Marc-André Gosselin - Concours Philosopher
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Marc-André Gosselin - Concours Philosopher
1979 mots Crainte, angoisse, terreur, ces mots rappellent tous une émotion, soit la peur. Cette émotion commune à tous les êtres humains est décrite par Howard Philips Lovecraft comme étant « la plus forte émotion ressentie par l’être humain ».1 Certains dirigeants ont contrôlé les individus en utilisant la peur. L’exemple typique d’un pays construit par la peur est les États-Unis, comme en témoigne le segment animé de Bowling for Columbine. Plus récemment, la peur associée à la menace terroriste a été amplifiée par l’administration Bush. Il est intéressant de s’interroger sur l’impact qu’a la peur dans nos vies. Ainsi, lorsque la peur nous prend, que nous prend-t-elle ? Pour notre part, la peur nous enlève de la liberté des individus. Toutefois, nous croyons que la peur maintient la société dans un cadre sécuritaire. Si le politique en abuse, cela peut brimer complètement la liberté. Plusieurs auteurs se sont intéressés à la peur en société. Hobbes présente la peur comme une limite à notre liberté, mais surtout comme une solution pour notre sécurité. À l’inverse, Hannah Arendt aborde la terreur qu’amène le totalitarisme. Selon elle, si la peur est omniprésente, les individus perdent leur liberté. Avant d’aller plus loin, il est pertinent de s’arrêter le temps de mettre en place les différents concepts. La peur est une émotion fondamentale de l’homme qui consiste en « la prise de conscience d’un danger réel ou imaginaire ».2 De plus, elle est orientée vers un objet.3 Comme la peur nous prend notre liberté, Thomas Hobbes décrit la liberté comme « l’absence d’empêchements extérieures ».4 En d’autres mots, les hommes sont libres s’ils n’ont pas de contrainte. De plus, la peur nous prend notre raison. La raison renvoie à la capacité de 1 2 3 Perron, Bernard. 2010. Université de Montréal. Les genres et le cinéma. Notes de cours. Frère, Jean. 2009. Philosophie des émotions. Paris : Eyrolles, p. 4. Roberge, Martine. 2004. L’art de faire peur: des récits légendaires aux films d’horreur, Québec : Les Presses 4 de l’Université Laval, p. 17. Hobbes, Thomas. 1998. Léviathan, extraits. Coll « Classiques Hachette ». Paris : Hachette, p. 18. différencier le bien du mal en vue de satisfaire nos désirs. Si les individus acceptent de vivre dans la peur, c’est pour assurer leur sécurité. La sécurité consiste à ne pas se sentir menacé par un danger. Chaque personne veut assurer sa propre survie. Dans son ouvrage, Arendt distingue la peur et la terreur. La peur est destinée à éviter le danger et suppose une liberté réduite. La terreur est un degré supérieur de la peur. Elle empêche les hommes d’agir, car elle leur enlève leur liberté. D’abord, Hobbes présente la peur comme une limite à notre liberté, mais surtout comme une solution pour notre sécurité. C’est la peur et notre raison, selon Hobbes, qui nous indique qu’il serait mieux de laisser une part de notre liberté au profit de la sécurité du contrat social. La peur enlève la liberté aux individus, mais assure la sécurité en communauté. Hobbes fut le premier à affirmer que la peur aide à la formation de l’État.5 Corey Robin mentionne que « Hobbes croit […] [que] la peur doit donc être considérée […] comme une forme de vie collective nourrie par la participation consciente du peuple ». 6 Ainsi, dans la conception d’Hobbes, le peuple est conscient qu’il est dirigé avec la peur et y consent pour la sécurité sociale, quitte à perdre un peu de sa liberté. La peur, combinée à la raison, permet de déterminer ce qui est mieux pour nous. Sans la peur, nous serions dans l’état de nature, donc un état sans loi où la peur de l’autre est omniprésente. La solution à l’état de nature est de vivre en société, ce qui fournit un cadre sécuritaire à la peur. Cela est un moindre mal pour les gens, puisqu’ils concèdent qu’un peu de leur liberté. La peur représente un fondement de l’état de nature, puisque les lois existent pour notre sécurité. Ainsi, la peur est crée par l’État 5 Robin, Corey. 