Le Filou Revue semestrielle du Théâtre Massalia “Le théâtre
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Le Filou Revue semestrielle du Théâtre Massalia “Le théâtre
Le Filou Revue semestrielle du Théâtre Massalia “Le théâtre interroge et pose des questions. Il n’est pas un simple miroir réconfortant, mais touche l’être à un endroit fondamental” Sylviane Fortuny Théâtre Massalia Jeune public tout public Le Filou N°0 - Décembre 2003 Le Filou est une publication du Théâtre Massalia, en vente 5 euros, comprise dans l’adhésion "Filou" au Théâtre Massalia directrice de la publication : Graziella Végis rédaction : Fred Kahn, Philippe Foulquié, Graziella Végis, avec les contributions pour ce numéro de Denis Chabroullet, René Renato Croci, Philippe Dorin et Marie Neuville conception graphique, mise en page : Piquet Design Group imprimerie : Siris Dépôt légal décembre 2003, ISSN en cours Producteur Théâtre Massalia, Direction Philippe Foulquié La friche la belle de mai • 13331 Marseille cedex 3 • Tél : 0495049570 • Fax : 0495049567 www : theatremassalia.com • e-mail : [email protected] L’équipe Massalia Nathalie Bonino, Julien Castagna, Jany Cianferani, Philippe Foulquié, Marion Héry, Patrice Laisney, Sabine Liautaud, Véra Maero, Niquette Myrtil, Caroline Ninat, Marie Josée Ordener, Eric Paté, Isabelle Richomme, Pascale Souteyrand, Graziella Végis. Sommaire ce qui se fait, se pense, se raconte… 6 / centre ressources massalia 7 / Les réunions du groupe de travail Mark Tompkins : la danse contemporaine, le jeu et les jeunes 8-9 / Du je(u) au nous 10-11 / Le jeu et les jeunes Philippe Dorin : l’écriture dramatique et les jeunes 12-13 / Entre les mots 14-15 / Je ne sais pas si j’écris pour les enfants Patrick Ben Soussan/Damien Bouvet 16-17 / La langue des corps 18-19 / Faire le clown 20-21 / Les jeux ne sont jamais faits les oiseaux 22-23-24 / Les Oiseaux 25 / Aline Soler Ce qui s’écrit, se lit, se dit, se crie… 28-29 / René Croci 30-31 / Zona Franca 32 / Enfants,emmenez vos parents… 33 / Les mots mais pas seulement par Philippe Foulquié Ce qui se construit, s'experimente, se recherche... 36-39 / Les enfants, Edward Bond et le collège Versailles 40-41 / Alzhar, le Misanthrope, la friche, Marseille et le monde 42-43 / La Mezzanine Édito Parce que le projet artistique du théâtre Massalia est complexe, et qu’il ne peut pas se raconter en deux mots, Parce que proposer du théâtre aux enfants et aux jeunes aujourd’hui, n’est pas facile, Parce que aller au théâtre aujourd’hui est un acte courageux, Parce que la vie n’est jamais simple, Le FILOU nouvelle formule est né ! Ce n’est plus un programme (pour cela demandez le programme trimestriel de Massalia), mais une revue où nous aimerions, au travers de nos pratiques et des expériences racontées mieux vous faire connaître le Théâtre Massalia, les réflexions, les idées, les désirs qui l’animent. Spectateur, parent, enseignant, adolescent, animateur, artiste ou professionnel de la culture ou de l’enfance : vous pourrez y lire les synthèses des réunions des groupes de travail qui se sont tenues dans l’année et au cours desquelles, les artistes ont bien voulu nous faire partager leur expérience de travail avec ou pour le jeune public; vous pourrez lire des témoignages d’artistes ou autres participants à des expériences théâtrales ; vous pourrez lire aussi nos coups de gueules, nos coups de foudre... Ce qui se fait... se pense... se raconte... Ce qui s’écrit... se lit... se dit... se crie... Ce qui se construit... s’expérimente... se recherche... Graziella Végis Ce qui se fait, se pense, se raconte… Il vaut mieux garder ses souvenirs d’enfance en soi, plutôt que de tenter de les vérifier. Gao Xingjian Extrait de “La montagne de l’âme” Graziella Végis Un centre ressources jeune public au théatre massalia Un lieu d’expériences et de pratiques artistiques et culturelles Le théâtre Massalia constitue dans le Grand Sud de la France et particulièrement en région PACA, une structure de référence jeune public, à reconnaissance nationale et européenne. Depuis quelques années, le Théâtre Massalia défend et développe un nouveau concept Jeune Public, au fait des réalités artistiques et interdisciplinaires et en phase avec l’évolution de l’action culturelle. Ce concept, que l’on peut nommer “Centre Européen de Productions Artistiques Interdisciplinaires Jeune Public” s’appuie essentiellement sur le savoir faire de Massalia. En considérant comme acquise la nécessité d’explorer les formes artistiques dans leur diversité (des arts dramatiques aux autres disciplines), ce nouveau concept repose sur une idée essentielle : le croisement des disciplines artistiques, principe fondamental de la création des œuvres pour le jeune public et facteur d’innovation et de recherche. L’activité de ce centre européen s’articule autour de la production et de la circulation des œuvres, des explorations qu’elles proposent et des réflexions qu’elles découvrent. C’est dans ce contexte et dans une dynamique de développement du projet, que s’inscrit cette idée de la mise en place d’un Centre Ressources. Centré sur les questions du jeune public (actualité artistique en région, projets d’action culturelle innovants, réflexion sur la relation arts et jeune public), il s’ouvrira également sur les formes artistiques dites marginales (marionnettes au sens large, cirque…) avec lesquelles le jeune public développe des relations privilégiées. Plus qu’un lieu d’information, ce Centre ressources sera le reflet de la conception des relations aux jeunes publics que développe Massalia au sein de la Friche La Belle de Mai.La Friche la Belle de Mai représente à la fois un outil au service de la création et un terrain d’expérimentation des rapports aux publics. Massalia, en tant que principal producteur théâtre de la Friche la Belle de Mai, est à l’origine de l’installation dans ce lieu de différentes compagnies artistiques. Ces résidences sont autant de prétextes à inventer de nouvelles formes de rapport au public : associer les enfants et les jeunes au travail artistique donnant ainsi tout son sens au terme de public partenaire artistique : rencontres avec les artistes, suivi de l’élaboration des spectacles, appropriation de l’objet artistique par une recherche créative sur le thème ou sur la forme du travail engagé par les artistes... Depuis la rentrée 1999/2000, Massalia est acteur de l’opération de jumelage qui lie l’ensemble des établissements scolaires des quartiers Saint Mauront / Bellevue / Belle de Mai à l’ensemble des acteurs artistiques et culturels de la Friche la Belle de Mai. Cadre institutionnel non contraignant, ce jumelage vise à établir une cohérence plus grande des pratiques d’échanges artistiques et pédagogiques déjà existantes et à multiplier les propositions transversales comme celles de l’Espace Culture Multimédia ou de Radio Grenouille. Dans ce contexte de pratiques innovantes et d’expérimentation, ce Centre Ressources se veut un lieu d’information mais également un lieu de réflexion, sorte d’espace protégé, à l’écart de l’urgence de programmation, un lieu où il s’agira d’observer, d’analyser, et de mettre en relation les pratiques artistiques et culturelles avec d’autres champs disciplinaires et notamment scientifiques. Graziella Végis www.theatremassalia.com Le centre ressources jeune public est sur le site de Massalia. Il propose la mise en liens de différents sites afin d’accéder à l’actualité des spectacles et actions jeune public, marionnettes et cirque dans la région (ou plus loin si intéressant) et à une base de données liées à l’actualité de Massalia, de la Friche, ou d’opérations intéressantes dans la région ou ailleurs (accès à des bibliographies, des articles, des œuvres, des textes, des images etc…), ainsi qu’à des informations administratives, juridiques et fiscales. G.V. Groupes de travail jeune public Ces groupes de travail répondent à deux objectifs principaux : réfléchir sur les aspects fondamentaux de la relation entre l’art et le jeune public en sollicitant regards et analyses des scientifiques, et alimenter la réflexion qui s’appuie à la fois sur les pratiques actuelles et sur les réalités des terrains. Ils sont ouverts à des personnes d’horizons diverses mais qui, dans leur pratique professionnelle sont en rapport constant avec ce sujet. Chaque réunion est articulée autour d’un thème précis avec un intervenant invité : économiste, sociologue, inspecteur d’académie, représentant d’association théâtre et jeune public, psychanalyste, philosophe, pédo-psychiatre, responsable de la petite enfance d’une ville, metteur en scène, chorégraphe, musicien ou tout autre artiste qui a eu une expérience de production avec des enfants, responsable d’une structure culturelle française ou étrangère, architecte, plasticien etc…) Quatre réunions se sont tenues depuis janvier. Les pages qui suivent en donnent la synthèse. Des relations d’expériences aux commentaires avisés de spécialistes, ces réunions se veulent un lieu d’information et d’échange autour des expériences artistiques qui concernent les enfants et les jeunes. Afin de mieux répondre aux soucis des participants, dorénavant, ces réunions se tiendront en fin d’après-midi et dans le cadre du cabaret aléatoire de la friche la belle de mai en collaboration avec Radio Grenouille. Si vous souhaitez être personnellement informé du calendrier des groupes de travail jeune public, faites nous le savoir au 04 95 04 95 70. G.V. Groupe de travail autour de Mark Tompkins Du je(u) au nous Mark Tompkins est danseur chorégraphe. Il dirige la compagnie I.D.A. Le Théâtre Massalia a accueilli “La vie Rêvée d’Aimé” du 23 au 24 janvier 2003. Les trois obsessions de Mark Tompkins ? La vie l’amour et la mort. “C’est banal, mais essentiel”. Ce grand bonhomme déguingandé, qui, à 49 ans, reste étonnamment juvénile, n’a pas besoin de long discours pour communiquer sa passion. Il sait trouver les mots justes et les images parlantes. Il a le contact facile et le chic pour vous mettre à l’aise. Son accent prononcé et son attitude directe et naturelle trahissent ses origines américaines. Danseur, chorégraphe et pédagogue En effet, Mark Tompkins a quitté les Etats-Unis en 1973. Il vit en France depuis. Pour autant, il serait vain d’essayer de le réduire à un territoire. Les frontières, il n’en a cure. Elles ne servent qu’à être transgressées. Ainsi, il est à la fois danseur, chorégraphe et pédagogue et adore entremêler les disciplines. Il alterne sans problème, les projets collectifs et les solos, travaille sur l’intime tout en démultipliant les résidences et les rencontres. De plus, parallèlement à ses activités de directeur artistique de la Compagnie I.D.A., il mène depuis des années une recherche sur l’improvisation et la composition instantanée. La danse, la musique, la vidéo, la lumière, la photo, les arts plastiques… il ne rejette a priori aucun matériaux. “J’utilise tout et n’importe quoi du moment que c’est nécessaire pour le spectacle”. Mais cette multiplicité des langages se cristallise autour d’une démarche extrêmement cohérente. “Mon sujet c’est le corps. Tout traverse le corps. C’est notre matière commune. Il est là avant la parole”. Avec Mark Tompkins, l’enveloppe charnelle devient la source et l’aboutissement de sensations et de pensées contradictoires, informulables et impalpables, mais pourtant essentielle, car garante du lien qui unit les êtres. Pour arriver à ses fins, il n’hésite pas à explorer les zones troubles de la condition humaine : l’ambivalence, l’androgénie, le narcissisme… Tout ce qui favorise les allersretours entre le “moi” et le “nous”. De même, il inscrit toujours l’acte de représentation au plus près du réel. Il joue avec les situations du quotidien et de l’ordinaire, se sert des coïncidences et des hasards de la vie, accumule les citations qui résonneront dans la mémoire du spectateur. Mais, il ne s’agit nullement d’opérer dans le réalisme, le dispositif tout entier reste tourné vers la fiction. “Je travaille par succession de trames : narratives, visuelles, auditives, psychologiques. A chacun de reconstruire son parcours à l’intérieur de ces propositions qui se croisent. A la fin du spectacle, tout le monde a vu le même objet, mais chacun se raconte une histoire différente”. La communauté ainsi rassemblée va se reconnaître dans l’affirmation d’une singularité inaliénable. Le corps intime devient alors parti prenant du corps social vice-versa. Bref, les spectacles Mark Tompkins sont politiques puisqu’ils mettent simultanément à jour le miracle de l’individu et l’inanité de l’individualisme. Fred Kahn Mark Tompkins Le jeu et les jeunes Mark Tompkins est un touche-à-tout. Pas étonnant donc qu’il se soit frotté au spectacle jeune public. Dans le cadre d’une résidence à Strasbourg, il a su mener de front la création artistique et l’intervention auprès d’un public de préadolescents. Il a témoigné de cette expérience, mercredi 22 janvier, dans le cadre du groupe de travail sur la “relation entre le théâtre, l’art en général et je jeune public”, mis en place par le Théâtre Massalia. Une résidence de 2 ans... Mark Tompkins a expliqué comment, à l’occasion d’une résidence de deux ans (1998-2000), il a monté un projet artistique, intitulé “La vie rêvée d’Aimée”, pour et avec une population de collégiens de la ville de Strasbourg et de sa région. “Il ne s’agissait pas de faire de l’animation gratuite, ou du baby-sitting, mais d’impliquer les jeunes dans un véritable travail de création. Ils ont apporté certains des thèmes et ont été inclus dans la première mouture du spectacle qui a été présentée à Strasbourg”. Pour cette expérience, Mark Tompkins a travaillé dans les