Gradignan

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Gradignan
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Gradignan :
vers une démolition-reconstruction ?
Le centre pénitentiaire de Gradignan (33) est unanimement reconnu
comme vétuste et insalubre. Et même dangereux, avec un système
électrique pas aux normes. Sa démolition et reconstruction a été décidée à plusieurs reprises, mais finalement gelée. La dernière annonce
du ministère de la Justice, fin octobre 2014, laisse sceptique.
ÂTIE À LA FIN DES ANNÉES 1960 À SEPT KILOMÈTRES DE BOR-
B
deaux, la maison d’arrêt de Gradignan devait se fondre
dans le paysage urbain : « Il n’y avait à l’origine ni mur
d’enceinte, ni mirador, et les fenêtres conçues en verre très
épais ne comportaient pas de barreaudage. » Depuis, « des
murs et miradors ont été mis en place », les fenêtres ont été
« remplacées par du plexiglas » avec ajout de barreaux et caillebotis (grillages visant à éviter le jet de détritus et les échanges
par « yoyo ») 1. Devenu centre pénitentiaire (CP), l’établissement
comprend trois bâtiments séparés de quelques centaines de
mètres. Le bâtiment A, un immeuble de six étages (style HLM),
est destiné au quartier hommes et aux locaux administratifs ou
collectifs. Il comprend aussi un petit immeuble de deux étages
pour le quartier femmes (26 places). Le bâtiment B regroupe
quatre pavillons, dont l’un destiné au quartier mineurs (23
places). Le troisième bâtiment, plus récent et en meilleur état,
est composé d’un quartier « centre pour peines aménagées » et
d’un quartier « semi-liberté ». Le CP accueille 40 % de prévenus
et 60 % de condamnés, pour plus de la moitié à une peine de
moins d’un an. La durée moyenne d’incarcération à Gradignan
est de 157 jours.
Insalubrité à tous les étages
Six députés ont visité la prison fin janvier 2013. A leur sortie, un
constat sans appel : « La vétusté saute aux yeux. Barreaux rouillés, sols et plafonds tachés, odeurs, pénombre composent le
quotidien de ces détenus 2. » La CGT-pénitentiaire ajoute que
« les cellules sont de véritables champignonnières […] les détenus sont pris en charge dans des conditions inhumaines, on est
en train de se “Baumettiser” 3 ». « Cette insalubrité fait qu’il n’y
est pas rare de croiser des rats », signalait le député Alain Rousset à l’Assemblée nationale en janvier 2013 4. Et une femme
1 Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Rapport de visite, 1315 janv. 2009
2 Blog noelmamere.eelv.fr, 28/01/13
3 Sud-Ouest, 19/12/12
4 Question orale de M. Rousset, député de Gironde, à l’Assemblée nationale
(JO du 30/01/13)
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détenue de décrire « le bruit angoissant du rat qui mange un
pigeon », qu’elle ne peut plus supporter 5. Dénoncée depuis
plusieurs années, la vétusté concerne l’ensemble des bâtiments
A et B. Les fenêtres abîmées laissent passer l’air, rendent les
cellules humides, accentuent le froid et le chaud. « Le bas des
fenêtres, rongé par la rouille, laisse parfois passer l’air extérieur
à quelques centimètres de la tête du détenu qui couche sur un
matelas par terre » constatait le CGLPL en 2009. Cinq ans plus
tard, une détenue signale à l’OIP que l’étanchéité des fenêtres
du quartier femmes est toujours inexistante : « Il y a beaucoup
d’humidité car les fenêtres ne ferment pas entièrement, il y a
même des trous dans les murs permettant de voir dans la cellule
d’à côté… et de toute façon le chauffage ne fonctionne pas 6. »
Ces problèmes d’isolation seraient à l’origine de cas d’asthme
et d’insuffisance respiratoire, majorés à Gradignan. Les fenêtres
laissent passer l’air, mais peu de lumière. Une femme en visite
au parloir explique à propos des caillebotis aux fenêtres que
son conjoint « ne peut plus regarder au travers parce que ça lui
fait mal aux yeux et lui donne envie de vomir ».
