Prévention Accès aux soins et Orientation pour les Travailleuses du

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Prévention Accès aux soins et Orientation pour les Travailleuses du
Prévention Accès aux soins et Orientation sociale pour les Travailleuses du
Sexe Transgenres (PAO TSTG), projet pilote et perspectives
Guido Biscontin1, Carole Besse2, Julien Gross3, Vanessa Christinet4, Jean-Philippe Cand5, Erika
Volkmar6, Sylvie Reymond Darot7, Eric Périat8
25 janvier 2016 (version du 6 avril 2016)
Résumé
Introduction
Sur la base d’une analyse des besoins et vulnérabilités spécifiques des TSTG actives à Lausanne (Suisse), les
autorités de santé publique ont mandaté le Checkpoint Vaud et la fondation Agnodice afin de mettre sur pied un
projet pilote de deux ans (janvier 2014-décembre 2015) visant l’amélioration de la santé physique, psychique et
sociale des TSTG actives dans le canton de Vaud (Suisse) et de prévenir la dissémination des VIH/IST. L’innovation
de ce projet, le premier en Suisse, consiste en une intervention médico-sociale conjointe expressément destinée
aux TSTG mise en œuvre directement sur les lieux de prostitution par une équipe comprenant une intervenante
transgenre et un infirmier.
Méthode et approche
Assurer une permanence sur les lieux de prostitution de rue, une nuit par semaine, avec un bus équipé,
permettant de combiner orientation sociale, prévention primaire et accès des TSTG à la santé – avec possibilité
d’effectuer des prélèvements pour des dépistages du VIH/IST et des bilans endocrinologiques – tout en
garantissant, au Checkpoint Vaud, un accueil et des soins en santé sexuelle et générale.
Résultats
Nous avons touché une population de 47 TSTG (en moyenne, 5 visites au bus par permanence), presque la totalité
des TSTG fréquentant les lieux. Dans le bus, nous avons réalisé 13 dépistages VIH/IST et 3 vaccinations VHA/VHB.
Au Checkpoint, nous avons réalisé 20 consultations sociales et 10 consultations médicales.
Selon une enquête menée auprès d’un échantillon du groupe cible, la satisfaction générale et l’offre médicosociale ont été évaluées comme très positives. La nécessité d’une offre expressément destinée aux TSTG a été
considérée comme très importante. Pour les TSTG, il a été facile de se rendre au bus. Le projet a contribué à faire
en sorte que la thématique du travail du sexe transgenre ait été reprise dans les stratégies nationales et
régionales.
Conclusion
Le projet a touché la population cible qu'il s'était fixé. Il apporte un soutien concret d'un point de vue médical et
social. Sa stratégie semble répondre de manière appropriée et efficace aux besoins spécifiques des TSTG. Le seuil
d’accès aux prestations sociales et médicales semble être considérablement réduit. Des interrogations sur les
éventuels changements de comportement subsistent. L’intérêt d’une approche médico-sociale conjointe avec
des compétences transgenres au sein de l’équipe est confirmé.
1
Chargé de programme projet PAO TSTG, Centre de compétences prévention VIH-IST, Fondation Profa, Lausanne
Intervenante sociale projet PAO TSTG, Centre de compétences prévention VIH-IST, Fondation Profa, Lausanne
3 Infirmier projet PAO TSTG, Centre de compétences prévention VIH-IST, Fondation Profa, Lausanne
4 Médecin responsable, Checkpoint Vaud, Centre de compétences prévention VIH-IST, Fondation Profa, Lausanne
5 Chef de service, Centre de compétences prévention VIH-IST, Fondation Profa, Lausanne
6 Présidente, Fondation Agnodice, Lausanne
7 Directrice, Fondation Profa, Renens
8 Infirmier et conseiller en santé sexuelle, Checkpoint Vaud, Centre de compétences prévention VIH-IST, Fondation Profa,
Lausanne
2
Introduction
Les besoins spécifiques pour la mise sur pied du
projet PAO TSTG ont été documentés en 2009
(Chapot et al., 2009). Les auteur-e-s décrivent
et analysent en détail les besoins et
vulnérabilités spécifiques des travailleuses du
sexe transgenres (TSTG) actives à Lausanne et
proposent des pistes d’actions possibles pour y
répondre.