collèges du bas-Rhin. Il s’est appuyé sur les structures de l’éducation nationale et plus particulièrement sur l’Union nationale de sport scolaire (UNSS) qui faisait le lien entre les enfants et les artistes. Les rôles étaient clairement répartis. Tout ce qui relevait de la pédagogie à proprement parlée et de la discipline était du ressort de l’UNSS. “Nous n’avons jamais remplacé les professeurs. Nous ne voulions pas nous substituer à eux”. “Les enfants qui ont participé au projet étaient tous volontaires”, a également précisé Mark Tompkins pour bien souligner le fait que l’engagement des participants est indispensable à la bonne réussite de ce type d’aventure. “Nous leur demandions d’être professionnels et responsables”. Il a aussi insisté sur le fait qu’une telle relation ne peut se construire que sur un temps long. Une compagnie spécifique... La souplesse de Mark Tompkins est étonnante. Il cherche toujours à adapter le dispositif de production aux nécessités artistiques. Ainsi, pour ce projet, il n’a pas hésité pas à former une compagnie spécifique. Il a recruté 8 danseurs autant pour leurs compétences que pour leur capacité à communiquer avec les jeunes. Il a tout d’abord formé huit groupes de travail. Chaque groupe était composé d’un couple de danseurs professionnels et d’enfants. Ces ateliers se réunissaient tous les quinze jours environ. Les trois premiers mois (de janvier à début avril) ont été consacrés à l’improvisation à partir des éléments de décors du spectacle à venir. “Début avril, nous avons arrêté le processus de recherche et commencé le travail de création”. Le spectacle n’était pas pour eux mais avec eux Rappelons ici que la démarche artistique de Mark Tompkins est très ouverte. Il utilise aussi bien la danse, que la théâtralité, le chant ou les éléments visuels, ce qui lui a permis de s’adapter aux envies et aux compétences des enfants. Il n’imposait pas un savoir faire, ni un modèle, mais ouvrait un champ de possible dans lequel l’imaginaire de l’autre pouvait s’épanouir et se développer. “Il fallait se mettre au service des enfants. Le spectacle n’était pas pour eux, mais avec eux”, a encore martelé Mark Tompkins. Mark Tompkins ne voulait pas déroger à ses préoccupations d’artistes. Il creuse toujours l’endroit du trouble. Ici, il a donc choisi de travailler avec des préadolescents sur les conflits qui émergent à cette période de la vie. J’ai dû me censurer… Pour autant, des contradictions inévitables sont apparues entre un artiste qui ne cesse de remettre en cause “l’ordre établi” et le contexte spécifique dans lequel il opérait. Le sujet était particulièrement sensible. Comment traiter de la sexualité pré-pubère, des relations souvent conflictuelles au sein de la cellule familiale sans heurter certaines sensibilités ? “Je me suis retrouvé en porte-à-faux et j’ai dû me censurer, reconnaît Mark Tompkins. Dans ce contexte, il y a des choses qu’on peut faire et d’autres que l’on ne peut pas faire”. Transmettre un désir de connaissance Le débat qui a suivi l’intervention de Mark Tompkins était animé et franc. Il n’a pas occulté les différences de conception qui subsistent entre l’artiste et le corps enseignant, entre le besoin de questionner les normes du premier et les missions de socialisation et de pédagogie du second. Mais, si les points de vue sont parfois contradictoires, ils n’en sont pas moins complémentaires. Ils reposent sur la capacité des uns et des autres à transmettre un désir de connaissance, à éveiller la curiosité. Il est apparu évident que ce type d’expérience demande énormément de souplesse de part et d’autre. “Nous ne pouvons pas arriver avec un produit clés en main, a expliqué Jean-Louis Badet qui participe activement au processus de production de la compagnie I.D.A. Chaque aventure est singulière. L’implication du corps enseignant est donc aussi primordiale pour la réussite du projet, que la force intrinsèque de la démarche artistique. Fred Kahn L’écriture dramatique et les Jeunes Groupe de travail autour de Philippe Dorin, auteur Cie Pour Ainsi Dire, Philippe Dorin et Sylviane Fortuny Entre les mots Philippe Dorin, auteur et Sylviane Fortuny, metteur en scène, de la Compagnie “Pour Ainsi Dire” ont présenté deux spectacles à Massalia : “En attendant le Petit Poucet” en 2001 et “Dans ma maison de papier, j’ai despoèmes sur le feu” du 4 au 7 février 2003. Philippe Dorin et Sylviane Fortuny se sont rencontrés en 1994, lors d’ateliers d’écriture en milieu scolaire. C’est dans ce cadre qu’ils ont fabriqué leurs premiers dispositifs fictionnels. Mais la fiction précède toujours l’écriture. Alors, ils ont imaginé “une poubelle d’écrivain” dans laquelle, tel un archéologue, l’enfant pouvait puiser pour faire émerger des brides d’histoires du passé. Ils ont aussi inventé un “jardin d’écriture”, ont semé des boulettes de papier qui étaient ensuite déterrées, repiquées dans des pots et arrosées d’encre bleue. Des feuilles de papier, un peu d’encre, une poignée de cailloux... La langue n’était plus une chose immatérielle, elle venait au contraire se nourrir de la matière du monde. Les enfants ont besoin de cet ancrage concret pour ensuite pouvoir laisser voguer au loin leur imagination. Le matériel de départ est infiniment précieux et rare : des feuilles de papier, un peu d’encre, une poignée de cailloux... Ce n’est pas précieux ? N’importe quel gamin sait qu’un caillou recèle des aventures fabuleuses, il a roulé dans des eaux énigmatiques, voyagé dans d’innombrables poches, toutes plus mystérieuses les unes que les autres. En un sens, Philippe Dorin, est resté un éternel enfant. Il ne doute pas un seul instant que “toutes les histoires du monde sont dans la matière”. C’est à-dire à portée de main. En 1997, Philippe Dorin et Sylviane Fortuny s’associent pour de bon et fondent la compagnie Pour ainsi dire. Lui écrit, elle met en scène. Chacun sa partie. Et même si les mots sont les fondations de l’édifice spectaculaire, ils sont remis en jeu au présent, sur le plateau, nous sont proposés dans une forme scénique et plastique qui leur donnent vie sans nullement leur ôter leur liberté de mouvement. Cette parole est théâtrale parce qu’elle se vit au présent. “Dans la pensée de la réplique”. Ainsi les personnages “sont toujours dans l’instant où les choses sont dites”. Comme les enfants, ils ne préméditent pas leurs réactions. “Les enfants sont happés par les grands sujets de l’existence, ils les prennent de plein fouet. Mais sans préméditation”, explique Philippe Dorin. De fait, le spectateur accueille les images dans son esprit, elles ne s’imposent pas, elles résonnent. “Il suffit de nommer pour que la chose advienne...” Et la légèreté de la forme tranche avec la gravité des sujets abordés : il est question, de la mort, de l’amour, de la relation entre les êtres, de l’errance, de la solitude, de l’amitié et de tant d’autres choses qui, mises bout à bout, fabriquent une vie. “Il suffit de nommer pour que la chose advienne. Ce qui est dit existe”. Et ça marche. Pour que le miracle opère, il ne faut pas être encombré par des formules savantes et un savoir pesant. Il ne faut pas faire le malin et le virtuose. Pas d’exercice de style, juste la logique poétique qui échappe à toute autre logique. Et les mots se succèdent et avec eux naissent des situations, des couleurs et des sons, des idées claires et des pensées sombres… La limpidité des phrases ne fait que rendre plus flagrante la profondeur du propos. Exemple : “On ne peut pas se passer les uns des autres, le manque de chacun est le comble de l’autre”. Le théâtre devient ainsi un espace d’apparition sans aucun trucage ni effets spéciaux. Tout est déjà là à l’état latent. Ainsi, dans “Dans ma maison de papier j’ai des poèmes sur le feu”, le noir le plus total est une nécessité absolue, puisqu’il appelle la lumière qui viendra révéler la nature profonde des choses. De même, “le texte est un squelette autour duquel s’agrége la chair invisible du monde sensible”. En peu de mots, il faut tout dire “Je n’écris pas pour les enfants, mais ce sont les enfants qui m’ont permis d’être écrivain à part entière”. Pour Philippe Dorin, il n’y a pas à proprement parler d’écriture pour les enfants. Bien sûr, l’univers mis en œuvre doit rester accessible : “J’utilise des mots simples et des situations concrètes. En peu de mots, il faut tout dire. Quand j’écris, j’essaye de ne pas voir plus loin que le bout de mon nez”. Pour autant, nous ne sommes pas face à une narration linéaire, mais à des situations sensibles, un enchaînement de sensations et d’émotions qui par petites touches dessinent les contours de notre humanité. “Les mots ne construisent pas des histoires, ils les détruisent”, ajoute l’auteur qui préfère de loin le retranchement à la redondance. L’essentiel n’est donc pas dans les mots, mais entre. Avec Philippe Dorin et Sylviane Fortuny, l’enfant spectateur n’est pas conforté dans une posture immature et irresponsable. Il n’est pas face à un univers qui lui serait réservé, mais dans un monde qui comporte sa part d’angoisse et de peur, un monde qui le concerne et donc l’englobe. “Le théâtre interroge et pose des questions. Il n’est pas un simple miroir réconfortant, mais touche l’être à un endroit fondamental”, affirme Sylviane Fortuny. Il y a bien sûr une dimension ludique essentielle à l’acte théâtrale. Elle fait lien et soude la collectivité. Mais si le jeu libère les forces invisibles de l’imaginaire, il n’a pas pour fonction de divertir, de nous sortir de nous-mêmes. Cet imaginaire est partie intégrante du réel, il se pourrait même qu’il le constitue. Les enfants savent bien ça. Les artistes aussi. “Ce qu’il y a de plus réel en moi, ce sont les illusions que je crée”. Fred Kahn Philippe Dorin Je ne sais pas si j’écris pour les enfants “Celui qui écrit, intégralement, se retranche” Mallarmé Je ne sais pas si j’écris pour les enfants. Ce que je sais, c’est que ce sont les enfants qui m’ont permis de devenir écrivain à part entière. D’abord parce que la première fois que j’ai pu écrire quelque chose jusqu’au bout, et qui tienne debout, c’était pour les enfants. Et surtout, d’écrire pour les enfants m’a obligé à trouver des mots simples, à poser des situations concrètes, sans qu’à aucun moment le propos ne soit altéré. Et c’est ce dépouillement, cette simplicité qui au bout du compte, a fabriqué ma marque d’écriture, celle par qui on me reconnait aujourd’hui comme écrivain, et entre les autres ; en peu de mots, il faut tout dire. Quand j’écris, j’essaie de ne pas voir plus loin que le bout de mon nez. Je n’ai aucune grande vision de l’histoire que je vais écrire. Si j’écris, c’est bien parce que je ne sais pas comment le dire. Alors, j’essaie de n’être que dans la pensée de la réplique. Ce sont les mots qui en font naître d’autres et qui vont donner sens, par association d’idées, ou plutôt, par déduction. Je retranche. Chaque réplique est la suite logique d’une longue soustraction. Le total, c’est le mot “fin”. Je crois que les mots sont comptés, dès la naissance. J’ai l’impression que dans les cours de récréation, les enfants fonctionnent aussi comme ça. Leurs jeux sont dans l’instant où les choses sont dites. Les situations n’existent que le temps des mots qui sans arrêt, les défont. En fait, les mots ne construisent pas des histoires. Ils les détruisent, sans cesse, comme dans ce poème de Francis Ponge qui raconte que la roche est, depuis l’origine de la terre, dans un processus lent et inéxorable de destruction continuelle, de désintégration. N’être que dans la pensée de la réplique, c’est aussi ce que nous demandons à nos acteurs au sein de la Compagnie Pour Ainsi Dire. Comme si, au bout, c’était le dernier mot qu’il leur restait à dire. Dire, nommer, les gens, les choses, les situations, suffit. Les affirmer plutôt que les jouer. Dire juste, c’est juste le dire. C’est ce qui rend le mieux pour nous cette idée d’enfance sur scène. Ce qui fait par exemple qu’on ne se pose jamais la question de savoir si c’est un enfant ou un adulte qui joue l’enfant qui le dit. Etre dans le seul instant où les choses sont dites permet de toucher aux sujets essentiels, la vie, l’amour, la mort, en plein cœur, sans complaisance et sans ménagement. On doit parler de tout aux enfants plus qu’à tout autre encore. Leur ignorance de la vie est si grande que tous les grands sujets de l’existence les attrapent de plein fouet et les laissent KO. Nous les adultes, nous avons cette petite part de déjà vécu qui nous console tant bien que mal. Les enfants n’ont que les héros des contes pour les rassurer. Mais on doit leur parler sans préméditation. Mes personnages n’arrivent pas avec des intentions. Il n’y a aucune arrière-pensée dans leur bouche. Je voudrais qu’ils aient cette façon très triviale qu’ont les enfants de dire tout haut et trop fort des choses qu’on ne doit pas dire, en tout cas pas comme ça ou pas à ce moment là, et qui mettent dans l’embarras, qui laissent sans voix. Écrire, c’est fait pour provoquer le silence, faire bondir loin devant les pensées, aussi loin qu’on le faisait avant avec la délimitation des propriétés dans certaines régions immenses. La terre vous appartenait aussi loin que votre voix pouvait porter. Dernièrement, une enseignante me racontait qu’après avoir vu “Dans ma maison de papier…”, les enfants étaient restés muets à la sortie du théâtre, en grand désappointement. Puis, au fur et à mesure qu’ils se sont rapprochés de l’école, les langues ont commencé à se délier. Et enfin, une fois en classe, c’était un torrent de paroles. A force de chercher des mots simples pour écrire mes histoires, il ne m’en est pas resté beaucoup. Ma réserve de vocabulaire