La rencontre Journalistes/ réalisateurs
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LETTREDR23OK.qxd 1/12/09 11:18 Page 4 La rencontre Journalistes/ réalisateurs A l’heure où la fiction française est remise en question, il nous a paru opportun de rassembler dans un même endroit ceux qui la font et ceux qui en parlent. Introduction Christian Bosséno Préalablement à tout échange et pour lancer la discussion, il n’est pas inutile de s’insurger contre certaines idées reçues et autres pratiques particulièrement ancrées dans notre pays, dont elles constituent de très fâcheuses « spécificités ». Ainsi faut-il battre en brèche une antienne paresseusement colportée, jamais sérieusement remise en cause et selon laquelle la télévision, genre considéré comme très mineur, ne serait qu’un « sous-cinéma ». D’aucuns même relèguent, dans la presse, la télévision à la rubrique services ou médias quand le cinéma, le « septième art », s’inscrit naturellement au chapitre « culture ». Et, que dire, je les collectionne car elles m’exaspèrent et constituent pour moi le degré zéro de la critique, ces formules à l’emportepièce employées par des critiques, de cinéma cette fois, qui, pour qualifier un mauvais film, font paresseusement l’impasse d’une analyse sérieuse, pour asséner ce jugement sans appel : « C’est du niveau d’un téléfilm. » Conséquence (mais aussi facteur) de cette ségrégation, la > 4 relative rareté, aujourd’hui, en dépit de l’existence, naguère, d’un « âge d’or » de la critique de télévision avec Jacques Siclier, Maurice Clavel, André Bazin (qui écrivait indifféremment sur la télévision ou sur le cinéma), François Mauriac, Jean Barenat, Gabriel Matzneff, Jacques André, André Brincourt, Morvan-Lebesque…, d’une véritable critique. Aujourd’hui, en effet, à de belles exceptions près, le plus grand nombre de journalistes de télévision sont invités à privilégier, dans les quotidiens et hebdomadaires, les dossiers brodant autour du thème d’un programme, les interviews d’actrices et d’acteurs débouchant très souvent sur ce que l’on appelle leur « actualité », y compris sentimentale. Il faut aussi regretter l’absence, à côté d’une cinéphilie très vivante, d’une nécessaire téléphilie. C’est ainsi qu’il n’existe pas, comme pour le cinéma, de revues dédiées à l’analyse des œuvres de télévision. Toutes les tentatives de revues de télévision se sont en effet soldées par des échecs. A la notable exception, et c’est un exemple encourageant, des revues dédiées aux séries et à leur analyse : feue Génération Séries, Episodik et aujourd’hui Génériques, « boostées » par l’engouement suscité par les séries anglo-saxonnes. Comment expliquer ce mépris du petit écran ? Peut-être par un goût particulier en France pour les hiérarchies, les catégories et les tiroirs ? Ou alors une appréhension globale et paresseuse du flux télévisuel, considéré comme un « robinet d’eau souvent tiédasse » et l’absence d’un effort, pourtant minimal, pour distinguer, dans ce flux, les programmes de qualité, fictions et documentaires Aussi les auteurs de télévision (réalisateurs, auteurs et musiciens) restent-ils largement méconnus. Une absence de références, notamment historiques, de filmographies, LETTREDR23OK.qxd 1/12/09 11:18 Page 5 La rencontre journalistes/réalisateurs rendant très malaisée leur considération et la difficulté à situer un téléfilm dans l’ensemble de ce qui tisse souvent l’œuvre singulière (au sens plein du terme) d’un auteur, avec son style et son regard. Paradoxalement, ce n’est pas (ce n’est plus, dirais-je) dans les dossiers de presse accompagnant la projection d’une fiction que l’on trouvera la filmographie du réalisateur, du scénariste ou du musicien, mais en la recherchant sur la toile, en interrogeant le site américain