Approches innovantes de la performance des

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Approches innovantes de la performance des
Chaire ParisTech-SUEZ ENVIRONNEMENT “Eau pour Tous”
1er Séminaire Recherche
"Approches innovantes de
la performance des services
d’eaux "
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www.agroparistech.fr/-OpT-EaupourTous-.html
SOMMAIRE
Allocutions d’ouverture
3
Gilles TRYSTRAM
Directeur général, AgroParisTech
Damien GOETZ
Directeur de la recherche, Mines ParisTech
3
3
4
4
Approches innovantes de la gouvernance des services d’eaux
5
Richard FRANCEYS
Cranfield University
5
5
I)
Les besoins, la demande et l’approvisionnement
5
II)
Transformer l’approvisionnement dans les pays pauvres
7
III)
Conclusion
9
La performance des services d’eaux : un concept multi-dimensionnel
Table ronde 1
12
12
I)
La planification stratégique, un outil au service de la performance
12
II)
Un partenariat public-privé dans le Grand Alger
14
III)
Le contrat global
16
IV)
Les conditions de réussite des politiques de l’eau
17
V)
Les limites des indicateurs de performance
17
VI)
Débat
21
Présentation de la chaire Eau pour Tous
25
Jean-Antoine FABY
Directeur de la chaire Eau pour Tous, AgroParisTech
25
25
L’évaluation innovante de la performance des services d’eaux
27
Table ronde 2
27
I)
Le contrat de performance
27
II)
Les mesures d’évaluation de la performance
31
III)
Les indicateurs de performance
32
Débat
37
Table ronde 3
39
Parties prenantes non gouvernementales : quel soutien aux changements dans les
services d’eaux ?
39
Débat
46
Conclusion
49
Allocutions d’ouverture
Gilles TRYSTRAM
Directeur général, AgroParisTech
Mines ParisTech, SUEZ ENVIRONNEMENT et AgroParisTech collaborent depuis déjà
quelques années autour des questions de l’eau, du management et du maintien de la
qualité sanitaire de l’eau. Cette collaboration, qui fonctionne assez bien, a une vocation
d’enseignement, de recherche et de transfert d’expertise.
Pour AgroParisTech, l’eau est un sujet extrêmement important. Il s’agit sans doute du
sujet le plus traité dans l’établissement, directement ou indirectement. En effet, dès que
l’on parle d’agriculture, d’alimentation, d’environnement, de maintien de ressources, de lien
à la biodiversité, on aborde à un moment ou un autre la question de l’eau. D’où
l’importance de cet ensemble animé par Michel Nakhla et quelques-autres dans
l’établissement, dont la chaire Eau pour Tous et la formation qui y est associée constitue
un élément essentiel.
Cette journée est l’occasion de faire un point sur l’état de l’art et d’identifier les
questions importantes en matière de management des systèmes liés à l’eau. Cet exercice
est extrêmement important pour un établissement comme AgroParisTech car il oriente
notre enseignement et les questions que nous devons traiter au niveau de la recherche.
J’espère que de toutes ces discussions et des présentations qui seront faites, sortiront des
idées, des éléments d’orientation et peut-être de nouveaux montages qui permettront de
développer tant l’enseignement, la recherche que l’expertise dans le domaine.
Agro ParisTech accompagnera, avec ses moyens, toutes les idées qui verront le jour
au cours de cette journée. J’espère que cette dernière aura des suites. Notre ambition est
d’initier des cycles de rencontres à intervalles de temps réguliers.
Pour finir, je remercie l’ensemble des organisateurs et Jacques Bertrand pour
le soutien qu’il apporte et son dynamisme. Je vous souhaite un très bon travail.
Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Damien GOETZ
Directeur de la recherche, Mines ParisTech
Mes collègues du CGS (Centre de gestion scientifique) ont sans doute eu l’occasion de
vous parler de notre institution. Je vais néanmoins profiter de l’occasion pour présenter
Mines ParisTech.
Mines ParisTech est une vieille institution puisque sa création date de 1783. L’école
est toujours basée dans ces locaux au centre de Paris, mais elle a bien sûr évolué depuis
cette date. L’Ecole des Mines ne forme plus d’ingénieurs des mines au sens strict, mais
des ingénieurs dits généralistes. Ces formations sont donc pluridisciplinaires et s’appuient
sur une sélection extrêmement forte à l’entrée. Chaque année, l’école forme uniquement
150 personnes au grade de master. Le ratio professeurs/chercheurs sur élèves est élevé.
Cette position est parfois difficile à défendre, mais elle offre l’avantage d’une formation
individualisée et très suivie, ce qui est à mon sens un des points forts de l’école. Enfin,
l’enseignement et la recherche ont une relation très étroite. Tous les enseignants sont
impliqués dans les activités développées par les centres de recherche de l’école. Ces
derniers ont de plus noué des liens étroits avec l’industrie.
L’Ecole des Mines compte 18 centres de recherches répartis en cinq départements :
sciences de la terre et de l’environnement ; énergétique et génie des procédés ; sciences
des matériaux ; mathématiques et systèmes ; économie, management, société. Ils
développent une recherche académique de très bon niveau. Ces travaux de recherche
sont menés en lien étroit avec le milieu industriel. Avec un peu moins de 300 enseignantschercheurs permanents pour l’ensemble de l’établissement, notre activité de recherche
contractuelle est supérieure à 30 millions d’euros par an et conduit à une vingtaine de
nouveaux brevets déposés chaque année.
Je remercie SUEZ ENVIRONNEMENT qui soutient cette chaire depuis 2009. Sans ce
soutien, les travaux d’enseignement et de recherche de la chaire n’existeraient pas, et
cette manifestation probablement non plus. Je remercie également AgroParisTech et Gilles
Trystram pour la collaboration entre nos deux établissements dans le cadre de cette chaire
depuis 2009.
A l’Ecole des Mines, la thématique de l’eau est présente principalement dans deux
départements. Le premier est le département Géosciences qui travaille sur l’estimation des
ressources en eau souterraine, à la fois en termes de quantité et de quantité, sur la relation
eaux de surface-eaux souterraine, sur l’impact des activités humaines sur les ressources
en eau, et enfin sur l’impact du changement climatique. Le deuxième département est le
département Economie, Management, Société, à travers les aspects management des
services impliquant des partenaires publics et privés, traités par le CGS. On retrouve là
cette thématique de la distribution de l’eau et de l’assainissement.
Quand Michel Nakhla, du CGS, est venu me présenter le programme de la journée
qu’il a organisée avec Agro-ParisTech et SUEZ ENVIRONNEMENT, et me parler du travail
dans le cadre de la chaire depuis 2009, je dois dire que j’ai été impressionné par le volume
d’activité. Je suis également impressionné par le grand nombre de participants à cette
première manifestation, ainsi que par la dimension très internationale de cette
manifestation.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Approches innovantes de la gouvernance
des services d’eaux
Richard FRANCEYS
Cranfield University
I) Les besoins, la demande et l’approvisionnement
Que faisons-nous pour garantir l’accès des plus pauvres à l’eau ? En tant qu’habitants
de pays industrialisés, il nous faut comprendre les besoins de ces personnes les plus
pauvres. Or la demande sociétale est parfois bien plus forte que ce à quoi nous pourrions
nous attendre. Dans le monde, plus d’un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles
et des zones informelles, et ne disposent que d’un approvisionnement en eau par
intermittence. Or la solution que nous proposons est motivée par l’approvisionnement et
non par la demande, parce que le niveau de la demande est extrêmement élevé. Pour de
nombreuses personnes, la question de l’approvisionnement en eau est un luxe qui peut
attendre.
Que pouvons-nous faire pour assurer la transformation de l’approvisionnement ? Alors
qu’autrefois on parlait de services publics obligatoires, nous évoquons à présent la notion
de droits humains. L’accès à l’eau est un droit humain, notamment au regard des Objectifs
du Millénaire pour le Développement. Le défi auquel nous devons répondre est celui de
l’approvisionnement en eau des bidonvilles. Nous devons assurer un service différencié
aux pauvres urbains, qui vivent dans ces zones à faibles revenus. Or de nombreux
services publics n’ont pas appris à assurer l’accès à l’eau pour ces personnes.
Nous avons besoin de régulation économique pour améliorer le niveau de service.
A titre d’exemple, sur cette carte de Nairobi, vous pouvez constater qu’une zone est
absolument vide. Si vous regardez sur Google Earth, vous vous apercevrez que 300 000
à 500 000 personnes habitent dans cette zone, à Kibura, l’un des plus grands bidonvilles
du Kenya. Elle n’est pas représentée sur les cartes, mais c’est une zone clé. Les
personnes qui habitent ici sont extrêmement pauvres. Pour l’instant, le service public ne
peut pas répondre aux besoins de ces pauvres en zone urbaine. Le Premier Ministre était
en charge de cette circonscription, mais il n’a rien fait pour régler ce problème.
Un autre exemple, à Manille, les riches vivent dans un quartier et la population plus
pauvre dans le reste de la ville. Les riches paient 15 pesos pour chaque mètre cube d’eau ;
les plus pauvres payent 40 pesos pour quatre gallons, c'est-à-dire 175 fois plus. C’est un
problème que nous pouvons résoudre, mais le défi est le suivant : si l’on analyse la
répartition des besoins par type de pays, on s’aperçoit que dans les pays à plus faibles
revenus environ 90 % de la population habite dans des bidonvilles.
Je travaille également au Yémen, à Ta’izz, qui est la ville présentant le plus grand
stress hydrique au monde. Cette ville reçoit de l’eau par un réseau de tuyauteries une fois
toutes les huit semaines. Une des solutions consiste à souder certaines des tuyauteries
pour s’assurer que l’eau puisse être acheminée vers la ville. Mais les agriculteurs trouvent
d’autres solutions, même si l’eau n’arrive jamais.
On observe une corrélation très nette entre la richesse nationale et la qualité de
l’assainissement. Nous pourrions dire que les plus pauvres n’ont tout simplement pas les
moyens de s’offrir de l’eau, ou nous pourrions penser que les plus pauvres ont d’autres
priorités et d’autres besoins.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Des latrines de première puis de deuxième génération ont été construites dans une
ville d’Afrique de l’Ouest. Un autre partenaire a fourni des latrines de troisième génération.
Mes impôts au Royaume-Uni ont permis de financer une solution de quatrième génération.
Il y a un an, un ami qui habite dans la ville m’a dit que ces latrines de quatrième génération
avaient été abandonnées. Le défi auquel nous sommes confrontés est celui de l’offre et de
la demande. Quelles sont les réalités en termes de demande ?
L’exemple suivant, celui de Kibera, montre une solution formidable, une latrine biogaz.
L’ONG à l’origine de cette installation a construit une salle au-dessus du bloc toilettes afin
de soutenir le système d’assainissement. Or cette salle est maintenant utilisée pour la
retransmission de matchs de football européens. Les recettes obtenues grâce à la location
de la salle s’avèrent bien plus élevées que celui obtenu par le système d’assainissement.
Cet exemple montre la nécessité de mieux comprendre la réalité et les besoins des
populations. L’argent que les populations consentent à payer pour une parabole de
télévision est souvent bien plus élevé que ce qu’ils sont prêts à payer pour
l’assainissement.
On peut voir des latrines installées sur le bas-côté d’une route utilisées partiellement et
non entretenues alors qu’à proximité une antenne-relais de téléphonie est bel et bien
entretenue.
En 2005, on observe une inflexion de la pente de la courbe liant les besoins à la
richesse des pays. L’évolution de l’utilisation des téléphones mobiles en fonction de cette
richesse s’avère radicalement différente. Les recherches que nous avons menées au
Ghana montrent que les habitants dépensent trois fois plus en téléphonie mobile qu’en eau
et assainissement. C’est leur choix. Ces personnes sont pauvres, mais les ressources
aussi faibles qu’elles soient doivent aller là où les populations en bénéficient le plus.
En Afrique de l’Ouest les habitants vendent des sacs d’eau. Telle est la réalité de la
demande. Les infrastructures et les services ne répondent pas à cette demande de la
population. Dans cette région de l’Afrique, les conditions sont extrêmes, avec de fortes
concentrations démographiques (15 millions d’habitants) et une croissance annuelle de
6 %. Or seulement 30 % des villes sont couvertes par un réseau d’adduction d’eau.
L’efficacité en termes de facturation n’y est que de 4 %.
Les populations se révoltent et ne supportent plus de vivre dans une telle société.
Nous devons transformer ces infrastructures et ces services. Mais existe-t-il réellement
une demande pour cela ? Cette courbe montre l’évolution des systèmes d’eau et
d’assainissement en Angleterre. A l’origine, le système d’adduction d’eau était trop cher
dans les bidonvilles. Les pauvres payaient l’eau 41 fois plus cher que les riches,
exactement comme à Manille. Un tiers de la ville de Londres ne recevait pas d’eau.
Progressivement, les latrines équipées d’un seau ont été transformées en cabinets de
toilettes, les quartiers informels ont reçu l’accès à l’eau. Nous pensons que les tarifs
reflètent les coûts, mais je peux vous assurer que nous sommes pour l’instant loin du
compte.
On constate par ailleurs que les populations demandent des services plus performants
au fur et à mesure que leur richesse s’accroît. La demande qui reçoit une réponse ne croît
que de 1,6 % par an. Ce n’est pas simplement la croissance économique qui doit être
développée. Nous avons besoin d’une co-évolution entre le développement économique,
le développement social et l’innovation technologique. Nous disposons de toutes les
innovations pour répondre aux besoins, mais la croissance économique et le
développement des institutions sont les facteurs qui permettront de répondre à la demande
effective.
Comme vous le savez, je viens d’un pays qui a tout privatisé. Ce graphique montre les
investissements en Capex au fil du temps. Vous pouvez observer que les investissements
ont été arrêtés à l’issue de la nationalisation. Le gouvernement s’était engagé à trouver
des solutions pour inciter l’investissement du secteur privé. Mais notre société est à
présent suffisamment riche pour investir d’elle-même. Le diagramme suivant présente les
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
dépenses rapportées au PIB du Royaume-Uni. Il montre que notre pays peut se permettre
ces investissements. Toutefois, nous sommes entrés dans une phase d’austérité, la
croissance décline et même les pays développés doivent limiter leurs dépenses. C’est là
qu’intervient la notion de régulateur économique.
L’objectif du régulateur n’est pas de protéger le consommateur, mais l’industrie des
eaux et de l’assainissement. Lorsque les entreprises économisent sur une période de cinq
ans, elles réclament encore plus d’argent au terme de cette période. La régulation peut
avoir un effet positif sur le marché. Les sociétés demandent plus, reçoivent moins, et
finalement tout s’équilibre. C’est tout à fait surprenant ce qui peut être réalisé par le secteur
privé et la régulation.
Cet après-midi, nous parlerons du rôle des ONG dans la société civile. Des comités ont
été mis en place, dans lesquels nous pouvons poser des questions aux sociétés
d’approvisionnement en eau. Nous nous intéressons à leur rentabilité dans les pays
développés. Il s’avère que la profitabilité a décliné. Au début, personne ne comprenait
l’inefficacité de ces sociétés. Elles ne le comprenaient pas elles-mêmes, jusqu’à ce
qu’elles soient contraintes de s’améliorer. Un régulateur les a ensuite aidées à remonter la
pente.
Nous nous sommes rendu compte que pour servir les plus pauvres en Angleterre,
nous avions besoin d’un mécanisme qui assure l’approvisionnement d’eau aux quintiles les
plus bas. A Londres, les zones informelles ont tendance à s’étendre. Il s’agit de personnes
qui créent des cabanes dans leurs jardins pour y loger des gens. Ainsi, certaines maisons
accueillent 50 personnes si on y inclut les cabanes dans les jardins.
II)
Transformer l’approvisionnement dans les pays pauvres
Comment transformer l’approvisionnement dans les pays pauvres ? S’agit-il
simplement d’une question de richesse ? Doit-elle relever du secteur privé ? Le secteur
privé a un rôle à jouer dans la fourniture d’eau au milliard d’habitants qui vivent dans les
bidonvilles. A Buenos Aires, SUEZ ENVIRONNEMENT a transformé l’approvisionnement
en eau. Il était difficile de trouver des investissements pour la création d’infrastructures. Un
habitant me disait : « Au départ, nous n’avions pas confiance en ces sociétés
d’approvisionnement en eau. Mais elles ont travaillé avec nous et elles ont réussi à
implanter des systèmes d’adduction d’eau dans les zones informelles. » Ces réalisations
n’ont pas été obtenues grâce à la demande, mais par l’implication du secteur privé.
A Manille, 40 % des ressources en eau étaient issues de six points différents et les prix
étaient élevés. Les habitants avaient peur de la « mafia de l’eau ». Le changement a eu
lieu, pas de manière sophistiquée mais via un tuyau galvanisé installé par une société du
secteur privé. Le coût de l’eau est passé de cinq à deux dollars par mois.
La demande paraît limitée par rapport à l’offre. Nous voulons améliorer la situation de
l’approvisionnement en eau dans les bidonvilles, disent les habitants, mais nous ne
voulons pas des solutions qui émanent du secteur privé. Lors de la Conférence de Kyoto
en mars 2003, le consensus était que le secteur privé n’était pas le bienvenu. De plus, une
certaine hostilité était exprimée à l’encontre du partenariat public-privé.
1,3 % des ressources en eau fonctionnelles se trouvent en Asie. Les coûts par foyer
s’établissent à moins de neuf dollars par an. Le besoin de changement dans le mode
d’approvisionnement en eau est indéniable. Ces questions ont été discutées l’an dernier
lors du Forum de l’Eau de Marseille. Les partenariats public-privé ont fait l’objet de débats
passionnés. Le débat a eu lieu et l’analyse qui en a découlé est que nous avons besoin de
changer l’offre. Le secteur privé peut apporter suffisamment de compétitivité au secteur
public, de façon à permettre au deux de s’améliorer.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Le secteur privé peut faire la différence. J’ai été par exemple très impressionné par ma
visite à Alger. Le secteur privé peut transformer radicalement et de manière extrêmement
rapide l’approvisionnement en eau, mais le coût en est assez élevé.
Il convient également de changer les moyens de financement. Les données issues de
Global Water Intelligence montrent que très peu de sociétés de services
d’approvisionnement en eau dans le monde parviennent à offrir des tarifs qui reflètent
les coûts réels. Très peu d’entreprises connaissent un succès commercial. La société ne
semble pas vouloir laisser les populations payer pour les services qu’ils reçoivent.
Le développement des services doit suivre le développement sociétal. Les
programmes que nous mettons en place doivent s’inscrire dans la durée. Leurs effets
doivent perdurer, même lorsque les sociétés privées sont parties.
Il existe une autre façon de transformer la fourniture d’eau. En l’occurrence,
des personnes exceptionnelles peuvent faire la différence. Malheureusement, les
personnes d’exception sont rares dans le monde. D’après mon expérience, à l’image du
coquelicot au-dessus des champs, si une personne est trop au-dessus des autres, elle
devient plus vulnérable. Au Ghana, un contrat de gestion visait à transformer l’offre. Or les
syndicats ont exercé une action de lobbying contre le renouvellement du contrat.
Comment transformer une ville sans ces investissements ? Dans les pays à moyens et
bas revenus, la solution réside dans ce que j’appelle la greffe de cœur. Si vous devez en
subir une, vous ne devez pas vous tourner vers le médecin généraliste local mais essayer
de trouver le meilleur spécialiste mondial. Ainsi, le recours aux meilleurs spécialistes du
domaine fait réellement la différence. Malheureusement, le monde semble rejeter cette
greffe. Sur le long terme le coût est plus élevé, mais si nous voulons améliorer la fourniture
d’eau, nous devons amener le secteur au-delà de sa courbe de tendance. Pour cela, nous
avons besoin de managers. L’Afrique de l’Est compte des managers très compétents, très
souvent formés en Europe. Toutefois, leur accès aux outils informatiques est très limité.
Dès lors, comment pourraient-ils réaliser une « greffe du cœur » avec si peu de moyens ?
Les ingénieurs juniors perçoivent un salaire de 4 400 dollars par an, avec la perspective
d’une rémunération en fin de carrière de l’ordre de 5 300 dollars par an. Que feriez-vous si
vous étiez un jeune diplômé ? Accepteriez-vous de rejoindre une société locale de service
des eaux où votre principale activité serait de lire le journal le matin, faute d’activité et
d’argent dans l’entreprise ? Ou bien accepteriez-vous de rejoindre une société
informatique, installée dans de beaux locaux, avec un salaire confortable et une qualité de
travail inégalée ? Le choix est facile à faire. La totalité de mes étudiants, dans une
université en Inde, choisissent de s’orienter vers les sociétés informatiques.
