RÉPUBLIQUE FRANÇAISE COUR D`APPEL DE PARIS

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE COUR D`APPEL DE PARIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Grosses délivrées
aux parties le :
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRET DU 15 JUILLET 2016
(n°
, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 15/24432
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 11 Décembre 2015 -Président du TGI de
PARIS - RG n° 15/60555
APPELANTE
SAS LABORATOIRES MERCK SHARP & DOHME CHIBRET
Société par actions simplifiée inscrite au RCS de NANTERRE sous le n° 316.331.065.
Représentée par son Président en exercice et tous représentants légaux, domiciliés
audit siège en cette qualité.
34 avenue Léonard de Vinci
92400 COURBEVOIE
N° SIRET : 316 .33 1.0 65
Représentée par Me Laurence TAZE BERNARD,
avocat au barreau de PARIS, toque : P0241
Assistée de Me Muriel PARIENTE, avocat au barreau de PARIS, toque : P33
INTIMÉS ET APPELANTS INCIDENTS
COMITÉ D’ENTREPRISE DES LABORATOIRES MSD CHIBRET
de la SAS LABORATOIRES MERCK SHARP & DOHME CHIBRET
route de Marsat Riom
63936 Clermont Ferrand Cedex 9
SCOP SYNDEX
22 rue Pajol
75018 PARIS
N° SIRET : 719 .80 5.7 72
Représentés de Me Béatrice BURSZTEIN de la SCP LBBA, avocat au barreau de PARIS,
toque : P0469
Assistés de Me Eladia DELGADO, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile,
l’affaire a été débattue le 26 mai 2016, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas
opposés, devant Mme Annie DABOSVILLE, Présidente de chambre, et Mme Odette-Luce
BOUVIER, Conseillère, chargées d’instruire l’affaire.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour,
composée de :
Mme Annie DABOSVILLE, Présidente de chambre
Mme Odette-Luce BOUVIER, Conseillère
Mme Mireille DE GROMARD, Conseillère
Qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Patricia PUPIER
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du
code de procédure civile.
- signé par Mme Odette-Luce BOUVIER, Conseillère, en l’empêchement de la
présidente, et par Mme Patricia PUPIER, greffière présente lors du prononcé.
La SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret (LMSDC) appartient au groupe
international pharmaceutique Merck & Co (MSD).
Le groupe MSD, qui a pour activité le développement, la production et la commercialisation
de médicaments intervenant tant en santé humaine qu'en santé animale, est organisé en 3
divisions opérationnelles :
- recherche (Merck Research Laboratories -MRL-),
- “marketing” et vente (Global Human Health -GHH-),
- production (Merck Manufacturing Division -MMD-).
La SAS LMSDC est rattachée à la division MMD, à la ligne de produits “large molécule”
et au secteur dit stérile.
Composée de deux établissements situés à Clermond-Ferrand (“Méribel”) et à Saint
Germain Laprade (“La Vallée”) jusqu'en septembre 2015, la SAS LMSDC a cédé l'usine
“La Vallée” de sorte que le comité d'établissement de l'établissement “Mirabel” est devenu
le comité d'entreprise.
Le 9 juillet 2015, à l’occasion d'une réunion extraordinaire, le comité central d'entreprise
a désigné la SCOP Syndex, cabinet d'expertise comptable, en vue de l'assister pour l'examen
des orientations stratégiques de l'entreprise, en application des dispositions de l'article
L.2323-7-1 du code du travail recodifié en L.2323-10 du code du travail.
Le 29 septembre 2015, à la suite de la disparition du comité central d'entreprise, le comité
d'entreprise (CE) a confirmé la désignation de la SCOP Syndex.
En exécution des termes de l'article R.2325-6-1 du code du travail, la SCOP Syndex a
adressé une lettre de mission au comité d'entreprise ainsi qu'une demande de
communication de pièces à l'intention du président du comité d'entreprise de la SAS
LMSDC.
