Approches innovantes de la performance des
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Approches innovantes de la performance des
Chaire ParisTech-SUEZ ENVIRONNEMENT “Eau pour Tous” 1er Séminaire Recherche "Approches innovantes de la performance des services d’eaux " Contacts: [email protected] [email protected] www.agroparistech.fr/-OpT-EaupourTous-.html SOMMAIRE Allocutions d’ouverture 3 Gilles TRYSTRAM Directeur général, AgroParisTech Damien GOETZ Directeur de la recherche, Mines ParisTech 3 3 4 4 Approches innovantes de la gouvernance des services d’eaux 5 Richard FRANCEYS Cranfield University 5 5 I) Les besoins, la demande et l’approvisionnement 5 II) Transformer l’approvisionnement dans les pays pauvres 7 III) Conclusion 9 La performance des services d’eaux : un concept multi-dimensionnel Table ronde 1 12 12 I) La planification stratégique, un outil au service de la performance 12 II) Un partenariat public-privé dans le Grand Alger 14 III) Le contrat global 16 IV) Les conditions de réussite des politiques de l’eau 17 V) Les limites des indicateurs de performance 17 VI) Débat 21 Présentation de la chaire Eau pour Tous 25 Jean-Antoine FABY Directeur de la chaire Eau pour Tous, AgroParisTech 25 25 L’évaluation innovante de la performance des services d’eaux 27 Table ronde 2 27 I) Le contrat de performance 27 II) Les mesures d’évaluation de la performance 31 III) Les indicateurs de performance 32 Débat 37 Table ronde 3 39 Parties prenantes non gouvernementales : quel soutien aux changements dans les services d’eaux ? 39 Débat 46 Conclusion 49 Allocutions d’ouverture Gilles TRYSTRAM Directeur général, AgroParisTech Mines ParisTech, SUEZ ENVIRONNEMENT et AgroParisTech collaborent depuis déjà quelques années autour des questions de l’eau, du management et du maintien de la qualité sanitaire de l’eau. Cette collaboration, qui fonctionne assez bien, a une vocation d’enseignement, de recherche et de transfert d’expertise. Pour AgroParisTech, l’eau est un sujet extrêmement important. Il s’agit sans doute du sujet le plus traité dans l’établissement, directement ou indirectement. En effet, dès que l’on parle d’agriculture, d’alimentation, d’environnement, de maintien de ressources, de lien à la biodiversité, on aborde à un moment ou un autre la question de l’eau. D’où l’importance de cet ensemble animé par Michel Nakhla et quelques-autres dans l’établissement, dont la chaire Eau pour Tous et la formation qui y est associée constitue un élément essentiel. Cette journée est l’occasion de faire un point sur l’état de l’art et d’identifier les questions importantes en matière de management des systèmes liés à l’eau. Cet exercice est extrêmement important pour un établissement comme AgroParisTech car il oriente notre enseignement et les questions que nous devons traiter au niveau de la recherche. J’espère que de toutes ces discussions et des présentations qui seront faites, sortiront des idées, des éléments d’orientation et peut-être de nouveaux montages qui permettront de développer tant l’enseignement, la recherche que l’expertise dans le domaine. Agro ParisTech accompagnera, avec ses moyens, toutes les idées qui verront le jour au cours de cette journée. J’espère que cette dernière aura des suites. Notre ambition est d’initier des cycles de rencontres à intervalles de temps réguliers. Pour finir, je remercie l’ensemble des organisateurs et Jacques Bertrand pour le soutien qu’il apporte et son dynamisme. Je vous souhaite un très bon travail. Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Damien GOETZ Directeur de la recherche, Mines ParisTech Mes collègues du CGS (Centre de gestion scientifique) ont sans doute eu l’occasion de vous parler de notre institution. Je vais néanmoins profiter de l’occasion pour présenter Mines ParisTech. Mines ParisTech est une vieille institution puisque sa création date de 1783. L’école est toujours basée dans ces locaux au centre de Paris, mais elle a bien sûr évolué depuis cette date. L’Ecole des Mines ne forme plus d’ingénieurs des mines au sens strict, mais des ingénieurs dits généralistes. Ces formations sont donc pluridisciplinaires et s’appuient sur une sélection extrêmement forte à l’entrée. Chaque année, l’école forme uniquement 150 personnes au grade de master. Le ratio professeurs/chercheurs sur élèves est élevé. Cette position est parfois difficile à défendre, mais elle offre l’avantage d’une formation individualisée et très suivie, ce qui est à mon sens un des points forts de l’école. Enfin, l’enseignement et la recherche ont une relation très étroite. Tous les enseignants sont impliqués dans les activités développées par les centres de recherche de l’école. Ces derniers ont de plus noué des liens étroits avec l’industrie. L’Ecole des Mines compte 18 centres de recherches répartis en cinq départements : sciences de la terre et de l’environnement ; énergétique et génie des procédés ; sciences des matériaux ; mathématiques et systèmes ; économie, management, société. Ils développent une recherche académique de très bon niveau. Ces travaux de recherche sont menés en lien étroit avec le milieu industriel. Avec un peu moins de 300 enseignantschercheurs permanents pour l’ensemble de l’établissement, notre activité de recherche contractuelle est supérieure à 30 millions d’euros par an et conduit à une vingtaine de nouveaux brevets déposés chaque année. Je remercie SUEZ ENVIRONNEMENT qui soutient cette chaire depuis 2009. Sans ce soutien, les travaux d’enseignement et de recherche de la chaire n’existeraient pas, et cette manifestation probablement non plus. Je remercie également AgroParisTech et Gilles Trystram pour la collaboration entre nos deux établissements dans le cadre de cette chaire depuis 2009. A l’Ecole des Mines, la thématique de l’eau est présente principalement dans deux départements. Le premier est le département Géosciences qui travaille sur l’estimation des ressources en eau souterraine, à la fois en termes de quantité et de quantité, sur la relation eaux de surface-eaux souterraine, sur l’impact des activités humaines sur les ressources en eau, et enfin sur l’impact du changement climatique. Le deuxième département est le département Economie, Management, Société, à travers les aspects management des services impliquant des partenaires publics et privés, traités par le CGS. On retrouve là cette thématique de la distribution de l’eau et de l’assainissement. Quand Michel Nakhla, du CGS, est venu me présenter le programme de la journée qu’il a organisée avec Agro-ParisTech et SUEZ ENVIRONNEMENT, et me parler du travail dans le cadre de la chaire depuis 2009, je dois dire que j’ai été impressionné par le volume d’activité. Je suis également impressionné par le grand nombre de participants à cette première manifestation, ainsi que par la dimension très internationale de cette manifestation. Paris, le 25 avril 2013 4 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Approches innovantes de la gouvernance des services d’eaux Richard FRANCEYS Cranfield University I) Les besoins, la demande et l’approvisionnement Que faisons-nous pour garantir l’accès des plus pauvres à l’eau ? En tant qu’habitants de pays industrialisés, il nous faut comprendre les besoins de ces personnes les plus pauvres. Or la demande sociétale est parfois bien plus forte que ce à quoi nous pourrions nous attendre. Dans le monde, plus d’un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles et des zones informelles, et ne disposent que d’un approvisionnement en eau par intermittence. Or la solution que nous proposons est motivée par l’approvisionnement et non par la demande, parce que le niveau de la demande est extrêmement élevé. Pour de nombreuses personnes, la question de l’approvisionnement en eau est un luxe qui peut attendre. Que pouvons-nous faire pour assurer la transformation de l’approvisionnement ? Alors qu’autrefois on parlait de services publics obligatoires, nous évoquons à présent la notion de droits humains. L’accès à l’eau est un droit humain, notamment au regard des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Le défi auquel nous devons répondre est celui de l’approvisionnement en eau des bidonvilles. Nous devons assurer un service différencié aux pauvres urbains, qui vivent dans ces zones à faibles revenus. Or de nombreux services publics n’ont pas appris à assurer l’accès à l’eau pour ces personnes. Nous avons besoin de régulation économique pour améliorer le niveau de service. A titre d’exemple, sur cette carte de Nairobi, vous pouvez constater qu’une zone est absolument vide. Si vous regardez sur Google Earth, vous vous apercevrez que 300 000 à 500 000 personnes habitent dans cette zone, à Kibura, l’un des plus grands bidonvilles du Kenya. Elle n’est pas représentée sur les cartes, mais c’est une zone clé. Les personnes qui habitent ici sont extrêmement pauvres. Pour l’instant, le service public ne peut pas répondre aux besoins de ces pauvres en zone urbaine. Le Premier Ministre était en charge de cette circonscription, mais il n’a rien fait pour régler ce problème. Un autre exemple, à Manille, les riches vivent dans un quartier et la population plus pauvre dans le reste de la ville. Les riches paient 15 pesos pour chaque mètre cube d’eau ; les plus pauvres payent 40 pesos pour quatre gallons, c'est-à-dire 175 fois plus. C’est un problème que nous pouvons résoudre, mais le défi est le suivant : si l’on analyse la répartition des besoins par type de pays, on s’aperçoit que dans les pays à plus faibles revenus environ 90 % de la population habite dans des bidonvilles. Je travaille également au Yémen, à Ta’izz, qui est la ville présentant le plus grand stress hydrique au monde. Cette ville reçoit de l’eau par un réseau de tuyauteries une fois toutes les huit semaines. Une des solutions consiste à souder certaines des tuyauteries pour s’assurer que l’eau puisse être acheminée vers la ville. Mais les agriculteurs trouvent d’autres solutions, même si l’eau n’arrive jamais. On observe une corrélation très nette entre la richesse nationale et la qualité de l’assainissement. Nous pourrions dire que les plus pauvres n’ont tout simplement pas les moyens de s’offrir de l’eau, ou nous pourrions penser que les plus pauvres ont d’autres priorités et d’autres besoins. Paris, le 25 avril 2013 5 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Des latrines de première puis de deuxième génération ont été construites dans une ville d’Afrique de l’Ouest. Un autre partenaire a fourni des latrines de troisième génération. Mes impôts au Royaume-Uni ont permis de financer une solution de quatrième génération. Il y a un an, un ami qui habite dans la ville m’a dit que ces latrines de quatrième génération avaient été abandonnées. Le défi auquel nous sommes confrontés est celui de l’offre et de la demande. Quelles sont les réalités en termes de demande ? L’exemple suivant, celui de Kibera, montre une solution formidable, une latrine biogaz. L’ONG à l’origine de cette installation a construit une salle au-dessus du bloc toilettes afin de soutenir le système d’assainissement. Or cette salle est maintenant utilisée pour la retransmission de matchs de football européens. Les recettes obtenues grâce à la location de la salle s’avèrent bien plus élevées que celui obtenu par le système d’assainissement. Cet exemple montre la nécessité de mieux comprendre la réalité et les besoins des populations. L’argent que les populations consentent à payer pour une parabole de télévision est souvent bien plus élevé que ce qu’ils sont prêts à payer pour l’assainissement. On peut voir des latrines installées sur le bas-côté d’une route utilisées partiellement et non entretenues alors qu’à proximité une antenne-relais de téléphonie est bel et bien entretenue. En 2005, on observe une inflexion de la pente de la courbe liant les besoins à la richesse des pays. L’évolution de l’utilisation des téléphones mobiles en fonction de cette richesse s’avère radicalement différente. Les recherches que nous avons menées au Ghana montrent que les habitants dépensent trois fois plus en téléphonie mobile qu’en eau et assainissement. C’est leur choix. Ces personnes sont pauvres, mais les ressources aussi faibles qu’elles soient doivent aller là où les populations en bénéficient le plus. En Afrique de l’Ouest les habitants vendent des sacs d’eau. Telle est la réalité de la demande. Les infrastructures et les services ne répondent pas à cette demande de la population. Dans cette région de l’Afrique, les conditions sont extrêmes, avec de fortes concentrations démographiques (15 millions d’habitants) et une croissance annuelle de 6 %. Or seulement 30 % des villes sont couvertes par un réseau d’adduction d’eau. L’efficacité en termes de facturation n’y est que de 4 %. Les populations se révoltent et ne supportent plus de vivre dans une telle société. Nous devons transformer ces infrastructures et ces services. Mais existe-t-il réellement une demande pour cela ? Cette courbe montre l’évolution des systèmes d’eau et d’assainissement en Angleterre. A l’origine, le système d’adduction d’eau était trop cher dans les bidonvilles. Les pauvres payaient l’eau 41 fois plus cher que les riches, exactement comme à Manille. Un tiers de la ville de Londres ne recevait pas d’eau. Progressivement, les latrines équipées d’un seau ont été transformées en cabinets de toilettes, les quartiers informels ont reçu l’accès à l’eau. Nous pensons que les tarifs reflètent les coûts, mais je peux vous assurer que nous sommes pour l’instant loin du compte. On constate par ailleurs que les populations demandent des services plus performants au fur et à mesure que leur richesse s’accroît. La demande qui reçoit une réponse ne croît que de 1,6 % par an. Ce n’est pas simplement la croissance économique qui doit être développée. Nous avons besoin d’une co-évolution entre le développement économique, le développement social et l’innovation technologique. Nous disposons de toutes les innovations pour répondre aux besoins, mais la croissance économique et le développement des institutions sont les facteurs qui permettront de répondre à la demande effective. Comme vous le savez, je viens d’un pays qui a tout privatisé. Ce graphique montre les investissements en Capex au fil du temps. Vous pouvez observer que les investissements ont été arrêtés à l’issue de la nationalisation. Le gouvernement s’était engagé à trouver des solutions pour inciter l’investissement du secteur privé. Mais notre société est à présent suffisamment riche pour investir d’elle-même. Le diagramme suivant présente les Paris, le 25 avril 2013 6 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études dépenses rapportées au PIB du Royaume-Uni. Il montre que notre pays peut se permettre ces investissements. Toutefois, nous sommes entrés dans une phase d’austérité, la croissance décline et même les pays développés doivent limiter leurs dépenses. C’est là qu’intervient la notion de régulateur économique. L’objectif du régulateur n’est pas de protéger le consommateur, mais l’industrie des eaux et de l’assainissement. Lorsque les entreprises économisent sur une période de cinq ans, elles réclament encore plus d’argent au terme de cette période. La régulation peut avoir un effet positif sur le marché. Les sociétés demandent plus, reçoivent moins, et finalement tout s’équilibre. C’est tout à fait surprenant ce qui peut être réalisé par le secteur privé et la régulation. Cet après-midi, nous parlerons du rôle des ONG dans la société civile. Des comités ont été mis en place, dans lesquels nous pouvons poser des questions aux sociétés d’approvisionnement en eau. Nous nous intéressons à leur rentabilité dans les pays développés. Il s’avère que la profitabilité a décliné. Au début, personne ne comprenait l’inefficacité de ces sociétés. Elles ne le comprenaient pas elles-mêmes, jusqu’à ce qu’elles soient contraintes de s’améliorer. Un régulateur les a ensuite aidées à remonter la pente. Nous nous sommes rendu compte que pour servir les plus pauvres en Angleterre, nous avions besoin d’un mécanisme qui assure l’approvisionnement d’eau aux quintiles les plus bas. A Londres, les zones informelles ont tendance à s’étendre. Il s’agit de personnes qui créent des cabanes dans leurs jardins pour y loger des gens. Ainsi, certaines maisons accueillent 50 personnes si on y inclut les cabanes dans les jardins. II) Transformer l’approvisionnement dans les pays pauvres Comment transformer l’approvisionnement dans les pays pauvres ? S’agit-il simplement d’une question de richesse ? Doit-elle relever du secteur privé ? Le secteur privé a un rôle à jouer dans la fourniture d’eau au milliard d’habitants qui vivent dans les bidonvilles. A Buenos Aires, SUEZ ENVIRONNEMENT a transformé l’approvisionnement en eau. Il était difficile de trouver des investissements pour la création d’infrastructures. Un habitant me disait : « Au départ, nous n’avions pas confiance en ces sociétés d’approvisionnement en eau. Mais elles ont travaillé avec nous et elles ont réussi à implanter des systèmes d’adduction d’eau dans les zones informelles. » Ces réalisations n’ont pas été obtenues grâce à la demande, mais par l’implication du secteur privé. A Manille, 40 % des ressources en eau étaient issues de six points différents et les prix étaient élevés. Les habitants avaient peur de la « mafia de l’eau ». Le changement a eu lieu, pas de manière sophistiquée mais via un tuyau galvanisé installé par une société du secteur privé. Le coût de l’eau est passé de cinq à deux dollars par mois. La demande paraît limitée par rapport à l’offre. Nous voulons améliorer la situation de l’approvisionnement en eau dans les bidonvilles, disent les habitants, mais nous ne voulons pas des solutions qui émanent du secteur privé. Lors de la Conférence de Kyoto en mars 2003, le consensus était que le secteur privé n’était pas le bienvenu. De plus, une certaine hostilité était exprimée à l’encontre du partenariat public-privé. 1,3 % des ressources en eau fonctionnelles se trouvent en Asie. Les coûts par foyer s’établissent à moins de neuf dollars par an. Le besoin de changement dans le mode d’approvisionnement en eau est indéniable. Ces questions ont été discutées l’an dernier lors du Forum de l’Eau de Marseille. Les partenariats public-privé ont fait l’objet de débats passionnés. Le débat a eu lieu et l’analyse qui en a découlé est que nous avons besoin de changer l’offre. Le secteur privé peut apporter suffisamment de compétitivité au secteur public, de façon à permettre au deux de s’améliorer. Paris, le 25 avril 2013 7 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Le secteur privé peut faire la différence. J’ai été par exemple très impressionné par ma visite à Alger. Le secteur privé peut transformer radicalement et de manière extrêmement rapide l’approvisionnement en eau, mais le coût en est assez élevé. Il convient également de changer les moyens de financement. Les données issues de Global Water Intelligence montrent que très peu de sociétés de services d’approvisionnement en eau dans le monde parviennent à offrir des tarifs qui reflètent les coûts réels. Très peu d’entreprises connaissent un succès commercial. La société ne semble pas vouloir laisser les populations payer pour les services qu’ils reçoivent. Le développement des services doit suivre le développement sociétal. Les programmes que nous mettons en place doivent s’inscrire dans la durée. Leurs effets doivent perdurer, même lorsque les sociétés privées sont parties. Il existe une autre façon de transformer la fourniture d’eau. En l’occurrence, des personnes exceptionnelles peuvent faire la différence. Malheureusement, les personnes d’exception sont rares dans le monde. D’après mon expérience, à l’image du coquelicot au-dessus des champs, si une personne est trop au-dessus des autres, elle devient plus vulnérable. Au Ghana, un contrat de gestion visait à transformer l’offre. Or les syndicats ont exercé une action de lobbying contre le renouvellement du contrat. Comment transformer une ville sans ces investissements ? Dans les pays à moyens et bas revenus, la solution réside dans ce que j’appelle la greffe de cœur. Si vous devez en subir une, vous ne devez pas vous tourner vers le médecin généraliste local mais essayer de trouver le meilleur spécialiste mondial. Ainsi, le recours aux meilleurs spécialistes du domaine fait réellement la différence. Malheureusement, le monde semble rejeter cette greffe. Sur le long terme le coût est plus élevé, mais si nous voulons améliorer la fourniture d’eau, nous devons amener le secteur au-delà de sa courbe de tendance. Pour cela, nous avons besoin de managers. L’Afrique de l’Est compte des managers très compétents, très souvent formés en Europe. Toutefois, leur accès aux outils informatiques est très limité. Dès lors, comment pourraient-ils réaliser une « greffe du cœur » avec si peu de moyens ? Les ingénieurs juniors perçoivent un salaire de 4 400 dollars par an, avec la perspective d’une rémunération en fin de carrière de l’ordre de 5 300 dollars par an. Que feriez-vous si vous étiez un jeune diplômé ? Accepteriez-vous de rejoindre une société locale de service des eaux où votre principale activité serait de lire le journal le matin, faute d’activité et d’argent dans l’entreprise ? Ou bien accepteriez-vous de rejoindre une société informatique, installée dans de beaux locaux, avec un salaire confortable et une qualité de travail inégalée ? Le choix est facile à faire. La totalité de mes étudiants, dans une université en Inde, choisissent de s’orienter vers les sociétés informatiques. En Inde, une campagne a été mise en œuvre en faveur de la gestion du changement, sous l’égide du ministère concerné. Des prix consacrés à l’eau en milieu urbain visent à améliorer la qualité des systèmes d’approvisionnement en eau. Certaines personnes essayent de changer les choses. Il est possible d’impulser un mouvement de transformation grâce aux régulations et au règlement, mais aussi en jouant sur les dépenses. Cependant, dans un environnement de gouvernance faible, il est difficile au régulateur de jouer pleinement son rôle. Pour développer la demande, il faut permettre aux plus pauvres d’accéder à l’eau. A cet égard, j’aimerais remercier SUEZ ENVIRONNEMENT. Nous conduisons ensemble à Kibura au Kenya, ainsi qu’au Cameroun, un projet de kiosque destiné à promouvoir l’accès à l’eau. Par un système de tuyaux, les habitants peuvent être approvisionnés en eau jusqu’à leur porte. Même s’ils ne bénéficient pas d’un système d’adduction d’eau, ils peuvent avoir accès à la ressource en eau grâce à un tuyau flexible. Nous laissons au client la liberté de choisir le moyen d’approvisionnement, que ce soit par seau, par bidon ou autre. Dans un projet de Veolia en Inde la société approvisionne les bidonvilles en eau. Elle envisage d’installer un robinet dans chaque habitation. Il s’agit, encore une fois, d’une initiative du secteur privé. Le projet repose sur un coût raisonnable. Il montre qu’il est Paris, le 25 avril 2013 8 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études possible d’apporter un service d’eau et d’assainissement aux plus pauvres qui vivent dans des zones urbaines. III) Conclusion Pour une part importante de la population mondiale, une amélioration de l’approvisionnement en eau est indispensable si l’on veut atteindre cette obligation de service universel. L’Ethiopie, le Ghana, l’Inde ou le Pakistan sont autant de pays où les besoins en termes de financements sont significatifs. A titre d’exemple, le fossé entre l’offre et la demande est considérable dans un pays comme le Kenya. Qui va combler ce fossé ? Ce sont des organismes comme la Banque Mondiale qui comblent partiellement cet écart. Les besoins sont clairs mais la demande est incertaine. La transformation de l’approvisionnement est possible, qu’elle soit assurée par le secteur privé ou des personnes exceptionnelles, mais il faut pour cela en payer le prix. Dès lors se pose la question essentielle : jusqu’où devons-nous subventionner l’eau et l’assainissement ? Si ce subventionnement est trop important, les projets échouent ; s’il est insuffisant, les projets n’ont aucune chance de se développer. De la salle J’aimerais aller plus loin sur cette question de l’absence de demande. Cette dernière n’est-elle pas due tout simplement à une absence d’espoir, plutôt qu’à une limitation économique ? Je précise ma pensée. Les cas de transformation réussie sont ceux où un service quasi-universel est apporté à un prix bien inférieur à ce que les populations consacraient auparavant. Autrement dit, la transformation réside peut-être dans le talent du manager, mais pas dans la demande, puisque in fine la demande est présente à des conditions bien supérieures à ce que les personnes étaient prêtes à consacrer auparavant. Ma question consiste donc à s’interroger sur cette absence de demande qui paraît totalement paradoxale. Richard FRANCEYS C’est une excellente question. