Tabac et grossesse : effets materno

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Tabac et grossesse : effets materno
Tabac et grossesse : effets
materno-fœtaux, propositions
de dépistage et de prise en charge
des femmes enceintes
D. Boussiron*
Épidémiologie du tabagisme
chez la femme enceinte
Le tabagisme chez la femme enceinte
En France, en ce qui concerne le tabagisme pergravidique, nous sommes passés de
10 % en 1972 à près de 30 % en 2000 (1).
En 1995, dans l’enquête nationale sur la
périnatalité, 39 % des femmes enceintes
étaient fumeuses avant la grossesse, 40 %
d’entre elles avaient cessé de fumer pendant la grossesse et 25 % étaient restées
fumeuses au troisième trimestre de la
grossesse. Actuellement, près de 30 % des
fumeuses qui ont entre 25 à 35 ans continuent de fumer lorsqu’elles sont enceintes
(3). Plus de 50 % de celles qui s’arrêtent à
l’occasion de la grossesse recommencent
à fumer après l’accouchement (dans 80 %
des cas la reprise a lieu dans le trimestre
qui suit l’accouchement). Quarante-trois
pour cent de celles qui fument pendant la
grossesse consomment plus de dix cigarettes par jour (4). Une étude rétrospective américaine récente (5) montre que le
tabagisme maternel connaît d’importantes
fluctuations durant la grossesse. Ainsi, sur
un échantillon de 1 426 femmes rapportant fumer durant la grossesse, les auteurs
observent une proportion importante de
femmes présentant de nombreux changements de leur statut tabagique (alternance
* Centre médico-psychologique,
CHU de Clermont-Ferrand.
de sevrages itératifs et de rechutes). De
plus, parmi les femmes qui continuent de
fumer tout au long de leur grossesse, il
existe des variations intra-individuelles
dans la quantité de cigarettes fumées. Les
auteurs concluent en soulignant, notamment, qu’il est difficile dans le cadre des
études épidémiologiques de quantifier la
durée et l’intensité de l’exposition in utero
au tabac.
Conséquences de l’exposition
prénatale au tabac
Effets du tabagisme sur la fécondité
(1, 6, 7)
Le tabagisme affecte la fécondité des
femmes. Ainsi, les femmes fumeuses sont
moins fertiles. Chez ces femmes, le délai
nécessaire à la conception est au moins
doublé. On observe une diminution de la
fécondité de l’ordre de 50 %. Les mécanismes de cette réduction de la fécondité
sont variables : épaississement de la glaire cervicale du col de l’utérus, altération
des fonctions ovariennes (diminution du
taux d’ovocytes mûrs), stérilité tubaire,
altération de l’implantation de l’embryon,
perturbations hormonales.
Effets du tabagisme maternel sur le
déroulement de la grossesse (1, 6-8)
◗ Grossesse extra-utérine (GEU) :
La liaison GEU-tabagisme est significative et dose-dépendante. Le risque relatif
e tabagisme féminin continue
d’augmenter, en particulier chez les
adolescentes et les jeunes adultes.
En 2000, en France, c’est la population
des jeunes femmes (18-34 ans) qui comporte le pourcentage le plus élevé de
fumeuses (près d’une sur deux pour ces
classes d’âge) (1). À 18 ans, une femme
sur deux est fumeuse, et la moitié des
femmes sous contraceptifs oraux fument (2).
La proportion de femmes fumeuses en âge
d’avoir des enfants ne cesse d’augmenter :
17 % en 1972, 48 en 2000.
■
L
est de 1,5 si la femme enceinte fume
moins de dix cigarettes par jour, il est de
3 si elle fume plus de vingt cigarettes par
jour. Près de 20 % des GEU peuvent être
attribuées au tabac.
◗ Fausse couche spontanée ou avortement :
Le risque est multiplié par 3 et cela, de
façon dose-dépendante.
◗ Placenta praevia (insertion basse du
placenta) :
Le risque est multiplié par 2 ou 3.
◗ Hématome rétroplacentaire :
Il se manifeste par des métrorragies survenant au cours du troisième trimestre.
Le risque est doublé chez la femme
enceinte fumeuse. On estime qu’au
moins un hématome rétroplacentaire sur
5 est directement attribuable au tabac.
