Peinture algérienne contemporaine

Transcription

Peinture algérienne contemporaine
Peinture algérienne contemporaine
Peinture algérienne contemporaine
La peinture algérienne contemporaine apparaît dans les années 1920 à travers une première génération de
précurseurs.
À partir des années 1950 la « génération de 1930 », la plupart de la dizaine des artistes qui la composent étant nés
autour de cette année, conteste généralement la vision figurative et narrative, ressentie comme étrangère à la
sensibilité maghrébine. Plusieurs tendances s'affirment, art naïf et expressionnisme, non figuration et peinture du
signe.
Sur la fin des années 1960 le groupe « Aouchem » souhaite s'inspirer des traditions plastiques qui ont réussi à se
maintenir dans l'art populaire.
Le recours à la graphie de la Lettre et du Signe soutient largement par la suite, les développements de la peinture
algérienne.
Au début des années 1990 plusieurs artistes se tournent à nouveau vers la peinture figurative.
Précurseurs
Près d'un siècle après la conquête coloniale, autour des années 1920, Azouaou Mammeri (1886-1954), Abdelhalim
Hemche (1906-1978), Mohammed Zmirli (1909-1984), Ahmed Benslimane (1916-1951) et Miloud Boukerche
(1920-1979) sont les premiers, tirant profit d’un enseignement parcimonieusement concédé, à introduire dans la
culture algérienne la pratique de la peinture de chevalet. Le plus souvent, soumis à la pression de modèles
idéologiques qui perpétuent l'académisme français, ils ne peuvent, malgré un recentrement de la vision sur la réalité
de la vie algérienne, que s’inscrire dans les marges du courant orientaliste[1].
À la même époque, d’autres artistes travaillent à faire revivre la tradition de l’enluminure et introduisent en Algérie le
genre oriental de la miniature. Bien que plaidant chez Mohamed Racim (1896-1974) ou Mohamed Temmam
(1915-1988) en faveur du colonisé, leur célébration nostalgique des fastes du passé, palais, patios et princesses,
vasques et gazelles, ne permet encore qu’une « expression oblique » de l’identité algérienne[2].
C'est sous ces deux seules formes, hormis la parenthèse romaine, que la figuration se développe en Algérie, sur le sol
de plusieurs millénaires d'expressions populaires symboliques abstraites, berbères et arabes, intégrées dans la vie
quotidienne à travers l'architecture et le mobilier, les tissages et les poteries, le travail des cuirs et des métaux, où
l'image représentative est des plus rare, sinon quasiment absente.
Fondateurs
Il faut attendre ce que l'on a pu nommer la « génération de 1930 », la plupart de la dizaine des jeunes artistes qui la
composent étant nés autour de cette année, pour que soit contestée en profondeur la vision figurative et narrative,
ressentie comme étrangère à la sensibilité maghrébine. Ils sont, dans les années cinquante, les véritables fondateurs
de l’art algérien moderne. Certains, Issiakhem et Mesli, ont fréquenté les Écoles des Beaux-Arts d'Alger et de Paris,
ou, pour Guermaz et Benanteur, celle d'Oran. D'autres, autodidactes, comme le soulignait en 1964 Kaki Ould
Abderrahmane, se sont engagés solitairement dans leur art, Baya mais aussi Khadda, typographe, Aksouh, forgeron,
Zerarti, maçon. En un itinéraire comparable à celui des premiers grands écrivains algériens de langue française,
Mohammed Dib, Mouloud Feraoun ou Kateb Yacine, quelques-uns de ces peintres, attirés par l'effervescence
artistique qui s'y manifeste depuis le début du siècle, passent plus ou moins longuement par Paris et y présentent des
expositions, tels Issiakhem, Khadda et Mesli, tandis que d'autres s'y installeront définitivement, Benanteur, Guermaz
ou Aksouh[3].
Au lendemain de l'Indépendance l'exposition des « Peintres algériens » organisée en 1963 à Alger pour les « Fêtes du
1er novembre » et préfacée par Jean Sénac[4] puis en 1964 celle qui est présentée à Paris au Musée des arts décoratifs
1
Peinture algérienne contemporaine
2
les réunissent. Durant quelques années la galerie 54 animée par Sénac, poète de l’espoir algérien, et les galeries
successives de l’éditeur Edmond Charlot, qui le premier publia Albert Camus, les exposent, aux côtés de Sauveur
Galliéro, Louis Bénisti, plus figuratifs, Jean de Maisonseul, René Sintès, mais aussi Louis Nallard et Maria Manton,
Marcel Bouqueton, qui participeront à Paris, avec le graveur Marcel Fiorini, au développement de la peinture non
figurative. Leurs œuvres sont rapidement introduites au Musée des beaux-arts d'Alger que dirige Jean de Maisonseul
de 1962 à 1970.
