fréquence spatiale-spécifique

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fréquence spatiale-spécifique
Article original
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (4) : 453-62
Vieillissement de la catégorisation visuelle
d’objet : interaction entre un déficit
« fréquence spatiale-spécifique »
et un déficit « catégorie-spécifique »
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017.
Aging of visual object recognition: interaction
between a “spatial frequency-specific” deficit
and a “category-specific” deficit
Pierre Bordaberry
Quentin Lenoble
Sandrine Delord
Laboratoire de psychologie (EA 4139),
Université de Bordeaux, France
<[email protected]>
Tirés à part :
P. Bordaberry
Résumé. L’objectif était d’étudier le vieillissement de la catégorisation d’objet en manipulant le contenu en fréquences spatiales (FS) de photographies d’objets et leur catégorie.
Trente jeunes (m = 22) et 24 adultes matures (m = 57) devaient catégoriser 120 photos
d’objets (animaux/outils) présentées pendant 200 ms chacune, dans l’une des trois versions de filtrage : normale (sans filtrage), aucun filtrage passe-bande (filtre gaussien isolant
les FS moyennes et élevées) ou passe-bas (isolant les FS basses). Les résultats ont montré
l’implication préférentielle de la gamme de FS moyennes et élevées dans cette tâche et
ont mis en évidence un déficit massif du traitement de cette gamme chez les participants
matures, ce qui générait pour ce groupe un déficit catégorie-spécifique envers les outils,
dont la faible similarité intra-catégorie des items rend le codage de ces informations spectrales particulièrement crucial. Une détérioration de la catégorisation avec l’âge a également
été observée pour les FS basses, spécifiquement pour les animaux. Cette interaction entre
le déficit FS-spécifique avec l’âge et la catégorie est discutée en fonction des informations
de FS nécessaires à la tâche et des caractéristiques des deux catégories.
Mots clés : vieillissement, vision, catégorisation
Abstract. The study investigated the aging of object categorization manipulating the spatial
frequency (SF) content in photographs of object and the object category. Thirty young (m
= 22 years old) and 24 mature adults (m = 57 years old) categorized 120 items (animals/tools)
presented for 200 ms each, in one of three versions: a normal version (no filter), a band-pass
filtered version (medium to high SF) and a low-pass filtered version (low SF). Results showed
that this categorization task relied mainly on the medium to high SF band and that the
mature group had a large impairment on that band. This impairment resulted for this group
in a category-specific deficit toward the tools, for which the weak intra-category similarity
in the items requires that SF range to be processed. An impairment of performance with
increasing age was also found for the low SF band, specifically for animals. This interaction
between the SF-specific deficit with age and the category is discussed according to the
relevance of SF band for the task and to the characteristics of the two categories.
doi:10.1684/pnv.2012.0369
Key words: aging, vision, categorisation
L’
étude de l’effet du vieillissement normal sur
les processus visuels a montré que certains
processus étaient préservés alors que d’autres
montraient une involution plus ou moins tardive avec
l’avancée en âge [1]. Plusieurs études ont en outre observé
une relation entre les déficits visuels liés à l’âge et des
difficultés d’adaptation dans des tâches de la vie quotidienne [2, 3] ou, par exemple, en conduite automobile
[4, 5]. Les travaux portant sur le vieillissement du système visuel humain ont rapporté que les modifications
concernaient aussi bien les niveaux ophtalmologique, neurophysiologique ou comportemental [1, 6-9].
En plus des modifications ophtalmologiques (changements de la cornée, du cristallin, et de l’humeur vitrée,
voir Salvi et al. [7] pour une revue), qui affectent la qualité de l’information disponible pour les traitements visuels,
Pour citer cet article : Bordaberry P, Lenoble Q, Delord S. Vieillissement de la catégorisation visuelle d’objet : interaction entre un déficit « fréquence
spatiale-spécifique » et un déficit « catégorie-spécifique ». Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(4) :453-62 doi:10.1684/pnv.2012.0369
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P. Bordaberry, et al.
des modifications anatomiques et neurophysiologiques ont
été observées dans les premières structures nerveuses
visuelles. Dans la rétine, une diminution du nombre des
photorécepteurs et des cellules ganglionnaires a été mise
en évidence [10, 11], ainsi qu’une réorganisation neuronale
[12]. Concernant l’aire visuelle primaire, la sélectivité des
cellules corticales dans V1 se détériore avec l’âge, sur le
codage de la fréquence spatiale (FS) ou de l’orientation
(chez le singe : [13, 14] ; chez le chat : [15]). Il a notamment été montré que la FS critique des cellules diminuait
(i.e. il y avait une perte du codage des FS élevées) et que la
largeur des courbes d’accord augmentait (i.e. la sélectivité
de l’ensemble des cellules diminuait).