En Inde, une campagne a été mise en œuvre en faveur de la gestion du changement,
sous l’égide du ministère concerné. Des prix consacrés à l’eau en milieu urbain visent à
améliorer la qualité des systèmes d’approvisionnement en eau. Certaines personnes
essayent de changer les choses. Il est possible d’impulser un mouvement de
transformation grâce aux régulations et au règlement, mais aussi en jouant sur les
dépenses. Cependant, dans un environnement de gouvernance faible, il est difficile au
régulateur de jouer pleinement son rôle.
Pour développer la demande, il faut permettre aux plus pauvres d’accéder à l’eau.
A cet égard, j’aimerais remercier SUEZ ENVIRONNEMENT. Nous conduisons ensemble à
Kibura au Kenya, ainsi qu’au Cameroun, un projet de kiosque destiné à promouvoir l’accès
à l’eau. Par un système de tuyaux, les habitants peuvent être approvisionnés en eau
jusqu’à leur porte. Même s’ils ne bénéficient pas d’un système d’adduction d’eau, ils
peuvent avoir accès à la ressource en eau grâce à un tuyau flexible. Nous laissons au
client la liberté de choisir le moyen d’approvisionnement, que ce soit par seau, par bidon
ou autre.
Dans un projet de Veolia en Inde la société approvisionne les bidonvilles en eau. Elle
envisage d’installer un robinet dans chaque habitation. Il s’agit, encore une fois, d’une
initiative du secteur privé. Le projet repose sur un coût raisonnable. Il montre qu’il est
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
possible d’apporter un service d’eau et d’assainissement aux plus pauvres qui vivent dans
des zones urbaines.
III)
Conclusion
Pour une part importante de la population mondiale, une amélioration de
l’approvisionnement en eau est indispensable si l’on veut atteindre cette obligation de
service universel. L’Ethiopie, le Ghana, l’Inde ou le Pakistan sont autant de pays où les
besoins en termes de financements sont significatifs. A titre d’exemple, le fossé entre
l’offre et la demande est considérable dans un pays comme le Kenya. Qui va combler ce
fossé ? Ce sont des organismes comme la Banque Mondiale qui comblent partiellement
cet écart.
Les besoins sont clairs mais la demande est incertaine. La transformation de
l’approvisionnement est possible, qu’elle soit assurée par le secteur privé ou des
personnes exceptionnelles, mais il faut pour cela en payer le prix. Dès lors se pose la
question essentielle : jusqu’où devons-nous subventionner l’eau et l’assainissement ?
Si ce subventionnement est trop important, les projets échouent ; s’il est insuffisant,
les projets n’ont aucune chance de se développer.
De la salle
J’aimerais aller plus loin sur cette question de l’absence de demande. Cette dernière
n’est-elle pas due tout simplement à une absence d’espoir, plutôt qu’à une limitation
économique ? Je précise ma pensée. Les cas de transformation réussie sont ceux où un
service quasi-universel est apporté à un prix bien inférieur à ce que les populations
consacraient auparavant. Autrement dit, la transformation réside peut-être dans le talent du
manager, mais pas dans la demande, puisque in fine la demande est présente à des
conditions bien supérieures à ce que les personnes étaient prêtes à consacrer auparavant.
Ma question consiste donc à s’interroger sur cette absence de demande qui paraît
totalement paradoxale.
Richard FRANCEYS
C’est une excellente question. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, l’amélioration
attendue par la population ne suffit pas pour qu’elle soit prête à payer davantage. Si nous
pouvions obtenir pour les personnes les plus pauvres de ne pas avoir à payer plus que les
riches, ce serait une bonne chose, mais le service public devrait alors augmenter ses tarifs
pour être rentable sur la durée. Les bons régulateurs semblent avancer dans le bon sens.
Toutefois, bien gérer le système d’eau dans un pays où la gouvernance est de mauvaise
qualité, représente un défi de taille.
En outre, l’espoir des populations réside davantage dans un téléphone mobile ou dans
l’accès à l’électricité. Il ne semble pas que l’absence d’accès à l’eau et l’assainissement
soient un problème majeur pour ces populations. Elles considèrent qu’elles peuvent
continuer à envoyer leurs enfants aller chercher de l’eau.
De la salle
Ma question porte sur un point qui n’a pas été mentionné. Pour assurer la pérennité
d’un succès dans la gestion de l’eau, le transfert des connaissances et des expertises joue
un rôle crucial. Les compétences de gestion jouent également un rôle clé, aussi bien dans
le secteur privé que public. Nous pouvons renforcer les compétences techniques mais
aussi managériales.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Richard FRANCEYS
J’estime que les ingénieurs indiens sont aussi qualifiés que les autres ingénieurs dans
le monde. Dès lors, comment expliquer que les zones urbaines en Inde aient un
approvisionnement en eau par intermittence ? Ces personnes hautement qualifiées vivent
dans la société indienne telle qu’elle existe. Elles ne peuvent pas en sortir, elles sont
soumises à certaines contraintes qu’il faut prendre en compte. Il ne s’agit donc pas
uniquement d’une question de gestion. Que pouvons-nous faire pour aller au-delà des
tendances actuelles ? Il faut une certaine dépense d’énergie et ces partenariats publicsprivés permettent justement d’insuffler ce degré d’énergie dont nous avons besoin. Si cette
énergie est insufflée dans une économie moins bien gérée, nous retomberons sur la ligne
de base sans pouvoir aller plus loin.
Je vais utiliser une métaphore pour illustrer mon propos. Si vous prenez une feuille et
en faites un avion de papier, que se passera-t-il ? L’avion volera un certain temps, puis
retombera faute de moteur et d’énergie permettant à cet avion de continuer son vol. Il en
va de même pour notre approche à l’eau. Nous lançons ces avions en papier, mais nous
ne maintenons pas le niveau d’énergie suffisant ; nous ne dotons pas nos avions de
moteurs. Dès lors, le degré de gestion ou de qualification importe peu.
De la salle
Nous demandons au secteur privé d’être plus productif. Toutefois, la problématique
majeure est celle de l’innovation. Sans moyens d’innover, il est difficile d’agir.
Richard FRANCEYS
Il a fallu 200 ans à la Grande Bretagne pour parvenir à ce stade. Même si quelques
innovations mineures sont intervenues, la technologie est restée plus ou moins la même
pendant la période. Nous avons vu quels éléments étaient nécessaires pour progresser
dans un pays à forts revenus. Mais ce qui importe ici, ce sont les transferts. Les revenus
existent, mais la volonté politique fait souvent défaut. Nous savons comment bien gérer les
bidonvilles, mais nous n’avons pas la volonté politique de financer ces activités par des
transferts. Nous demandons aux pays les plus pauvres d’atteindre les Objectifs du
Millénaire pour le Développement, mais nous devrions payer une contribution importante
pour qu’ils puissent remplir cette mission.
De la salle
Dans tous les pays qui sont arrivés à des systèmes matures d’infrastructures, les
infrastructures de premier établissement ont été payées par des taxes et non par le tarif.
Autrement dit, ce qui a été vrai pour ces pays ne peut pas être autre pour les pays qui
aujourd’hui ne sont pas matures et sont très loin d’un équipement complet en matière
d’infrastructures d’eau et d’assainissement. Pour moi, taxes ou transfert, cela revient au
même. Il s’agit simplement de dire que le service de l’eau n’a pas à le répercuter sur le
tarif. Que cela vienne des taxes ou des transferts est une question secondaire. Lorsque
dans un pays ou dans une ville, seulement 20 % à 40 % de la population dispose d’un
accès à l’eau, il faut d’abord créer l’infrastructure de premier établissement. Il n’y a pas
d’autre moyen de la payer que par les taxes et les transferts. Or un coût qui assure le
renouvellement, la maintenance et l’extension marginale d’un réseau mature se situera
autour d’un dollar par mètre cube. Mais si l’on souhaite rembourser l’infrastructure de
premier établissement sur le coût, alors ce dernier sera plutôt de trois à quatre dollars par
mètre cube. Ce n’est donc pas tant une différence de demande que de bonne adaptation
de ce qui est répercuté sur le tarif et de ce qui est répercuté ailleurs. On fait une confusion
en comparant l’Angleterre et le Kenya. En effet, en Angleterre, les infrastructures de
premier établissement sont déjà payées et les investissements concernent uniquement la
maintenance et l’ajustement aux standards.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Richard FRANCEYS
Ces investissements peuvent aussi servir à améliorer la rentabilité. Tu as tout à fait
raison. Dans les pays à faibles revenus, les taux de taxation sont de l’ordre de 15 % à
20 %. Cela dit, nous espérons, dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le
Développement, que les niveaux de taxes pourront être harmonisés autour de 40 %. Dans
les pays à faibles revenus, les taxes ne sont pas suffisamment élevées. La Corée du Sud
est un bon exemple. Ce pays a concentré son approche sur la question des taxes, comme
nous l’avons fait en Europe dans le passé. Si les taxes sont insuffisantes, il faut alors se
baser sur les transferts. L’objectif n’est pas de jeter de l’argent par les fenêtres pour
ensuite partir en courant sans vouloir regarder le problème en face. Nous voulons assurer
des transferts de façon plus pérenne. Certes, tout le monde ne peut pas se permettre de
recourir aux services de Veolia ou de Suez. Mais il faut faire en sorte qu’un certain niveau
de service soit assuré en matière d’approvisionnement en eau. Des avancées ont déjà été
obtenues en Asie du Sud. Des interventions ponctuelles ont permis, grâce à une bonne
utilisation, d’initier une démarche de progrès qui s’est poursuivie au-delà de ces
interventions. Nous ne pouvons pas considérer que ces problèmes se résoudront d’euxmêmes. Nous devons être présents sur place pendant quinze ou vingt ans.
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
La performance des services d’eaux :
unconcept multidimensionnel
Table ronde 1
Participent à la table ronde :
Alain JEUNEMAITRE, CRG-Ecole Polytechnique ;
Yamba HAROUNA OUIBIGA, Directeur Général, ONEA, Burkina Faso ;
Thierry DEZENCLOS, Directeur de l’Exploitation, SEAAL, Algérie ;
Maria PASCUAL SANZ, IHE Unesco ;
Aziza AKHMOUCH, OCDE.
La table ronde est animée par Jean-Luc TRANCART, Ponts ParisTech.
Jean-Luc TRANCART
J’enseigne la politique de l’eau à l’Ecole des Ponts et Chaussées et à Sciences Po. J’ai
quelques expériences antérieures des services d’eau mais plutôt sur les pays développés.
J’écoute donc les débats de ce jour avec intérêt et passion.
Nous allons parler de la performance, essayer de la définir lors de cette première table
ronde avec un panel très équilibré entre des chercheurs et des exploitants. Nous sommes
dans l’Espace Maurice Allais. C’est un clin d’œil intéressant à la question de la
performance puisqu’il est un des économistes qui a théorisé la question d’un coût,
notamment dans un service public. Je vous invite, pour ceux qui ne l’auraient pas fait, à
relire la lumineuse explication du voyageur de Calais pour comprendre la relativité de la
notion de coût et de prix dans un service public. Je pense que cela fait partie des réflexions
que nous pourrons avoir sur la performance économique.
I) La planification stratégique, un outil au service de la performance
Yamba HAROUNA OUIBIGA
Mon expérience est spécifique car le Burkina Faso est un pays sahélien où la
ressource est très rare et difficile à mobiliser ; une expérience particulière également parce
que nous sommes une société d’Etat à capitaux entièrement publics et l’Etat nous a confié
la responsabilité d’assurer le service public sur l’ensemble du territoire, pour les villes de
plus de 10 000 habitants.
L’ONEA a été créé en 1994, mais il a succédé à un établissement public à caractère
industriel et commercial. Cette transformation s’est inscrite dans le cadre d’une réforme du
secteur. En effet, bien avant cette période, le service public présentait de nombreux
dysfonctionnements. La discontinuité du service était une réalité, en particulier dans la
capitale. L’accès à l’eau était globalement évalué à moins de 54 %. En outre, l’entreprise
ne couvrait pas ses charges courantes de fonctionnement. Elle était au bord de la
cessation de paiement.
Je souhaite vous parler de la transformation de cette société, vous présenter
la performance d’aujourd’hui et la façon dont nous y sommes parvenus.
Dans le cadre de la transformation, la société a la responsabilité de la gestion du
patrimoine, et donc du développement, mais aussi de l’accès à l’assainissement. La
contractualisation nous confère naturellement la propriété du patrimoine et nous a dotés
d’une autonomie de gestion. Ainsi l’entreprise est gérée plus ou moins selon les règles
privées. Toutes ces réformes se sont traduites par un contrat de performance.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Depuis 2009, l’entreprise est certifiée ISO 9 000 (version 2008). Elle emploie 860
agents. Elle investit près de 34 millions d’euros par an. Elle est présente dans 48 villes et
exploite aussi bien l’eau souterraine que de surface, avec 238 000 clients et
6 700 kilomètres de réseau.
La réussite de la transformation du service public signifie que ce dernier est
performant. Mais que recouvre précisément cette notion de performance ? Nous avons
retenu deux mots-clés. Le premier est la gouvernance. Une bonne gouvernance signifie
que toutes les parties prenantes jouent bien leur rôle. Les parties prenantes sont
nombreuses. Dans notre contexte, la première partie prenante est l’Etat et ses collectivités
locales. Les autres parties prenantes sont bien sûr l’opérateur et également ses soustraitants. En effet, nous associations les entreprises privées locales à l’accès au service,
notamment dans les zones non loties. Les clients sont également des parties prenantes,
mais nous écoutons aussi ceux qui n’utilisent pas notre réseau pour mieux comprendre
leurs attentes.
Le premier facteur permettant d’atteindre la performance est l’environnement
institutionnel. En l’occurrence, le contrat de plan triennal a permis de bien définir les rôles
entre l’entreprise et l’Etat (et les collectivités territoriales). Nous sommes partis de ce cadre
contractuel pour définir une organisation et un système de management. Dans ce contrat,
l’Etat s’est également engagé à mener une politique tarifaire qui assure le recouvrement
des coûts. Par ailleurs, nous sommes soumis à un audit indépendant de performance et
nous avons conçu un cadre de reddition des comptes. En dehors du conseil
d’administration et de l’assemblée générale qui se tient une fois par an, nous avons mis en
place un autre cadre de présentation des performances, auquel participent le
gouvernement, la société civile et les partenaires techniques et financiers. Au cours de
cette présentation, l’auditeur indépendant se prononce sur les performances et les
recommandations fortes à mettre en œuvre pour rester dans un processus d’amélioration
continue.
La planification stratégique est l’outil de base qui nous aide à bien cadrer
le management. Il nous donne une vision claire et nous permet par la suite de procéder à
une déclinaison. S’agissant des conditions de réussite et de durabilité, nous estimons que
la permanence de la qualité du management est essentielle. Notre société a été dirigée,
lors de la transformation amorcée en 1994, par un premier directeur général qui a occupé
ce poste pendant plus de dix ans. Nous l’avons relayé depuis lors. Il s’agit à mon sens d’un
élément important du cadre contractuel au niveau de l’Etat. En effet, il est fait en sorte de
stabiliser la direction générale afin qu’elle ait l’occasion de définir sa politique et de la
mettre en œuvre.
Nous avons mis en place un dispositif d’amélioration de la qualité du management.
Nous faisons également en sorte de renforcer les capacités des collaborateurs. A cet
égard, un de mes collaborateurs participe à la session de formation d’AgroParisTech.
En outre, nous accordons une grande importance à l’écoute des parties prenantes. Nous
avons instauré un mécanisme qui permet de les écouter et de les intégrer dans le
processus d’amélioration continue. Enfin, nous disposons d’un dispositif de veille et de
conduite du changement.
La clé de voûte du changement est la planification stratégique. Notre démarche est
fortement participative, avec la définition en commun de la vision et des valeurs à partager
dans l’entreprise. Elle nous permet de bien préciser les axes stratégiques et les résultats
intermédiaires dans une première phase, ainsi que le plan opérationnel dans une
deuxième phase. Tous ces outils servent à contractualiser les objectifs assignés, du
conseil d’administration jusqu’au niveau individuel, moyennant une évaluation annuelle et
un système de rémunération incitatif.
La démarche de planification vise à faire de l’entreprise une référence dans son
domaine, à travers plusieurs ambitions : renforcer l’image de l’entreprise auprès des
parties prenantes (Etat, clients, partenaires techniques et financiers), faire en sorte que ses
performances soient reconnues au plan africain et citées en exemple, jouer un rôle dans le
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
cadre des échanges de bonnes pratiques, développer l’innovation pour mieux satisfaire les
clients, améliorer la qualité de service.
La planification stratégique se décline en différents axes de progrès, pour lesquels des
résultats stratégiques et intermédiaires sont fixés. Le premier axe est la satisfaction du
client. Le deuxième axe est la consolidation et la crédibilité de la performance. L’objectif
stratégique est d’obtenir un équilibre financier et un bon niveau de rentabilité, ainsi qu’un
renforcement de l’image de l’entreprise. Le troisième axe est le progrès dans l’accès à
l’eau. Actuellement, le taux d’accès du service s’élève à 84 %, pour un objectif fixé par le
gouvernement de 87 %. Ce dernier sera atteint avant le terme des Objectifs du Millénaire
pour le Développement. Le quatrième axe est le renforcement des partenariats et l’appui
aux collectivités locales. Dans ce cadre, nous souhaitons offrir des services aux
collectivités en faisant intervenir notre expertise. Un axe très important est la satisfaction et
l’engagement du personnel. Dans une entreprise, le capital humain est l’élément moteur de
toute performance. Nous travaillons pour que le personnel bénéficie d’un environnement
de travail suffisant et qu’il soit mobilisé d’une manière permanente à l’atteinte des objectifs.
II)
Un partenariat public-privé dans le Grand Alger
Thierry DEZENCLOS
Je suis le Directeur de l’Exploitation de SEAAL, une société publique algérienne qui
gère l’eau et l’assainissement sur le grand périmètre d’Alger. Aujourd’hui, le Grand Alger
compte environ 4 millions d’habitants. La société emploie 5 800 personnes pour
750 000 clients. En 2006, face à de grandes difficultés d’accessibilité à l’eau et
d’assainissement, l’Etat algérien a décidé de contractualiser un partenariat public-privé
avec une société privée étrangère, SUEZ ENVIRONNEMENT, pour travailler sur la mise
aux normes internationales du service d’accès à l’eau et à l’assainissement du Grand
Alger. A cette époque, sur le périmètre d’Alger, à peine 6 % de la population bénéficiait
d’un service continu d’eau (24 heures sur 24). Le reste de la population n’avait accès à
l’eau que quelques heures par jour, d’un jour sur deux à un jour sur sept. Cette situation
générait des problématiques sociales, d’impact sur le moral de la population, mais aussi en
termes de budget pour les ménages. En effet, le fait de devoir aller chercher de l’eau en
bouteille représentait un coût très élevé, entre quarante et cinquante fois plus cher que le
prix de l’eau. La situation avait également un impact fort sur les relations entre le personnel
du service public et les usagers. Une tension s’était créée entre les collaborateurs et la
population. La situation avait aussi un impact fort sur la motivation du personnel travaillant
dans le secteur. Il faut savoir que depuis mars 2010, 100 % de la population du périmètre
algérois bénéficient d’un service continu d’accès à une eau de qualité internationale.
S’agissant de l’assainissement, à peine 8 % des eaux usées étaient traitées par une
station d’épuration, le reste étant rejeté directement dans le milieu naturel. Les réseaux
existaient, mais étaient souvent en très mauvais état. De plus, aucun équipement de
traitement des eaux n’avait été construit. Aujourd’hui, 55 % des effluents sont traités par
une station d’épuration. D’ici deux ans, ce taux montera à environ 70 %.
La société était également confrontée à une problématique de modernisation du
service clientèle. L’accueil de la clientèle et le recouvrement des factures étaient des points
noirs. Aujourd’hui, nous mesurons régulièrement le taux de satisfaction de nos clients par
des enquêtes réalisées par des bureaux d’études externes. Nous sommes ainsi passés
d’un taux de satisfaction des usagers de 50 % en 2006 à 87 % en 2012.
La performance s’évalue à l’aune de trois facteurs-clés : l’amélioration de la qualité du
service public, l’amélioration de la qualité de vie des citoyens, la maîtrise budgétaire.
Pour atteindre les objectifs fixés, une stratégie claire et des outils doivent être mis en
place. Il s’agit de faire en sorte que les personnels du service public maîtrisent ses métiers.