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RG N°15/24432 - page 2
Par lettre du 5 novembre 2015, la SAS LMSDC, affirmant que certaines pièces réclamées
par la SCOP Syndex n'entraient pas dans le cadre de sa consultation, a refusé de les
communiquer.
Par acte du 10 novembre 2015, la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret
(LMSDC), a assigné le comité d'entreprise des laboratoires MSD Chibret de la SAS
Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret et la société d’expertise comptable, la SCOP
Syndex, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, statuant à heure
indiquée, aux fins de juger que la SAS LMSDC n'a pas à délivrer les documents suivants :
* le plan stratégique à trois ans de la division MMD de Merck,
* le plan stratégique à trois ans du groupe Merck, notamment en matière de
développement d'aires thérapeutiques,
* les détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les conditionnements,
ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo...),
* les enjeux de compétitivité et performances attendues du site et plus
particulièrement (i) les écarts de performance mesurées (benchmark, méthodologie,
périmètre, périodes, indicateurs...) vis-à-vis des autres sites du réseau MMD et (ii) les
précisions chiffrées sur les deux options évoquées pour le Cancidas (incidence financière
d'un arrêt de production, coût dïmplantation d'un nouveau produit...).
A titre reconventionnel, le comité d'entreprise et la SCOP Syndex ont demandé au juge des
référés d’ordonner à la SAS LMSDC de lui transmettre les documents et informations
correspondant aux points n°2, 4, 7 et 8 a tels qu'énoncés dans la lettre de mission du
2 octobre 2015, sous astreinte et de dire que le délai de deux mois de consultation, visé aux
articles L.2323-3, R.2323-1 et R.2323-1-1 du code de travail, ne commencera à courir qu'à
compter de la remise par la SAS LMSDC des éléments précités à la SCOP Syndex et en vue
de la consultation du comité d'entreprise ; subsidiairement, de prolonger de deux mois le
délai de consultation du comité d'entreprise à compter de la remise par la SAS LMSDC
desdits éléments à la SCOP Syndex.
Par ordonnance contradictoire du 11 décembre 2015, le juge des référés du tribunal
de grande instance de Paris, a :
- écarté des débats les pièces n° 6.1, 7, 8 et 12 communiquées par le comité d'entreprise des
laboratoires MSD Chibret de la SAS LMSDC et la SCOP Syndex ;
- ordonné à la SAS LMSDC de communiquer à la SCOP Syndex les documents suivants :
* stratégie à trois ans de la division MMD de Merck à laquelle appartient LMSDC,
* stratégie à trois ans du groupe Merck, notamment en matière de développement
d'aires thérapeutiques,
* détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les conditionnements,
ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo...),
* enjeux de compétitivité et performances attendues du site ; écarts de performance
mesurées (benchmark, méthodologie, périmètre, périodes, indicateurs...) vis-à-vis des autres
sites du réseau MMD ;
- prolongé d'un mois le délai de consultation du comité d'entreprise des laboratoires MSD
Chibret de la société Laboratoires Merck Sharp de Dobrne Chibret à compter de la remise
par la SAS LMSDC des documents précités à la SCOP Syndex ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
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- condamné la SAS LMSDC à verser au comité d'entreprise des laboratoires MSD Chibret
de la SAS LMSDC et à la SCOP Syndex la somme de 2.000 euros sur le fondement des
dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SAS LMSDC aux dépens.
La SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret a relevé appel de cette décision
par déclaration d'appel reçue le 17 décembre 2015.