IMDB ou encore le site Teletek, que met en place et développe le Groupe 25 images. La fiction française serait sur le déclin. Le succès, mérité, de séries américaines de grande qualité venant accentuer ce sentiment. Or, depuis la refondation, il y a cinq ans, par le Syndicat français de la critique de cinéma et des films de télévision, à côté des prix décernés aux films de cinéma, des prix télévision (qui n’étaient plus attribués depuis vingt-cinq ans !), il apparaît que l’on retient chaque année, avant le choix final des lauréats des prix télévision, autant, pour de pas dire plus, d’œuvres originales, courageuses, créatives et fortes produites par la télévision que d’œuvres produites pour le cinéma et concourant pour les prix cinéma. Il est clair que la télévision, à l’égal du cinéma, est un formidable champ de création d’œuvres et une pépinière d’auteurs (réalisateurs, scénaristes et musiciens). On oublie aussi que, grâce à des programmes originaux et notamment des séries comme Engrenages, Mafiosa (vente dans une cinquantaine de pays), Fais pas ci fais pas ça, ou des séries dites « patrimoniales » comme Chez Maupassant, mais aussi certaines séries « familiales », les ventes de fiction française, comme le souligne Mathieu Béjot, délégué général de TV France International, dans son rapport annuel, progressent à l’étranger. Ce cocorico doit bien sûr être tempéré. La création est souvent compromise par la frilosité de certaines directions de programmes, le formatage, le lissage des projets, souvent aggravée par l’autocensure de leurs auteurs redoutant de les voir refusés. Certaines fictions « ron ron plan plan », dans lesquelles tout finit bien et où de formidables héros sans défauts, aussi récurrents que citoyens, résolvent tous les problèmes de société, sont infantilisantes. Heureusement, d’autres personnages, plus complexes ont commencé à prendre la relève : ainsi. après Engrenages, dans des séries comme Enquêtes réservées (France 3), Braquo (Canal +), ou des collections comme Suite noire (France 2, et maintenant Arte qui lui succède, car selon les mots d’un directeur de France télévisions, cette série « développait une esthétique de films de cinéma » !) Il faut aussi rappeler que c’est souvent un problème de moyens qui handicape la fiction française et non une absence d’ambition. Le rapport exposé au dernier Festival de la fiction télévision de La Rochelle a souligné le vieillissement du public de la télévision et la grande désaffection des jeunes, et a appelé à plus d’audace. La « webfiction » pourrait constituer une des pistes de la reconquête. Une critique de télévision sans complaisance doit accompagner ces avancées. Elle peut être la meilleure alliée d’une télévision ambitieuse, un aiguillon utile aussi. Actuellement, elle reste souvent balbutiante, réduite, au moins pour l’analyse, à la portion congrue. Au contraire, on l’a dit, de la critique de cinéma, née de la cinéphilie dévorante de ses auteurs (je parle surtout ici des revues de cinéma), elle manque de critères et de références. La téléphilie reste à naître. La rencontre de ce jour peut préciser des choses, contribuer à mettre en lumière pour les dissiper, des malentendus, aider à mieux se connaître, à savoir ce que les réalisateurs peuvent attendre de la critique, en finir avec cette maladie chronique qui est l’autoflagellation. La parole est maintenant ouverte à tous. Pour une répartition équitable, je propose qu’à chaque intervention d’un réalisateur succède une intervention d’un journaliste, et lycée de Versailles. Très important enfin, n’oubliez pas de vous présenter quand vous prenez la parole. Cela facilitera notamment le décryptage de cette soirée. Bons échanges ! N. B. Sur la critique de télévision, plusieurs travaux ont déjà