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’amélioration attendue par la population ne suffit pas pour qu’elle soit prête à payer davantage. Si nous pouvions obtenir pour les personnes les plus pauvres de ne pas avoir à payer plus que les riches, ce serait une bonne chose, mais le service public devrait alors augmenter ses tarifs pour être rentable sur la durée. Les bons régulateurs semblent avancer dans le bon sens. Toutefois, bien gérer le système d’eau dans un pays où la gouvernance est de mauvaise qualité, représente un défi de taille. En outre, l’espoir des populations réside davantage dans un téléphone mobile ou dans l’accès à l’électricité. Il ne semble pas que l’absence d’accès à l’eau et l’assainissement soient un problème majeur pour ces populations. Elles considèrent qu’elles peuvent continuer à envoyer leurs enfants aller chercher de l’eau. De la salle Ma question porte sur un point qui n’a pas été mentionné. Pour assurer la pérennité d’un succès dans la gestion de l’eau, le transfert des connaissances et des expertises joue un rôle crucial. Les compétences de gestion jouent également un rôle clé, aussi bien dans le secteur privé que public. Nous pouvons renforcer les compétences techniques mais aussi managériales. Paris, le 25 avril 2013 9 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Richard FRANCEYS J’estime que les ingénieurs indiens sont aussi qualifiés que les autres ingénieurs dans le monde. Dès lors, comment expliquer que les zones urbaines en Inde aient un approvisionnement en eau par intermittence ? Ces personnes hautement qualifiées vivent dans la société indienne telle qu’elle existe. Elles ne peuvent pas en sortir, elles sont soumises à certaines contraintes qu’il faut prendre en compte. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une question de gestion. Que pouvons-nous faire pour aller au-delà des tendances actuelles ? Il faut une certaine dépense d’énergie et ces partenariats publicsprivés permettent justement d’insuffler ce degré d’énergie dont nous avons besoin. Si cette énergie est insufflée dans une économie moins bien gérée, nous retomberons sur la ligne de base sans pouvoir aller plus loin. Je vais utiliser une métaphore pour illustrer mon propos. Si vous prenez une feuille et en faites un avion de papier, que se passera-t-il ? L’avion volera un certain temps, puis retombera faute de moteur et d’énergie permettant à cet avion de continuer son vol. Il en va de même pour notre approche à l’eau. Nous lançons ces avions en papier, mais nous ne maintenons pas le niveau d’énergie suffisant ; nous ne dotons pas nos avions de moteurs. Dès lors, le degré de gestion ou de qualification importe peu. De la salle Nous demandons au secteur privé d’être plus productif. Toutefois, la problématique majeure est celle de l’innovation. Sans moyens d’innover, il est difficile d’agir. Richard FRANCEYS Il a fallu 200 ans à la Grande Bretagne pour parvenir à ce stade. Même si quelques innovations mineures sont intervenues, la technologie est restée plus ou moins la même pendant la période. Nous avons vu quels éléments étaient nécessaires pour progresser dans un pays à forts revenus. Mais ce qui importe ici, ce sont les transferts. Les revenus existent, mais la volonté politique fait souvent défaut. Nous savons comment bien gérer les bidonvilles, mais nous n’avons pas la volonté politique de financer ces activités par des transferts. Nous demandons aux pays les plus pauvres d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement, mais nous devrions payer une contribution importante pour qu’ils puissent remplir cette mission. De la salle Dans tous les pays qui sont arrivés à des systèmes matures d’infrastructures, les infrastructures de premier établissement ont été payées par des taxes et non par le tarif. Autrement dit, ce qui a été vrai pour ces pays ne peut pas être autre pour les pays qui aujourd’hui ne sont pas matures et sont très loin d’un équipement complet en matière d’infrastructures d’eau et d’assainissement. Pour moi, taxes ou transfert, cela revient au même. Il s’agit simplement de dire que le service de l’eau n’a pas à le répercuter sur le tarif. Que cela vienne des taxes ou des transferts est une question secondaire. Lorsque dans un pays ou dans une ville, seulement 20 % à 40 % de la population dispose d’un accès à l’eau, il faut d’abord créer l’infrastructure de premier établissement. Il n’y a pas d’autre moyen de la payer que par les taxes et les transferts. Or un coût qui assure le renouvellement, la maintenance et l’extension marginale d’un réseau mature se situera autour d’un dollar par mètre cube. Mais si l’on souhaite rembourser l’infrastructure de premier établissement sur le coût, alors ce dernier sera plutôt de trois à quatre dollars par mètre cube. Ce n’est donc pas tant une différence de demande que de bonne adaptation de ce qui est répercuté sur le tarif et de ce qui est répercuté ailleurs. On fait une confusion en comparant l’Angleterre et le Kenya. En effet, en Angleterre, les infrastructures de premier établissement sont déjà payées et les investissements concernent uniquement la maintenance et l’ajustement aux standards. Paris, le 25 avril 2013 10 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Richard FRANCEYS Ces investissements peuvent aussi servir à améliorer la rentabilité. Tu as tout à fait raison. Dans les pays à faibles revenus, les taux de taxation sont de l’ordre de 15 % à 20 %. Cela dit, nous espérons, dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement, que les niveaux de taxes pourront être harmonisés autour de 40 %. Dans les pays à faibles revenus, les taxes ne sont pas suffisamment élevées. La Corée du Sud est un bon exemple. Ce pays a concentré son approche sur la question des taxes, comme nous l’avons fait en Europe dans le passé. Si les taxes sont insuffisantes, il faut alors se baser sur les transferts. L’objectif n’est pas de jeter de l’argent par les fenêtres pour ensuite partir en courant sans vouloir regarder le problème en face. Nous voulons assurer des transferts de façon plus pérenne. Certes, tout le monde ne peut pas se permettre de recourir aux services de Veolia ou de Suez. Mais il faut faire en sorte qu’un certain niveau de service soit assuré en matière d’approvisionnement en eau. Des avancées ont déjà été obtenues en Asie du Sud. Des interventions ponctuelles ont permis, grâce à une bonne utilisation, d’initier une démarche de progrès qui s’est poursuivie au-delà de ces interventions. Nous ne pouvons pas considérer que ces problèmes se résoudront d’euxmêmes. Nous devons être présents sur place pendant quinze ou vingt ans. Paris, le 25 avril 2013 11 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études La performance des services d’eaux : unconcept multidimensionnel Table ronde 1 Participent à la table ronde : Alain JEUNEMAITRE, CRG-Ecole Polytechnique ; Yamba HAROUNA OUIBIGA, Directeur Général, ONEA, Burkina Faso ; Thierry DEZENCLOS, Directeur de l’Exploitation, SEAAL, Algérie ; Maria PASCUAL SANZ, IHE Unesco ; Aziza AKHMOUCH, OCDE. La table ronde est animée par Jean-Luc TRANCART, Ponts ParisTech. Jean-Luc TRANCART J’enseigne la politique de l’eau à l’Ecole des Ponts et Chaussées et à Sciences Po. J’ai quelques expériences antérieures des services d’eau mais plutôt sur les pays développés. J’écoute donc les débats de ce jour avec intérêt et passion. Nous allons parler de la performance, essayer de la définir lors de cette première table ronde avec un panel très équilibré entre des chercheurs et des exploitants. Nous sommes dans l’Espace Maurice Allais. C’est un clin d’œil intéressant à la question de la performance puisqu’il est un des économistes qui a théorisé la question d’un coût, notamment dans un service public. Je vous invite, pour ceux qui ne l’auraient pas fait, à relire la lumineuse explication du voyageur de Calais pour comprendre la relativité de la notion de coût et de prix dans un service public. Je pense que cela fait partie des réflexions que nous pourrons avoir sur la performance économique. I) La planification stratégique, un outil au service de la performance Yamba HAROUNA OUIBIGA Mon expérience est spécifique car le Burkina Faso est un pays sahélien où la ressource est très rare et difficile à mobiliser ; une expérience particulière également parce que nous sommes une société d’Etat à capitaux entièrement publics et l’Etat nous a confié la responsabilité d’assurer le service public sur l’ensemble du territoire, pour les villes de plus de 10 000 habitants. L’ONEA a été créé en 1994, mais il a succédé à un établissement public à caractère industriel et commercial. Cette transformation s’est inscrite dans le cadre d’une réforme du secteur. En effet, bien avant cette période, le service public présentait de nombreux dysfonctionnements. La discontinuité du service était une réalité, en particulier dans la capitale. L’accès à l’eau était globalement évalué à moins de 54 %. En outre, l’entreprise ne couvrait pas ses charges courantes de fonctionnement. Elle était au bord de la cessation de paiement. Je souhaite vous parler de la transformation de cette société, vous présenter la performance d’aujourd’hui et la façon dont nous y sommes parvenus. Dans le cadre de la transformation, la société a la responsabilité de la gestion du patrimoine, et donc du développement, mais aussi de l’accès à l’assainissement. La contractualisation nous confère naturellement la propriété du patrimoine et nous a dotés d’une autonomie de gestion. Ainsi l’entreprise est gérée plus ou moins selon les règles privées. Toutes ces réformes se sont traduites par un contrat de performance. Paris, le 25 avril 2013 12 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Depuis 2009, l’entreprise est certifiée ISO 9 000 (version 2008). Elle emploie 860 agents. Elle investit près de 34 millions d’euros par an. Elle est présente dans 48 villes et exploite aussi bien l’eau souterraine que de surface, avec 238 000 clients et 6 700 kilomètres de réseau. La réussite de la transformation du service public signifie que ce dernier est performant. Mais que recouvre précisément cette notion de performance ? Nous avons retenu deux mots-clés. Le premier est la gouvernance. Une bonne gouvernance signifie que toutes les parties prenantes jouent bien leur rôle. Les parties prenantes sont nombreuses. Dans notre contexte, la première partie prenante est l’Etat et ses collectivités locales. Les autres parties prenantes sont bien sûr l’opérateur et également ses soustraitants. En effet, nous associations les entreprises privées locales à l’accès au service, notamment dans les zones non loties. Les clients sont également des parties prenantes, mais nous écoutons aussi ceux qui n’utilisent pas notre réseau pour mieux comprendre leurs attentes. Le premier facteur permettant d’atteindre la performance est l’environnement institutionnel. En l’occurrence, le contrat de plan triennal a permis de bien définir les rôles entre l’entreprise et l’Etat (et les collectivités territoriales). Nous sommes partis de ce cadre contractuel pour définir une organisation et un système de management. Dans ce contrat, l’Etat s’est également engagé à mener une politique tarifaire qui assure le recouvrement des coûts. Par ailleurs, nous sommes soumis à un audit indépendant de performance et nous avons conçu un cadre de reddition des comptes. En dehors du conseil d’administration et de l’assemblée générale qui se tient une fois par an, nous avons mis en place un autre cadre de présentation des performances, auquel participent le gouvernement, la société civile et les partenaires techniques et financiers. Au cours de cette présentation, l’auditeur indépendant se prononce sur les performances et les recommandations fortes à mettre en œuvre pour rester dans un processus d’amélioration continue. La planification stratégique est l’outil de base qui nous aide à bien cadrer le management. Il nous donne une vision claire et nous permet par la suite de procéder à une déclinaison. S’agissant des conditions de réussite et de durabilité, nous estimons que la permanence de la qualité du management est essentielle. Notre société a été dirigée, lors de la transformation amorcée en 1994, par un premier directeur général qui a occupé ce poste pendant plus de dix ans. Nous l’avons relayé depuis lors. Il s’agit à mon sens d’un élément important du cadre contractuel au niveau de l’Etat. En effet, il est fait en sorte de stabiliser la direction générale afin qu’elle ait l’occasion de définir sa politique et de la mettre en œuvre. Nous avons mis en place un dispositif d’amélioration de la qualité du management. Nous faisons également en sorte de renforcer les capacités des collaborateurs. A cet égard, un de mes collaborateurs participe à la session de formation d’AgroParisTech. En outre, nous accordons une grande importance à l’écoute des parties prenantes. Nous avons instauré un mécanisme qui permet de les écouter et de les intégrer dans le processus d’amélioration continue. Enfin, nous disposons d’un dispositif de veille et de conduite du changement. La clé de voûte du changement est la planification stratégique. Notre démarche est fortement participative, avec la définition en commun de la vision et des valeurs à partager dans l’entreprise. Elle nous permet de bien préciser les axes stratégiques et les résultats intermédiaires dans une première phase, ainsi que le plan opérationnel dans une deuxième phase. Tous ces outils servent à contractualiser les objectifs assignés, du conseil d’administration jusqu’au niveau individuel, moyennant une évaluation annuelle et un système de rémunération incitatif. La démarche de planification vise à faire de l’entreprise une référence dans son domaine, à travers plusieurs ambitions : renforcer l’image de l’entreprise auprès des parties prenantes (Etat, clients, partenaires techniques et financiers), faire en sorte que ses performances soient reconnues au plan africain et citées en exemple, jouer un rôle dans le Paris, le 25 avril 2013 13 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études cadre des échanges de bonnes pratiques, développer l’innovation pour mieux satisfaire les clients, améliorer la qualité de service. La planification stratégique se décline en différents axes de progrès, pour lesquels des résultats stratégiques et intermédiaires sont fixés. Le premier axe est la satisfaction du client. Le deuxième axe est la consolidation et la crédibilité de la performance. L’objectif stratégique est d’obtenir un équilibre financier et un bon niveau de rentabilité, ainsi qu’un renforcement de l’image de l’entreprise. Le troisième axe est le progrès dans l’accès à l’eau. Actuellement, le taux d’accès du service s’élève à 84 %, pour un objectif fixé par le gouvernement de 87 %. Ce dernier sera atteint avant le terme des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Le quatrième axe est le renforcement des partenariats et l’appui aux collectivités locales. Dans ce cadre, nous souhaitons offrir des services aux collectivités en faisant intervenir notre expertise. Un axe très important est la satisfaction et l’engagement du personnel. Dans une entreprise, le capital humain est l’élément moteur de toute performance. Nous travaillons pour que le personnel bénéficie d’un environnement de travail suffisant et qu’il soit mobilisé d’une manière permanente à l’atteinte des objectifs. II) Un partenariat public-privé dans le Grand Alger Thierry DEZENCLOS Je suis le Directeur de l’Exploitation de SEAAL, une société publique algérienne qui gère l’eau et l’assainissement sur le grand périmètre d’Alger. Aujourd’hui, le Grand Alger compte environ 4 millions d’habitants. La société emploie 5 800 personnes pour 750 000 clients. En 2006, face à de grandes difficultés d’accessibilité à l’eau et d’assainissement, l’Etat algérien a décidé de contractualiser un partenariat public-privé avec une société privée étrangère, SUEZ ENVIRONNEMENT, pour travailler sur la mise aux normes internationales du service d’accès à l’eau et à l’assainissement du Grand Alger. A cette époque, sur le périmètre d’Alger, à peine 6 % de la population bénéficiait d’un service continu d’eau (24 heures sur 24). Le reste de la population n’avait accès à l’eau que quelques heures par jour, d’un jour sur deux à un jour sur sept. Cette situation générait des problématiques sociales, d’impact sur le moral de la population, mais aussi en termes de budget pour les ménages. En effet, le fait de devoir aller chercher de l’eau en bouteille représentait un coût très élevé, entre quarante et cinquante fois plus cher que le prix de l’eau. La situation avait également un impact fort sur les relations entre le personnel du service public et les usagers. Une tension s’était créée entre les collaborateurs et la population. La situation avait aussi un impact fort sur la motivation du personnel travaillant dans le secteur. Il faut savoir que depuis mars 2010, 100 % de la population du périmètre algérois bénéficient d’un service continu d’accès à une eau de qualité internationale. S’agissant de l’assainissement, à peine 8 % des eaux usées étaient traitées par une station d’épuration, le reste étant rejeté directement dans le milieu naturel. Les réseaux existaient, mais étaient souvent en très mauvais état. De plus, aucun équipement de traitement des eaux n’avait été construit. Aujourd’hui, 55 % des effluents sont traités par une station d’épuration. D’ici deux ans, ce taux montera à environ 70 %. La société était également confrontée à une problématique de modernisation du service clientèle. L’accueil de la clientèle et le recouvrement des factures étaient des points noirs. Aujourd’hui, nous mesurons régulièrement le taux de satisfaction de nos clients par des enquêtes réalisées par des bureaux d’études externes. Nous sommes ainsi passés d’un taux de satisfaction des usagers de 50 % en 2006 à 87 % en 2012. La performance s’évalue à l’aune de trois facteurs-clés : l’amélioration de la qualité du service public, l’amélioration de la qualité de vie des citoyens, la maîtrise budgétaire. Pour atteindre les objectifs fixés, une stratégie claire et des outils doivent être mis en place. Il s’agit de faire en sorte que les personnels du service public maîtrisent ses métiers. Nous accordons ainsi une place importante au transfert de savoir-faire. Le contrat Paris, le 25 avril 2013 14 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études comportait deux volets : le premier, d’ordre technique, était d’améliorer le service public de l’eau et de l’assainissement ; le deuxième volet consistait à former le personnel de l’entreprise pour l’amener à un niveau international. Pour cela, nous avons utilisé des outils très modernes, comme le Witi qui segmente l’ensemble des métiers d’un service public, que ce soient les métiers techniques ou supports (informatique, ressources humaines, comptabilité, etc.), en fait une cartographie et mesure l’évolution de l’ensemble pour l’ensemble de ces catégories. Il est appréciable que les personnels maîtrisent les techniques, mais il est également important qu’ils possèdent des compétences en termes de management. Pour cela, nous avons développé des outils structurés afin de quantifier les progrès. L’outil OPT (Optimizing Personal Talents) permet précisément d’analyser les capacités managériales du personnel, d’identifier les atouts et les leviers de progrès du top management de l’entreprise, de construire un référentiel de management et de le décliner en termes de contrats de progrès pour l’ensemble des managers. La réussite de SEAAL a également été rendue possible grâce à une volonté politique forte de progresser et un attachement à développer l’entreprise dans tous ses métiers. Ce succès a aussi reposé sur un investissement financier significatif. Souvent, j’entends dire que l’Algérie dispose de beaucoup d’argent et a donc pu investir massivement. C’est exact, mais l’Etat algérien a aussi investi beaucoup d’argent en très peu de temps. En moins de quatre ans, des progrès considérables ont été accomplis. Il existe toujours une adéquation entre la vitesse à laquelle on souhaite que les progrès soient faits et l’argent que l’on est capable d’investir. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la consolidation à la fois managériale et technique de l’ensemble du personnel. Le transfert de savoir-faire est extrêmement important. Il est indispensable que les équipes locales maîtrisent les volets techniques et managériaux pour que les progrès perdurent. Il faut donner la capacité à l’entreprise de délivrer un service de qualité en totale autonomie. Une autre condition du succès est une bonne gouvernance. Chacun doit trouver sa juste place. Il ne faut pas que l’opérateur privé ou l’Etat prenne le pas sur l’autre. Pour cela, nous avons élaboré un plan d’action excessivement détaillé, à la fois en termes d’investissements et d’ouvrages à réhabiliter. Ce plan d’action a été partagé par les autorités et SEAAL. Il faut savoir que SEAAL réalise tous les travaux de maintenance. Par contre, les travaux d’extension et les nouveaux ouvrages sont réalisés par l’Etat. Une coordination très forte est donc indispensable, de manière à prioriser les actions à réaliser. Un des facteurs clés de réussite est un dialogue fort entre les différentes parties prenantes. Un partenaire seul ne peut réussir, un travail d’équipe est indispensable. Si j’avais à énumérer les freins à la réussite, le premier serait de sous-estimer le volet ressources humaines. Pour moderniser un service public et faire en sorte qu’il fonctionne bien, il ne suffit pas d’injecter de la technique. Il faut aussi un volet ressources humaines très fort, ne serait-ce que pour entretenir la volonté du personnel de progresser. Je vous donne un exemple. SEAAL réalise 20 000 jours de formation par an, soit un volume très important pour un effectif de 5 800 personnes. En 2006, 99 % de la formation était effectuée en externe ; aujourd’hui, 53 % de la formation est réalisée en interne. Il convient en outre de prêter une grande attention à l’acclimatation des personnels expatriés et leur intégration au sein des équipes locales. Actuellement, SEAAL compte 27 personnels expatriés de SUEZ ENVIRONNEMENT. Ils sont là pour amener leur expertise, mais il ne faut pas oublier que le travail est effectué par les 5 800 collaborateurs de SEAAL. Il faut trouver des personnes capables de s’adapter au pays et à ses règles de vie qui sont différentes de la France. Par ailleurs, il est nécessaire d’instaurer un dialogue social de qualité, aussi bien avec les personnels de l’entreprise que vis-à-vis de la population. La performance est un cercle vertueux. En effet, nous avons amélioré la qualité du service public. Par là-même, nous avons accru la reconnaissance du personnel par la population. Lorsque vous dites que vous travaillez pour SEAAL à Alger, les habitants viennent vous serrer la main et vous féliciter, alors qu’auparavant ils étaient plutôt enclins à jeter des pierres. Cette reconnaissance par la population donne de la fierté aux personnels. Cette fierté augmente leur motivation et leur volonté de progresser, et donc leur professionnalisme. Dès lors, la qualité du service ne peut que s’améliorer. Paris, le 25 avril 2013 15 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études En Algérie, le prix de l’eau est subventionné. Il ne permet pas de payer les frais de fonctionnement de l’entreprise. L’Etat verse le complément entre le coût de fonctionnement de l’entreprise (hors investissements) et le prix de l’eau. Or les économies réalisées sur ces subventions d’équilibre ont financé peu ou prou le coût du partenaire privé. Jean-Luc TRANCART Je note, en me référant à la remarque de Richard Franceys, que vous avez mis un moteur dans l’avion, l’un et l’autre. Visiblement, l’avion reste toujours en vol. Je note aussi que vous avez quelques points communs : un plan d’action stratégique, c'est-à-dire une vision, la présence de l’Etat et des politiques publiques fortes. Vous avez également tous les deux cité la qualité du personnel, sa motivation et sa satisfaction. Dans ces métiers de main-d’œuvre, où les salariés sont sur le terrain, c’est un facteur capital de succès. III) Le contrat global Maria PASCUAL SANZ Nous avons mis en place un processus de réforme dans les sociétés publiques. Par la suite, nous nous sommes attaqués au secteur privé. Je souhaite vous présenter une approche assez originale qui a été mise en œuvre au Malawi. Il s’agit d’un contrat de service dont la particularité est qu’il ne comporte pas de délégation du management, de la gestion ou du service. Dans ce contrat dit global (comprehensive contract), l’opérateur externe est chargé de gérer le changement. Dans ce partenariat, l’opérateur privé ne disposait pas de capacités de gestion. Il travaillait donc avec les responsables du traitement de l’eau et devait les convaincre sans pouvoir effectuer lui-même de changements opérationnels. Cette situation s’est avérée très difficile. Quelles sont les caractéristiques du processus qui ont aidé ou empêché la bonne mise en œuvre de ce contrat ? D’abord, au moment où ce contrat a été signé, le secteur évoluait dans un contexte d’évolution vers la privatisation. Toutefois, alors que cette privatisation devait être mise en œuvre, un changement de gouvernance est intervenu et le projet n’a pu voir le jour. Les négociations ont continué jusqu’à une demande de financement. Les personnels travaillant pour la société d’Etat d’approvisionnement en eau se posaient des questions sur l’arrivée d’un opérateur privé international. Ce changement présentait un risque en termes de pertes d’emploi et la population craignait une dégradation des conditions d’approvisionnement en eau dans le secteur public. Les six premiers mois du partenariat ont été très difficiles, en raison d’un manque de clarté dans la définition des responsabilités du secteur privé. Les salariés, non seulement au niveau managérial mais aussi opérationnel, étaient inquiets. Cela a beaucoup affecté l’évolution du contrat, en particulier au débat. Une certaine confusion régnait également quant au rôle des parties prenantes, notamment des bailleurs de fonds internationaux. La société publique avait insisté pour que ce soit elle qui assure la mise en œuvre du projet, et non les bailleurs de fonds. C’était là une source de confusion et de tension. Le contrat s’appuyait sur un système de bonus/malus indexés sur la performance. Pour autant, il a fallu œuvrer d’arrache-pied pour développer en amont des plans d’action, une tâche qui a limité dans un premier temps la coopération avec les autres parties prenantes. Les parties prenantes ont ensuite compris qu’elles s’étaient perdues dans une jungle de paperasse et qu’il leur fallait désormais travailler ensemble. Mais cette prise de conscience a pris du temps. S’agissant du processus d’approbation, certaines décisions étaient mises en œuvre par défaut, d’autres devaient faire l’objet d’une validation par les conseils de l’eau locaux. Ces derniers ont ainsi eu le sentiment qu’ils n’étaient pas pleinement impliqués dans le processus de transformation. Ils recevaient les plans d’amélioration mais ils avaient Paris, le 25 avril 2013 16 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études l’impression de ne pas avoir leur mot à dire dans la discussion. Les clauses du contrat ne permettaient pas d’établir le degré de coopération dont nous avions besoin. Il n’y avait pas de mécanisme d’interaction qui nous aurait permis d’apprendre ensemble et d’assurer le suivi commun des activités. Nous avons organisé de nombreuses réunions entre les différents opérateurs d’eau pour discuter des progrès accomplis mais nous nous sommes heurtés à l’époque à une grande réticence de la part des dirigeants. Ils se sont retrouvés dans une situation où, pendant les premiers dix-huit mois du projet, ils ne pouvaient pas communiquer. Ce contrat était hybride par nature. Le rôle des intervenants externes était un rôle d’agents du changement, mais les bailleurs de fonds avaient besoin d’inclure ce système de bonus/malus pour s’assurer d’un certain degré de performance de la part des opérateurs. Toutefois, les bailleurs ont sous-estimé l’impact négatif de ce système de bonus/malus, notamment en termes de relations entre les différentes parties prenantes. Les opérateurs considéraient qu’ils avaient pris tous les risques, qu’ils avaient obtenu les résultats escomptés et qu’ils n’avaient donc pas à s’acquitter d’un malus. Pour citer un autre exemple de réticence de la part des parties prenantes locales, des chefs de projet ont proposé de participer aux réunions managériales. Or la première réaction du conseil de l’eau a été de refuser catégoriquement. Il considérait que ces chefs de projets ne pouvaient pas interférer dans ses décisions stratégiques. Ce n’est qu’aujourd’hui, à la troisième année du contrat, que les partenaires du projet commencent véritablement à travailler ensemble. Les parties prenantes locales ont enfin perçu l’opportunité que représentait une coopération avec les opérateurs externes. Peu à peu, l’ensemble commence à fonctionner. Tous se sont rendu compte qu’ils avaient mal compris le concept du contrat, qu’ils n’avaient pas réussi à inclure les opérateurs et les autres parties prenantes et qu’aujourd’hui ils en payaient les frais. La Direction du Conseil de l’Eau de Blantyre a accompli des progrès significatifs puisqu’elle affiche un an d’avance par rapport à Lilongwe. Ce qui a fait la différence est cet engagement vis-à-vis du contrat. Le directeur général de Lilongwe possède en outre un profil de management qui n’est pas propice à la motivation des personnels. Ces derniers avaient peur d’une confrontation avec leur manager, ils avaient tendance à le fuir, ce qui ne contribuait pas à l’établissement d’un partenariat et ne permettait pas d’accomplir quelque progrès que ce soit. Une coopération a été mise en place entre les différentes parties prenantes afin de déployer des formations, ceci afin de changer les habitudes. Toutefois, à Lilongwe, ces activités étaient isolées, séparées de la routine quotidienne du Conseil de l’Eau. Les possibilités d’interaction étaient nulles. IV) Les conditions de réussite des politiques de l’eau Aziza AKHMOUCH Il est toujours important pour l’OCDE d’être à l’interface des opérationnels et des chercheurs. Nous avons beaucoup à apprendre de ce type d’événement. Je m’occupe du programme de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau. Parmi les domaines de politiques publiques auxquels s’intéresse l’OCDE, l’eau en particulier est une priorité du Secrétaire Général Angel Gurrìa. À son arrivée, il a mis en place le programme horizontal sur l’eau qui implique une dizaine de personnes dans différents départements, de la Direction de l’Environnement à la Direction du Commerce et de l’Agriculture, en passant par la Direction de la Gouvernance Publique et les Directions des affaires financières et la Direction de la coopération et du développement. J’aimerais aborder le sujet de la performance sous l’angle des politiques publiques. En effet, un des messages clés mis en exergue lors des précédentes présentations porte sur les conditions cadre de la performance des services. Il faut garder à l’esprit, notamment au Paris, le 25 avril 2013 17 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études regard des discussions qui ont eu lieu ce matin, que le contexte n’est plus le même. Il faut prendre en compte un certain nombre de contraintes qui posent des problèmes très sérieux, y compris dans les pays de l’OCDE. Ces derniers disposent d’infrastructures, souvent financées par l’impôt comme dans le cas de la France, mais font face aujourd’hui à des défis significatifs pour renouveler ces réseaux. On ne peut donc pas considérer que le problème est réglé parce que ces pays ont une couverture universelle. Des enjeux financiers énormes se posent, notamment aux États-Unis, pour renouveler les infrastructures en place. Le Royaume-Uni affiche des taux de fuite dans les canalisations qui posent un certain nombre de défis. La France, avec des changements de gouvernance du privé vers le public, est aussi confrontée à des problématiques importantes. Le problème se pose dans les pays riches aussi bien s’agissant des infrastructures que de l’adaptation à des normes environnementales de plus en plus contraignantes, qu’il s’agisse des directives-cadres de l’Union européenne ou d’autres réglementations. Nous devons faire face à une crise économique qui perdure, avec des mesures d’austérité fiscale très importantes qui ont poussé les pays de l’OCDE à mettre en œuvre des réformes drastiques dans le secteur de l’eau et l’assainissement. À titre d’exemple, en Italie, un référendum en 2011 a affecté une partie de la soutenabilité financière du secteur et même donné lieu à un transfert de compétences à un nouveau régulateur national. Au Portugal, on assiste à un mouvement de quasi-recentralisation de la gestion de l’eau, avec un rôle de plus en plus important accordé à l’agence environnementale nationale. De même, le Mexique a mis en place un agenda de réforme du secteur de l’eau à l’horizon 2030, dont la mise en œuvre est très difficile et soulève des enjeux de gouvernance entre le niveau fédéral et les autorités locales. Comme souvent, les solutions techniques, institutionnelles et financières existent, le problème clé reste très lié aux questions de gouvernance. Les Pays-Bas, pionniers dans le secteur de l’eau s’interrogent sur les réformes à réaliser, notamment pour résoudre des problèmes de qualité de l’eau – nous savons que beaucoup de pays de l’Union européenne n’atteindront pas les objectifs fixés par la directive-cadre –, mais aussi pour savoir comment injecter un peu de flexibilité dans le système afin de répondre aux défis qui se poseront dans les quarante prochaines années. Le plan Delta à l’horizon 2100 cherche précisément à anticiper ces défis de tendance économique, de changement climatique, de disparités régionales. Se pose également la question du coût. Le système en tant que tel est plutôt secure. Mais à quel moindre coût ? Beaucoup de pays de l’OCDE traversent donc ce processus de réforme. À l’OCDE, nous considérons que la performance des politiques de l’eau doit répondre à trois critères : l’efficience, la soutenabilité et l’équité. Nous avons identifié un certain nombre de conditions de réussite, que nous sommes en train de mettre sous la forme d’une recommandation de l’OCDE. En effet, notre rôle dans le conseil aux gouvernements consiste à élaborer ce qu’on appelle la soft law. Nous ne finançons pas de projets d’infrastructures, nous n’émettons pas de régulations contraignantes, à quelques exceptions près. En revanche, nous émettons des lignes directrices qui sont alimentées par des comparaisons internationales et des études à travers différents pays. Cette recommandation de l’OCDE sur l’eau, dont la dernière remonte à 1989, soulève des questions en matière de gouvernance, s’agissant des freins ou des moteurs de la performance des politiques de l’eau. Le premier défi est lié à l’allocation des rôles et des responsabilités. On constate, y compris dans les pays développés, qu’il est souvent très difficile d’identifier le qui fait quoi. Même si les cadres juridiques sont stables, des zones grises apparaissent en pratique. Cette allocation des responsabilités porte sur les différentes composantes de la gestion de l’eau, en termes de qualité et de quantité. Comment s’enchevêtrent ces responsabilités dans un contexte où la quasi-totalité des pays de l’OCDE ont décentralisé leur politique de l’eau, avec un mouvement de décentralisation poussé à l’extrême dans des pays tels que les États-Unis, le Canada, la Belgique et l’Australie, et des pays qui restent encore assez centralisés comme le Chili ou la Corée du Sud ? Dans tous les cas, les autorités locales jouent un rôle important. En lien avec cette allocation des responsabilités, se pose la question de la gestion de cette interdépendance entre les niveaux de gouvernance. Paris, le 25 avril 2013 18 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études La cohérence des politiques de l’eau est un critère de mesure de la performance extrêmement important. Beaucoup de pays continuent à faire face à des obstacles significatifs quand il s’agit d’aligner les politiques de l’eau avec les politiques de l’énergie ou de l’agriculture. Des pays comme le Mexique ont mis en place des subventions massives à l’électricité pour les agriculteurs qui vont clairement à l’encontre des objectifs de politique de l’eau. La question n’est pas d’aligner complètement les politiques, mais au minimum de mettre en place les mécanismes de compensation pour gérer ces arbitrages. Pour cela, nous avons besoin d’un cadre national mais aussi de bonnes pratiques qui pourraient être systématisées. Se pose également la question de la capacité, à différents niveaux de gouvernement mais aussi des opérateurs. Sur ce dernier point, je dirai deux mots sur la régulation économique qui me semble fondamentale. On observe une tendance dans les pays de l’OCDE à la création d’organes de régulation au niveau national. Cette tendance s’est affirmée en Amérique Latine dans la décennie 90, au moment du transfert aux opérateurs privés de la gestion de certains services. J’ai moi-même travaillé sur les enjeux et les conflits de la privatisation de la gestion de l’eau en Argentine. Cette tendance est plus récente dans le cadre de l’Union européenne. Le modèle traditionnel Ofwat est intéressant mais pas directement transposable dans tous les pays. Dans ce mouvement de régulation, on peut citer la création en Italie d’une nouvelle autorité qui vient de recevoir les prérogatives eau potable et assainissement, la mise en place d’une agence de régulation nationale au Portugal ainsi que dans les pays de l’Europe de l’Est. À l’OCDE, nous ne considérons pas que la régulation par le biais d’une autorité nationale soit un modèle optimal. Elle pose deux questions, d’abord celle de savoir ce que l’on entend par fonctions de régulation dans un secteur possédant des caractéristiques intrinsèques très fortes et des externalités sur d’autres domaines de politique publique avec des risque d’abus de position dominante. Trop souvent, ces fonctions sont réduites à la question des tarifs et à la problématique du recouvrement intégral des coûts. La détermination des prix est certes une fonction de régulation essentielle, avec des risques de capture considérables et une politisation encore très forte dans de nombreux pays. Mais la régulation économique touche également au monitoring des performances, aux benchmarks, à l’entrée dans le secteur, aux incitations à une utilisation rationnelle, etc. L’OCDE est en train de conduire un travail pour essayer d’établir une typologie de ces fonctions de régulation. Notre message est qu’elles ne sont pas nécessairement appelées à être concentrées au sein d’une même autorité ou d’un même acteur, mais peuvent être délivrées à différents niveaux de gouvernements et par différentes autorités. La deuxième question fondamentale est celle du contexte institutionnel dans lequel la régulation s’opère. Il faut effectivement une volonté politique, un cadre juridique, des mécanismes qui appuient les processus de réforme. Beaucoup de pays sont très efficaces pour mettre en place des commissions interministérielles ou élaborer des plans à des horizons lointains, mais ne se dotent pas des moyens qui permettront de réussir sur le terrain. À mon sens, la vraie question, au-delà de la volonté politique, est celle de la continuité politique. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des usagers dans ce cadre de régulation. V) Les limites des indicateurs de performance Alain JEUNEMAITRE Je suis chercheur au pôle de recherche en économie et gestion à l’Ecole Polytechnique. J’ai travaillé avec la Commission européenne sur les problèmes de régulation économique et les industries de réseau. Dans le domaine de l’eau, j’ai connu trois ou quatre expériences et je souhaite d’abord vous présenter très rapidement les impressions qu’elles m’ont laissées. Paris, le 25 avril 2013 19 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études La première expérience est la rédaction dans les années 90 d’une thèse sur la régulation. La Banque Mondiale et l’AFD prêtent de l’argent pour le développement de l’eau. L’idée simple que j’en ai retenue est que le modèle de l’autorité indépendante était très mal adapté au système légal et institutionnel de la plupart des pays en voie de développement. La deuxième expérience est une thèse en Inde, faite au laboratoire, sur le développement des infrastructures d’eau. J’en ai retenu l’importance de la culture et de la structure des ménages dans leur forme de gestion d’eau. En Angleterre, dans le cadre des études menées par mes étudiants, j’ai pu observer un plus haut degré de sophistication. Je me souviens par exemple de mémoires sur le smart metering (compteur intelligent), qui cherche à individualiser les consommations d’eau. La façon dont un compteur d’eau est reçu est bien différente en Inde et en Angleterre. J’aimerais aussi évoquer les price-cap regulations, qui ont été introduites au milieu des années 80 par Steve Littlechild. Pour l’eau, on a ainsi apporté un petit cas en plus pour l’investissement. Enfin, la dernière expérience est celle de Mille et une fontaines, une ONG présente au Cambodge et en Inde qui a tenté de développer des systèmes alternatifs aux infrastructures. Cette expérience a montré que la distribution était une problématique forte du secteur. Quelle est ma perception du problème de l’eau par rapport aux autres utilities ? Qu’estce que la performance ? Pour moi, la performance est l’optimisation des flux et des frontières. Dans le domaine de l’eau, la construction d’un marché intégré européen est très spécifique car elle ne se heurte pas à des difficultés d’interopérabilité (comme dans le contrôle aérien) ou d’interconnexion. Le marché reste très local parce que la distribution est extrêmement coûteuse et l’on n’imagine pas boire à Paris de l’eau des Pays-Bas. De ce point de vue, on n’a pas non plus une financiarisation extrême du marché de l’eau. Il n’existe pas de bourse de l’eau ou d’activités de trading, ni de grands réseaux européens comme c’est le cas dans le rail. La performance naît d’une concurrence pour le marché et non au sein d’un marché, ce qui pose des problèmes particuliers tels que l’organisation d’une régulation économique ou encore la gestion du gaspillage. Souvent, cette performance est jugée au travers d’indicateurs-clés de performance (key performance indicators) et de benchmarkings. Elle est en général basée sur des objectifs multiples, qui peuvent être parfois contradictoires ou difficiles à gérer en même temps. Le problème des indicateurs de performance est que la tentation est grande d’en faire dutarget setting, c'est-à-dire des objectifs à deux, trois ou quatre ans. En outre, tous ces benchmarkings sont généralement rétrospectifs et découpent des catégories, en termes de frontières, qui figent les éléments plus qu’ils ne les font progresser. Dans le domaine de l’eau s’exercent une responsabilité individuelle et une responsabilité collective. Etonnamment, la responsabilité individuelle m’apparaît beaucoup plus forte dans ce secteur que dans celui de la téléphonie par exemple. Une des grandes difficultés est celle de l’enforcementet de l’accountability. Dans certains pays, il est très difficile de faire payer un consommateur. Comment pénaliser des opérateurs qui ne respecteraient pas les objectifs fixés ? Jusqu’à quel point cet enforcement peut être réalisé ? Ces notions d’enforcement et de responsabilité comportent également une dimension citoyenne, comme en témoignent les processus de consultation dans le cadre d’Ofwat ou encore la mesure de la satisfaction des citoyens sur la qualité de l’eau initiée à travers le baromètre européen. Elles définissent une autre frontière entre le privé et le public, celle de cette performance ou de cette optimisation qu’il s’agit de réaliser. Paris, le 25 avril 2013 20 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études VI) Débat Jean-Luc TRANCART Je souhaite poser deux questions à nos deux opérateurs. Etes-vous confrontés à des problématiques de bidonvilles ? Est-ce un problème pour vous ? Comment gérezvous ces difficultés ? Yamba HAROUNA OUIBIGA Nous sommes confrontés à des bidonvilles, que nous appelons plutôt des zones non structurées. Actuellement, nous développons l’accès à l’eau et à l’assainissement pour ces bidonvilles. S’agissant de la gestion, nous impliquons des opérateurs privés locaux. Je précise que nos tarifs sont uniformes sur l’ensemble du territoire, y compris dans les bidonvilles. Jean-Luc TRANCART Les bidonvilles ont-ils disparu des plans d’Alger comme ils ont disparu des plans de Nairobi ? Thierry DEZENCLOS Alger comporte toujours des bidonvilles. Dans cette ville, non seulement les bidonvilles mais aussi des quartiers riches, avec des villas de centaines de mètres carrés, sont confrontés à des problèmes d’alimentation en eau, parce qu’ils ne sont pas déclarés. Il ne faut pas oublier que la période des années 90 et 2000 a été très compliquée, avec une dérégulation complète du marché. Ainsi, certaines maisons de 400 mètres carrés ne disposent pas d’un accès à l’eau. Un grand programme de recouvrement des bidonvilles est à l’œuvre. Depuis cinq ans, près de 100 000 personnes vivant dans ce type d’habitat ont pu bénéficier d’un accès à l’eau. Outre l’accès à l’eau, se pose une problématique de facturation. Il faut savoir que le prix de l’eau est administré et commun partout en Algérie, avec une tarification sociale. Jean-Luc TRANCART J’ai le sentiment que la question des accidents du travail est centrale en matière de performance. Ils montrent à la fois le respect envers le personnel, la motivation des managers. Est-ce un sujet pour vous ? Suivez-vous cet indicateur ? Yamba HAROUNA OUIBIGA Il s’agit naturellement d’un sujet important pour nous. Nous rendons compte de cet indicateur aussi bien au conseil d’administration qu’à l’assemblée générale présidée par le Premier Ministre. Jean-Luc TRANCART Vos résultats dans ce domaine sont-ils bons ? Yamba HAROUNA OUIBIGA Oui. En tout cas, l’évolution de la courbe montre que nous travaillons pour réduire les accidents du travail. Nous menons des travaux sur un système de management intégré, afin notamment de mieux prendre en compte ce volet de la sécurité. Thierry DEZENCLOS La sécurité est un des points cruciaux de la politique managériale de l’entreprise. Entre 2006 et 2010, le nombre d’accidents du travail a été divisé par dix. Aujourd’hui, nos taux de Paris, le 25 avril 2013 21 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études fréquence et taux de gravité sont très bas. La société est auditée régulièrement par SUEZ ENVIRONNEMENT, même si elle n’en est pas une filiale. Elle se situe dans le premier tiers des sociétés du Groupe en termes de performance dans le domaine de la sécurité. Elle est partie d’extrêmement loin puisque l’entreprise recensait en moyenne cinq à six décès par an. J’ajoute que la rémunération des cadres est fondée notamment sur des critères d’hygiène et de sécurité. Jean-Pierre MAS, Directeur délégué Afrique, SUEZ ENVIRONNEMENT J’ai été très intéressé par l’exposé de Maria Pascual Sanz sur le Malawi. Il renvoie en effet à une discussion que j’ai eue avec le représentant de la BEI il y a quatre ans, lors de la parution de l’appel d’offres. Je lui avais dit : « Je ne vois pas comment vous pouvez demander à un opérateur de s’engager sur une performance, en particulier sur des indicateurs clés de performance, sans responsabilité de management. » Aujourd’hui, quel bilan tire la BEI de cette expérience ? Ce type de contrat de services, qui est à mon sens un contrat d’assistance technique qui ne dit pas son nom, fleurit partout aujourd’hui, non seulement à travers la BEI mais également la Banque Mondiale, que ce soit au Congo-Brazzaville, en RDC ou au Tchad. A mon sens, les bailleurs de fonds doivent s’interroger sur les contrats qu’ils proposent. Avez-vous discuté de ce sujet avec le bailleur de fonds ? Qu’en dit-il ? La BEI a-t-elle tiré des enseignements des expériences passées ? Maria PASCUAL SANZ Il s’agit d’un contrat très rare mais il me semble qu’il possède beaucoup de potentiel dans la mesure où il est ancré dans les capacités locales. Les résultats qu’on peut en attendre seront plus lents. On ne peut pas fixer les mêmes objectifs en termes d’indicateurs clés de performance que pour un contrat de gestion dans lequel l’opérateur privé aurait beaucoup plus de pouvoir de décision. Dans ce contrat, il est paradoxal de travailler avec les bailleurs de fonds internationaux sans indicateurs de performance. Toutefois, nous avons besoin de leur expérience et de leurs compétences en matière de changement. Comment travailler avec l’opérateur local ? Comment le motiver ? Comment accompagner le changement ? L’opérateur international a permis de limiter l’ingérence politique. Bien sûr, le contrat définissait les responsabilités des deux parties, par exemple lorsqu’une réorganisation a été proposée. Cela n’a pas été une mesure très populaire mais grâce à la force du contrat et aux explications données sur les raisons pour lesquelles ces objectifs devaient être atteints, le dirigeant de la société des eaux a réussi à la mettre en œuvre. Mettre en œuvre des mesures à l’origine peu populaires a permis d’atteindre certains des objectifs qui avaient été fixés. Pour le premier et le second contrat, respectivement 40 % et 60 % des objectifs ont été atteints. Le contrat présente donc un gros potentiel. L’opérateur international ne prend pas la direction du changement mais il soutient un changement qui s’accomplit au niveau local. De la salle Ma première question s’adresse à Alain Jeunemaître. Vous avez indiqué que des indicateurs clés de performance pouvaient avoir un effet pervers. Pourriez-vous en dire davantage sur ce sujet ? Alain JEUNEMAITRE Je vais répondre plus spécifiquement sur le cas du contrôle aérien. L’Europe compte soixante centres de contrôle, vingt-sept pays. L’idée est de restructurer cet ensemble pour aboutir à un total de cinq centres de contrôle. En 1998, une commission de revue de la performance (Performance Review Commission) a été créée et a commencé à travailler sur des indicateurs clés de performance. L’objectif était de mettre en place, par la Paris, le 25 avril 2013 22 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études régulation, des pratiques de naming and shaming (dénonciation et condamnation), mais sans réel pouvoir d’enforcement. Puis cette Performance Review Commission s’est transformée en Performance Review Body. Désormais, elle fixe des cibles (targets) à partir des indicateurs clés de performance. Qu’ont fait les Etats et les systèmes de contrôle nationaux ? Ils se sont adaptés à la situation, mais ils ne se sont jamais restructurés. Ils ont juste appliqué ce qu’on leur demandait, et ce avec un décalage d’au moins une année. Si vous fixez des objectifs, les acteurs s’adaptent et vous figez la façon dont vous pouvez penser la chose. De la salle Monsieur Dezenclos a parlé du dialogue social. Quels sont les impacts de tous ces changements sur le personnel ? Avez-vous obtenu une sorte de paix sociale ? Il me semble que la paix sociale est en effet un critère majeur de performance et un facteur de développement de l’entreprise. Ma deuxième question a trait à la régulation. En Afrique de l’Ouest, il a été constaté que le régulateur indépendant n’était pas aussi indépendant que cela. Il subit en effet des pressions politiques importantes. Parfois, il peut même se comporter en second opérateur, de par ses prises de position. A mon avis, les systèmes de régulation doivent tout simplement s’adapter à l’environnement local. Au Sénégal, il n’y a pas de régulation. Par contre, il y a une forte capacité de dialogue entre les acteurs, qui constitue un facteur clé de succès. Thierry DEZENCLOS Le dialogue social est excessivement important. En 2006, la signature du partenariat public-privé et l’arrivée du personnel expatrié ont suscité une inquiétude très forte dans l’entreprise. A l’époque, les grèves étaient assez fréquentes. Il a fallu accomplir un travail de longue haleine d’explication, mais celui-ci semble avoir porté ses fruits puisque la dernière grève remonte à quatre ou cinq ans. Jean-Luc TRANCART Les salaires ont-ils été augmentés ? Thierry DEZENCLOS Les salaires ont fortement augmenté. Je précise néanmoins que nous n’avons pas la maîtrise de l’augmentation des salaires. SEAAL est une société publique algérienne et les salaires sont donc gérés par l’Etat. En l’occurrence, les salaires ont augmenté pour l’ensemble des fonctionnaires. Nous n’avons pas pu initier une politique salariale forte. En revanche, nous avons disposé d’une petite marge de manœuvre pour instaurer des rémunérations complémentaires, notamment des rémunérations variables liées à la performance. Jean-Luc TRANCART Alain peut peut-être répondre à la question sur la régulation. Alain JEUNEMAITRE Je suis tout à fait de l’avis de la personne qui a posé la question, quant à la nécessité de trouver des mécanismes adaptés. Des économistes tels que Jean-Jacques Laffont ont conduit des travaux sur le problème de l’asymétrie, la regulatory capture, la collusion, toutes les problématiques qui se posent lorsqu’on essaye d’installer une autorité indépendante. Le mode de fonctionnement sociétal n’est pas la même selon les pays. A une époque, les prêts accordés par la Banque Mondiale étaient assortis d’une contrainte de création d’un système de régulation inspiré de celui en vigueur dans les pays Paris, le 25 avril 2013 23 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études industrialisés, mais qui ne correspondait absolument pas à la réalité des pays en développement. De la salle Monsieur Jeunemaître, vous avez évoqué le cas de Mille et une fontaines, qui est un exemple de systèmes alternatifs à la distribution classique. Considérez-vous que ces systèmes ne sont que des rustines ou au contraire qu’ils peuvent être viables sur le long terme ? Alain JEUNEMAITRE Dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, les progrès technologiques sont relativement limités. Pour autant, je ne pense pas que les solutions évoquées soient des rustines. Dans le cas de Mille et une fontaines, l’idée était d’ioniser l’eau pour la transformer en eau potable et d’organiser un système de distribution en général collectif. C’est mieux que rien. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’eau tombe aussi du ciel. Quelle que soit la solution, elle est toujours positive et elle peut souvent être généralisée. Jean-Luc TRANCART Quand je commence mon cours à Sciences Po sur la politique de l’eau, je dis à mes étudiants que le premier problème de l’eau dans le monde, ce ne sont pas les inondations, les bidonvilles, l’accès ou l’irrigation, mais ce sont les idées générales. Je voudrais remercier notre panel parce qu’il nous a fait échapper aux idées générales. Paris, le 25 avril 2013 24 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Présentation de la chaire Eau pour Tous Jean-Antoine FABY Directeur de la chaire Eau pour Tous, AgroParisTech Créée en 2009, la chaire ParisTech-SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour Tous repose sur deux piliers. Le premier est la formation de futurs managers de sociétés d’eau et d’assainissement dans les pays émergents, en développement ou en transition. Treize d’entre eux sont présents aujourd’hui, au titre de la cinquième promotion. Le deuxième pilier est la recherche. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est aussi pour alimenter la réflexion sur ce que pourraient être les projets de recherche soutenus par la chaire Eau pour Tous. Deux mondes se confrontent, celui des opérationnels et celui des chercheurs. Parmi les mots qui ont été évoqués au cours des débats, j’ai retenu les mots « transformer » et « performer ». Performer est un verbe qui ne se dit pas en français, mais il se dit en anglais. Je le prends dans un sens qui est autre que celui évoqué : cela signifie former de part en part ou donner tous les moyens, dans toutes les composantes managériales, pour pouvoir exercer la fonction de manager en bonne connaissance de cause, mais cela signifie aussi en vieux français l’accomplissement total de soi. Je tenais à cette précision car derrière la notion de performance, on trouve la volonté d’aller au bout des choses pour les hommes et les femmes qui ont en main l’avion dont nous parlions tout à l’heure et qui vont accomplir leur action en allant au bout d’eux-mêmes. La formation est réalisée en alternance sur dix-huit mois, en français et en anglais, avec des promotions qui courent en parallèle. Elle est dispensée par des enseignants issus du monde professionnel, dont un certain nombre est présent aujourd’hui. Elle porte sur les domaines suivants : le management clientèle, la connaissance des partenariats publics-privés, la gestion des coûts et des financements, les méthodes de management et l’environnement des parties prenantes. Chacun des auditeurs est tenu d’appliquer l’ensemble de ces enseignements à un service particulier. Il doit réaliser un diagnostic et élaborer une stratégie pour la mise en place d’actions, dans une perspective de transformation du service. Ces cadres supérieurs sont sélectionnés par la Direction générale de leur entreprise. L’Ecole établit un contrat avec ces sociétés afin que la formation débouche sur un plan d’action qui sera appliqué par les auditeurs à leur retour au pays. Tout au long de la formation, l’étudiant navigue entre des échanges conceptuels et l’application sur le terrain. La chaire Eau pour Tous met particulièrement l’accent sur l’engagement individuel du manager, pour influer sur le changement et la performance. A ce jour, après quatre ans d’existence de la chaire, 80 auditeurs ont été formés ou sont en formation. Pour la plupart, ils occupaient des postes de directeur régional, chef de service ou ingénieur d’études. De 2009 à 2012, nous avons formé 43 personnes qui ont été promues, pour certains d’entre eux à des directions de ville d’exploitation générale auprès du directeur général. Aujourd’hui, nous éprouvons quelques difficultés à recruter à des niveaux n-1 (directeur régional) car ces personnes ont du mal à se rendre disponibles pendant trois mois pour suivre la formation à Montpellier. Cela étant, là encore, les personnes formées continuent à être promues et ont donc un impact sur leur société. Quarante entreprises nous ont fait confiance sur quatre continents (Europe, Afrique, Asie, Caraïbes). A titre d’exemple, nous avons formé dix cadres au Rwanda, cinq en Haïti. Le changement lié à la formation n’est pas évident à mesurer. Pour autant, nous devons nous attacher à mieux regarder les plans d’action mis en œuvre par nos auditeurs et leur impact réel sur le terrain. Cette évaluation qualitative n’est pas aisée à réaliser. Paris, le 25 avril 2013 25 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Certains des auditeurs évoluent dans un état relativement précaire d’organisation par rapport aux changements effectifs que nous souhaitons mettre en œuvre. Chacun est dans une situation particulière et voit sa performance à son niveau. Or, pour vraiment initier un changement et atteindre la performance, il me semble qu’il faut d’abord une stabilité du service suffisante pour porter la performance. Il est toujours difficile d’établir une représentation analytique du chemin vers la performance. Les structures d’origine des 80 élèves qui nous ont rejoints possèdent un potentiel d’organisation plus ou moins avancé. Dans certains cas le potentiel de changement est présent, dans d’autres il ne l’est pas. En fonction de ces caractéristiques, nos auditeurs, même s’ils élaborent un plan d’action, éprouvent des difficultés à obtenir des résultats à leur retour au pays. Il serait intéressant que les débats de la journée débouchent sur des questions clés de recherche. Une question m’interpelle profondément : le management des services d’eau et d’assainissement dans ces pays émergents ou en développement n’attire pas les élites. Je me demande pourquoi. Bien sûr, des réponses peuvent être données, mais on ne trouve pas beaucoup d’éléments sur ce sujet dans la littérature. Nos auditeurs, quand ils reviennent chez eux, se mettent en danger le plus souvent. Il est difficile d’engager des démarches de performance dans des services installés dans la routine et qui tournent en rond dans bon nombre de cas. La chaire Eau pour Tous entend les accompagner dans leur engagement à leur retour au pays. Paris, le 25 avril 2013 26 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études L’évaluation innovante de la performance des services d’eaux Table ronde 2 Participent à la table ronde : Pierre BAUBY, Université Paris 8, Sciences Po Paris ; Ek SONN CHAN, ex-Président-Directeur général, PPWSA, Cambodge ; Mamadou DIA, Président-Directeur général, Sénégalaise des Eaux, Sénégal ; Ricardo SANDOVAL MINERO, Mexique ; ex-Directeur général CEAG, MexiqueDoctorant CGS Mines ParisTech ; Marie-Joëlle KODJOVI, Université Paris 1-Cogite SAS. La table ronde est animée par Jacques BERTRAND Président du COS de la Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. Jacques BERTRAND Je préside le Comité d’Orientation Stratégique de la Chaire qui nous rassemble aujourd’hui. J’y enseigne aussi la planification stratégique, que j’ai moi-même pratiquée opérationnellement pendant mes trente années professionnelles à la tête de grandes société et services des eaux, en France et dans d’autres pays. Voici les questions que je voudrais adresser aux conférenciers de cette table ronde, chercheurs académiques et grands managers. Dans la performance, qu’est-ce qui se mesure et qu’est-ce qui ne se mesure pas ? En quoi ce qui se mesure peut-il être un leurre, puisque cela occulte ce qui ne se mesure pas ? Existe-t-il des indicateurs qui ne mesurent pas qu’une performance, c'est-à-dire une photographie à un instant, mais une anticipation de performance, c'est-à-dire un mouvement vers la performance ? Dans quelle mesure cette performance peut-elle être objectivement évaluée ? Je ne peux pas ne pas faire un lien entre ces questions et un point qui est ressorti de la table ronde de ce matin : il y est apparu que les conditions essentielles de la performance, relevées de manière très convergentes par chacun des intervenant, sont d’abord la volonté politique, ensuite un cadre institutionnel et de gouvernance adapté, et en troisième lieu une solidité financière et la capacité à accéder aux financements. Il est intéressant de noter qu’aucun des indicateurs de performance habituels ne mesure ces éléments. La parole est aux intervenants pour nous apporter l’éclairage de leurs travaux et de leurs expériences sur ces questions complexes. I) Le contrat de performance Mamadou DIA La Sénégalaise des Eaux est une société privée de droit sénégalais, dont le capital est détenu à hauteur de 53 % par des privés professionnels, 33 % par des privés sénégalais, 5 % par le personnel et 5 % par l’Etat du Sénégal. Elle gère 56 centres urbains et 400 villages. Elle emploie 1 147 agents et sert 592 000 clients. 