Par ses dernières conclusions régulièrement transmises le 10 mai 2016, l'appelante
demande à la cour de :
- la recevant en son appel, l’y déclarer bien fondée ;
- infirmer en toutes ses dispositions le “jugement” rendu par le tribunal de grande instance
de Paris le 11 décembre 2015 ;
Statuant à nouveau :
- dire et juger que le champ d'application de la consultation sur les orientations stratégiques
porte uniquement sur l'entreprise, conformément aux dispositions de l'article L.2323-7-1
du code du travail ;
En conséquence :
- juger que la SAS LMSDC n'a pas à délivrer les documents suivants :
· le plan stratégique à trois ans de la division MMD du groupe MSD,
· le plan stratégique à 3 ans du Groupe MSD, notamment en matière de
développement d’aires thérapeutiques,
· les détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les conditionnements,
ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo…),
· les enjeux de compétitivité et performances attendues du site et plus
particulièrement (i) les écarts de performances mesurées (benchmarck, méthodologie,
périmètre, périodes, indicateurs…) vis-à-vis des autres sites du réseau MMD ;
Subsidiairement :
- constater que le document intitulé : "Plan Stratégique à 3 ans de la division MDD du
groupe MSD" n'existe pas ;
En conséquence :
- juger que la SAS LMSDC n'a pas à délivrer les documents suivants :
· Le plan stratégique à trois ans de la division MMD du Groupe MSD ;
En tout état de cause :
- dire que les frais engagés par le comité d'entreprise pour assurer sa défense dans le cadre
de la présent instance ne peuvent être mis à la charge de la SAS LMSDC ;
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- condamner le comité d'entreprise aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi
conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L'appelante soutient :
- qu'il résulte de l'article L.2323-7-1 du code du travail que la consultation sur les
orientations stratégiques ne concerne que l'entreprise et ne saurait être élargie au niveau du
groupe ; qu'il apparaît que le législateur a volontairement circonscrit cette consultation à
l'entreprise à l'exclusion du groupe ; que depuis le 1er janvier 2013, ce texte prévoit que
cette consultation puisse être effectuée au niveau du groupe, uniquement si un accord de
groupe le prévoit.
- que la jurisprudence fournie par les intimés n'est pas pertinente ; que certaines décisions
concernent des expertises comptables réalisées sur d'autres fondements, où le périmètre de
la consultation n'était pas défini par le législateur ; que d'autres ne sont pas transposables
car elles concernent des cas de forte imbrication entre la société mère et ses filiales,
l'orientation stratégique des filiales étant, contrairement à l'espèce, décidée et contrôlée par
la société mère ;
- que la consultation sur les orientations stratégiques n'ayant pour périmètre que l'entreprise,
l'expert-comptable ne peut demander des documents relatifs à la stratégie de groupe ; qu'elle
a cependant présenté, lors de la dernière réunion extraordinaire du comité central
d'entreprise le 9 juillet 2015, le contexte économique dans lequel elle évolue, et les objectifs
poursuivis par la division MMD ;
- que le plan stratégique de la division MMD à trois ans n'existe pas et que son élaboration
impliquerait un travail de recherche, d'analyse et de synthèse que l'appelante n'a pas à faire ;
qu'il est de jurisprudence constante qu'une société ne peut être contrainte à communiquer
un document qui n'existe pas ; qu'en tout état de cause, ce document n'entrerait pas dans le
champ de la consultation puisque c'est une information qui concerne le groupe MSD ;
- que le plan stratégique à trois ans du groupe MSD, notamment en matière de
développement d'aires thérapeutiques, concerne la stratégie du groupe MSD qui n'entre pas
dans le champ de la consultation sur les orientations stratégiques de la SAS LMSDC ;
Sur le report du délai de consultation demandé par le comité d'entreprise, l'appelante
soutient enfin :
- qu'il ressort de l'article R.2323-1 du code du travail et des précisions apportées par la
circulaire DGT n°2014/1 du 18 mars 2014 que ce délai court à compter du jour où
l'employeur aura communiqué les informations qu'il est tenu de lui transmettre ; que la SAS
LMSDC a transmis dès le 29 septembre 2015 toutes les informations qu'elle était tenue de
transmettre au comité d'entreprise ;
- que la jurisprudence considère que le fait pour l'employeur de communiquer de nouveaux
documents pendant la procédure de consultation n'a pas pour conséquence de faire courir
un nouveau délai de consultation.