Les personnes transgenres sont l’objet de
violences et discriminations multiples, sont
plus à risque de suicides et de dépressions que
la population générale et elles sont également
aussi parmi les plus touchées par les VIH/IST.
Leur accès aux ressources de santé est
restreint. Le travail du sexe est une réalité
fréquente chez les personnes transgenres, le
plus souvent pour des raisons économiques et
sociales
(comme
la
discrimination
professionnelle empêchant de trouver un autre
type d’emploi). Les personnes transgenres
travailleuses du sexe, souvent avec un parcours
migratoire, sont encore plus marginalisées au
plan socio-économique et vulnérables à la
violence et aux problèmes de santé. Pendant
l’enquête réalisée par Chapot et al., un manque
de connaissances spécifiques en lien avec les
pratiques réelles dans le travail du sexe, des
ruptures de préservatifs fréquentes, une sous
utilisation des ressources de santé, une
mauvaise évaluation des risques et de l’état de
santé, des pratiques de féminisation comme la
prise d’hormones massive et incontrôlée et les
injections de silicone directement dans le
corps,
un
manque
de
contrôle
endocrinologique - comme de tout autre suivi
médical - ont notamment été constatés. Ces
éléments ont justifié la proposition d’offrir aux
TSTG des prestations ciblées, médicales, de
prévention et d’éducation à la santé, axées sur
les pratiques réelles, sur le terrain, dans un
langage approprié et par des intervenant-e-s
de confiance.
L’importance d’un tel projet spécifique pour les
TSTG a été confirmé en 2013 (Bize et al., 2013).
Sur ces bases, l'OFSP a décidé de mandater, en
septembre 2013, le Checkpoint Vaud9 et la
fondation Agnodice10 afin de mettre sur pied
9
Centre de santé sexuelle pour les hommes qui ont des
relations avec les hommes et pour les personnes trans’
et leurs partenaires, Centre de compétences prévention
VIH-IST, Fondation Profa, Lausanne
un projet pilote de deux ans (janvier 2014dàcembre 2015) avec les buts suivants : 1)
améliorer la santé physique, psychique et
sociale des travailleuses du sexe transgenres
actives dans le canton de Vaud 2) prévenir la
dissémination des IST et du VIH aux clients et à
la population générale.
L’innovation de ce projet consiste dans son
concept basé sur une intervention médicosociale conjointe expressément destinée aux
TSTG et mise en œuvre directement sur les
lieux de prostitution, au plus près des TSTG, par
une équipe comprenant une intervenante
transgenre et un infirmier. En Suisse, il s’agit de
la première expérience de ce type, que ce soit
pour son groupe cible ou pour son concept
médico-psycho-social. Le concept du projet
PAO TSTG s’inscrit dans les recommandations
faites par deux organismes reconnus au niveau
international dans le domaine du travail du
sexe et de la prévention auprès des personnes
transgenres (NSWP, 2015 et Center of
Excellence for Transgender Health, 2015), ainsi
que par les concepts d’un projet français
(PASST, 2015) et d’un projet canadien (Portico,
2015).
Méthode et approche
Dans la ligne des recommandations
internationales, la stratégie opérationnelle
proposée a été celle d'assurer, sur les lieux de
prostitution de rue de Lausanne, une nuit par
semaine, une permanence, avec un bus équipé,
combinant orientation sociale, prévention
primaire et accès à la santé des TSTG, tout en
assurant, au Checkpoint Vaud, un accueil et des
soins en santé sexuelle (avec ou sans rendezvous) et générale par la médecin responsable en collaboration avec l’infirmier ou
l’intervenante sociale du projet afin d'assurer
le suivi - ainsi qu’une permanence sociale avec
ou sans rendez-vous. Pendant les permanences
sur les lieux de prostitution de rue, il était
également
possible
d’effectuer
des
prélèvements pour des dépistages des
infections sexuellement transmissibles et des
bilans endocrinologiques. Pour mener le
projet, une équipe ad hoc a été recrutée - une
10
La mission de la Fondation Agnodice (Lausanne) est de
promouvoir en Suisse une société considérant les
variations de l’identité de genre et du développement
sexuel comme une richesse relevant de la diversité
humaine
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intervenante sociale transgenre à 30%, un
infirmier à 20% et un chef de projet à 10%. La
médecin responsable du Checkpoint Vaud a
également assuré des présences régulières
dans les lieux de prostitution de rue.