5,5 millions d’habitants au Sénégal sont approvisionnés à partir du réseau de la Sénégalaise des Eaux. Pour parler des performances, il faut d’abord rappeler le contexte et le diagnostic qui a été réalisé. Autrefois, le Sénégal souffrait de ruptures fréquentes d’approvisionnement en Paris, le 25 avril 2013 27 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études eau (le déficit sur la capitale atteignait 5 000 mètres cubes/jour), de besoins d’investissement très importants (de l’ordre de 100 millions de dollars), de difficultés financières pour faire face à l’ensemble des obligations, de la surexploitation de la ressource et de consommations très élevées (notamment au niveau de l’administration sénégalaise). Fort de ce diagnostic, le gouvernement a pris des orientations stratégiques qui ont consisté à impliquer le secteur privé dans la gestion de l’eau, mettre en place un programme ambitieux d’investissement et maintenir les tarifs à des niveaux socialement et politiquement acceptables pour atteindre l’équilibre financier du secteur. La stratégie d’intervention du gouvernement consistait à se désengager des activités commerciales et de production, de rester propriétaire de l’infrastructure et de réduire la pauvreté en permettant aux ménages à faibles revenus d’avoir accès à des services d’eau potable et d’assainissement. Cette stratégie se matérialisait dans des plans d’action qui devaient permettre de réduire les consommations de l’administration, de diminuer les volumes d’eau potable utilisés pour le maraîchage, d’assurer le paiement à due date et l’équilibre financier de la société. Suite à un appel d’offres international, une délégation de gestion a été mise en place, avec un contrat d’affermage entre d’une part l’Etat du Sénégal et d’autre part la société d’exploitation et la société de patrimoine, ainsi qu’un contrat de performance entre la société d’exploitation et la société de patrimoine. Ce contrat de performance a été établi sur la base d’un benchmarking international (auprès de la Gambie, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée) et du point zéro constaté au niveau du Sénégal. Il est important de retenir qu’il n’existe pas de schéma unique : le schéma doit être adapté au contexte local. C’est en cela que l’environnement du pays dicte les règles. Tout à l’heure, il a été dit combien il était important que ce schéma ait pour soubassement la bonne gouvernance et une forte volonté politique. D’ailleurs, à ce titre, la bonne gouvernance constitue un élément essentiel, même si elle est parfois difficilement mesurable. Qu’est-ce qui fonde la bonne gouvernance ? Est-ce la lutte anti-corruption, une charte éthique ou un ensemble de comportements et d’attitudes des managers au sein de l’entreprise ? De la même manière, la volonté politique est un élément important. La réussite de la Sénégalaise des Eaux est liée à la forte volonté politique du gouvernement. Mais là aussi, la mesure de la volonté politique est excessivement difficile. Doit-on la mesurer par le nombre de conflits entre l’autorité affermante et le délégataire ou par d’autres critères ? En tout cas, il s’agit d’une condition essentielle de la performance. Le schéma institutionnel mis en place s’est accompagné d’un contrat de performance sur les aspects techniques, la qualité de l’eau, la qualité de service et les aspects financiers. Cela a conduit à déterminer l’ensemble des éléments mesurables permettant de rendre compte de l’efficacité du service public d’eau. C’est dans ce cadre que des critères techniques ont été définis, tels que le rendement des réseaux, l’indice des pertes linéaires, la qualité bactériologique de l’eau (avec un nombre d’échantillons conforme aux recommandations de l’OMS), la qualité physico-chimique, la qualité du service, le renouvellement du réseau et les aspects financiers (notamment la redevance payée par la société d’exploitation à la société de patrimoine). Il a été recherché un équilibre financier du secteur, qui donne la capacité à la société de patrimoine à emprunter directement auprès des banques et assurer le service de la dette. Il me semble qu’il s’agit d’un point très important. Le fait qu’une société de patrimoine parvienne, à partir de la redevance, à faire face aux emprunts et à construire les installations dans les délais, est un critère d’efficacité excessivement important. Sur l’ensemble des critères de performance mis en place, deux comportaient un dispositif de bonus/malus. Le premier était le rendement des réseaux. Il était fixé à 85 %, avec application d’un bonus au-delà et d’un malus en-dessous. Le second indicateur était le taux de recouvrement. Ce dernier, qui avait été fixé de façon progressive (95 % la première année, 96 % la deuxième et 97 % la troisième), était également associé à un système de bonus/malus. Paris, le 25 avril 2013 28 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études La nature du contrat d’affermage de la Sénégalaise des Eaux avec l’Etat du Sénégal nécessite une amélioration constante des performances et donc une analyse régulière de ces performances. Les ressources humaines sont au cœur de cette dynamique, reposant essentiellement sur un management et un cadre nouveau favorisant la quête de la performance. L’entreprise a adopté dès le départ une démarche structurée avec des étapes bien définies. La première étape est l’analyse des contraintes. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet. Beaucoup de contraintes au démarrage ont fondé notre décision à aller vers des actions d’optimisation de la performance. La seconde étape est le développement de nouvelles valeurs et d’une nouvelle culture. Il fallait créer un environnement propice à la réalisation des performances : développement de nouvelles valeurs et comportements, nouvelle culture de groupe et changement de mentalité, création d’un nouvel environnement de travail, développement d’un sentiment d’appartenance, mobilisation du personnel autour de valeurs fortes. Par la suite, six domaines de formation prioritaires ont été identifiés. Il fallait faire en sorte que s’opère un renforcement des capacités. 17 % du personnel n’était pas alphabétisé. Il a donc fallu mettre en place des cours d’alphabétisation. Toutes ces actions ont permis d’avancer rapidement et de créer un projet mobilisateur pour le personnel, générateur de gains de productivité rapides et significatifs, novateur en termes d’écoute et de satisfaction des nouvelles exigences du client consommateur, et mettant en valeur le savoir-faire national. La finalité d’un service public est de placer le client au cœur de ses préoccupations. Il faut que le client soit satisfait et que des mesures de satisfaction soient faites régulièrement par un cabinet indépendant. Ceci a conduit l’entreprise, en 2000, à entrer dans la démarche ISO 9001 version 2000, non pas en termes de management par la qualité mais en termes d’amélioration continue. Toutes ces actions ont entraîné une révolution dans la définition et le déploiement de la politique. A partir des contrats et notamment du contrat de performance, des axes stratégiques sont définis par l’entreprise, avec des axes stratégiques sectoriels, une lettre d’engagement et une déclinaison par entité et service. La Sénégalaise des Eaux a ainsi découpé l’ensemble de son activité en trois processus clés et des processus supports. A chaque processus clé ont été associés des indicateurs d’efficacité mais aussi des indicateurs de surveillance. Les indicateurs sont-ils pertinents ? Vont-ils permettre d’atteindre la performance ? D’où la nécessité d’une surveillance et d’une révision périodique des indicateurs. Chaque année, une lettre d’engagement est publiée, qui donne l’ensemble des objectifs assignés. Un contrat d’objectifs est défini pour chaque agent de l’entreprise. Il part des objectifs généraux définis dans la lettre de cadrage stratégique. Par exemple, s’agissant du rendement du réseau, un technicien doit exécuter intégralement le planning de maintenance du réseau, remettre systématiquement le réseau en état dans un délai de huit heures, contrôler à 100 % la qualité des réparations, etc. Tous ces objectifs individuels participent à la réalisation de l’objectif global de rendement du réseau. Les contrats d’objectifs, les fiches de poste, les grilles d’évaluation et l’entretien annuel d’évaluation constituent la base de l’évaluation des performances de chaque agent de l’entreprise. Ils permettent également d’établir une rémunération au mérite. Chaque poste de l’entreprise dispose d’une fiche de poste qui comprend des critères articulés autour du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. Nous avons jugé en effet qu’il était indispensable de créer un environnement qui permette à chacun de connaître ses obligations et responsabilités au sein de l’entreprise. Les performances se fondent sur la capacité managériale des dirigeants, mais aussi sur la capacité à impulser, à animer et à sensibiliser les équipes. D’où l’importance capitale accordée aux ressources humaines. Paris, le 25 avril 2013 29 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études L’atout concurrentiel d’une entreprise ne réside pas dans les machines, ni dans l’information ou les financements. Quand un projet est rentable, il est toujours possible de trouver de l’argent auprès des institutions financières. L’atout concurrentiel est avant tout la qualité des ressources humaines. C’est ce qui fait la différence entre les entreprises et la différence dans la performance. Pour cette raison, nous nous sommes engagés dans une démarche de certification. Depuis 2010, l’Entreprise est ainsi certifiée ISO 14001 et OHSAS 18001. Elle s’est également engagée dans une démarche sécurité. Au cours des premières années d’existence de l’entreprise, les sites pilotes engagés dans la démarche n’ont connu aucun accident. On ne peut pas atteindre la performance sans innover, sans créer, sans utiliser des outils modernes de gestion. Aujourd’hui, pour augmenter sa réactivité en matière d’intervention chez le client, la Sénégalaise des Eaux a mis en place un cockpit de supervision et un dispositif GPS pour l’ensemble de ses véhicules. Les magasins sont ainsi pré-localisés avec une intégration d’une cartographie informatisée, afin de faciliter le pilotage des équipes sur le terrain. Nous avons d’ailleurs mis en place un indicateur de performance mesurant la réactivité : une fuite déclarée doit être isolée dans les deux heures et réparées dans les huit heures. De même, un call center permet depuis 2004 de recevoir les appels de l’ensemble des clients et de les « dispatcher »aux équipes sur le terrain. En 1996, le service public d’eau comptait 57 ordinateurs ; aujourd’hui, il en compte 672. Il a donc fallu changer radicalement l’environnement de travail pour atteindre les performances souhaitées. Ces outils ont permis d’augmenter de manière significative la productivité. Il faut dire qu’en 1996, la société comptait 1 394 agents ; aujourd’hui, elle en emploie 1 147. Nous sommes ainsi passés d’un taux de 5,7 à 2,08 agents pour mille clients, soit une performance remarquable. En 1996, le taux d’accès à l’eau était de 80 % ; aujourd’hui, il est de 98,8 %, grâce à une politique de branchements sociaux qui permet d’atteindre les populations démunies dans les zones périurbaines et dans les villages. 172 000 branchements sociaux ont été financés entre 1996 et 2012. Aujourd’hui, dans les villes du Sénégal, 88 % accèdent à l’eau par branchement particulier et 10,2 % par fontaine. La production est passée de 96 millions de mètres cubes en 1996 à 153 millions en 2012, le rendement des réseaux de 68,2 % à 80,12 %, le taux de conformité bactériologique de 92 % à 99,3 %, le taux de recouvrement des factures de 91 % à 98,16 %, et le nombre de clients de 241 000 à 592 000. Toutefois, ces performances ne sont pas immuables. Elles doivent faire l’objet d’une évaluation constante. D’où la nécessité de réaliser des revues de processus, d’examiner leur évolution sur plusieurs années et d’éventuellement initier des mesures correctives. Les performances sont-elles pertinentes ? Traduisent-elles réellement la santé de l’entreprise, aussi bien en termes technique qu’en termes de qualité de service ou financiers ? Il convient également de s’interroger régulièrement sur la pertinence des performances, afin qu’elles traduisent à chaque instant la réalité de l’Entreprise et éviter de tomber dans l’autosatisfaction. Il faut mesurer les performances. Même si la mesure n’est pas satisfaisante, elle permet d’améliorer et de progresser. Il est important de mettre en place l’ensemble des mesures qui permettent de redresser un indicateur lorsqu’il est à la dérive. Il faut également que les performances aient un caractère durable. De plus, la résolution des problèmes doit se faire au niveau le plus pertinent. D’autre part, il existe des limites financières. Dans le cas du Sénégal, ces limites sont les charges de renouvellement du réseau et les charges liées à la société de patrimoine. La pérennité d’une entreprise repose sur la capacité à mettre en place sept à dix indicateurs objectifs et pertinents permettant de mesurer la santé de l’entreprise. Enfin, l’atteinte de la performance ne peut être obtenue que sur la base d’un dialogue social de qualité. Paris, le 25 avril 2013 30 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Jacques BERTRAND Alors, pour paraphraser Churchill et te paraphraser également, les indicateurs de performance sont la pire des choses mais il n’y en a pas de meilleures ! II) Les mesures d’évaluation de la performance Pierre BAUBY Je vous remercie pour l’invitation car des lieux comme ceux-ci qui soient transdisciplinaires, trans-institutionnels, trans-secteurs et transnationaux, sont rares. Je ne suis pas un spécialiste de l’eau, je suis plus un généraliste des services publics ou de ce qu’on appelle les services d’intérêt général. Suivant depuis plus de vingt ans ces enjeux au plan européen, j’ai été amené à travailler sur l’eau, notamment dans le cadre de l’étude Euromarket il y a dix ans mais aussi dans le cadre d’une série de travaux récents. Je souhaite non pas proposer des recettes, mais donner la toile de fond de la problématique abordée cet après-midi, à savoir sur ces enjeux de mesure et d’évaluation de la performance. Je voudrais commencer par un petit graphique sur la gouvernance. Je considère que la gouvernance n’est ni hiérarchique, ni linéaire : elle est un mouvement circulaire. On parle ainsi d’un cercle vertueux de la gouvernance. La gouvernance s’appuie en premier lieu sur une élaboration partenariale et participative des objectifs de fonctionnement d’un système. Sur cette base, il s’agit de déterminer, au cas par cas, quel est le territoire le plus pertinent pour traiter d’un enjeu ou d’une question et, à partir de là, définir l’autorité organisatrice, c'est-à-dire l’autorité publique responsable, celle qui va rendre les arbitrages. Après avoir défini les objectifs et l’autorité organisatrice, il convient en troisième lieu d’organiser la coopération partenariale de tous les acteurs concernés, à savoir construire ensemble une gouvernance multiniveaux, multi-acteurs, coopérative et partenariale.L’étape suivante est la mise en place de relations non hiérarchiques entre tous les niveaux et tous les acteurs, et une mise en œuvre au plus près du terrain. Puis vient la définition d’une régulation au sens large et la mise en œuvre d’une évaluation multicritères et multi-acteurs, cette dernière visant à définir des conditions d’amélioration, de modernisation et d’adaptation au changement des besoins et aux préférences des utilisateurs. L’évaluation débouche sur de nouveaux objectifs et s’instaure ainsi un cercle vertueux de la gouvernance. Le deuxième schéma correspond à ce que j’appelle le carré magique des services publics. Quand on parle de services publics, on conjugue des réflexions générales pour tous les secteurs, des logiques sectorielles et enfin les histoires et institutions nationales. Chaque Etat a construit dans la longue durée son système de services publics, qui continue et qui continuera à marquer en profondeur l’organisation, le fonctionnement, les performances et l’évaluation du secteur en question pendant des décennies. Ainsi, en Europe, après vingt-cinq ans de marché unique, on continue à avoir des organisations très différentes de l’eau ou de l’électricité entre la France et l’Allemagne. Cela dit, si le carré magique comporte trois dimensions, il possède quatre coins. En effet, quand on parle d’un service d’intérêt économique général, on est tout de suite confronté, en particulier en Europe, aux enjeux de marché intérieur et de droit de la concurrence. C’est un des coins du carré magique que l’on ne peut pas faire disparaître : les services d’eau ne sont pas hors marché. Un autre coin du carré correspond aux obligations de service public, qui relèvent du droit d’accès de chacun à l’eau (ou à d’autres services), de critères de solidarité et de la préparation du long terme (développement durable). Les tensions sont nombreuses entre le marché d’un côté et les obligations de Paris, le 25 avril 2013 31 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études service public de l’autre. Le troisième pôle est le principe de subsidiarité : tout ne dépend pas de règles européennes ou nationales, mais aussi des collectivités territoriales qui ont une compétence évidente d’organisation en la matière. Là aussi, des tensions se font jour. En effet, si l’on respecte le principe de subsidiarité local, on crée des tensions avec le marché intérieur et les obligations de service public. Le quatrième pôle est la politique européenne de cohésion, qu’elle soit économique, sociale, territoriale ou environnementale. La cohésion suppose des règles de solidarité qui ne sont ni la transposition des règles de marché, ni les obligations de service public, ni la subsidiarité. La cohésion dépasse le cadre de chaque territoire. Quand on parle de services publics, d’eau, d’assainissement ou d’autres domaines, il faut toujours avoir en tête ces quatre pôles. Cela signifie que des évolutions sont possibles dans le temps et dans l’espace. Il faut sans arrêt trouver le rapport le plus efficace entre ces quatre pôles. Lors de mes travaux, j’ai été confronté à des affirmations péremptoires en matière de comparaison des prix de l’eau. J’invite à la plus grande prudence dans ce domaine. Je partirai de cet exemple pour préciser la manière dont peut être menée la mesure de la performance. Les comparaisons en termes de prix ne sont pas pertinentes dans l’espace mais seulement dans le temps, pour le même service et dans la même aire géographique. Toute comparaison entre caractéristiques différentes n’est pas pertinente. En effet, les coûts de l’eau dépendent d’une série de facteurs : la situation géographique, le bassin, la densité de population, la taille du service, le type d’habitat, les niveaux de revenus des habitants, etc. Certains ont tendance à mettre en avant un raisonnement toutes choses égales par ailleurs. Pour ma part, je suis extrêmement réservé sur cette formule, au moins dans un secteur comme celui de l’eau. La notion de « toutes choses égales par ailleurs » signifie qu’il faudrait parvenir à quantifier chaque facteur que je viens de lister et leur donner une valeur qui rende les comparaisons possibles. Cet exercice me semble bien délicat. Aujourd’hui, dans les recherches que je conduis dans le domaine de l’eau, je préfère examiner la part du budget des ménages consacrée à l’eau et son évolution. Jacques BERTRAND Je retiens notamment la notion d’acteurs multiples, que je rapproche du champ des biens communs. Je me demande si l’absence de demande, dont parlait Richard Franceys, n’est pas en fait une absence de capacité de ces acteurs à exprimer ensemble une demande, sachant que cette demande les concerne tous, mais s’exprime différemment pour chacun. III) Les indicateurs de performance Ricardo SANDOVAL MINERO Je reviens d’abord sur la définition en trois mots des conditions pour atteindre une performance durable. A mon avis, la volonté politique et la gouvernance sont deux choses différentes. Le précédent orateur vient d’en dire la raison. Une des caractéristiques des pays émergents est le fait que rien ne peut s’y passer sans une volonté politique. Rien de ce qui a été accompli