s’est considérablement réduite. Avec si peu, comment faire une histoire. Cela me fait penser à ces cuisinières, devant le frigo vide, qui doivent composer un menu pour le soir pour une famille entière d’affamés. Les mots, j’en mets un tous les cinquante mètres. Ils me servent à baliser le terrain, en quelque sorte, et l’histoire est comme un pont que le spectateur doit jeter luimême au-dessus du vide, entre deux balises. Dans nos spectacles, c’est plein de vide. Un jour, à la sortie de “En attendant le Petit Poucet”, une dame a demandé à son fils : “Ça t’a plu ?” L’enfant a répondu oui. La mère : “Eh ben t’es pas difficile !” C’est sûr, question histoire, le rendez-vous est manqué. Sur scène, il n’en reste plus que les miettes. Je me souviens aussi d’un enfant qui, parce que “En attendant le Petit Poucet” se jouait devant un rideau rouge, a cru que le spectacle n’avait jamais commencé. Ce que nous essayons de montrer, ce sont plutôt des choses invisibles comme le temps qui passe, les pensées qui traversent, l’attente de quelqu’un. C’est le négatif de l’histoire. Le texte est un squelette. La chair est invisible. Sur le papier déjà, le texte de théâtre est un squelette. Les noms des personnages superposés au centre de la page sont comme des vertèbres, les répliques comme des rangées de côtes, de part et d’autre. Le texte de théâtre est un spectre, en lui-même. Je voulais juste indiquer deux ou trois choses. J’ai l’impression que je les complique. On nous dit que nos spectacles sont difficiles à comprendre. Pourtant, nous essayons d’être le plus simple, le plus clair possible. Quand j’écris, moi j’ai toujours la tête penchée vers le bas, sur la feuille de papier. C’est là que ça se passe. Je me sens plus proche de quelqu’un qui plante des pommes de terre que de quelqu’un qui a la tête perdue dans les étoiles. Quand le monde est né, il y a des endroits qui sont restés vides, non peuplés d’hommes, de bêtes et de paysages, un peu comme ces recoins qu’on oublie toujours lorsqu’on peint une porte ou une fenêtre. Ces endroits, les hommes ont mis quatre murs autour, et ils les ont appelés théâtres. A l’intérieur, ils ne cessent d’y faire, d’y défaire et d’y refaire le monde, le pire et le meilleur. Pour qu’il y ait du théâtre, il faut d’abord qu’il y ait le noir et le silence. C’est pour cette raison que j’ai l’impression que toutes les pièces de théâtre commencent par “Allume !” et “Qui parle ?”. Le théâtre, c’est toujours quelque chose qui sera dit demain. Philippe Dorin Groupe de travail autour de Patrick Ben Soussan et Damien Bouvet La langue des corps Patrick Ben Soussan Patrick Ben Soussan, pédo-psychiatre a été sollicité par Massalia pour une sorte de commentaire du spectacle de Damien Bouvet de la Cie Voix Off “Chair de Papillon” programmé à Massalia du 11 au 13 février 2003. Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre et travaille à l’Institut Paoli Calmettes et à l’hôpital de La Timone à Marseille. Il est né et a grandi dans un milieu culturel où les histoires de famille racontées avaient une place très importante. Chaque histoire faisait l’objet d’une mise en scène, donnant toute son importance aux mots, au langage du corps, et à l’exacerbation des émotions. Enfant, il a donc baigné dans ce “théâtre de famille” qui lui a transmis une pratique de l’oralité, et qui finalement ne l’a jamais lâché. En effet, dans son travail en pédopsychiatrie, il utilise le théâtre, le conte, la musique. Il est très sensible au monde de la culture, à tout ce qui se transmet, à l’art au sens de l’expérience, de l’émotion esthétique. Il dirige depuis 1996 la revue Spirale et depuis 1997 la collection Mille et un Bébés chez Erès, toutes deux consacrés aux bébés dans tous leurs états. Depuis le mois d’avril, il fait partie du conseil d’administration du théâtre Massalia. G.V. Groupe de travail autour de Patrick Ben Soussan et Damien Bouvet La langue des corps Patrick Ben Soussan Patrick Ben Soussan, pédo-psychiatre a été sollicité par Massalia pour une sorte de commentaire du spectacle de Damien Bouvet de la Cie Voix Off “Chair de Papillon” programmé à Massalia du 11 au 13 février 2003. Patrick Ben Soussan est pédopsychiatre et travaille à l’Institut Paoli Calmettes et à l’hôpital de La Timone à Marseille. Il est né et a grandi dans un milieu culturel où les histoires de famille racontées avaient une place très importante. Chaque histoire faisait l’objet d’une mise en scène, donnant toute son importance aux mots, au langage du corps, et à l’exacerbation des émotions. Enfant, il a donc baigné dans ce “théâtre de famille” qui lui a transmis une pratique de l’oralité, et qui finalement ne l’a jamais lâché. En effet, dans son travail en pédopsychiatrie, il utilise le théâtre, le conte, la musique. Il est très sensible au monde de la culture, à tout ce qui se transmet, à l’art au sens de l’expérience, de l’émotion esthétique. Il dirige depuis 1996 la revue Spirale et depuis 1997 la collection Mille et un Bébés chez Erès, toutes deux consacrés aux bébés dans tous leurs états. Depuis le mois d’avril, il fait partie du conseil d’administration du théâtre Massalia. G.V. La rencontre entre Damien Bouvet auteur de “Chair de Papillon” et le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan est une évidence. D’un côté un spectacle qui creuse à l’endroit des peurs ancestrales qui déchire le voile des conventions sociales pour laisser apparaître notre part irréductible d’animalité, de l’autre un médecin constamment confronté à des enfants développant les symptômes du trouble, de la crise et même parfois de la rupture avec leur environnement. Entre les deux, une vérité de l’être impossible à atteindre. Comme tous les spectacles intenses et denses, “Chair de Papillon” entraîne le spectateur dans les zones inconfortables et intimes de notre être. Il y est question de transformation, de métamorphose, de passage entre un état et un autre. L’imaginaire de ce spectacle entre donc en parfaite résonance avec le développement et les changements qui s’opèrent chez l’enfant pendant qu’il grandit, notamment à l’adolescence, moment particulièrement critique de l’évolution humaine. Mais Damien Bouvet nous offre bien plus qu’une simple métaphore du passage de l’enfance à l’adolescence. D’ailleurs, il ne s’adresse pas à un public en particulier. “Je n’ai pas de public pré-établi. J’espère concerner autant un enfant de 3 ans et demi qu’un spectateur averti. En fait je propose un théâtre qui a définitivement besoin et de l’enfant et de l’adulte pour exister”. De même que lors des différents stades de la vie nous sommes à la fois les mêmes et fondamentalement des autres, ce spectacle nourrit plusieurs strates de la conscience et de l’appréhension du monde. Comme l’explique Patrick Ben Soussan : “Chacun porte en soi l’enfant, l’adulte, le vieillard et celui qui va mourir”. Damien Bouvet télescope les archétypes mythologiques et légendaires pour mieux les réactualiser. Il utilise les ressorts du fantastique et du rêve non pas pour nous éloigner de la réalité, mais, au contraire, pour en augmenter l’étendue. Il ne nous renvoie donc pas une image idéalisée de l’enfance. “Pour moi c’est un état monstrueux. Quand on est gosse, on est dans un train fantôme”. L’enfant n’a pas la prétention de comprendre un monde qui le dépasse complètement tout en l’englobant entièrement. En ce sens, il est sans doute plus proche de la vérité que les adultes. L’enfant sait que le jeu est une affaire à prendre au sérieux que, comme ils disent, si tu triches t’es mort !!! C’est à cet endroit d’une perte de contrôle assumée que Damien Bouvet veut nous entraîner. Alors il puise jusque dans les tréfonds de la toute petite enfance, refait émerger des émotions brutes, des peurs et des émerveillements enfouis au fond de nous et il les confronte à notre regard dans le présent de la représentation. Ce travail très sensoriel passe essentiellement par le corps, par la conscience corporelle. “Je fouille dans un avant mot”. Patrick Ben Soussan n’est pas dépaysé. D’abord parce qu’ayant baigné très jeune dans le milieu culturel il est particulièrement sensible “aux effets” du spectacle vivant. Ensuite parce que professionnellement, il doit, lui aussi, fouiller dans le non-dit pour résoudre des traumatismes enfantins. Il sait que l’enfant capte les choses autrement, mais qu’il les capte. “Selon l’âge, on regarde les choses différemment. Le plus important, c’est ce qui est transmis. On peut être touché à n’importe quel âge par un spectacle, mais on le sera de manière différente”. “Chair de Papillon” peut concerner des enfants très jeunes parce qu’il aborde des questions fondatrices. Il nous interroge à l’endroit de notre devenir. Donc sur un processus autant biologique que poétique et philosophique comme l’a rappelé Patrick Ben Soussan “L’appétence de tout enfant est de devenir adulte”. L’enfant se projette, à travers des histoires qui peuvent être d’une incroyable cruauté, dans un avenir qu’il ignore, qui lui fait peur et pourtant qu’il désire. Pendant ce temps, l’adulte “se reconstruit à partir de ce qu’il a été”. Certes, tout le monde ne verra pas le même spectacle. Et c’est tant mieux. Chez l’adulte, “Chair de Papillon” éveillera la conscience d’une altérité indéfinissable mais vitale. Chez l’enfant, ce spectacle mettra en jeu les ressorts de la différenciation entre le masculin et le féminin, le père et la mère ou encore entre l’enfance et l’âge adulte. Cette proposition travaille également à l’endroit de l’adolescence qui par définition est l’âge du passage entre deux états d’être. Un moment inconfortable où l’on quitte le territoire connu et relativement protégé de l’enfance pour entrer dans un nouveau monde, de nouvelles sensations avec un nouveau corps. “Chair de Papillon”, est une expérience sensible qui ne reproduit pas du même, mais nous plonge dans le mouvement de l’être vivant. Fred Kahn. Damien Bouvet Faire le clown Damien Bouvet est un clown. Mais ce n’est pas une posture anecdotique et divertissante. Il s’agit d’un véritable engagement artistique. Il pourrait en parler pendant des heures et avec passion. “Le clown c’est Becket ou Michaux. C’est un état, une façon d’être totale. C’est à la fois une source de savoir et une source d’oubli de son savoir. C’est un art du corps qui permet de penser simultanément la forme et le contenu. D’autre part, le clown est un miroir qui nous offre une image dérisoire et décalée de l’être humain”. Ce n’est pas par hasard si Damien Bouvet cite Michaux et fait référence à l’un de ses poèmes. “...Clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance / Je plongerai. / Sans bourse dans l’infini esprit sous-jacent, ouvert à tous, / Ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée / à force d’être nul / et ras... / et risible..”. Damien Bouvet partage avec Michaux le souci d’exacerber la vie, de toucher aux sources de l’identité et de l’authenticité. Comme le poète qui pratiquait “la descente dans les nerfs”, il manipule un matériau extrêmement dangereux. Il n’hésite pas à frôler le ridicule, à remettre complètement en jeu son ego, à détruire délibérément toute représentation valorisante mais factice de son être. Dans un essai sur ce poème de Michaux, Camilla Gjorven et Pierre Grouix, ont su montrer comment la figure du clown peut devenir une véritable arme critique sur la condition humaine : “au sens premier du terme -rustre, ruffian-, le clown appartient au plus bas degré de l’organisation des hommes. C’est de l’échelle sociale qu’il dégringole, jusqu’à se faire paria barbare, indigne. C’est dire ce que cette figure peut avoir de peu attirant à première vue. Mais, par un renversement grotesque, le clown n’est plus le dernier d’un ordre, mais le premier, le seul, d’un nouvel ordre, d’un ordre à part qu’il résume”*. Contrairement aux idées reçues, un vrai clown n’est pas dans la surenchère, mais dans une forme d’humilité qui lui permet de devenir représentatif de l’humanité : “S’il veut exister, le clown doit mobiliser l’ensemble de ses forces dans un projet d’être. […] Se dépouiller, quitter tous ses vêtements de circonstance pour être ce qui les lie tous, le corps qui les porte, sans plus”**. Le rire devient alors une expérience qui permet de sortir de soi-même pour mieux se retrouver. Une expérience physique qui passe obligatoirement par le corps, le traverse, sans l’encombrer. “Je ne fabrique pas des images mais du corps, explique Damien Bouvet. Le théâtre c’est avant tout du corps”. C’est dans ce corps partagé que se reconnaissent sans doute les enfants de tout âge. Il y a là quelque chose qui dépasse l’entendement et qui est pourtant parfaitement entendu. Reçu cinq sur cinq. Fred Kahn * & ** Lecture de “Clown” d’Henri Michaux, par Camilla Gjorven et Pierre Grouix. Essai disponible sur internet : www.maulpoix.net/clown.html Patrick Ben Soussan Les jeux ne sont jamais faits De multiples expériences ont démontré que, par le jeu, on pouvait comprendre et même parfois résoudre certains troubles profonds de l’enfant. La création artistique apporte également des réponses à des pathologies lourdes. Mais, il faut éviter les rapprochements trop hâtifs. Le jeu d’enfant n’a rien à voir avec le jeu d’artiste. Les territoires peuvent être mis en contexte à condition de bien les différencier. La réalité de la vie, c’est la perte… Patrick Ben Soussan rappelle qu’étymologiquement, prendre soin, signifie être présent. Une présence qui répond à une pathologie ou comble une “absence”, une angoisse, un manque et ce, de la même façon que le théâtre vient compenser notre finitude et notre peur de la mort. “A travers l’art, nous nous démultiplions. Nous avons la