◗ Rupture prématurée des membranes.
Elle constitue la principale cause d’accouchement prématuré chez les femmes
enceintes fumeuses, le risque est multiplié par 3 avant 34 semaines d’aménorrhées.
Effets du tabagisme sur le fœtus
◗ Mécanismes (1, 9, 10)
L’exposition du fœtus se fait selon un
mécanisme transplacentaire. L’existence
de ce tabagisme passif a été démontrée
par des prises de sang sur fœtus de mère
50
Mise au point (II)
Mise au point (II)
fumeuse et il a ainsi été observé que les
taux de cotinine et de carboxyhémoglobine dans le sang fœtal sont, respectivement, de 15 % et de 10 % à 15 % supérieurs à ceux observés chez la mère.
Cela s’explique par le passage transplacentaire de la nicotine et du monoxyde de
carbone ou CO, passage qui est aggravé
par les caractéristiques pharmacocinétiques fœtales conduisant à une concentration de ces produits. L’exposition
fœtale au CO est responsable d’une
hypoxie. La nicotine provoque une diminution de la perfusion maternelle placentaire par vasoconstriction. Elle agit aussi
sur les récepteurs nicotiniques du cerveau
fœtal, notamment les récepteurs α-7. Le
cadmium contenu dans le tabac empêche
le transfert placentaire du zinc.
◗ Effets sur le fœtus (1, 6)
Le retard de croissance intra-utérin
(RCIU) ou hypotrophie fœtale
Il est harmonieux, c’est-à-dire qu’il est
observé non seulement une diminution
du poids mais aussi de la taille et du périmètre crânien. La diminution du poids de
naissance est en moyenne de l’ordre de
200 grammes. Le tabagisme maternel
est, parmi les facteurs de risque connus
d’hypotrophie fœtale, le plus important.
Mort fœtale in utero
Le tabagisme maternel entraîne environ
7,5 % des morts in utero. Ce risque est
dose-dépendant chez la primipare.
Tératogenèse (11)
L’Institut européen des génomutations de
Lyon indique que 5 % de l’ensemble des
anomalies congénitales pourraient être
dues à l’exposition tabagique pendant le
premier trimestre (fentes orales, malformations cardiaques, arthrogrypose).
Effets sur le nouveau-né et le nourrisson (7, 12)
◗ Mortalité néonatale
Le tabagisme maternel augmente le risque
de mortalité néonatale : il entraîne environ
près de 4 % des morts néonatales.
◗ Mort subite du nourrisson :
Le tabagisme maternel pendant la grossesse multiplie par un facteur 2 à 3 le
risque de mort subite du nourrisson
indépendamment du poids de naissance.
Il serait ainsi responsable de 30 % des
morts subites du nourrisson.
Effets à long terme
D’une manière générale, on dispose de
peu de données épidémiologiques sur les
conséquences de l’exposition intra-utérine à des substances psychoactives (13).
Cela est notamment vrai pour l’exposition in utero au tabac.
◗ Exposition prénatale au tabac et développement cognitif de l’enfant (14) :
Les études épidémiologiques ayant pour
objet l’association entre l’exposition
prénatale au tabac et le devenir cognitif
des enfants exposés portent sur des
cohortes où les mères sont interrogées
pendant la grossesse et où les enfants
sont vus à différents âges. Le développement cognitif des enfants est évalué à
l’aide de plusieurs échelles (McCarthy,
Bayley). Ces études présentent de nombreuses difficultés méthodologiques :
biais de sous-déclaration, problèmes
d’ajustement sur des facteurs de confusion (stimulation de l’enfant, niveau
d’étude des parents, consommation
maternelle d’alcool). Des études
récentes ayant pris en compte les facteurs de confusion ont retrouvé une
association entre l’exposition in utero au
tabac et le développement cognitif.
Toutefois, les différences observées en
moyenne entre enfants de fumeurs et de
non-fumeurs sont faibles, de l’ordre de
5 points de QI. D’autres études n’ont
pas retrouvé d’association significative.