Nous accordons ainsi une place importante au transfert de savoir-faire. Le contrat
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
comportait deux volets : le premier, d’ordre technique, était d’améliorer le service public de
l’eau et de l’assainissement ; le deuxième volet consistait à former le personnel de
l’entreprise pour l’amener à un niveau international. Pour cela, nous avons utilisé des outils
très modernes, comme le Witi qui segmente l’ensemble des métiers d’un service public,
que ce soient les métiers techniques ou supports (informatique, ressources humaines,
comptabilité, etc.), en fait une cartographie et mesure l’évolution de l’ensemble pour
l’ensemble de ces catégories. Il est appréciable que les personnels maîtrisent les
techniques, mais il est également important qu’ils possèdent des compétences en termes
de management. Pour cela, nous avons développé des outils structurés afin de quantifier
les progrès. L’outil OPT (Optimizing Personal Talents) permet précisément d’analyser les
capacités managériales du personnel, d’identifier les atouts et les leviers de progrès du top
management de l’entreprise, de construire un référentiel de management et de le décliner
en termes de contrats de progrès pour l’ensemble des managers.
La réussite de SEAAL a également été rendue possible grâce à une volonté politique
forte de progresser et un attachement à développer l’entreprise dans tous ses métiers.
Ce succès a aussi reposé sur un investissement financier significatif. Souvent, j’entends
dire que l’Algérie dispose de beaucoup d’argent et a donc pu investir massivement.
C’est exact, mais l’Etat algérien a aussi investi beaucoup d’argent en très peu de temps.
En moins de quatre ans, des progrès considérables ont été accomplis. Il existe toujours
une adéquation entre la vitesse à laquelle on souhaite que les progrès soient faits et
l’argent que l’on est capable d’investir. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la consolidation à
la fois managériale et technique de l’ensemble du personnel. Le transfert de savoir-faire
est extrêmement important. Il est indispensable que les équipes locales maîtrisent les
volets techniques et managériaux pour que les progrès perdurent. Il faut donner la capacité
à l’entreprise de délivrer un service de qualité en totale autonomie. Une autre condition du
succès est une bonne gouvernance. Chacun doit trouver sa juste place. Il ne faut pas que
l’opérateur privé ou l’Etat prenne le pas sur l’autre. Pour cela, nous avons élaboré un plan
d’action excessivement détaillé, à la fois en termes d’investissements et d’ouvrages à
réhabiliter. Ce plan d’action a été partagé par les autorités et SEAAL. Il faut savoir que
SEAAL réalise tous les travaux de maintenance. Par contre, les travaux d’extension et les
nouveaux ouvrages sont réalisés par l’Etat. Une coordination très forte est donc
indispensable, de manière à prioriser les actions à réaliser. Un des facteurs clés de
réussite est un dialogue fort entre les différentes parties prenantes. Un partenaire seul ne
peut réussir, un travail d’équipe est indispensable.
Si j’avais à énumérer les freins à la réussite, le premier serait de sous-estimer le volet
ressources humaines. Pour moderniser un service public et faire en sorte qu’il fonctionne
bien, il ne suffit pas d’injecter de la technique. Il faut aussi un volet ressources humaines
très fort, ne serait-ce que pour entretenir la volonté du personnel de progresser. Je vous
donne un exemple. SEAAL réalise 20 000 jours de formation par an, soit un volume très
important pour un effectif de 5 800 personnes. En 2006, 99 % de la formation était
effectuée en externe ; aujourd’hui, 53 % de la formation est réalisée en interne. Il convient
en outre de prêter une grande attention à l’acclimatation des personnels expatriés et leur
intégration au sein des équipes locales. Actuellement, SEAAL compte 27 personnels
expatriés de SUEZ ENVIRONNEMENT. Ils sont là pour amener leur expertise, mais il ne
faut pas oublier que le travail est effectué par les 5 800 collaborateurs de SEAAL. Il faut
trouver des personnes capables de s’adapter au pays et à ses règles de vie qui sont
différentes de la France. Par ailleurs, il est nécessaire d’instaurer un dialogue social de
qualité, aussi bien avec les personnels de l’entreprise que vis-à-vis de la population.
La performance est un cercle vertueux. En effet, nous avons amélioré la qualité du
service public. Par là-même, nous avons accru la reconnaissance du personnel par la
population. Lorsque vous dites que vous travaillez pour SEAAL à Alger, les habitants
viennent vous serrer la main et vous féliciter, alors qu’auparavant ils étaient plutôt enclins à
jeter des pierres. Cette reconnaissance par la population donne de la fierté aux
personnels. Cette fierté augmente leur motivation et leur volonté de progresser, et donc
leur professionnalisme. Dès lors, la qualité du service ne peut que s’améliorer.
Paris, le 25 avril 2013
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d’études
En Algérie, le prix de l’eau est subventionné. Il ne permet pas de payer les frais de
fonctionnement de l’entreprise. L’Etat verse le complément entre le coût de fonctionnement
de l’entreprise (hors investissements) et le prix de l’eau. Or les économies réalisées sur
ces subventions d’équilibre ont financé peu ou prou le coût du partenaire privé.
Jean-Luc TRANCART
Je note, en me référant à la remarque de Richard Franceys, que vous avez mis un
moteur dans l’avion, l’un et l’autre. Visiblement, l’avion reste toujours en vol. Je note aussi
que vous avez quelques points communs : un plan d’action stratégique, c'est-à-dire une
vision, la présence de l’Etat et des politiques publiques fortes. Vous avez également tous
les deux cité la qualité du personnel, sa motivation et sa satisfaction. Dans ces métiers de
main-d’œuvre, où les salariés sont sur le terrain, c’est un facteur capital de succès.
III)
Le contrat global
Maria PASCUAL SANZ
Nous avons mis en place un processus de réforme dans les sociétés publiques. Par la
suite, nous nous sommes attaqués au secteur privé. Je souhaite vous présenter une
approche assez originale qui a été mise en œuvre au Malawi. Il s’agit d’un contrat de
service dont la particularité est qu’il ne comporte pas de délégation du management, de la
gestion ou du service. Dans ce contrat dit global (comprehensive contract), l’opérateur
externe est chargé de gérer le changement.
Dans ce partenariat, l’opérateur privé ne disposait pas de capacités de gestion.
Il travaillait donc avec les responsables du traitement de l’eau et devait les convaincre sans
pouvoir effectuer lui-même de changements opérationnels. Cette situation s’est avérée très
difficile.
Quelles sont les caractéristiques du processus qui ont aidé ou empêché la bonne mise
en œuvre de ce contrat ? D’abord, au moment où ce contrat a été signé, le secteur évoluait
dans un contexte d’évolution vers la privatisation. Toutefois, alors que cette privatisation
devait être mise en œuvre, un changement de gouvernance est intervenu et le projet n’a
pu voir le jour. Les négociations ont continué jusqu’à une demande de financement. Les
personnels travaillant pour la société d’Etat d’approvisionnement en eau se posaient des
questions sur l’arrivée d’un opérateur privé international. Ce changement présentait un
risque en termes de pertes d’emploi et la population craignait une dégradation des
conditions d’approvisionnement en eau dans le secteur public.
Les six premiers mois du partenariat ont été très difficiles, en raison d’un manque de
clarté dans la définition des responsabilités du secteur privé. Les salariés, non seulement
au niveau managérial mais aussi opérationnel, étaient inquiets. Cela a beaucoup affecté
l’évolution du contrat, en particulier au débat. Une certaine confusion régnait également
quant au rôle des parties prenantes, notamment des bailleurs de fonds internationaux. La
société publique avait insisté pour que ce soit elle qui assure la mise en œuvre du projet,
et non les bailleurs de fonds. C’était là une source de confusion et de tension.
Le contrat s’appuyait sur un système de bonus/malus indexés sur la performance.
Pour autant, il a fallu œuvrer d’arrache-pied pour développer en amont des plans d’action,
une tâche qui a limité dans un premier temps la coopération avec les autres parties
prenantes. Les parties prenantes ont ensuite compris qu’elles s’étaient perdues dans une
jungle de paperasse et qu’il leur fallait désormais travailler ensemble. Mais cette prise de
conscience a pris du temps.
S’agissant du processus d’approbation, certaines décisions étaient mises en œuvre
par défaut, d’autres devaient faire l’objet d’une validation par les conseils de l’eau locaux.
Ces derniers ont ainsi eu le sentiment qu’ils n’étaient pas pleinement impliqués dans le
processus de transformation. Ils recevaient les plans d’amélioration mais ils avaient
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
l’impression de ne pas avoir leur mot à dire dans la discussion. Les clauses du contrat ne
permettaient pas d’établir le degré de coopération dont nous avions besoin. Il n’y avait pas
de mécanisme d’interaction qui nous aurait permis d’apprendre ensemble et d’assurer le
suivi commun des activités. Nous avons organisé de nombreuses réunions entre les
différents opérateurs d’eau pour discuter des progrès accomplis mais nous nous sommes
heurtés à l’époque à une grande réticence de la part des dirigeants. Ils se sont retrouvés
dans une situation où, pendant les premiers dix-huit mois du projet, ils ne pouvaient pas
communiquer.
Ce contrat était hybride par nature. Le rôle des intervenants externes était un rôle
d’agents du changement, mais les bailleurs de fonds avaient besoin d’inclure ce
système de bonus/malus pour s’assurer d’un certain degré de performance de la part des
opérateurs. Toutefois, les bailleurs ont sous-estimé l’impact négatif de ce système de
bonus/malus, notamment en termes de relations entre les différentes parties prenantes.
Les opérateurs considéraient qu’ils avaient pris tous les risques, qu’ils avaient obtenu les
résultats escomptés et qu’ils n’avaient donc pas à s’acquitter d’un malus.
Pour citer un autre exemple de réticence de la part des parties prenantes locales, des
chefs de projet ont proposé de participer aux réunions managériales. Or la première
réaction du conseil de l’eau a été de refuser catégoriquement. Il considérait que ces chefs
de projets ne pouvaient pas interférer dans ses décisions stratégiques.
Ce n’est qu’aujourd’hui, à la troisième année du contrat, que les partenaires du projet
commencent véritablement à travailler ensemble. Les parties prenantes locales ont enfin
perçu l’opportunité que représentait une coopération avec les opérateurs externes. Peu à
peu, l’ensemble commence à fonctionner. Tous se sont rendu compte qu’ils avaient mal
compris le concept du contrat, qu’ils n’avaient pas réussi à inclure les opérateurs et les
autres parties prenantes et qu’aujourd’hui ils en payaient les frais.
La Direction du Conseil de l’Eau de Blantyre a accompli des progrès significatifs
puisqu’elle affiche un an d’avance par rapport à Lilongwe. Ce qui a fait la différence est cet
engagement vis-à-vis du contrat. Le directeur général de Lilongwe possède en outre un
profil de management qui n’est pas propice à la motivation des personnels. Ces derniers
avaient peur d’une confrontation avec leur manager, ils avaient tendance à le fuir, ce qui
ne contribuait pas à l’établissement d’un partenariat et ne permettait pas d’accomplir
quelque progrès que ce soit.
Une coopération a été mise en place entre les différentes parties prenantes afin de
déployer des formations, ceci afin de changer les habitudes. Toutefois, à Lilongwe, ces
activités étaient isolées, séparées de la routine quotidienne du Conseil de l’Eau.
Les possibilités d’interaction étaient nulles.
IV)
Les conditions de réussite des politiques de l’eau
Aziza AKHMOUCH
Il est toujours important pour l’OCDE d’être à l’interface des opérationnels et des
chercheurs. Nous avons beaucoup à apprendre de ce type d’événement.
Je m’occupe du programme de l’OCDE sur la gouvernance de l’eau. Parmi les
domaines de politiques publiques auxquels s’intéresse l’OCDE, l’eau en particulier est une
priorité du Secrétaire Général Angel Gurrìa. À son arrivée, il a mis en place le programme
horizontal sur l’eau qui implique une dizaine de personnes dans différents départements,
de la Direction de l’Environnement à la Direction du Commerce et de l’Agriculture, en
passant par la Direction de la Gouvernance Publique et les Directions des affaires
financières et la Direction de la coopération et du développement.
J’aimerais aborder le sujet de la performance sous l’angle des politiques publiques. En
effet, un des messages clés mis en exergue lors des précédentes présentations porte sur
les conditions cadre de la performance des services. Il faut garder à l’esprit, notamment au
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
regard des discussions qui ont eu lieu ce matin, que le contexte n’est plus le même. Il faut
prendre en compte un certain nombre de contraintes qui posent des problèmes très
sérieux, y compris dans les pays de l’OCDE. Ces derniers disposent d’infrastructures,
souvent financées par l’impôt comme dans le cas de la France, mais font face aujourd’hui
à des défis significatifs pour renouveler ces réseaux. On ne peut donc pas considérer que
le problème est réglé parce que ces pays ont une couverture universelle. Des enjeux
financiers énormes se posent, notamment aux États-Unis, pour renouveler les
infrastructures en place. Le Royaume-Uni affiche des taux de fuite dans les canalisations
qui posent un certain nombre de défis. La France, avec des changements de gouvernance
du privé vers le public, est aussi confrontée à des problématiques importantes. Le
problème se pose dans les pays riches aussi bien s’agissant des infrastructures que de
l’adaptation à des normes environnementales de plus en plus contraignantes, qu’il s’agisse
des directives-cadres de l’Union européenne ou d’autres réglementations.
Nous devons faire face à une crise économique qui perdure, avec des mesures
d’austérité fiscale très importantes qui ont poussé les pays de l’OCDE à mettre en œuvre
des réformes drastiques dans le secteur de l’eau et l’assainissement. À titre d’exemple, en
Italie, un référendum en 2011 a affecté une partie de la soutenabilité financière du secteur
et même donné lieu à un transfert de compétences à un nouveau régulateur national. Au
Portugal, on assiste à un mouvement de quasi-recentralisation de la gestion de l’eau, avec
un rôle de plus en plus important accordé à l’agence environnementale nationale. De
même, le Mexique a mis en place un agenda de réforme du secteur de l’eau à l’horizon
2030, dont la mise en œuvre est très difficile et soulève des enjeux de gouvernance entre
le niveau fédéral et les autorités locales. Comme souvent, les solutions techniques,
institutionnelles et financières existent, le problème clé reste très lié aux questions de
gouvernance. Les Pays-Bas, pionniers dans le secteur de l’eau s’interrogent sur les
réformes à réaliser, notamment pour résoudre des problèmes de qualité de l’eau – nous
savons que beaucoup de pays de l’Union européenne n’atteindront pas les objectifs fixés
par la directive-cadre –, mais aussi pour savoir comment injecter un peu de flexibilité dans
le système afin de répondre aux défis qui se poseront dans les quarante prochaines
années. Le plan Delta à l’horizon 2100 cherche précisément à anticiper ces défis de
tendance économique, de changement climatique, de disparités régionales. Se pose
également la question du coût. Le système en tant que tel est plutôt secure. Mais à quel
moindre coût ? Beaucoup de pays de l’OCDE traversent donc ce processus de réforme.
À l’OCDE, nous considérons que la performance des politiques de l’eau doit répondre
à trois critères : l’efficience, la soutenabilité et l’équité. Nous avons identifié un certain
nombre de conditions de réussite, que nous sommes en train de mettre sous la forme
d’une recommandation de l’OCDE. En effet, notre rôle dans le conseil aux gouvernements
consiste à élaborer ce qu’on appelle la soft law. Nous ne finançons pas de projets
d’infrastructures, nous n’émettons pas de régulations contraignantes, à quelques
exceptions près. En revanche, nous émettons des lignes directrices qui sont alimentées
par des comparaisons internationales et des études à travers différents pays. Cette
recommandation de l’OCDE sur l’eau, dont la dernière remonte à 1989, soulève des
questions en matière de gouvernance, s’agissant des freins ou des moteurs de la
performance des politiques de l’eau.
Le premier défi est lié à l’allocation des rôles et des responsabilités. On constate, y
compris dans les pays développés, qu’il est souvent très difficile d’identifier le qui fait quoi.
Même si les cadres juridiques sont stables, des zones grises apparaissent en pratique.
Cette allocation des responsabilités porte sur les différentes composantes de la gestion de
l’eau, en termes de qualité et de quantité. Comment s’enchevêtrent ces responsabilités
dans un contexte où la quasi-totalité des pays de l’OCDE ont décentralisé leur politique de
l’eau, avec un mouvement de décentralisation poussé à l’extrême dans des pays tels que
les États-Unis, le Canada, la Belgique et l’Australie, et des pays qui restent encore assez
centralisés comme le Chili ou la Corée du Sud ? Dans tous les cas, les autorités locales
jouent un rôle important. En lien avec cette allocation des responsabilités, se pose la
question de la gestion de cette interdépendance entre les niveaux de gouvernance.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
La cohérence des politiques de l’eau est un critère de mesure de la performance
extrêmement important. Beaucoup de pays continuent à faire face à des obstacles
significatifs quand il s’agit d’aligner les politiques de l’eau avec les politiques de l’énergie
ou de l’agriculture. Des pays comme le Mexique ont mis en place des subventions
massives à l’électricité pour les agriculteurs qui vont clairement à l’encontre des objectifs
de politique de l’eau. La question n’est pas d’aligner complètement les politiques, mais au
minimum de mettre en place les mécanismes de compensation pour gérer ces arbitrages.
Pour cela, nous avons besoin d’un cadre national mais aussi de bonnes pratiques qui
pourraient être systématisées.
Se pose également la question de la capacité, à différents niveaux de gouvernement
mais aussi des opérateurs. Sur ce dernier point, je dirai deux mots sur la régulation
économique qui me semble fondamentale. On observe une tendance dans les pays de
l’OCDE à la création d’organes de régulation au niveau national. Cette tendance s’est
affirmée en Amérique Latine dans la décennie 90, au moment du transfert aux opérateurs
privés de la gestion de certains services. J’ai moi-même travaillé sur les enjeux et les
conflits de la privatisation de la gestion de l’eau en Argentine. Cette tendance est plus
récente dans le cadre de l’Union européenne. Le modèle traditionnel Ofwat est intéressant
mais pas directement transposable dans tous les pays. Dans ce mouvement de régulation,
on peut citer la création en Italie d’une nouvelle autorité qui vient de recevoir les
prérogatives eau potable et assainissement, la mise en place d’une agence de régulation
nationale au Portugal ainsi que dans les pays de l’Europe de l’Est.
À l’OCDE, nous ne considérons pas que la régulation par le biais d’une autorité
nationale soit un modèle optimal. Elle pose deux questions, d’abord celle de savoir ce que
l’on entend par fonctions de régulation dans un secteur possédant des caractéristiques
intrinsèques très fortes et des externalités sur d’autres domaines de politique publique
avec des risque d’abus de position dominante. Trop souvent, ces fonctions sont réduites à
la question des tarifs et à la problématique du recouvrement intégral des coûts. La
détermination des prix est certes une fonction de régulation essentielle, avec des risques
de capture considérables et une politisation encore très forte dans de nombreux pays.
Mais la régulation économique touche également au monitoring des performances, aux
benchmarks, à l’entrée dans le secteur, aux incitations à une utilisation rationnelle, etc.
L’OCDE est en train de conduire un travail pour essayer d’établir une typologie de ces
fonctions de régulation. Notre message est qu’elles ne sont pas nécessairement appelées
à être concentrées au sein d’une même autorité ou d’un même acteur, mais peuvent être
délivrées à différents niveaux de gouvernements et par différentes autorités.
La deuxième question fondamentale est celle du contexte institutionnel dans lequel
la régulation s’opère. Il faut effectivement une volonté politique, un cadre juridique, des
mécanismes qui appuient les processus de réforme. Beaucoup de pays sont très efficaces
pour mettre en place des commissions interministérielles ou élaborer des plans à des
horizons lointains, mais ne se dotent pas des moyens qui permettront de réussir sur le
terrain. À mon sens, la vraie question, au-delà de la volonté politique, est celle de la
continuité politique. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des usagers dans ce cadre de
régulation.
V) Les limites des indicateurs de performance
Alain JEUNEMAITRE
Je suis chercheur au pôle de recherche en économie et gestion à l’Ecole
Polytechnique. J’ai travaillé avec la Commission européenne sur les problèmes de
régulation économique et les industries de réseau. Dans le domaine de l’eau, j’ai connu
trois ou quatre expériences et je souhaite d’abord vous présenter très rapidement les
impressions qu’elles m’ont laissées.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
La première expérience est la rédaction dans les années 90 d’une thèse sur la
régulation. La Banque Mondiale et l’AFD prêtent de l’argent pour le développement de
l’eau. L’idée simple que j’en ai retenue est que le modèle de l’autorité indépendante était
très mal adapté au système légal et institutionnel de la plupart des pays en voie de
développement.