Art naïf, expressionnisme
Trois grandes tendances s'affirment d'emblée. La première, qualifiée de « naïve », apparaît avec Hacène Benaboura
(1898-1960) et se trouve essentiellement incarnée par Baya dont l'art brut deviendra l'un des symboles de la création
algérienne.
Doublement orpheline à cinq ans, recueillie à douze, l'itinéraire de Baya (1931-1998) semble, à l'image de son
œuvre, relever d’une improbable féerie quand il lui est donné la possibilité de réaliser les gouaches, préfacées par
André Breton, qu’Aimé Maeght expose en 1947 alors qu’elle n’a pas même seize ans[5]. Au-delà des complaisances
de la légende, son parcours est ensuite interrompu durant dix ans après un mariage traditionnel. En 1963 Baya peut
reprendre papiers et gouaches[6]. Dans les fausses symétries de ses compositions, la couleur vive et contrastée
s’équilibre en aplats tandis qu'un trait épuré cerne sans hésitation ni repentir les profils de ses « Hautes Dames »,
figures de la Mère à jamais énigmatique. Leurs visages transparents s'effaceraient dans la blancheur du papier si ce
n'étaient l'éclat de leurs regards et la masse de leurs chevelures de jais. Les bouquets, les cruches et les fruits, plus
tard les instruments de musique et toute la faune parallèle de poissons, oiseaux et papillons, qui les accompagnent,
déliés de tout volume, se détachent sous une lumière étale en un espace qui refuse toute perspective illusionniste.
Plus figurative dans les visions colorées de Ahmed Kara-Ahmed (1923) et de Mohamed Bouzid (1929) ou, plus
dramatiques, d'Ismail Samsom (1934-1988), une deuxième tendance, expressionniste, est dominée par la
personnalité de M'hamed Issiakhem.
M'hamed Issiakhem (1928-1985)[7], « Œil de Lynx » comme le surnomme son
ami Kateb Yacine[8], a quinze ans quand il manipule une grenade, ramassée dans
un camp militaire américain : dans l'explosion deux de ses sœurs et un neveu
meurent, il sera lui-même amputé d’un avant-bras[9]. La souffrance algérienne
durant les années de guerre comme celle qu’endure le Tiers Monde dans la
revendication de sa liberté ne cesseront de réactiver le climat angoissé de sa
peinture qui exorcise tout à la fois les douleurs d’un drame personnel et les
violences de l’histoire collective. Dans une solidarité rageuse avec les femmes et
les hommes sous toutes les latitudes murés dans le silence de la misère ou de
l’oppression, le geste d'Issiakhem fait surgir de pâtes épaisses tous les visages du
malheur. Les célébrations de l’univers maternel, d'une sérénité dont le peintre s’est
trouvé privé, constitueront autant de conjurations du tragique de la condition humaine.
M'Hamed Issiakhem en 1980
Peinture algérienne contemporaine
Non figuration et peinture du signe
Une dernière tendance, avec Khadda et Benanteur qui, amis d'enfance quittent ensemble Mostaganem pour Paris en
1953, Guermaz et Aksouh qui s'y établissent une dizaine d'années plus tard, ou, plus informel, Mohamed Louail
(1930-2011), s’engage dans la voie de l’abstraction que côtoiera plus tard le miniaturiste et peintre Ali Ali-Khodja
(1923).
« Si la peinture figurative apparaît l’expression normale, c’est le résultat
du phénomène de déculturation », écrit[10] Mohammed Khadda
(1930-1991)[11] dont le travail, dans les années 1950, est à l’origine de
ce que l'on nommera à la suite de Jean Sénac l’« école du Signe »[12].
De retour en Algérie en 1963 Khadda, dans des écrits sans concession
pour l'idéologie alors dominante[13], y défend l'abstraction violemment
mise en cause et dénonce « le réalisme opportuniste »[14] qui tente de
s'imposer durant les « années de plomb ». En une démarche où création
Mohammed Khadda en 1980
plastique et réappropriation culturelle se rejoignent, ses peintures, ses
aquarelles et ses gravures, s’appuyant sur l’expressivité plastique de
l'écriture arabe, la mènent à la rencontre des graphismes des paysages et des choses, arbres ou pierres, du monde
naturel. « Découverte de l’écriture du monde et exploration du monde de l’écriture demeureront dans son œuvre
indissociablement liées en deux démarches complémentaires, chacune retentissant à mesure sur l’autre, qui ne
cesseront de rapprocher par degrés le peintre, en son unique quête, des sources mêmes du Signe » note
Michel-Georges Bernard[15]. « Je n’ai jamais employé la lettre pour la lettre », précise Khadda, se défiant de tout «
nouvel exotisme »[16]. Il ne l’approche dans ses « Alphabets libres » ni dans son présent ni dans son passé mais, en
deçà de toute histoire, dans une sorte de futur antérieur, se faisant, comme on l'a écrit, « l’archéologue du
possible »[17].