Comme l’écrit B. Larroque (14), “Si on
ne peut pas actuellement conclure dans
un sens ou dans un autre sur la nocivité
du tabac pendant la grossesse sur le
développement cognitif de l’enfant, les
associations observées dans certaines
études bien menées conduisent à recommander de continuer à explorer ce
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 3, mars 2004
domaine”. Il y a lieu, notamment, dans
les futures études de cohortes, de bien
faire la distinction entre les effets potentiels de l’exposition in utero au tabac de
ceux dus à l’exposition postnatale environnementale de l’enfant.
◗ Exposition prénatale au tabac et
troubles comportementaux chez l’enfant : tératogenèse comportementale ?
De nombreuses études (14, 15) ont mis
en évidence des associations entre le
tabagisme pendant la grossesse et des
troubles du comportement tels que
hyperactivité, impulsivité, inattention, à
différents âges. Ces études se heurtent à
de nombreuses difficultés méthodologiques : prise en compte de facteurs de
confusion multiples, diversité des tests
d’évaluation comportementale, souvent
spécifiques à l’étude, difficulté à mesurer
le niveau d’exposition tabagique. Nous
insisterons sur l’association avec le
trouble d’hyperactivité avec déficit de
l’attention (THADA). Une étude (13),
portant sur 140 enfants présentant un
THADA et 120 sujets témoins a montré,
après ajustement sur plusieurs facteurs de
confusion (caractéristiques socioéconomiques, QI maternel et paternel, antécédents maternels et paternels de THADA),
que les sujets présentant un THADA ont
été exposés in utero au tabac près de trois
fois plus souvent que les témoins
(OR = 2,7). L’évaluation de l’exposition
anténatale au tabac dans cette étude était
rétrospective. Une étude récente (16) de
cohorte de naissance finlandaise portant
sur l’évaluation à huit ans de 9 357 enfants
a montré, après ajustement sur les facteurs
de confusion (sexe, structure familiale,
statut socioéconomique, âge maternel,
alcoolisation maternelle), une association
entre le tabagisme maternel et l’hyperactivité (OR = 1,30), notamment parmi les
enfants de mères jeunes avec un bas
niveau social.
Toutefois, bien que l’on ajuste sur des
facteurs connus, il y a des différences
entre les mères fumeuses pendant la
grossesse et celles qui ne fument pas.
51
Mise au point (II)
Mise au point (II)
Ainsi, cela pourrait être les caractéristiques, notamment comportementales,
de la mère qui fume, plutôt que le tabac en
lui-même qui engendrent les troubles comportementaux observés chez les enfants.
◗ Exposition prénatale au tabac : facteur
de risque pour l’expérimentation du
tabac à l’adolescence ?
Dans une étude de cohorte (17),
589 enfants de 10 ans, de faible niveau
socio-économique, ont été suivis depuis
leur naissance et ont rempli un autoquestionnaire concernant leur consommation de drogue. Le tabagisme maternel pendant la grossesse est significativement associé à un accroissement
du risque d’expérimentation du tabac
chez l’enfant.
Les effets du tabagisme maternel sur le
déroulement de la grossesse et sur le
nouveau-né sont maintenant bien établis. En revanche, les effets de l’exposition prénatale au tabac sur le développement cognitif de l’enfant, son comportement, plus particulièrement vis-à-vis des
substances psychoactives, restent encore
trop peu étudiés. Si, dans ce domaine,
l’épidémiologie doit se développer, il
n’en demeure pas moins que l’ensemble
des professionnels de santé de la grossesse doit mettre en place des stratégies
de dépistage et de prise en charge du
tabagisme pergravidique.
Dépistage et prise en charge
La prise en charge et la prévention du
tabagisme chez la femme enceinte est
devenue une priorité de santé publique.
Elle s’inscrit plus globalement dans
celle du tabagisme féminin, qui a considérablement progressé ces dernières
années, notamment dans la population
adolescente. Par-delà les complications
obstétricales, il y a lieu de rappeler les
risques habituels liés au tabagisme (cancers, maladies pulmonaires). Ainsi,
selon C. Hill (18), la mortalité due au
tabagisme féminin qui était de moins de
5 000 décès par an dans les années 1990
sera multipliée par 10 dans les années
2020-2025. Mais, comme le rappelle G.
Lagrue (19), jamais la connaissance
d’un risque ne suffit à elle seule à modifier un comportement.