Sur la base du concept médico-psycho-social
initial, un modèle d’impact selon le modèle de
catégorisation des résultats de Promotion
Santé Suisse (Ackermann, 2005) a été élaboré
afin de guider l’action et l’évaluation du projet
pilote.
Les permanences sociales au bus et au
Checkpoint Vaud pouvaient traiter les thèmes
suivants : travail du sexe, accès à l’information,
prévention, clients, pratiques, violences,
relations entre travailleuses du sexe, relations
à la police/justice, situation actuelle générale,
assurances/subsides, dettes, projets pour le
futur, logement, permis de séjour, vie
sentimentale/affective/couple, enfants, passé,
famille, formation, identité de genre,
orientation sexuelle, traite, …
Les consultations infirmières dans le bus
pouvaient traiter les thèmes suivants : santé
générale, physique, psychique, sexuelle, VIHIST,
prévention,
utilisation
des
préservatifs/digues/gel, PEP, symptômes
grippaux/primoinfection par le VIH, maladies
chroniques, traitements, suivi médical,
interventions chirurgicales plastiques /de
réassignation, endocrinologie, consommations
de produits, …
Un numéro de téléphone portable était
disponible pour atteindre l’intervenante
sociale du projet. Cet appareil a également été
utilisé pour enregistrer, avec leur accord, les
numéros de toutes nos bénéficiaires et de leur
envoyer des messages concernant nos
permanences (par exemple présences de la
médecin, changements) et pour envoyer des
messages de rappel lors de rendez-vous pris.
Une collaboration avec deux médecins
endocrinologues du réseau de la Fondation
Agnodice a été mise sur pied dès le début du
projet, afin d’assurer un suivi rapide et à seuil
adapté des bénéficiaires le souhaitant – en
collaboration avec l’infirmier ou l’intervenante
sociale du projet.
Outre l’orientation sociale, le concept
prévoyait
également
la
possibilité
d’accompagner les bénéficiaires vers des
prestataires tiers, en fonction des besoins, afin
d’en faciliter l’accès et le suivi.
Une étroite collaboration avec le collaborateur
administratif et l’intervenant en conseil et
orientation pour les personnes trans’ du
Checkpoint Vaud a été mise sur pied pour la
gestion
des
aspects
administratifs,
assécurologiques, de droit et de démarches
relevant de leurs compétences.
Le budget du projet prévoyait une prise en
charge gratuite annuelle (sauf si cela ne
pouvait pas être pris en charge par l’assurance
maladie de la bénéficiaire sans utiliser la
franchise)
d’un
dépistage
de
VIH/chlamydia/gonorrhée/syphilis/hépatites
et les vaccins contre les hépatites A et B. Un
soutien financier ou des facilités de paiement
pouvaient également être proposés pour des
prises
en
charge
d’urgence
(PEP),
endocrinologiques ou, exceptionnellement,
d’ordre social.
Une présence sur les réseaux internet et de
petites annonces ainsi que dans les salons où
s’exerce le travail du sexe a été esquissée. Le
développement d’un réseau TSTG-friendly a
complété le dispositif.
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3
Résultats
Chiffres clés
 Permanences à Sévelin : 86
 Bénéficiaires : 47
 Visites au bus, en moyenne : 5
 « kits prévention » distribués : 970
 Consultations sociales au Checkpoint Vaud
: 20
 Accompagnements vers d’autres
prestataires : 24
 Actes médicaux effectués au bus : 13
dépistages VIH/IST et 3 vaccinations
VHA/VHB
 Consultations médicales effectuées au
Checkpoint : 10
Caractéristiques des bénéficiaires régulières
 Identité selon la typologie utilisée par
l’association PASST11 : T112 30%, T213 65%,
T314 <5%
 Statut de séjour : situation régulière 70%,
situation irrégulière 30%
 Origine : Amérique latine 60%, Europe
40%
 Assurance maladie : oui 80%, non 20%
Nous disposons de plusieurs informations
socio-démographiques
concernant
les
bénéficiaires du projet. Néanmoins, ces
informations ne se basent pas sur des critères
ou concepts définis de manière précise (par
exemple sur les traumatismes vécus, leurs
pratiques
de
féminisation,
situation
actuelle/passée - pauvreté, discrimination,
violences, exclusion, stigmatisation, ...) et n'ont
pas été récoltées de manière systématique. De
ce fait, nous ne les rapportons pas dans ce
document.