Dans cette voie abstraite Abdelkader Guermaz (1919-1996) est l'aîné de sa génération. Dès les années 1940 la galerie
« Colline » d'Oran expose ses toiles librement figuratives aux côtés de celles de Sauveur Galliéro ou d'Orlando
Pelayo. À partir de 1961 et de son installation à Paris ses peintures, détachées de toute figuration, se trament
d’enchevêtrements ascendants vivement colorés. Puis passe sur ses toiles un grand vent de lumière que piègent les
empâtements de la matière. Autour de 1975 un nouveau paysagisme surgit de la succession des plans colorés qu’elles
superposent, hautes falaises ou étagements solaires de crêtes ou dunes[18]. Le visible se donne chez Guermaz dans le
mystère de l’espace avec lequel il se confond. À ce degré de tension, son œuvre, authentique « peinture de méditation
»[19], s’adresse à l’esprit autant qu’à l’œil.
3
Peinture algérienne contemporaine
Abdallah Benanteur vers 1992
4
Suspendues dans les années 1950 en un frêle réseau de nervures, les
toiles d'Abdallah Benanteur (1931) font ensuite paraître des terres
obscures que la lumière ne traverse plus qu’en d'imprécises marbrures.
C’est comme depuis l’autre côté de l’ombre qu’elle remonte au début
des années 1970, irréelle, quand les silhouettes de ses « Visiteuses » se
réunissent vers d’incertaines rencontres. Sa peinture débouche dans la
décennie suivante sur les gorges et défilés, cols et clairières d’une «
sur-Méditerranée » dont le souvenir avive les couleurs. De minuscules
foules anonymes en envahissent un moment les espaces, qui
s'effaceront comme mirages. Abdallah Benanteur a simultanément
réalisé à partir de 1961 plus d'un millier d'ouvrages de bibliophilie,
tirés à un nombre limité d'exemplaires ou livres uniques enrichis
d'aquarelles et de dessins, pour lesquels il choisit les textes, d’écrivains
algériens et européens, de poètes arabes ou persans, compose la
typographie, exécute lui-même l’impression et le tirage de ses
gravures[20].
Parmi le monde des formes et des couleurs, enfin, l’itinéraire de
Mohamed Aksouh (1934) commence au bord des lueurs qui traversent
les profondeurs d’émeraude des rivages algérois. Puis sa peinture, au
long des années 1970, ouvre le champ du regard sur un labyrinthe de
ruelles et de façades où la lumière se réfléchit en échos assourdis,
semble s’imprégner des couleurs des parois blanchies à la chaux qu’elle
frôle. La peinture d'Aksouh se développe par la suite dans un univers
d’affleurements, mosaïques à demi effacées, pierres apparaissant au
milieu d'anciens murs, cailloux ou galets sertis dans la poussière des
chemins ou les marbrures de la vague. Aksouh y fait approcher le
Aksouh, 2003
nuage soyeux qui irrigue le visible, la buée solaire que le regard, sans
l’apercevoir, en chaque instant traverse. Dans la pulvérisation des
touches « tout l’être du monde n’est plus alors (...) qu'un état inconstant, un précipité furtif, un instant changeant de la
lumière »[21].
« Aouchem »
Sur le territoire inauguré par les peintres de la « génération de 1930 » l’art algérien multiplie rapidement ses
cheminements. Choukri Mesli et Denis Martinez ont participé eux aussi aux premières expositions organisées à
Alger et à Paris après l'Indépendance. Tous deux professeurs à l’École des Beaux-Arts d'Alger, ils sont les
animateurs de 1967 à 1971 du groupe « Aouchem » (Tatouage) qui rassemble une dizaine d’artistes, poètes et
peintres, notamment Hamid Abdoun (1929), Rezki Zérarti (1938) et Mustapha Akmoun (1946). Ils s’opposent eux
aussi aux imageries jugées démagogiques, que présente la galerie officielle de l’Union Nationale des Arts plastiques
(UNAP), fondée et présidée en 1963 par Bachir Yellès, mais dont la plupart des peintres actifs se trouvent exclus dès
le début des années 1970. « Aouchem est né il y a des millénaires, sur les parois d'une grotte du Tassili. Il a poursuivi
son existence jusqu'à nos jours, tantôt secrètement, tantôt ouvertement, en fonction des fluctuations de l'Histoire.