Le plan gouvernemental de lutte contre
le tabagisme du 26 mai 1999 prévoyait
un dispositif particulier pour les femmes
enceintes. Il comportait notamment un
renforcement au cours de la grossesse de
l’information et de la prise en charge du
tabagisme. Un entretien individuel de
40 minutes réalisé au début de la grossesse au cours duquel, entres autres, le
problème du tabagisme serait abordé,
était préconisé. Ainsi, la circulaire
DH/EO2/DGS du 3 avril 2000, relative à
la lutte contre le tabagisme dans les établissements de santé et au renforcement
ou à la création de consultations hospitalières de tabacologie et d’unités de coordination de tabacologie, précise que
“compte tenu de la nécessité de réduire
le tabagisme chez les femmes enceintes,
il est recommandé de créer des consultations avancées au sein même des maternités”. Le plan de mobilisation nationale
contre le cancer, lancé en avril 2003,
dans le chapitre traitant de la prévention,
comporte la mesure suivante (mesure
17) : lutter contre le tabagisme des femmes
enceintes (information dans les maternités, sensibilisation du personnel soignant,
accès aux consultations de sevrage).
Profil des femmes enceintes qui
continuent de fumer au cours de la
grossesse (20, 21, 9)
Si à peu près 40 % des femmes qui fument
en début de grossesse cessent de fumer
durant la grossesse, près de 30 % déclarent
fumer au troisième trimestre.
Les premiers résultats de l’enquête Alliés
GT (20) sur le tabagisme maternel dans
91 maternités en France (2002) confirment
les données de Kaminski de 1997 selon lesquelles ces femmes qui continuent de fumer
durant la grossesse présentent certaines
caractéristiques. D’autres études montrent
également des différences dans le niveau de
dépendance et dans les troubles du comportement entre les femmes enceintes
fumeuses et celles qui ont arrêté.
◗ Données sociodémographiques
Les femmes enceintes fumeuses sont
plus jeunes, non mariées, ont un niveau
d’études et un niveau socioprofessionnel
moins élevés. Elles sont aussi plus souvent chômeuses, vivent dans un entourage proche ou professionnel qui fume.
Elles ont un conjoint fumeur deux fois
plus souvent que les non-fumeuses.
◗ Données obstétricales
Elles sont plus souvent primipares, elles ont
plus d’antécédents obstétricaux et moins de
visites prénatales pendant la grossesse ; parfois leur grossesse est non désirée.
◗ Données comportementales
Elles ont une moindre perception du risque
du tabagisme gravidique, notamment sur la
prématurité et le poids de naissance.
Elles ont une dépendance pharmacologique importante : 67 % des femmes peu
ou pas dépendantes arrêtent de fumer pendant la grossesse contre 9 % des femmes
très dépendantes (score de Fagerström > 7).
Une étude américaine récente a comparé
selon de multiples critères les femmes
enceintes qui continuent de fumer à
celles qui ont arrêté et à celles qui
n’étaient pas fumeuses (22). Par-delà les
différences sociodémographiques, cette
étude montre bien que les femmes qui
n’arrivent pas à arrêter de fumer présentent plus fréquemment des difficultés
interpersonnelles, ont une moins bonne
capacité d’adaptation et ont plus souvent des comportements de santé à
risque. Les auteurs ont notamment utilisé les items du SCID (Structured
Clinical Interview Disorders), entretien
psychiatrique semi-structuré basé sur le
DSM IV.
Diagnostic de la dépendance tabagique et évaluation de la motivation
à l’arrêt
La grossesse est une étape complexe
mêlant un projet d’enfant (plus ou moins
bien assumé) et une période gravidique
52
Mise au point (II)
Mise au point (II)
(plus ou moins bien vécue). J.C. Colau
et M. Delcroix (8) soulignent qu’il est
donc difficile de parler “de moment
idéal pour arrêter de fumer” même si cet
état met la femme en présence de multiples intervenants sanitaires susceptibles d’influencer l’arrêt du tabagisme.