été publiés. – La critique de télévision, choix de textes réunis par Jérôme Bourdon, n° 47, Dossiers de l’audiovisuel, 1993, INA, Documentation française. – L’œil critique, le journaliste de télévision, ouvrage collectif publié sous la direction de Jérôme Bourdon et Jean-Michel Frodon (INA, de Boeck édition, 180 pages, octobre 2002). Textes, pour la France, des deux coordinateurs, de Daniel Schneidermann, Gilles Delavaud, reprise d’écrits de François Mauriac, Serge Daney, Morvan-Lebesque. Un chapitre (table ronde) est consacré à l’expérience de Télévision française : la saison, alors qualifiée par Jérôme Bourdon et Jean-Michel Frodon de « plus important effort critique entrepris aujourd’hui dans l’espace français ». La lettre des Réalisateurs > 5 LETTREDR23OK.qxd 1/12/09 11:18 Page 6 > La rencontre Les présents JOURNALISTES Michel AMARGER, RFI/Médias France Vincent ARQUILLIÈRES, pigiste pour plusieurs journaux dont Télérama Thierry AUDRIC & Philippe GAUTREAU, La Saison, Télévision Marianne BÉHAR, L'Humanité Bernard BESSERGLIK, Hollywood Reporter Gisèle BRETEAU-SKIRA, Zeuxis Magazine Véronique CAUHAPÉ, Le Monde Simon CHARASSON, Cinémag, Zaptélé.Com Alice COFFIN, Service Médias 20 Minutes Samuel GONTHIER, Valérie HURIER, Hélène MARZOLF, Télérama Li JIN, China Film Weekly + médias chinois Guy JOUANNET, Écho Magazine Pierre LANGLAIS, Générique(s), Télérama, Le Mouv’, Slate… Laurent LARCHER, La Croix Anastasia MALINOVSKAIA, Vincent SOLIGNAC, La Gazette des Scénaristes Aurélie MARMU, Tv Mag P.Q.R. Dominique MONTAY, Le Village Danielle OHAYON, France Info Guillaume SERRES & Caroline VEUNAC, Générique(s) Kiron Espace, Galerie > RÉALISATRICES ET RÉALISATEURS Sylvie AYME, Luc BÉRAUD, Renaud BERTRAND, Thierry BOSCHERON, Guillaume CREMONESE, Williams CRÉPIN, Pascale DALLET, Bruno DELAHAYE, Jean Teddy FILIPPE, Sébastien GRALL, François GUÉRIN, Christian GUÉRINEL, Hervé HADMAR, Henri HELMAN, Laurent JAOUI, Roger KAHANE, Pascal KANÉ, Philippe LAIK, Christiane LEHÉRISSEY, Laurent LEVY, Jean-Louis LORENZI, François LUCIANI, Jean-Pierre MARCHAND, Alain NAHUM, Michael PERROTTA, Julien SÉRI, Jean-Pierre SINAPI, Christiane SPIÈRO, Dominique TABUTEAU, Frédéric TELLIER, Patrick VOLSON, Marcel ZEMOUR. MODÉRATEUR Christian BOSSÉNO ATTACHÉ DE PRESSE Michaël MORLON COORDINATRICE Dominique ATTAL Aurélie Marmu, Fred Tellier, Julien Séri 6 LETTREDR23OK.qxd 1/12/09 11:18 Page 7 La rencontre journalistes/réalisateurs Analyse Laurent Jaoui Quelques mots sur la rencontre journalistes/réalisateurs. Il nous avait paru pertinent de provoquer cette rencontre lors d’une soirée-club pour essayer de faire évoluer ce sentiment de décalage perçu par beaucoup d’entre nous entre la qualité du travail des auteurs de télévision et l’image que la fiction française pouvait avoir dans la presse. En ce sens-là, le texte d’introduction (voir ci-dessus) de Christian Bosséno, critique à Télévision française : la saison et grand spécialiste de notre métier, résumait parfaitement la situation : portion congrue laissée dans les journaux à la critique de télévision, acceptation péjorative du terme « téléfilm », manque de connaissance « téléphilique » des journalistes sur nos œuvres… Le débat s’est déroulé, riche en interventions de part et d’autre. A l’arrivée, je vous invite à consulter le compte rendu qu’en fait le journaliste de Télérama. Que s’est-il donc passé dans ce débat pour aboutir à ce constat amer ? Nous étions partis du principe que les réalisateurs de télévision étaient fiers de leur travail et que, par méconnaissance, les journalistes de télévision avaient tendance à les sous-estimer. Mais, au bout du compte, on peut avoir l’impression que les journalistes ne font qu’amplifier la propre défiance des réalisateurs par rapport au métier qu’ils