(…) Nous entendons montrer que, toujours magique, le signe est plus fort que les bombes », déclare leur « Manifeste
»[22]. En dépit des violences, certaines traditions plastiques ont réussi à se maintenir dans les gestes qui modèlent et
peignent l’argile, tissent la laine, décorent les murs, gravent le bois ou le métal : c’est sur ces survivances qu’«
Aouchem » veut s’appuyer.
Peinture algérienne contemporaine
5
Dans des couleurs intenses cloisonnées dans une géométrie luxuriante proche
des motifs targui des caractères sahariens, les peintures de Choukri Mesli (1931)
font entrevoir, comme surgis d'éternels Tassili ou Hoggar, des Cortèges de
Guerriers et d'Ancêtres auxquels répondent plus tard des silhouettes féminines
aux formes sculpturales qui évoquent Tin Hinan[23].
Choukri Mesli en 1990
Denis Martinez (1941) s'inspire plus largement encore des arts
populaires, motifs des poteries et des tissages, des signes tifinagh et des
bribes de calligraphies, souvenirs de la culture andalouse. À la fin des
années 1980 ses toiles s'inscrivent dans les rythmes de l'espace des
maisons berbères, tandis que les "actions" qu'il conduit avec ses élèves,
durant une quinzaine d'années jusqu'à son exil en 1994, exercent une
durable influence sur plusieurs générations d'artistes. Dans ses toiles
fortement structurées se multiplient les flèches graphiques qui
suggèrent, au milieu d'un fourmillement de points et de lignes, astres et
abeilles, serpents et lézards, les mouvements et les relations de
l'omniprésent "Personnage", inquiet et interrogateur, qui, au long des
décennies, signe sa peinture. Dans les années 1990, sa recréation des
tracés divinatoires du grand Sud puis des processions, à Marseille
même, d'« Aghendjas » de Kabylie, pour implorer non plus de façon
traditionnelle la pluie mais plus politiquement la paix en Algérie face à
l'intégrisme, constitue un aboutissement, à mi-chemin de la
Denis Martinez en 1990
performance et de l'installation, avec le concours de poètes et de
musiciens, de la dimension magique d'emblée présente dans son art[24].
Matières et signes
Le recours à la graphie de la Lettre et du Signe soutient largement par la suite, de décennie en décennie, les
développements de la peinture algérienne. Majhoub Ben Bella (1946) et Rachid Koraichi (1947) font ainsi plus
étroitement référence à la calligraphie qu'ils détournent, dans leurs palimpsestes ou talismans, en vertigineuses
pulvérisations. Ali Silem (1947), nouant la Lettre « comme franges de laine »[25] au milieu des matières dorées ou
calcinées de ses Déserts, semble en déployer l’espace interne. Malek Salah (1949) et Saci Mohand (1949)
s’inscrivent différemment dans une interrogation de l’espace qui fait abstraction de cette dimension identitaire tandis
que Hamida Chellali (1948), Samta Benyahia (1949) et Akila Mouhoubi (1953) conjuguent vigoureusement, dans les
tourbillons de la couleur ou l’accumulation symbolique, la peinture au féminin[26].
Peinture algérienne contemporaine
Hamid Tibouchi en 1997
Mokhtar Djaafer en 1997
6
Le travail de Hamid Tibouchi (1951), reconnu d'abord comme l'un des
représentants majeurs de la jeune poésie algérienne d'expression
française, est caractéristique de cette quête du signe, qu’il renouvelle et
pousse jusque dans l’intimité des matières. Les colorants naturels,
pigments, encres et teintures, sable ou charbon, qu'il utilise sur les
supports les plus humbles, papiers, cartons ou toiles diverses, en
cristallisent les messages dissimulés. À la surface de leurs textures
transparaissent comme les Pages d'anciens parchemins, d'
Archéographies sans âge ou de Partitions internes où glisse et
s’enchevêtre un foisonnement de « graphèmes sauvages »[27].