La deuxième expérience est une thèse en Inde, faite au laboratoire, sur le
développement des infrastructures d’eau. J’en ai retenu l’importance de la culture et de la
structure des ménages dans leur forme de gestion d’eau.
En Angleterre, dans le cadre des études menées par mes étudiants, j’ai pu observer
un plus haut degré de sophistication. Je me souviens par exemple de mémoires sur le
smart metering (compteur intelligent), qui cherche à individualiser les consommations
d’eau. La façon dont un compteur d’eau est reçu est bien différente en Inde et en
Angleterre.
J’aimerais aussi évoquer les price-cap regulations, qui ont été introduites au milieu des
années 80 par Steve Littlechild. Pour l’eau, on a ainsi apporté un petit cas en plus pour
l’investissement.
Enfin, la dernière expérience est celle de Mille et une fontaines, une ONG présente au
Cambodge et en Inde qui a tenté de développer des systèmes alternatifs aux
infrastructures. Cette expérience a montré que la distribution était une problématique forte
du secteur.
Quelle est ma perception du problème de l’eau par rapport aux autres utilities ? Qu’estce que la performance ? Pour moi, la performance est l’optimisation des flux et des
frontières. Dans le domaine de l’eau, la construction d’un marché intégré européen est très
spécifique car elle ne se heurte pas à des difficultés d’interopérabilité (comme dans le
contrôle aérien) ou d’interconnexion. Le marché reste très local parce que la distribution
est extrêmement coûteuse et l’on n’imagine pas boire à Paris de l’eau des Pays-Bas.
De ce point de vue, on n’a pas non plus une financiarisation extrême du marché de l’eau.
Il n’existe pas de bourse de l’eau ou d’activités de trading, ni de grands réseaux européens
comme c’est le cas dans le rail. La performance naît d’une concurrence pour le marché et
non au sein d’un marché, ce qui pose des problèmes particuliers tels que l’organisation
d’une régulation économique ou encore la gestion du gaspillage.
Souvent, cette performance est jugée au travers d’indicateurs-clés de performance
(key performance indicators) et de benchmarkings. Elle est en général basée sur des
objectifs multiples, qui peuvent être parfois contradictoires ou difficiles à gérer en même
temps. Le problème des indicateurs de performance est que la tentation est grande d’en
faire dutarget setting, c'est-à-dire des objectifs à deux, trois ou quatre ans. En outre,
tous ces benchmarkings sont généralement rétrospectifs et découpent des catégories, en
termes de frontières, qui figent les éléments plus qu’ils ne les font progresser.
Dans le domaine de l’eau s’exercent une responsabilité individuelle et une
responsabilité collective. Etonnamment, la responsabilité individuelle m’apparaît beaucoup
plus forte dans ce secteur que dans celui de la téléphonie par exemple. Une des grandes
difficultés est celle de l’enforcementet de l’accountability. Dans certains pays, il est très
difficile de faire payer un consommateur. Comment pénaliser des opérateurs qui ne
respecteraient pas les objectifs fixés ? Jusqu’à quel point cet enforcement peut être
réalisé ? Ces notions d’enforcement et de responsabilité comportent également une
dimension citoyenne, comme en témoignent les processus de consultation dans le cadre
d’Ofwat ou encore la mesure de la satisfaction des citoyens sur la qualité de l’eau initiée à
travers le baromètre européen. Elles définissent une autre frontière entre le privé et
le public, celle de cette performance ou de cette optimisation qu’il s’agit de réaliser.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
VI)
Débat
Jean-Luc TRANCART
Je souhaite poser deux questions à nos deux opérateurs. Etes-vous confrontés
à des problématiques de bidonvilles ? Est-ce un problème pour vous ? Comment gérezvous ces difficultés ?
Yamba HAROUNA OUIBIGA
Nous sommes confrontés à des bidonvilles, que nous appelons plutôt des zones
non structurées. Actuellement, nous développons l’accès à l’eau et à l’assainissement pour
ces bidonvilles. S’agissant de la gestion, nous impliquons des opérateurs privés locaux.
Je précise que nos tarifs sont uniformes sur l’ensemble du territoire, y compris dans les
bidonvilles.
Jean-Luc TRANCART
Les bidonvilles ont-ils disparu des plans d’Alger comme ils ont disparu des plans de
Nairobi ?
Thierry DEZENCLOS
Alger comporte toujours des bidonvilles. Dans cette ville, non seulement les bidonvilles
mais aussi des quartiers riches, avec des villas de centaines de mètres carrés, sont
confrontés à des problèmes d’alimentation en eau, parce qu’ils ne sont pas déclarés. Il ne
faut pas oublier que la période des années 90 et 2000 a été très compliquée, avec une
dérégulation complète du marché. Ainsi, certaines maisons de 400 mètres carrés ne
disposent pas d’un accès à l’eau.
Un grand programme de recouvrement des bidonvilles est à l’œuvre. Depuis cinq ans,
près de 100 000 personnes vivant dans ce type d’habitat ont pu bénéficier d’un accès à
l’eau. Outre l’accès à l’eau, se pose une problématique de facturation. Il faut savoir que le
prix de l’eau est administré et commun partout en Algérie, avec une tarification sociale.
Jean-Luc TRANCART
J’ai le sentiment que la question des accidents du travail est centrale en matière de
performance. Ils montrent à la fois le respect envers le personnel, la motivation des
managers. Est-ce un sujet pour vous ? Suivez-vous cet indicateur ?
Yamba HAROUNA OUIBIGA
Il s’agit naturellement d’un sujet important pour nous. Nous rendons compte de cet
indicateur aussi bien au conseil d’administration qu’à l’assemblée générale présidée par le
Premier Ministre.
Jean-Luc TRANCART
Vos résultats dans ce domaine sont-ils bons ?
Yamba HAROUNA OUIBIGA
Oui. En tout cas, l’évolution de la courbe montre que nous travaillons pour réduire les
accidents du travail. Nous menons des travaux sur un système de management intégré,
afin notamment de mieux prendre en compte ce volet de la sécurité.
Thierry DEZENCLOS
La sécurité est un des points cruciaux de la politique managériale de l’entreprise. Entre
2006 et 2010, le nombre d’accidents du travail a été divisé par dix. Aujourd’hui, nos taux de
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
fréquence et taux de gravité sont très bas. La société est auditée régulièrement par SUEZ
ENVIRONNEMENT, même si elle n’en est pas une filiale. Elle se situe dans le premier
tiers des sociétés du Groupe en termes de performance dans le domaine de la sécurité.
Elle est partie d’extrêmement loin puisque l’entreprise recensait en moyenne cinq à six
décès par an. J’ajoute que la rémunération des cadres est fondée notamment sur des
critères d’hygiène et de sécurité.
Jean-Pierre MAS, Directeur délégué Afrique, SUEZ ENVIRONNEMENT
J’ai été très intéressé par l’exposé de Maria Pascual Sanz sur le Malawi. Il renvoie en
effet à une discussion que j’ai eue avec le représentant de la BEI il y a quatre ans, lors de
la parution de l’appel d’offres. Je lui avais dit : « Je ne vois pas comment vous pouvez
demander à un opérateur de s’engager sur une performance, en particulier sur des
indicateurs clés de performance, sans responsabilité de management. » Aujourd’hui,
quel bilan tire la BEI de cette expérience ?
Ce type de contrat de services, qui est à mon sens un contrat d’assistance technique
qui ne dit pas son nom, fleurit partout aujourd’hui, non seulement à travers la BEI mais
également la Banque Mondiale, que ce soit au Congo-Brazzaville, en RDC ou au Tchad.
A mon sens, les bailleurs de fonds doivent s’interroger sur les contrats qu’ils proposent.
Avez-vous discuté de ce sujet avec le bailleur de fonds ? Qu’en dit-il ? La BEI a-t-elle tiré
des enseignements des expériences passées ?
Maria PASCUAL SANZ
Il s’agit d’un contrat très rare mais il me semble qu’il possède beaucoup de potentiel
dans la mesure où il est ancré dans les capacités locales. Les résultats qu’on peut en
attendre seront plus lents. On ne peut pas fixer les mêmes objectifs en termes
d’indicateurs clés de performance que pour un contrat de gestion dans lequel l’opérateur
privé aurait beaucoup plus de pouvoir de décision.
Dans ce contrat, il est paradoxal de travailler avec les bailleurs de fonds internationaux
sans indicateurs de performance. Toutefois, nous avons besoin de leur expérience et de
leurs compétences en matière de changement. Comment travailler avec l’opérateur local ?
Comment le motiver ? Comment accompagner le changement ? L’opérateur international a
permis de limiter l’ingérence politique. Bien sûr, le contrat définissait les responsabilités
des deux parties, par exemple lorsqu’une réorganisation a été proposée. Cela n’a pas été
une mesure très populaire mais grâce à la force du contrat et aux explications données sur
les raisons pour lesquelles ces objectifs devaient être atteints, le dirigeant de la société des
eaux a réussi à la mettre en œuvre.
Mettre en œuvre des mesures à l’origine peu populaires a permis d’atteindre certains
des objectifs qui avaient été fixés. Pour le premier et le second contrat, respectivement
40 % et 60 % des objectifs ont été atteints. Le contrat présente donc un gros potentiel.
L’opérateur international ne prend pas la direction du changement mais il soutient un
changement qui s’accomplit au niveau local.
De la salle
Ma première question s’adresse à Alain Jeunemaître. Vous avez indiqué que des
indicateurs clés de performance pouvaient avoir un effet pervers. Pourriez-vous en dire
davantage sur ce sujet ?
Alain JEUNEMAITRE
Je vais répondre plus spécifiquement sur le cas du contrôle aérien. L’Europe compte
soixante centres de contrôle, vingt-sept pays. L’idée est de restructurer cet ensemble pour
aboutir à un total de cinq centres de contrôle. En 1998, une commission de revue de la
performance (Performance Review Commission) a été créée et a commencé à travailler
sur des indicateurs clés de performance. L’objectif était de mettre en place, par la
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
régulation, des pratiques de naming and shaming (dénonciation et condamnation), mais
sans réel pouvoir d’enforcement. Puis cette Performance Review Commission s’est
transformée en Performance Review Body. Désormais, elle fixe des cibles (targets) à partir
des indicateurs clés de performance. Qu’ont fait les Etats et les systèmes de contrôle
nationaux ? Ils se sont adaptés à la situation, mais ils ne se sont jamais restructurés.
Ils ont juste appliqué ce qu’on leur demandait, et ce avec un décalage d’au moins
une année. Si vous fixez des objectifs, les acteurs s’adaptent et vous figez la façon dont
vous pouvez penser la chose.
De la salle
Monsieur Dezenclos a parlé du dialogue social. Quels sont les impacts de tous ces
changements sur le personnel ? Avez-vous obtenu une sorte de paix sociale ? Il me
semble que la paix sociale est en effet un critère majeur de performance et un facteur de
développement de l’entreprise.
Ma deuxième question a trait à la régulation. En Afrique de l’Ouest, il a été constaté
que le régulateur indépendant n’était pas aussi indépendant que cela. Il subit en effet des
pressions politiques importantes. Parfois, il peut même se comporter en second opérateur,
de par ses prises de position. A mon avis, les systèmes de régulation doivent tout
simplement s’adapter à l’environnement local. Au Sénégal, il n’y a pas de régulation. Par
contre, il y a une forte capacité de dialogue entre les acteurs, qui constitue un facteur clé
de succès.
Thierry DEZENCLOS
Le dialogue social est excessivement important. En 2006, la signature du partenariat
public-privé et l’arrivée du personnel expatrié ont suscité une inquiétude très forte dans
l’entreprise. A l’époque, les grèves étaient assez fréquentes. Il a fallu accomplir un travail
de longue haleine d’explication, mais celui-ci semble avoir porté ses fruits puisque la
dernière grève remonte à quatre ou cinq ans.
Jean-Luc TRANCART
Les salaires ont-ils été augmentés ?
Thierry DEZENCLOS
Les salaires ont fortement augmenté. Je précise néanmoins que nous n’avons pas la
maîtrise de l’augmentation des salaires. SEAAL est une société publique algérienne et les
salaires sont donc gérés par l’Etat. En l’occurrence, les salaires ont augmenté pour
l’ensemble des fonctionnaires.
Nous n’avons pas pu initier une politique salariale forte. En revanche, nous avons
disposé d’une petite marge de manœuvre pour instaurer des rémunérations
complémentaires, notamment des rémunérations variables liées à la performance.
Jean-Luc TRANCART
Alain peut peut-être répondre à la question sur la régulation.
Alain JEUNEMAITRE
Je suis tout à fait de l’avis de la personne qui a posé la question, quant à la nécessité
de trouver des mécanismes adaptés. Des économistes tels que Jean-Jacques Laffont ont
conduit des travaux sur le problème de l’asymétrie, la regulatory capture, la collusion,
toutes les problématiques qui se posent lorsqu’on essaye d’installer une autorité
indépendante. Le mode de fonctionnement sociétal n’est pas la même selon les pays.
A une époque, les prêts accordés par la Banque Mondiale étaient assortis d’une contrainte
de création d’un système de régulation inspiré de celui en vigueur dans les pays
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
industrialisés, mais qui ne correspondait absolument pas à la réalité des pays en
développement.
De la salle
Monsieur Jeunemaître, vous avez évoqué le cas de Mille et une fontaines, qui est un
exemple de systèmes alternatifs à la distribution classique. Considérez-vous que ces
systèmes ne sont que des rustines ou au contraire qu’ils peuvent être viables sur le long
terme ?
Alain JEUNEMAITRE
Dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, les progrès technologiques sont
relativement limités. Pour autant, je ne pense pas que les solutions évoquées soient des
rustines. Dans le cas de Mille et une fontaines, l’idée était d’ioniser l’eau pour la
transformer en eau potable et d’organiser un système de distribution en général collectif.
C’est mieux que rien. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’eau tombe aussi du ciel.
Quelle que soit la solution, elle est toujours positive et elle peut souvent être généralisée.
Jean-Luc TRANCART
Quand je commence mon cours à Sciences Po sur la politique de l’eau, je dis à mes
étudiants que le premier problème de l’eau dans le monde, ce ne sont pas les inondations,
les bidonvilles, l’accès ou l’irrigation, mais ce sont les idées générales. Je voudrais
remercier notre panel parce qu’il nous a fait échapper aux idées générales.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Présentation de la chaire Eau pour Tous
Jean-Antoine FABY
Directeur de la chaire Eau pour Tous, AgroParisTech
Créée en 2009, la chaire ParisTech-SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour Tous repose
sur deux piliers. Le premier est la formation de futurs managers de sociétés d’eau et
d’assainissement dans les pays émergents, en développement ou en transition. Treize
d’entre eux sont présents aujourd’hui, au titre de la cinquième promotion. Le deuxième
pilier est la recherche. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est aussi pour alimenter la
réflexion sur ce que pourraient être les projets de recherche soutenus par la chaire Eau
pour Tous.
Deux mondes se confrontent, celui des opérationnels et celui des chercheurs. Parmi
les mots qui ont été évoqués au cours des débats, j’ai retenu les mots « transformer » et
« performer ». Performer est un verbe qui ne se dit pas en français, mais il se dit en
anglais. Je le prends dans un sens qui est autre que celui évoqué : cela signifie former de
part en part ou donner tous les moyens, dans toutes les composantes managériales, pour
pouvoir exercer la fonction de manager en bonne connaissance de cause, mais cela
signifie aussi en vieux français l’accomplissement total de soi. Je tenais à cette précision
car derrière la notion de performance, on trouve la volonté d’aller au bout des choses pour
les hommes et les femmes qui ont en main l’avion dont nous parlions tout à l’heure et qui
vont accomplir leur action en allant au bout d’eux-mêmes.
La formation est réalisée en alternance sur dix-huit mois, en français et en anglais,
avec des promotions qui courent en parallèle. Elle est dispensée par des enseignants
issus du monde professionnel, dont un certain nombre est présent aujourd’hui. Elle porte
sur les domaines suivants : le management clientèle, la connaissance des partenariats
publics-privés, la gestion des coûts et des financements, les méthodes de management et
l’environnement des parties prenantes.
Chacun des auditeurs est tenu d’appliquer l’ensemble de ces enseignements à un
service particulier. Il doit réaliser un diagnostic et élaborer une stratégie pour la mise en
place d’actions, dans une perspective de transformation du service. Ces cadres supérieurs
sont sélectionnés par la Direction générale de leur entreprise. L’Ecole établit un contrat
avec ces sociétés afin que la formation débouche sur un plan d’action qui sera appliqué
par les auditeurs à leur retour au pays.
Tout au long de la formation, l’étudiant navigue entre des échanges conceptuels et
l’application sur le terrain. La chaire Eau pour Tous met particulièrement l’accent sur
l’engagement individuel du manager, pour influer sur le changement et la performance.
A ce jour, après quatre ans d’existence de la chaire, 80 auditeurs ont été formés ou
sont en formation. Pour la plupart, ils occupaient des postes de directeur régional, chef de
service ou ingénieur d’études. De 2009 à 2012, nous avons formé 43 personnes qui ont
été promues, pour certains d’entre eux à des directions de ville d’exploitation générale
auprès du directeur général. Aujourd’hui, nous éprouvons quelques difficultés à recruter à
des niveaux n-1 (directeur régional) car ces personnes ont du mal à se rendre disponibles
pendant trois mois pour suivre la formation à Montpellier. Cela étant, là encore, les
personnes formées continuent à être promues et ont donc un impact sur leur société.
Quarante entreprises nous ont fait confiance sur quatre continents (Europe, Afrique,
Asie, Caraïbes). A titre d’exemple, nous avons formé dix cadres au Rwanda, cinq en Haïti.
Le changement lié à la formation n’est pas évident à mesurer. Pour autant, nous
devons nous attacher à mieux regarder les plans d’action mis en œuvre par nos auditeurs
et leur impact réel sur le terrain. Cette évaluation qualitative n’est pas aisée à réaliser.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Certains des auditeurs évoluent dans un état relativement précaire d’organisation par
rapport aux changements effectifs que nous souhaitons mettre en œuvre. Chacun est dans
une situation particulière et voit sa performance à son niveau. Or, pour vraiment initier un
changement et atteindre la performance, il me semble qu’il faut d’abord une stabilité du
service suffisante pour porter la performance. Il est toujours difficile d’établir une
représentation analytique du chemin vers la performance. Les structures d’origine des
80 élèves qui nous ont rejoints possèdent un potentiel d’organisation plus ou moins
avancé. Dans certains cas le potentiel de changement est présent, dans d’autres il ne l’est
pas. En fonction de ces caractéristiques, nos auditeurs, même s’ils élaborent un plan
d’action, éprouvent des difficultés à obtenir des résultats à leur retour au pays.
Il serait intéressant que les débats de la journée débouchent sur des questions clés de
recherche. Une question m’interpelle profondément : le management des services d’eau et
d’assainissement dans ces pays émergents ou en développement n’attire pas les élites. Je
me demande pourquoi. Bien sûr, des réponses peuvent être données, mais on ne trouve
pas beaucoup d’éléments sur ce sujet dans la littérature.
Nos auditeurs, quand ils reviennent chez eux, se mettent en danger le plus souvent.
Il est difficile d’engager des démarches de performance dans des services installés dans la
routine et qui tournent en rond dans bon nombre de cas. La chaire Eau pour Tous entend
les accompagner dans leur engagement à leur retour au pays.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
L’évaluation innovante de la performance
des services d’eaux
Table ronde 2
Participent à la table ronde :
Pierre BAUBY, Université Paris 8, Sciences Po Paris ;
Ek SONN CHAN, ex-Président-Directeur général, PPWSA, Cambodge ;
Mamadou DIA, Président-Directeur général, Sénégalaise des Eaux, Sénégal ;
Ricardo SANDOVAL MINERO, Mexique ; ex-Directeur général CEAG, MexiqueDoctorant CGS Mines ParisTech ;
Marie-Joëlle KODJOVI, Université Paris 1-Cogite SAS.
La table ronde est animée par Jacques BERTRAND
Président du COS de la Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous.
Jacques BERTRAND
Je préside le Comité d’Orientation Stratégique de la Chaire qui nous rassemble
aujourd’hui. J’y enseigne aussi la planification stratégique, que j’ai moi-même pratiquée
opérationnellement pendant mes trente années professionnelles à la tête de grandes
société et services des eaux, en France et dans d’autres pays.