La notoriété des offres
Notre présence régulière sur les lieux de
prostitution de rue et les contacts très réguliers
avec les personnes y travaillant a fait que notre
offre médico-sociale soit bien connue parmi la
population concernée. Une recherche
11
PASST : prévention action santé travail pour les
transgenres, Paris
12 Personne ayant une génitalité et des caractéristiques
sexuelles secondaires masculines qui se travestit/se
maquille/porte une perruque pour exercer le travail du
sexe. Une interrogation concernant l'identité de genre
peut être présente
systématique de contact a été menée avec
chaque personne présente. Notre offre était
déjà connue par certaines bénéficiaires avant
d’en faire la connaissance, par le bouche à
oreille.
Nous ignorons l’impact des annonces mises sur
les sites de rencontre par rapport à la notoriété
de l’offre (plusieurs milliers de vues), hormis les
40 clients environ qui ont appelé en pensant
qu’il s’agissait d’une offre de prestations
sexuelles.
Accessibilité des offres et atteinte des
groupes-cibles
Par les présences régulières, la possibilité
d’avoir des prestations médico-sociales dans le
bus et au Checkpoint Vaud selon un seuil
adapté (prestations dans le bus ou au
Checkpoint en fonction des besoins et des
opportunités, liens entre le Checkpoint Vaud et
le bus, connaissance des équipes de la part des
TSTG), le « aller vers » systématique, le fait
d’avoir une personne trans’ dans l’équipe, le
seuil d’accès à nos offres a été largement réduit
par rapport à des approches plus statiques
(laisser venir, accompagner vers). En effet,
plusieurs de nos bénéficiaires n’étaient pas en
contact avec des organismes à but social ou
dans une filière de soins. Nous avons
également
pu
faire
un
travail
d’accompagnement et d’orientation de
personnes qui n’avaient pas encore obtenu les
informations nécessaires ou n’osaient pas faire
le pas dans le cadre de démarches
individuelles. Par notre approche, nous n’avons
pas été confronté-e-s à des demandes médicosociales auxquelles nous n’avons pas pu
donner
suite.
Toutefois,
des
accompagnements et prises en charge
démarrés dans le cadre du projet ont été
interrompus suite à un manque de continuité
ou stabilité des personnes suivies.
Utilisation des offres
L’offre d’accueil dans le bus a été bien utilisée
par les bénéficiaires sur place, toutes les TSTG
fréquentant les lieux sont passées au bus et
13
Femme trans' qui a entrepris une démarche de
transition, avec ou sans hormonothérapie, ayant
effectué des opérations chirurgicales de féminisation
mais pas de réassignation sexuelle
14 Femme trans' ayant effectué une réassignation
génitale, d'autres opérations chirurgicales de
féminisation et une hormonothérapie
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nous avons pu nous entretenir avec elles, en
groupe et de manière individuelle. Cet aspect
est un point important de notre concept. Nous
avons tenu à offrir des espaces individuels et
confidentiels à nos bénéficiaires, aussi sur les
lieux de prostitution, afin de pouvoir
approfondir leurs situations directement sur
place. Un petit groupe de 5 TSTG a très peu
fréquenté le bus et les liens ont été maintenus
par l’approche de « l’aller vers ».
L’offre médicale sur place a été moyennement
utilisée par les bénéficiaires. L’offre au
Checkpoint Vaud n’a pas été beaucoup utilisée.
Nous constatons une grande difficulté à
mobiliser les TSTG pour qu’elles viennent au
Checkpoint Vaud, sauf en cas de besoins jugés
urgents, et ceci malgré un fort encadrement au
niveau des rappels. L’offre d’accompagnement
vers d’autres prestataires a également été
moyennement utilisée – nous faisons les
mêmes constats que ci-dessus. Cela plaide
pour une mise à disposition de prestations
accessibles directement sur place.
L’offre proposée par des annonces sur les sites
de rencontres n’a pas été utilisée par des TSTG.