Abderrahmane Ould
Mohand vers 1987
Arezki Larbi vers
1987
Renouvelant l'esprit d' « Aouchem », Zoubir Hellal (1952), l’un des animateurs, avec Karim Sergoua (1960), du
récent groupe « Essebaghine » (Les Peintres)[28], Mokhtar Djaafer (1953) dont les œuvres s'inscrivent aux carrefours
de la gravure et de la peinture, Arezki Larbi (1955) dans ses « pyrogrammes » des années 1980 ou ses toiles
ultérieures intensément colorées, Mohand (1960) libérant par rafales ou vagues lentes les innombrables espèces du
Signe, seraient encore représentatifs de cette tendance. Abdelouahab Mokrani (1956), dans ses visages et ses corps
noyés dans la matière, et Djilali Kadid (1956) poursuivent par contre des itinéraires plus expressionnistes[29].
Parmi tout un ensemble de plus jeunes peintres, qui intègrent régulièrement dans leurs œuvres l'évocation de la
graphie berbère, s’imposent particulièrement les féeries colorées de Slimane (Slimane Ould Mohand, 1966) qui mêle
visages féminins, silhouettes de théières et de cruches, de chats, ânes ou oiseaux, réduites à leurs filigranes.
Cheminant différemment vers ses origines, Philippe Amrouche (1966) fait renaître à leur devenir, sous des lumières
de sables ou d'argiles rouges, les points et triangles de l'immémorial damier déposé sur les poteries kabyles. Mêlant
les goudrons, les poudres, les encres et les vernis, incorporant les matériaux les plus divers, pratiquant les collages,
ayant aujourd'hui recours aux installations et aux performances, bon nombre de ces artistes travaillent non seulement
sur la toile, qu’ils préfèrent fréquemment libre de tout châssis, mais aussi sur le bois, le carton et d’autres supports
plus insolites, étendant leur création à d'autres formes que la peinture de chevalet. Ainsi des Fenêtres ou rideaux
saturés de Raouf Brahmia (1965) sur lesquels se pressent les vestiges des choses et des images, ou des planches à
laver, valises, éléments d’appareils ménagers, plateaux et tronçons de poutres que transfigure Kamel Yahiaoui
(1966)[30].
Au bord de cette extension de la peinture hors de son espace traditionnel, la sculpture est notamment représentée par
le peintre sculpteur Bachir Belounis (1950-2003) célèbre pour ses peintures-sculptures et sculptures monumentales
abstraites, Mohamed Demagh (1930), Mohand Amara (1952), Smail Zizi (1946) et Rachid Khimoune (1953), l’un
des artistes majeurs d’une génération nouvelle, née en France. Moulant les pavés, dalles et grilles des chaussées et
des trottoirs, il en détache au long des villes des empreintes qui, recomposées, deviennent hommes, femmes, Enfants
du monde, Guerriers déferlant de lointaines époques, Tortues ou Poissons, tandis que s’éveille la faune des fossiles
qui sommeillaient dans les squelettes récupérés des machines abandonnées[31].
Peinture algérienne contemporaine
7
Figuration contemporaine
Les artistes algériens ont ainsi en un demi-siècle intégré fortement leurs voix aux dialogues des expressions
contemporaines. Bien souvent les aînés sont passés plus ou moins longuement par Paris, certains s’y sont installés.
Ayant d’abord exposé en Algérie quand, au début des années 1980, sur la fin des « années de plomb », s’ouvrent de
nouveaux lieux culturels et les premières galeries indépendantes, notamment l’active Galerie Issiakhem-Isma d’Alger
animée par Mustapha Orif, plusieurs des peintres des générations suivantes les rejoignent, présentés au Centre
Culturel Algérien, dans maints lieux associatifs et quelques galeries à Paris, en banlieue et en province. Sous
l’impulsion de Lucette Albaret, l’ADEIAO entreprend de mieux faire connaître les « Expressions multiples » de
l’Algérie, réunissant en 1987 Baya, Issiakhem et Khadda, organisant encore un « Hommage à Baya » lors de sa
disparition, exposant Tibouchi, Koraïchi, ou plus récemment, Khadda, Guermaz et Aksouh.actuellement plusieurs
jeunes peintre benaouda abde raouf
En 1993 le poète et romancier Tahar Djaout, symbole de la résistance intellectuelle à l'intégrisme, qui avait
accompagné de ses articles et préfaces les parcours, notamment, de Baya, Khadda, Mesli, Martinez, Tibouchi,
Djaafer, Mohand ou Khimoune[32], est assassiné. Les poètes Laadi Flici et Youcef Sebti, le dramaturge Abdelkader
Alloula, le directeur de l'École des Beaux-Arts d'Alger, Ahmed Asselah, parmi tant d'autres victimes, partagent son
sort. De nombreux peintres sont alors, sous la menace, contraints de se réfugier en France. D’autres, à travers les «
années de sang », demeurent dans le risque, tentant de maintenir, aujourd'hui de ranimer, une vie culturelle dévastée.