Mise aux normes électriques inachevée
Sujet d’inquiétude, le système électrique n’est pas aux
normes. Et fait redouter au personnel le déclenchement d’incendies : « L’incendie, c’est notre plus grande crainte, d’autant
qu’il n’y a pas de système d’évacuation d’air » 7. En mars 2012,
un feu s’est déclenché au quartier femmes, causant de nombreux dégâts. Depuis, une partie du bâtiment concerné a été
désenfumé et mis aux normes électriques (travaux de 2013
au 2e étage du bâtiment A). Deux mesures qui ont permis à
l’établissement d’obtenir un avis favorable à la poursuite de
son exploitation, après deux avis négatifs. Mais le chantier n’a
pas été étendu à l’ensemble des locaux « sans doute à cause
du projet de destruction » du centre pénitentiaire, disent les
surveillants. Le risque électrique reste ainsi élevé selon la
5 Réponse à un questionnaire de l’OIP, sept. 2014
6 Courrier reçu en sept. 2014
7 Blog noelmamere.eelv.fr, 28/01/13
© DR
La barre principale du bâtiment A, six étages de type HLM bâtis en 1967, destinés à recevoir les locaux communs et le quartier des hommes
direction « car la mise aux normes du bâtiment A n’est pas
achevée et il y a de nombreuses anomalies au bâtiment B 8 ».
Hygiène douteuse en cuisine
L’état « inacceptable » des cuisines du bâtiment A constituait
un autre point d’inquiétude (CGLPL, 2009) : « Carrelage mural
et du sol absent ou cassé ; plus de la moitié des fenêtres fêlées,
avec des déchets liquides entre les couches de verre cassé ;
murs tâchés d’humidité. » En février 2012, une cuisine modulaire en location a été mise en service, « initialement pour trois
ans dans l’attente de la reconstruction de l’établissement 9 ».
Mais les mêmes problèmes sont constatés depuis 2013 dans
cet espace provisoire : « Carrelage cassé, évacuation mal
conçue, tuyaux déboîtés, eaux usées déversées, stagnantes,
canalisations engorgées, odeurs pestilentielles, prolifération
d’insectes, aucune régulation de température de la cuisine :
5 degrés le matin en hiver 10. »
Et les détenus se plaignent de la qualité de la nourriture servie. Une auxiliaire qui distribuait les repas l’été dernier explique :
« Quand on arrive pour servir le second étage, la nourriture est
tiède, voire froide, car non maintenue au chaud pendant le service. » T.L., détenu au quartier hommes, fait le même constat :
« Deux fois sur trois, la nourriture est froide. » Les menus ne sont
8 Rapport d’activité 2013 du CP
9 Conseil d’évaluation du CP, 22/05/14
10 Rapport d’activité 2013 du CP
pas variés, la nourriture distribuée est insuffisante… Une mère
de détenue raconte : « Ma fille me dit souvent qu’elle a faim.
Imaginez que le dernier repas est à 17 h 30, qu’il n’y a pas de
petit-déjeuner, et que le déjeuner est dégueulasse. » L’achat de
produits frais en cantine, outre son coût, ne permet pas toujours de compenser, car les délais de livraison sont excessivement longs (le bon de cantine épicerie-boissons mentionne
que la distribution est faite 15 jours plus tard) et les quantités
sont rationnées pour chaque produit.
Des travaux d’envergure sans cesse repoussés
Engagés au compte-gouttes, les travaux de rénovation ne suffisent pas à enrayer la dégradation des locaux. Des budgets
insuffisants sont invoqués, alors que les travaux de sécurisation de la prison (vidéo-protection, clôtures, filets…) ont coûté un million d’euros en 2013 dans le cadre du plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. Une question de
priorité… L’engagement de grands chantiers a été repoussé
suite à plusieurs annonces de destruction et reconstruction
du CP, qui ont chaque fois été gelées par la suite. Cette solution continue néanmoins de s’imposer. En 2012, l’agence
d’urbanisme A’Urba présente un audit écartant tout projet de
simple rénovation 11. « Cette tôle il faut la raser […], la rénover
ne servirait à rien » estime à son tour le syndicat UFAP, s’appuyant sur les coûts du « bricolage » entrepris jusqu’ici 12.
11 Plan local d’urbanisme, mai 2012.
12 Sud-Ouest, 29/10/14
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© Baptiste Fenouil/REA
Entrée de la maison d’arrêt de Gradignan, 1999
Dernière annonce en date, celle de la ministre de la Justice,
relayée par le député Alain Rousset le 28 octobre 2014 : « La
maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan fera l’objet d’une
reconstruction et sera inscrite dans le cadre du prochain
contrat triennal 2015-2017 13. » Rien n’est moins sûr. Le maire
de Gradignan a beau affirmer avoir obtenu l’inscription au prochain plan triennal de rénovation des prisons de janvier 2015.