Aucune d’entre elles n’a appelé ou n’a répondu
à nos 50 appels à leurs propres annonces.
Environ 40 hommes ont sollicité notre
intervenante pour des rendez-vous sexuels,
interprétant manifestement de manière
erronée le contenu des annonces, qui
proposait des prestations de santé/social.
Toutefois, nous avons aussi reçu trois
demandes de renseignements de la part de
clients, qui ont été par la suite adressés aux
consultations du Checkpoint Vaud. Nous ne
disposons pas d’informations de suivi de ces
situations.
En ce qui concerne les salons, malgré nos
intentions de nous y rendre, notre action s’est
limitée à quelques visites à des TSTG dont nous
avions pu établir un lien dans les lieux de
prostitution de rue. Cet axe n’a pas pu être
développé également pour des questions de
ressources.
Satisfaction, connaissances et attitudes
favorables à la santé
Selon une enquête menée auprès d’un
échantillon du groupe cible, la satisfaction
générale a été évaluée comme très positive. La
nécessité d’une offre expressément destinée
aux TSTG a été considérée comme très
importante. Pour les TSTG interrogées, il a été
facile de se rendre au bus. L’offre des
prestations médico-sociales a été jugée très
satisfaisante. Certaines TSTG affirment avoir
« appris quelque chose » mais elles affirment
en même temps ne pas avoir vraiment changé
quelque chose dans leurs comportements.
Pérennisation de l’offre, stratégies politiques
En 2015, l’OFSP a présenté le cadre pour la
planification d’actions en prévention VIH/IST
dans le domaine de la migration/facteurs de
vulnérabilité (Derendinger, 2015). Le projet
PAO TSTG et les travaux qui ont précédé sa
mise en œuvre ont contribué à faire en sorte
que la thématique du travail du sexe
transgenre soit comprise dans ce cadre, qui va
représenter une référence nationale. Une
importante conséquence de ce résultat est la
mise sur pied de projets de transfert de
compétences et l’amélioration des concepts
par les organismes vaudois et genevois actifs
dans le domaine du travail du sexe afin
d’assurer une meilleure prise en charge du
groupe cible TSTG.
Discussion
La palette de thèmes sociaux et médicaux
pouvant être abordés dans le bus et au
Checkpoint Vaud correspond aux besoins des
TSTG. En effet, nous avons pu répondre aux
différentes demandes, tout en posant des
questions ciblées aux parcours de TSTG. Cela
montre l’intérêt d’avoir une approche médicosociale conjointe faite en partenariat et
complémentarité et avec des compétences
trans’ au sein de l’équipe. Les collaborations
avec un centre de santé sexuelle comme le
Checkpoint Vaud et le travail sur des seuils
variables avec les mêmes équipes dans les deux
lieux permet de créer et garder les liens ainsi
que d’effectuer des actes médicaux sur place
permettant de “saisir l’occasion”. Il est bien
plus difficile d’atteindre ces objectifs par des
prestations offertes à d’autres endroits que les
lieux de la prostitution (le Checkpoint Vaud
déjà, mais aussi d’autres structures médicales).
La création et l’utilisation d’un réseau TSTGfiendly est très importante. Nous estimons par
là que le seuil d’accès aux prestations sociales
et médicales a été considérablement réduit par
la mise en œuvre de l’ensemble de notre
concept.
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Les situations des TSTG peuvent être très
complexes et nécessitent donc des prises en
charge complexes, qui doivent être
coordonnées et peuvent être contraignantes.
Quelques bénéficiaires ont fortement mobilisé
nos ressources temporelles. Dans plusieurs
situations, une composante psychique est
probablement présente. Il serait intéressant de
pouvoir
associer
des
compétences
psychologiques supplémentaires à l’équipe. La
présence d’une personne trans’ dans l’équipe
est indispensable, le lien avec les TSTG est
fortement renforcé, selon ce qui est soutenu
par la majorité des bénéficiaires du projet - en
appui aux apports de la littérature.
La priorité des besoins ressentis est très
variable et la satisfaction des besoins les plus
urgents (travail, logement, argent, parfois
santé) est indispensable pour ensuite aborder
des questions de santé sexuelle ou générale, ou
d’autres thèmes. L’approche globale centrée
sur les besoins de la personne et la possibilité
de pouvoir satisfaire d’autres besoins que ceux
de santé est donc indispensable.