De part et d’autre de la Méditerranée ils opposent au cauchemar meurtrier du fanatisme le visage de l'Algérie
créative.
Au début des années 1990, après la première Guerre du Golfe et le coup de frein donné à l’effervescence et la
spéculation dans le monde du marché de l’art de l’époque, beaucoup de collectionneurs et de marchands se tournent
vers la peinture figurative, jugée plus fiable en matière de critères. Du coup, celle-ci va prendre une place
prépondérante sur la scène artistique internationale. La figuration sort de la marginalisation et du dénigrement subis
durant des décennies. Ce retournement de situation est perçu par une partie des peintres comme un effondrement
d‘un autre « Mur de Berlin ». Les institutions d’art qui, jusque-là, tournaient le dos à la production figurative ouvrent
leurs espaces d’exposition à la diversité. En Algérie, la galerie algéroise Isma est l’exemple de ce changement. Son
directeur, Mustapha Orif, qui jusqu’alors restreignait son groupe d’artistes attitrés, composé de plasticiens
d’expression abstraite ou semi-abstraite, tend la main à quelques « refusés ». L’abstraction et la figuration se côtoient
désormais sur ses cimaises : un tabou vient de tomber.
Hocine Ziani
Il faut souligner que plusieurs peintres de la génération de l’Algérie
indépendante n’ont pas attendu cette réhabilitation pour faire de la
tendance figurative leur mode d'expression. Hocine Ziani (1953), l'un
des plus représentatifs de cette mouvance, s'illustre par une production
de toiles de narration, dans un style s'alliant à l'hyperréalisme. Le
premier plan de ses compositions est traité avec la rigueur du
classicisme tandis que le second et le fond s’estompent dans des
touches plus libres. Ainsi, cette fusion d’écoles, qui n’est nullement une
confrontation, engendre une œuvre à la fois figurative et moderne. Sa
contribution à l’illustration de l’histoire nationale de son pays ajoutera
une grande popularité à sa peinture. Celle-ci est devenue l’une des plus
reproduites en Algérie et dans le reste du Maghreb, notamment ses
grandes toiles aux thèmes historiques. Cette notoriété va faire de son
travail une source d’inspiration pour un certain nombre de jeunes
artistes qui, autodidactes ou fréquentant l’école des Beaux-arts, y
Peinture algérienne contemporaine
trouvent matière à copier, soit pour leur apprentissage ou pour en faire commerce. D'autres artistes de sa génération
font partie comme lui de la famille des figuratifs, citons Moussa Bourdine (1946), dont la facture et la thématique de
sa peinture ne sont pas sans nous rappeler le style d'Issiakhem, et Layachi Hamidouche (1947), ou encore
Noureddine Zekara (1963) qui synthétise le style figuratif et académique avec des compositions faites de signes et
symboles tirés du terroir traditionnel algérien. La jeune génération actuelle compte ainsi de fervents continuateurs de
la tradition figurative.
Notes et références
[1] Mohammed Khadda, Feuillets épars liés, SNED, Alger, 1983.
[2] « Felouques turques, princesses diaphanes, gazelles dans les patios, vasques fleuries, images sélectives de la nostalgie, en marge du temps
vécu » : la miniature ne connaît « ni les haillons de la plèbe, ni les métiers pénibles des classes laborieuses ni les thèmes prosaïques. Images à
l'orée de l'histoire » : à l'abri de toute durée elle semble vouloir exclure de son univers d'équilibre et de mesure aux symétries précieusement
brisées toute présence de la douleur, tout sentiment violent, toute tension, tout drame. Un combat de cavalier n'est plus qu'« élégant ballet »,
une bataille de navires que « fête et féerie nautique. Dans les patios toujours calmes, les démarches sont feutrées, les gestes lents (...) Dans cet
univers clos de luxe discret et d'oisiveté (...) la fonction de la femme est d'être belle ». Rêveries repliées sur les splendeurs d'un temps perdu, la
miniature, analyse Khadda, s'enfermera dans l'évocation du « confort désuet de couches sociales nanties à leur déclin », Mohammed Khadda,
Mohamed Racim (1975), dans Feuillets épars liés, SNED, Alger, 1983, p. 11-14.« Le domaine de la miniature, art minorisé, ne permet qu'une
expression oblique de l'identité nationale et ne ménage pas de possibilité d'évolution et de développement. L'art de la miniature sera
frileusement intimiste et d'un navrant passéisme et le restera jusqu'à nos jours. En marge de la vie sociale, indifférente aux misères de notre
peuple, aux atrocités d'une longue histoire, la miniature célèbre les fastes d'antan, les odalisques/hourris, le brocard et la soie (...). Mais cette
voie qu'emprunte la miniature, malgré les travers et les défauts que nous avons évoqués, est une faille ouverte dans le vaste projet de
dénégation de la culture et de l'histoire arabes (...). L'art occidental hégémoniste dans notre pays devra dorénavant cohabiter avec un art
typiquement arabe, certes mal assuré, mais qui a le mérite de s'imposer dans sa flagrante différence et de créer un précédent. », Mohammed
Khadda, Modernité et ressourcement (1982), dans Feuillets épars liés, SNED, Alger, 1983, p. 42 et 43.