◗ Diagnostic clinique
Celui-ci doit être fait précocement. Les
entretiens de préparation à la naissance,
de parentalité, les consultations obstétricales sont autant d’occasions d’aborder
le tabagisme maternel. Ce questionnement sur la consommation de tabac peut
être proposé dans le cadre des habitudes
de vie de la femme enceinte : nutrition,
exercice physique, autres conduites
addictives. L’évaluation de l’évolution
du tabagisme maternel au cours de la
grossesse pourrait bénéficier d’un autoquestionnaire. De ce point de vue,
l’Agence française de sécurité sanitaire
et des produits de santé (AFSSAPS),
dans sa recommandation de bonne pratique, “Les stratégies thérapeutiques
médicamenteuses et non médicamenteuses de l’aide à l’arrêt du tabac” (23),
préconise d’utiliser des questions à choix
multiples, plutôt que des questions de
type binaire. L’évaluation de l’importance de la dépendance peut être quantifiée
à l’aide du test de Fagerström, dont il
existe une version courte en deux items.
◗ Diagnostic biologique
Le dosage de la cotinine
Il est encore peu répandu. L’AFSSAPS,
dans sa recommandation (23), précise
que le dosage de la cotinine est réservé
à la recherche, aux centres spécialisés
et aux services hospitaliers. Il est à
noter que le dosage de la cotinine
sérique et salivaire semble plus précis
que le dosage de la cotinine urinaire.
Le dosage du monoxyde de carbone
dans l’air expiré (1, 24)
Le dosage du CO dans l’air expiré représente la manière la plus facile de mesurer l’intoxication tabagique. Il existe de
nombreux analyseurs de CO qui fournis-
sent en moins de 20 secondes le taux de
CO dans l’air expiré exprimé en ppm. Il
mesure le tabagisme autant actif que
passif. De plus, il peut être répété facilement à chaque consultation, depuis la
déclaration de grossesse jusqu’à la
consultation postnatale. L’AFSSAPS ne
le recommande pas en première intention mais considère qu’il peut être très
utile pour le suivi. Elle le recommande
cependant dans les services hospitaliers
et chez les médecins tabacologues.
◗ Évaluation de la motivation à l’arrêt
Elle peut se faire en utilisant le modèle
transthéorique de changement de comportement de Prochaska et DiClemente
(25) qui précise les différents stades de
la maturation du fumeur vers l’arrêt :
précontemplation, contemplation, préparation, action, maintenance. À chacun
des stades, l’entretien motivationnel a
pour objet d’aider le patient à accomplir
une démarche de soins (26).
Le sevrage tabagique chez la femme
enceinte
Comme le font remarquer les auteurs
de la recommandation de l’AFSSAPS
(23), le conseil minimal est insuffisant dans ce contexte si particulier
qui est celui de la grossesse. De
même, les interventions brèves semblent peu efficaces, surtout sur le
long terme.
◗ Les différentes modalités du sevrage
La prise en charge psychologique
En première intention, on doit privilégier une prise en charge psychologique. Toujours selon la recommandation de l’AFSSAPS, cette prise en
charge psychologique doit être intensive et devrait pouvoir être instaurée de
manière systématique. Les thérapies
cognitivo-comportementales sont préconisées. Elles associent idéalement
des entretiens de motivation et des
séances de techniques comportementales : gestion du syndrome de sevrage, prévention de la rechute, contrôle de stimulus, stratégies de coping.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (21), n° 3, mars 2004
La substitution nicotinique (1, 4, 20, 23)
Elle n’est indiquée qu’en cas d’échec de
l’arrêt spontané et en cas d’échec des
thérapies cognitivo-comportementales.
Les traitements substitutifs nicotiniques
sont autorisés chez la femme enceinte
depuis octobre 1997. L’adaptation de la
posologie se fera en fonction du score de
Fagerström (supérieur à 4) et du taux de
CO dans l’air expiré. Cette substitution
nicotinique s’effectue 16 h/24 (pas de
substitution nicotinique la nuit afin
d’éviter une concentration de nicotine
dans le liquide amniotique). Il est à noter
que l’on ne dispose pas actuellement
d’études prospectives permettant de
mesurer l’intérêt d’un traitement de substitution nicotinique sur le devenir néonatal, comparativement au maintien du
tabac, ni d’études épidémiologiques de
cohortes de femmes ayant reçu des substituts nicotiniques durant leur grossesse.