Bien que certaines modifications du substrat n’aient
pas toujours de conséquences comportementales directes
(e.g. concernant la diminution de la sélectivité à la FS avec
l’âge [16]), un grand nombre de tâches visuelles deviennent
déficitaires avec l’avancée en âge. L’acuité visuelle commence à diminuer dès 35 ans chez l’adulte pour ensuite
chuter de façon plus importante à partir de 50 ans [17, 18].
Les capacités spatio-temporelles se détériorent avec l’âge
[19] ainsi que la discrimination de la direction du mouvement [20], la détection des contours [21] et la perception de
la forme [22]. Une perte de la discrimination des couleurs
se manifeste également sur l’axe bleu [23].
Ainsi, le vieillissement du système visuel a suscité un
nombre important d’études neurophysiologiques ou psychophysiques depuis une cinquantaine d’années qui ont
montré l’involution de certaines compétences visuelles
élémentaires avec l’âge. Ces recherches ont, plus récemment, été interprétées dans le cadre de la dissociation
entre les deux principaux sous-systèmes visuels, le système « magnocellulaire » et le système « parvocellulaire »
(e.g. [24, 25]). Ces deux sous-systèmes (dont le nom vient
des cellules qui les sous-tendent) ont des propriétés spatiotemporelles différentes, ce qui permet de les dissocier
expérimentalement. Le système magnocellulaire répond
rapidement, a un fort gain de contraste, répond aux FS
basses et code le mouvement mais pas la couleur, alors
que le système parvocellulaire a un faible gain de contraste,
répond plus lentement aux FS élevées et code la couleur. Le
système parvocellulaire est ainsi critique dans la perception
détaillée d’un stimulus alors que le système magnocellulaire véhicule la forme globale [26, 27].
Si les atteintes des traitements visuels précoces avec
l’avancée en âge ont été assez étudiées, les conséquences de ces déficits sur les traitements cognitifs visuels
plus tardifs sont encore peu explorées. L’objectif de cette
étude était donc d’investiguer les déficits liés à l’âge dans
la catégorisation de photographies d’objets (animaux et
outils) en dissociant deux dimensions basiques de la forme :
les informations de FS basses véhiculant la forme globale
de l’image et les FS élevées véhiculant les détails de la
forme. Ces deux types d’information sont traités par des
systèmes neuronaux distincts dès les premières étapes
visuelles [28, 29] et ont un rôle différent dans les étapes
tardives de reconnaissance d’objets. Dans son modèle de
2003, Bar [30] postulait que les FS basses préactivent
différentes représentations possibles de l’objet alors que
les FS élevées, critiques dans la reconnaissance visuelle,
permettent la sélection de la cible parmi ces candidats.
Ce modèle postule une intégration “coarse to fine” de
l’information visuelle, c’est-à-dire qu’une première vague
de traitement, basée sur les FS basses et réalisée par le
système magnocellulaire, permet une représentation initiale peu élaborée du stimulus, ensuite complétée par une
deuxième vague de traitement plus lente (véhiculée par
les FS élevées, véhiculées par le système parvocellulaire)
dont le rôle est déterminant pour l’identification. Les études
comportementales sur la reconnaissance de scènes [31-33]
ou de lettres [34] ont pu rendre compte d’une telle organisation des traitements. Plus particulièrement, le travail de
Musel et al. [33], qui étudiait le vieillissement normal, a montré que l’intégration temporelle des traitements des deux
gammes de FS (les FS basses étant normalement intégrées avant les FS élevées) se détériorait avec l’âge. Les
auteurs ont aussi montré que cette détérioration dépendait
de la catégorie de la scène : pour les scènes d’intérieurs,
nécessitant davantage le traitement des FS élevées, les
deux gammes de FS étaient intégrées à la même vitesse
alors que pour les scènes d’extérieurs, les FS basses continuaient d’être intégrées avant les FS plus élevées chez les
personnes âgées. Cette interaction entre la FS et la catégorie sémantique avait déjà été mise en évidence pour
la reconnaissance d’objets isolés chez le participant jeune
[35], ainsi que son interaction avec le vieillissement [36].