possibilité d’allonger notre vie, de la changer mille fois”, explique le pédopsychiatre. L’acte artistique est une manifestation de la pensée qui peut donc être envisagée comme une forme de symptôme de la vie. La création vient alors compenser cette perte qui est consécutive de toute existence. “La réalité de la vie, c’est la perte, rappelle Patrick Ben Soussan. Dès les premières secondes de notre existence, nous sommes confrontés à cette question de la perte. La vie commence par une séparation et tout au long de notre vie, il nous faut trouver un équilibre et faire en sorte que ce que l’on acquiert compense ce que l’on perd”. Le jeu théâtral repose donc sur des codes et des conventions, une mise à distance, qui n’ont rien à voir avec le jeu de l’enfant… Mais pour autant, peut-on dire que le jeu de l’enfant à la même fonction que le jeu théâtral qui, lui, nous permet de déjouer la mort ? Pour Patrick Ben Soussan, une telle assertion est beaucoup trop réductrice. “Nous plaquons sur le jeu de l’enfant notre vision d’adulte. L’enfant ne joue pas au sens où nous l’entendons. Il fait une expérience vitale. Pour un petit enfant, perdre son doudou, c’est terrible. Le monde disparaît. Il ne peut pas mettre à distance cette expérience. Il la vit en lui-même”. Le jeu théâtral repose donc sur des codes et des conventions, une mise à distance, qui n’ont rien à voir avec le jeu de l’enfant. Le spectacle se déroule dans un moment et un lieu déterminé, alors que, “pour l’enfant, le jeu contamine tout son environnement. Il est profondément ce à quoi il joue”. Et, forcément, un jeune enfant ne ressentira pas un spectacle de la même façon qu’un adulte. “Il ne sait pas ce que c’est et en même temps, il peut complètement entrer en résonance avec une proposition artistique. Au-delà de la parole, il reconnaît quelque chose qui lui est adressé directement. Il ne fonctionne pas sur la séduction, mais sur quelque chose de plus essentiel qu’il arrive à capter”. La rencontre avec la création artistique est, comme toute rencontre, une expérience structurante pour un individu en train de se construire. “Au moins on fait de rencontres, au moins on emmagasine d’expériences, au plus on se rétracte”, prévient le pédopsychiatre. “Et, les enfants aujourd’hui sont beaucoup moins soumis aux effets de rencontres que par le passé”. Anna Arendt a parfaitement analysé comment les modèles culturels s’effondrent à mesure que la société se fragmente. A l’avènement de l’individu répond une crise de la transmission, un rétrécissement de la culture commune, de la culture partagée. Le repli sur soi rend le monde plus étriqué. A l’inverse, l’acte artistique est une immense fenêtre qu’il faut ouvrir en grand et dès le plus jeune âge. Fred Kahn. Groupe de travail autour de Aline Soler Les oiseaux “Les oiseaux” : c’est le nom que s’est donné le groupe d’enfants et d’adultes réunis à Yutz, ville de l’agglomération thionvilloise, autour des écrits d’Armand Gatti (à l’initiative notamment de René Croci, instituteur). Aline Soler, réalisatrice radio, tente à Marseille la même expérience, avec la complicité de Fatima Nacer, institutrice à l’école Félix Pyat. Des oiseaux de Yutz aux oiseaux de Marseille C’est un soir de février 2001, en Avignon, qu’Aline Soler entend parler pour la première fois, de la bouche même d’Armand Gatti, des Oiseaux de Yutz. A l’origine du projet : une simple lecture d’Armand Gatti à Thionville. Mais les mots du poète ont rencontré l’oreille de René Croci, un instituteur engagé et passionné. Cet enseignant de CM1 à l’Ecole Pasteur de Yutz, petite commune de l’agglomération thionvilloise, décide alors de transmettre à ses élèves l’émotion qu’il a ressentie. Il lit en classe le livre en question, en l’occurrence “La Parole errante”, et initie un début de correspondance entre les enfants et Armand Gatti. Celui-ci répond par l’envoi à chacun de son livre. Ce geste apparemment anodin déclenche une véritable passion. L’engouement est d’autant plus incroyable que l’œuvre de Gatti est dense et foisonnante. Mais emportés par leurs élans et surtout guidés par René Croci, les Oiseaux (c’est ainsi que se sont rebaptisés les enfants) décident de réaliser leur propre livre, “Qu’est-ce que c’est que cet Est-Ouest”. Fraternisant avec les mots d’Armand Gatti, ils parlent de leurs origines, de leurs expériences, de leurs vies. “Un texte qui dépasse la parole d’enfants, explique Aline Soler. Car, ils ont pu avoir accès à un univers poétique que, jusque-là, ils ignoraient et qu’ils ont su s’approprier”. Aline Soler décide d’abord de réaliser un simple reportage sur cette aventure. Mais elle prend rapidement conscience du potentiel fondamental de cette expérience de vie. Elle comprend alors qu’il ne faut pas travailler sur les Oiseaux, mais avec eux. “De même que René Croci les avait amenés à se saisir de mots, de crayons, de formes et de toutes leurs capacités à écrire, dessiner, raconter, je voulais mettre à leur disposition micro, magnétophone et banc de montage pour qu’ils racontent radiophoniquement cette histoire extraordinaire”. En 2001 et 2002, elle travaille régulièrement avec les Oiseaux de Yutz. Et l’enthousiasme étant contagieux, en septembre 2002, le projet prend racine à Marseille. Fatima Nacer, enseignante à l’école Félix Pyat, convaincue de la pertinence de ce type d’action, décide d’impliquer sa classe CE2-CM1-CM2 dans le dispositif. Dans le même esprit qu’à Yutz, mais avec sa propre logique et ses nécessités internes, le groupe des Oiseaux de Marseille va prendre son envol. Le projet continue donc son évolution. Il est rebaptisé “Ceux qui ne sont jamais nommés dans l’Histoire”. Comme à Yutz, il se développe hors des périodes scolaires. Comme à Yutz, les enfants sont, comme par miracle, hyper motivés. Lors d’ateliers organisés à la Friche la Belle de Mai, Aline Soler, la comédienne Anne Ayçoberry et Nicole Félix développent les capacités créatrices des enfants à partir de la matière concrète du monde. Tous ensemble, ils construisent des chroniques et des récits de vie. Ils partent de connaissances familiales et personnelles, de lectures, mais aussi de thèmes et de préoccupations actuels. “Nous n’hésitons pas à parler de la guerre. Chacun apportant des éléments de réponse à travers son vécu et ses propres connaissances”. Cette prise de parole n’a donc rien de spontané. Elle est trop précieuse pour être gâchée. “La parole, comme la pensée, se construit, se forge, s’enrichit, se corrige, s’améliore”, précise Aline Soler. Les enfants se voient ainsi offrir de vrais temps de recherche et de liberté. “La définition d’un mot dont ils ignoraient le sens devient alors prétexte à jouer avec l’étymologie, l’association… d’autres mots, d’autres sens. Ainsi tout devient possible, de multiples propositions émergent et cette dynamique de travail offre aux plus “timides” une place véritable, l’occasion de dire et de faire, d’être singulier dans un temps collectif”. A terme, l’ensemble des chroniques et pièces radiophoniques émergeant de ce travail donnera lieu à l’édition d’un disque et les écrits à la réalisation d’un livre. Mais les traces laissées par les oiseaux de Yutz et de Marseille sont beaucoup plus profondes. Les enfants auront appris à penser un rapport au monde qui laisse une juste place à l’autre. Autrement dit : “Etre un Oiseau, c’est ne pas être chasseur”. C’est une qualité de pensée et une posture. Devenir Oiseau relève d’une entreprise de socialisation politique. C’est une responsabilité vis-à-vis des autres que l’on remet constamment en jeu. Ce projet amène donc l’enfant à se situer dans un groupe et, en toute lucidité, à fabriquer sa place dans ce groupe. La production de paroles et d’écrits redevient alors ce qu’elle ne devrait jamais cesser d’être : la traduction d’une tentative de réconciliation entre l’être et le monde. Car, comme l’a très bien compris Aline Soler “pour faire le monde autrement, il faut d’abord être capable de le dire autrement”. Fred Kahn Le salut d’un oiseau qui vole très très haut Le salut d’un oiseau qui se pose sur un arbre Le salut d’un chasseur qui veut tirer sur un oiseau Le salut d’un écrivain qui défend l’oiseau Le salut d’un écrivain qui emporte l’oiseau avec lui. Farida Un jour, un salut Un jour un salut qui dit salut à un salut qui dit de dire salut à un autre salut. L’autre salut resalut le salut en disant au salut “salue tous les saluts”. Le salut salue tous les saluts comme avait dit le salut qui l’avait resalué. Adrianne Un salut insuffisant Le salut ne sera jamais salué à sa juste valeur. Le salut avec ses 5 lettres déjà en disent plus. le salut a sa personnalité, chaque salut a son salut personnel. Le salut est insuffisant tout seul. Il est constitué de plusieurs saluts, le salut est un pluriel Insuffisant le salut constitué de plusieurs saluts forme un salut insuffisant même si tous les saluts se rejoignaient, ils seraient insuffisants. Anissa S. Les non nommés de l’histoire Les non nommés seront nommés dans l’histoire Les ministres, les présidents sont nommés dans l’histoire Mais Les enfants Les écoles Les enseignants Ne sont pas nommés C’est de l’injustice Pas juste, nous nous voulons être nommés dans l’histoire L ‘histoire ça se nomme Etre nommés dans l’histoire c’est un rêve très difficile à exaucer Armand Gatti n’est pas nommé dans l’histoire Nous nous le connaissons, j’en ai parlé à des personnes que je connais et qui ne connaissaient pas Armand Gatti. Nommer c’est exister Nommer c’est vivre Nommer c’est une histoire Nommer c’est les présidents et les ministres Nous allons être nommés grâce à une personne bien gentille, aline Anissa G. L’écrit c’est notre hyperespace si nous y entrons c’est toujours dans l’espoir peut-être démesuré de renaître dans un autre univers Gatti choisi par Abdelbassat Le salut Le salut Le salut Le salut Le salut Le salut Le salut Faissoil d’un oiseau qui vole dans les airs d’un volcan qui descend vers la mer d’un arbre qui est vert d’un oiseau qui donne un cadeau à cassim d’un pêcheur qui pêche à la mer d’un chat qui n’aime pas les souris d’une souris qui n’aime pas le fromage L’oiseau que j’aime Un oiseau qui chante bien Tes yeux rayonnent au soleil Avec ton petit bec orange Tu es le plus beau oiseau que j’ai vu Monte au ciel et emmène moi avec toi Et tes pattes oranges et tes yeux bleus Youssra Il y a toujours un moment où les oiseaux de Giotto auxquels s’adresse Saint François d’Assise, deviennent les oiseaux de notre propre jardin, le chien de Saint Roch devient le propre personnage du destin , le vieillard du jugement dernier en haut de la Sixtine,notre voisin et le printemps de Boticcelli notre propre printemps. Gatti choisi par Cassim Le salut d’un Le salut d’un Le salut d’un Le salut d’un Le salut d’un Abdelbassat oiseau qui n’a pas de mot poisson qui n’aime pas nager singe qui n’aime pas vivre dans la forêt pêcheur qui n’aime pas pêcher les oiseaux personnage qui ne veut pas faire son rôle Je salue cette mer qui est verte et qui n’a pas de terre Je salue la terre qui est toute verte avec les herbes et les arbres Je ne salue pas le noir qui est comme un cauchemar Abdelbassat structures qui soutiennent les oiseaux... la parole errante - maison de l’arbre - euphonia - quoi radio grenouille système friche théâtre - théâtre massalia - jumelage friche la belle de mai rep st mauront bellevue belle de mai - école félix pyat - tous capables gfen est - pratiques sociales - réussir ensemble - indp pondichéry fondation janus korczak - rouge - école pasteur - les boucs solidaires sous le manguier - les non leaders solidaires... Liste des oiseaux de ...partout Anissa S Zaynaba Anissa G Kader Abdelbassat Elfayoum Caty Yousra Faïssoil Amel Adrianne Housni Yasdine Christian Taofik Frédéric Jason Farida FatimaCassim Mariam Ali Jihad Saad Nicole Grenouille Anne Marie Jo Aline Caroline Philippe Emmanuelle Graziella Armand Dante Sauveur Auguste Laetizia René Renato Hélène Marie-Claude Jeanine Patricia Sarah Josiane Colette Nicolas Amandine Bobby Azizah Coralie Damien Elisa Elodie Guido Halima Ibrahim Janus Leakkena Matthias Michel Méryl Omür Rozin Sophary Sophia Stéphane Vanarong Yassine Zineb Noëlla Michelle Romain Selim Raymond Amina Louise César Zorah Hajar Assia Cedric Sounia Houda Chakir Pierre Hari Flora Alexandre Céline Mickaël Morgane Alexia Maxime Sanaa Sophie Abdessamad Amèle Franck Aziza Youssef Camel Vanessa Emeline Hayet Laura Sonny Sofiane Karim Kenny Sandra Aurélie Bachir Paddy Fathia Augustin Aurore Habib Bernadette Aimhigin Stanislas Marie France Geneviève Bernard Carlo Ruben Rayane Brahim Aline Soler, réalisatrice de Mots et des Sons Les oiseaux Aline Soler a fait ses classes radiophoniques à Radio Grenouille. Nulle part ailleurs, elle n’aurait pu trouver un tel espace de liberté et d’apprentissage. Elle s’est d’abord familiarisée avec les techniques du journalisme, du reportage, puis, notamment grâce à l’atelier de production et de création radiophonique Euphonia et à son responsable Lucien Bertolina elle a pu franchir les différentes étapes du montage et de la réalisation. “Je m’intéresse à l’histoire des autres, à leur exceptionnalité…” Faut-il préciser que Radio Grenouille ne répond pas à des impératifs d’audimat et de séduction facile, mais que cette radio associative cherche à développer une véritable relation d’intelligence avec l’auditeur ? “Qu’est ce que la radio peut raconter aux gens et comment s’adresser aux autres ?”, c’est sur la base de ce questionnement qu’Aline Soler a construit lentement son rapport au média radiophonique. “Je m’intéresse à l’histoire des autres, à leur exceptionnalité. Et il faut prendre du temps pour trouver les trésors que l’humanité recèle”. Ce