2006. La peur : histoire d’une idée politique, trad. de l’anglais par C. Jaquet, Paris : Armand 6 Colin, p. 45. Ibid, p. 54. pour diriger le peuple, mais a aussi pour but d’assurer la sécurité. Avec le contrat social de Hobbes qui sécurise les gens, le prix à payer est de perdre un peu de liberté. Si les États-Unis représentent le pays de la liberté d’expression, la classe dirigeante du pays, le président à sa tête, utilise la peur pour maintenir la sécurité au sein de la nation. Les perdants : les Américains qui y laissent un peu de leur liberté. À titre d’exemple, le terrorisme constitue certes une menace contre les États-Unis, mais Bush s’en est servi pour maintenir le pays dans la peur. Sachant que la peur est une émotion malléable, Corey Robin mentionne que « le souverain dispose d’une grande latitude pour définir l’objet [de la peur]».7 Au lendemain du 11 septembre 2001, le président a identifié la menace terroriste à craindre : Ben Laden. Le peuple américain s’est mis à craindre cette figure de la peur. Selon Hobbes, la peur est une illusion d’un danger, amplifiée par l’État. À l’inverse, la crainte constitue une réaction à un danger réel.8 Dans le cas du terrorisme, il s’agit d’une peur, puisque c’est le gouvernement américain qui l’a instrumentalisée dans le but d’entrer en guerre. Pour rassurer les Américains, Bush a annoncé que le pays partait en guerre contre Al-Qaïda en Afghanistan. Comme les Américains ont peur de la menace terroriste, ils font confiance au président, puisque cela assure leur sécurité. Suite au choc du 11 septembre 2001, CBS a révélé que 90% des Américains faisaient confiance à la campagne antiterroriste de Bush pour arrêter les coupables. Lors du début de l'action militaire en Afghanistan, 94% de la population américaine apportait leur soutien.9 Enfin, la position d’Hobbes veut que la peur nous prenne notre liberté, question d’assurer notre sécurité. Sinon la société n’aurait pas de lois et nous vivrions dans l’état de nature. 7 Op. Cit. Robin, p. 59. Ibid, p. 47. 9 Canal Ipsos, Ipsos Public Affairs. 11/09/01 – 11/09/02 : l'onde de choc s'amortit. http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/110901-110902-l-onde-choc-s-amortit, 11 septembre 2002. 8 Ensuite, selon Hannah Arendt, le totalitarisme est essentiellement basé sur la terreur. Arendt dénote le manque de liberté qu’amène le totalitarisme. Selon elle, les gens qui vivent dans une société où la peur impose son règne voient leurs droits brimés. La position d’Arendt est très radicale, puisqu’elle décrit le régime totalitaire comme étant un corps politique dont « la terreur est l’essence de la domination totalitaire ».10 La terreur veut éliminer toutes les sources de liberté. Ainsi, l’objet de la terreur totale est de servir le totalitarisme. Dans le totalitarisme, la peur correspond à un destin sans espoir pour les individus. La terreur fait que les individus ne vivent plus, ils tentent de survivre. Arendt mentionne que le régime totalitaire « met en œuvre une politique étrangère visant ouvertement la domination du monde ».11 De la sorte, les dirigeants vont diriger les masses par la peur pour mieux contrôler le monde. La liberté individuelle n’existe plus. Par exemple, le nazisme représente la terreur totale. Ensuite, le but principal de la terreur est de « faire que la force de la Nature ou de l’Histoire puisse emporter le genre humain tout entier dans son déchaînement ».12 Donc, l’objectif de la terreur totale est de détruire toute la liberté de l’individu.13 Enfin, les individus acceptent le totalitarisme, non pas par choix et pour leur sécurité, mais bien par faiblesse ou obligation. En lien avec le terrorisme, nous pouvons illustrer la théorie d’Arendt avec les kamikazes qui vivent dans la terreur. Leur vie n’est plus rien, puisqu’elle est ancrée dans la terreur. Ils deviennent des kamikazes à cause de l’idéologie du terrorisme. Ainsi, la propagande donne 10 Arendt, Hannah. 1972. Les origines du totalitarisme, Tome 3 : le système totalitaire, Paris : Seuil, p. 210. 11 12 13 Ibid, p. 203. Ibid. p.210 Op. Cit. Robin, p. 150. aux kamikazes « un moyen d’autodéfinition et d’identification, qui restaure en partie le respect de soi que leur conférait jadis leur fonction dans la société, et crée une sorte de fausse stabilité qui fait d’eux de meilleurs candidats pour une organisation ».14 Ils vivent dans un monde où la liberté n’existe plus, ce qui les poussent à se lier à une organisation terroriste. Le kamikaze perd sa liberté et la solution pour ne plus avoir peur est de mourir. Cette démonstration illustre que la terreur fait qu’on ne vit plus. Finalement, Arendt montre que la terreur enlève toute la liberté des gens. La sécurité n’existe pas dans le totalitarisme. Pour notre part, la peur nous prend notre liberté, question d’assurer notre sécurité. C’est dans la