exercent. La « faille » ne se situe donc pas là où l’on croyait. La première intervention d’un réalisateur, provocatrice (?), a été pour expliquer que les films de télévision ne pouvaient pas être jugés comme des films de cinéma, qu’ils étaient destinés à être diffusés sur un appareil électroménager. Bref, comme dit un ami, « le cinéma, c’est un art ; la télé, c’est un meuble ». On imagine l’effet d’une telle déclaration. Aussitôt, la jeune génération des journalistes a enchaîné pour exprimer l’ennui qu’ils éprouvaient, a priori, à devoir visionner de la fiction française. Ont suivi de nombreuses interventions de réalisateurs pour expliquer encore et toujours pourquoi le « système » les empêchait de faire de bons films. Perte de pouvoir décisionnel sur les plateaux, frilosité des diffuseurs, manque de courage à tous les étages. L’ambiance était à l’autodénigrement, à tel point qu’il a fallu l’intervention tardive d’une journaliste du Monde pour dire tout le plaisir qu’elle avait à voir nos films et l’intérêt qu’elle leur portait. Ce climat de découragement a même donné l’impression à notre journaliste de Télérama que nous étions des « malades » appelant à l’aide des « journalistes-infirmiers ». Alors oui, on peut se poser la question : comment se faitil que de nombreux réalisateurs de télévision soient si peu fiers de leur films ? Parce qu’ils sont humbles ? Parce qu’ils sont honnêtes et qu’ils font objectivement de mauvais films ? Parce qu’ils ont intégré depuis si longtemps le discours ambiant sur leur médiocrité qu’ils ont réussi à s’en convaincre eux-mêmes ? Parce que cette discrimination insidieuse leur a fait endosser le rôle de la victime consentante ? Parce que les productions anglo-saxonnes sont devenues l’alpha et l’oméga de la création mondiale ? Et pourtant, à voir les films français sélectionnés ces dix dernières années en festival, on peut aussi, objectivement et à l’instar de Christian Bosséno, se dire qu’il y a de sacrés motifs d’être fiers de notre fiction. Chaque année, des films de France Télévisions, d’Arte, de Canal +, de TF1 ou de M6 (plus rares, il faut l’admettre) font preuve d’originalité, de créativité, sont des bijoux d’émotion, de sensibilité. On peut l’admettre aussi, l’impertinence n’est pas notre fort, mais ce n’est pas le seul critère d’appréciation d’une œuvre. Chaque année, réalisateurs et scénaristes proposent des univers forts, des histoires bouleversantes, des points de vue inédits sur notre monde. Non, nous n’avons pas à rougir de nos films. Peut-être qu’il faudrait commencer à s’en persuader avant que d’autres puissent en être persuadés. Peut-être que, finalement, l’image souvent dégradante que nous renvoient les médias sur nos films n’est que le reflet de nos propres doutes. La question alors est : que faudrait-il pour que nous arrêtions de nous jeter des cendres sur la tête ? Toutes les réponses à cette question sont les bienvenues. La lettre des Réalisateurs > 7 LETTREDR23OK.qxd 1/12/09 11:18 Page 8 > La rencontre VIE AU POSTE > MA LE BLOG TÉLÉ DE SAMUEL GONTIER Fac-similé Ceci n'est pas une fiction Avec l’aimable autorisation de Samuel Gonthier - Télérama ou quatre questions à la con, et tu balances ton papier. Le rêve ! » Comme elle ne se reconnaissait pas dans ce portrait, ma chef Valérie se résolut à faire son coming out : « Je suis une ménagère comme les autres ! », revendiqua-t-elle en brandissant un rouleau à pâtisserie. C'est bien ce qui me semblait. Même le service télé est gangrené. Ce matin, en arrivant, je suis allée voir Fabienne, Marie Guillard, Sophie Duez, Mimie Mathy dans l'épisdode Les Majorettes de Joséphine ange gardien - TF1 Le 1 octobre 2009 à 16h00 Je suis arrivé en traînant les pieds, largement en retard. J'ai pris place dans le