fut le choc. Pour le reste, il faut faire la bonne rencontre au bon moment. Ainsi, quand Armand Gatti débarque dans la cité phocéenne pour créer “Marseille Adam Quoi”, Aline Soler s’investit à double titre dans le projet. Elle est à la fois coordinatrice pour la Friche la Belle de Mai (qui servait de base logistique à cette aventure) et “l’oreille de Grenouille”. Ce fut LE CHOC. Un spectacle colossal, de plusieurs jours sur la ville entière et sur un sujet on ne peut plus sensible, puisqu’il s’agissait de conjurer l’innommable, Auschwitz, par la seule puissance de la parole poétique. “Pourtant, je ne voulais pas entendre parler des camps de concentration, se souvient Aline Soler. Mais, Gatti m’a fait sortir d’une dualité trop simpliste entre bourreau et victime. Il m’a permis de me réconcilier avec l’histoire de l’humanité”. A la fin de “Marseille Adam Quoi” je me suis retrouvée avec 50 heures de sons sur et autour du projet. J’ai réalisé une émission d’une demi-heure et construit ma propre appropriation de cette aventure poétique”. “Ceux qui ne sont jamais nommés dans l’Histoire”. Cette première expérience ne pouvait pas rester sans suite. “J’ai continué à suivre Gatti… Je suis devenue fan, ajouteelle en souriant. Et plus sérieusement : “Il a un verbe qui est une révélation. De plus, c’est quelqu’un qui t’amène à l’autonomie. Le rapport à son œuvre n’est jamais passif”. Et ça marche. En s’inspirant de son exemple, des oiseaux de 6 à 12 ans ont pu prendre leur envol, ont su reprendre la parole. Désomais, ils parlent au nom de “Ceux qui ne sont jamais nommés dans l’Histoire”. La formule est de Sélim, un jeune garçon de 9 ans et demi, un de ces Oiseaux de Yutz, qui a ainsi découvert l’incroyable potentiel d’humanité dont il est détenteur. Fred Kahn Ce qui s’écrit, se lit, se dit, se crie… L’enfance est une chose étrange, à la fois adorable et exténuante, un trésor et un chaos. Christian Bobin - Extrait de Geai Renato René Croci Un être humain fragile à toutes celles et ceux qui hésitent à faire un pas "La dignité ? ... faire un pas, même petit en direction de nos rêves immenses Il y a longtemps que nous aurions dû chacun(e) et ensemble être solidaires en actes de celles et ceux qui meurent par les mots de la concurrence, de l’individualisme forcené, enseigné (caché sous le mot blessé : “liberté”)… Je commence par l’enfant noté, jugé en classe qui n’a pas pu recevoir dans sa famille les mots ni l’esprit de l’école aux “valeurs” bourgeoises instituée par Jules Ferry. Une blessure mortelle s’il ne rencontre sur son parcours la force de l’échange des savoirs, des yeux qui aiment (au lieu de juger), de la coopération, de l’accueil, de l’esprit créatif de chacun(e) [Reconnaissez-vous là les valeurs essentielles du mouvement ouvrier ? Et c’est aussi au-delà des groupes dont il s’est doté qu’il faut le rejoindre !] Et puis regardons pour de bon dans les yeux les grandsparents et les parents de cet enfant, ils ne demandent rien : les plus ancien-ne-s usé-e-s ou mort-e-s dans les mines et les usines de partout (avant que les décideurs s’en aillent exploiter ailleurs avec l’argent de tous) et celles et ceux qui sont morts ou vivent encore dans les rues comme dernière protestation et celles et ceux qui se sont éteints dans les laminoirs du chômage et des boulots intermittents, à peine payés, distribués en fonction des profits à rendre maximum et celles et ceux dont chacun-e- de vous connaît l’existence, la souffrance, la mort ou les rêves… Le tableau noir sur lequel il est urgent d’écrire avec des craies d’étoiles. “Jamais nommé-e-s de l’histoire, nous sommes toutes et tous des personnes historiques” dit Marie-Claude Charpentier. “L’histoire officielle n’est l’histoire de personne” dit Armand Gatti. Chacun-e- peut écrire un mot, dire un mot, le dessiner, fabriquer quelque chose, faire ce pas même petit en direction de nos rêves immenses : une école où, comme quand nous apprenions à marcher, les adultes relèvent les enfants (à moins que ce ne soit l’inverse !) jusqu’à ce qu’ils sachent (loin des notations qui installent mépris, concurrence et hiérarchie), une école où la seule mesure serait celle de l’avancée de tous sur l’arbre des savoirs où ne pousse une feuille que lorsque chacun(e) (vraiment chacun(e) !) a compris un savoir précis dans des groupes de dialogues et d’échanges mêlant enfants et adultes conscients qu’ils ont aussi à recevoir. Une société qui cherche par tous les moyens à entendre la force créatrice de chacun(e) non pour finir un programme ou rentabiliser ou être meilleur que le pays d’à côté (…et si on n’y arrive pas partir en guerres de colonisations économiques !) mais pour penser et faire un monde solidaire au quotidien. C’est un rêve, c’est une réalité, c’est une lutte humaine et non-violente, quotidienne et immense. Quelle école enseigne l’histoire du mouvement ouvrier et ses valeurs ? La solidarité, la grève, la manifestation, la pétition, l’occupation, l’écriture, la poésie, l’art comme des moyens non-violents de crier l’indignation et la révolte… L’injustice se présentant comme légale et fatale, la confiance aveugle faite aux “spécialistes adulés et qui changent suivant les pouvoirs en place” nous conduisent aux fascismes. Rares sont les puissances d’argent qui n’ont pas collaboré avec les dictatures quand leurs profits étaient remis en cause. Tout plutôt que la perte du pouvoir que donne l’argent. Tout, jusqu’aux massacres visibles ou masqués… Et si pour les retraites, la santé, l’école, les travaux de l’humanité nous écoutions celles et ceux qui vivent dans la rue, les emplois précaires, le chômage, les bas-salaires… et l’enfant… et l’enfant qui reste encore au fond de nous. Peut-être alors aurions-nous une chance d’échapper tous à la paupérisation généralisée des corps et des esprits (un seul exemple : l’Argentine où la classe moyenne est maintenant touchée aussi gravement que les pauvres de partout par cet acharnement à la “liberté” du plus fort). La réponse aux agressions des gouvernements qui se sont succédés, poussés par les puissances d’argent doit être à la hauteur : quotidienne, confiante, écouteuse de chacun(e), créatrice grâce à cette écoute à ces dialogues qui prennent le temps de faire un pas même petit en direction de nos rêves immenses… Bien sûr ce texte n’est pas parfait, si c’était ma recherche je n’aurais même pas essayé de le commencer… Il lui manque l’expression de chaque être humain de la planète… Alors à toi à vous à nous à moi encore… et ainsi de suite jusqu’à un mouvement incessant… Amitiés Bises Courages… Renato René Croci* *Renato René Croci est instituteur à Yutz en Moselle et est l’initiateur du groupe des Oiseaux de Yutz (lire pages 22-25) Flavia Armenzoni zona franca le teatro delle briciole Le Teatro delle Briciole dirige le Teatro al Parco à Parme en Italie. Massalia accueille régulièrement ses productions depuis 1988. Dernier spectacle accueilli : “Fango” du 17 au 21 mars 2003. Une zone franche est, par définition, une partie du territoire national considérée hors douane. Une zone neutre, un lieu et un moment de rencontre et de confrontation. En octobre 2003, le Teatro delle Briciole qui dirige le Teatro al Parco, lieu de création et de diffusion artistiques jeune public à Parme en Italie, a organisé une nouvelle forme de festival de créations artistiques pour le jeune public. Baptisé “Zona Franca” (Zone Franche), il est défini comme un itinéraire encore inexploré permettant de repenser la relation entre création artistique et enfance sous toutes ses formes. Un espace laissant libre cours à une grande liberté d’expérimentation et sans limites bien définies avec les autres territoires, dans lequel sont suscitées et stimulées de nouvelles rencontres. Entretien avec Flavia Armenzoni, présidente du Teatro delle Briciole. Qu’est-ce que signifie pour vous Teatro delle Briciole, que de proposer du théâtre aux enfants dans une ville comme Parme ? C’est une tradition déjà ancienne à Parme. Le théâtre ne concerne pas vraiment un âge en particulier, c’est une éducation culturelle générale, de vie, d’écoute, d’attention, de relations, très importante, c’est un moment de plus en plus rare de communication sur l’art et c’est très important que les enfants soient confrontés très tôt à cette forme d’écoute. On a la particularité en Italie (on n’est pas nombreux), de croiser les publics dans notre saison : jeune public en matinée, le samedi et le dimanche pour les familles, et le soir pour les jeunes et aussi pour les enfants. Dans notre public, il y en a beaucoup qui viennent depuis l’âge de trois ans. C’est notre fierté, c’est le résultat de cette habitude d’aller au théâtre qu’on a réussi à installer à Parme depuis presque 20 ans maintenant. La ville de Parme n’est pas une grande ville, mais comme dans toute la région, il y a une grande sensibilité à la culture, soutenue par les pouvoirs politiques locaux, la ville, la région. Est-ce que en 20 ans, tu as senti une différence de comportement du public enfants et de leurs parents ? Au niveau des familles, on sent qu’il y a de plus en plus d’envies de partager ces moments de théâtre ensemble, parents enfants. Mais malheureusement depuis quelques années, cela marche moins bien avec les enfants de plus de sept ans, on ne les voit plus trop au théâtre. Ce qui a beaucoup changé ce sont nos rapports avec les enseignants. Le travail que l’on mène auprès des écoles depuis des années, a développé leur intérêt et aujourd’hui, on n’arrive plus à satisfaire toutes les demandes. On n’a pas assez de représentations. C’est surtout le monde de l’école en fait, qui a changé. Il y a deux ans, on a créé un groupe de travail avec les enseignants des différents niveaux, maternelle, élémentaire, secondaire pour comprendre les changements qui s’opèrent aujourd’hui à l’école et réfléchir ensemble. Zona Franca, c’est une nouvelle forme de festival ? Oui, on a cherché cette année tout en gardant l’idée des rencontres professionnelles, à s’ouvrir vraiment sur la ville, qu’elle participe aussi à cette fête. On l’a ouvert aussi au cinéma. Ce festival ne propose pas que des spectacles pour enfants mais aussi des spectacles qui parlent de l’enfance et de l’adolescence et qui s’adressent donc aux adultes. Pour nourrir ces rencontres, on a demandé toute l’année à des artistes qui ne travaillent pas particulièrement pour les enfants de faire un travail avec les enfants : compagnies de théâtre, (Teatro del Lemming), chorégraphe (Madalena Vittorino), un metteur en scène (Giuseppe Bertolucci), un acteur (Cesare Brie). On a sollicité aussi un journaliste (Andrea Porcheddu), et une poète (Mariangela Gualtieri) de suivre ces expériences. Par ailleurs on a demandé expressément à des jeunes de créer un spectacle pour enfants, les “corti teatrali”, une sorte de commande auprès de jeunes artistes de théâtre pour les inciter à aller à la rencontre du jeune public. Une même règle pour tous : forme de 10 mn, technique légère, pour les enfants de 9 et 10 ans. Car la réalité en Italie c’est qu’il y a très peu de compagnies qui créent pour ce public, et on a besoin d’artistes pour prendre le relais. Et puis, on a aussi l’envie et le devoir de transmettre nos connaissances, notre expérience, et je ne parle pas seulement de nous Briciole, je pense aussi à toute cette génération que ce soit en Italie ou en France. Dans les rencontres que j’ai suivies, tous ces artistes qui ont travaillé pour la première fois avec des enfants m’ont donné le sentiment d’avoir énormément appris, et d’être dans une vraie interrogation sur ce que leur renvoyaient les enfants... C’est vrai. Déjà, ils ont affronté ce travail avec beaucoup de peurs et non pas en pensant que c’était facile parce que c’était avec des enfants. Ils ne voulaient pas au début. Et comme ils ne connaissaient pas, ils n’avaient pas de prétention et se sont lancés dans l’expérience sans à priori. Leur découverte du jeune public, leur regard neuf nous a bousculé, nous qui, de par notre “vieille” expérience, nous empêchons peut-être de voir, de suivre les changements qui s’opèrent chez les enfants dans une société où tout évolue très vite. Ce que nous a raconté tout à l’heure Marco Balliani sur son expérience de travail théâtral avec des jeunes des rues de Nairobi, est-ce que cela relève de la même démarche ? Oui, même si c’est une expérience très difficile et très personnelle, très émotionnelle, pour ceux qui l’ont vécue. Mais il y a cette même idée de connaître l’enfance avec un grand E. Qu’est ce que c’est que l’Enfance, les mondes de l’Enfance, l’Enfance dans le monde. Le théâtre, alors qu’il peut être considéré comme superflu, voire luxueux dans nos sociétés, apparaît là comme la possibilité de satisfaire des besoins vitaux, essentiels : manger, dormir sous un toit, avoir des relations avec les autres... Oui, c’est extraordinaire. Mais en même temps, c’est aussi retrouver un des rôles du théâtre qu’on a peut-être un peu perdu chez nous, qui est d’assurer une communication sociale. Pour nous, la culture est quelque chose d’important pour vivre, tout simplement. Propos recueillis par Graziella Végis Au hasard du grand incomplet Enfants emmenez vos parents… Au théâtre… massalia Théâtre jeune public, tous publics, il propose toute l’année une programmation éclectique de marionnettes, cirque, théâtre, danse. Programme trimestriel disponible dans tous les lieux publics de Marseille et à la friche la belle de mai. Tél. 04 95 04 95 70 / www.theatremassalia.com et aussi à marseille Au cinéma • Au cinéma l’Alhambra, (propose à Marseille une programmation permanente de cinéma pour les enfants) Alhambracinémarseille - St Henri Tél. 04 91 03 84 66 / www.alhambracine.com À la librairie • Païdos, (spécialisée en éducation et qui dispose d’un très intéressant rayon jeunesse). 