Voici les questions que je voudrais adresser aux conférenciers de cette table ronde,
chercheurs académiques et grands managers. Dans la performance, qu’est-ce qui se
mesure et qu’est-ce qui ne se mesure pas ? En quoi ce qui se mesure peut-il être un
leurre, puisque cela occulte ce qui ne se mesure pas ? Existe-t-il des indicateurs qui ne
mesurent pas qu’une performance, c'est-à-dire une photographie à un instant, mais une
anticipation de performance, c'est-à-dire un mouvement vers la performance ? Dans quelle
mesure cette performance peut-elle être objectivement évaluée ?
Je ne peux pas ne pas faire un lien entre ces questions et un point qui est ressorti de la
table ronde de ce matin : il y est apparu que les conditions essentielles de la performance,
relevées de manière très convergentes par chacun des intervenant, sont d’abord la volonté
politique, ensuite un cadre institutionnel et de gouvernance adapté, et en troisième lieu une
solidité financière et la capacité à accéder aux financements. Il est intéressant de noter
qu’aucun des indicateurs de performance habituels ne mesure ces éléments.
La parole est aux intervenants pour nous apporter l’éclairage de leurs travaux et de
leurs expériences sur ces questions complexes.
I) Le contrat de performance
Mamadou DIA
La Sénégalaise des Eaux est une société privée de droit sénégalais, dont le capital est
détenu à hauteur de 53 % par des privés professionnels, 33 % par des privés sénégalais,
5 % par le personnel et 5 % par l’Etat du Sénégal. Elle gère 56 centres urbains et
400 villages. Elle emploie 1 147 agents et sert 592 000 clients. 5,5 millions d’habitants au
Sénégal sont approvisionnés à partir du réseau de la Sénégalaise des Eaux.
Pour parler des performances, il faut d’abord rappeler le contexte et le diagnostic qui a
été réalisé. Autrefois, le Sénégal souffrait de ruptures fréquentes d’approvisionnement en
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
eau (le déficit sur la capitale atteignait 5 000 mètres cubes/jour), de besoins
d’investissement très importants (de l’ordre de 100 millions de dollars), de difficultés
financières pour faire face à l’ensemble des obligations, de la surexploitation de la
ressource et de consommations très élevées (notamment au niveau de l’administration
sénégalaise).
Fort de ce diagnostic, le gouvernement a pris des orientations stratégiques qui ont
consisté à impliquer le secteur privé dans la gestion de l’eau, mettre en place un
programme ambitieux d’investissement et maintenir les tarifs à des niveaux socialement et
politiquement acceptables pour atteindre l’équilibre financier du secteur. La stratégie
d’intervention du gouvernement consistait à se désengager des activités commerciales et
de production, de rester propriétaire de l’infrastructure et de réduire la pauvreté en
permettant aux ménages à faibles revenus d’avoir accès à des services d’eau potable et
d’assainissement. Cette stratégie se matérialisait dans des plans d’action qui devaient
permettre de réduire les consommations de l’administration, de diminuer les volumes d’eau
potable utilisés pour le maraîchage, d’assurer le paiement à due date et l’équilibre financier
de la société.
Suite à un appel d’offres international, une délégation de gestion a été mise en place,
avec un contrat d’affermage entre d’une part l’Etat du Sénégal et d’autre part la société
d’exploitation et la société de patrimoine, ainsi qu’un contrat de performance entre la
société d’exploitation et la société de patrimoine. Ce contrat de performance a été établi
sur la base d’un benchmarking international (auprès de la Gambie, de la Côte d’Ivoire et de
la Guinée) et du point zéro constaté au niveau du Sénégal.
Il est important de retenir qu’il n’existe pas de schéma unique : le schéma doit être
adapté au contexte local. C’est en cela que l’environnement du pays dicte les règles. Tout
à l’heure, il a été dit combien il était important que ce schéma ait pour soubassement la
bonne gouvernance et une forte volonté politique. D’ailleurs, à ce titre, la bonne
gouvernance constitue un élément essentiel, même si elle est parfois difficilement
mesurable. Qu’est-ce qui fonde la bonne gouvernance ? Est-ce la lutte anti-corruption, une
charte éthique ou un ensemble de comportements et d’attitudes des managers au sein de
l’entreprise ? De la même manière, la volonté politique est un élément important.
La réussite de la Sénégalaise des Eaux est liée à la forte volonté politique du
gouvernement. Mais là aussi, la mesure de la volonté politique est excessivement difficile.
Doit-on la mesurer par le nombre de conflits entre l’autorité affermante et le délégataire ou
par d’autres critères ? En tout cas, il s’agit d’une condition essentielle de la performance.
Le schéma institutionnel mis en place s’est accompagné d’un contrat de performance
sur les aspects techniques, la qualité de l’eau, la qualité de service et les aspects
financiers. Cela a conduit à déterminer l’ensemble des éléments mesurables permettant de
rendre compte de l’efficacité du service public d’eau. C’est dans ce cadre que des critères
techniques ont été définis, tels que le rendement des réseaux, l’indice des pertes linéaires,
la qualité bactériologique de l’eau (avec un nombre d’échantillons conforme aux
recommandations de l’OMS), la qualité physico-chimique, la qualité du service, le
renouvellement du réseau et les aspects financiers (notamment la redevance payée par la
société d’exploitation à la société de patrimoine).
Il a été recherché un équilibre financier du secteur, qui donne la capacité à la société
de patrimoine à emprunter directement auprès des banques et assurer le service de la
dette. Il me semble qu’il s’agit d’un point très important. Le fait qu’une société de
patrimoine parvienne, à partir de la redevance, à faire face aux emprunts et à construire
les installations dans les délais, est un critère d’efficacité excessivement important.
Sur l’ensemble des critères de performance mis en place, deux comportaient un
dispositif de bonus/malus. Le premier était le rendement des réseaux. Il était fixé à 85 %,
avec application d’un bonus au-delà et d’un malus en-dessous. Le second indicateur était
le taux de recouvrement. Ce dernier, qui avait été fixé de façon progressive (95 % la
première année, 96 % la deuxième et 97 % la troisième), était également associé à un
système de bonus/malus.
Paris, le 25 avril 2013
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d’études
La nature du contrat d’affermage de la Sénégalaise des Eaux avec l’Etat du Sénégal
nécessite une amélioration constante des performances et donc une analyse régulière de
ces performances. Les ressources humaines sont au cœur de cette dynamique, reposant
essentiellement sur un management et un cadre nouveau favorisant la quête de la
performance.
L’entreprise a adopté dès le départ une démarche structurée avec des étapes bien
définies. La première étape est l’analyse des contraintes. Je ne m’attarderai pas sur ce
sujet. Beaucoup de contraintes au démarrage ont fondé notre décision à aller vers des
actions d’optimisation de la performance.
La seconde étape est le développement de nouvelles valeurs et d’une nouvelle culture.
Il fallait créer un environnement propice à la réalisation des performances : développement
de nouvelles valeurs et comportements, nouvelle culture de groupe et changement de
mentalité, création d’un nouvel environnement de travail, développement d’un sentiment
d’appartenance, mobilisation du personnel autour de valeurs fortes.
Par la suite, six domaines de formation prioritaires ont été identifiés. Il fallait faire en
sorte que s’opère un renforcement des capacités. 17 % du personnel n’était pas
alphabétisé. Il a donc fallu mettre en place des cours d’alphabétisation.
Toutes ces actions ont permis d’avancer rapidement et de créer un projet mobilisateur
pour le personnel, générateur de gains de productivité rapides et significatifs, novateur en
termes d’écoute et de satisfaction des nouvelles exigences du client consommateur, et
mettant en valeur le savoir-faire national.
La finalité d’un service public est de placer le client au cœur de ses préoccupations.
Il faut que le client soit satisfait et que des mesures de satisfaction soient faites
régulièrement par un cabinet indépendant. Ceci a conduit l’entreprise, en 2000, à entrer
dans la démarche ISO 9001 version 2000, non pas en termes de management par la
qualité mais en termes d’amélioration continue.
Toutes ces actions ont entraîné une révolution dans la définition et le déploiement de la
politique. A partir des contrats et notamment du contrat de performance, des axes
stratégiques sont définis par l’entreprise, avec des axes stratégiques sectoriels, une lettre
d’engagement et une déclinaison par entité et service. La Sénégalaise des Eaux a ainsi
découpé l’ensemble de son activité en trois processus clés et des processus supports.
A chaque processus clé ont été associés des indicateurs d’efficacité mais aussi des
indicateurs de surveillance. Les indicateurs sont-ils pertinents ? Vont-ils permettre
d’atteindre la performance ? D’où la nécessité d’une surveillance et d’une révision
périodique des indicateurs.
Chaque année, une lettre d’engagement est publiée, qui donne l’ensemble des
objectifs assignés. Un contrat d’objectifs est défini pour chaque agent de l’entreprise. Il part
des objectifs généraux définis dans la lettre de cadrage stratégique. Par exemple,
s’agissant du rendement du réseau, un technicien doit exécuter intégralement le planning
de maintenance du réseau, remettre systématiquement le réseau en état dans un délai de
huit heures, contrôler à 100 % la qualité des réparations, etc. Tous ces objectifs individuels
participent à la réalisation de l’objectif global de rendement du réseau.
Les contrats d’objectifs, les fiches de poste, les grilles d’évaluation et l’entretien annuel
d’évaluation constituent la base de l’évaluation des performances de chaque agent de
l’entreprise. Ils permettent également d’établir une rémunération au mérite.
Chaque poste de l’entreprise dispose d’une fiche de poste qui comprend des critères
articulés autour du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. Nous avons jugé en effet qu’il
était indispensable de créer un environnement qui permette à chacun de connaître ses
obligations et responsabilités au sein de l’entreprise. Les performances se fondent sur la
capacité managériale des dirigeants, mais aussi sur la capacité à impulser, à animer et à
sensibiliser les équipes. D’où l’importance capitale accordée aux ressources humaines.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
L’atout concurrentiel d’une entreprise ne réside pas dans les machines, ni dans
l’information ou les financements. Quand un projet est rentable, il est toujours possible de
trouver de l’argent auprès des institutions financières. L’atout concurrentiel est avant tout la
qualité des ressources humaines. C’est ce qui fait la différence entre les entreprises et la
différence dans la performance. Pour cette raison, nous nous sommes engagés dans une
démarche de certification. Depuis 2010, l’Entreprise est ainsi certifiée ISO 14001 et
OHSAS 18001. Elle s’est également engagée dans une démarche sécurité. Au cours des
premières années d’existence de l’entreprise, les sites pilotes engagés dans la démarche
n’ont connu aucun accident.
On ne peut pas atteindre la performance sans innover, sans créer, sans utiliser des
outils modernes de gestion. Aujourd’hui, pour augmenter sa réactivité en matière
d’intervention chez le client, la Sénégalaise des Eaux a mis en place un cockpit de
supervision et un dispositif GPS pour l’ensemble de ses véhicules. Les magasins sont ainsi
pré-localisés avec une intégration d’une cartographie informatisée, afin de faciliter le
pilotage des équipes sur le terrain. Nous avons d’ailleurs mis en place un indicateur de
performance mesurant la réactivité : une fuite déclarée doit être isolée dans les deux
heures et réparées dans les huit heures. De même, un call center permet depuis 2004 de
recevoir les appels de l’ensemble des clients et de les « dispatcher »aux équipes sur
le terrain. En 1996, le service public d’eau comptait 57 ordinateurs ; aujourd’hui, il en
compte 672. Il a donc fallu changer radicalement l’environnement de travail pour atteindre
les performances souhaitées.
Ces outils ont permis d’augmenter de manière significative la productivité. Il faut dire
qu’en 1996, la société comptait 1 394 agents ; aujourd’hui, elle en emploie 1 147.
Nous sommes ainsi passés d’un taux de 5,7 à 2,08 agents pour mille clients, soit une
performance remarquable.
En 1996, le taux d’accès à l’eau était de 80 % ; aujourd’hui, il est de 98,8 %, grâce à
une politique de branchements sociaux qui permet d’atteindre les populations démunies
dans les zones périurbaines et dans les villages. 172 000 branchements sociaux ont été
financés entre 1996 et 2012. Aujourd’hui, dans les villes du Sénégal, 88 % accèdent à
l’eau par branchement particulier et 10,2 % par fontaine. La production est passée de
96 millions de mètres cubes en 1996 à 153 millions en 2012, le rendement des réseaux de
68,2 % à 80,12 %, le taux de conformité bactériologique de 92 % à 99,3 %, le taux de
recouvrement des factures de 91 % à 98,16 %, et le nombre de clients de 241 000 à
592 000. Toutefois, ces performances ne sont pas immuables. Elles doivent faire l’objet
d’une évaluation constante. D’où la nécessité de réaliser des revues de processus,
d’examiner leur évolution sur plusieurs années et d’éventuellement initier des mesures
correctives. Les performances sont-elles pertinentes ? Traduisent-elles réellement la santé
de l’entreprise, aussi bien en termes technique qu’en termes de qualité de service ou
financiers ? Il convient également de s’interroger régulièrement sur la pertinence des
performances, afin qu’elles traduisent à chaque instant la réalité de l’Entreprise et éviter de
tomber dans l’autosatisfaction.
Il faut mesurer les performances. Même si la mesure n’est pas satisfaisante, elle
permet d’améliorer et de progresser. Il est important de mettre en place l’ensemble des
mesures qui permettent de redresser un indicateur lorsqu’il est à la dérive. Il faut
également que les performances aient un caractère durable. De plus, la résolution des
problèmes doit se faire au niveau le plus pertinent. D’autre part, il existe des limites
financières. Dans le cas du Sénégal, ces limites sont les charges de renouvellement du
réseau et les charges liées à la société de patrimoine. La pérennité d’une entreprise
repose sur la capacité à mettre en place sept à dix indicateurs objectifs et pertinents
permettant de mesurer la santé de l’entreprise. Enfin, l’atteinte de la performance ne peut
être obtenue que sur la base d’un dialogue social de qualité.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Jacques BERTRAND
Alors, pour paraphraser Churchill et te paraphraser également, les indicateurs de
performance sont la pire des choses mais il n’y en a pas de meilleures !
II)
Les mesures d’évaluation de la performance
Pierre BAUBY
Je vous remercie pour l’invitation car des lieux comme ceux-ci qui soient
transdisciplinaires, trans-institutionnels, trans-secteurs et transnationaux, sont rares. Je ne
suis pas un spécialiste de l’eau, je suis plus un généraliste des services publics ou de ce
qu’on appelle les services d’intérêt général. Suivant depuis plus de vingt ans ces enjeux au
plan européen, j’ai été amené à travailler sur l’eau, notamment dans le cadre de l’étude
Euromarket il y a dix ans mais aussi dans le cadre d’une série de travaux récents.
Je souhaite non pas proposer des recettes, mais donner la toile de fond de la
problématique abordée cet après-midi, à savoir sur ces enjeux de mesure et d’évaluation
de la performance.
Je voudrais commencer par un petit graphique sur la gouvernance. Je considère que
la gouvernance n’est ni hiérarchique, ni linéaire : elle est un mouvement circulaire.
On parle ainsi d’un cercle vertueux de la gouvernance.
La gouvernance s’appuie en premier lieu sur une élaboration partenariale et
participative des objectifs de fonctionnement d’un système. Sur cette base, il s’agit de
déterminer, au cas par cas, quel est le territoire le plus pertinent pour traiter d’un enjeu ou
d’une question et, à partir de là, définir l’autorité organisatrice, c'est-à-dire l’autorité
publique responsable, celle qui va rendre les arbitrages. Après avoir défini les objectifs et
l’autorité organisatrice, il convient en troisième lieu d’organiser la coopération partenariale
de tous les acteurs concernés, à savoir construire ensemble une gouvernance multiniveaux, multi-acteurs, coopérative et partenariale.L’étape suivante est la mise en place de
relations non hiérarchiques entre tous les niveaux et tous les acteurs, et une mise en
œuvre au plus près du terrain. Puis vient la définition d’une régulation au sens large et la
mise en œuvre d’une évaluation multicritères et multi-acteurs, cette dernière visant à
définir des conditions d’amélioration, de modernisation et d’adaptation au changement des
besoins et aux préférences des utilisateurs. L’évaluation débouche sur de nouveaux
objectifs et s’instaure ainsi un cercle vertueux de la gouvernance.
Le deuxième schéma correspond à ce que j’appelle le carré magique des services
publics. Quand on parle de services publics, on conjugue des réflexions générales pour
tous les secteurs, des logiques sectorielles et enfin les histoires et institutions nationales.
Chaque Etat a construit dans la longue durée son système de services publics, qui
continue et qui continuera à marquer en profondeur l’organisation, le fonctionnement, les
performances et l’évaluation du secteur en question pendant des décennies. Ainsi, en
Europe, après vingt-cinq ans de marché unique, on continue à avoir des organisations très
différentes de l’eau ou de l’électricité entre la France et l’Allemagne.
Cela dit, si le carré magique comporte trois dimensions, il possède quatre coins. En
effet, quand on parle d’un service d’intérêt économique général, on est tout de suite
confronté, en particulier en Europe, aux enjeux de marché intérieur et de droit de la
concurrence. C’est un des coins du carré magique que l’on ne peut pas faire disparaître :
les services d’eau ne sont pas hors marché. Un autre coin du carré correspond aux
obligations de service public, qui relèvent du droit d’accès de chacun à l’eau (ou à d’autres
services), de critères de solidarité et de la préparation du long terme (développement
durable). Les tensions sont nombreuses entre le marché d’un côté et les obligations de
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
service public de l’autre. Le troisième pôle est le principe de subsidiarité : tout ne dépend
pas de règles européennes ou nationales, mais aussi des collectivités territoriales qui ont
une compétence évidente d’organisation en la matière. Là aussi, des tensions se font jour.
En effet, si l’on respecte le principe de subsidiarité local, on crée des tensions avec le
marché intérieur et les obligations de service public. Le quatrième pôle est la politique
européenne de cohésion, qu’elle soit économique, sociale, territoriale ou
environnementale. La cohésion suppose des règles de solidarité qui ne sont ni la
transposition des règles de marché, ni les obligations de service public, ni la subsidiarité.
La cohésion dépasse le cadre de chaque territoire. Quand on parle de services publics,
d’eau, d’assainissement ou d’autres domaines, il faut toujours avoir en tête ces quatre
pôles. Cela signifie que des évolutions sont possibles dans le temps et dans l’espace.
Il faut sans arrêt trouver le rapport le plus efficace entre ces quatre pôles.
Lors de mes travaux, j’ai été confronté à des affirmations péremptoires en matière de
comparaison des prix de l’eau. J’invite à la plus grande prudence dans ce domaine. Je
partirai de cet exemple pour préciser la manière dont peut être menée la mesure de la
performance. Les comparaisons en termes de prix ne sont pas pertinentes dans l’espace
mais seulement dans le temps, pour le même service et dans la même aire géographique.
Toute comparaison entre caractéristiques différentes n’est pas pertinente. En effet, les
coûts de l’eau dépendent d’une série de facteurs : la situation géographique, le bassin,
la densité de population, la taille du service, le type d’habitat, les niveaux de revenus des
habitants, etc. Certains ont tendance à mettre en avant un raisonnement toutes choses
égales par ailleurs. Pour ma part, je suis extrêmement réservé sur cette formule, au moins
dans un secteur comme celui de l’eau. La notion de « toutes choses égales par ailleurs »
signifie qu’il faudrait parvenir à quantifier chaque facteur que je viens de lister et leur
donner une valeur qui rende les comparaisons possibles. Cet exercice me semble bien
délicat. Aujourd’hui, dans les recherches que je conduis dans le domaine de l’eau,
je préfère examiner la part du budget des ménages consacrée à l’eau et son évolution.
Jacques BERTRAND
Je retiens notamment la notion d’acteurs multiples, que je rapproche du champ des
biens communs. Je me demande si l’absence de demande, dont parlait Richard Franceys,
n’est pas en fait une absence de capacité de ces acteurs à exprimer ensemble une
demande, sachant que cette demande les concerne tous, mais s’exprime différemment
pour chacun.
III)
Les indicateurs de performance
Ricardo SANDOVAL MINERO
Je reviens d’abord sur la définition en trois mots des conditions pour atteindre une
performance durable. A mon avis, la volonté politique et la gouvernance sont deux choses
différentes. Le précédent orateur vient d’en dire la raison. Une des caractéristiques des
pays émergents est le fait que rien ne peut s’y passer sans une volonté politique. Rien de
ce qui a été accompli ne peut durer sans une volonté politique. Cela renvoie au thème de
ma recherche qui est le rôle de la culture civique de la population dans l’atteinte de
performances durables. Lors de toutes les sessions du Forum Mondial de l’Eau, nous
avons tous entendu des exemples de réussites notables. Mon propos n’est pas de
remettre en cause la véracité de ces témoignages, mais plutôt de se demander pourquoi
dans un même environnement institutionnel, certains connaissent des réussites
exemplaires et d’autres des échecs cuisants.