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Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012
Pour les objets, on distingue généralement deux
grandes catégories de stimuli : les objets vivants (animaux,
végétaux. . .) et les objets non vivants ou manufacturés
(meuble, outils. . . [37]). La question du déficit spécifique
du traitement d’une de ces deux catégories dans le
vieillissement normal a été posée, sans qu’un consensus
n’émerge. En effet, une partie des travaux montrait un déficit spécifique de traitement pour les objets vivants [38-41]
tandis que d’autres observaient un déficit de reconnaissance des objets manufacturés [42, 43]. Enfin, plusieurs
études n’ont observé aucun déficit catégoriel lié à l’âge
[44, 45]. D’éventuelles variables confondues avec la catégorie sémantique des objets ont alors été recherchées pour
expliquer la discordance des résultats (voir pour revues
[46, 47]), d’abord en contrôlant des variables de haut
niveau, comme la fréquence lexicale [45], puis d’autres
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Vieillissement de la catégorisation visuelle d’objet
variables pré-sémantiques comme la complexité visuelle
[47, 48]. Il a notamment été proposé que certains effets
catégorie-spécifiques puissent s’expliquer par la ressemblance structurale plus ou moins forte entre les différents
items d’une même catégorie [49], par exemple, pour les
catégories utilisées dans l’étude présente, les animaux
se ressemblent plus entre eux que les outils. Cette interprétation a en outre été reprise récemment en spécifiant
que les contraintes de la tâche doivent être prises en
compte, notamment la profondeur des traitements requis,
pour rendre compte des effets de similarité [47]. Si un traitement rudimentaire de la forme, par exemple à l’étape
pré-sémantique de structuration de la forme, suffit pour
répondre, par exemple comme on peut le penser pour
une simple tâche de catégorisation (naturel/manufacturé), la
similarité des items d’une catégorie doit aider alors qu’elle
peut rendre les traitements plus difficiles lorsque la tâche
implique l’étape de l’accès aux représentations sémantiques dans laquelle la sélection d’un item à l’intérieur d’une
catégorie doit être réalisée, comme c’est le cas dans une
tâche d’identification.
initial où les deux gammes de FS s’additionnent linéairement [50], il existe des interactions entre elles à un plus haut
niveau de traitement, comme cela a été modélisé par Bar
[30]. Ainsi la procédure utilisée par ces auteurs [35, 36] ne
permet pas d’évacuer ces interactions et d’analyser le rôle
précis de chaque gamme de FS pour interpréter les effets
du vieillissement. En effet, le décalage vers des FS de plus
en plus élevées avec l’âge peut aussi bien s’expliquer par un
déclin du traitement des FS basses que des FS moyennes
(d’après des calculs dérivés des détails de procédure mentionnés dans ces études) ou même des interactions entre
elles.
Une caractéristique visuelle de plus bas niveau encore,
la FS, influe également sur les effets catégorie-spécifiques.
Vannucci et al. [35] ont tout d’abord évalué l’influence des
différentes gammes de FS dans la reconnaissance d’objets
chez de jeunes adultes. La procédure était la suivante : un
objet (animal ou outil) était présenté au participant dans
une version ne contenant que les FS les plus basses.
Toutes les 200 ms, la largeur de bande du filtre passebas s’élargissait de manière à ce que des FS de plus en
plus élevées soient ajoutées aux FS basses. Le participant
devait identifier l’objet pour la version la plus dégradée possible, parmi les 9 niveaux de filtrage utilisés. Les résultats
ont mis en évidence que les animaux étaient identifiés
avec des FS plus basses que les outils qui nécessitaient
le traitement de FS plus élevées. Suite à l’observation d’un
déficit lié à l’âge pour les FS élevées dans une simple tâche
de détection de réseau, Viggiano et al. [36] ont répliqué
l’expérience pour trois groupes de personnes : matures,
âgées ou très âgées. Les résultats ont montré que le vieillissement s’accompagnait d’un recours à des FS de plus
en plus élevées pour la reconnaissance des objets, mais
que l’expertise pour une catégorie (ici les outils) permettait
de s’affranchir de ce déficit.Ces travaux donnent ainsi une
première indication sur une modification des informations
critiques pour la reconnaissance d’objet dans le vieillissement avec l’utilisation de FS plus élevées. Mais la procédure
utilisée par ces auteurs ne permet pas de dissocier le rôle
des FS basses et élevées puisque ces informations sont
toujours présentées ensemble dans leur paradigme expérimental. Or, on sait que hormis une étape de traitement
L’interprétation d’un déficit du traitement des FS élevées avec l’âge est cohérente avec la plupart des études
psychophysiques qui montrent un déficit plus important du
traitement des FS élevées que des basses dans le vieillissement [51, 52]. Par exemple, Zanlonghi et al. [53] ont
mesuré la fonction de sensibilité au contraste de participants âgés de 8 à 82 ans. Pour les FS basses, il n’y avait
aucune modification de la sensibilité entre 13 et 82 ans. En
revanche, lorsque les FS étaient plus élevées, la sensibilité au contraste diminuait dès 31 ans. Ce résultat confirme
celui d’Owsley et al. [54], voir [6], qui avaient observé une
perte de la sensibilité au contraste d’abord pour les FS
élevées. Selon Corbe [55], le déclin de la sensibilité au
contraste est progressif. Un déficit du traitement des FS
élevées apparaît d’abord lors du vieillissement, le traitement des FS moyennes est affecté par la suite, au-delà
de 60 ans [56]. Certaines études ont montré une diminution de la sensibilité aux FS basses [57]. Cependant, dans
une revue de la littérature, Owsley [6] a montré que les
études effectuant un contrôle rigoureux de la vision des
participants n’observaient pas de déficit pour cette gamme
de FS avec ce type de stimuli simples. Toutefois, des travaux récents qui utilisent la variation du contraste plutôt
que la manipulation de la FS sur des stimuli simples [24]
ou sur des photographies d’objets [25] pour solliciter de
façon privilégiée l’un des deux principaux sous-systèmes
visuels, magnocellulaire ou parvocellulaire, ont montré une
atteinte du système magnocellulaire avec l’avancée en âge.