54 cours Julien / Tél. 04 91 48 31 00 • Librairie Regards (consacrée aux arts en général) Vieille Charité / Tél. 04 91 90 55 34 Au musée • Musée d’Archéologie Méditerranéenne(notamment la salle Egypte). Centre de la Vieille Charité. Tél. 04 91 14 58 59 / www.mairie-marseille.fr • Musée d’Arts Africains, Océaniens, Amérindiens. Centre de la Vieille Charité. Tél. 04 91 14 58 38 / www.mairie-marseille.fr • Museum d’histoire naturelle de Marseille. Palais Longchamp. Tél. 04 91 14 59 50 / www.mairie-marseille.fr • Préau des Accoules (Espace des enfants des Musées de Marseille) pour des expos ludiques et interactives. Montée des Accoules / Tél. 04 91 91 52 06 • MAC (Galeries Contemporaines des Musées de Marseille). 69 avenue de Haïfa. Tél. 04 91 25 01 07 / www.mairie-marseille.fr • Musée de la Mode. 11, la Canebière. Tél. 04 91 56 59 57 / www.mairie-marseille.fr • La Friche la Belle de Mai (Pour des expositions d’arts plastiques et pour l’Espace Culture Multimédia). Rue Jobin. Tél. 04 95 04 95 04 / www.lafriche.org • Observatoire de Marseille. Bd Cassini - Place Rafer. Tél. 04 95 04 41 26 / www.oamp.fr • Archives municipales (Pour se plonger dans l’histoire de Marseille). Tél. 04 91 55 33 75 / www.mairie-marseille.fr • Maison de l’Artisanat et des Métiers d’Art (exposition sur l’Art Forain jusqu’au 14 janvier 2004), cours d’Estienne d’Orves - Tél. 04 91 54 80 54 et un peu plus loin • Espace de l’Art Concret . 06370 Mouans Sartoux / Tél. 04 93 75 71 50 Perso.wanadoo.fr/espace.art.concret/ • Musée international des Arts Modestes (MIAM) 34200 Sète / tél. 04 67 18 64 00 / www.miam.org • Musée National Fernand Léger. 06140 Biot / tél. 04 92 91 50 30 / www.musee-fernandleger.fr • Crestet Centre d’Art. 84110 Crestet / tél. 0490363500 / www.d-c-art.org États d’enfance A lire, à voir, à consulter, des livres, films, sites, en rapport avec l’enfance, l’adolescence, que nous avons aimés, que nous aimons. À lire • Des filles et des garçons (onze nouvelles pour parler du regard des garçons sur les filles, des filles sur les garçons, des garçons et des filles entre eux... à partir de 14 ans) • Allah n’est pas obligé (l’enfant soldat, une certaine réalité de l’enfance dans l’histoire contemporaine...) Ahmadou Kourouma • La classe de neige (le mal-être d’un petit garçon, et son père...)Emmanuel Carrère • Grâce et dénuement (plongée dans le monde d’enfants gitans au travers d’une amoureuse des livres...) Alice Ferney • Métaphysique des tubes (fiction amusante sur les pensées et états d’âme d’une petite fille de 0 à trois ans...) Amélie Nothomb • Onitsha (année initiatique d’un jeune adolescent de 12 ans... à la découverte d'un pays, à la découverte de son père) Le Clézio • Gianinno Furioso ou le journal d’un fripon (les espiègleries d’un enfant, son regard porté sur les adultes...en 1907...) Vamba • Montedidio (l’enfance adolescence d’un garçon à Naples dans les années 50, un quartier d’une ville, une époque, des gens, un ange...) Eri de Luca • Comment ça fonctionne un père? (livraison sensible de sentiments, de réflexions à partir de situations vécues et perçues d’un père et pédo-psychiatre...) Patrick ben Soussan • Dans l’enfer des tournantes (livre témoignage coup de poing sur la violence sexuelle instituée et banalisée, la torture physique et morale que peuvent subirles filles dans certaines cités de nos grandes villes...) Samira Bellil • Revue Dada (Première revue d'art pour enfants de 6 à 106 ans)Ed Mango • Les bébés et la culture “Cultiver”, “Petite enfance et cultures en mouvement” et “La culture des bébés” trois numéros de la revue Mille et un Bébés dirigée par Patrick Ben Soussan - Editions Erès À lire, relire et faire lire • Elzbieta, notamment son ouvrage manifeste “L’enfance de l’art” aux Éditions du Rouergue. À voir • Elephant (pour considérer l'adolescent et non plus les adolescents, à partir de la tragédie du lycée de Columbine...) Gus van Sant • La cité de Dieu (chronique de la guerre des gangs dans une favela de Rio, avec des délinquants de plus en jeunes, un ado qui veut fuir sa condition...) Fernando Meirelles À consulter • http//petitvelorouge.free.fr (site au graphisme simple de jeux, d'histoires, de comptines pour les petits à partir de 2 ans...) • www.monde-diplomatique.fr en recherche “enfance” lire les articles de - Serge Tisseron (psychanalyste et psychiatre) “Inquiéter pour contrôler”, “Harry Potter expliqué aux parents”, - Ignacio Ramonet “Enfants exploités” - Jacky Mamou (président de médecins du monde) “Guerre aux enfants” • www.lerouergue.com le site des Editions du Rouergue et www.editions-thierrymagnier.com, le site des Editions Thierry Magnier, des livres pour les tout petits, les petits, les ados et les adultes • www.alainbeaulet.com un éditeur qui privilégie le dessin... À découvrir • Apache de Guillaume Guéraud Editions du Rouergue - collection doAdo Billy est un garçon Apache Chiricahua mais il porte un prénom de cow boy. Il assiste du haut de ses treize ans, à la mort lente de ceux qui restent de son peuple d’origine, rongés par l’alcool, dans une réserve d’indiens. Poussé par son grand-père, il quitte la réserve et il rencontre Sundance, un noir évadé de prison. Il décide de l’aider à passer la frontière mexicaine,ce qui l’oblige à traverser la terre de ses ancêtres… Un roman tout en dialogue, sensible, rageur et chaud… une écriture très rythmée qui dit les préoccupations d’un adolescent, et finalement de toute une époque. Guillaume Guéraud est un écrivain résidant à Marseille. Il a déjà publié quatre romans pour les adolescents aux Editions du Rouergue. Il écrit aussi pour le théâtre. Les mots mais pas seulement… Pour aimer le chanteur Christophe, il n’est peut-être pas nécessaire d’entendre le fin mot de ses textes. Qu’ils parlent de “marionnettes” ou d’histoire de gens, ils ne sont pas essentiels. Christophe n’est peut-être ni un grand philosophe, ni un poète irremplaçable, mais il est sans doute un grand virtuose de la mélodie. Sa mélodie est son art : il la manipule, la sculpte, la diffuse, la déguste ou la partage avec une précision extraordinaire de maîtrise et de sensibilité, et l’age et les expériences de la vie n’ont fait qu’accentuer cette formidable singularité. En fait, s’il est question de sens, c’est-à-dire de contenu d’un message assez fort pour être singulier, ce n’est sans doute pas dans les seuls mots qu’il faut le chercher mais dans la manière avec laquelle ils sont produits et donnés. Et c’est en cette œuvre de virtuosité que résidera le fond et la valeur de ce qui veut être dit et partagé. Les œuvres d’art et les propositions susceptibles de réinventer des Mondes, celles où l’on ait le sentiment d’être moins idiot, des spectacles où l’émotion croise l’intelligence, quand nous découvrons ce que nous sommes, c’est-à-dire, envers et contre tout, des êtres qui entendent donner assez de sens à leurs vies pour ne mépriser ni les gens, ni leurs propres espérances. Ces œuvres donc sont toujours le lieu de mille et une idées, de sens, d’apprentissages. Massalia, qui a largement dépassé maintenant l’âge de raison, souhaite interpeller ces questions : que veulent dire toutes ces œuvres, que signifient-elles dans leurs accumulations et leurs diversités. Car nous savons tous que les œuvres portent du sens bien au-delà de ce qui en est explicite. Une heure de spectacle renferme des mois et des mois de recherches et de tentatives, et il en reste forcément très peu. Il serait même présomptueux d’en voir la quintessence. Or cette seule heure de spectacle dit toute cette complexité, laquelle n’est finalement rien d’autres que l’expression de sa profonde humanité. Avec ce nouveau filou, il va s’agir de chercher à comprendre cette complexité, d’en fouiller la richesse. Comme une nouvelle façon de prolonger nos partages et nos rencontres, d’essayer d’étoffer nos complicités dans cette quête de sens. Retrouver le bonheur de la découverte en commun du Monde. Ce qui est finalement le propre de toute entreprise artistique et culturelle qui a un minimum d’ambition pour sa Ville, ses contemporains et son temps. Souhaitons donc une franche bienvenue à cette nouvelle née des propositions de Massalia. Philippe Foulquié Ce qui se construit, s'expérimente, se recherche S’il y avait une nouvelle ère glaciaire, les jeunes de 15 à 25 ans seraient les seuls à s’adapter et à survivre, c’est autour d’eux que la civilisation se reformerait Gus Van Sant Télérama du 22 octobre 2003 Les enfants, E. Bond et le collège Versailles Au printemps 2002, le Théâtre Massalia et Système Friche Théâtre ont accueilli Edward Bond à la friche la Belle de Mai pour deux spectacles et un stage. Ces quelques pages tentent de faire connaissance avec cet auteur anglais qui a décidé ces dernières années de se consacrer aux enfants et aux adolescents. Un des deux spectacles s’appelle “Les enfants” et il a été monté à Marseille avec des adolescents de 4ème du collège Versailles, un collège situé dans un quartier difficile de Marseille où on ne peut ignorer la misère et son lot de conséquences. Ils ont travaillé avec le metteur en scène, Jérôme Hankins pendant trois semaines. On peut lire leurs premières réactions à la lecture de la pièce. Les professeurs, quant à elles, nous racontent comment elles ont vécu l’expérience. Du côté du stage, c’est un comédien Maxime Carasso qui nous livre ces sentiments. À propos de “Les enfants” Dans Médée d’Euripide, il y a deux enfants. Ils apparaissent deux fois ; la première fois, on leur dit d’aller jouer pendant que les adultes discutent. Quand ils réapparaissent on les emmène pour les tuer ; entre temps on leur confie la mission de porter un cadeau à une femme. Le cadeau est un objet piégé et la femme est assassinée. Ils sont choisis pour cette mission car “en tant qu’enfants, ils sont innocents et ne seront pas soupçonnés”. Les enfants ne parlent qu’une fois - en coulisses - juste au moment où on les assassine : “Au secours ! Au secours !” Les enfants sont parfois utilisés dans les conflits modernes -en Irlande et dans les Balkans- comme appâts, pour distraire l’attention des soldats, comme messagers et même comme pièges vivants ; on dit que chaque semaine au Royaume-Uni, deux enfants sont assassinés par leurs parents. Et dans des “sociétés postmodernes” telles l’Amérique et l’Europe une part croissante d’enfants tuent d’autres enfants. La pièce se déroule dans le futur, dans un temps où seront encore en vie les jeunes gens qui verront la pièce aujourd’hui. Elle met en scène les forces de destruction et de création à l’œuvre dans la société, et montre quels seront leurs effets dans le monde où ces jeunes eux-mêmes seront devenus adultes. Que diraient des enfants si - contrairement aux enfants de Médée - on les autorisait à parler ? Comment leur monde et le monde des adultes s’éclaireraient -ils mutuellement ? La pièce sera jouée par un groupe de comédiens adultes et un groupe de jeunes issus de l’endroit où elle sera représentée. Le texte des adultes sera écrit, les jeunes devront créer la majeure partie du texte eux-mêmes. Mais la pièce les placera dans ces situations exigeantes et fondamentales que, d’une manière ou d’une autre, chacun doit en son temps affronter. Notre humanité dépend de la façon dont nous agissons dans ces situations, et dont nous répondons aux questions qu’elles suscitent. La pièce permettra aux jeunes de parler en leur nom, de se mettre eux-mêmes à l’épreuve plutôt que de s’en voir imposer, de découvrir qui ils sont, et qui ils désirent être quand le temps changera les rôles et qu’ils deviendront adultes. “Les adultes ont un texte, les enfants doivent improviser.” Edward Bond Fortement encouragées par le principal du collège, Bernard Ravet et soutenues par le coordinateur du réseau d’éducation prioritaire centre ville - vieux port, Philippe Pesteil, Corinne Humeau et Sophie Luongo sont les deux professeurs du collège Versailles qui ont accepté de se lancer dans cette expérience. On est mardi 17 juin il est 19h30. Les enfants sont installés au calme dans le petit jardin de la friche. Dans une heure, ils seront sur scène pour la première de “Les enfants” à Marseille. Ils ont joué une générale hier devant les familles, difficile de résister à la tentation de regarder le public, d’y repérer son père ou sa mère… Ce soir ce sont les professeurs du collège qui seront dans la salle. Corinne et Sophie, pourquoi avoir accepté la proposition du théâtre massalia de vous lancer dans cette expérience théâtrale? Le théâtre est quelque chose qui nous a toujours intéressées mais qui reste une activité généralement limitée quand elle se fait dans le cadre du collège. Là c’était l’occasion de le pratiquer dans des conditions professionnelles, et de permettre à des élèves de quatrième de rencontrer et de travailler avec des professionnels : metteur en scène, comédiens, techniciens, personnels du théâtre…, de sortir du quartier et du collège pour fréquenter un autre lieu. C’est une expérience unique pour nous et pour les élèves. Je crois qu’ ils en ont pris conscience, même si cette démarche a été assez longue, elle leur laissera des traces indélébiles, ils auront acquis quelque chose de très important. Est-ce que cette expérience a bougé quelque chose dans la conception que vous avez de votre métier de professeur, dans les relations que vous avez avec les élèves, est-ce que vos regards respectifs ont changé? Notre rôle s’est malheureusement cantonné à l’encadrement des enfants, c’était un peu frustrant, on a eu à gérer les pots cassés, les situations de crise, la discipline au