Par leurs dernières conclusions régulièrement transmises le 18 mai 2016, le comité
d'entreprise des laboratoires MSD Chibret de la SAS Laboratoires Merck Sharp &
Dohme Chibret et la SCOP Syndex, intimés et appelants incidents, demandent à la cour
de :
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- dire et juger l’appel formé recevable mais injustifié et non fondé ;
- confirmer l’ordonnance de référé rendue le 11 décembre 2015 par le tribunal de grande
instance de Paris en ce qu’elle a enjoint à la SAS LMSDC de déférer à la demande de
communication de documents et d’informations correspondants aux points n° 2, 4, 7 et 8a
tels qu’énoncés dans la lettre de mission datée du 2 octobre 2015 :
2. stratégie à trois de la division MMD de Merck à laquelle appartient la SAS
LMSDC,
4. stratégie à 3 ans du Groupe Merck, notamment en matière de développement
d’aires thérapeutiques,
7. détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les conditionnements,
ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo…),
8. enjeux de compétitivité et performances attendues du site
a. Écarts de performances mesurés (“benchmark”, méthodologie,
périmètre, périodes, indicateurs…) vis-à-vis des autres sites du réseau MMD ;
Statuer à nouveau :
- assortir la délivrance des documents et informations précitées d’une astreinte de
1.000 euros par jour et par document à compter du 8ème jour suivant l’arrêt à intervenir ;
- se réserver le droit de liquider l’astreinte ;
- constater l’existence de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la
formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise ;
- prolonger de deux mois le délai de consultation du comité d’entreprise, à compter de la
remise par la SAS LMSDC des éléments précités à la SCOP Syndex ;
En tout état de cause :
- condamner la SAS LMSDC à payer, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
la somme de 5.000 euros au comité d’entreprise et de 3.500 euros à la SCOP Syndex ;
- condamner la même aux entiers dépens, dont les frais des traductions sont dûment
justifiés.
Les intimés soutiennent :
- que le débat ne porte pas sur le périmètre de la consultation du comité d'entreprise ; qu'il
ne s'agit pas d'être consulté sur un périmètre autre que celui défini par l'article L.2323-7-1
devenu L.2323-10 du code du travail ; qu'il s'agit d'obtenir des documents nécessaires à
l'expert pour effectuer sa mission afin de comprendre et analyser les orientations
stratégiques de l'entreprise ;
- qu'il ne faut pas confondre cadre de la consultation et champ d'investigation de l'expert ;
que, si sa consultation ne porte que sur les orientations stratégiques de l'entreprise, cela ne
l'empêche pas de solliciter la communication de documents relatifs à la stratégie du groupe
si cela est nécessaire à la compréhension et l'analyse de la stratégie de l'entreprise ;
- que l'article L.2325-37 du code du travail donne à l'expert du comité d'entreprise un droit
d'accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes ;
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qu'il peut donc demander la communication de pièces auxquelles le comité d'entreprise n'a
pas accès ; que la Cour de cassation considère qu'il ne peut être demandé au juge de
contrôler l'utilité concrète des documents sollicités par l'expert ;
- que la cour d’appel de Paris a jugé que cela ne se limitait pas aux documents détenus par
la société ; que celle de Versailles, par un arrêt récent du 19 février 2015 (N° RG
14/02871), a jugé qu'il appartenait dans ce cas à la société indiquant ne pas détenir les
documents sollicités d'extraire de ses bases de données les éléments demandés ;
- qu'en l'espèce, l'appelante ne peut soutenir au demeurant qu'il n'existe pas de plan
stratégique au niveau de la division MMD car celle-ci a toujours élaboré et diffusé des plans
stratégiques pluriannuels qui ont des déclinaisons opérationnelles au niveau des filiales,
dont la SAS LMSDC ;
- que, s'agissant de la stratégie à trois ans du groupe Merck, notamment en matière de
développement d'aires thérapeutiques, la communication de ce document a été sollicitée en
raison des déclarations faites par la direction en ouverture de la réunion du comité central
d'entreprise du 9 juillet 2015 ;
- que, s'agissant du détail des sites MMD incluant les produits fabriqués et les
conditionnements ainsi que leur caractéristique, ces éléments permettraient de comprendre
la répartition de la production telle qu'elle a été décidée par le groupe et la division, ce qui
“impacte” directement l'activité de la filiale LMSDC ; que ces données sont donc
nécessaires à la mission de l'expert ;
- qu’en ce qui concerne les enjeux de compétitivité et performances attendues du site et des
écarts de performances mesurées vis-à-vis des autres sites du réseau MMD, la demande de
communication tend à pouvoir comparer la situation de la société LMSDC par rapport aux
autres entités de la division MMD ; que cette demande entre donc dans la mission de
l'expert, notamment au regard de l'objectif de réduction du nombre de sites affiché par le
groupe ;
Sur le report du délai de consultation, les intimés font valoir au soutien de leur appel
incident que, dès lors qu'il y a lieu d'ordonner à l'appelant de communiquer de nouveaux
documents, il y a lieu de proroger le délai de consultation ; qu'en effet l'appelante s'est
refusée à transmettre ces documents, malgré l'ordonnance dont appel.