ne peut durer sans une volonté politique. Cela renvoie au thème de ma recherche qui est le rôle de la culture civique de la population dans l’atteinte de performances durables. Lors de toutes les sessions du Forum Mondial de l’Eau, nous avons tous entendu des exemples de réussites notables. Mon propos n’est pas de remettre en cause la véracité de ces témoignages, mais plutôt de se demander pourquoi dans un même environnement institutionnel, certains connaissent des réussites exemplaires et d’autres des échecs cuisants. J’ai eu la chance de travailler dans le service public. J’ai été chargé d’une commission de l’eau pour l’Etat du Guanajuato, en charge d’un soutien technique pour des opérateurs municipaux. Parmi ses différentes activités, cette commission effectuait une récolte des données, publiait des indicateurs, donnait des prix pour récompenser la performance des opérateurs. C’est à ce moment-là que je me suis interrogé sur le rôle des indicateurs dans Paris, le 25 avril 2013 32 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études la construction d’une société de services. Beaucoup de propositions ont été formulées sur ce sujet, par exemple la création d’observatoires citoyens de l’eau. J’ai eu d’ailleurs la chance d’être associé à un projet de cette nature. Il a également été demandé à la commission de donner un avis sur une évaluation objective de la capacité d’un système pour atteindre une bonne performance durable. Comme il l’a été dit précédemment, l’évaluation est multicritères. Même si certains indicateurs sont déjà fixés (qualité de l’eau, continuité, etc.), d’autres doivent faire l’objet de compromis. A titre d’exemple, dans un système de distribution, des compromis doivent être trouvés entre la continuité et les impératifs de maintenance. Il n’est pas évident de mettre en place un ensemble d’indicateurs. En effet, l’évaluation est non seulement multicritères et multi-acteurs, mais elle pose un problème de temporalité. Ainsi, la performance d’un opérateur peut être affectée par des décisions prises il y a dix ans. Il est donc très délicat de parvenir à une évaluation objective de la performance. En outre, la détermination des indicateurs de performance dépend de l’usage qu’il en est fait. Leur fonction est très différente selon qu’ils sont destinés par exemple au pilotage d’une entreprise ou à un projet d’amélioration de la performance. Ils peuvent aussi servir à instaurer un système d’incitation et de pénalisation interne à destination des collaborateurs de l’entreprise. Les indicateurs peuvent également jouer un rôle pour mobiliser les populations autour d’une ambition commune, concevoir un but partagé et dessiner des moyens pour l’atteindre. C’est une chose très différente que de demander à la population quelles sont ses attentes à l’égard d’un service que de les informer et faire évoluer leurs attentes vers un niveau différent. Ainsi, si durant un processus d’amélioration de la performance, les opérateurs travaillent également à la construction des attentes de la population, on peut penser que même si la volonté politique change, la demande aura été créée. Je rappellerai les propos de Paul-Marie Boulanger. Selon lui, un système d’évaluation fondé sur des indicateurs ne peut être efficace qu’à trois conditions : la rigueur scientifique ; la légitimité démocratique, c'est-à-dire la capacité d’un système d’indicateurs à refléter des buts et significations partagés entre l’opérateur et l’autorité, mais aussi avec la population ; l’efficacité politique. Parfois, les indicateurs n’ont pas été construits avec toute la rigueur scientifique requise, ni avec la participation des parties prenantes, mais ils ont une efficacité politique parce qu’ils provoquent une réaction. Par exemple, la publication des prix de l’eau provoque une réaction, même si elle repose sur des comparaisons hasardeuses. Au Mexique, des organismes comme l’Institut national des statistiques, l’Institut mexicain des technologies de l’eau ou la Commission nationale de l’eau font des efforts pour élaborer des indicateurs, produire des statistiques et les utiliser pour orienter les politiques publiques. Des organisations de la société civile et des entreprises effectuent par ailleurs des benchmarkings. Il convient de citer également la mise en place de cadres d’incitation : par exemple, les sociétés qui affichent les meilleures performances reçoivent un soutien budgétaire. Cependant, toutes ces initiatives restent limitées car nous ne disposons pas d’un bon système d’évaluation, qu’il soit économique, technique ou de satisfaction des usagers. La plupart des indicateurs ont échoué faute de fondements techniques pertinents, de légitimité démocratique et d’efficacité politique. Puisque la mesure de la performance n’est pas liée aux allocations budgétaires, au financement ni à la responsabilisation des cadres ou des politiciens, des conséquences concrètes ne se produisent pas et les services n’évoluent pas. Un indicateur, c’est avant tout de l’information. Il s’agit d’une information qui a pour but de produire une conséquence. Tout système d’indicateurs doit être clair sur les conséquences que l’on souhaite obtenir. Il est également important que les indicateurs aident le système à ne pas dépendre de la volonté politique mais de la gouvernance, de façon à obtenir une performance qui soit réellement durable.La recherche peut fournir des Paris, le 25 avril 2013 33 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études innovations pour améliorer la chaîne du mesurage de la performance, son évaluation, la communication avec les parties prenantes et l’induction d’une réaction qui conduise les services envers une performance durable. L’exploration des méthodes de l’école francophone d’aide à la décision multicritère (ELETRE, PROMETHEE) pour la construction des méthodes pour le changement social, peut donner des pistes pour utiliser les indicateurs de performance comme la colonne vertébrale d’une meilleure gouvernance des services d’eau. Jacques BERTRAND Ce nouvel éclairage, assis à la fois sur de la recherche et de l’expérience, est intéressant. Vous vous êtes attaché à penser l’aspect multi-acteurs ainsi que la difficulté à faire se rejoindre ces derniers dans l’expression de leur demande et leur volonté d’appréciation de la performance à travers les indicateurs. Vous avez également soulevé la complexité liée au temps dans le domaine de l’eau. Il reviendra à Marie-Joëlle Kodjovi d’éclairer un nouvel aspect de cet objet. Marie-Joëlle KODJOVI J’ai choisi de vous présenter des résultats de mes travaux de recherche et d’une étude menée à la demande de la région Ile-de-France concernant l’intégration du développement durable dans les services d’eau et d’assainissement. Comment cette intégration conduit à repenser la performance des services ? Certains travaux de recherche soulignent combien la mise en œuvre du développement durable passe par un changement de pratiques dans les services publics, impose de nouvelles contraintes et un cadre de réflexion renouvelé. Cela est particulièrement vrai pour les services d’eau et d’assainissement. En quoi cette prise en compte modifie-t-elle la perception de la performance, notamment par les usagers ? Elle implique de considérer un certain nombre d’attentes sociales, donc d’objectifs, et de repenser la relation entre les autorités publiques et les citoyens. Cette démarche aura un impact direct sur la régulation et la performance du service. De plus, la perspective du développement durable conduit à tenir compte d’autres objectifs, tels les interactions entre les acteurs ou le lien entre les grand et petit cycles, qui rattrapent les performances techniques et économiques. Que cherche-t-on à évaluer ? Assise sur trois piliers – social, économique, environnemental -, l’évaluation s’intéressera au caractère équitable, viable et vivable du service. Cette conjonction des trois aspects entraîne un changement de perspective et une évaluation du service sous un autre angle. Alors qu’une évaluation classique s’intéressera principalement à l’exploitation du service, donc au lien entre le maître d’ouvrage et l’exploitant ou la performance de celui-ci, nous considérons la relation créée entre l’usager et l’autorité responsable, qui s’inscrit notamment dans l’environnement de ce service. Ce changement de perspective conduit donc à une évaluation beaucoup plus large. La région Ile-de-France souhaitait déconstruire la façon dont les services étaient habituellement audités, c'est-à-dire selon les trois dimensions technique, juridique et financière. En menant un audit selon les dimensions sociale, économique et environnementale, nous visons une vision globale ainsi qu’à une redéfinition du service, en repensant son périmètre ou son objectif. Par exemple, l’examen de la soutenabilité sociale suppose notamment d’étudier les actions de communication et d’information des usagers : ceux-ci se montrent tous désireux de connaître ce que recouvre le prix du service qu’ils paient. Il faut de plus envisager les mesures prises en faveur des usagers en difficulté. Le développement durable est-il une question qui ne se pose qu’aux pays riches ? La question se pose-t-elle de la même manière pour un service en train de se construire et où les problèmes techniques sont nombreux ? S’inscrire dans un système pérenne suppose de prendre en compte non seulement la viabilité du service, mais aussi la vie des usagers. Paris, le 25 avril 2013 34 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Le dialogue social constitue ainsi une des conditions de la pérennité du service, y compris dans les pays en développement. En France, on peut notamment étudier le respect des obligations légales et réglementaires en matière d’informations sur la qualité, la gestion ou le prix, ainsi que les comptes rendus à travers le rapport annuel ou le système d’information des systèmes d’eau et d’assainissement. En ce qui concerne la démocratie participative, une loi oblige en France les services, au-delà d’une certaine taille à créer une commission consultative des services locaux. Pourtant, ce dispositif inscrit dans la loi n’est pas toujours mis en place dans les faits. D’autres dispositifs peuvent être créés par les opérateurs privés ou les pouvoirs publics. La qualité de la participation est souvent variable. Dans le cadre de ma thèse, j’avais étudié différentes commissions consultatives, dont les missions fixées par la loi sont limitées, pour évaluer si une coopération apparaissait en leur sein, en prenant en compte les activités extralégales, la proportion d’associations présentes (qui est décidée par l’autorité publique), les éventuels conflits pouvant surgir ainsi que les adaptations mises en place. Le degré d’ouverture du dispositif a été mesuré, en tenant compte des barrières à l’entrée, de la diffusion des informations internes ainsi que de l’éventuelle consultation des usagers qui ne participent pas au service, afin d’intégrer leurs remarques à la commission consultative. Jacques BERTRAND Après le diagnostic, vous proposez des outils, pour faire intervenir des acteurs non directement contractuels dans le jeu global. Je me demande si cette démarche a produit des effets, si des conséquences ont été enregistrées. Ek SONN CHAN Je ne suis ni chercheur, ni professeur, mais opérateur durant longtemps d’un service public de l’eau. Actuellement en retraite de la fonction publique, je travaille comme politicien. Le travail dans un bureau diffère radicalement de la présence sur les chantiers. Les réformes du système d’assainissement de Phnom Penh ont été menées dans un contexte bien particulier. La capitale du Cambodge a en effet connu de tristes événements : elle a été le champ de bataille de la guerre. L’office des eaux a été créé en 1993, avec l’aide de consultants français. L’infrastructure et les bâtiments se trouvaient dans une situation très délabrée, avec de nombreux tuyaux et pompes apparents. La production, de 65 000 mètres cubes, ne couvrait à cette époque que 40 % des besoins de la ville et seuls 20 % de ses habitants étaient connectés au système d’approvisionnement d’eau. L’eau n’était fournie que 10 heures par jour, à près de 26 000 consommateurs alors que nous ne pouvions recueillir les paiements que de 48 % de nos clients. La fourniture d’eau se trouvait bien en deçà des besoins et la société était considérée comme étant en faillite. L’Office des eaux de Phnom Penh a dû prendre une décision. Pour installer un tuyau de 100 mètres de long, trois ministères devaient coopérer, ce qui diluait les responsabilités. La promotion des services n’était pas fondée sur les résultats mais sur les relations des différents responsables publics. De même, les employés étaient recrutés en fonction de leur réseau. Recueillir l’argent des factures représentait une tâche complexe. Le pays était alors frappé d’embargo, ce qui signifie qu’aucune assistance n’était possible et qu’aucun consultant ne montrait la voie. Seule la Russie maintenait des contacts avec le Cambodge : elle a notamment travaillé à la construction d’un hôpital. En 1993, après mon élection, de nouveaux partenaires, notamment français, se sont joints à nos programmes. L’Etat était en reconstruction mais comprendre les problèmes ne suffit pas. Il faut manifester de la volonté. Nous étions déterminés à offrir de l’eau propre à chacun et avons mis en place un modèle visant notamment à impliquer les jeunes, à améliorer les performances et le recouvrement des factures. Nous avons également réduit la quantité d’eau ne générant pas de revenus et amélioré les compétences de nos équipes. A Manille, 50 000 dollars sont dépensés pour l’eau. Nous utilisons cette même Paris, le 25 avril 2013 35 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études somme pour construire des logements pour nos équipes, afin de motiver celles-ci. Une bonne performance requiert trois conditions. Si une seule est réunie, comment parviendrons-nous à de bons résultats ? Nous avons également amélioré la confiance du public, par une transparence accrue et un service client fonctionnant 24 heures sur 24. Dans l’appartement de ma fille, l’eau est disponible à toute heure de la journée. Si un problème survient, des techniciens se rendent chez l’habitant pour le résoudre, à tout moment. Nous fournissons environ 10 000 connexions au réseau d’eau pour les plus démunis. Concernant la durabilité, nous améliorons l’accès au service, qui s’est bien étendu : nous couvrons actuellement près de 90 % de la région de Phnom Penh. Quant à la base clients, elle a augmenté de 800 % depuis 1993. De même, l’efficacité en termes de recouvrement s’est accrue : tout le monde paie sa facture. Cela n’a pas été simple car le recouvrement soulève de nombreuses difficultés, notamment dans des pays comme le Cambodge. Il faut faire en sorte que les plus pauvres paient leur facture d’eau, et que les ministres, en faisant de même, donnent l’exemple. Nous avons atteint l’objectif d’un taux de factures payées de 99,9 %. Certains d’entre vous ne le croiront peut-être pas. Pourtant, cette société est cotée en bourse et auditée à intervalles réguliers par des experts internationaux. Nous avons considérablement diminué le volume d’eau qui ne génère pas de revenus. S’agissant des résultats financiers, le taux de retour sur investissement annuel s’élève à environ 26 %. La diapositive montre l’augmentation de la capacité d’autofinancement entre 1993 et 2011. Pour le premier projet d’amélioration du réseau, il nous a été difficile de convaincre l’AFD pour un prêt de 15 millions de dollars. Pourtant, en 2010, nous avons reçu le premier emprunt direct auprès des institutions françaises. Nous travaillons à présent de manière continue sur ce prêt. Notre capacité d’autofinancement atteint 40 % du montant du projet. La comparaison avec les différentes sociétés de la région fait apparaître des similitudes avec Singapour et Tokyo. En ce qui concerne les pertes, nous talonnons Singapour. L’eau est potable, à Phnom Penh, ce qui surprend de nombreux interlocuteurs. Personne ne croit que dans la capitale du Cambodge, il est possible de boire l’eau du robinet. Pourtant, c’est le cas depuis une dizaine d’années. Nous avons également reçu une reconnaissance internationale. Nous avons mis en place un tableau de bord afin de suivre les principaux indicateurs. Alors que nous disposions de 20 employés pour 1000 connexions, nous avons réduit ce nombre à 2,75. Nous n’embauchons pas de soustraitants et faisons tout nous-mêmes, de la pose des tuyaux à la gestion administrative en passant par la construction et le jardinage. En ce qui concerne les résultats financiers, vous pouvez constater que nous avons considérablement amélioré notre retour sur investissement. En 1993, le gouvernement japonais nous avait fourni 50 000 dollars pour payer nos fournisseurs de produits chimiques. En quittant mon poste, j’ai laissé 15 millions de dollars de liquidités à la banque. Quel est dès lors l’intérêt d’emprunter auprès de partenaires extérieurs ? En effectuant ces emprunts, nous devons nous assurer que les règles seront respectées et qu’aucune ingérence politique n’interviendra au niveau local. Ces conditions permettront de garantir la qualité des investissements. Dans le même temps, certains indicateurs ne peuvent être mesurés. Comment atteindre ces objectifs de performance ? Nous avons tout d’abord besoin d’être disciplinés. Le film Nous étions soldats propose une solide réflexion sur la notion de dirigeant. Quelles sont les qualités d’un chef ? Dans cette œuvre, inspirée d’une histoire vraie, il est montré que le changement de dirigeant a suffi pour gagner une bataille, au Vietnam. Outre le dirigeant, la transparence, la reddition de comptes et la lutte contre la corruption constituent d’autres pierres d’achoppement. Parmi les facteurs de réussite, on compte ainsi la volonté politique - sans laquelle aucun résultat ne peut être obtenu -, le leadership, la motivation des équipes et le soutien financier. Si de mauvaises performances sont obtenues, il sera très difficile d’être financé. Parfois, les problèmes de financement résulteront aussi d’interférences politiques. Paris, le 25 avril 2013 36 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études En conclusion, je rappellerai qu’en 2001, nous avons raccordé une zone rurale à l’eau, avec l’assistance du FMI. J’ai demandé à deux enfants s’ils constataient une différence avec la situation antérieure. L’un d’entre eux a répondu qu’autrefois, sa mère le laissait se laver une fois tous les trois jours alors qu’à présent, elle le force à se laver trois fois par jour. L’anecdote montre la performance de l’organisation et la manière dont celle-ci a changé la vie de nombreuses personnes. Jacques BERTRAND Cette présentation constitue un éclairage supplémentaire des exposés précédents, en même temps qu’il en confirme plusieurs points. La notion de confiance semble centrale pour engager un processus de transformation Débat Mamadou DIA Monsieur Bauby a évoqué une possible comparaison entre services publics d’eau dans un périmètre et des conditions similaires. Dans le cadre du Cambodge, l’Office des eaux gère-t-il uniquement l’approvisionnement en eau de la ville de Phnom Penh ou également du reste du pays ? Comment l’Office a-t-il pu influencer les autres services pour les entraîner vers la performance ? Ek SONN CHAN En France, il est de tradition que l’eau soit gérée localement. Le Cambodge étant un pays francophone, nous avons suivi cette pratique. En matière de distribution d’eau, le pays connaît une situation médiocre, en dehors de sa capitale. Il est difficile de répliquer l’exemple de Phnom Penh dans les provinces. Vous en connaissez les raisons. Richard FRANCEYS Dans les exposés concernant le Sénégal et le Cambodge, il semble que le réseau d’eau ait été géré par deux leaders d’exception. Quels aspects font d’une personne exceptionnelle un tel leader ? Qu’est-ce qui a provoqué votre transformation personnelle, aboutissant à ce changement ? Je conviens que la question est difficile. Marie-Joëlle KODJOVI Comment faire pour inscrire le service dans la durée, lorsque ces leaders quittent leur poste ou doivent être remplacés ? Jacques BERTRAND Ek Sonn Chan affirmait que la condition d’un service de qualité résidait dans la volonté politique, avant même le leadership. Au Cambodge, comment se fait-il que la volonté politique ait permis cette transformation à Phnom Penh et non dans le reste du pays ou pour les autres services ? Ek SONN CHAN Qu’est-ce qui provoque ce caractère exceptionnel chez une personne ? C’est probablement une question d’esprit et de cœur. Il faut éprouver ce sentiment d’amour envers les plus pauvres d’entre nous. Les gens suivent le cours de leur vie puis s’en vont. Tout passe. Vous ne laissez-vous derrière vous que vos bonnes actions, celles qui auront permis de semer un peu de bonheur, un concept crucial qui permettra qu’au moins les autres esquissent un sourire. Vous avez mentionné que le premier élément clé résidait dans la volonté politique. Pourquoi n’a-t-elle pas permis la transformation des autres secteurs ? La situation ne se Paris, le 25 avril 2013 37 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études présente pas tout à fait ainsi. Nous vivions tous dans le même contexte, marqué par la même volonté politique. Il convient de hiérarchiser les priorités, de choisir les ingrédients. Si vous effectuez de mauvais choix, vous pouvez démotiver les équipes. Nous avions la même volonté et vision politiques mais les leaders étaient différents. Mamadou DIA Aucune entreprise ou société d’eau liée à l’Etat ne peut réussir sans volonté politique. J’ai travaillé durant 36 ans dans les services de l’eau, dont 19 dans une société