quotidien, ce n’était pas très valorisant pour nous. Cependant par rapport aux filles surtout, une relation d’intimité s’est nouée, c’est très appréciable, dans le cadre scolaire on n’a pas le temps ni forcément l’envie d’aller plus loin avec certains élèves. Là, on les a suivis toute la journée. Cela nous a obligé aussi à aller vers les familles, on est allé plus loin que la relation habituelle parents prof, pour l’organisation notamment, mais également, il a fallu beaucoup expliqué le projet aux parents qui ne comprenaient pas toujours. En tout cas dans le quartier tout le monde sait qu’ils font du théâtre. Même si certains s’en moquent “Ah ah ! tu fais du théâtre au lieu d’aller à la plage!”, ils tiennent bon, ils sont engagés dans quelque chose et ils vont jusqu’au bout, même si ce n’est pas facile pour eux, car on leur demande beaucoup, c’est de l’endurance, ils montrent qu’ils en sont capables. Jouer devant leurs professeurs ce soir, sera très valorisant pour eux. On a l’impression d’avoir servi de pilier dans la construction de quelque chose et de ça on en est fière. Avez vous des regrets ? Oui, malgré le résultat auquel ils sont arrivés en si peu de temps. On aurait aimé que dès le début les rôles de chacun soient mieux définis. On regrette aussi de n’avoir pas pu plus travailler le texte avec les élèves, pour nous cela aurait été plus intéressant. Mais comme ils proviennent de différentes classes de quatrième, c’était compliqué de les réunir en dehors de leurs classes respectives pour cela. Et puis il y a eu les grèves, et nous ne les avons pas eu en classe depuis, donc tout cela ne nous permet pas de mesurer les répercussions sur un plan plus pédagogique. Et puis, nous n’avons pas su mesurer l’importance du lieu, la friche est un endroit vaste où travaille beaucoup de monde, nous aurions dû délimiter un territoire, dans notre rôle d’encadrement, c’était très éprouvant d’avoir à faire face à cette immensité. Propos recueillis par Graziella Végis -Nous inviter nous, collégiens de quatrième du Collège Versailles, à participer à une expérience théâtrale ? Est-ce bien sérieux ? Les professeurs sont partants, le Principal nous y encourage, des personnes du Théâtre Massalia et de la MJC Corderie Vieux Port viennent nous voir régulièrement… beaucoup d’enthousiasme chez tous ces adultes. Un grand dramaturge anglais, Edward Bond a écrit une pièce et on nous demande de la jouer au mois de juin, au théâtre Massalia à la friche la belle de mai, devant des spectateurs. Le metteur en scène Jérome Hankins est venu nous rencontrer au collège. On était tous là pour la lecture des premières scènes de la pièce, au collège. La pièce s’intitule “Les enfants” et E. Bond l’a écrite pour un collège en Angleterre qui était menacé de fermeture pour cause de violence. Ils ont monté cette pièce, l’ont présentée et le collège est resté ouvert. Il faut dire qu’Edward Bond a écrit cette pièce pour que les jeunes qui la jouent la réécrivent, qu’ils aient ainsi la possibilité de dire des choses essentielles, de faire entendre comment ils ressentent le monde. On a travaillé deux heures sans s’arrêter. Scène 1 …À propos de l’écriture de Bond C’est quoi cette façon de parler ? C’est du style “familier” ! Il oublie les pronoms. Ça c’est un problème de syntaxe. Faut juste s’habituer. …À propos du rapport Jo — son pantin Il n’a pas d’ami pour parler à son pantin comme ça. Son pantin, c’est lui-même. Son pantin c’est son seul ami. Il est très agressif. Il est en colère avec lui-même. Personne ne peut le comprendre. Il en a marre d’être un enfant. Scène 2 …À propos du rapport Jo-la mère Ils ne sont pas liés. Ils ne sont pas ensemble. Ils ne sont pas d’accord. Elle ne s’occupe pas bien de lui. Elle se met en colère parce qu’il a perdu l’argent des cigarettes. Elle lui demande de faire un truc horrible. Il doit brûler une porte mauve. On ne sait pas s’il va le faire ou pas. Si, il va le faire, c’est sûr ! Sinon sa mère va se tuer. Scène 3 …À propos de la relation de Jo—ses amis S’ils jurent, ils ne peuvent pas ne pas le faire. Quand on jure, on n’a plus le choix. Il a de vrais amis. Ils se le jurent jusqu’à la mort. Y’en a qui sont d’accord. Les autres c’est des traîtres. …À propos de l’étranger Ils ont la haine contre lui. Il est différent. Il n’est pas du quartier. Ils le rejettent. Ils ne l’aiment pas. Tout le groupe est contre lui. Scène 4 …Jo a brûlé la maison et le dit à sa mère Jill est vraiment sa meilleure amie. Elle lui dit que quelqu’un est mort dans l’incendie. Sa mère est affolée. Elle joue la comédie. Elle a peur d’aller en prison. C’est elle qui lui a dit de le faire. Elle regrette. Elle lui en veut. Elle a la haine contre lui parce qu’il a fait ce qu’elle lui avait demandé. C’est trop facile. Maintenant c’est trop tard. Jo est choqué parce qu’il a tué quelqu’un. Scène 5 …À propos de : certains veulent partir d’autres pas Pourquoi ses amis ont peur ? Si ce sont ses amis, ils ne doivent pas avoir peur. De la police un peu. Si on a un animal domestique, il faut bien s’en occuper. Il faut rester pour nourrir son lapin. S’ils ont tous juré, ils doivent tous partir. Ils ont juré à la scène 3. En plus ils partent avec un clochard saoul. Ils le mettent sur une porte. C’est plus facile pour le porter. C’est grave s’ils sont complices ? Propos recueillis par Marie Neuville - février 2003 Maxime Carrasso Stage avec Edward Bond Juin 2003 l’objet invisible Edward Bond a dirigé un stage avec des comédiens et metteurs en scène à la friche la belle de mai au mois de juin. Maxime Carasso, comédien de la compagnie Alzhar, a participé à ce stage. Il nous livre ses sentiments sur les méthodes utilisées et sur les enseignements qu’il pense en avoir retirés. Tu as participé au stage que dirigeait E.Bond cet été à la friche la belle de mai. Le connaissais-tu avant et qu’est-ce qui t’as conduit à poser ta candidature ? Oui je l’ai connu. Enfin, je l’ai traversé en tant qu’acteur puisque j’ai travaillé une de ses pièces, “Eté”, et puis par différents articles et essais que j’ai lus. Ce qui m’intéressait chez lui, c’était non seulement son positionnement au monde, mais également le fait de se servir du théâtre pour affirmer ce positionnement. Et puis, il pose des questions que je me pose et que ma compagnie se pose, le pourquoi d’une parole de théâtre et le sens de cette parole, en quoi elle peut témoigner, influer, questionner. C’est pour moi une sorte de réponse au monde d’aujourd’hui qui, dans ce processus d’uniformisation et de mercantilisme, devient une sorte d’objet un peu concret et en même temps virtuel qui se mange lui-même et qui exclut l’individu, excepté l’individu influent au sommet des multinationales et des pouvoirs politiques. Il questionne cela et le chemin qu’il emprunte pour questionner m’intéresse aussi. Pourquoi d’après toi, en tant qu’auteur, Edward Bond, ressentil la nécessité de travailler avec des comédiens ? Je crois que l’acteur c’est son outil principal, il cherche avec l’acteur, il met l’acteur dans un processus de questionnement par un chemin très balisé, et il nourrit ainsi son écriture. Enfin, c’est ce que j’ai cru ressentir. Pour lui, il peut théoriser, il peut formuler parce qu’il a questionné l’acteur. Il pense aussi que l’espace du théâtre, de la scène, est le seul endroit qui peut concrètement questionner et remettre en question la société, le seul espace tangible et palpable, où la personne, les gens, témoignent d’eux-mêmes, au temps présent. Ils peuvent porter toute leur histoire, dans cet espace du théâtre, le seul espace encore non “formaté”. Quand tu dis les gens, c’est à la fois les acteurs et les spectateurs ? Oui, même s’il ne le formule pas véritablement. A un moment donné, au cours d’une improvisation, il a demandé à une actrice de témoigner de quelque chose au public, et implicitement il nous a amené à témoigner nous-mêmes et à répondre à ce témoignage activement en tant que personne et public. Oui, il amène le public à s’engager dans ce processus et dans cet espace qui lui est proposé pour qu’il se pose les mêmes questions que l’acteur sur scène. Il a beaucoup insisté sur la question du site. Selon lui, le site n’est pas un espace défini mais un espace à la fois imaginaire et concret. Il faut que l’acteur dans son imaginaire se définisse un site, que ce soit un site historique ou autre mais qu’il soit très précis dans sa tête, très précis dans l’espace et dans le temps et concrètement par les objets qu’il y a sur scène, par l’espace dans lequel il évolue, avant de pénétrer sur scène. Pour produire un acte l’acteur passe par l’espace de la raison et l’espace de l’instinct. Edward Bond dit qu’il y a un troisième espace, l’espace de l’esprit, un espace parallèle qui se situe avant la mort ou avant la naissance, où logent le tragique et le comique, deux extrêmes. L’acteur va puiser dans cet espace pour nourrir l’action qui va se passer sur scène. Il va capter d’autres codes, une autre mémoire, il va être dans une sorte d’instant suspendu où le geste ne va plus être reconnaissable de notre conditionnement, mais un geste qui sera dix fois plus puissant et qui interrogera le spectateur. C’est une sorte de fulgurance et c’est sur ce chemin qu’il a essayé de nous entraîner. Pour qu’on trouve cet espace, il nous met dans des situations extrêmes comme le meurtre, la torture, la mort, la violence, la souffrance. Par exemple, on a travaillé la scène de Médée où la mère tue ses enfants. Un tabouret symbolisait l’enfant et avec un couteau en plastique il fallait l’égorger. Pour nous faire chercher dans cet autre espace, sa méthode est de créer une autre situation : il a fait sonner quelqu’un à la porte pendant que la mère tue le bébé, la mère s’arrête donc pour aller voir qui sonne. Elle sort sur le palier et s’aperçoit qu’il n’y a personne. Pendant ce temps le bébé crie car il est à moitié égorgé, et la porte de l ‘appartement se referme en laissant la mère dehors et le bébé qui crie à l’intérieur. Il fallait donc jouer la mère, à ce moment-là. Il faut être solide non ? L’acteur peut effectivement tomber dans une sorte d’hystérie. Mais en même temps E. Bond a toujours une petite distance dans sa manière de formuler. Mais, quelquefois c’est à la limite. Par exemple, il a demandé à un acteur de faire la voix du bébé, et comme il le faisait très bien, c’était dérangeant. Mais globalement on reste dans un processus de travail, il y a une distance, on est au théâtre, de plus l’objet n’est pas réaliste. Est-ce que tu as déjà senti cet autre espace dans ton travail ? Oui, avant ce stage, avec le travail que je mène avec la compagnie. Bond dissocie ces espaces, mais moi j’ai l’impression d’être en permanence dans ces trois espaces. Je travaille à développer mes sens, pour être à l’écoute du monde qui nous entoure. Quand on jouait Britannicus à la friche, je l’ai senti. Le travail que l’on fait avec Jeanne Poitevin nous demande de nous questionner sur nous-mêmes, en quoi le texte peut résonner en nous, qu’est ce qu’on a à témoigner avec ce texte-là, plus que de se laisser embarquer dans un personnage. Un soir, j’ai eu l’impression que l’espace s’élargissait et que le temps, j’arrivais à le maîtriser. Je me sentais tellement disponible, poreux à ce qui m’entourait à cet instant précis ; je l’ai ressenti physiquement et intellectuellement. J’avais le sentiment que mes mots et mes gestes étaient plus clairs, que j’étais dans une sorte de justesse. Tu penses que cela passait dans le public ? Tu es tellement poreux que tu es avec le public, tu le perçois plus distinctement. Je suis tellement présent que je sens qu’il est invité de fait. Je ne sais pas si le public le ressent, mais en tout cas, il est comme moi, un témoin, un acteur de ce moment. C’est difficile parce que c’est quelque chose que tu ne peux pas théoriser et appliquer. J’ai appréhendé cet espace-là au moment du travail sur Gloucester, ce personnage du Roi Lear qui se fait énucléer. Un geste m’est venu, j’ai retrouvé les yeux, je les ai mis, et je n’ai pas pu enlever mes mains. Parce que j’avais peur de ne pas voir et je savais que je ne reverrais pas ; mais au début de ce geste-là quand mes mains sont montées et que je les ai appliquées sur mes yeux, quelque chose s’est passée que je ne maîtrisais plus. Mes mains ne s’enlevaient plus, vraiment ! Le thème du stage c’était “l’objet invisible”, je savais donc que E. Bond était dans cette recherche, et cela m’intéressait de confronter mes balbutiements à sa pensée. En tout cas, je me suis rendu compte que j’avais mes propres chemins, différents des siens et que je n’étais pas complètement d’accord avec ces chemins-là de la douleur, de la violence, de la souffrance. J’avais aussi le sentiment qu’il était plus sensible au travail avec les jeunes acteurs du groupe, qui étaient plus malléables et avec lesquels il était plus facile pour lui de démontrer sa pensée. Il avait vraiment envie de transmettre plus que de confronter sa pensée aux nôtres. J’ai aussi compris pourquoi il travaille avec les enfants. Sur le mur, il a dessiné l’échelle de la vie, juste un trait, et il a situé son troisième espace avant la naissance, en expliquant qu’il travaillait avec les enfants parce qu’ils sont plus près de cet espace. L’enfant quand il rentre dans la vie, il se cogne, de fait il apprend, il est dans l’acte. Qu’est-ce que lui renvoie l’environnement ? Il questionne l’acte pour avoir une réponse et après il se forme. Plus tu grandis plus tu réfléchis l’acte. Et donc tu t’empêches de voir. Souvent dans les improvisations, il nous disait “ne réfléchissez pas, agissez”. Il nous a fait travailler pendant deux jours avec une chaise. Elle était sur le plateau, il