Et la Voix du Nord indiquer s’être procuré un document interne
à l’administration pénitentiaire, où la reconstruction de Gradignan figure dans la catégorie « projets prévus pour un lancement en 2016 14 ». Le syndicat FO-pénitentiaire considère que
cette annonce a été faite « sans même que ce soit prévu au
prochain plan triennal et sans que ce soit annoncé lors de la
présentation du budget 2015 ». En effet, rien n’est mentionné
à propos de cet établissement dans le Projet de loi de finances
2015, ni dans les projets de l’APIJ (programmes immobiliers
de la Justice). L’incertitude demeure.
Une surpopulation de plus en plus
préoccupante
Avec un taux d’occupation de 151 % en novembre 2014 15,
Gradignan rivalise avec Bayonne pour la place de la maison
d’arrêt la plus surpeuplée de la région pénitentiaire de Bordeaux. Pour autant, les 82 places des quartiers « centre pour
peines aménagées » et « semi-liberté », qui permettent de
13 Sud-Ouest, 29/10/14
14 La Voix du Nord, 19/11/14
15 Chiffres DAP au 01/11/14
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Barrières dans l’accès aux soins
Une trentaine de professionnels de santé interviennent
à l’unité sanitaire. Ils assurent en moyenne 110 consultations par jour hors week-end et jours fériés1. L’offre de
soins reste néanmoins très insuffisante au regard des
besoins croissants. Alors que 80 % des entrants nécessitent des soins dentaires, le délai pour une consultation est de trois à quatre mois. Si bien que des patients
qui n’avaient au départ qu’une dent cariée arrivent en
consultation avec des infections et abcès. Autre obstacle
aux soins : l’ouverture des droits à la sécurité sociale. La
réactualisation des droits de base n’est pas systématiquement assurée par le greffe, tout comme l’évaluation
des dossiers de CMU-complémentaire par le SPIP, ce qui
prive de nombreuses personnes détenues de l’accès aux
soins en temps voulu. L’Unité sanitaire souffre également de locaux inadaptés : absence de salle d’attente,
confidentialité non garantie par manque d’isolation
sonore (cloisons très fines), manque de bureaux, si bien
que certaines consultations ont lieu dans des espaces
confinés comme la réserve à pharmacie. Pour l’hôpital,
« il n’est pas envisageable de persister dans des locaux
aussi contraints ». En mai 2014, la direction interrégionale pénitentiaire (DISP) indiquait que « le projet de
rénovation de l’Unité sanitaire [était] toujours en attente
de décision, sans que pour l’heure aucune perspective
ne se dessine pour 2014-2015 ».
1. Enquête de l’unité sanitaire « Temps passé auprès des patients »
menée en mai 2013.
ZOOM
préparer la sortie, ne sont occupées qu’à 73 %. Le directeur a
tiré la sonnette d’alarme dès décembre 2012, en adressant un
courrier aux magistrats du TGI de Bordeaux sur « une situation
bien évidemment indigne […] où des détenus doivent dormir
sur un matelas disposé à même le sol 16. Pour 453 places théoriques au total, 700 détenus en moyenne étaient hébergés en
2013 17. Au point d’entraîner des incidents au greffe : « perte
d’un ordre de transfert, affectation par erreur d’un mineur
chez les majeurs, dossiers stockés à même le sol… 18 »
Fin 2013, les cellules individuelles du quartier femmes étaient
doublées. Une détenue écrit alors : « On peut se déplacer du
lit à la table, mais seulement si la codétenue reste sur son lit. »
Quatre des 18 cellules de 8,5 m2 comptaient un troisième matelas, posé à même le sol. Au quartier hommes, plusieurs témoignages faisaient état du placement de huit détenus dans une
cellule de 25 m2. Mais la situation la plus fréquente dans ce
quartier est de « deux détenus dans une cellule de 8,5 m2, aux
murs décrépis, couverts de moisissure », comme l’indiquait le
directeur aux députés début 2013 19. Détenu dans ce quartier,
T.L. écrit en octobre dernier : « Je colle au mur les feuilles de couleur des bons de cantine, elles font office de papier peint. »
Mortel ennui en cellule
Pour près de 700 détenus, seuls 80 postes de travail sont proposés aux ateliers et 72 au service général. Le nombre d’équivalents temps plein (ETP) est en baisse : 53 en 2013 pour 64 en
2012. Pour les trois quarts des détenus restants, les activités
proposées sont insuffisantes, si bien qu’en moyenne, ils disent
passer 20 heures sur 24 en cellule. Dans son rapport d’activités, le SPIP regrette que l’activité de l’association socio-culturelle du centre pénitentiaire ne puisse perdurer et que le poste
de coordinateur culturel soit menacé de disparaître, faute de
financement pérenne. Incarcéré à Gradignan depuis quatre
ans, R.F. se plaint de ne pas pouvoir continuer ses études car
« ici c’est toujours bloqué. » Une jeune détenue décrit ses
journées dans un courrier de juillet 2013 : « Pour toute activité, j’ai une heure de sport et une heure de messe par semaine.