Plusieurs de nos bénéficiaires ont affirmé faire
“tous” les dépistages des IST dans leurs pays.
De ce fait, elles ne montrent pas d’emblée de
l’intérêt pour une partie de nos prestations de
santé sexuelle. Plusieurs bénéficiaires, malgré
la gratuité des offres de dépistages, pour cette
raison, n’ont pas souhaité profiter de l’offre.
Des hypothèses comme le manque de ressenti
du besoin, de la crainte du dépistage, de la
crainte des éventuelles questions des autres
TSTG ont été émises sans pouvoir être
creusées.
Toutes nos bénéficiaires affirment, dans nos
discussions bilatérales avec elles, utiliser un
préservatif pour les pénétrations et les
fellations qu’elles font aux clients. Elles disent
se faire faire des fellations sans préservatif, les
clients n’appréciant pas avec. Parallèlement,
elles disent toutefois que des collègues
n’utilisent pas toujours des préservatifs pour
les pénétrations ou les fellations (pour des
questions de tarifs). Il est donc difficile
d’évaluer le respect du safer sex dans le groupe
de bénéficiaires. Les bénéficiaires sont
souvent, d’une part, très angoissées par
rapport au VIH (hypothèse de sursensibilisation) et, d’autre part, dans la
méconnaissance des autres IST.
L’horizon temporel de la plupart des TSTG est
à très court terme, ce qui rend difficile le suivi
de certaines situations, surtout en cas de
rendez-vous, réseaux, ... Ce constat plaide
encore une fois pour une offre étoffée sur
place, d’autant plus que certaines TSTG sont
seulement de passage et consacrent leur
temps au travail.
Il est parfois difficile de maintenir le lien avec
certaines bénéficiaires, surtout s’il n’y a
pas/plus d’urgence ou de besoins ressentis
urgents ou en raison de leurs cadres de travail.
Une méthode pratique pour augmenter le suivi
et les contacts est l’utilisation de la ligne
téléphonique portable, ce qui permet aussi de
garder un contact après leur départ, en cas de
retour ou besoin de suivi. Les TSTG ont parfois
des difficultés à financer certaines prestations
médicales (franchise, pas d’assurance,
problèmes financiers). Lorsque cela est
possible, il peut aussi être difficile d’encaisser
le montant dû. Le fait d’offrir des dépistages et
des facilités de paiement ont été précieux.
Souvent, une orientation seule vers d’autres
prestataires (voire aussi le Checkpoint) n’est
pas suffisante. Dans ces cas, un
accompagnement de la part de l’intervenante
sociale ou de l’infirmier doit être fait. Ceci à
cause de problèmes de langue, culture,
craintes, complexité de la situation,
compréhension des enjeux, vulnérabilités
inhérentes à l’activité du travail du sexe et/ou
liées à la transition, prestataires (peut-être)
non adaptés à cela, compétences sociales
(affirmation, négociation, mettre des limites,
…) pas suffisantes, traumatismes, ...
La collaboration avec le Checkpoint Vaud pour
ce qui concerne la santé sexuelle et générale
est un grand atout pour faciliter l’accès aux
soins des TSTG et agir de manière rapide et bas
seuil. La disponibilité de la médecin pour le
domaine de la santé générale, ajouté à celui de
la santé sexuelle, est très précieux pour le
concept global. La collaboration avec la police
s’est aussi révélée très importante dans
plusieurs dossiers (permis, expulsion, violences
subies par une TSTG, informations générales,
…)
Concernant les clients, nous n’avons que des
informations reçues au travers de nos
bénéficiaires et issues de nos observations lors
de leurs passages dans le quartier. Il semble
que ce ne soit pas un groupe homogène, mais
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composé d’hommes de tous âges, conduisant
tous types de voitures, en provenance de tous
les cantons romands et quelques alémaniques,
de la France et de l’Allemagne. Nos
bénéficiaires nous parlent de clients
respectueux, tout comme des clients qui le
sont moins, voire violents, sales, alcoolisés. Il
arrive que des clients demandent aux TSTG de
consommer des produits avec eux lors des
rapports. Il y a aussi des clients habitués, des «
voyeurs » et des personnes qui se masturbent
dans leurs voitures. Une approche ciblée
envers les clients semble être nécessaire si on
veut les atteindre et leur proposer des
prestations de santé sexuelle. Concernant les
prix, il est aussi difficile de mettre en lumière
des pratiques réelles avérées, les discours de
nos bénéficiaires étant souvent diversifiées et
contradictoires (quand elles parlent des
autres).