L’étude présente avait donc pour objectif d’étudier le rôle
des déficits visuels aux premières étapes du vieillissement
normal dans la catégorisation d’objets en dissociant deux
gammes de FS, les FS les plus basses et les FS moyennes
et élevées. Des photographies d’animaux et d’outils ont
été présentées à des participants jeunes et matures en
trois versions : normale, filtrées passe-bas (contenant seulement des FS basses) et filtrées passe-bande (contenant
seulement des FS moyennes à élevées). De façon complémentaire à la procédure de Vannucci et al. [35] et Viggianno
et al. [36], ces deux conditions ont permis d’isoler les deux
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gammes de FS et d’analyser précisément leur influence
dans une tâche impliquant des traitements de haut niveau,
la catégorisation d’objets. La condition non filtrée servait
de condition référence dans laquelle les interactions entre
les différentes gammes de FS peuvent se mettre en jeu
librement. De manière générale, dans le groupe contrôle,
la catégorisation devrait être possible pour les images
passe-bas, quoique plus difficile relativement aux images
passe-bande, étant donné le privilège de ces dernières
dans les modèles de reconnaissance d’objets [30, 58].
Les outils qui se ressemblent moins entre eux que les
animaux, devraient être globalement moins bien catégorisés. En outre, le bénéfice des images passe-bande sur
les images passe-bas devrait être plus important pour la
catégorie des outils, pour laquelle cette gamme s’est révélée plus cruciale que pour les animaux [35]. Concernant le
groupe de personnes âgées, si le déficit précoce concernant les FS élevées observé pour des stimuli élémentaires
se répercute sur la catégorisation d’objets, une diminution
de la performance de catégorisation devrait s’observer de
façon plus importante pour les stimuli passe-bande et pour
les outils.
Méthode
Participants
Les participants étaient 30 jeunes adultes âgés de 17
à 25 ans (m = 22,6 ± 1,2 ; rang : 18-26) et 24 personnes
matures1 (m = 57,3 ± 5,6 ; rang : 52-67). Un test d’acuité
visuelle (Freiburg visual acuity test, Bach, 1996) était pratiqué au début de l’expérience afin de s’assurer que le
participant avait une vision normale ou corrigée à la normale (un score inférieur à 8/10◦ entraînait l’exclusion du
participant). Toutes les personnes présentant des pathologies visuelles (cataracte, glaucome, DMLA. . .) ou, pour
les personnes du groupe mature, ayant un score au MMSE
inférieur à 26, étaient exclues de l’étude.
1
Comme détaillé dans l’introduction, les déficits visuels, notamment la
perte de sensibilité pour les FS élevées, commencent dès la trentaine.
Matériel
L’expérience a été réalisée sur un ordinateur Dell Precision M6400 17 ” (Core 2 Duo [email protected] GHz sous le
contrôle de la carte graphique Quadro FX2700M). Les participants ont été placés à 45 cm de l’écran dans une pièce
faiblement éclairée. La génération et la présentation des
stimuli ont été réalisées avec le logiciel Matlab 7.2 (The
Mathworks) et la Psychtoolbox 3.0 [59].
Stimuli
Cent vingt photographies en noir et blanc d’objets isolés
sur un fond gris moyen ont été utilisées pour l’expérience
(60 animaux/60 outils). Leur taille était de 4,1 cm (soit 5,3
degrés d’angle visuel à 45 cm de l’écran). Trois versions
des images ont été présentées : non filtrée, passe-bande
et passe-bas. Les images passe-bas étaient formées seulement des composantes de FS basses (0 à 20 cpi, soit 0
à 3,8 cpd) de l’image originale et les images passe-bande
seulement des FS moyennes (10 à 40 cpi, 1,9 à 6,2 cpd)
à l’aide d’un filtre gaussien (voir des exemples dans la
figure 1).Les images ont été appariées en termes de luminance moyenne (moyenne = 121 RGB ± 7), de contraste
moyen (moyenne = 62 % ± 5 %), de complexité visuelle
(évaluée dans une étude préliminaire menée sur 10 autres
participants avec une échelle de Likert à 5 points dans un
pré-test) et fréquence lexicale orale et écrite (évaluée par la
base de données française Lexique [60]).
Procédure
L’expérience se composait de 120 essais : pour chacun, un point de fixation était présenté pendant 500 ms.
L’une des trois versions de la cible était ensuite affichée
pendant 200 ms. Le participant devait effectuer le plus
précisément et aussi rapidement que possible une catégorisation sémantique (animaux/outils) à l’aide des touches
‘m’ et ‘q’, respectivement à gauche et à droite du clavier.
Chaque participant ne voyait qu’une seule version de chacune des 120 images, dans une des trois conditions de
filtrage. Le filtrage était ainsi contrebalancé sur l’ensemble
des items tous les trois participants.