J’ai eu la chance de travailler dans le service public. J’ai été chargé d’une commission
de l’eau pour l’Etat du Guanajuato, en charge d’un soutien technique pour des opérateurs
municipaux. Parmi ses différentes activités, cette commission effectuait une récolte des
données, publiait des indicateurs, donnait des prix pour récompenser la performance des
opérateurs. C’est à ce moment-là que je me suis interrogé sur le rôle des indicateurs dans
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
la construction d’une société de services. Beaucoup de propositions ont été formulées sur
ce sujet, par exemple la création d’observatoires citoyens de l’eau. J’ai eu d’ailleurs la
chance d’être associé à un projet de cette nature. Il a également été demandé à la
commission de donner un avis sur une évaluation objective de la capacité d’un système
pour atteindre une bonne performance durable.
Comme il l’a été dit précédemment, l’évaluation est multicritères. Même si certains
indicateurs sont déjà fixés (qualité de l’eau, continuité, etc.), d’autres doivent faire l’objet de
compromis. A titre d’exemple, dans un système de distribution, des compromis doivent être
trouvés entre la continuité et les impératifs de maintenance. Il n’est pas évident de mettre
en place un ensemble d’indicateurs. En effet, l’évaluation est non seulement multicritères
et multi-acteurs, mais elle pose un problème de temporalité. Ainsi, la performance d’un
opérateur peut être affectée par des décisions prises il y a dix ans.
Il est donc très délicat de parvenir à une évaluation objective de la performance.
En outre, la détermination des indicateurs de performance dépend de l’usage qu’il en est
fait. Leur fonction est très différente selon qu’ils sont destinés par exemple au pilotage
d’une entreprise ou à un projet d’amélioration de la performance. Ils peuvent aussi servir à
instaurer un système d’incitation et de pénalisation interne à destination des collaborateurs
de l’entreprise.
Les indicateurs peuvent également jouer un rôle pour mobiliser les populations autour
d’une ambition commune, concevoir un but partagé et dessiner des moyens pour
l’atteindre. C’est une chose très différente que de demander à la population quelles sont
ses attentes à l’égard d’un service que de les informer et faire évoluer leurs attentes vers
un niveau différent. Ainsi, si durant un processus d’amélioration de la performance,
les opérateurs travaillent également à la construction des attentes de la population, on peut
penser que même si la volonté politique change, la demande aura été créée.
Je rappellerai les propos de Paul-Marie Boulanger. Selon lui, un système d’évaluation
fondé sur des indicateurs ne peut être efficace qu’à trois conditions : la rigueur
scientifique ; la légitimité démocratique, c'est-à-dire la capacité d’un système d’indicateurs
à refléter des buts et significations partagés entre l’opérateur et l’autorité, mais aussi avec
la population ; l’efficacité politique. Parfois, les indicateurs n’ont pas été construits avec
toute la rigueur scientifique requise, ni avec la participation des parties prenantes, mais ils
ont une efficacité politique parce qu’ils provoquent une réaction. Par exemple, la
publication des prix de l’eau provoque une réaction, même si elle repose sur des
comparaisons hasardeuses.
Au Mexique, des organismes comme l’Institut national des statistiques, l’Institut
mexicain des technologies de l’eau ou la Commission nationale de l’eau font des efforts
pour élaborer des indicateurs, produire des statistiques et les utiliser pour orienter les
politiques publiques. Des organisations de la société civile et des entreprises effectuent par
ailleurs des benchmarkings. Il convient de citer également la mise en place de cadres
d’incitation : par exemple, les sociétés qui affichent les meilleures performances reçoivent
un soutien budgétaire. Cependant, toutes ces initiatives restent limitées car nous ne
disposons pas d’un bon système d’évaluation, qu’il soit économique, technique ou de
satisfaction des usagers. La plupart des indicateurs ont échoué faute de fondements
techniques pertinents, de légitimité démocratique et d’efficacité politique. Puisque la
mesure de la performance n’est pas liée aux allocations budgétaires, au financement ni à
la responsabilisation des cadres ou des politiciens, des conséquences concrètes ne se
produisent pas et les services n’évoluent pas.
Un indicateur, c’est avant tout de l’information. Il s’agit d’une information qui a pour but
de produire une conséquence. Tout système d’indicateurs doit être clair sur les
conséquences que l’on souhaite obtenir. Il est également important que les indicateurs
aident le système à ne pas dépendre de la volonté politique mais de la gouvernance, de
façon à obtenir une performance qui soit réellement durable.La recherche peut fournir des
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
innovations pour améliorer la chaîne du mesurage de la performance, son évaluation, la
communication avec les parties prenantes et l’induction d’une réaction qui conduise les
services envers une performance durable. L’exploration des méthodes de l’école
francophone d’aide à la décision multicritère (ELETRE, PROMETHEE) pour la construction
des méthodes pour le changement social, peut donner des pistes pour utiliser les
indicateurs de performance comme la colonne vertébrale d’une meilleure gouvernance
des services d’eau.
Jacques BERTRAND
Ce nouvel éclairage, assis à la fois sur de la recherche et de l’expérience, est
intéressant. Vous vous êtes attaché à penser l’aspect multi-acteurs ainsi que la difficulté à
faire se rejoindre ces derniers dans l’expression de leur demande et leur volonté
d’appréciation de la performance à travers les indicateurs. Vous avez également soulevé la
complexité liée au temps dans le domaine de l’eau. Il reviendra à Marie-Joëlle Kodjovi
d’éclairer un nouvel aspect de cet objet.
Marie-Joëlle KODJOVI
J’ai choisi de vous présenter des résultats de mes travaux de recherche et d’une étude
menée à la demande de la région Ile-de-France concernant l’intégration du développement
durable dans les services d’eau et d’assainissement. Comment cette intégration conduit à
repenser la performance des services ?
Certains travaux de recherche soulignent combien la mise en œuvre du
développement durable passe par un changement de pratiques dans les services publics,
impose de nouvelles contraintes et un cadre de réflexion renouvelé. Cela est
particulièrement vrai pour les services d’eau et d’assainissement.
En quoi cette prise en compte modifie-t-elle la perception de la performance,
notamment par les usagers ? Elle implique de considérer un certain nombre d’attentes
sociales, donc d’objectifs, et de repenser la relation entre les autorités publiques et les
citoyens. Cette démarche aura un impact direct sur la régulation et la performance du
service. De plus, la perspective du développement durable conduit à tenir compte d’autres
objectifs, tels les interactions entre les acteurs ou le lien entre les grand et petit cycles, qui
rattrapent les performances techniques et économiques.
Que cherche-t-on à évaluer ? Assise sur trois piliers – social, économique,
environnemental -, l’évaluation s’intéressera au caractère équitable, viable et vivable du
service. Cette conjonction des trois aspects entraîne un changement de perspective et une
évaluation du service sous un autre angle. Alors qu’une évaluation classique s’intéressera
principalement à l’exploitation du service, donc au lien entre le maître d’ouvrage et
l’exploitant ou la performance de celui-ci, nous considérons la relation créée entre l’usager
et l’autorité responsable, qui s’inscrit notamment dans l’environnement de ce service. Ce
changement de perspective conduit donc à une évaluation beaucoup plus large.
La région Ile-de-France souhaitait déconstruire la façon dont les services étaient
habituellement audités, c'est-à-dire selon les trois dimensions technique, juridique et
financière. En menant un audit selon les dimensions sociale, économique et
environnementale, nous visons une vision globale ainsi qu’à une redéfinition du service, en
repensant son périmètre ou son objectif. Par exemple, l’examen de la soutenabilité sociale
suppose notamment d’étudier les actions de communication et d’information des usagers :
ceux-ci se montrent tous désireux de connaître ce que recouvre le prix du service qu’ils
paient. Il faut de plus envisager les mesures prises en faveur des usagers en difficulté.
Le développement durable est-il une question qui ne se pose qu’aux pays riches ? La
question se pose-t-elle de la même manière pour un service en train de se construire et où
les problèmes techniques sont nombreux ? S’inscrire dans un système pérenne suppose
de prendre en compte non seulement la viabilité du service, mais aussi la vie des usagers.
Paris, le 25 avril 2013
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d’études
Le dialogue social constitue ainsi une des conditions de la pérennité du service, y compris
dans les pays en développement.
En France, on peut notamment étudier le respect des obligations légales et
réglementaires en matière d’informations sur la qualité, la gestion ou le prix, ainsi que les
comptes rendus à travers le rapport annuel ou le système d’information des systèmes
d’eau et d’assainissement. En ce qui concerne la démocratie participative, une loi oblige en
France les services, au-delà d’une certaine taille à créer une commission consultative des
services locaux. Pourtant, ce dispositif inscrit dans la loi n’est pas toujours mis en place
dans les faits. D’autres dispositifs peuvent être créés par les opérateurs privés ou les
pouvoirs publics. La qualité de la participation est souvent variable. Dans le cadre de ma
thèse, j’avais étudié différentes commissions consultatives, dont les missions fixées par la
loi sont limitées, pour évaluer si une coopération apparaissait en leur sein, en prenant en
compte les activités extralégales, la proportion d’associations présentes (qui est décidée
par l’autorité publique), les éventuels conflits pouvant surgir ainsi que les adaptations
mises en place. Le degré d’ouverture du dispositif a été mesuré, en tenant compte des
barrières à l’entrée, de la diffusion des informations internes ainsi que de l’éventuelle
consultation des usagers qui ne participent pas au service, afin d’intégrer leurs remarques
à la commission consultative.
Jacques BERTRAND
Après le diagnostic, vous proposez des outils, pour faire intervenir des acteurs non
directement contractuels dans le jeu global. Je me demande si cette démarche a produit
des effets, si des conséquences ont été enregistrées.
Ek SONN CHAN
Je ne suis ni chercheur, ni professeur, mais opérateur durant longtemps d’un service
public de l’eau. Actuellement en retraite de la fonction publique, je travaille comme
politicien. Le travail dans un bureau diffère radicalement de la présence sur les chantiers.
Les réformes du système d’assainissement de Phnom Penh ont été menées dans un
contexte bien particulier. La capitale du Cambodge a en effet connu de tristes
événements : elle a été le champ de bataille de la guerre. L’office des eaux a été créé en
1993, avec l’aide de consultants français. L’infrastructure et les bâtiments se trouvaient
dans une situation très délabrée, avec de nombreux tuyaux et pompes apparents. La
production, de 65 000 mètres cubes, ne couvrait à cette époque que 40 % des besoins de
la ville et seuls 20 % de ses habitants étaient connectés au système d’approvisionnement
d’eau. L’eau n’était fournie que 10 heures par jour, à près de 26 000 consommateurs alors
que nous ne pouvions recueillir les paiements que de 48 % de nos clients. La fourniture
d’eau se trouvait bien en deçà des besoins et la société était considérée comme étant en
faillite.
L’Office des eaux de Phnom Penh a dû prendre une décision. Pour installer un tuyau
de 100 mètres de long, trois ministères devaient coopérer, ce qui diluait les
responsabilités. La promotion des services n’était pas fondée sur les résultats mais sur les
relations des différents responsables publics. De même, les employés étaient recrutés en
fonction de leur réseau. Recueillir l’argent des factures représentait une tâche complexe.
Le pays était alors frappé d’embargo, ce qui signifie qu’aucune assistance n’était possible
et qu’aucun consultant ne montrait la voie. Seule la Russie maintenait des contacts avec le
Cambodge : elle a notamment travaillé à la construction d’un hôpital.
En 1993, après mon élection, de nouveaux partenaires, notamment français, se sont
joints à nos programmes. L’Etat était en reconstruction mais comprendre les problèmes ne
suffit pas. Il faut manifester de la volonté. Nous étions déterminés à offrir de l’eau propre à
chacun et avons mis en place un modèle visant notamment à impliquer les jeunes, à
améliorer les performances et le recouvrement des factures. Nous avons également réduit
la quantité d’eau ne générant pas de revenus et amélioré les compétences de nos
équipes. A Manille, 50 000 dollars sont dépensés pour l’eau. Nous utilisons cette même
Paris, le 25 avril 2013
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d’études
somme pour construire des logements pour nos équipes, afin de motiver celles-ci. Une
bonne performance requiert trois conditions. Si une seule est réunie, comment
parviendrons-nous à de bons résultats ?
Nous avons également amélioré la confiance du public, par une transparence accrue
et un service client fonctionnant 24 heures sur 24. Dans l’appartement de ma fille, l’eau est
disponible à toute heure de la journée. Si un problème survient, des techniciens se rendent
chez l’habitant pour le résoudre, à tout moment. Nous fournissons environ
10 000 connexions au réseau d’eau pour les plus démunis. Concernant la durabilité, nous
améliorons l’accès au service, qui s’est bien étendu : nous couvrons actuellement près de
90 % de la région de Phnom Penh.
Quant à la base clients, elle a augmenté de 800 % depuis 1993. De même, l’efficacité
en termes de recouvrement s’est accrue : tout le monde paie sa facture. Cela n’a pas été
simple car le recouvrement soulève de nombreuses difficultés, notamment dans des pays
comme le Cambodge. Il faut faire en sorte que les plus pauvres paient leur facture d’eau,
et que les ministres, en faisant de même, donnent l’exemple. Nous avons atteint l’objectif
d’un taux de factures payées de 99,9 %. Certains d’entre vous ne le croiront peut-être pas.
Pourtant, cette société est cotée en bourse et auditée à intervalles réguliers par des
experts internationaux. Nous avons considérablement diminué le volume d’eau qui ne
génère pas de revenus.
S’agissant des résultats financiers, le taux de retour sur investissement annuel s’élève
à environ 26 %. La diapositive montre l’augmentation de la capacité d’autofinancement
entre 1993 et 2011. Pour le premier projet d’amélioration du réseau, il nous a été difficile
de convaincre l’AFD pour un prêt de 15 millions de dollars. Pourtant, en 2010, nous avons
reçu le premier emprunt direct auprès des institutions françaises. Nous travaillons à
présent de manière continue sur ce prêt. Notre capacité d’autofinancement atteint 40 % du
montant du projet.
La comparaison avec les différentes sociétés de la région fait apparaître des
similitudes avec Singapour et Tokyo. En ce qui concerne les pertes, nous talonnons
Singapour. L’eau est potable, à Phnom Penh, ce qui surprend de nombreux interlocuteurs.
Personne ne croit que dans la capitale du Cambodge, il est possible de boire l’eau du
robinet. Pourtant, c’est le cas depuis une dizaine d’années. Nous avons également reçu
une reconnaissance internationale. Nous avons mis en place un tableau de bord afin de
suivre les principaux indicateurs. Alors que nous disposions de 20 employés pour
1000 connexions, nous avons réduit ce nombre à 2,75. Nous n’embauchons pas de soustraitants et faisons tout nous-mêmes, de la pose des tuyaux à la gestion administrative en
passant par la construction et le jardinage. En ce qui concerne les résultats financiers,
vous pouvez constater que nous avons considérablement amélioré notre retour sur
investissement. En 1993, le gouvernement japonais nous avait fourni 50 000 dollars pour
payer nos fournisseurs de produits chimiques. En quittant mon poste, j’ai laissé 15 millions
de dollars de liquidités à la banque. Quel est dès lors l’intérêt d’emprunter auprès de
partenaires extérieurs ? En effectuant ces emprunts, nous devons nous assurer que les
règles seront respectées et qu’aucune ingérence politique n’interviendra au niveau local.
Ces conditions permettront de garantir la qualité des investissements. Dans le même
temps, certains indicateurs ne peuvent être mesurés.
Comment atteindre ces objectifs de performance ? Nous avons tout d’abord besoin
d’être disciplinés. Le film Nous étions soldats propose une solide réflexion sur la notion de
dirigeant. Quelles sont les qualités d’un chef ? Dans cette œuvre, inspirée d’une histoire
vraie, il est montré que le changement de dirigeant a suffi pour gagner une bataille, au
Vietnam. Outre le dirigeant, la transparence, la reddition de comptes et la lutte contre la
corruption constituent d’autres pierres d’achoppement.
Parmi les facteurs de réussite, on compte ainsi la volonté politique - sans laquelle
aucun résultat ne peut être obtenu -, le leadership, la motivation des équipes et le soutien
financier. Si de mauvaises performances sont obtenues, il sera très difficile d’être financé.
Parfois, les problèmes de financement résulteront aussi d’interférences politiques.
Paris, le 25 avril 2013
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d’études
En conclusion, je rappellerai qu’en 2001, nous avons raccordé une zone rurale à l’eau,
avec l’assistance du FMI. J’ai demandé à deux enfants s’ils constataient une différence
avec la situation antérieure. L’un d’entre eux a répondu qu’autrefois, sa mère le laissait se
laver une fois tous les trois jours alors qu’à présent, elle le force à se laver trois fois par
jour. L’anecdote montre la performance de l’organisation et la manière dont celle-ci a
changé la vie de nombreuses personnes.
Jacques BERTRAND
Cette présentation constitue un éclairage supplémentaire des exposés précédents, en
même temps qu’il en confirme plusieurs points. La notion de confiance semble centrale
pour engager un processus de transformation
Débat
Mamadou DIA
Monsieur Bauby a évoqué une possible comparaison entre services publics d’eau dans
un périmètre et des conditions similaires. Dans le cadre du Cambodge, l’Office des eaux
gère-t-il uniquement l’approvisionnement en eau de la ville de Phnom Penh ou également
du reste du pays ? Comment l’Office a-t-il pu influencer les autres services pour les
entraîner vers la performance ?
Ek SONN CHAN
En France, il est de tradition que l’eau soit gérée localement. Le Cambodge étant un
pays francophone, nous avons suivi cette pratique. En matière de distribution d’eau, le
pays connaît une situation médiocre, en dehors de sa capitale. Il est difficile de répliquer
l’exemple de Phnom Penh dans les provinces. Vous en connaissez les raisons.
Richard FRANCEYS
Dans les exposés concernant le Sénégal et le Cambodge, il semble que le réseau
d’eau ait été géré par deux leaders d’exception. Quels aspects font d’une personne
exceptionnelle un tel leader ? Qu’est-ce qui a provoqué votre transformation personnelle,
aboutissant à ce changement ? Je conviens que la question est difficile.
Marie-Joëlle KODJOVI
Comment faire pour inscrire le service dans la durée, lorsque ces leaders quittent leur
poste ou doivent être remplacés ?
Jacques BERTRAND
Ek Sonn Chan affirmait que la condition d’un service de qualité résidait dans la volonté
politique, avant même le leadership. Au Cambodge, comment se fait-il que la volonté
politique ait permis cette transformation à Phnom Penh et non dans le reste du pays ou
pour les autres services ?
Ek SONN CHAN
Qu’est-ce qui provoque ce caractère exceptionnel chez une personne ? C’est
probablement une question d’esprit et de cœur. Il faut éprouver ce sentiment d’amour
envers les plus pauvres d’entre nous. Les gens suivent le cours de leur vie puis s’en vont.
Tout passe. Vous ne laissez-vous derrière vous que vos bonnes actions, celles qui auront
permis de semer un peu de bonheur, un concept crucial qui permettra qu’au moins les
autres esquissent un sourire.
Vous avez mentionné que le premier élément clé résidait dans la volonté politique.
Pourquoi n’a-t-elle pas permis la transformation des autres secteurs ? La situation ne se
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
présente pas tout à fait ainsi. Nous vivions tous dans le même contexte, marqué par la
même volonté politique. Il convient de hiérarchiser les priorités, de choisir les ingrédients.
Si vous effectuez de mauvais choix, vous pouvez démotiver les équipes. Nous avions la
même volonté et vision politiques mais les leaders étaient différents.
Mamadou DIA
Aucune entreprise ou société d’eau liée à l’Etat ne peut réussir sans volonté politique.
J’ai travaillé durant 36 ans dans les services de l’eau, dont 19 dans une société publique et
17, dans une entreprise privée. Les performances atteintes par la SDE, en tant que société
privée, sont réalisées par les mêmes personnes que celles travaillant dans l’entreprise
nationale. Que s’est-il passé ? Un changement dans l’environnement de travail s’est tout
simplement opéré. Les difficultés auxquelles le personnel était confronté, du point de vue
financier et technique, ainsi que les contraintes de l’Etat sur la bonne marche de
l’entreprise ne permettaient pas aux talents de s’exprimer et d’éclore. Aujourd'hui
l’environnement a changé et les mentalités ont connu une révolution. Chacun a développé
sa capacité managériale. Les résultats ont suivi.