La majorité des TSTG travaillant sur les lieux de
prostitution de rue sont également actives sur
internet ou à domicile/salons. Notre essai de
les atteindre via internet a révélé des
difficultés méthodologiques. Internet demeure
selon nous un axe qui devrait être investi avec
une méthode à définir, compte tenu du
nombre potentiel de TSTG à contacter.
Parallèlement, une visibilité et un « aller vers »
les TSTG actives dans les salons devraient aussi
être développés, par une équipe ayant les
mêmes compétences que celle intervenue
dans le cadre du projet.
Conclusion
Le projet touche la population cible qu'il s'était
fixé, le potentiel d'élargissement est encore
grand (salons, internet, autres villes). Il apporte
un soutien concret d'un point de vue médical
(IST, endocrinologique, général) et social
(statuts de séjour, aspects juridiques et
assécurologiques, état civil, professionnel,
accès aux soins et aux prestations sociales, ...).
Sa stratégie semble répondre de manière
appropriée et efficace aux besoins spécifiques
des TSTG (prestations et approche, proximité
par le bus, contacts téléphoniques, liens entre
le bus et le Checkpoint et autres prestataires,
travail de réseau, accompagnements, création
et maintien du lien avec les TSTG). Le seuil
d’accès aux prestations sociales et médicales
du réseau semble être considérablement
réduit par les démarches de lien, travail de
réseau et accompagnement. Par son approche
proposant, entre autres, des prestations
médico-sociales sur place de manière souple,
notamment en ce qui concerne la santé
sexuelle, et par son ancrage au Checkpoint
Vaud, le projet permet de dépister les TSTG en
“saisissant l’occasion”, l’horizon temporel des
TSTG étant souvent à très court terme. Le
projet est issu de deux organisations pour qui
la thématique trans’ est centrale ou très
importante et pour qui la notion de « norme »
est fortement déconstruite, ce qui permet que
les compétences d’accueil, de conseil et
d'accompagnement aillent au-delà de la
sensibilisation à la thématique relative aux
TSTG, et soient réellement « intégrées » dans
les pratiques. Les bénéficiaires expriment de la
satisfaction par rapport aux prestations
fournies, l’approche et l’accompagnement tel
que proposé. Des interrogations sur les
éventuels changements de comportement
subsistent.
A la suite des travaux qui l’ont précédé, les
résultats et la dynamique du projet PAO TSTG
ont contribué à faire en sorte que la
thématique du travail du sexe transgenre soit
comprise dans le cadre de référence national et
mieux intégrée dans les concepts régionaux15.
Ce projet a été mené dans un environnement,
une temporalité et une utilisation de l’offre
spécifiques. Il n’est dès lors pas possible de
généraliser sans précautions les conclusions
dans un autre environnement. Un certain
nombre de constats nous incite toutefois à
penser que, tenant compte des particularités
et spécificités d’autres contextes, ses grandes
lignes pourraient être reprises par d’autres
structures œuvrant dans le soutien aux TSTG,
ou d’autres travailleuses et travailleurs du sexe
pour lesquel-le-s une approche semblable est
considérée comme pertinente.
15
L’association Fleur de Pavé, Lausanne, et l’association
Aspasie, Genève, ont confirmé leur intérêt pour veiller
activement aux besoins de cette population spécifique
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REMERCIEMENTS
Rebecca Ben Hassine, Chiara Ferrario, Haruna
Okano, Florent Jouinot, Roger Staub, Steven
Derendinger, Raphaël Depallens, Niels
Rebetez, Sylvain Lienhard, Sandra Beer,
Yannick Forney, Nicolas Pythoud
BIBLIOGRAPHIE
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catégorisation des résultats de Promotion
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Avenue de la Gare 17 І 1003 Lausanne І T 021 631 01 70 І www.profa.ch
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