Figure 1. Exemples de stimuli. Naturel à gauche, artificiel à droite. Pour chacun, l’image originale à gauche, la version filtrée passe-bande
(FS moyennes et élevées) au centre et la version filtrée passe-bas (FS basses) à droite.
Figure 1. Examples of stimuli. Left: natural, right: man-made. With the original image on the left, the band-pass filtered version (medium to
high SF) in the center and the low-pass filtered version (low SF) on the right.
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Vieillissement de la catégorisation visuelle d’objet
Deux Anova ont été effectuées sur la précision (pourcentage de réponse correcte, %RC) et le temps de réponse
pour les réponses correctes (TR en ms, filtré à ± 2 écartstypes du TR moyen du participant, ce qui a éliminé 5,4 %
des données au total) en prenant le type de filtrage et la
catégorie de l’objet comme variables intrasujet et le groupe
comme variable intersujet à l’aide du logiciel Statistica.
Les résultats montraient un effet principal du groupe
significatif sur la précision (F(1,52) =16,1 ; p < 0,001) et
tendanciel sur le TR (F(1,52) =3,4 ; p = 0,07). Les participants matures étaient moins précis (80 %) et tendaient
à être plus lents (716 ms) que les jeunes adultes (87 %
et 659 ms). Il y avait aussi un effet principal du type de
filtrage sur la précision (F(2,104) =133,2 ; p < 0,001) et
sur le temps de réponse (F(2,104) = 32,4 ; p < 0,001).
Les comparaisons de moyenne par contraste montraient
plus particulièrement que les images non filtrées étaient
catégorisées plus efficacement et plus rapidement (92 % ;
638 ms) que les images passe-bande (86 %, p < 0,001 ;
Normal
696 ms, p < 0,001), elles-mêmes mieux et plus vite catégorisées que les images passe-bas (79 %, p < 0,001 ; 725 ms,
p < 0,001). Enfin, la catégorie de l’objet avait un effet sur
les deux variables dépendantes (%RC : F(2,104) =10,19 ;
p < 0,01 ; TR : F(2,104) =37,8 ; p < 0,001). Les animaux
étaient catégorisés plus précisément (86 %) et plus rapidement (666 ms) que les outils (82 % ; 707 ms).
Un effet d’interaction a été observé entre les facteurs
groupe et type de filtrage sur le %RC (F(2,104) =9,18 ;
p < 0,001). Chez les jeunes adultes, les images non filtrées
(95 %) étaient mieux catégorisées que les images passebande (89 %, p < 0,001), elles-mêmes mieux catégorisées
que les images passe-bas (78 %, p < 0,001). Pour le groupe
de personnes matures, les participants catégorisaient les
images non filtrées (90 %) plus précisément que les images
filtrées passe-bande (77 %, p < 0,001) ou passe-bas (74 %,
p < 0,001), qui ne différaient pas significativement entre
elles.
Pour finir, une double interaction entre la catégorie, le
filtrage et le groupe apparaissait sur la précision (F(2,104)
= 5,86 ; p < 0,01). Comme le montre la figure 2, pour les
Passe-bande
Passe-bas
100 %
90 %
80 %
% RC
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Résultats
70 %
60 %
*
50 %
Animal
Outil
Jeune
*
*
Animal
*
Outil
Âgé
Figure 2. La précision moyenne (%RC) est montrée sur l’axe des ordonnées en fonction du groupe et de la catégorie sur l’axe des abscisses
et du filtrage dans le corps du graphique. Les barres d’erreur verticales représentent l’intervalle de confiance (95 %). Les doubles flèches
horizontales en pointillés au bas du graphique représentent un effet significatif de la catégorie pour la comparaison correspondante et les
étoiles, un effet significatif du groupe.
Figure 2. Accuracy (%RC) as a function of spatial frequency and group. The error bars represent the confidence interval (95%). The horizontal
dashed double arrows at the bottom of the graph represent a significant effect of category for the corresponding comparison and stars
represent a significant effect of group.
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jeunes, l’effet du filtrage allait dans le même sens pour les
deux catégories d’objets comme le montraient les comparaisons deux à deux des conditions de filtrage : une plus
grande précision était observée pour la version non filtrée
que pour la version passe-bande (animaux : p < 0,01 ; outils
p < 0,05), et elle chutait encore pour la version passe-bas
(animaux : p < 0,01 ; outils p < 0,001). Les comparaisons deux à deux de la catégorie montraient toutefois un
effet catégorie-spécifique chez les jeunes dans la condition
passe-bas pour laquelle la précision tendait à être moins
élevée pour les outils que pour les animaux (p = 0,09).
Pour le groupe des sujets âgés, l’effet du filtre était similaire à celui observé pour les sujets jeunes pour la catégorie
animal, avec un bénéfice de la condition non filtrée sur la
condition passe-bande (p < 0,001), elle-même moins dégradée que la condition passe-bas (p < 0,001), alors que pour
les outils la précision était significativement dégradée pour
les deux versions filtrées par rapport à la version non filtrée (passe-bande : p < 0,001 ; passe-bas : p < 0,001).