publique et 17, dans une entreprise privée. Les performances atteintes par la SDE, en tant que société privée, sont réalisées par les mêmes personnes que celles travaillant dans l’entreprise nationale. Que s’est-il passé ? Un changement dans l’environnement de travail s’est tout simplement opéré. Les difficultés auxquelles le personnel était confronté, du point de vue financier et technique, ainsi que les contraintes de l’Etat sur la bonne marche de l’entreprise ne permettaient pas aux talents de s’exprimer et d’éclore. Aujourd'hui l’environnement a changé et les mentalités ont connu une révolution. Chacun a développé sa capacité managériale. Les résultats ont suivi. Dans une entreprise, les dirigeants se doivent d’être exemplaires. Ce point me semble essentiel. L’exemplarité doit recouvrir l’ensemble des actions menées quotidiennement devant les collaborateurs. La ponctualité, par exemple, ne doit pas être négligée. Personnellement, je gagne mon bureau tous les jours à 6 heures 30. Un deuxième élément concerne d’exemplarité concerne la transparence. Toutes les personnes chargées de piloter la Sénégalaise des Eaux se voient fixer des objectifs annuels dont elles doivent rendre compte. Le comité de direction communique sur son exploitation afin de partager les résultats avec l’ensemble des salariés. Tous les lundis, un Flash Info informe le personnel de tout ce qui se passe dans l’entreprise. Cette démarche a contribué à créer une adhésion des salariés à la réalisation de nos performances et conduit à mettre en place diverses mesures de motivation et de récompense. Jacques BERTRAND Qu’est-ce qui fait un leader ? Il semble que cela soit la question centrale. Yamba Harouna OUIBIGA Le premier point reste de posséder des repères et d’en être convaincu. L’exemple est ensuite très important. Enfin, la capacité à mobiliser les hommes autour de soi apparaît comme fondamentale. Pour y parvenir, la proximité est essentielle : il faut être un homme de terrain et partager, encadrer les autres. Dès lors, si l’on détient une vision, on peut tirer le groupe vers l’objectif que l’on veut atteindre et vers la performance. Paris, le 25 avril 2013 38 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Table ronde 3 Parties prenantes non gouvernementales : quel soutien aux changements dans les services d’eau ? Participent à la table ronde : Myriam BINCAILLE, Fonds SUEZ ENVIRONNEMENT Céline GILQUIN, AFD Martin LEMENAGER, AFD Frédéric NAULET, GRET La table ronde est animée par : Jan G. JANSSENS, JJC Advisory Services Jan G. JANSSENS J’ai pris ma retraite de la Banque mondiale il y a cinq ans. Mon intérêt pour les thématiques de l’eau me pousse à poursuivre une activité au sein du master avec JeanAntoine FABY, où je donne des cours sur la question du partenariat public privé. Au début de ma carrière, j’exerçais dans une société d’eau. J’ai donc vu les deux faces, comme exploitant ou bailleur de fonds. Le point névralgique a déjà été évoqué : tout changement ou toute réforme sont conditionnés par le societal development. Le travail avec la société civile (stakeholder accountability) suscitait chez moi une grande nervosité lorsque je travaillais à la Banque mondiale. Celle-ci doit d’abord exister, avant que l’on puisse envisager de lancer des programmes avec elle. Les consommateurs ou les usagers doivent ainsi être organisés faute de quoi un travail commun s’annonce compliqué, voire risqué. De même, la Banque mondiale court un risque lorsqu’elle travaille avec les ONG. Celles-ci ne suivent pas toujours la stratégie du pays, voire s’y opposent. Aussi un acteur institutionnel doit éviter de tomber dans le piège. Les bailleurs de fonds ne doivent pas toujours donner de l’argent gratuitement : les dons ne sont pas durables. Cet « argent facile » (easy money) n’est pas souhaitable. Un don est contre-incitatif et ne favorise pas la recherche de la performance. Je suis donc assez réticent à un développement du secteur et à l’utilisation des pauvres comme une excuse pour avoir des dons. Je viens d’un pays où les pauvres paient 4 euros le mètre cube d’eau. Dans le même temps, le régulateur discute le tarif social, qui est inférieur à 0,5 euro. Lors d’une visite de terrain que j’effectuais, nous cherchions à obtenir des branchements sociaux et discutions avec le responsable de la communauté. Celui-ci, bien qu’il ne possède pas d’argent pour acheter de l’eau, détenait suffisamment de fonds pour disposer d’un portable dernier cri permettant d’organiser les réunions avec les bailleurs. En résumé, je dirai que le développement durable suppose d’abord comme principe de créer les incitations nécessaires pour être plus performant. Nous en avons entendu trois excellents exemples qui révèlent qu’une solution hybride permet souvent d’atteindre la performance : un don est toujours combiné avec une stratégie commerciale. Telle est la voie à suivre, sans que l’on dise qu’un investissement marchand ne requiert pas un don. J’espère que ces propos contribueront à vous faire réagir. Céline GILQUIN L’Agence française de développement est l’opérateur pivot de l’aide au développement français. Il s'agit d’une institution financière. Environ 10 % des engagements annuels de l’AFD sont consacrés au secteur de l’eau et de l’assainissement soit 600 à 700 millions Paris, le 25 avril 2013 39 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études d’euros. Une faible partie de cette somme (quelque 10 %) est octroyée sous la forme de dons. Une majorité de l’aide est octroyée en prêts, prêts aux Etats ou prêts directs aux sociétés, fortement conditionnels, très inférieurs au taux du marché car ils poursuivent un objectif de service public et d’augmentation du taux d’accès des populations à l’eau. Il ressort des discussions précédentes qu’il existe des conditions de réussite pour améliorer la performance des opérateurs. L’AFD, comme l’ensemble des bailleurs, vise à mettre en place ces conditions. Tous les pays font face aujourd’hui à des contraintes budgétaires fortes. Ainsi, l’aide publique au développement ne permettra pas de résoudre l’ensemble des besoins pour l’atteinte des objectifs du millénaire. Les bailleurs, notamment l’AFD, cherchent donc à créer un effet de levier et à accompagner les autorités locales pour créer les conditions d’une amélioration des performances. Dans cette optique, le bailleur peut aider les autorités nationales à définir un cadre législatif et réglementaire qui permet la définition des rôles, des responsabilités, mais aussi des flux financiers prévisibles, de manière fiable, entre les différents acteurs (Etats, collectivités locales, opérateur, usagers et régulateur indépendant, s’il existe). Comme nous l’avons vu, à travers l’exemple du Sénégal, la fonction de régulateur peut parfois être exercée par l’Etat lui-même dans certains cas. Le bailleur accompagne les autorités dans ce qui a été cité par le directeur général de l’ONEA comme une condition de succès, à savoir la définition d’une stratégie de développement réaliste. Il s’agit de s’assurer au niveau local que des objectifs à long terme sont fixés et que ces derniers peuvent être atteints avec les ressources financières dont le pays dispose. Concrètement, pour aider à cette définition, l’AFD contribue au financement d’études et à la mise à disposition d’experts et d’assistants techniques. Les conditions suspensives à l’octroi des financements constituent une des autres modalités pour tenter d’améliorer ce cadre. Par celles-ci, les bailleurs peuvent imposer la mise en place de contrats qui définissent des objectifs, avant d’allouer des financements. Au Niger ou au Sénégal, l’AFD finance ainsi des expertises pour la renégociation de partenariats public/privé ou des études stratégiques pour doter les acteurs locaux d’outils à long terme. Dans le secteur de l’assainissement industriel au Sénégal, un certain nombre de conditions suspensives à l’octroi des fonds ont été fixées, qui ont permis à l’Etat d'en formaliser le cadre contractuel. Le management et les ressources humaines constituent également une condition clé pour faire en sorte d’atteindre réussite et performance. Les bailleurs peuvent ainsi financer des formations individuelles ou des actions de renforcement des capacités collectives, comme par exemple le master OpT présenté tout à l’heure. De plus, ils peuvent soutenir des partenariats entre opérateurs, qui permettent des comparaisons et des actions mutuelles de renforcement des capacités. Martin LEMENAGER Je présenterai pour ma part un témoignage de terrain, d’une société d’eau ne présentant pas une réussite exemplaire mais qui peut illustrer certaines des difficultés rencontrées par plupart des opérateurs « normaux ». Le projet, situé à Vientiane, la capitale du Laos, est financé par l’AFD. Il implique aussi des acteurs non étatiques comme l’ONG GRET. La modernisation du service porte sur un horizon de long terme. Ainsi, l’AFD a soutenu depuis plus de dix ans la Société des eaux de Vientiane dans des programmes qui s’achèvent cette année. Au-delà de financements en infrastructures, l’AFD a également apporté son appui à un centre de formation aux métiers de l’eau dans la capitale du Laos, pour aider au renforcement des capacités. La Société des eaux de Vientiane compte environ 500 employés, pour un chiffre d'affaires de 5 à 6 millions d’euros annuels en moyenne. Elle apporte son service à 70 000 clients, délivre 180 000 mètre cube par jour et compte 1000 kilomètres de canalisations. Sur les dix dernières années, les performances du service apparaissent mitigées. Du côté positif, on constate que le nombre d’usagers a doublé, le réseau s’est Paris, le 25 avril 2013 40 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études fortement étendu et les capacités de production ont été multipliées par 2. Cependant, les pertes financières sont constantes et les tarifs évoluent à la hausse, avec une tentative d’améliorer le recouvrement des coûts. Aujourd'hui, la dynamique s’avère négative, avec un prix de l’eau inférieur à son coût. La hausse tarifaire, assez forte en 2009, n’a pas été soutenue. Le nombre d’agents par millier de branchements s’élève à 7, contre 2 dans les présentations précédentes, exposant les cas de Phnom Penh ou Dakar. Avec plus de 30 % de pertes, le rendement est assez mauvais. En 2009, l’AFD a souhaité appuyer la Société des eaux dans l’amélioration de ses performances, avec l’introduction d’une assistance à maîtrise d’ouvrage, réalisée par l’ONG GRET. Ce positionnement se trouvait être un peu inhabituel pour une ONG, mais permettait de relever certains défis, pour donner de la cohérence à la stratégie de l’entreprise, sur des aspects à la fois techniques et de gestion administrative et financière. Il s’agissait d’améliorer le taux de recouvrement, de se doter d’un système de facturation plus performant, d’améliorer la relation avec sa clientèle, de renforcer la gestion de son patrimoine, d’accroître la maîtrise du fonctionnement hydraulique, d’étendre son service en périphérie de Vientiane. L’ONG intervient comme un tiers, en tant que facilitateur du dialogue, acteur proche du terrain et mobilisateur d’autres parties prenantes. Le GRET disposait d’une expérience avec le régulateur de l’eau du Laos mais celui-ci ne communiquait suffisamment pas avec la Société des eaux de Vientiane. Par ailleurs, le GRET a pu faciliter les liens entre le bailleur et l’opérateur ainsi que ceux entre la Société des eaux et ses usagers. Il a par exemple réalisé une étude afin de mieux comprendre les attentes et demandes des usagers laotiens. Le GRET visait à accompagner l’entreprise sur le long terme, de manière proche des acteurs, par opposition aux nombreux appuis ponctuels des bureaux d’études. Il s’agit de travailler au jour le jour avec les managers à une meilleure appropriation et au renforcement des capacités. Le GRET souhaitait améliorer la vision de l’entreprise et sa gouvernance interne pour une meilleure cohérence. Les indicateurs sont moins importants, en soi que les processus d’appropriation et du sens qui leur est donné. Enfin, concernant la dimension multi-acteurs, la Société des eaux a également fait l’objet d’un partenariat de coopération décentralisée avec le Syndicat des eaux d’Île-deFrance et échangé avec la Société des eaux de Phnom Penh (PPWSA). Différentes difficultés ont été rencontrées. Premièrement, les héritages pèsent et il a été difficile de modifier le mode de gestion de l’entreprise. Je travaillais avec un Laotien, diplômé d’un MBA, ancien responsable d’une multinationale en Thaïlande, qui peinait à insuffler une culture du management à des effectifs où les ingénieurs étaient nombreux. En outre, nous avons souhaité dialoguer avec la ville de Vientiane pour une meilleure maîtrise du développement urbain. Deuxièmement, le projet a montré l’importance du leadership. La chaîne de commandement et le management par objectifs des salariés faisaient défaut et n’ont pas pu être mis en place. Les grilles de salaire ne sont pas suffisamment incitatives. Troisièmement, concernant la dimension politique et sociale, la Société des eaux de la capitale se trouve sous très haute surveillance politique. Les dirigeants ne manifestent pas la volonté d’augmenter les moyens de cette société. Or une forte volonté politique, chez les tutelles comme en interne, est nécessaire pour faire évoluer la situation. En conclusion, la préparation d’évolutions sur le long terme pourrait donner ses fruits si une fenêtre d’opportunité se présente. Ce terreau fertile pourra permettre le changement et l’amélioration des performances. Un nouveau directeur général dirige la Société depuis un an. La transition est relativement lente mais progressive. Plutôt qu’un changement radical, nous sommes parvenus à une certaine cohérence. S’agissant des usagers, ils ne parviennent pas vraiment à déclencher des transformations par leurs revendications sociales et semblent se résigner. Mais ils peuvent Paris, le 25 avril 2013 41 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études constituer une clé en aval : pour être durable et performant, le service d’eau a besoin d’usagers satisfaits. Ainsi, l’usager doit être replacé au cœur des performances, loin des présentations techniques qui mettent l’accent sur les indicateurs. Distribuer de l’eau à tous, à un prix abordable, me semble constituer un objectif concret. Frédéric NAULET Le GRET, créé il y a 37 ans, intervient sur différents champs de la coopération au développement, y compris l’accès aux services essentiels tels que l’eau potable, l’assainissement, la gestion des déchets. Cette organisation vise à soutenir les processus de développement durable et s’efforce de lutter à la fois contre les différentes formes de pauvretés et d’inégalités structurelles. Pour ce faire, ellemobilise une palette d’outils : des projets, des programmes et des actions de terrain, mais également de la fourniture d’assistance technique et d’expertise (nous intervenons ainsi comme bureau d’études associatif).Quel que soit l’instrument mobilisé, la finalité reste la contribution aux politiques publiques. En effet, les projets ne constituent pas une fin en soi, mais un instrument au service de politiques sectorielles plus efficace et inclusive. S’il importe aux bénéficiaires que les projets mis en œuvre soient réussis, l’intention doit porter sur les politiques publiques sectorielles pour parvenir à un changement. Le GRET intervient dans cette perspective. Nous nous donnons donc mandat d’intervenir à ce niveau pour produire des références méthodologiques, stratégiques et pour nous associer à des laboratoires de recherche et à la communauté scientifique pour mener une réflexion de fond, parallèlement à nos actions. C’est pourquoi nous nous présentons souvent comme un do and think tank, une organisation qui fait et qui réfléchit. Dans le champ de la coopération internationale, des phénomènes de plaquage de modèles ou de politiques du Nord s’opèrent. Le GRET fait l’hypothèse qu’en s’appuyant sur des expérimentations de terrains et sur des dynamiques locales, il est possible de faire un travail adapté de renforcement des politiques publiques. Nous appréhendons les services d’eau potable comme des « systèmes sociotechniques » : les équipements, les ouvrages, les infrastructures déterminent beaucoup de choses et engendrent des effets de dépendances (chemins de dépendance). Les problèmes qui surviennent sont certes organisationnels, mais la matérialité des services d’eau et d’assainissement ne doit pas être négligée. Ils obligent à évoquer l’ensemble des acteurs, des relations de pouvoir aux pratiques des usagers, en passant par les bailleurs de fonds. Comment accompagner le changement ? Nous intervenons selon trois axes. Tout d’abord, nous aidons les acteurs à jouer leur rôle dans la délivrance des services et pour ce faire nous développons certains outils d’accompagnement. Ainsi, les administrations ou les collectivités locales sont soutenues dans leur rôle de maître d’ouvrage. Ensuite, nous nous efforçons de travailler au renforcement des opérateurs et fournisseurs de services, avec l’objectif d’encourager leur professionnalisation. Les opérateurs peuvent être publics comme privés. Si de nombreuses ONG militent contre la privatisation de la gestion et de la fourniture de services, le GRET estime qu’il s’agit d’un faux débat. Nous travaillons en appui à des opérateurs privés cambodgiens sur des partenariats public/privé, avec de petites et moyennes entreprises. La question est plutôt de s’assurer qu’aucune capture de la rente n’intervient et de faire émerger de vrais systèmes de régulation. Enfin, le GRET vise à renforcer les capacités des usagers à exprimer leurs attentes et défendre leurs droits. Il s’agit là d’un vrai facteur de performance, même si cet investissement n’est payant que sur le très long terme. Ce n’est que si les usagers sont suffisamment organisés qu’ils peuvent demander des comptes et se montrer conscients de leurs obligations. Nous travaillons donc plus facilement sur ces questions avec des acteurs éclairés, informés, organisés. Renforcer les acteurs n’est qu’un aspect du problème : il convient ensuite de travailler sur la gouvernance, en améliorant la gouvernance et la coordination des acteurs. Il faut négocier des modalités de coopération: qui est capable de, mais aussi légitime à, fournir Paris, le 25 avril 2013 42 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études des services, contrôler, planifier, financer ? Cette clarification du cadre institutionnel s’opère au cas par cas. En fonction du contexte, les acteurs seront positionnés à différents niveaux de responsabilité. Comme les règles de fonctionnement des services, cet aspect ne saurait se décréter, mais il se construit localement et dans l’action. De la patience est nécessaire, ainsi qu’une bonne compréhension des systèmes socio-politiques, pour faire émerger des règles bien ancrées dans les conventions locales. Parvenir à des arbitrages entre efficacité, recouvrement des coûts, équité, redistribution de la valeur ajoutée suppose de bien comprendre les coordinations s’effectuent dans les sociétés. Nous travaillons également avec des autorités de régulation sur le renforcement de leur système de suivi technique, financier, ainsi qu’avec les usagers afin de permettre à ceux-ci de contribuer à la définition de ces indicateurs et, en amont, pour élaborer les enjeux. Dans ces mécanismes de suivi et d’évaluation de la performance, fondés sur des dispositifs de gestion de l’information, de nombreuses erreurs sont commises. L’information est en effet diffusée, mais rarement mise en discussion. Ce processus compte pourtant davantage que la qualité de l’indicateur. Enfin, le dernier axe d’intervention du GRET réside dans l’innovation. Dans des contextes urbains, les réseaux conventionnels ne parviennent pas partout à l’usager final. Il convient donc de prendre en compte les réalités locales pour tenter d’innover, en travaillant sur la différenciation de l’offre de services ou en proposant des innovations sociales et institutionnelles. Pour illustrer ce propos, le GRET est intervenu au début des années 1990 dans les quartiers défavorisés de Port-au-Prince, dans un contexte extrêmement difficile. Nous avons pu, avec un travail de mise en confiance et d’ingénierie sociale au sein des quartiers, définir une formule de desserte des quartiers par des kiosques, gérés de manière associative. Il est donc possible de travailler dans des contextes très difficiles, dans des pays marqués par un environnement institutionnel incertain. Les résultats sont pourtant toujours mitigés. Les succès restent relatifs et il est important de s’inscrire dans la durée pour renforcer les fragilités ou approfondir les projets. En ce qui concerne les kiosques haïtiens, beaucoup restait à faire dans la consolidation des comités de l’eau. Le séisme a détruit de nombreuses infrastructures, même si l’organisation sociale restait bien vivante. Nous avons donc pu reprendre le travail avec ces acteurs. Myriam BINCAILLE Le Fonds SUEZ ENVIRONNEMENT INITIATIVES constitue un engagement solidaire de SUEZ ENVIRONNEMENT. Le fonds est doté de 4 millions d’euros par an, jusqu’en 2016 au moins. Sans être doté des montants d’envergure de l’AFD, le Fonds poursuit deux objectifs principaux : il s'agit d’une part de favoriser l’accès aux services essentiels, qui sont les métiers de SUEZ ENVIRONNEMENT (eau potable, assainissement et gestion des déchets) pour les populations défavorisées dans les pays en développement, et d’autre part, de favoriser l’insertion des populations défavorisées en France par la formation et l’emploi. Nous souhaitons donner la priorité à des projets dans des milieux urbains ou périurbains. Pourtant, l’essentiel