nous disait d’aller vers la chaise et d’écouter ce qu’elle nous disait. Comment tous ces enseignements rejaillissent sur le travail de la compagnie Alzhar ? Sur le Misanthrope en l’occurrence, votre recherche actuelle ? C’est difficile à évaluer. Je pense que cela se situe au niveau de la transmission aux autres comédiens de la compagnie. J’en ressens la nécessité. La transmission est quelque chose à laquelle on n’attache pas assez d’importance aujourd’hui. Je le vois avec mes enfants. On est pas là en train d’inculquer un savoir mais en train de construire quelque chose avec l’enfant. Moi c’est ce que j’ai appris avec lui, indépendamment de sa manière de faire, parce qu’il est quand même très dirigiste, très didactique, il est très certain de ce qu’il dit et c’est difficile de le contester, de se cogner à lui. Mais j’ai beaucoup appris, je le regardais physiquement, je le regardais évoluer, j’écoutais sa voix, et à chaque fois je faisais des allers-retours dans ma tête, dans ma propre démarche. Je crois que l’acte théâtral est de fait une transmission, c’est-à-dire qu’on met l’autre en état de questionnement. Avec Bond, j’ai réussi à construire ma pensée : “l’objet invisible, vous ne pouvez le nommer à notre place, vous ne pouvez le traduire à notre place mais vous nous transmettez la possibilité de le nommer nous-mêmes”. J’avais le sentiment qu’il ouvrait des portes derrière lesquelles nous nous renseignions sur nous-mêmes, sur notre propre état au monde. L’expérience sur la douleur est un chemin intéressant qui m’a entraîné dans une perception globale. Tous mes sens ont été sollicités simultanément, il est intéressant de voir, de constater, que pour une perception ou une compréhension globale du sens, de l’objet ou du sujet convoité, nous devons passer par certaines étapes - actes : désirer, rencontrer,accueillir, recevoir et exprimer. Ces étapes ne s’ajoutent pas, elles se rassemblent. Je regarde cette image (une photo d’Edward Bond que Maxime a faite), c’est un monsieur qui paraît sombre, inquiétant. Dans le travail, il est très attentif, pas du tout tyrannique, jamais il ne s’énerve. Cela m’étonne que cet homme qui a un tel désir de changer le monde, de le rendre meilleur, ne fait que questionner la douleur, la souffrance. Propos recueillis par Graziella Végis compagnie alzhar La compagnie Alzhar, Le Misanthrope, la friche la belle de mai, Marseille et le monde... Le Misanthrope, La compagnie Alzhar est en résidence à la friche la belle de mai pour deux ans. Alzhar est une compagnie de théâtre qui fait des spectacles où l’actualité du monde est écoutée, regardée, questionnée. Ses spectacles mettent en relation le théâtre avec d’autres arts : le cinéma, la vidéo, l’art plastique, la danse, l’architecture, la poésie, la performance, cela dépend des spectacles et des propos. Pour chacune de ses propositions, un ensemble de rencontres, et d’ateliers sont mis en place pour que le spectacle se tisse avec le public, avec l’ici et maintenant, les choses à dire, les choses qu’il faut dire. Les désirs, les mécontentements, les possibles, les colères, les injustices… Dans le cadre de sa “traversée des monuments”, après Britannicus, elle travaille “Le Misanthrope” de Molière. “Le Misanthrope” parle de la colère d’un homme à cause de l’imperfection des autres hommes et celle de leur société, il parle de la confrontation des âges en l’homme : le jeune homme qui a soif de rêve, d’absolu, de perfection, le regard qu’il pose en juge sur la laideur des hommes, et l’homme mûr, qui regarde la vie à travers le temps et l’expérience, à travers la raison et la sagesse, et qui voit dans les autres hommes et dans leurs imperfections des sujets de tendresse, des expressions de leurs beautés. Pourquoi monter une pièce classique aujourd’hui ? Comment résonne l’écriture de Molière aujourd’hui ? En quoi interpelle-t-elle les adolescents ? Ce sont des réponses à ces questions que va tenter d’apporter la compagnie dans le cadre d’une recherche théâtrale mêlant plusieurs groupes : amateurs chercheurs, comédiens professionnels, collégiens, enfants de maternelle… Cette recherche donnera lieu à une création en mars 2004. Ce projet est accueilli par le Théâtre Massalia et Système Friche Théâtre. G.V. -Les acteurs de la compagnie ALZHAR vivent à Aix-en-Provence. Depuis leur enfance. Ils voient changer cette ville. Comme change le monde. Comme ont changé les enfants d’aujourd’hui. La compagnie ALZHAR propose aux collèges d’Aix-en-Provence un temps de travail et d’échanges qui mêle les adolescents et les artistes. Il est question là de se rapprocher ensemble d’une œuvre du répertoire où l’on traite d’amour, de pouvoir, de manipulation, de violence, de fuite et de vérité. Il est question là de réinventer un spectacle ensemble. Il est question là d’apprendre à entendre et à dire par une proposition artistique quelque chose de ses peurs et de ses rages. Il est question là de jouer un spectacle pour un public à l’intérieur du collège, et de poser cet acte ensemble, cette mise en forme de cris d’alarme qu’est l’œuvre de Racine. “Je faisais du stop, personne ne me prenait. Une heure, deux heures. La nuit était bien avancée, personne ne me prenait. Une voiture est passée plus lentement, je l’ai arrêtée. Un vieux conduisait. Je l’ai sorti, je lui ai donné des coups de pieds dans les côtes. J’ai conduit la voiture. Je me suis fait arrêté. Maintenant je suis en prison.” (Propos recueillis lors d’un atelier donné par la compagnie au centre de détention de Salon-de-Provence) “Il faisait la manche dans la rue, elle l’a invité à manger quelque chose dans son appartement, elle le connaissait un peu. Le lendemain matin, on l’a retrouvée morte dans sa douche. Toute seule. Maintenant elle est morte.” (Propos recueillis lors d’un atelier donné par la compagnie à l’hôpital Montperrin d’Aix-en-Provence) “Il fera la guerre. Parce qu’il ne sait pas ce qu’est la guerre. Il fera la guerre. Il fera la guerre pour ne pas perdre la face.” (Propos tenus par un ancien général américain qui vient de choisir de quitter l’armée américaine, recueillis lors d’une émission télévisée sur France 2, le 8 mars 2003) Puisque le monde est à ce degré de violence, puisque l’expression de la barbarie de l’homme a franchi ces caps, l’urgence de l’acte artistique est décuplée. Réfléchir sur ce qu’est un homme, ce qu’est une société, mettre en commun des questions, des valeurs, des douleurs et des quêtes est une vraie nécessité. Les jeunes gens de notre époque sont construits avec d’autres repères, que ceux que nous avions appris. En ce qui concerne la violence, le code social, notamment. L’école est en crise. Les professeurs ne sont plus respectés. Les jeunes gens entre eux dépassent les limites du risque un peu plus chaque jour. Notre monde met en scène tant de convoitises, de manipulations, de lacunes de sens, de fracas de valorisations, de compétitions, d’individualisme farouche, de manque de chemins d’échange entre les différents groupes sociaux, que la seule expression qu’il propose est la violence. Le devoir de l’artiste est de contrarier cet enchaînement terrible, en posant des questions, en ouvrant des champs de liberté possibles, en proposant des espaces de plaisirs gratuits, comme le langage, le corps, le partage d’une expérience émotionnelle positive. Les adolescents ont quelque chose à nous apprendre. Quelque chose d’autre que cette terreur. Le projet est de s’écouter quelques semaines, de cadrer l’échange par une œuvre aussi riche que formatrice, et de recommencer à chaque rencontre un rêve de construction. Compagnie Alzhar “Mon Dieu, des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,et faisons un peu grâce à la nature humaine ;Ne l’examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts en quelque douceur.” Philinte “Et parfois il me prend des mouvements soudains de fuir dans un désert l’approche des humains” Alceste Le Théâtre de la mezzanine De juin 2002 date de présentation de Shooting Star à mai 2004 date de la prochaine création “Les champs d’amour” ce sont presque deux ans de travail, de recherche, en partie sous forme de stages dont quatre à Massalia à la friche la belle de mai. Cela fait maintenant trois productions du Théâtre de la Mezzanine que Massalia suit et accompagne comme l’authentique co-producteur qu’il sait être ( rôle qu’il souhaiterait d’ailleurs développer si les moyens lui étaient donnés) . Accueil du spectacle, résidence de construction, de création, chantiers de public, autant de formules qui résonnent dans les pratiques de Massalia à la friche la belle de mai. On a là une compagnie qui a envie de rencontrer le public alors profitons -en, nous fervents défenseurs de l’action culturelle. Des chantiers ouverts aux publics Alors, arrêtons-nous sur les chantiers ouverts aux publics (sous forme de stage), chers au Théâtre de la Mezzanine, compagnie, installée en région parisienne et qui sillonne l’Europe depuis 1990. Chaque endroit où la compagnie est accueillie, est occasion pour rencontrer les gens et plus particulièrement les jeunes. Après “La transhumance des riens” en 1999, et “Shooting Star” en 2002, le nouveau projet dont Massalia est coproducteur s’intitule “Les champs d’amour” et traite des violences entre les hommes et les femmes. Cette fois, pas de machine à jouer pour les stagiaires qui sont venus de plus en plus nombreux à chaque séquence de travail, mais une proposition de travailler sur les personnages. Construire des personnages avec les personnes qui ont des gueules… …“Je voudrais construire des personnages avec des personnes qui ont des gueules, des gens que je ne connais pas encore, pas forcément des comédiens d’ailleurs…” avouait en septembre 2002, Denis Chabroullet , le metteur en scène. “J’ai envie de travailler sous forme de stages toute cette année pour partir à la conquête de nouvelles rencontres, de tester des choses au niveau décor, ou élément de décor. J’ai par exemple envie de travailler avec plein de poupées et des crochets de boucher installés sur un système qui tourne. Ça, ça peut faire l’objet d’un stage…” À chaque stage de nouveaux sons… Quant à la musique ( qui est fondamentale dans les spectacles (sans texte) de la Mezzanine ), il s’agira là encore de sortir des “habitudes” en invitant des musiciens différents à chaque stage : “J’ai moi aussi envie de me mettre en danger” dit Roselyne Bonnet des Tuves, la compositrice de la Compagnie. ”Je voudrais travailler avec des musiciens du “cru” et composer en fonction d’eux pendant le stage… A chaque stage de nouveaux sons, de nouvelles ambiances… Comme la musique part des personnages présentés sur scène, la création sera sur l’instant…” Une distribution européenne… Depuis, nous avons eu quatre stages à Marseille (quatre séquences d’une semaine en octobre 2002, février, juin et octobre 2003). A chaque fois une proposition de décor différente : un polyane sur un système circulaire qui vomit des corps, des auto-tamponneuses qui éjectent des femmes armées jusqu’aux dents, des rideaux qui ne laissent apparaître que les jambes des femmes, des poupées girondes fichées sur des mécanismes à manipuler ou à danser… L’équipe de la Mezzanine, semble contente de ces différentes rencontres. Celles de Marseille, mais aussi celles de Gênes en Italie, celles de St Pétersbourg en Russie, celles de Viseu au Portugal, de Paris, ou du Danemark. Pour Sophie Charvet qui s’occupe de l’administration et de la diffusion des spectacles de la Mezzanine, la compagnie est résolument européenne: “Notre prochaine création verra peut-être la naissance d’une distribution européenne, si la communauté européenne et le Medef nous laissent encore exercer notre métier dignement grâce au régime unique en Europe dont bénéficient les gens du spectacle en France…” s’inquiète-t-elle. Et de Marseille, soyons fiers, de nouvelles collaborations se dessinent : comme Clémence qui construit les poupées et signe les illustrations. Sera-t-elle la seule de Marseille dans cette distribution européenne?La réponse en mai 2004, date de la création. À suivre donc… Graziella Végis //perso.wanadoo.fr/lamezzanine/ les champs d'amour vus par denis chabroullet* * Denis Chabroullet est le metteur-en-scène du Théâtre de la Mezzanine. “Les champs d’amour” c’est aussi le titre d’un livre que la compagnie vient de publier. Signé Denis Chabroullet, le texte en est le fondement poétique, une excursion impolie, imprévue et déroutante dans la machine à image de son auteur. “Les champs d’amour” sont de sombres terrains d’aventures balisés par des molosses, dressés par les hommes pour bouffer les odeurs de femme qui voudraient s’évader un instant. “Les champs d’amour” sont un chantier d’hommes et de femmes pour créer une histoire sans fin, sur les violences quotidiennes envers les plus faibles... : on les bat, on les brûle, on les lacère, on les viole... On les aime aussi. A Vitry, on applaudit derrière ses rideaux à la fin de la reconstitution d’un meurtre par immolation. Un peu plus loin, on tuera le nouveau-né, tant qu’il sera une fille... Autant de drames quotidiens qui me déclenchent des images... Les violences hommes/femmes me renvoient dans un univers de fête foraine où tout est permis : prendre un fusil à fléchettes et “dégommer” le vilain petit canard qui passe, se jeter dans les méandres d’un train fantôme qui ne fera après coup, même pas peur ! Monter sur le dos d’un lapin de manège doré, chercher une fille aux allures de pute pour la montrer aux badauds, assis nonchalamment sur les bas côtés de la piste des autotamponneuses, puis la garder la plus longtemps possible dans son auto-tampon, investir à coup de jetons, et puis elle s’en va.