Ainsi, dans ce groupe d’âge, un effet catégorie-spécifique
a été observé envers les outils, spécifiquement dans la
condition non filtrée (p < 0,01) et passe-bande (p < 0,01).
Par ailleurs, les comparaisons deux à deux de groupe
montraient que la détérioration de la précision avec l’âge
s’observait significativement pour les deux conditions de filtrage pour les animaux (passe-bande : p < 0,05 ; passe-bas :
p < 0,01) alors qu’elle s’observait pour la version non filtrée
(p < 0,05) et la version passe-bande (p < 0,001) pour les
outils.
pour les images passe-bande et non filtrées. Le déficit du
traitement des FS élevées, communément observé dans
le vieillissement sur des stimuli simples, se retrouve donc
ici sur des stimuli plus complexes comme des objets et il
permet de rendre compte du déficit catégorie-spécifique.
Effets chez les jeunes
L’objectif de cette expérience était l’étude de
l’interaction entre le déficit FS-spécifique et le déficit
catégorie-spécifique dans le vieillissement normal pour la
catégorisation visuelle de photographies d’objets.
Le premier résultat est l’implication différente des deux
gammes de FS dans cette tâche avec, globalement, un privilège des FS élevées sur les FS basses quel que soit l’âge
du groupe, et avec une détérioration plus marquée avec
l’avancée en âge des composantes de FS moyennes et élevées que des basses. Le second résultat important est la
mise en évidence d’un déficit catégorie-spécifique envers
les outils, avec un effet principal significatif du facteur catégorie, qui dépend toutefois à la fois de l’âge des participants
et du contenu spectral de l’image puisqu’une interaction
entre la catégorie, le type de filtrage, et le groupe a été obtenue. Ainsi, le déficit catégorie–spécifique est FS-spécifique :
il tend à apparaître chez les jeunes pour les images intégrant
seulement les FS basses et il devient significatif avec l’âge
Chez le groupe contrôle des jeunes adultes, l’effet des
deux gammes de FS sur la performance de catégorisation
est compatible avec le modèle de reconnaissance d’objets
proposé par Bar [30] et Kveraga et al. [61]. Dans ce modèle
d’identification, un traitement rapide des FS basses permet d’activer différentes représentations compatibles avec
l’objet, ce qui représente souvent la catégorie de l’objet,
alors qu’un traitement plus lent des FS élevées sert à coder
les détails pour sélectionner le bon candidat parmi ces
représentations possibles pour l’identification. De fait, dans
notre tâche de catégorisation, les deux gammes de FS permettent d’activer la catégorie puisque les performances se
situent largement au-dessus du hasard quel que soit le type
de filtrage. Ainsi les résultats montrent que la catégorisation
peut se fonder sur la forme globale, isolée dans la version
passe-bas [62], mais est plus efficace quand une analyse
plus locale fondée sur les détails est utilisée (version passebande). Ce privilège des FS élevées sur les basses pour la
catégorisation peut être interprété comme la démonstration
de la pertinence plus élevée de cette information spectrale
pour la tâche, ce qui serait difficile à réconcilier avec le
modèle du traitement visuel de Bar [30] et avec différents
résultats expérimentaux récents revus dans l’introduction.
Cet effet peut également venir du fait que l’identification
de l’objet (qui est un processus automatique pourvu que
l’information requise soit visible dans le stimulus) est souvent réalisée en même temps que sa catégorisation, même
si la tâche ne l’exige pas [63]. Il n’est donc pas exclu que le
bénéfice des FS élevées sur les basses vienne de la mise
en œuvre irrépressible du processus d’identification. Une
autre comparaison a donné des indications à cet égard :
la précision était encore plus élevée dans la condition non
filtrée, c’est-à-dire lorsque toutes les gammes de FS (i.e.
également les plus élevées) étaient disponibles. Ceci peut
s’interpréter de deux façons : soit les gammes de FS qui
ont été choisies dans nos filtres passe-bas et passe-bande
étaient trop restreintes et le bénéfice de la version non
filtrée viendrait de l’utilisation dans cette version des FS
manquantes dans les versions filtrées, soit ce bénéfice
vient de l’utilisation des FS basses en parallèle des FS élevées dans la version non filtrée, les interactions entre les
deux gammes de FS aidant peut-être au codage de la catégorie comme elles aident à l’identification [30]. Les résultats
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Discussion
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Vieillissement de la catégorisation visuelle d’objet
concernant le vieillissement qui sont présentés plus loin
peuvent permettre de départager ces deux interprétations.