Je ne suis pas catholique, mais je vais à la messe pour éviter
d’être enfermée… même l’école m’est refusée à cause de mon
niveau (j’ai une maîtrise). Je m’ennuie énormément. »
Delphine Payen-Fourment, coordinatrice OIP Sud-Ouest
Gradignan au parloir
Les familles qui arrivent en gare de Bordeaux doivent
emprunter un autobus, un tramway puis un deuxième
autobus pour rejoindre le centre pénitentiaire. Le trajet s’effectue en 45 minutes au mieux. Pour les familles
motorisées, « il n’y a la place que pour garer trois véhicules » devant l’entrée, et le parking situé devant l’accueil
des familles n’est pas suffisant. Les voitures stationnent
dès lors sur les bas-côtés. « Le comble c’est que lorsque
nous allions rejoindre notre véhicule, il y avait deux flics
qui mettaient des PV ! », raconte une mère de détenu.
« Non seulement il n’y a pas d’endroit où se garer, mais
ils en profitent pour nous verbaliser ! » Les bornes automatiques pour réserver les parloirs dysfonctionnent souvent : en octobre 2014, elles ne délivraient plus les cartes
nécessaires pour les utiliser. Certaines réservations sur
place peuvent alors se faire au guichet. Les familles sont
unanimes quant à la quasi-impossibilité d’une réservation par téléphone. « Par téléphone, ils ne répondent pas
ou il faut appeler une dizaine de fois », indique une mère
de détenu. Selon une autre, « il y a des plages horaires
extrêmement courtes pour appeler (1 h 30), il ne faut pas
lâcher ». La difficulté à réserver par téléphone oblige à
venir sur place et à prévoir un parloir sur l’autre : « Quand
on habite loin, c’est très difficile. J’ai fait des allers-retours
juste pour prendre rendez-vous, sans le voir », raconte
une proche de détenu.
En cas de problème d’une famille pour accéder au parloir,
le détenu n’est pas ou mal informé, regrettent les visiteurs. « Un jour, je suis arrivée en retard et j’ai été refusée.
On a dit à ma fille que je n’étais pas venue ce jour-là »,
confie une mère. Et une autre d’ajouter : « On passe sous
un portique. Si ça sonne à deux reprises, on a un refus
de parloir. Et ils disent au détenu : “Il n’y avait personne
pour toi au parloir’’. » Les bénévoles de l’accueil familles
(le Chalet Bleu) sont témoins de ces situations angoissantes pour les proches : « Lorsqu’un parloir est annulé pour un petit retard et que la personne vient de loin,
c’est toujours très difficile à vivre. Parfois aussi les familles
reviennent à l’accueil sans avoir pu voir la personne détenue et sans qu’aucune explication ne leur ait été donnée ;
ils apprendront plus tard qu’elle a été hospitalisée ou
transférée. » Les visites se déroulent dans de petits boxes,
« étroits », « de la taille d’un w.-c. », « abîmés ». « Ça ressemble aux cabines de la piscine », décrit la mère d’un
détenu. « Faut pas être claustro », ajoute une autre. La
rencontre a lieu assis en face-à-face, chacun sur un banc
fixé au mur, genoux contre genoux. Des conditions qui
« ne facilitent pas les relations » et « ne sont pas adaptées
pour des enfants », soulignait le Contrôleur général après
sa visite en 2009.
« Groupe action parloirs » de l’OIP Bordeaux
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Courrier du 11/12/12
Conseil d’évaluation du centre pénitentiaire de Gradignan, 22/05/14
Rapport d’activité 2013 du CP.
Blog noelmamere.eelv.fr, 28/01/13
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