box des accusés, aux côtés de mes collègues et consœurs du Monde ou de L'Humanité. Le débat s'intitulait « Fiction française : réalisateurs et journalistes, nous avons des choses à nous dire ». En fait, c'était pire que le procès Clearstream. Je regrettai presque de ne pas m'appeler Villepin. Dans le rôle du procureur, des juges et des parties civiles : les réalisateurs et scénaristes. Dont beaucoup membres du Groupe 25 images, l'association qui organisait l'audience. Dans le rôle des accusés, les journalistes. Présumés coupables. Coupables de bâcler leurs critiques, de ne pas défendre la création française, de ne pas servir de « caisse de résonance » aux défis artistiques relevés par les auteurs. Après ça, étonnez-vous que TF1 fasse un carton avec Joséphine, ange gardien et se plante avec Flics, audacieuse série policière écrite par Olivier Marchal… Je me demandai si nous avions affaire à des réalisateurs ou à des maîtres-nageurs. L'acrimonie de certains me rappelait les déclarations de Philippe Lucas, entraîneur de natation, sociologue des médias à ses heures perdues, qui décrivait ainsi la profession de journaliste dans TV Mag : « On est bien payé, on branle rien. Tu poses trois > 8 la super méga grande chef de Télérama, je lui ai dit : « Ça ne peut plus durer, nous devons changer de ligne éditoriale. Il faut arrêter de mettre Benjamin Castaldi et Ingrid Chauvin en couverture de Télérama toutes les semaines. » Et là, vous savez ce qu'elle me répond ? « Pas question, je suis une ménagère comme les autres. » Dégoûté, je suis allé toquer à la porte de Michel, un super grand chef lui aussi (mais moins que Fabienne). Je lui ai dit : « Ecoute, Michel, ça ne peut plus durer, la dictature des ménagères, dans un journal culturel comme Télérama. Il faut organiser un putsch de cadres dynamiques, es-tu avec moi ou contre moi ? » Et là, vous n'allez pas le croire, Michel pose son tricot et me répond : « Je suis une ménagère comme les autres. » Je suis cerné, c'est désespéré. Je devrais peut-être changer de tactique. Renoncer à changer Télérama pour me consacrer au sauvetage des auteurs de fiction. J'ai fouillé dans mon tiroir pour en sortir mon défibrillateur, mon kit d'adrénaline, ma bonbonne d'oxygène. J'ai révisé les gestes de première urgence en m'exerçant sur l'imprimante du service télé, en état de mort clinique depuis trois jours. Il faut sauver la fiction française. Car, autant qu'un appel à la vengeance, les réalisateurs et scénaristes lançaient hier soir un appel au secours. Ils ont des raisons. Ecoutons d'abord le bilan dépassionné dressé par le correspondant à Paris du Hollywood Reporter. Comparée à la télé britannique (qu'on ne saurait parer de toutes les vertus), la télé française se caractérise par la « déconsidération » dont elle souffre, son manque d'« irrévérence » et la dictature des fictions « unitaires » de LETTREDR23OK.qxd 1/12/09 11:18 Page 9 La rencontre journalistes/réalisateurs 90 minutes. Ces défauts seraient la conséquence d'une manie des chaînes françaises : vouloir « fédérer » à tout prix. Si les chaînes britanniques sont plus créatives, c'est parce qu'elles s'adressent à des publics plus ciblés. Et de conclure : « L'art de la télé, c'est de donner au public ce qu'il ne savait pas qu'il voulait. » En français dans le texte et dans la bouche des auteurs présents, cela donne : « Ce qui prédomine aujourd'hui chez les diffuseurs, c'est la peur, une peur contagieuse qui gagne les producteurs et finit par nous retomber sur la tronche. » Ou encore : « Ce qui caractérise les télés, c'est le manque de courage, l'absence de prises de risque. » Et même : « Ce qui les gouverne, ce sont les études de marché. » Ou, plus élaboré : « Les grandes chaînes veulent toujours “fédérer” parce qu'elles