[3] Les effets du voyage, 25 artistes algériens, textes de Fatma Zohra Zamoum, Ramon Tio Bellido, Michel-Georges Bernard et Malika Dorbani
Bouabdellah, Palais des Congrès et de la Culture, Le Mans, 1995, p. 8
[4] L'exposition réunit des peintures d'Aksouh, Baya, Hacène Bénaboura, Benanteur, Bouzid, Guermaz, Issiakhem, Khadda, Azouaou Mammeri,
Mesli, Martinez, Mohamed Racim, Bachir Yellès, Zérarti, mais aussi d'Angel-Diaz-Ojeda, Jean de Maisonseul, Nallard et René Sintès, ainsi
que des dessins d'enfants.
[5] Baya, Derrière le Miroir, Galerie Maeght, Paris, novembre 1947
[6] Lucette Albaret, dans Baya, textes de Lucette Albaret, Michel-Georges Bernard et François Pouillon, Cahiers de l'ADEIAO n° 16, Paris,
2000, p. 5-8
[7] (http:/ / membres. lycos. fr/ issiakhem/ )Site consacré à M'hamed Issiakhem (biographie détaillée; liste d'exposition; textes de Malika
Bouabdellah, Benamar Médiene, Khaled Benmiloud, Kateb Yacine, Djamel Amrani).
[8] Kateb Yacine, Œil-de-lynx et les américains, trente-cinq années de l'enfer d'un peintre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Alger,
1977
[9] Les effets du voyage, 25 artistes algériens, textes de Fatma Zohra Zamoum, Ramon Tio Bellido, Michel-Georges Bernard et Malika Dorbani
Bouabdellah, Palais des Congrès et de la Culture, Le Mans, 1995, p. 83
[10] cité dans Michel-Georges Bernard, Khadda, Enag éditions, Alger, 2002, p. 48
[11] (http:/ / www. khadda. com/ ) Site officiel du peintre, sélection d'images (24 peintures, 7 aquarelles et gravures)
[12] Jean Sénac, Visages d’Algérie, Regards sur l’art, textes réunis par Hamid Nacer-Khodja, EDIF 2000, Alger, et Paris-Méditerranée, Paris,
2002
[13] notamment dans la plaquette « Éléments pour un art nouveau », textes de Anna Gréki et Khadda, [Edmond Charlot], Alger, 1966
[14] cité dans Michel-Georges Bernard, Khadda, Enag éditions, Alger, 2002, p. 190
[15] Khadda, UNESCO, Paris, 2003, p. 3
[16] cité dans Michel-Georges Bernard, Khadda, Enag éditions, Alger, 2002, p. 76
[17] Khadda dix ans après..., textes de Naget Belkaïd-Khadda et Michel-Georges Bernard, Centre culturel algérien, Paris, 2001, p.13
[18] Pierre Rey, Guermaz, Le silence et la lumière', dans Algérie, Lumières du Sud, Cahiers de l'ADEIAO n°20, Maison des Sciences de
l'Homme, Paris, 2002, p.19-21
[19] selon l'expression d'Abdallah Benanteur citée par Michel-Georges Bernard, Guermaz, Voyage au pays de la lumière, dans Algérie
Littérature/Action n° 49-50, Paris, mars-avril 2001, p. 153
[20] Benanteur, gravures, préface de Ali Silem, textes de Rabah Belamri, Michel-Georges Bernard, Monique Boucher, Rachid Boudjedra,
Mohammed Khadda, Henri Kréa, Jean Pélégri et Hamid Tibouchi, AEFAB-ENAG éditeurs, Alger, 1989, p.25-26
[21] Michel-Georges Bernard, Aksouh, Escales au pays de la lumière, dans « Horizons Maghrébins » n° 52, Université de Toulouse-Le Mirail,
2005, p. 189-190
[22] reproduit dans Peintres du Signe, textes de Pierre Gaudibert, Nourredine Saadi, Michel-Georges Bernard et Nicole de Pontcharra, Fête de
l’Humanité, La Courneuve, 1998, p. 11.