Un autre résultat de l’étude concerne l’effet de la catégorie de l’objet, avec un privilège de la catégorie animal
sur la catégorie outil obtenu pour cette tâche de catégorisation. Ce déficit catégorie-spécifique envers les outils
est compatible avec certains effets catégorie-spécifiques
décrits pour des tâches d’identification chez les participants
jeunes [35, 64, 65], quoique le patron de résultat inverse est
en général observé pour des catégories plus larges, avec un
avantage des objets manufacturés sur les objets naturels
(e.g. [47] pour une revue). Notre déficit catégorie-spécifique
envers les outils est toutefois cohérent avec l’explication
pré-sémantique des effets catégorie-spécifiques (Pace) proposée par Gerlach [47] qui propose que les effets divergents
de la littérature peuvent être réconciliés si les contraintes
liées à la tâche sont considérées. Une plus grande similarité entre exemplaires, comme c’est le cas pour les animaux
relativement aux outils, constitue une difficulté dans une
tâche d’identification d’objets et la présente recherche
apporte des arguments expérimentaux démontrant qu’elle
devient une facilitation dans une tâche de catégorisation2 .
Cependant, si un effet principal de la catégorie a été
observé dans cette étude, l’analyse des interactions montrait une interaction double entre le filtre, la catégorie et
le groupe, dont la décomposition des effets à l’aide de
comparaisons spécifiques pour le groupe des jeunes montrait que, pour ce groupe, il n’y avait pas globalement de
déficit catégorie-spécifique significatif, sauf une tendance
à une diminution de la précision envers les outils, spécifiquement dans la condition de filtrage passe-bas. Il est
possible que la similarité plus importante des animaux entre
eux, relativement aux outils, qui avantage cette catégorie
d’objets naturels pour la tâche de catégorisation, rende également les FS basses plus pertinentes pour le codage de
la catégorie animal qu’elles ne le sont pour le codage des
outils3 .
Ainsi l’interaction entre le filtre et la catégorie est également compatible avec l’explication Pace mentionnée plus
haut pour rendre compte des effets catégorie-spécifiques
[47], puisque la similarité entre exemplaires porte essentiellement sur la forme globale de l’objet : contrairement
aux animaux, les outils ne partagent pas aussi souvent de
structure globale similaire. Les FS basses qui véhiculent la
forme globale de l’objet amènent donc la plupart du temps
2
Même si certaines identifications ont pu être réalisées pour certaines
images dans notre procédure comme cela est discuté plus haut, cet effet de la
catégorie indique que cela ne doit pas constituer une stratégie systématique.
3
Même si pour ces deux catégories, la gamme de FS élevées était plus
pertinente que les FS basses.
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012
suffisamment d’informations pour catégoriser l’image
comme un animal, alors qu’elles sont souvent insuffisantes pour catégoriser les outils à la forme globale moins
similaire.
Effet du vieillissement
Le groupe d’adultes matures avait globalement une
précision moins élevée et tendait à être moins rapide
que les jeunes adultes. La diminution de la rapidité de la
réponse est conforme au ralentissement habituellement
observé avec l’avancée en âge, au plan moteur ou cognitif
[66]. La diminution de la précision est moins fréquemment mise en évidence, parfois même le patron inverse
est observé [67, 68] ce qui témoigne ici de la détérioration
des processus visuels dans cette tâche utilisant des stimuli
élaborés. Les caractéristiques d’inclusion dans l’étude et
le contrôle préalable de l’acuité visuelle excluaient que des
déficits d’ordre ophtalmologique, plus fréquents avec l’âge,
ne contaminent les comparaisons intergroupe. Il semble
donc que l’avancée en âge s’accompagne, non d’un déficit dans l’extraction visuelle, mais plutôt dans la qualité
des traitements visuels précoces ou plus tardifs mis en
jeu dans la tâche de catégorisation. En outre, ces déficits s’observaient sélectivement dans certaines conditions
expérimentales et non dans les conditions les plus difficiles chez les jeunes, les effets liés à l’âge ne peuvent
donc pas résulter d’une exagération de la difficulté de la
tâche.
L’hypothèse principale de cette étude était que la plus
faible capacité à traiter les FS élevées chez les personnes
âgées entraînerait une dégradation des performances de
catégorisation des outils. Il a été montré depuis longtemps avec des stimuli élémentaires que la sensibilité
aux FS élevées diminuait avec l’âge [52-56]. L’interaction
entre le groupe et le filtrage, selon laquelle le vieillissement s’accompagne d’une diminution de la précision
de la catégorisation de photographies d’objets spécifiquement dans la condition de filtrage passe-bande, permet de
généraliser ces effets à des stimuli plus élaborés impliquant des traitements plus profonds. Cette baisse de la
sensibilité aux FS élevées a été interprétée comme une
atteinte du système visuel parvocellulaire dans le vieillissement normal. La littérature montre, de fait, un déficit
plus important du système parvocellulaire dans le vieillissement [24, 69], quoique le système magnocellulaire puisse
également être atteint notamment pour des tâches de
catégorisation [25].
On sait également que cette gamme de FS élevées
est plus pertinente pour les outils que pour les animaux
[35, 36] et que la détérioration sélective de leur traitement
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Points clés
• Le vieillissement normal s’accompagne de modifications du système visuel à plusieurs niveaux
depuis le signal d’entrée jusqu’aux traitements visuels
complexes.