SUR CE LA COUR
Sur la demande de communication de pièces :
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de
conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution
d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la
demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Il est de jurisprudence constante que la demande de production forcée de pièces peut être
présentée à la juridiction des référés sur le fondement de l’article 145 susvisé, les
dispositions de l’article 146 du code de procédure civile, aux termes desquelles une mesure
d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d’une partie, n’étant
applicables que devant le juge du fond.
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En application de l’article L 2323-10 du code du travail, modifié par la loi n°2015-994 du
17 août 2015 et applicable à l’espèce (ancien article L. 2323-7-1 ) :
“Chaque année, le comité d'entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de
l'entreprise, définies par l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de
l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des
compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, à des
contrats temporaires et à des stages. Cette consultation porte, en outre, sur la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences et sur les orientations de la formation
professionnelle ; le comité émet un avis sur les orientations stratégiques de l'entreprise et
peut proposer des orientations alternatives. Cet avis est transmis à l'organe chargé de
l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, qui formule une réponse argumentée.
Le comité en reçoit communication et peut y répondre
La base de données , mentionnée à l'article L. 2323-8, des délégués du personnel ainsi que
du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est le support de préparation
de cette consultation.
Le comité d'entreprise peut se faire assister de l'expert-comptable de son choix en vue de
l'examen des orientations stratégiques de l'entreprise. Cette possibilité de recours à
l'expert-comptable ne se substitue pas aux autres expertises. Par dérogation à l'article
L.2325-40 et sauf accord entre l'employeur et le comité d'entreprise, le comité contribue,
sur son budget de fonctionnement, au financement de cette expertise à hauteur de 20 %,
dans la limite du tiers de son budget annuel.”.
En application de l’article L.2325-36 du code du travail, la mission de l'expert-comptable
assistant le comité d’entreprise porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier
ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de
l'entreprise et de l'article L.2325-37 du code du travail que l'expert a accès aux mêmes
documents que le commissaire aux comptes lequel peut, en vertu de l'article 823-14 du code
de commerce, étendre ses investigations auprès des sociétés mères ou filiales.
Il résulte en outre de l’esprit de la loi du 17 août 2015 dont le titre I a pour objet
d’“améliorer l’efficaité et la qualité du dialogue social au sein de l’entreprise” et des
dispositions de l’article L.2325-35 du code du travail modifié par cette loi, qu’il appartient
au seul expert-comptable désigné pour assister le comité d’entreprise de déterminer les
documents utiles à sa mission en l’occurrence les orientations stratégiques de l’entreprise,
étant relevé qu’il convient de distinguer d’une part les informations qui doivent être
obligatoirement communiquées au comité d’entreprise et celles, notamment relatives au
groupe auquel appartient la société concernée, dont l’expert peut demander la
communication pour mener à bien sa mission.