Les consultations de groupes en
milieu obstétrical
Celles-ci, conduites par des sagesfemmes formées à la tabacologie associant information, conseils didactiques,
techniques cognitivo-comportementales
de groupe ont fait la preuve de leur efficacité. “Grossesse Tabac Stop”, première structure d’accueil pour le sevrage tabagique des femmes enceintes,
créée par M.F. Bouysset (27) dans
l’unité mère-enfant à l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, est un modèle dont il conviendrait de s’inspirer.
Le bupropion (Zyban®)
Il est contre-indiqué chez la femme
enceinte ou allaitante.
◗ Particularités du sevrage tabagique
chez la femme
La comorbidité psychiatrique (28,
29, 30)
Les troubles anxieux et dépressifs sont
deux à trois fois plus fréquents chez la
femme fumeuse que chez l’homme
(antécédents ou troubles avérés). Ils sont
53
Mise au point (II)
Mise au point (II)
à l’origine de rechute dans 30 % des cas.
Les troubles anxieux les plus fréquemment retrouvés sont la phobie sociale et
l’anxiété généralisée. Il convient donc
de rechercher ces troubles chez la
femme enceinte avant la mise en route
d’un sevrage tabagique. Les outils les
plus utilisés sont des autoquestionnaires
comme le HAD (Hospital Anxiety
Depression) ou le BDI (Beck Depression
Inventory). Ces outils de dépistage sont
utilisables par l’ensemble des praticiens.
La prise de poids
Les femmes redoutent particulièrement
la prise de poids à l’occasion du sevrage
tabagique. De nombreuses reprises du
tabagisme pourraient lui être imputées.
La reprise du post-partum
Rappelons que plus de 50 % des femmes
enceintes qui s’arrêtent à l’occasion
de la grossesse, reprennent leur tabagisme après l’accouchement (dans
80 % des cas la reprise a lieu dans le
trimestre qui suit). Des études américaines (22) trouvent des taux de reprise en post-partum à un an allant de 70
à 90 %. Cela pose un problème de
fond : le sevrage tabagique que l’on
observe spontanément chez certaines
femmes enceintes apparaît plutôt
comme un effort lucide pour protéger
l’enfant à naître que comme une intention réfléchie de se sevrer du tabac de
manière durable. Elles suspendent, en
quelque sorte, leur consommation tabagique le temps d’une gestation.
Le post-partum est associé à une chute
importante du taux des estrogènes. Or,
les estrogènes ont un effet antidépresseur de type IMAO. Ce moindre effet
IMAO pourrait permettre de mieux
comprendre la reprise du tabac en
post-partum.
Une fiche de tabacologie
Perriot (4) insiste sur l’importance de
l’établissement, lors du diagnostic de grossesse, d’une fiche de tabacologie préalable
à la prise en charge ainsi que sur l’intérêt
de transmettre systématiquement un
compte-rendu au médecin traitant.
Conclusion
Les effets du tabagisme materno-fœtal
sont de mieux en mieux connus.
Toutefois, il convient de développer les
études épidémiologiques de cohortes
afin d’évaluer à long terme les conséquences possibles de l’exposition in
utero au tabac. La recrudescence du
tabagisme féminin, notamment celui des
adolescentes, fait que la prévention et la
prise en charge du tabagisme gravidique
sont devenues des priorités de santé
publique. Les professionnels de santé
intervenant durant la grossesse doivent
être davantage sensibilisés au tabagisme
des femmes enceintes. Il faut aussi
qu’ils donnent l’exemple. De ce point de
vue, l’intégration du réseau maternité
sans tabac (RMST) au sein du réseau
hôpital sans tabac (RHST) constitue un
progrès indéniable, de même que la mise
en place du programme didactique
Nicomater. Les équipes de liaison et de
soins en addictologie (ELSA), ont vu
leurs missions s’élargir, notamment, à la
tabacologie (circulaire du 8 septembre
2000 relative à l’organisation des soins
hospitaliers pour les personnes ayant des
conduites addictives). Ces équipes, par
essence interdisciplinaires, devraient
avoir un rôle majeur à jouer dans le
dépistage et l’orientation des femmes
enceintes fumeuses, en étroite collaboration avec l’ensemble des sages-femmes
et des obstétriciens de nos maternités.
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Actu Psy - Vol 21 - No 3
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