Dans une entreprise, les dirigeants se doivent d’être exemplaires. Ce point me semble
essentiel. L’exemplarité doit recouvrir l’ensemble des actions menées quotidiennement
devant les collaborateurs. La ponctualité, par exemple, ne doit pas être négligée.
Personnellement, je gagne mon bureau tous les jours à 6 heures 30. Un deuxième élément
concerne d’exemplarité concerne la transparence. Toutes les personnes chargées de
piloter la Sénégalaise des Eaux se voient fixer des objectifs annuels dont elles doivent
rendre compte. Le comité de direction communique sur son exploitation afin de partager
les résultats avec l’ensemble des salariés. Tous les lundis, un Flash Info informe le
personnel de tout ce qui se passe dans l’entreprise. Cette démarche a contribué à créer
une adhésion des salariés à la réalisation de nos performances et conduit à mettre en
place diverses mesures de motivation et de récompense.
Jacques BERTRAND
Qu’est-ce qui fait un leader ? Il semble que cela soit la question centrale.
Yamba Harouna OUIBIGA
Le premier point reste de posséder des repères et d’en être convaincu. L’exemple est
ensuite très important. Enfin, la capacité à mobiliser les hommes autour de soi apparaît
comme fondamentale. Pour y parvenir, la proximité est essentielle : il faut être un homme
de terrain et partager, encadrer les autres. Dès lors, si l’on détient une vision, on peut tirer
le groupe vers l’objectif que l’on veut atteindre et vers la performance.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Table ronde 3
Parties prenantes non gouvernementales : quel soutien aux changements dans
les services d’eau ?
Participent à la table ronde :
Myriam BINCAILLE, Fonds SUEZ ENVIRONNEMENT
Céline GILQUIN, AFD
Martin LEMENAGER, AFD
Frédéric NAULET, GRET
La table ronde est animée par : Jan G. JANSSENS, JJC Advisory Services
Jan G. JANSSENS
J’ai pris ma retraite de la Banque mondiale il y a cinq ans. Mon intérêt pour les
thématiques de l’eau me pousse à poursuivre une activité au sein du master avec JeanAntoine FABY, où je donne des cours sur la question du partenariat public privé. Au début
de ma carrière, j’exerçais dans une société d’eau. J’ai donc vu les deux faces, comme
exploitant ou bailleur de fonds. Le point névralgique a déjà été évoqué : tout changement
ou toute réforme sont conditionnés par le societal development. Le travail avec la société
civile (stakeholder accountability) suscitait chez moi une grande nervosité lorsque je
travaillais à la Banque mondiale. Celle-ci doit d’abord exister, avant que l’on puisse
envisager de lancer des programmes avec elle. Les consommateurs ou les usagers
doivent ainsi être organisés faute de quoi un travail commun s’annonce compliqué, voire
risqué. De même, la Banque mondiale court un risque lorsqu’elle travaille avec les ONG.
Celles-ci ne suivent pas toujours la stratégie du pays, voire s’y opposent. Aussi un acteur
institutionnel doit éviter de tomber dans le piège. Les bailleurs de fonds ne doivent pas
toujours donner de l’argent gratuitement : les dons ne sont pas durables. Cet « argent
facile » (easy money) n’est pas souhaitable. Un don est contre-incitatif et ne favorise pas la
recherche de la performance. Je suis donc assez réticent à un développement du secteur
et à l’utilisation des pauvres comme une excuse pour avoir des dons. Je viens d’un pays
où les pauvres paient 4 euros le mètre cube d’eau. Dans le même temps, le régulateur
discute le tarif social, qui est inférieur à 0,5 euro. Lors d’une visite de terrain que
j’effectuais, nous cherchions à obtenir des branchements sociaux et discutions avec le
responsable de la communauté. Celui-ci, bien qu’il ne possède pas d’argent pour acheter
de l’eau, détenait suffisamment de fonds pour disposer d’un portable dernier cri permettant
d’organiser les réunions avec les bailleurs.
En résumé, je dirai que le développement durable suppose d’abord comme principe de
créer les incitations nécessaires pour être plus performant. Nous en avons entendu trois
excellents exemples qui révèlent qu’une solution hybride permet souvent d’atteindre la
performance : un don est toujours combiné avec une stratégie commerciale. Telle est la
voie à suivre, sans que l’on dise qu’un investissement marchand ne requiert pas un don.
J’espère que ces propos contribueront à vous faire réagir.
Céline GILQUIN
L’Agence française de développement est l’opérateur pivot de l’aide au développement
français. Il s'agit d’une institution financière. Environ 10 % des engagements annuels de
l’AFD sont consacrés au secteur de l’eau et de l’assainissement soit 600 à 700 millions
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
d’euros. Une faible partie de cette somme (quelque 10 %) est octroyée sous la forme de
dons. Une majorité de l’aide est octroyée en prêts, prêts aux Etats ou prêts directs aux
sociétés, fortement conditionnels, très inférieurs au taux du marché car ils poursuivent un
objectif de service public et d’augmentation du taux d’accès des populations à l’eau.
Il ressort des discussions précédentes qu’il existe des conditions de réussite pour
améliorer la performance des opérateurs. L’AFD, comme l’ensemble des bailleurs, vise à
mettre en place ces conditions.
Tous les pays font face aujourd’hui à des contraintes budgétaires fortes. Ainsi, l’aide
publique au développement ne permettra pas de résoudre l’ensemble des besoins pour
l’atteinte des objectifs du millénaire. Les bailleurs, notamment l’AFD, cherchent donc à
créer un effet de levier et à accompagner les autorités locales pour créer les conditions
d’une amélioration des performances. Dans cette optique, le bailleur peut aider les
autorités nationales à définir un cadre législatif et réglementaire qui permet la définition des
rôles, des responsabilités, mais aussi des flux financiers prévisibles, de manière fiable,
entre les différents acteurs (Etats, collectivités locales, opérateur, usagers et régulateur
indépendant, s’il existe). Comme nous l’avons vu, à travers l’exemple du Sénégal, la
fonction de régulateur peut parfois être exercée par l’Etat lui-même dans certains cas.
Le bailleur accompagne les autorités dans ce qui a été cité par le directeur général de
l’ONEA comme une condition de succès, à savoir la définition d’une stratégie de
développement réaliste. Il s’agit de s’assurer au niveau local que des objectifs à long terme
sont fixés et que ces derniers peuvent être atteints avec les ressources financières dont le
pays dispose. Concrètement, pour aider à cette définition, l’AFD contribue au financement
d’études et à la mise à disposition d’experts et d’assistants techniques.
Les conditions suspensives à l’octroi des financements constituent une des autres
modalités pour tenter d’améliorer ce cadre. Par celles-ci, les bailleurs peuvent imposer la
mise en place de contrats qui définissent des objectifs, avant d’allouer des financements.
Au Niger ou au Sénégal, l’AFD finance ainsi des expertises pour la renégociation de
partenariats public/privé ou des études stratégiques pour doter les acteurs locaux d’outils à
long terme. Dans le secteur de l’assainissement industriel au Sénégal, un certain nombre
de conditions suspensives à l’octroi des fonds ont été fixées, qui ont permis à l’Etat d'en
formaliser le cadre contractuel.
Le management et les ressources humaines constituent également une condition clé
pour faire en sorte d’atteindre réussite et performance. Les bailleurs peuvent ainsi financer
des formations individuelles ou des actions de renforcement des capacités collectives,
comme par exemple le master OpT présenté tout à l’heure. De plus, ils peuvent soutenir
des partenariats entre opérateurs, qui permettent des comparaisons et des actions
mutuelles de renforcement des capacités.
Martin LEMENAGER
Je présenterai pour ma part un témoignage de terrain, d’une société d’eau ne
présentant pas une réussite exemplaire mais qui peut illustrer certaines des difficultés
rencontrées par plupart des opérateurs « normaux ». Le projet, situé à Vientiane, la
capitale du Laos, est financé par l’AFD. Il implique aussi des acteurs non étatiques comme
l’ONG GRET. La modernisation du service porte sur un horizon de long terme. Ainsi, l’AFD
a soutenu depuis plus de dix ans la Société des eaux de Vientiane dans des programmes
qui s’achèvent cette année. Au-delà de financements en infrastructures, l’AFD a également
apporté son appui à un centre de formation aux métiers de l’eau dans la capitale du Laos,
pour aider au renforcement des capacités.
La Société des eaux de Vientiane compte environ 500 employés, pour un chiffre
d'affaires de 5 à 6 millions d’euros annuels en moyenne. Elle apporte son service à
70 000 clients, délivre 180 000 mètre cube par jour et compte 1000 kilomètres de
canalisations. Sur les dix dernières années, les performances du service apparaissent
mitigées. Du côté positif, on constate que le nombre d’usagers a doublé, le réseau s’est
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
fortement étendu et les capacités de production ont été multipliées par 2. Cependant, les
pertes financières sont constantes et les tarifs évoluent à la hausse, avec une tentative
d’améliorer le recouvrement des coûts. Aujourd'hui, la dynamique s’avère négative, avec
un prix de l’eau inférieur à son coût. La hausse tarifaire, assez forte en 2009, n’a pas été
soutenue. Le nombre d’agents par millier de branchements s’élève à 7, contre 2 dans les
présentations précédentes, exposant les cas de Phnom Penh ou Dakar. Avec plus de
30 % de pertes, le rendement est assez mauvais.
En 2009, l’AFD a souhaité appuyer la Société des eaux dans l’amélioration de ses
performances, avec l’introduction d’une assistance à maîtrise d’ouvrage, réalisée par
l’ONG GRET. Ce positionnement se trouvait être un peu inhabituel pour une ONG, mais
permettait de relever certains défis, pour donner de la cohérence à la stratégie de
l’entreprise, sur des aspects à la fois techniques et de gestion administrative et financière.
Il s’agissait d’améliorer le taux de recouvrement, de se doter d’un système de facturation
plus performant, d’améliorer la relation avec sa clientèle, de renforcer la gestion de son
patrimoine, d’accroître la maîtrise du fonctionnement hydraulique, d’étendre son service en
périphérie de Vientiane.
L’ONG intervient comme un tiers, en tant que facilitateur du dialogue, acteur proche du
terrain et mobilisateur d’autres parties prenantes. Le GRET disposait d’une expérience
avec le régulateur de l’eau du Laos mais celui-ci ne communiquait suffisamment pas avec
la Société des eaux de Vientiane. Par ailleurs, le GRET a pu faciliter les liens entre le
bailleur et l’opérateur ainsi que ceux entre la Société des eaux et ses usagers. Il a par
exemple réalisé une étude afin de mieux comprendre les attentes et demandes des
usagers laotiens.
Le GRET visait à accompagner l’entreprise sur le long terme, de manière proche des
acteurs, par opposition aux nombreux appuis ponctuels des bureaux d’études. Il s’agit de
travailler au jour le jour avec les managers à une meilleure appropriation et au
renforcement des capacités. Le GRET souhaitait améliorer la vision de l’entreprise et sa
gouvernance interne pour une meilleure cohérence. Les indicateurs sont moins importants,
en soi que les processus d’appropriation et du sens qui leur est donné.
Enfin, concernant la dimension multi-acteurs, la Société des eaux a également fait
l’objet d’un partenariat de coopération décentralisée avec le Syndicat des eaux d’Île-deFrance et échangé avec la Société des eaux de Phnom Penh (PPWSA).
Différentes difficultés ont été rencontrées. Premièrement, les héritages pèsent et il a
été difficile de modifier le mode de gestion de l’entreprise. Je travaillais avec un Laotien,
diplômé d’un MBA, ancien responsable d’une multinationale en Thaïlande, qui peinait à
insuffler une culture du management à des effectifs où les ingénieurs étaient nombreux. En
outre, nous avons souhaité dialoguer avec la ville de Vientiane pour une meilleure maîtrise
du développement urbain.
Deuxièmement, le projet a montré l’importance du leadership. La chaîne de
commandement et le management par objectifs des salariés faisaient défaut et n’ont pas
pu être mis en place. Les grilles de salaire ne sont pas suffisamment incitatives.
Troisièmement, concernant la dimension politique et sociale, la Société des eaux de la
capitale se trouve sous très haute surveillance politique. Les dirigeants ne manifestent pas
la volonté d’augmenter les moyens de cette société. Or une forte volonté politique, chez les
tutelles comme en interne, est nécessaire pour faire évoluer la situation.
En conclusion, la préparation d’évolutions sur le long terme pourrait donner ses fruits si
une fenêtre d’opportunité se présente. Ce terreau fertile pourra permettre le changement et
l’amélioration des performances. Un nouveau directeur général dirige la Société depuis un
an. La transition est relativement lente mais progressive. Plutôt qu’un changement radical,
nous sommes parvenus à une certaine cohérence.
S’agissant des usagers, ils ne parviennent pas vraiment à déclencher des
transformations par leurs revendications sociales et semblent se résigner. Mais ils peuvent
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
constituer une clé en aval : pour être durable et performant, le service d’eau a besoin
d’usagers satisfaits. Ainsi, l’usager doit être replacé au cœur des performances, loin des
présentations techniques qui mettent l’accent sur les indicateurs. Distribuer de l’eau à tous,
à un prix abordable, me semble constituer un objectif concret.
Frédéric NAULET
Le GRET, créé il y a 37 ans, intervient sur différents champs de la coopération au
développement, y compris l’accès aux services essentiels tels que l’eau potable,
l’assainissement, la gestion des déchets. Cette organisation vise à soutenir les processus
de développement durable et s’efforce de lutter à la fois contre les différentes formes de
pauvretés et d’inégalités structurelles.
Pour ce faire, ellemobilise une palette d’outils : des projets, des programmes et des
actions de terrain, mais également de la fourniture d’assistance technique et d’expertise
(nous intervenons ainsi comme bureau d’études associatif).Quel que soit l’instrument
mobilisé, la finalité reste la contribution aux politiques publiques. En effet, les projets ne
constituent pas une fin en soi, mais un instrument au service de politiques sectorielles plus
efficace et inclusive. S’il importe aux bénéficiaires que les projets mis en œuvre soient
réussis, l’intention doit porter sur les politiques publiques sectorielles pour parvenir à un
changement. Le GRET intervient dans cette perspective. Nous nous donnons donc mandat
d’intervenir à ce niveau pour produire des références méthodologiques, stratégiques et
pour nous associer à des laboratoires de recherche et à la communauté scientifique pour
mener une réflexion de fond, parallèlement à nos actions. C’est pourquoi nous nous
présentons souvent comme un do and think tank, une organisation qui fait et qui réfléchit.
Dans le champ de la coopération internationale, des phénomènes de plaquage de modèles
ou de politiques du Nord s’opèrent. Le GRET fait l’hypothèse qu’en s’appuyant sur des
expérimentations de terrains et sur des dynamiques locales, il est possible de faire un
travail adapté de renforcement des politiques publiques.
Nous appréhendons les services d’eau potable comme des « systèmes sociotechniques » : les équipements, les ouvrages, les infrastructures déterminent beaucoup de
choses et engendrent des effets de dépendances (chemins de dépendance). Les
problèmes qui surviennent sont certes organisationnels, mais la matérialité des services
d’eau et d’assainissement ne doit pas être négligée. Ils obligent à évoquer l’ensemble des
acteurs, des relations de pouvoir aux pratiques des usagers, en passant par les bailleurs
de fonds.
Comment accompagner le changement ? Nous intervenons selon trois axes. Tout
d’abord, nous aidons les acteurs à jouer leur rôle dans la délivrance des services et pour
ce faire nous développons certains outils d’accompagnement. Ainsi, les administrations ou
les collectivités locales sont soutenues dans leur rôle de maître d’ouvrage. Ensuite, nous
nous efforçons de travailler au renforcement des opérateurs et fournisseurs de services,
avec l’objectif d’encourager leur professionnalisation. Les opérateurs peuvent être publics
comme privés. Si de nombreuses ONG militent contre la privatisation de la gestion et de la
fourniture de services, le GRET estime qu’il s’agit d’un faux débat. Nous travaillons en
appui à des opérateurs privés cambodgiens sur des partenariats public/privé, avec de
petites et moyennes entreprises. La question est plutôt de s’assurer qu’aucune capture de
la rente n’intervient et de faire émerger de vrais systèmes de régulation. Enfin, le GRET
vise à renforcer les capacités des usagers à exprimer leurs attentes et défendre leurs
droits. Il s’agit là d’un vrai facteur de performance, même si cet investissement n’est payant
que sur le très long terme. Ce n’est que si les usagers sont suffisamment organisés qu’ils
peuvent demander des comptes et se montrer conscients de leurs obligations. Nous
travaillons donc plus facilement sur ces questions avec des acteurs éclairés, informés,
organisés.
Renforcer les acteurs n’est qu’un aspect du problème : il convient ensuite de travailler
sur la gouvernance, en améliorant la gouvernance et la coordination des acteurs. Il faut
négocier des modalités de coopération: qui est capable de, mais aussi légitime à, fournir
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
des services, contrôler, planifier, financer ? Cette clarification du cadre institutionnel
s’opère au cas par cas. En fonction du contexte, les acteurs seront positionnés à différents
niveaux de responsabilité. Comme les règles de fonctionnement des services, cet aspect
ne saurait se décréter, mais il se construit localement et dans l’action. De la patience est
nécessaire, ainsi qu’une bonne compréhension des systèmes socio-politiques, pour faire
émerger des règles bien ancrées dans les conventions locales. Parvenir à des arbitrages
entre efficacité, recouvrement des coûts, équité, redistribution de la valeur ajoutée suppose
de bien comprendre les coordinations s’effectuent dans les sociétés.
Nous travaillons également avec des autorités de régulation sur le renforcement de
leur système de suivi technique, financier, ainsi qu’avec les usagers afin de permettre à
ceux-ci de contribuer à la définition de ces indicateurs et, en amont, pour élaborer les
enjeux. Dans ces mécanismes de suivi et d’évaluation de la performance, fondés sur des
dispositifs de gestion de l’information, de nombreuses erreurs sont commises.
L’information est en effet diffusée, mais rarement mise en discussion. Ce processus
compte pourtant davantage que la qualité de l’indicateur.
Enfin, le dernier axe d’intervention du GRET réside dans l’innovation. Dans des
contextes urbains, les réseaux conventionnels ne parviennent pas partout à l’usager final.
Il convient donc de prendre en compte les réalités locales pour tenter d’innover, en
travaillant sur la différenciation de l’offre de services ou en proposant des innovations
sociales et institutionnelles.
Pour illustrer ce propos, le GRET est intervenu au début des années 1990 dans les
quartiers défavorisés de Port-au-Prince, dans un contexte extrêmement difficile. Nous
avons pu, avec un travail de mise en confiance et d’ingénierie sociale au sein des
quartiers, définir une formule de desserte des quartiers par des kiosques, gérés de
manière associative. Il est donc possible de travailler dans des contextes très difficiles,
dans des pays marqués par un environnement institutionnel incertain. Les résultats sont
pourtant toujours mitigés. Les succès restent relatifs et il est important de s’inscrire dans la
durée pour renforcer les fragilités ou approfondir les projets. En ce qui concerne les
kiosques haïtiens, beaucoup restait à faire dans la consolidation des comités de l’eau. Le
séisme a détruit de nombreuses infrastructures, même si l’organisation sociale restait bien
vivante. Nous avons donc pu reprendre le travail avec ces acteurs.
Myriam BINCAILLE
Le Fonds SUEZ ENVIRONNEMENT INITIATIVES constitue un engagement solidaire
de SUEZ ENVIRONNEMENT. Le fonds est doté de 4 millions d’euros par an, jusqu’en
2016 au moins. Sans être doté des montants d’envergure de l’AFD, le Fonds poursuit deux
objectifs principaux : il s'agit d’une part de favoriser l’accès aux services essentiels, qui
sont les métiers de SUEZ ENVIRONNEMENT (eau potable, assainissement et gestion des
déchets) pour les populations défavorisées dans les pays en développement, et d’autre
part, de favoriser l’insertion des populations défavorisées en France par la formation et
l’emploi.
Nous souhaitons donner la priorité à des projets dans des milieux urbains ou
périurbains. Pourtant, l’essentiel des demandes qui nous parviennent relèvent des zones
rurales. Les besoins sont colossaux.
Nous opérons par des subventions techniques et financières à des organisations de
solidarité internationale. Nous ne finançons un projet qu’à hauteur de 50 % de son budget.