En l’espèce, il est établi par les éléments de fait et de preuve versés aux débats que la
SAS LMSDC a transmis à l'expert les documents réclamés, à l'exception toutefois de quatre
pièces, objet du présent litige, au motif qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application
de l'article L. 2323-7-1 du code du travail relatif, selon l’appelante, à la consultation du CE
sur les orientations stratégiques de la seule entreprise et non du groupe MSD .
Il ressort toutefois des pièces produites aux débats que la SAS LMSDC est partie intégrante
d'une strategie globale définie au niveau du groupe Merck qui est de “découvrir, de
développer et de forunir des produits et services innvoatuers afin de sauver et améliorer
la qualité de vie des patients du monde entier” et que l’entreprise ne peut à elle seule,
comme l’a retenu à bon droit le premier juge, constituer le cadre pertinent d'analyse et
d'appréciation des orientations stratégiques de l'ensemble économique dont l’évolution
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dépend notamment de la contribution et de l’implication des salariés des sociétés mères
et filiales de sorte que la mission de l'expert-comptable ne saurait être cantonnée, en
l’espèce, à l'examen des documents et pièces émanant de la seule société LMSDC.
Il s’en déduit que le CE des laboratoires MSD Chibret de la SAS Laboratoires Merck Sharp
& Dohme Chibret et la SCOP Syndex justifient, avec l’évidence requise en référé, d’un
motif légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, à réclamer la
communication des documents élaborés au niveau de la division, voire du groupe comme
le plan stratégique à trois ans du Groupe MSD, notamment en matière de développement
d’aires thérapeutiques, les détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les
conditionnements, ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo…) et les enjeux de
compétitivité et performances attendues du site et plus particulièrement les écarts de
performances mesurées (“benchmarck”, méthodologie, périmètre, périodes, indicateurs…)
vis-à-vis des autres sites du réseau MMD.
En ce qui concerne le plan stratégique à trois ans de la division MMD du groupe Merck,
l’appelante affirme que ce document n’existe pas et qu’elle ne saurait dès lors être tenue
de le créer.
Toutefois, la cour relève qu’il résulte des pièces versées aux débats qu’il a été affirmé par
la direction, lors de la réunion du comité central d'entreprise du 9 juillet 2015, que ce plan
serait publié fin juillet de la même année, qu’il y est fait référence dans divers documents
versés aux débats par l’intimée et, qu’au demeurant, existent nécessairement les données
relatives aux orientations stratégiques définies au niveau de la division, destinées, comme
le souligne l’expert, à être déclinées au sein de la société LMSDC et dès lors indispensables
pour la connaissance de la situation réelle économique, financiere et sociale de l'entreprise.
Il appartient en conséquence à la société LMSDC, non de confectionner ce document
particulier mais d’extraire de ses bases de données les éléments demandés et de
communiquer ces extraits à la SCOP Syndex, étant relevé que cette dernière est tenue de
respecter son obligation de secret et de discrétion qui lui impose de ne faire des
informations qui lui seront communiquées aucun usage contraire aux droits fondamentaux
des salariés et aux intérêts de la société.
Il convient en conséquence de confirmer l’ordonannce entreprise en ce qu’elle a ordonné
à la SAS LMSDC de communiquer les documents correspondant aux points n° 2, 4, 7 et
8a tels qu’énoncés dans la lettre de mission du 2 octobre 2015, soit :
2. stratégie à trois ans de la division MMD du Groupe Merck à laquelle appartient
la SAS LMSDC,
4. stratégie à trois ans du Groupe Merck, notamment en matière de développement
d’aires thérapeutiques,
7. détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les conditionnements,
ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo…),
8. enjeux de compétitivité et performances attendues du site
a. Écarts de performances mesurés (“benchmark”, méthodologie,
périmètre, périodes, indicateurs…) vis-à-vis des autres sites du réseau MMD.