8
Peinture algérienne contemporaine
[23] Mesli, Palimpseste de Tin Hinan, préface de Rachid Boudjedra, Centre culturel français, Alger, 1990
[24] Nourredine Saadi, Martinez, peintre algérien, Éditions Barzakh, Alger et Le bec en l’air, Manosque, 2003
[25] Silem, Centres Culturels Français en Algérie, Alger, 1991
[26] Michel-Georges Bernard, Algérie, Peintres des deux rives, dans Artension n°10, Caluire, mars-avril 2003, p. 8
[27] "Tibouchi", Cahiers de l'ADEIAO n° 17, Maison des Sciences de l'Homme, Paris, septembre 2000, p. 17
[28] Le groupe réunit Noureddine Ferroukhi, Ammar Bouras, Hellal Zoubir, Jaoudet Gassouma, Meriem Ait El-Hara, Kheira Slimani, Karim
Sergoua et Adlane Djeffal
[29] Michel-Georges Bernard, Lumières et signes : la peinture en Algérie, dans numéro Hors série Algérie, Europe, Paris, novembre 2003, p.
156-157.
[30] Kamel Yahiaoui, Conversation avec le vent, textes de Benmohamed, Michel-Georges Bernard, Nabile Farès, Nicole de Pontcharra,
Nourredine Saadi, Hamid Tibouchi et Fatma Zohra Zamoum », Éditions Artcom, Paris, 1999
[31] (http:/ / www. rachidkhimoune. com) Site officiel de Rachid Khimoune. (http:/ / lesenfantsdumonde. zeblog. com) Blog consacré aux
Enfants du Monde
[32] Michel-Georges Bernard, L'invention du regard : Tahar Djaout et la peinture algérienne contemporaine dans Algérie Littérature/Action n°
12-13, Paris, avril-mai 1997
9
Sources et contributeurs de l’article
Sources et contributeurs de l’article
Peinture algérienne contemporaine Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?oldid=83710198 Contributeurs: Ahbon?, Ahmed mebarki, Badmood, Basilus, Benoit rigaut, Bloody-libu,
Bordolien, Brozouf, Chris a liege, CommonsDelinker, Drongou, Dzpublish, Ghenif, Inisheer, Jef-Infojef, Kaci12, Kootshisme, LPLT, Laurent Nguyen, Lilyu, Mahmoudregard, Mathieuw, Mel22,
Michel-georges bernard, Min's, N'importe lequel, Ollamh, Omar2788, Orlodrim, Ouartilani, Oxo, P-e, Phe, ROUMIFASSI, Rodert, Serein, Strata, Stéphane33, Trex, Yelles, Zetud, 58
modifications anonymes
Source des images, licences et contributeurs
Image:Issiakhem 2.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Issiakhem_2.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0 Contributeurs: Yelles
Image:Mohammed Khadda.3.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Mohammed_Khadda.3.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0
Contributeurs: Michel-georges bernard
Fichier:Abdallah Benanteur.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Abdallah_Benanteur.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0
Contributeurs: Michel-georges bernard
Image:Aksouh, 2003.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Aksouh,_2003.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0 Contributeurs:
Michel-georges bernard
Image:Mesli.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Mesli.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0 Contributeurs: Yelles M.C.A.
Image:Denis Martinez, 1990.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Denis_Martinez,_1990.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0
Contributeurs: Michel-georges bernard
Image:Hamid Tibouchi, 1997.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Hamid_Tibouchi,_1997.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0
Contributeurs: Michel-georges bernard
Image:Mokhtar Djaafer.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Mokhtar_Djaafer.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0 Contributeurs:
Michel-georges bernard
Image:Abderrahmane Ould Mohand.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Abderrahmane_Ould_Mohand.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike
3.0,2.5,2.0,1.0 Contributeurs: Michel-georges bernard
Image:Arezki Larbi.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Arezki_Larbi.jpg Licence: Creative Commons Attribution-Sharealike 3.0,2.5,2.0,1.0 Contributeurs:
Michel-georges bernard
Image:Hocine Ziani.jpg Source: http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fichier:Hocine_Ziani.jpg Licence: GNU Free Documentation License Contributeurs: -
Licence
Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported
//creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/
10