des demandes qui nous parviennent relèvent des zones rurales. Les besoins sont colossaux. Nous opérons par des subventions techniques et financières à des organisations de solidarité internationale. Nous ne finançons un projet qu’à hauteur de 50 % de son budget. De plus, nous soutenons de préférence des programmes pluriannuels, dans un but de pérennisation. Nos moyens d’action sont de plusieurs ordres. Nous menons par exemple des partenariats techniques et financiers, avec de nombreux mécénats et bénévolats de compétences de la part de nos collaborateurs. En 2012, plus de 2 000 jours de bénévolats ont été donnés à des projets de développement, soit l’équivalent du temps de congé de 8 personnes. Nous accompagnons les opérations d’urgence, soutenons les projets d’insertion et veillons au renforcement des compétences des acteurs locaux ainsi qu’au renforcement des savoir-faire. Cette démarche passe par deux voies. Tout d’abord, nous Paris, le 25 avril 2013 43 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études veillons à ce que chaque programme contienne au moins une ligne consacrée à la formation, à la montée en capacité des partenaires ainsi que des parties prenantes locales. Enfin, nous menons le programme « Water for All », qui a été présenté ce matin par JeanAntoine Faby. Je salue ainsi l’ensemble des auditeurs présents, des coachs et du corps enseignants. Nous vivons ce projet extraordinaire comme une aventure humaine très intéressante. Par ailleurs, nous avons fixé comme axe de travail la stimulation de l’innovation. En effet, l’essentiel des solutions au développement est encore à inventer. Le Fonds SUEZ ENVIRONNEMENT INITIATIVES organise ainsi un prix, remis tous les deux ans, qui récompense deux projets, dotés de 50 000 euros chacun, l’un relatif à l’accès aux services essentiels et l’autre à l’entreprenariat social. Dans les projets qui remontent, nous constatons, notamment dans le secteur informel et les bidonvilles, que nous avons de plus en plus affaire à des entrepreneurs sociaux dans les domaines de l’eau et de la gestion des déchets. Chaque fois que nous recevons un projet, nous veillons à ce que certaines conditions soient réunies. Il faut par exemple que les solutions construites soient adaptées au contexte. Il ne s’agit pas de plaquer sur le Sud des modèles élaborés au Nord, ni même du Sud au Sud. Tous les contextes sont différents, de même que les acceptabilités sociales et culturelles. Nous devons en tenir compte. Nous étudions également l’engagement des populations concernées ainsi que l’implication des autorités locales, qui seront récipiendaire de l’ouvrage, donc garantes de sa durabilité. Nous soutenons également des actions de professionnalisation des services. Nous sommes par exemple très attentifs à ce que l’ONG du Nord qui sollicite les subventions trouve un relais local fort. L’objectif ne consiste pas à financer des expatriés du Nord au Sud, mais à renforcer les capacités. De bonnes relations partenariales doivent être entretenues, non seulement avec le partenaire direct – l’association -, mais l’ensemble des parties prenantes et des bailleurs de fonds. Nous sommes aussi très attentifs aux bailleurs avec lesquels nous nous allions, ainsi qu’à la mise en réseau des acteurs. Ce point nous semble capital. Ainsi, nous soutenons quatre à cinq projets au Burkina Faso, avec quatre ou cinq associations différentes, dans un territoire assez morcelé. Comment, dans ce contexte, partager les bonnes pratiques et capitaliser sur les différentes expériences ? A la question « l’usager est-il une clé de la réussite des transformations ?», je répondrais « oui, naturellement ». C’est pourquoi nous sommes attentifs dans les projets qui nous parviennent, à ce qu’une étude ou une enquête socioéconomique ait été réalisée, non seulement pour bien comprendre les besoins, mais pour que la demande soit bien exprimée. Dans de nombreux cas, beaucoup d’argent a été investi, par exemple après le tsunami, sans que de réelles demandes soient exprimées. Beaucoup d’infrastructures ont été construites, qui sont tombées en ruine un an après le départ des ONG. L’implication des populations passe aussi par un volet financier et le paiement d’un juste tarif pour le service. Ce critère aide à garantir la pérennité économique du service ou de la structure qui sera en charge de la gestion ou de la maintenance de celui-ci. En tant que bailleurs de fonds, agissons-nous pour susciter le changement ? Je répondrais par la négative : le changement doit venir localement, des populations. Sans demande, aucun changement ne sera voulu de l’intérieur. Le plan d’action doit être local. Nous ne jouons qu’un rôle d’accompagnement. Comment intégrer la performance des services ? Je rejoins les propos tenus sur le leadership et l’exemplarité ou le cercle vertueux de la gouvernance. Parmi les critères que nous avons identifiés pour accroître la performance figure l’identification des futurs dirigeants, leur formation et l’exemplarité des sociétés d’eau. La chaire « Environnement – Eau pour Tous » a un rôle considérable à jouer dans ce domaine. L’intégration dans une stratégie nationale, comme le retour d’expérience, sont également primordiaux, ainsi que le suivi et la mesure de l’impact du projet, pour motiver les bénéficiaires et mettre en place Paris, le 25 avril 2013 44 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études un plan d’action qui consolide ceux-ci dans leur rôle d’acteurs du développement. L’accent est enfin placé sur la durabilité économique du projet. Il nous faut préparer l’avenir, savoir où nous allons, avec la mise en place d’une conduite efficace du changement. Dans ce cadre, la gestion participative de la communauté me tient particulièrement à cœur, notamment dans les zones rurales où les conditions de vie peuvent apparaître comme un peu plus difficiles qu’ailleurs. Comment aider à créer des mécanismes générateurs de revenus ? Si de tels dispositifs existent, les populations seront de plus en plus enclines à payer. Nous entrons ainsi dans un cercle vertueux, où le paiement entraîne la maintenance et l’entretien, donc la durabilité. Une formation continue est également prévue après la fin d’un projet. Dans notre optique, le programme ne s’arrête pas au rapport final, après le paiement de la dernière partie de la subvention. Nous avons l’ambition de suivre les projets entre deux et trois ans après leur fin réelle, quitte à mener d’autres actions de formation auprès des adultes, afin de nous assurer que des modules de formation seront mis en place soit dans les écoles soit dans les communautés villageoises. Paris, le 25 avril 2013 45 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Débat De la salle Les quatre intervenants que se sont exprimés ont montré que la société civile existe bel et bien et qu’elle dispose de quelques moyens. Dans le Sud, le changement ne peut intervenir de l’extérieur : pour être durable, il doit être porté par des acteurs locaux, qu’ils soient étatiques, paraétatiques ou de la société civile locale. Comment faire en sorte que les ONG du Nord puissent accompagner, de manière subsidiaire, sans être moteurs, la construction d’acteurs locaux du changement et du développement, au Sud ? Jean-Pierre MAHE Concernant le leadership, le développement n’est pas évident, mais il est porté à tous les niveaux par des leaders, associatifs, politiques, techniques. Comment faire en sorte que ceux-ci s’expriment et œuvrent pour le changement ? Pourtant, nos programmes d’aide peuvent anesthésier ou dévoyer ces leaders : des prêts sont parfois versés, qui contribuent parfois à créer des comportements déviants, qui tuent les dynamiques existantes. Je suggère donc que les projets repèrent ces leaders et d’encourager leur soutien au changement. Un leader associatif peut voir sa base associative s’éroder si un bailleur distribue généreusement des fonds aux membres de sa communauté. Nous devons donc veiller à entretenir une relation saine envers ces leaders. Mamadou DIA Dans le cadre de la RSE, un bailleur de fonds a-t-il le droit de financer des ouvrages dans des emplacements où la qualité physico-chimique de l’eau ne répond pas aux recommandations de l’OMS ? Céline GILQUIN L’enjeu des décennies futures réside clairement dans l’accès à l’assainissement en milieu urbain. Dans ce domaine, l’implication de la société civile est essentielle dans la mise en œuvre des projets. Personne ne souhaite abriter une station d’épuration dans son jardin. Certains projets subventionnés se sont ainsi soldés par un échec. Les autorités locales définissent une politique sectorielle, qui est financée par le bailleur, mais la mise en place des programmes suppose toujours que la société civile soit associée, impliquée, sensibilisée aux investissements réalisés. Si tel n’est pas le cas, le projet d’assainissement collectif ne pourra pas réussir. Des processus de décentralisation sont menés dans de nombreux pays, mais ne vont souvent pas jusqu’au bout, l’Etat se réservant encore une part prédominante dans les moyens, notamment financiers. Aujourd'hui, les bailleurs se trouvent dans une situation où ils ont du mal à décentraliser les prêts, d’une part en raison de la difficulté à parcelliser les financements, et d’autre part parce que certaines collectivités ne disposent pas des moyens matériels pour gérer ces flux. Myriam BINCAILLE Nous sommes entièrement partie prenante de la réussite des projets. Lorsqu’une demande a passé nos cribles, nous l’envoyons à trois ou quatre évaluateurs internes, des collègues spécialistes du domaine concerné. Ceux-ci posent des questions afin d’optimiser les résultats et jugent le projet presque comme s’il avait été monté par l’Entreprise. Nous organisons alors une réunion avec les porteurs du projet pour discuter des modifications possibles et faire intervenir une réelle fertilisation croisée avec les spécialistes du domaine. Les instances de gouvernance, conseil d’administration ou de direction, restent souveraines dans leur choix. Une fois accepté, le projet dispose d’un référent, qui donne jusqu’à six jours par an en mécénat de compétences. Celui-ci reste l’interlocuteur privilégié Paris, le 25 avril 2013 46 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études de l’association sur le projet. Il l’évaluera sur place. Cette participation reste modeste, mais consiste en notre manière de nous sentir responsables. Même si de nombreuses demandes sont formulées pour des zones rurales, nous donnons également la priorité à l’urbain et au périurbain, notamment dans les déchets. Dans les bidonvilles de Dakar, de Manille, de Bombay ou du Bangladesh, nous travaillons avec associations en passant par des partenariats sociaux. Les résultats sont assez extraordinaires. Je partage enfin le point de vue de M. Mahé concernant le leadership local. C’est pourquoi nous voulons nous assurer de la participation des autorités locales. La difficulté reste de bien choisir notre partenaire, qui sera en relation avec les communautés locales. Lors des réunions annuelles que nous organisons avec les bailleurs de fonds, les responsables de communauté sont souvent présents à Paris. Ainsi, le maire d’une ville au nord du Niger a fait figure de réel maître d’ouvrage du projet. Frédéric NAULET Personne ne conteste le fait que les principaux enjeux du futur porteront sur les milieux urbains. Le secteur de l’eau est pris dans des questions qui le dépassent, celles de la maîtrise du développement de la ville, une thématique qui comprend des aspects moins sectoriels et plus territoriaux. Je constate dans ce domaine que nous sommes tributaires de la capacité des pouvoirs publics de mettre en place une régulation foncière, qui évite l’extension de la ville. Nous devons être capables de mettre en œuvre une véritable maîtrise d’ouvrage territoriale. Or la régulation des marchés fonciers et de l’habitat est problématique et renvoie de nouveau aux politiques publiques. S’agissant de la société civile, son existence est difficile à appréhender. Les bailleurs de fonds évoluent d’une formulation à une autre « société civile », « acteurs non étatiques », sans que le contenu de ces catégories soit très clair. Sur le terrain, je constate des organisations locales, qui ne sont ni publiques ni parapubliques. Il faut certes les accompagner, les renforcer. Notre rôle d’ONG internationale vise l’accompagnement et le renforcement des organisations de la société civile, en veillant à ce que leur base sociale soit la plus large possible, qu’elles disposent d’outils et puissent entrer dans un dialogue avec les pouvoirs publics. Un diagnostic peut permettre de mieux connaître ces acteurs, leur légitimité, leur base sociale. Identifier les leaders, les notables, les autorités, à tous les niveaux, constitue une véritable clé méthodologique. Cependant, comment traduire un système reposant sur des leaders, en une institution ? Les leaders viennent et disparaissent. Un travail sur la pérennité suppose de transformer ce mode de gouvernance en un système institutionnel, doté d’une mémoire et d’une capacité de survie lors du départ des leaders. Le débat sur l’éventuelle anesthésie de l’aide est sans fin. Je pense en effet nécessaire de rappeler que l’aide n’est qu’une mécanique, dotée de contraintes. Les bailleurs doivent décaisser leurs fonds selon une certaine durée et parfois privilégier l’aspect quantitatif plutôt que qualitative, en fonction des pressions exercées. Les ONG présentent également des contraintes. Ainsi, les acteurs ne disposent pas d’une entière liberté de manœuvre mais sont pris dans un système. C’est pourquoi le GRET et d’autres ONG plaident pour que les procédures et les règles définies par les bailleurs de fonds soient mieux configurées et permettent une flexibilité accrue, au service de la durabilité et de la qualité. Martin LEMENAGER Dans les quartiers périphériques de Kinshasa, l’AFD soutient un projet original. En 2007, elle a fait le pari de ne pas soutenir l’opérateur public national défaillant, la REGIDESO, mais de renforcer une ONG locale fondée par un leader fort, ancien responsable du service national d’hydraulique rurale. Cette ONG accompagne la mise en place de réseaux gérés par des associations d’usagers. Ces associations d’usagers respectent le droit congolais ; elles paient les taxes, en particulier celles concernant Paris, le 25 avril 2013 47 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études l’emploi de leurs salariés. Un jeune de cette ONG a récemment suivi le Master OpT d’AgroParisTech et nous espérons qu’il prendra la relève. Jan G. JANSSENS Les orateurs du panel semblent s’accorder sur le diagnostic et les grands principes (participation des usagers, etc.). J’ai assisté il y a six mois à une réunion à Manille, organisée par la Banque asiatique du développement. La même unanimité régnait. Pourtant, la discussion commence lorsqu’on recherche les solutions. Où se trouvent les priorités de recherche appliquées ? Le Sénégal, le Cambodge et le Burkina Faso ont présenté des exemples de réussite. Vientiane était dans une situation intermédiaire, et Haïti, désastreuse. Comment créer des leaders ? Comment percer les secrets de ceux qui réussissent ? Comment renforcer les capacités des acteurs du secteur privé local ? Dans les pays en développement, les villes intermédiaires présentent des enjeux très importants. Des acteurs de taille moindre doivent s’engager mais il faut également transformer les instruments de financement auxquels ces derniers peuvent avoir accès. La « gestion intégrée urbanisée » de l’eau se développe et peut constituer une voie à explorer. Il faut enfin souligner l’absence de solutions pour répondre au défi de l’assainissement des villes intermédiaires. Myriam BINCAILLE L’assainissement, y compris dans le rural, peut constituer une priorité de recherche. Les différents types de latrines existants ne sont pas satisfaisants. Quel est l’assainissement du futur pour les bidonvilles ? Par ailleurs, l’innovation institutionnelle et financière mérite d’être étudiée, quitte à la modéliser dans ces pays. Céline GILQUIN Les discussions font émerger de nombreux sujets de recherche relatifs notamment à l’amélioration des performances. Pourquoi certains cas sont-ils suivis d’échecs ? Une autre journée d’étude sur l’assainissement et la performance serait intéressante. Peut-on y trouver des exemples de réussite similaires, hormis à Alger ? Frédéric NAULET Concernant les enjeux urbains, il conviendrait de creuser la relation entre les marchés de l’eau et les marchés fonciers, qui peut présenter des implications concrètes, notamment fiscales. Dans ce cadre faiblement régulé et fragmenté où il existe une diversité d’offre de services, des outils de planification peuvent être fournis aux pouvoirs publics. De la salle Je voudrais proposer deux sujets : comment réorienter l’aide pour qu’elle favorise l’entreprenariat local ? Comment formuler des modèles de taxation et de redistribution internes pour favoriser le secteur de l’eau ? Des pays comme l’Equateur ont créé un modèle original, en prenant de l’argent au secteur de la téléphonie pour financer l’eau. Cela a fonctionné. Jan G. JANSSENS La Banque mondiale a récemment effectué une étude montrant que la majorité des budgets officiels des pays africains pour l’eau ne sont pas utilisés. Je remercie l’ensemble du panel pour sa contribution. Paris, le 25 avril 2013 48 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études Conclusion De la salle Le dernier débat nous a permis d’avancer. L’idée est de mener un exercice similaire : quels points de ces discussions peuvent être retenus pour d’autres séminaires ? Richard FRANCEYS Comment conclure une réunion aussi fascinante sans se répéter ? En ce qui concerne la recherche, nous avons évoqué l’assainissement. La Fondation Bill et Melinda Gates propose ainsi 20 à 30 millions de dollars par an pour réinventer les toilettes. Je participe à l’un de ces projets, qui s’intéresse à passer au micro-ondes des excréments, dont le coût ne serait que de 50 centimes de dollar par jour. Mes projets universitaires ne semblent pas encourageants pour le moment, mais nous sommes ravis d’avoir obtenu des financements. De nombreuses universités tentent de réinventer les toilettes mais un dixième de ce qu’elles proposeront sera intégré par la Fondation. Cela fait peut-être trop longtemps que nous tournons en rond. Y a-t-il quelque chose de nouveau ? Oui, il y a toujours du nouveau et la Fondation Bill et Melinda Gates le prouvera peut-être. Nous avons entendu des histoires très motivantes, émanant de personnalités qui conduisent de réels changements. Ce matin, j’ai suggéré que les pressions sociétales n’étaient pas suffisantes pour contraindre la sphère politique à opérer des changements. Je suis heureux de voir que les études de cas m’ont donné tort car dans certains pays, une bonne combinaison permet aux leaders de faire la différence. Des projets fascinants sont mis en œuvre, pourtant, il existe 4 000 zones urbaines en Inde et aucune n’a accès à l’eau 24 heures sur 24. S’il n’existe pas de demande, des transferts d’argent pourraient peut-être soutenir celle-ci ? Cependant, ceux-ci sont parfois dévoyés et se retrouvent dans d’autres circuits. Un leadership est nécessaire, qui change les situations, sans entrer dans une forme de néocolonialisme. Ces leaders modèles ont tenu aujourd'hui des propos édifiants : « La gouvernance est cruciale. C’est une question de volonté politique (…) Le dialogue social est capital. Il faut inclure les employés, les clients et les parties prenantes, mettre les clients au cœur de nos objectifs de performance (…). Les ressources humaines sont au centre de ce que nous faisons. Les indicateurs doivent jouer un rôle sur les salaires. Nos vrais atouts ne sont pas les machines ni les systèmes, mais la qualité des ressources humaines. Nous devons garder ces éléments à l’esprit. (…) Le leadership, le top management, le soutien des partenaires de développement sont très utiles. (…) La qualité de la gestion est très importante. Nous avons besoin d’un environnement qui permette la bonne gouvernance. Nous devons aborder des approches participatives. L’engagement des employés est également très important. ». Nous avons entendu ces considérations depuis de nombreuses années, mais elles figurent toujours au cœur de nos préoccupations : comment atteindre cette qualité de gestion souhaitée ? Comment développer le dialogue avec les populations locales ? Comment leur donner les moyens de faire face aux défis qu’elles rencontrent ? Mais ces leaders d’exception sont également des personnes très humbles, qui diront qu’elles n’ont rien d’exceptionnel. J’ai entendu qu’il fallait une tête pleine, un bon cœur et des mains habiles. « J’ai toujours eu en moi cette détermination à faire quelque chose de bien pour les autres » a dit Ek Sonn Chan. De plus, les leaders montrent l’exemple dans leurs actions, en se levant tôt, en travaillant dur. La transparence est absolument cruciale : nous avons besoin de points de référence et de croire en eux. Mais il faut aussi savoir mobiliser les hommes et femmes qui nous entourent. Nous devons prendre ces principes à cœur et essayer, autant que nous le pouvons, de conduire les personnes qui nous entourent vers le bien. Si nous ne pouvons pas changer le monde du jour au lendemain, nous devons nous montrer patients et faire la différence. Plus nous donnerons les moyens Paris, le 25 avril 2013 49 Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée d’études à la génération qui vient de se prendre en main, meilleure sera la qualité d’assainissement et d’accès à l’eau des personnes vivant dans les bidonvilles. Je pense que nous pouvons tous faire la différence. Paris, le 25 avril 2013 50