Sur les délais de consultation du CE et l’astreinte :
En application des dispositions combinées des articles R.2323-1 et R.2323-1-1 du code du
travail, issus du décret n° 2013-1305 du 27 décembre 2013 relatif à la base de données
économiques et sociales et aux délais de consultation du comité d’entreprise et d’expertise,
le CE dispose d'un délai de deux mois pour se prononcer en cas d'intervention d'un expert,
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ce délai étant toutefois inopposable en cas de défaut d'exhaustivité et/ou d'actualisation de
la base de données.
En l’espèce, il n’est pas contesté en cause d’appel que le comité d'entreprise ne dispose pas,
à la date à laquelle la cour statue, de tous les documents dont la communication reste en
litige pour les motifs sus invoqués.
Il convient dès lors d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle n’a accordé qu’un
délai de consultation du comité d'entreprise d’un mois à compter de la remise par la
SAS LMSDC des documents précités à la SCOP Syndex et, statuant à nouveau, d’accorder
un délai de deux mois de consultation du comité d’entreprise des laboratoires MSD Chibret
de la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret courant à compter de la remise
effective par la SAS LMSDC des éléments sus mentionnés à la société d’expertise
comptable Syndex .
Il convient également, afin de garantir l’exécution exhaustive et diligente de la remise,
d’infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande d’astreinte et, statuant à nouveau,
d’assortir cette injonction de communication des documents et informations précités d’une
astreinte de 1.000 euros par jour à compter du 8ème jour suivant le présent arrêt et de dire
que la cour n’entend pas se réserver la liquidation de ladite astreinte.
Les autres dispositions de l’ordonnance n’étant pas contestées en cause d’appel, elles seront
confirmées.
Il n’y a pas lieu de “constater” dès lors qu’une constatation, hors les cas prévus par la loi,
ne saurait emporter de conséquences juridiques.
L’équité commande de faire droit à la demande des intimées présentée sur le fondement de
l’article 700 du code de procédure civile ; que l’appelante est condamnée à lui verser à ce
titre la somme visée au dispositif de la présente décision.
Partie perdante, l’appelante ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doit
supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a prolongé
d'un mois le délai de consultation du comité d'entreprise et rejeté la demande d’astreinte,
Statuant à nouveau sur ces dispositions,
Accorde un délai de deux mois de consultation du comité d’entreprise des laboratoires
MSD Chibret de la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret à compter de la
remise par la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret (LMSDC) à la SCOP
Syndex des éléments dont il est ordonnée communication,
Assortit d’une astreinte de 1.000 euros par jour courant à compter du 8ème jour suivant le
présent arrêt la communication des documents et informations suivants :
- stratégie à trois ans de la division MMD de Merck à laquelle appartient la
SAS LMSDC,
Cour d’Appel de Paris
Pôle 1 - Chambre 8
ARRET DU 15 JUILLET 2016
RG N°15/24432 - page 10
- stratégie à trois ans du Groupe Merck, notamment en matière de développement
d’aires thérapeutiques,
-détails des sites MMD incluant les produits fabriqués et les conditionnements,
ainsi que leur caractéristique (forme sèche, bio, lyo…),
- enjeux de compétitivité et performances attendues du site :
.Écarts de performances mesurés (“benchmark”, méthodologie,
périmètre, périodes, indicateurs…) vis-à-vis des autres sites du réseau MMD.
Dit que la cour ne se réserve pas la liquidation de l’astreinte,
Condamne la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret (LMSDC) à payer au
comité d’entreprise des laboratoires MSD Chibret de la SAS Laboratoires Merck Sharp &
Dohme Chibret et à la SCOP Syndex la somme de 2.500 euros à chacun d’eux sur le
fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande présentée par la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret
(LMSDC) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la SAS Laboratoires Merck Sharp & Dohme Chibret (LMSDC) aux entiers
dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de
procédure civile.
Le Greffier,
Cour d’Appel de Paris
Pôle 1 - Chambre 8
Le Président,
ARRET DU 15 JUILLET 2016
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