continuent à se penser hégémoniques, alors que la concurrence du Web les affaiblit, que les jeunes les désertent. » Pour preuve, TF1 préfère changer les règles du marché plutôt que d'accomplir sa révolution culturelle. Du côté de France Télévisions, les tentatives de reprise en main éditoriale conduisent à faire « une télé du passé ». Certains livrèrent même des exemples édifiants de justifications employées par les chaînes pour refuser leurs projets. « Les chaînes nous demandent des comédies sociales, mais, quand on leur présente des scénarios, elles trouvent que cela pose problème d'aborder des problèmes sociaux. » Eh oui, on ne peut pas refaire le coup des Ch'tis à l’infini. Finalement, nous sommes d'accord : si les comédies télévisées ont aussi peu de succès auprès des journalistes qui branlent rien, c'est donc… peut-être… parce qu'elle manquent… d'irrévérence, non ? Autre argument de diffuseur entendu par un auteur : « Ça, c'est pour Canal+. » Comme si la chaîne cryptée, qui s'adresse à des abonnés donc à des publics plus ciblés, devait conserver le monopole de la créativité déjà exploitée par La Commune, Engrenages, Reporters, Opération Turquoise, Les prédateurs (entre autres)… branlons rien, on ne savait plus où donner du stéthoscope. On courait d'un auteur blessé à l'autre, enchaînant les massages cardiaques, les électrochocs, les intubations et les points de compression. Devant cet étalage de bonne volonté, les auteurs ont fini par nous accorder un brevet de secourisme. Ils ont reconnu que nous avions déjà sauvé d'une mort certaine la collection Suite noire, programmée à pas d'heure par France Télévisions, finalement promise à une deuxième vie sur Arte grâce à l'intervention aussi rapide qu'efficace du Samu de Télérama, constitué du médecin-chef Valérie, de la brigadier Marie et des sapeurs Emmanuelle et Sophie. On s'est quittés bons amis. On a promis de s'équiper de plusieurs véhicules de secours, d'une grande échelle, d'un camion-citerne ainsi que de haches pour enfoncer la porte des conseillers de programmes des chaînes. Ils ont promis qu'ils n'useraient plus d'une rhétorique de maître-nageur. Epilogue. En rentrant chez moi, je me précipitai sur France 4 pour scruter une rediffusion de Fais pas ci, fais pas ça, série française unanimement et fréquemment citée en exemple de fiction réussie lors du débat qui venait de s'achever. J'en avais déjà vu des bribes, les deux épisodes d'hier soir ont confirmé mon impression. C'est super chouette, Fais pas ci, fais pas ça. Bien dialogué, enlevé, un peu déjanté, très bien joué. Tout ça sans être du tout subversif. Les thèmes abordés sont même très conventionnels. Voici l'exemple d'un excellent programme fédérateur, très consensuel, assurément familial… Mais… Argh ! Qu'est-ce qui m'arrive ? Horreur ! Je suis une ménagère comme les autres ! La meilleure pour la fin. On connaissait le traditionnel motif de refus d'un projet par les chaînes : « Ça a déjà été fait. » Un réalisateur présent hier soir a entendu un autre argument beaucoup plus subtil : « Si c'était une bonne idée, ça aurait déjà été fait. » Et si ça aurait pas été fait, c'est parce que ça aurait pu avoir été une bonne idée ? Avec « toutes les souffrances qui ont été exprimées ici », comme disait un réalisateur, nous, les journalistes qui Boubouroche, d'après Georges Courteline, réalisé par Laurent Heynemann, Pour une nuit d'amour, d'après Emile Zola, réalisé par Gérard Jourd'hui et Le Petit Vieux des Batignolles, d'après Emile Gaboriau, réalisé par Claude Chabrol. Tous issus de la collection « Contes et nouvelles du XIXe siècle » initiée par France 2. Des fictions de prestige, certes excellentes. Mais ne faudrait-il pas se préoccuper davantage du XXIe siècle ? La lettre des Réalisateurs > 9