De plus, nous soutenons de préférence des programmes pluriannuels, dans un but de
pérennisation. Nos moyens d’action sont de plusieurs ordres. Nous menons par exemple
des partenariats techniques et financiers, avec de nombreux mécénats et bénévolats de
compétences de la part de nos collaborateurs. En 2012, plus de 2 000 jours de bénévolats
ont été donnés à des projets de développement, soit l’équivalent du temps de congé de
8 personnes. Nous accompagnons les opérations d’urgence, soutenons les projets
d’insertion et veillons au renforcement des compétences des acteurs locaux ainsi qu’au
renforcement des savoir-faire. Cette démarche passe par deux voies. Tout d’abord, nous
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
veillons à ce que chaque programme contienne au moins une ligne consacrée à la
formation, à la montée en capacité des partenaires ainsi que des parties prenantes locales.
Enfin, nous menons le programme « Water for All », qui a été présenté ce matin par JeanAntoine Faby. Je salue ainsi l’ensemble des auditeurs présents, des coachs et du corps
enseignants. Nous vivons ce projet extraordinaire comme une aventure humaine très
intéressante.
Par ailleurs, nous avons fixé comme axe de travail la stimulation de l’innovation. En
effet, l’essentiel des solutions au développement est encore à inventer. Le Fonds SUEZ
ENVIRONNEMENT INITIATIVES organise ainsi un prix, remis tous les deux ans, qui
récompense deux projets, dotés de 50 000 euros chacun, l’un relatif à l’accès aux services
essentiels et l’autre à l’entreprenariat social. Dans les projets qui remontent, nous
constatons, notamment dans le secteur informel et les bidonvilles, que nous avons de plus
en plus affaire à des entrepreneurs sociaux dans les domaines de l’eau et de la gestion
des déchets.
Chaque fois que nous recevons un projet, nous veillons à ce que certaines conditions
soient réunies. Il faut par exemple que les solutions construites soient adaptées au
contexte. Il ne s’agit pas de plaquer sur le Sud des modèles élaborés au Nord, ni même du
Sud au Sud. Tous les contextes sont différents, de même que les acceptabilités sociales et
culturelles. Nous devons en tenir compte. Nous étudions également l’engagement des
populations concernées ainsi que l’implication des autorités locales, qui seront
récipiendaire de l’ouvrage, donc garantes de sa durabilité.
Nous soutenons également des actions de professionnalisation des services. Nous
sommes par exemple très attentifs à ce que l’ONG du Nord qui sollicite les subventions
trouve un relais local fort. L’objectif ne consiste pas à financer des expatriés du Nord au
Sud, mais à renforcer les capacités.
De bonnes relations partenariales doivent être entretenues, non seulement avec le
partenaire direct – l’association -, mais l’ensemble des parties prenantes et des bailleurs
de fonds. Nous sommes aussi très attentifs aux bailleurs avec lesquels nous nous allions,
ainsi qu’à la mise en réseau des acteurs. Ce point nous semble capital. Ainsi, nous
soutenons quatre à cinq projets au Burkina Faso, avec quatre ou cinq associations
différentes, dans un territoire assez morcelé. Comment, dans ce contexte, partager les
bonnes pratiques et capitaliser sur les différentes expériences ?
A la question « l’usager est-il une clé de la réussite des transformations ?», je
répondrais « oui, naturellement ». C’est pourquoi nous sommes attentifs dans les projets
qui nous parviennent, à ce qu’une étude ou une enquête socioéconomique ait été réalisée,
non seulement pour bien comprendre les besoins, mais pour que la demande soit bien
exprimée. Dans de nombreux cas, beaucoup d’argent a été investi, par exemple après le
tsunami, sans que de réelles demandes soient exprimées. Beaucoup d’infrastructures ont
été construites, qui sont tombées en ruine un an après le départ des ONG. L’implication
des populations passe aussi par un volet financier et le paiement d’un juste tarif pour le
service. Ce critère aide à garantir la pérennité économique du service ou de la structure
qui sera en charge de la gestion ou de la maintenance de celui-ci.
En tant que bailleurs de fonds, agissons-nous pour susciter le changement ? Je
répondrais par la négative : le changement doit venir localement, des populations. Sans
demande, aucun changement ne sera voulu de l’intérieur. Le plan d’action doit être local.
Nous ne jouons qu’un rôle d’accompagnement.
Comment intégrer la performance des services ? Je rejoins les propos tenus sur le
leadership et l’exemplarité ou le cercle vertueux de la gouvernance. Parmi les critères que
nous avons identifiés pour accroître la performance figure l’identification des futurs
dirigeants, leur formation et l’exemplarité des sociétés d’eau. La chaire « Environnement –
Eau pour Tous » a un rôle considérable à jouer dans ce domaine. L’intégration dans une
stratégie nationale, comme le retour d’expérience, sont également primordiaux, ainsi que
le suivi et la mesure de l’impact du projet, pour motiver les bénéficiaires et mettre en place
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
un plan d’action qui consolide ceux-ci dans leur rôle d’acteurs du développement. L’accent
est enfin placé sur la durabilité économique du projet. Il nous faut préparer l’avenir, savoir
où nous allons, avec la mise en place d’une conduite efficace du changement.
Dans ce cadre, la gestion participative de la communauté me tient particulièrement à
cœur, notamment dans les zones rurales où les conditions de vie peuvent apparaître
comme un peu plus difficiles qu’ailleurs. Comment aider à créer des mécanismes
générateurs de revenus ? Si de tels dispositifs existent, les populations seront de plus en
plus enclines à payer. Nous entrons ainsi dans un cercle vertueux, où le paiement entraîne
la maintenance et l’entretien, donc la durabilité.
Une formation continue est également prévue après la fin d’un projet. Dans notre
optique, le programme ne s’arrête pas au rapport final, après le paiement de la dernière
partie de la subvention. Nous avons l’ambition de suivre les projets entre deux et trois ans
après leur fin réelle, quitte à mener d’autres actions de formation auprès des adultes, afin
de nous assurer que des modules de formation seront mis en place soit dans les écoles
soit dans les communautés villageoises.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Débat
De la salle
Les quatre intervenants que se sont exprimés ont montré que la société civile existe
bel et bien et qu’elle dispose de quelques moyens. Dans le Sud, le changement ne peut
intervenir de l’extérieur : pour être durable, il doit être porté par des acteurs locaux, qu’ils
soient étatiques, paraétatiques ou de la société civile locale. Comment faire en sorte que
les ONG du Nord puissent accompagner, de manière subsidiaire, sans être moteurs, la
construction d’acteurs locaux du changement et du développement, au Sud ?
Jean-Pierre MAHE
Concernant le leadership, le développement n’est pas évident, mais il est porté à tous
les niveaux par des leaders, associatifs, politiques, techniques. Comment faire en sorte
que ceux-ci s’expriment et œuvrent pour le changement ? Pourtant, nos programmes
d’aide peuvent anesthésier ou dévoyer ces leaders : des prêts sont parfois versés, qui
contribuent parfois à créer des comportements déviants, qui tuent les dynamiques
existantes. Je suggère donc que les projets repèrent ces leaders et d’encourager leur
soutien au changement. Un leader associatif peut voir sa base associative s’éroder si un
bailleur distribue généreusement des fonds aux membres de sa communauté. Nous
devons donc veiller à entretenir une relation saine envers ces leaders.
Mamadou DIA
Dans le cadre de la RSE, un bailleur de fonds a-t-il le droit de financer des ouvrages
dans des emplacements où la qualité physico-chimique de l’eau ne répond pas aux
recommandations de l’OMS ?
Céline GILQUIN
L’enjeu des décennies futures réside clairement dans l’accès à l’assainissement en
milieu urbain. Dans ce domaine, l’implication de la société civile est essentielle dans la
mise en œuvre des projets. Personne ne souhaite abriter une station d’épuration dans son
jardin. Certains projets subventionnés se sont ainsi soldés par un échec. Les autorités
locales définissent une politique sectorielle, qui est financée par le bailleur, mais la mise en
place des programmes suppose toujours que la société civile soit associée, impliquée,
sensibilisée aux investissements réalisés. Si tel n’est pas le cas, le projet d’assainissement
collectif ne pourra pas réussir.
Des processus de décentralisation sont menés dans de nombreux pays, mais ne vont
souvent pas jusqu’au bout, l’Etat se réservant encore une part prédominante dans les
moyens, notamment financiers. Aujourd'hui, les bailleurs se trouvent dans une situation où
ils ont du mal à décentraliser les prêts, d’une part en raison de la difficulté à parcelliser les
financements, et d’autre part parce que certaines collectivités ne disposent pas des
moyens matériels pour gérer ces flux.
Myriam BINCAILLE
Nous sommes entièrement partie prenante de la réussite des projets. Lorsqu’une
demande a passé nos cribles, nous l’envoyons à trois ou quatre évaluateurs internes, des
collègues spécialistes du domaine concerné. Ceux-ci posent des questions afin d’optimiser
les résultats et jugent le projet presque comme s’il avait été monté par l’Entreprise. Nous
organisons alors une réunion avec les porteurs du projet pour discuter des modifications
possibles et faire intervenir une réelle fertilisation croisée avec les spécialistes du domaine.
Les instances de gouvernance, conseil d’administration ou de direction, restent
souveraines dans leur choix. Une fois accepté, le projet dispose d’un référent, qui donne
jusqu’à six jours par an en mécénat de compétences. Celui-ci reste l’interlocuteur privilégié
Paris, le 25 avril 2013
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de l’association sur le projet. Il l’évaluera sur place. Cette participation reste modeste, mais
consiste en notre manière de nous sentir responsables.
Même si de nombreuses demandes sont formulées pour des zones rurales, nous
donnons également la priorité à l’urbain et au périurbain, notamment dans les déchets.
Dans les bidonvilles de Dakar, de Manille, de Bombay ou du Bangladesh, nous travaillons
avec associations en passant par des partenariats sociaux. Les résultats sont assez
extraordinaires.
Je partage enfin le point de vue de M. Mahé concernant le leadership local. C’est
pourquoi nous voulons nous assurer de la participation des autorités locales. La difficulté
reste de bien choisir notre partenaire, qui sera en relation avec les communautés locales.
Lors des réunions annuelles que nous organisons avec les bailleurs de fonds, les
responsables de communauté sont souvent présents à Paris. Ainsi, le maire d’une ville au
nord du Niger a fait figure de réel maître d’ouvrage du projet.
Frédéric NAULET
Personne ne conteste le fait que les principaux enjeux du futur porteront sur les milieux
urbains. Le secteur de l’eau est pris dans des questions qui le dépassent, celles de la
maîtrise du développement de la ville, une thématique qui comprend des aspects moins
sectoriels et plus territoriaux. Je constate dans ce domaine que nous sommes tributaires
de la capacité des pouvoirs publics de mettre en place une régulation foncière, qui évite
l’extension de la ville. Nous devons être capables de mettre en œuvre une véritable
maîtrise d’ouvrage territoriale. Or la régulation des marchés fonciers et de l’habitat est
problématique et renvoie de nouveau aux politiques publiques.
S’agissant de la société civile, son existence est difficile à appréhender. Les bailleurs
de fonds évoluent d’une formulation à une autre « société civile », « acteurs non
étatiques », sans que le contenu de ces catégories soit très clair. Sur le terrain, je constate
des organisations locales, qui ne sont ni publiques ni parapubliques. Il faut certes les
accompagner, les renforcer. Notre rôle d’ONG internationale vise l’accompagnement et le
renforcement des organisations de la société civile, en veillant à ce que leur base sociale
soit la plus large possible, qu’elles disposent d’outils et puissent entrer dans un dialogue
avec les pouvoirs publics.
Un diagnostic peut permettre de mieux connaître ces acteurs, leur légitimité, leur base
sociale. Identifier les leaders, les notables, les autorités, à tous les niveaux, constitue une
véritable clé méthodologique. Cependant, comment traduire un système reposant sur des
leaders, en une institution ? Les leaders viennent et disparaissent. Un travail sur la
pérennité suppose de transformer ce mode de gouvernance en un système institutionnel,
doté d’une mémoire et d’une capacité de survie lors du départ des leaders.
Le débat sur l’éventuelle anesthésie de l’aide est sans fin. Je pense en effet nécessaire
de rappeler que l’aide n’est qu’une mécanique, dotée de contraintes. Les bailleurs doivent
décaisser leurs fonds selon une certaine durée et parfois privilégier l’aspect quantitatif
plutôt que qualitative, en fonction des pressions exercées. Les ONG présentent également
des contraintes. Ainsi, les acteurs ne disposent pas d’une entière liberté de manœuvre
mais sont pris dans un système. C’est pourquoi le GRET et d’autres ONG plaident pour
que les procédures et les règles définies par les bailleurs de fonds soient mieux
configurées et permettent une flexibilité accrue, au service de la durabilité et de la qualité.
Martin LEMENAGER
Dans les quartiers périphériques de Kinshasa, l’AFD soutient un projet original. En
2007, elle a fait le pari de ne pas soutenir l’opérateur public national défaillant, la
REGIDESO, mais de renforcer une ONG locale fondée par un leader fort, ancien
responsable du service national d’hydraulique rurale. Cette ONG accompagne la mise en
place de réseaux gérés par des associations d’usagers. Ces associations d’usagers
respectent le droit congolais ; elles paient les taxes, en particulier celles concernant
Paris, le 25 avril 2013
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l’emploi de leurs salariés. Un jeune de cette ONG a récemment suivi le Master OpT
d’AgroParisTech et nous espérons qu’il prendra la relève.
Jan G. JANSSENS
Les orateurs du panel semblent s’accorder sur le diagnostic et les grands
principes (participation des usagers, etc.). J’ai assisté il y a six mois à une réunion à
Manille, organisée par la Banque asiatique du développement. La même unanimité régnait.
Pourtant, la discussion commence lorsqu’on recherche les solutions. Où se trouvent les
priorités de recherche appliquées ?
Le Sénégal, le Cambodge et le Burkina Faso ont présenté des exemples de réussite.
Vientiane était dans une situation intermédiaire, et Haïti, désastreuse. Comment créer des
leaders ? Comment percer les secrets de ceux qui réussissent ? Comment renforcer les
capacités des acteurs du secteur privé local ? Dans les pays en développement, les villes
intermédiaires présentent des enjeux très importants. Des acteurs de taille moindre doivent
s’engager mais il faut également transformer les instruments de financement auxquels ces
derniers peuvent avoir accès. La « gestion intégrée urbanisée » de l’eau se développe et
peut constituer une voie à explorer. Il faut enfin souligner l’absence de solutions pour
répondre au défi de l’assainissement des villes intermédiaires.
Myriam BINCAILLE
L’assainissement, y compris dans le rural, peut constituer une priorité de recherche.
Les différents types de latrines existants ne sont pas satisfaisants. Quel est
l’assainissement du futur pour les bidonvilles ?
Par ailleurs, l’innovation institutionnelle et financière mérite d’être étudiée, quitte à la
modéliser dans ces pays.
Céline GILQUIN
Les discussions font émerger de nombreux sujets de recherche relatifs notamment à
l’amélioration des performances. Pourquoi certains cas sont-ils suivis d’échecs ?
Une autre journée d’étude sur l’assainissement et la performance serait intéressante.
Peut-on y trouver des exemples de réussite similaires, hormis à Alger ?
Frédéric NAULET
Concernant les enjeux urbains, il conviendrait de creuser la relation entre les marchés
de l’eau et les marchés fonciers, qui peut présenter des implications concrètes, notamment
fiscales. Dans ce cadre faiblement régulé et fragmenté où il existe une diversité d’offre de
services, des outils de planification peuvent être fournis aux pouvoirs publics.
De la salle
Je voudrais proposer deux sujets : comment réorienter l’aide pour qu’elle favorise
l’entreprenariat local ? Comment formuler des modèles de taxation et de redistribution
internes pour favoriser le secteur de l’eau ? Des pays comme l’Equateur ont créé un
modèle original, en prenant de l’argent au secteur de la téléphonie pour financer l’eau.
Cela a fonctionné.
Jan G. JANSSENS
La Banque mondiale a récemment effectué une étude montrant que la majorité des
budgets officiels des pays africains pour l’eau ne sont pas utilisés.
Je remercie l’ensemble du panel pour sa contribution.
Paris, le 25 avril 2013
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Chaire ParisTech SUEZ ENVIRONNEMENT Eau pour tous. – Première journée
d’études
Conclusion
De la salle
Le dernier débat nous a permis d’avancer. L’idée est de mener un exercice similaire :
quels points de ces discussions peuvent être retenus pour d’autres séminaires ?
Richard FRANCEYS
Comment conclure une réunion aussi fascinante sans se répéter ? En ce qui concerne
la recherche, nous avons évoqué l’assainissement. La Fondation Bill et Melinda Gates
propose ainsi 20 à 30 millions de dollars par an pour réinventer les toilettes. Je participe à
l’un de ces projets, qui s’intéresse à passer au micro-ondes des excréments, dont le coût
ne serait que de 50 centimes de dollar par jour. Mes projets universitaires ne semblent pas
encourageants pour le moment, mais nous sommes ravis d’avoir obtenu des financements.
De nombreuses universités tentent de réinventer les toilettes mais un dixième de ce
qu’elles proposeront sera intégré par la Fondation.
Cela fait peut-être trop longtemps que nous tournons en rond. Y a-t-il quelque chose
de nouveau ? Oui, il y a toujours du nouveau et la Fondation Bill et Melinda Gates le
prouvera peut-être. Nous avons entendu des histoires très motivantes, émanant de
personnalités qui conduisent de réels changements. Ce matin, j’ai suggéré que les
pressions sociétales n’étaient pas suffisantes pour contraindre la sphère politique à opérer
des changements. Je suis heureux de voir que les études de cas m’ont donné tort car dans
certains pays, une bonne combinaison permet aux leaders de faire la différence. Des
projets fascinants sont mis en œuvre, pourtant, il existe 4 000 zones urbaines en Inde et
aucune n’a accès à l’eau 24 heures sur 24. S’il n’existe pas de demande, des transferts
d’argent pourraient peut-être soutenir celle-ci ? Cependant, ceux-ci sont parfois dévoyés et
se retrouvent dans d’autres circuits. Un leadership est nécessaire, qui change les
situations, sans entrer dans une forme de néocolonialisme.
Ces leaders modèles ont tenu aujourd'hui des propos édifiants : « La gouvernance est
cruciale. C’est une question de volonté politique (…) Le dialogue social est capital. Il faut
inclure les employés, les clients et les parties prenantes, mettre les clients au cœur de nos
objectifs de performance (…). Les ressources humaines sont au centre de ce que nous
faisons. Les indicateurs doivent jouer un rôle sur les salaires. Nos vrais atouts ne sont pas
les machines ni les systèmes, mais la qualité des ressources humaines. Nous devons
garder ces éléments à l’esprit. (…) Le leadership, le top management, le soutien des
partenaires de développement sont très utiles. (…) La qualité de la gestion est très
importante. Nous avons besoin d’un environnement qui permette la bonne gouvernance.
Nous devons aborder des approches participatives. L’engagement des employés est
également très important. ».
Nous avons entendu ces considérations depuis de nombreuses années, mais elles
figurent toujours au cœur de nos préoccupations : comment atteindre cette qualité de
gestion souhaitée ? Comment développer le dialogue avec les populations locales ?
Comment leur donner les moyens de faire face aux défis qu’elles rencontrent ?
Mais ces leaders d’exception sont également des personnes très humbles, qui diront
qu’elles n’ont rien d’exceptionnel. J’ai entendu qu’il fallait une tête pleine, un bon cœur et
des mains habiles. « J’ai toujours eu en moi cette détermination à faire quelque chose de
bien pour les autres » a dit Ek Sonn Chan. De plus, les leaders montrent l’exemple dans
leurs actions, en se levant tôt, en travaillant dur. La transparence est absolument cruciale :
nous avons besoin de points de référence et de croire en eux. Mais il faut aussi savoir
mobiliser les hommes et femmes qui nous entourent. Nous devons prendre ces principes à
cœur et essayer, autant que nous le pouvons, de conduire les personnes qui nous
entourent vers le bien. Si nous ne pouvons pas changer le monde du jour au lendemain,
nous devons nous montrer patients et faire la différence. Plus nous donnerons les moyens
Paris, le 25 avril 2013
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d’études
à la génération qui vient de se prendre en main, meilleure sera la qualité d’assainissement
et d’accès à l’eau des personnes vivant dans les bidonvilles. Je pense que nous pouvons
tous faire la différence.
Paris, le 25 avril 2013
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