sécurité que l’homme trouve son salut. De la sorte, notre position s’oppose à la pensée d’Arendt. La philosophe affirme qu’en présence de la peur, la sécurité n’existe plus. À l’inverse, Jean Delumeau illustre l’importance de la sécurité : « le besoin de sécurité est fondamental […] L’insécurité est symbole de mort et de la sécurité symbole de la vie ».15 Selon nous, de garder sa sécurité est le but premier de l’individu. Selon Arendt, dans le totalitarisme, l’individu perd sa liberté et n’est pas en sécurité, ce qui est contraire à notre pensée. Notre position est hobbesienne, car la peur ne doit être utilisée que pour garder les gens dans un cadre sécuritaire. Si la liberté est brimée complètement, cela n’est pas sain pour l’homme. En lien avec cela, Machiavel croit aussi que le gouvernant contrôle les gens par la peur, mais le philosophe amène un élément nouveau à la théorie d’Hobbes. Machiavel montre que le prince n’a pas de prise sur l’amour de la liberté.16 Il mentionne que même si le prince veut imposer la peur, l’individu conserve sa liberté, puisque le prince ne peut pas l’enlever. Pour revenir sur l’exemple du terrorisme, que Bush ait décidé de partir en guerre montre que 14 15 Op. Cit. Robin, p. 129. Delumeau, Jean. 1978. La peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècles : une cité assiégée. Paris : Fayard, p. 21-22. 16 Machiavel. 1998. Le Prince. Paris : Nathan, p. 142. « beaucoup d’hommes politiques […] exploite[nt] [la peur] pour rebâtir leur capital politique».17 De la sorte, un gouvernant peut instrumentaliser la peur, puisqu’elle assure la sécurité et permet le maintien de l’État. Dans cette optique, on peut affirmer qu’il s’agit d’une action nécessaire pour le bien de l’État et que la peur est utile. Selon nous, tant que la classe dirigeante use de la peur dans l’intérêt du peuple, soit de les garder en sécurité, il est juste de perdre un peu de liberté. Toutefois, les gens devraient idéalement conserver leur liberté comme le pense Machiavel. En bout de course, Hobbes mentionne que la peur nous prend notre liberté. Selon Hobbes, le contrat social veut que nous acceptions de vivre dans une société gouvernée par la peur pour assurer notre sécurité. Ensuite, Arendt a une position plus radicale. Selon elle, la peur nous enlève complètement notre liberté. Les individus qui vivent dans la peur ne sont pas en sécurité. Ils vivent dans la terreur, ce qui élimine toute leur liberté. Dans le totalitarisme, les gens vivent dans la peur et tentent d’y survivre. Notre position est hobbesienne et nous sommes en désaccord avec Arendt. Comme le pense Machiavel, nous croyons que les individus ne devraient idéalement pas perdre leur liberté, mais il demeure que la peur nous prend notre liberté. Enfin, avec la mort récente de Ben Laden, les États-Unis ont vaincu une menace terroriste. Toutefois, la guerre américaine contre le terrorisme ne semble pas gagnée, puisque les troupes de l’armée restent en Afghanistan. Donc, il serait intéressant de se demander si une guerre contre le terrorisme est juste si la menace principale a été décimée. Marc-André Gosselin – Cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu 17 Bauman, Z. 2007. Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire. Paris : Seuil, p. 28. Bibliographie Monographie Arendt, Hannah. 1972. Les origines du totalitarisme, Tome 3 : le système totalitaire, Paris : Seuil. Bauman, Z. 2007. Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire. Paris : Seuil. Delumeau, Jean. 1978. La peur en Occident, XIVe-XVIIIe siècles : une cité assiégée. Paris : Fayard. Frère, Jean. 2009. Philosophie des émotions. Paris : Eyrolles. Hobbes, Thomas. 1998. Léviathan, extraits. Coll « Classiques Hachette ». Paris : Hachette. Machiavel. 1998. Le Prince. Paris : Nathan. Roberge, Martine. 2004. L’art de faire peur: des récits légendaires aux films d’horreur, Québec : Les Presses de l’Université Laval. Robin, Corey. 2006. La peur : histoire d’une idée politique, trad. de l’anglais par C. Jaquet, Paris : Armand Colin Filmographie Moore, Michael. Bowling for Columbine, États-Unis, 2002, 114 minutes, couleur. Notes de cours Perron, Bernard. 2010 (Hiver). Université de Montréal. Les genres et le cinéma : le cinéma d’horreur. Notes de cours. Sites Internet Canal Ipsos, Ipsos Public Affairs. 11/09/01 – 11/09/02 : l'onde de choc s'amortit. En ligne. http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/110901-110902-l-onde-choc-s-amortit, 11 septembre 2002.