• La dégradation des traitements visuels de bas niveau
est observée à partir de la cinquantaine.
• La détérioration de la catégorisation d’objets avec
l’avancée en âge est plus importante lorsque les détails
de la forme, plutôt que la forme globale, doivent être
traités.
• Il en résulte un déficit plus marqué pour la catégorie
« outils » que pour la catégorie « animaux ».
avec l’avancée en âge peut donc suffire à rendre compte
du déficit catégorie–spécifique. Nos résultats vont également dans ce sens puisque, pour le groupe d’observateurs
matures, un déficit de la catégorisation des outils relativement aux animaux a été mis en évidence spécifiquement
dans les conditions de filtrage passe-bande et non filtrée. Ainsi, il semble que le déficit catégorie-spécifique
envers les outils dépende de la fragilité du système parvocellulaire, isolé expérimentalement dans la condition
passe-bande, et qu’il ne puisse pas être compensé par
les rétroactions du système magnocellulaire [30], puisque
ce déficit se retrouve également dans la version non filtrée pour laquelle les deux sous-systèmes interagissent
normalement.
La comparaison des deux groupes d’âge dans les
différentes conditions de filtrage et de catégorie donne
également des indications. Alors que pour les animaux,
la détérioration de la performance avec l’avancée en âge
s’observe pour les deux conditions de filtrage, elle ne
concerne que la condition de filtrage passe-bande pour les
outils. Ainsi, comme cela est mentionné plus haut pour
le groupe des jeunes, on peut penser que les FS élevées sont plus pertinentes que les basses pour les deux
catégories, mais que la similarité plus importante des animaux entre eux rend la gamme de FS basses encore
assez utile pour leur catégorisation, alors qu’elle n’est pas
aussi pertinente pour la catégorisation des outils. Il faut
par ailleurs noter que la diminution de la performance du
groupe des observateurs matures dans la condition de filtrage passe-bas pour les animaux témoigne de l’atteinte
du système magnocellulaire avec l’avancée en âge, ce
qui est conforme avec la littérature concernant le vieillissement normal des deux sous -systèmes, selon laquelle
l’avancée en âge s’accompagne d’un déficit parvocellulaire
massif et aussi d’un déficit magnocellulaire quoique plus
faible.
460
Enfin, les résultats du groupe d’observateurs matures
donnent des indications sur la mise en œuvre de certains
processus compensatoires. D’une part, l’information de FS
basses présente dans l’image normale permet de fluidifier
la catégorisation des animaux pour lesquels le déficit lié à
l’âge qu’on observe pour les deux versions d’image filtrées
ne se retrouve pas significativement dans la condition normale non filtrée [30]. Il est probable qu’il y ait compensation
de la perte de la vision des FS élevées par une utilisation plus
importante de ce circuit, en utilisant de façon plus importante la forme globale de l’image plutôt que ses détails.
Ainsi, les personnes âgées pourraient compenser leurs déficits par une utilisation plus importante de ce réseau pourvu
que la forme globale des stimuli puisse suffire à la catégorisation comme c’est le cas dans cette étude pour les
animaux. Pour les outils, en revanche, dont le traitement se
fonde plus sur les FS élevées, ce processus de compensation ne suffit pas, et les observateurs âgés sont détériorés
relativement aux jeunes, même dans la condition non
filtrée.
Conclusion
Cette étude avait pour objectif d’étudier l’interaction
entre le déficit FS-spécifique et le déficit catégoriespécifique dans le vieillissement normal. L’hypothèse
principale selon laquelle le déficit du traitement des outils
est sous-tendu par le déficit du traitement des FS élevées
dans le vieillissement est confirmée, puisque la détérioration de la performance pour les FS moyennes et élevées
est plus importante pour les outils que pour les animaux.
Un déficit des FS basses a également été mis en évidence
dans le vieillissement, spécifiquement pour les animaux.
Ces déficits fréquentiels avaient été observés pour des stimuli élémentaires et des tâches visuelles simples et ils
étaient interprétés comme des dysfonctionnements sélectifs des sous-systèmes visuels magno- et parvocellulaires.
L’étude présente permet donc de généraliser ces effets
du vieillissement à des stimuli plus élaborés, impliquant
des traitements profonds. Elle permet en outre d’évaluer
dans quelle mesure ils expliquent les effets catégoriespécifiques, puisque la dégradation de la performance de
catégorisation avec l’âge dépend de la catégorie de l’objet,
et principalement de la similarité intra-catégorie des items,
et de la gamme de FS utiles. Enfin, l’étude a également
montré que des compensations étaient mises en œuvre
dans la condition normale sans filtrage mais que celles-ci
dépendaient également de la catégorie d’objet.
Conflits d’intérêts : aucun.
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 4, décembre 2012
Vieillissement de la catégorisation visuelle d’objet
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