ellemême, c’est dans sa propre image de femme que la patiente
peut se voir dévalorisée [14], dans la mesure où les difficultés sexuelles constituent une menace directe sur la possibilité
d’avoir un enfant. Cela peut constituer une source supplémentaire de frustration pour les couples jeunes.
Dans ces cas, la mise en place d’une PTH entraîne habituellement un soulagement durable des symptômes [2,11]. Pour
Stern et al. [11], une augmentation de la fréquence des relations
sexuelles après PTH permet de démontrer les effets bénéfiques
de la chirurgie sur la sexualité des patients. Notre étude confirme
ces résultats, mais une augmentation de cette fréquence n’était
retrouvée que chez moins de 20 % de nos patients. Dans notre
étude, les relations sexuelles reprenaient plus de trois mois après
la chirurgie. Les hommes semblaient reprendre leurs activités
sexuelles plus tôt que les femmes, en partie du fait que, lors
de l’acte sexuel chez l’homme, la mobilité articulaire intervient
moins que chez la femme (pas d’abduction ni rotation externe de
hanche). Nous avons aussi trouvé que les hommes utilisaient les
mêmes postures avant et après PTH, dans la mesure où celles-ci
ne font pas intervenir l’abduction de hanche. À l’inverse, chez
les femmes les postures sont très différentes entre la période préopératoire, où les postures choisies ne nécessitent qu’une faible
mobilité articulaire, et la période après la chirurgie où les postures avec abduction et rotation externe en position de décubitus
dorsal sont préférées. Elles présentent un fable risque de luxation
de prothèse qui représente la principale crainte dans les relations
sexuelles après mise en place d’une PTH. Ces postures peuvent
donc être reprises précocement sans risque. Il est nécessaire de
respecter une période d’un mois pour permettre la cicatrisation
des tissus périarticulaires (surtout les éléments postérieurs stabilisateurs), de la peau et du tissu sous-cutané. Le choix d’une voie
d’abord antérieure ou antérolatérale permet le respect des structures périarticulaires stabilisatrices, comporte un risque moindre
de luxation prothétique dans la période postopératoire précoce et
permet une reprise plus précoce des activités sexuelles [21–23].
Les relations sexuelles peuvent être reprises en toute sécurité
après un délai postopératoire de un à deux mois [11] pour la
position en décubitus dorsal et après trois mois quelque soit la
position, à l’exception des postures les plus extrêmes. Les postures en décubitus latéral ne sont pas recommandées pendant la
période postopératoire précoce, dans la mesure où il s’agit de
positions à risque et qu’elles peuvent favoriser l’adduction et la
rotation interne. La jambe située au dessous devrait être stabilisée par un coussin ou par le partenaire [11], mais cette précaution
indispensable peut altérer la qualité de la relation sexuelle.
Comme le montrent les commentaires spontanés faits par les
patients à côté de leur réponses au questionnaire, il est évident
que les difficultés sexuelles de nos patients sont sous-estimées et
devraient être abordées par l’équipe soignante dans les cas où les
patients ne les abordent pas clairement de leur propre chef. Malgré cela, il existe une réelle lacune dans l’information concernant
les difficultés sexuelles induites par les maladies chroniques de
la hanche [1]. Dahm et al. [12] soulignent le manque d’intérêt
porté à ce sujet par 80 % des praticiens qui ne parlent que
rarement, sinon jamais, de la sexualité après PTH avec leurs
patients. Si ce dialogue n’est engagé, ni par le praticien, ni
par le patient, le problème peut devenir source de frustration
et même d’humiliation, ayant une influence sur le patient quant
à l’estime de soi et sur sa relation avec son partenaire. Cela
peut être une source de tension, d’insatisfaction, parfois très
marquées [1]. Ce manque d’information est un problème noté
par nombre d’auteurs [1,4,10–12,14]. Plus de trois-quart des
patients souhaiteraient que soit délivrée une information concernant les relations sexuelles après mise en place d’une PTH et les
deux-tiers pensent qu’un dialogue avec le chirurgien les aiderait [11]. La capacité de provoquer un dialogue entre partenaires
est alors nécessaire, même si le sujet n’est pas abordé spontanément par le couple concerné. L’information doit concerner
à la fois la période préopératoire et celle postopératoire : délai
de reprise des activités sexuelles, postures permises sans risque
J.-M. Laffosse et al. / Revue du Rhumatisme 75 (2008) 268–273
de complication mécanique de la PTH. Avant la chirurgie, les
patients se limitent d’eux-mêmes surtout à cause de la douleur et de la raideur articulaire. Les faits doivent être abordés
et des solutions simples et pratiques peuvent être fournies. Le
recours au kinésithérapeute peut être bénéfique. Dans la période
postopératoire précoce, le rôle du chirurgien, du kinésithérapeute, puis du médecin de rééducation, doit être de rassurer le
patient sur ses possibilités, tout en lui fournissant des informations claires et détaillées pour limiter les risques de luxation de
prothèse lors des activités de la vie courante, mais aussi lors
des activités sexuelles. La seule limite à la reprise précoce des
relations sexuelles est liée au risque de luxation de prothèse.
En conséquence, les postures autorisées doivent être clairement
explicitées, si nécessaire en s’aidant de schémas. Nous sommes
entièrement en accord avec Dahm et al. [12], qui autorisent un
peu de « fantaisie » dans la mesure où les quelques éléments de
base nécessaires à la sécurité de la prothèse font l’objet d’un
dialogue explicite avec le patient, et qu’à la fois patient et partenaire les comprennent. Des livrets réalisés par le corps médical
seraient un bon moyen d’information complémentaire pour le
patient, avant et après la PTH, et faciliteraient ainsi le dialogue.
Certains services de chirurgie orthopédiques ont d’ores et déjà
développé ce type de documentation.
Notre étude a confirmé nos hypothèses concernant les effets
néfastes des douleurs chroniques de hanche sur les activités
sexuelles de nos patients. Les patients les plus concernés par
les difficultés sexuelles sont les femmes les plus jeunes, qui
sont aussi atteintes le plus précocement, et celles ayant une
dysplasie de hanche. La mise en place de la PTH va permettre
une amélioration de ces difficultés. Ces problèmes doivent faire
l’objet d’un dialogue avec les patients, qui doivent recevoir
une information claire et détaillée, en particulier concernant la
période d’abstinence d’au moins un mois après la chirurgie, et
concernant les postures à risque. Les lacunes dans les connaissances de ces problèmes sont principalement dues au manque
d’information de la part du chirurgien et/ou de l’équipe soignante, mais sont aussi liées à la gêne qu’éprouvent les patients
à aborder ouvertement cet aspect de leur vie personnelle. Un
livret d’information simple et clair permettrait de faciliter le dialogue entre le personnel soignant et le patient, mais aussi entre
le patient et son partenaire.
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